saison 15-16 |
Les Liaisons dangereuses
Le théâtre est pour moi un compagnonnage. C'est une idée politique, une philosophie de vie. − Christine Letailleur −
T NS
Les Liaisons dangereuses
TNS Théâtre National de Strasbourg
Saison 15-16
Christine Letailleur entretien
Quel a été le point de départ de ton désir d’adapter Les Liaisons dangereuses ? J’ai une attirance particulière pour les écrivains du XVIIIe siècle. J’avais déjà adapté La Philosophie dans le boudoir de Sade, que nous avions d’ailleurs présenté au TNS en 2008 − Stanislas Nordey et Valérie Lang y jouaient deux libertins. Je voulais revenir à cette langue du XVIIIe pour son intelligence, son raffinement. J'aime l'esprit de l'époque, son côté critique, ses utopies, sa foi en la raison pour éclairer le monde et les hommes, pour lutter contre les préjugés de tous ordres. J'ai lu Les Liaisons dangereuses lorsque j'étais au lycée, et puis, quand j'avais une 2
vingtaine d'années, avec des copains, je me suis amusée à travailler le texte et à le monter. C’est un roman qui m’a toujours accompagnée et qui exerce chez moi une certaine fascination. Laclos a vraiment un parcours étonnant. Il n’était pas destiné à écrire. C’est un militaire. Les Liaisons dangereuses est son unique roman. Quand il paraît en 1782, c’est à la fois un succès et un scandale. Cette correspondance − les cent soixante-quinze lettres qui le composent − a sidéré ses lecteurs : on a beau savoir en lisant qu’il s’agit d’une fiction, on y croit. Ce livre joue avec tous nos paradoxes. Le couple Merteuil/Valmont manipule, détruit… et pourtant, on ne peut pas ne pas les aimer. Au fil des pages, on a envie de les retrouver, je dirais de « les entendre », parce qu’il y a une jouissance de la langue. J’aime me plonger dans la construction labyrinthique du roman, me pencher sur ses phrases, ses mots, sa ponctuation même. J’avais l’idée de l’adapter mais je n’avais pas commencé à y travailler concrètement. C’est ma rencontre avec Dominique Blanc qui a été le déclencheur. Dominique est une actrice avec laquelle j'avais envie de travailler. Je l’avais découverte dans Le Mariage de Figaro mis en scène par Jean-Pierre Vincent, en 1987, au Théâtre national de Chaillot,
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elle m'avait marquée. J’avais été enchantée par ce spectacle et par Dominique, sa présence, son intelligence du texte, sa voix si limpide. À partir de là, je l’ai suivie, quand j'ai pu, dans son parcours d’actrice. Je rêvais de travailler un jour avec elle. Nous nous sommes rencontrées et quand elle m'a donné son accord pour interpréter Merteuil, j’ai pu véritablement me mettre au travail d’adaptation de la pièce. Je pouvais donner un corps et une voix à Merteuil. J’ai commencé aussi à rêver au couple Valmont/Merteuil et quand Dominique m'a dit que Vincent Perez avait envie de revenir au théâtre, je l'ai tout de suite imaginé en Valmont. J’avais vu Vincent dans Hamlet monté par Patrice Chéreau [créé en 1988 au Festival d’Avignon puis repris au Théâtre Nanterre-Amandiers], et au cinéma dans plusieurs films dont La Reine Margot et Ceux qui m’aiment prendront le train de Chéreau également. Vincent a la stature de Valmont, un pouvoir de séduction et un charisme certain. Je voulais aussi, avec ces deux interprètes, raconter une histoire de théâtre, celles des années Chéreau. Je fréquentais assidûment le Théâtre NanterreAmandiers quand il en était directeur [1982-1990], je voyais également les travaux des élèves de l’École ; c’était un artiste que j’admirais, il a marqué plusieurs générations de metteurs en scène et notamment la mienne.
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« J’aime me plonger dans la construction labyrinthique du roman, me pencher sur ses phrases, ses mots, sa ponctuation même. » 5
Concernant le reste de la distribution, je retrouve Julie Duchaussoy et Manuel Garcie-Kilian que j’ai connus à l’école du Théâtre National de Bretagne, et qui, depuis leur sortie, m’accompagnent sur certains de mes spectacles. Ils interprètent respectivement les rôles de Mme de Tourvel et du chevalier Danceny. Je retrouve également Richard Sammut avec lequel j’ai travaillé sur Hinkemann de Toller [créé la saison dernière], il jouera Azolan, le chasseur de Valmont, personnage populaire dans la veine de Sganarelle ; Guy Prévost et Stéphanie Cosserat, qui ont travaillé avec moi notamment sur Pasteur Ephraïm Magnus de Hans Henny Jahnn et La Philosophie dans le boudoir de Sade, incarnent des figures d’époque : un curé et une courtisane. Quant à Fanny Blondeau, la petite Cécile de Volanges dans la pièce, elle sort tout droit du Conservatoire de Liège, c’est son premier spectacle ; Véronique Willemaears est une comédienne que j’ai rencontrée par le Théâtre de Liège, elle interprète sa mère, Mme de Volanges. Karen Rencurel est une comédienne que j’avais vue jouer à La Colline, elle incarne la tante de Valmont, Mme de Rosemonde. Comment bâtis-tu ton adaptation ? Je reste au plus près de la fable, de l’intrigue, de l'action. Il ne s’agit pas d’une « réécriture ». Mais je dois bien sûr faire des choix, établir des principes
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de narration, imaginer le « comment » avec les outils du théâtre. Ce qui m'intéresse, c'est d'extraire le théâtre − le roman en transpire − et de composer une pièce avec des dialogues tout en restant au plus proche de la langue et de l'esprit de Laclos. Est-ce que tu écris en songeant au plateau ? As-tu déjà une idée de ce que sera l’espace, par exemple ? Ou les costumes ? J'ai tout de suite vu le décor, ses escaliers, son balcon, son étage, avant même d'adapter. Il faut dire que je connaissais bien le texte. Ici, l’espace renvoie à ce qu’est le texte à mon sens : un univers cérébral plus que réaliste. Laclos était un militaire de carrière. Dans le roman, à part deux moments − celui avec la prostituée, Émilie, et celui avec Cécile de Volanges lorsqu'elle est déniaisée −, il n'y a pas de scènes libertines, tout passe par les mots et le plaisir du dire, de se raconter. Dans le roman, il y a très peu de descriptions des lieux, tout comme il n'y a d'ailleurs pas de descriptions physiques précises des personnages. Disons qu'il y a une certaine abstraction. Le décor doit permettre cette abstraction en gardant un côté forteresse. Le plateau est nu. C’est le corps de l’acteur en costume qui remplit l’espace. En ce qui concerne les costumes, ils rappellent
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« Ici, l’espace renvoie à ce qu’est le texte à mon sens : un univers cérébral plus que réaliste. »
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l'époque mais n’ont rien d’une reconstitution historique. Ce qui m’importe, c’est la ligne, la façon dont les étoffes peuvent réagir à des évolutions de lumière. J’aimerais qu’ils évoquent le raffinement de ces aristocrates, les tons pastels de l’époque… en même temps, il ne s’agit pas de « faire du joli ». Je souhaite que les costumes racontent l'évolution des personnages. Qu’est-ce qui t’a amenée à la mise en scène ? Les écritures ? Les écrivains, mon amour pour les mots. Avant de mettre en scène, j’ai suivi des cours au Conservatoire d’Amiens, travaillé avec la troupe professionnelle Le Carquois. À Paris, lorsque j’étais au Cours Florent, je faisais des ateliers où je mettais en scène des copains, j'ai commencé à monter des textes d'Aristophane. Ensuite, j’ai fait des études de sociologie. J’avais envie de comprendre davantage le monde, j’éprouvais le besoin de m'ouvrir sur d’autres choses. Quand j’étais en maîtrise, j'ai hésité entre continuer la sociologie ou faire des études théâtrales. J’avais découvert l’écriture d'Heiner Müller qui a été pour moi une révélation. J'ai donc laissé la sociologie pour m'inscrire en études théâtrales et suivre notamment les cours de Jean Jourdheuil et de Robert Abirached à l’Université
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Paris X Nanterre. À cette époque, Jean-Pierre Vincent dirigeait le Théâtre de Nanterre-Amandiers où avait lieu le festival international de théâtre universitaire. J’y ai présenté Matériau Müller, un montage de plusieurs textes de l'auteur. Le jury professionnel m’a attribué le premier prix. Ce festival permettait aux étudiants de travailler quelques jours au théâtre avant leur présentation. C'était l’occasion de découvrir des plateaux, de travailler avec une équipe de techniciens professionnels, je me souviens notamment de Bernard Jamond, au son, quelqu'un de formidable qui savait transmettre sa passion. J’ai participé à nouveau au festival deux ans après avec des textes de Velibor Čolić [écrivain bosnien, né en 1964, vivant en France], parlant de la guerre de BosnieHerzégovine, dont j'ai fait une adaptation que j’ai appelée Poème brûlé. À nouveau, j’ai obtenu le premier prix, c'était en 1996. C’est à cette occasion que j’ai rencontré Stanislas [Nordey], il avait défendu mon travail de metteure en scène et il m'a proposé de participer à ses ateliers de recherche [au théâtre Nanterre-Amandiers, où il était artiste associé à l’invitation de Jean-Pierre Vincent de 1995 à 1997]. J'ai tout de suite accepté car j'aimais les textes qu'il montait et la manière dont il les mettait en scène.
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J’ai été enchantée par toutes ces expériences aux Amandiers. Elles m'ont poussée à continuer. Tu as la réputation d’aimer les écritures dites « sombres », ou « extrêmes » tu as notamment fait (re)découvrir en France des auteurs allemands comme Hans Henny Jahnn, Ernst Toller, Sacher-Masoch… Oui, c’est vrai que certains me collent cette étiquette. Je pense pourtant que les choses sont plus complexes que cela. Adolescente, j’ai été marquée par des poètes comme Baudelaire, Lautréamont. Je ne considérais pas ces écritures comme « noires ». J'ai toujours aimé les poètes, les langues fracturées, heurtées. Pour moi, Jahnn, Toller, Masoch sont avant tout des poètes. Avec eux, nous faisons des plongées intérieures. La souffrance du poète me parle, son mal être, son désespoir, sa folie. Ce sont des écritures qui me traversent, c’est pour cela que je les monte. Il est vrai que ce sont des voyages qui laissent des traces et c'est ce qui me plaît. Chez ces écrivains, il y a bien sûr des thématiques qui me touchent : la guerre, les affres de la chair, la différence. Mais j’ai longtemps été surprise que les gens me renvoient cette idée de noirceur. Certes, les textes peuvent parler de mort, de la guerre, mais je ne me dis pas « c’est horrible » en les lisant, je ne trouve
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pas cela « noir », je me dis qu'ils sont réalistes, qu'ils montrent la nature humaine, sa complexité, la solitude de l'homme. D’un autre côté, je peux monter aussi des textes plus « joyeux » comme La Philosophie dans le boudoir, bien que la dernière partie soit décapante, grinçante. Sade a un humour corrosif. Quand j'ai monté Le Banquet de Platon, je trouvais que c'était un texte joyeux de par son intelligence, sa vivacité d'esprit. La mort de Socrate, par exemple, n'est pas « noire » ou « sombre », elle est joyeuse car Socrate continue à discuter avec ses amis, jusqu'au bout il continue à philosopher, et s'il boit la ciguë, c'est pour ne pas déroger aux lois de la démocratie qui pourtant le condamnent au suicide. La mort de Socrate est belle parce qu'il la choisit. C’est avec les philosophes que j’ai appris à lire des textes qu’on qualifie de « difficiles » et certains textes de philosophie me bouleversent, dans ce qu’ils peuvent avoir d’universel. J’aime que les textes, qu’ils soient classiques ou contemporains, questionnent fortement l’actualité. Le texte du Banquet est joyeux et reste d’une grande force, politique, poétique... Je suis également passionnée d’Histoire. J’ai besoin, quand je monte un auteur, de me plonger dans l’époque de l’écriture, le contexte, les courants politiques et artistiques… L’histoire et la philosophie
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« Beaucoup de textes parlent de sexualité, les auteurs que j'ai montés en parlent d'une manière particulière, singulière, personnelle. » 13
font partie intégrante de ma démarche. En l’occurrence, Laclos est aussi passionnant pour son contexte : la fin d’une époque, l’arrivée imminente de la Révolution. Ces textes ont aussi en commun d’aborder la question de la sexualité. Oui. Disons qu'ils questionnent l'être, sa complexité, l'intime, le politique. Beaucoup de textes parlent de sexualité, les auteurs que j'ai montés en parlent d'une manière particulière, singulière, personnelle. Sacher-Masoch, par exemple, a su trouver les mots justes pour décrire son désir de souffrance. Même si le plaisir lié à la souffrance est vieux comme le monde − d'ailleurs très présent dans la religion chrétienne − personne ne l'avait aussi précisément décrit avant lui. Qu’as-tu pensé lorsque Stanislas t’a proposé d’être metteure en scène associée au TNS ? Je n’ai pas hésité une seconde, c’était une évidence de continuer notre aventure de théâtre ensemble. Le théâtre est pour moi un compagnonnage. C'est une idée politique, une philosophie de vie. Stanislas et moi nous nous connaissons depuis bientôt vingt ans. Notre compagnonnage a commencé avec les ateliers aux Amandiers, en 1996, et cela
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a joué, dans ma vie, un rôle déterminant. En 1998, je m’apprêtais à partir vivre à Berlin, tout était prévu en ce sens, quand Stanislas et Valérie [Lang, comédienne et membre de la Cie Stanislas Nordey] m’ont demandé d'aller travailler avec eux à Saint-Denis [au Théâtre Gérard Philipe de Saint-Denis, que Stanislas Nordey et Valérie Lang ont dirigé de 1998 à 2002]. Ça a été une vraie question, il s’agissait d’un choix de vie. Je désirais profondément vivre à Berlin, mais je suis restée en France pour le théâtre : je voulais travailler dans ma langue et continuer l’aventure avec eux. Je les ai donc suivis au TGP. J’y ai monté mon premier spectacle professionnel, Médée de Hans Henny Jahnn [en 2001]. J’ai également été l’assistante de Stanislas sur La Puce à l’oreille de Feydeau l'année suivante. Comme acteur, Stanislas m'a accompagnée dans Pasteur Ephraïm Magnus de Hans Henny Jahnn que j'ai mis en scène en 2004 [l'intégrale en 2006], La Philosophie dans le boudoir de Sade, créé en 2007 et présenté au TNS en janvier 2008, Hinkemann d'Ernst Toller en 2014 au Théâtre National de Bretagne et en 2015 à La Colline à Paris. Je suis ravie de venir au TNS pour participer au projet de Stanislas. Il m’a parlé des autres artistes associés. Je trouve formidable qu’il y ait autant de femmes que d’hommes, des gens de différentes
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générations, avec des esthétiques différentes, c'est formidable pour le public et c'est ce qui fait la richesse du théâtre. J’aime beaucoup la ville de Strasbourg et j'apprécie aussi sa proximité avec l’Allemagne, d'autant plus que j'ai un penchant pour les auteurs allemands. Et la présence de l’École est capitale ; la transmission est mon cheval de bataille. J’aimerais vraiment m’impliquer sur le territoire, faire du théâtre hors-les-murs.* J’ai déjà fait cela avec les élèves du TNB, certains m'ont accompagnée dans des ateliers en prison, dans des résidences en lycées. C’est important, pour de jeunes acteurs, de voir que le théâtre, ça se fait aussi ailleurs, pas forcément dans les salles du théâtre, de constater l’importance que ça a pour certaines personnes, dans leur vie. Le théâtre est là aussi pour apporter du bonheur et doit nous permettre de créer du lien. C'est notre grande force. Christine Letailleur Entretien avec Fanny Mentré le 21 janvier 2015 au TNS
* Au moment de la rédaction de ce programme, Christine Letailleur assure un atelier au sein du TNS avec deux associations : « Femmes de talent » et « SOS Femmes Solidarité ». Elle travaille autour de lettres d'amour dans le cadre de leur parcours autour du spectacle.
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« La transmission est mon cheval de bataille. J'aimerais vraiment m'impliquer sur le territoire, faire du théâtre hors-les-murs. »
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Dominique Blanc Christine Letailleur Vincent Perez entretien croisé Cet entretien a lieu le dernier jour de répétitions à Malakoff, avant le départ de toute l'équipe à Rennes pour la suite des répétitions et la création au Théâtre National de Bretagne. Il commence avec Vincent Perez seul, Christine Letailleur et Dominique Blanc nous rejoignent quelques minutes plus tard.
Valmont est un personnage mythique. Est-ce que vous aviez déjà songé à l’interpréter ? Vincent Perez : C’était difficile d’en avoir envie, après ce qu’a fait John Malkovich au cinéma. Mais quand Dominique Blanc m’a informé de l’existence de ce projet avec Christine Letailleur et m'a dit qu’elles avaient pensé à moi, je n’ai pas eu 18
à réfléchir : Dominique est quelqu’un que j’aime profondément, une longue histoire nous unit, notamment liée à Patrice Chéreau. Nous avons cette mémoire commune. Patrice fait vraiment partie de mon ADN et du sien, cela nous fait du bien, c’est une manière de le ramener un peu vers nous, dans nos vies. Ensuite j’ai rencontré Christine, et le courant est tout de suite passé. Nous avons peu parlé du rôle de Valmont. J’ai été enthousiasmé par son rapport à l’écriture, sa vision du travail. Puis j’ai lu son adaptation et j’ai trouvé qu’elle tenait toutes les promesses du roman de Laclos. Je me suis dit − et je me dis toujours − que c’est un privilège de pouvoir travailler avec elle, avec Dominique, sur un texte comme celui-là. Comment abordez-vous Valmont, dont on entend souvent dire qu’il est un « monstre » ? Il y a effectivement du monstrueux chez lui mais aussi quelque chose de profondément humain, dans lequel il s’emmêle, il tombe dans ses propres filets, comme une mouche dans la toile de l’araignée. C’est difficile d’en parler dès maintenant car nous sommes en pleine découverte. Pour le moment, ce sont comme des secousses sismiques en moi : j’ai l’impression d’être au bon endroit par moments, ça me traverse et puis ça s’éloigne. C’est encore 19
« Ces personnages ont tellement de couleurs qu’il est impossible de les aborder d’un bloc : c’est une touche de couleur qui s’ajoute à une autre, puis une autre… » − Vincent Perez −
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inconstant. Mais quand j’y suis, il y a quelque chose de démoniaque et égocentrique. Il y a une forme de jouissance, une excitation à se faire mal, une relation au pouvoir et une bonne dose de misogynie. Cependant, c’est bien d’amour dont il s’agit avec Tourvel et Merteuil. Je ne sais pas encore si c’est un homme qui est partagé entre deux femmes. L’amour qu’il éprouve pour Merteuil est puissant, dévastateur et vertigineux. Je ne sais pas où cela va me mener. Ces personnages ont tellement de couleurs qu’il est impossible de les aborder d’un bloc : c’est une touche de couleur qui s’ajoute à une autre, puis une autre… Est-ce que sa rencontre avec la Tourvel marque un tournant selon vous ? C’est un tournant parce que, pour la première fois, il se fait prendre à son propre piège. Il joue à l’amour, il ouvre son cœur pour séduire cette femme, pour la posséder et la faire succomber ; effectivement, elle finira par plier. Mais au moment où elle se sera ouverte à lui, lui aussi se sera ouvert à elle. Et malgré cela il la sacrifie, cédant à Merteuil : « je vous prouverai, Marquise, que je ne suis pas un amoureux subjugué » ; « L’amour est un sentiment qui abrutit l’esprit ».
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Il y a quelque chose de l’acteur dans ces personnages, dans le rapport au jeu et aux mots… Peut être. Il arrive aussi, dans le temps d’un projet ou d’un tournage, qu’un acteur puisse se laisser déborder par son rôle. On joue avec des sentiments, on sent les choses et on se sert de ce qu’on ressent pour essayer d’amener de la vérité dans ce qu’on fait. Alors se prendre dans nos filets, ça peut arriver. Je ne sais pas de quelle manière je vais être influencé par Valmont. Peut-être qu’il va falloir que je me protège de lui. Il prend quand il veut prendre. Christine dit que Les Liaisons dangereuses lui évoquent des sentiments modernes, est-ce que vous êtes d’accord avec ça ? Oui. En ce qui concerne la réputation, par exemple. Aujourd’hui, sur les réseaux sociaux, les réputations sont en jeu ; je pense à ces élèves d’écoles qui voient la leur détruite parce que quelqu’un a « posté » telle image ou tel commentaire, etc. Quand nous parlions du texte, pour envisager des coupes, nous nous sommes dit de nombreuses fois : il faut garder ce passage, parce que ça parle tellement d’aujourd’hui ! Ça fait écho à une modernité. Il est également question des « jeux » de société, du pouvoir, des jeux des castes : les aristocrates, les grands bourgeois… On n’est pas loin
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de la Révolution, on arrive à la fin d’un système. Le texte exprime ça aussi. Je pense que nous sommes dans une phase de fin de système. On ne sait pas où tout cela va nous mener. Outre cela, quand il s’agit de grands textes, comme c’est le cas avec Les Liaisons dangereuses, il existe toujours un effet de miroir. C’est d’ailleurs pour ça qu’ils restent d’actualité. [Christine Letailleur et Dominique Blanc nous rejoignent.] J’ai pu dialoguer avec Vincent et parler de Valmont, je vais maintenant me tourner vers vous, Christine et Dominique. Vous êtes à mi-chemin du temps de répétitions. Vous êtes actuellement en train d’apporter la touche finale à l’adaptation. Christine Letailleur : Une fois l'adaptation faite, j'aime bien, au plateau, faire quelques retouches. C'est comme en couture, on ajoute, on enlève un point par-ci par-là pour achever le canevas. Vous avez beaucoup travaillé à la table ou êtes-vous allés rapidement au plateau ? Christine Letailleur : Oui, nous y sommes allés rapidement pour habiter le lieu et lire les dialogues au plateau − il ne faut pas oublier que le roman de
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Laclos est constitué de lettres. Avant les répétitions, nous avions fait diverses lectures du texte avec l'équipe. Un gros travail a été fait en amont, notamment sur les dialogues ; en répétitions, il n'est question que de continuité, de poursuite. Chaque spectacle a sa propre construction. Et puis, c'est un gros projet, avec beaucoup de texte, avec beaucoup d'acteurs, il faut avancer vite. Par rapport à vos idées de départ, est-ce qu’il y a des évidences, concernant les personnages ou la pièce en général, qui ont été bousculées ou se sont confirmées ? Christine Letailleur : Une fois l'adaptation écrite, on peut faire des retouches mais elle est, de mon point de vue, définitivement achevée, elle est la trajectoire du spectacle ; elle porte la compréhension de la fable et l’imaginaire que j’y ai projeté. C'est un regard, en l’occurrence le mien. Quand les acteurs l'ont lue au plateau et que j'ai commencé à la mettre en scène, je n'ai pas eu de déconvenues quant à ce que j'avais construit − la fable, les intrigues, le dénouement, les figures du récit... J'étais plutôt très excitée à l'idée d'entendre l’œuvre se déployer dans un espace − celui du plateau − afin de voir, de « vérifier » si la fable, dans la dramaturgie que
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« Nous souhaitons que le texte, l’œuvre, surgisse dans toute sa modernité et sa splendeur. » − Dominique Blanc −
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j'avais composée, y était lisible. Comment cela prenait corps. Certaines coupes se sont imposées à cause de la longueur. Du côté des personnages, il y a des choses que vous n’aviez pas forcément vues à la première lecture et qui apparaissent dans le travail ? Dominique Blanc : Oui, et c’est bon signe. Ce qui m’a particulièrement plu dans l’adaptation de Christine, c’est que les personnages en sortent différents de ce qu’on a l’habitude de voir et d’entendre. Les Liaisons dangereuses est un ouvrage d’une force inouïe, qui a encore très mauvaise réputation, il y a beaucoup d’idées arrêtées à son sujet. L’adaptation de Christine met en lumière Valmont et Merteuil dans toute leur part diabolique mais, en même temps, il en ressort que c’est « une diabolique histoire d’amour magnifique » entre eux. Je les ai trouvés singuliers et rares. Et je parle ici du couple « luciférien » que sont Valmont et Merteuil, mais cela vaut aussi pour les autres personnages. De plus, Christine a pris soin de préserver ce français du XVIIIe siècle, qui est exceptionnel, d’une limpidité et d’une élégance incroyables. C’est une langue qui a beaucoup d’intelligence et de sensibilité et qu’on a besoin de faire résonner sur un plateau. C’est bien que le
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cinéma s’en empare, mais il s’agit d’un langage différent et les films qui ont eu lieu sont déjà anciens. Nous souhaitons que le texte, l’œuvre, surgisse dans toute sa modernité et sa splendeur. Nous avons besoin de ce français-là et de ces textes-là au théâtre. Quand vous parlez d’a priori qu’on pourrait avoir et dont vous vous sentez débarrassée dans le cas présent, à quoi pensez-vous par exemple ? Dominique Blanc : Je trouve qu’il y a chez Merteuil des apports qu’on n’a pas l’habitude de lire ou d’entendre, qui sont importants et qui dessinent le personnage de façon totalement différente. On échappe aux clichés de la « méchante Cruella » qu’elle pourrait être. Est-ce que vous pensez qu’elle est façonnée par le fait de vivre dans une société masculine ? Dominique Blanc : Certainement. En même temps, le XVIIIe siècle est celui qui a révélé les femmes − en tout cas une certaine catégorie de femmes, d’une certaine classe sociale. C’est un moment de lumière dans la civilisation dont elles n’ont peut-être pas suffisamment profité. Juste après, on peut dire que la Révolution les a oubliées en beauté ! Il est donc question d’un moment charnière.
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C’est ce que raconte le personnage de Merteuil, selon vous, ce moment où la femme pourrait devenir l’égale de l’homme ? Dominique Blanc : Merteuil raconte surtout la destinée d’une femme en guerre. En guerre pour défendre sa propre liberté et sa propre condition. Christine Letailleur : L’héroïne du roman de Laclos pose la question de l'égalité homme/femme − question qui est toujours d'actualité, et ce, dans divers domaines. Merteuil veut penser, agir, séduire, vivre une sexualité à l’égale de l'homme. Elle ne supporte pas d’être « vouée au silence et à l'inaction » comme son statut de femme le lui impose. Elle veut se défaire de ce carcan social et, pour ce faire, elle n'a pas d'autre choix que d'apprendre à dissimuler ses sentiments, ses pensées ; elle doit tricher avec les règles de sa société pour être libre. C'est une guerrière à sa manière. Elle manie avec autant d'habileté, et même plus, la langue dont Valmont se sert, elle utilise volontiers des mots appartenant à un langage militaire, elle parle de « stratégies », « d'exploits », de « guerre »... En parlant d'un de ses amants qu'elle va rejoindre, elle n'hésite pas à dire : « une attaque bien vive, bien menée, me fera le plus grand bien ». C'est sans doute pour cela que la figure de Merteuil a fait scandale à la parution de l'ouvrage
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« Je tenais à garder la présence de toutes ces femmes sur scène comme dans le roman, parce que c’est assez rare au théâtre d'avoir autant de femmes sur un plateau. » − Christine Letailleur −
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en 1782, on ne pouvait imaginer qu'une femme puisse avoir une telle essence… Outre cela, ce que je trouve fort et singulier dans cette œuvre, c'est que les femmes ont la parole et elles s'expriment sur l’amour. Je tenais à garder la présence de toutes ces femmes sur scène comme dans le roman, parce que c’est assez rare au théâtre d'avoir autant de femmes sur un plateau. Dominique Blanc : C’est très rare ! D’autant plus que l'âge de ces femmes va de quinze à quatrevingt ans. Christine Letailleur : Ce que j'aime aussi, c'est la fin que Laclos a écrite dans son roman : le fait que Merteuil soit mise au ban de sa société, qu'elle soit défigurée par la petite vérole et doive fuir en Hollande. Cette fin qui annonce la fin d'un monde, ne l'oublions pas, relève du théâtre, de la tragédie et j'ai adapté ce roman pour en extraire le théâtre donc le tragique. Ce qui m'intéresse chez un personnage, c'est son parcours et ici, c'est le parcours politique de Merteuil qui me touche vraiment : l'engagement de cette femme dans son époque, son combat pour accéder à la liberté − liberté de penser, liberté de vivre sa sensualité, sa sexualité à l'égale de l'homme. C'est un beau parcours de femme.
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Laclos a composé dans son roman un ensemble de parcours qui nous montrent que l’être est complexe. Il a écrit Les Liaisons dangereuses bien avant qu’il soit question de psychologie. Il y a chez lui une grande intelligence de l’humain. Et il s’inscrit dans l’esprit des Lumières de façon tout à fait singulière. Le XVIIIe siècle est celui de l’apologie de la raison : on croit qu’elle va sauver le monde, améliorer les rapports humains… Laclos a une tournure d’esprit peu commune, parce qu’il démonte cette idée-là, ou du moins il la questionne en nous montrant que ce n’est peut-être pas si simple, que la raison, pour ceux qui possèdent les armes − c’est-à-dire le langage − peut aussi être au service de la destruction et de la manipulation. Tu as souvent évoqué le fait que Laclos n’était pas un libertin. Qu’est-ce que ça change, selon toi, par rapport à Sade, par exemple, que tu as aussi mis en scène ? Christine Letailleur : Sade et Laclos explorent tous deux les limites du libertinage. Sade est un aristocrate de longue lignée qui a été enfermé quasiment toute sa vie car il aimait un peu trop les plaisirs de la chair. C'est un délinquant à sa manière. Laclos était un bourgeois, de noblesse
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récente, il a eu une vie rangée, il a fait une carrière militaire et est resté toute sa vie fidèle à sa femme. Le portrait de la femme idéale qu'il dresse est celui de la femme naturelle, elle n'a rien d'une libertine. Laclos est d'une intelligence froide, scientifique, alors que Sade est plus baroque, plus débridé, plus dans l'excès, dans l'écriture de l'orgie, disons du côté de la pornographie. Laclos est plus froid, plus cérébral, plus insidieux. Il nous montre la fin d'un monde, celui de l'Ancien Régime, celui de l'aristocratie. Comment abordez-vous l’idée de personnage ? Est-ce plutôt une recherche d’identification ou y a-t-il une mise à distance ? Dominique Blanc : Il n’y a pas de généralité. Chaque aventure est différente. Là, je ne sais pas encore ce que je vais jouer mais je sais que dans la galerie des nombreux portraits, je n’ai jamais incarné quelqu’un de cette étoffe-là − c’est ce qui m’a intéressée dans la proposition et l’écriture de Christine. J’ai envie de la défendre de bout en bout. Je n’ai aucun désir de la juger, mais j’ai celui d’incarner une femme de cette époque dans toute son authenticité. Et surtout aussi dans tous ses désirs, ce qui est assez rare en ce qui concerne les personnages féminins que l’on me
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propose. C’est quelqu’un qui a une volonté hors du commun. Elle est évidemment pugnace et vengeresse, mais sans connotation péjorative. Il faut la bâtir petit à petit et je ne saurais pas dire si elle est à l’extérieur ou à l’intérieur de moi. J’ai un rapport plus simple, je dirais plus instinctif. C’est peut-être lié au fait de ne pas avoir fait d’école ni de formation particulière. Chaque aventure est absolument unique. Là, ce qui m’intéresse, c’est d’être dirigée par un metteur en scène… ou une metteuse en scène ? Comment dis-tu, Christine ? Christine Letailleur : Metteure ou metteuse… mais metteuse, je ne trouve pas ça très beau… Dominique Blanc : C’est intéressant d’avoir une metteure en scène qui a mis « les mains à la pâte » de la langue. J’ai le sentiment − et nous en parlons entre nous régulièrement − que la pièce est comme une pâte vivante. C’est passionnant, ce que nous sommes en train de faire : remuer la matière et la rendre de plus en plus incisive et précise. Ce n’est pas si fréquent d’avoir cette possibilité. Et nous le faisons avec le très grand souci de préserver la langue de Laclos. Est-ce que le fait d’être une femme metteure en scène apporte un regard particulier dans le travail ?
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« C’est passionnant, ce que nous sommes en train de faire : remuer la matière et la rendre de plus en plus incisive et précise. » − Dominique Blanc −
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Christine Letailleur : J’ai construit l’adaptation avec mon regard de femme. Je voulais aussi défendre ce point de vue féministe de Laclos qui est peu connu. C'est aussi une manière de lutter contre des choses que je peux entendre encore aujourd'hui et qui sont de l’ordre de la caricature. Je voulais défendre la figure de Merteuil − qui est une femme moderne, d'hier et d'aujourd'hui, une intellectuelle, une femme battante, engagée, œuvrant pour l'égalité des sexes et la liberté. Le point de vue féministe, je l'ai défendu aussi par la présence de toutes ces femmes au plateau. Laclos a écrit, un an après Les Liaisons, un traité sur l'éducation des femmes. C’est intéressant de mettre les deux ouvrages en regard. Dans Les Liaisons dangereuses, en passant par la fable, il critique le modèle d'éducation que reçoivent les jeunes filles au couvent − elles n'y reçoivent aucun savoir théorique ou pratique − mais aussi celui que leur « transmet » leur mère. L'éducation, selon lui, tout comme le mariage, perpétue l'aliénation féminine. Dans son essai, il exhorte les femmes à prendre conscience de « leur esclavage », à en sortir par « une grande révolution », à s'emparer de leur destin sans attendre « le secours des hommes ». L'éducation ne peut se faire, selon lui, que si l'individu est libre.
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Dans Les Liaisons dangereuses, les rapports hommes/ femmes sont des rapports très axés sur le pouvoir. Christine Letailleur : Oui, il est question de pouvoir, d'orgueil, de jalousie, de narcissisme, de tous ces penchants qui font partie de l'être et que l'on retrouve dans les rapports amoureux, au sein du couple, que ce soit au XVIIIe siècle ou de nos jours. C'est en cela que l'ouvrage de Laclos reste très moderne. Je trouve qu’il nous ramène à des questions très concrètes, toujours d'actualité ; il met en évidence cette complexité du rapport amoureux et questionne la notion de domination au sein du couple. Après avoir partagé tous les plaisirs du libertinage, comment le couple Merteuil/Valmont peut-il survivre ? Une fois les désirs épuisés, comment vit-on son couple aujourd'hui ? Est-ce en cela qu’on peut dire que Merteuil éprouve de la jalousie, par rapport à la Tourvel ? Dominique Blanc : Oui, il y a de la jalousie, c’est sûr. Mais c’est un des éléments de toute l’aventure humaine et de toute l’histoire des sentiments qui existent à l’intérieur de ce couple. Et c’est un couple très vivant, parce que le désir est toujours présent et fort entre eux. Au bout du compte, seule la mort y mettra fin. Sans cela, on ne sait pas du tout ce qui aurait pu se passer. 36
Ce qui rend les personnages passionnants, c’est qu’ils sont aussi très proches de nous. Et c’est rare de voir une telle histoire d’amour. Où en êtes-vous actuellement du travail ? Vous avez travaillé chronologiquement ? Christine Letailleur : Je ne travaille pas forcément les œuvres que je monte dans la chronologie, parfois même je trouve intéressant de déconstruire la chronologie, mais pour ce texte et pour le moment − nous répétons depuis trois semaines − je travaille en suivant l'ordre des séquences, tel que je les ai agencées, car elles sont nombreuses − plus de quatre-vingt − et il faut que tout le monde s'y retrouve, acteurs, créateurs lumière et son, et moi-même. Nous avons déjà fait des filages. C’était nécessaire, ne serait-ce que pour « voir » et estimer la durée. Dominique Blanc : Pour nous, c’est très important d’avoir la totalité de la trajectoire. Vincent Perez : Cela nous permet de comprendre la liaison dangereuse entre Merteuil et Valmont. Christine Letailleur : Ce qui est compliqué, je pense, pour les acteurs, c’est que j’ai travaillé l’écriture en séquences et ellipses. Le roman de Laclos est dense, plus de quatre cents pages, la fable
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« Je raisonne en terme de partition, ce sont les mots qui conduisent l’avancée de la narration, davantage que la psychologie des personnages. » − Christine Letailleur −
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se déroule sur cinq mois, et j'en fais un spectacle d'une durée de 2h45 environ. Si pour ma part j'ai la trame de la fable en tête, ce qui est normal puisque je l'ai construite, pour les acteurs c'est une autre « paire de manches » ; ils doivent se construire un parcours dans les « trous », dans ce qu'ils ne diront pas, n'éprouveront pas et qu'ils doivent pourtant prendre en compte, porter en eux. Je raisonne en terme de partition, ce sont les mots qui conduisent l’avancée de la narration, davantage que la psychologie des personnages. Il est important que les acteurs, à l’intérieur de cette architecture, de ces changements d’espace et de temps, se bâtissent un cheminement, parce qu’il y a de l’invisible derrière ce qui est montré au plateau. D’autant plus, j’imagine, que l’on n’est plus dans un rapport épistolaire comme dans le roman… Quel est votre rapport au temps ? Celui du présent ? Christine Letailleur : Oui, on est dans le présent − le présent du théâtre, des dialogues, de l'action. Le roman de Laclos entretient un rapport particulier au temps, il est celui de l'immédiateté ; même si Merteuil et Valmont ont été amants autrefois, le passé semble révolu, et les personnages n'évoluent que dans l'instant, ils ne se projettent jamais dans l'avenir, comme si Laclos avait peint la fin d'un monde.
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Vincent Perez : Nous sommes en recherche, nous découvrons des choses et peut-être que dans quelque temps on se dira « non, ce n’est pas ça » mais hier, j’avais le sentiment que pour que le couple Merteuil/Valmont arrive à être en osmose, il fallait que les deux soient ensemble dans le projet d’anéantissement d’un individu pour qu’ils puissent jouir de leur pouvoir. Ils deviennent ainsi des sur-femmes/ hommes. On parle peu souvent des acteurs qui font du chemin ensemble comme c’est votre cas, Dominique et Vincent. Est-ce que c’est important pour vous, dans ce travail, de très bien vous connaître ? Dominique Blanc : C’est un grand atout. Et c’est rare parce que je pense que ce métier ne l’autorise pas toujours. Quand on a travaillé une fois ensemble, les gens pensent que le couple a fonctionné sur un projet précis et que ce n’est pas forcément une bonne idée de le reproduire… Mais nous avons eu la chance de nous connaître dans des contextes assez différents. Pour moi, c’est extrêmement jouissif de travailler avec Vincent dans le personnage de Valmont, parce que ma confiance est totale. Vincent Perez : Et c’est réciproque. Il y a une forme de sécurité qui permet d’aller fouiller dans l’obscurité du rapport Merteuil/Valmont. 40
Dominique Blanc : Oui, il va falloir aller chercher au plus profond et au plus noir. Alors c’est bien d’être en terrain de confiance. Parce qu’à ce moment-là, on peut tout lâcher. En tout cas, c’est mon envie.
Vincent Perez : C’est la mienne aussi.
Dominique Blanc, Christine Letailleur et Vincent Perez Entretien avec Fanny Mentré le 30 septembre 2015 à Malakoff
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Production Théâtre National de Bretagne - Rennes Coproduction Fabrik Théâtre - Compagnie Christine Letailleur, Théâtre National de Strasbourg, Théâtre de la Ville - Paris, Prospero (Théâtre national de Bretagne - Rennes, Théâtre de Liège, Emilia Romagna Teatro Fondazione, Schaubühne am Lehniner Platz, Göteborgs Stadsteatern, Théâtre National de Croatie - World Theatre Festival Zagreb, Festival d’Athènes et d’Epidaure) Spectacle créé le 3 novembre 2015 au Théâtre National de Bretagne - Rennes Tournée Le Mans du 27 au 29 janvier 2016 aux Quinconces | Saint-Quentin-en-Yvelines du 11 au 13 février 2016 au Théâtre de Saint-Quentin-en-Yvelines | Cergy-Pontoise du 17 au 19 février 2016 à l’Apostrophe | Modène (Italie) les 24 et 25 février 2016 à l’Emilia Romagna Teatro Fondazione | Paris du 2 au 18 mars 2016 au Théâtre de la Ville | Nice du 23 au 26 mars 2016 au Théâtre national de Nice | Quimper du 29 au 31 mars 2016 au Théâtre de Cornouaille - Scène nationale Théâtre National de Strasbourg | 1 avenue de la Marseillaise | BP 40184 67005 | Strasbourg cedex | www.tns.fr | 03 88 24 88 00 Directeur de la publication : Stanislas Nordey | Entretiens : Fanny Mentré Réalisation du programme : Chantal Regairaz et Antoine Vieillard | Graphisme et conception : Tania Giemza | Photographies : Jean-Louis Fernandez Licences N° : 1085252 - 1085253 - 1085254 - 1085255 | Imprimé par Kehler Druck, Kehl, décembre 2015
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Les Liaisons dangereuses 6 | 16 janv | Salle Koltès Texte
Pierre Choderlos de Laclos Adaptation et mise en scène
Christine Letailleur Avec
Dominique Blanc - Mme de Merteuil Fanny Blondeau - Cécile de Volanges Stéphanie Cosserat - Une courtisane Julie Duchaussoy - Mme de Tourvel Manuel Garcie-Kilian - Danceny Vincent Perez - Valmont Guy Prévost - Le curé Karen Rencurel - Mme de Rosemonde Richard Sammut - Le chasseur Véronique Willemaers - Mme de Volanges Assistante à la mise en scène
Stéphanie Cosserat Scénographie
Costumes
Thibaut Welchlin assisté d'Irène Bernaud
Emmanuel Clolus Christine Letailleur
Son
Lumière
Maquillages
en collaboration avec
Coiffures
Manu Léonard
Philippe Berthomé
Suzanne Pisteur
Stéphane Colin
Clémence Magny
Le décor et les costumes sont réalisés par les ateliers du TNS Équipe technique de la compagnie Régie générale Karl-Emmanuel Le Bras Régie lumière Stéphane Colin et Stéphane Touche | Régie son Bertrand Lechat, Yohann Gabillard | Régie plateau Gwénolé Laurent | Habilleuses Irène Bernaud et Florence Messé Équipe technique du TNS Régie générale Stéphane Descombes Régie lumière Christophe Leflo de Kerlau | Électricien Franck Charpentier Régie son Hubert Pichot | Régie plateau Alain Meilhac | Habilleuse Bénédicte Foki | Lingère Géraldine Maamar Dine 56
Pendant ce temps, dans L’autre saison… Les Années d'Annie Ernaux Carte blanche à Christine Letailleur Lecture par Dominique Blanc Mar 11 janv | 20h | Salle Koltès Amour, désir et sexualité Les samedis du TNS | Claude Habib Sam 16 janv | 14h | Salle Koltès La place des femmes dans le théâtre public Bérénice Hamidi-Kim Lun 25 janv | 18h | Salle Gignoux Falk Richter Les soirées avec les auteurs associés Sam 30 janv | 20h | Salle Koltès
03 88 24 88 00 03 88 24 88 00| www.tns.fr | www.tns.fr| #tns1516 | #tns15-16