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L'exposition de Johanna Quillet à la Ferme du Vinatier et notre équipe projet en plein reportage. © Audrey Morel

senter le travail d'un artiste déconnecté de l'hôpital, ou de la psychiatrie. Tout ce que nous présentons ici a un lien soit avec des productions qui ont été faites dans le cadre de projets (comme c'est le cas aujourd'hui avec l'exposition de Johanna Quillet qui regroupe à la fois le travail réalisé avec les usagers pendant les ateliers et le travail de l'artiste qui s'est immergée dans les lieux), soit avec la présentation de l'univers d'un artiste avec lequel nous allons travailler. Nos expositions durent en moyenne 7 semaines et nous en faisons entre 5 et 6 dans l'année. Il s'agit de la restitution des projets, la présentation du travail des artistes avec lesquels nous travaillons, les restitutions de l'atelier peinture du Vinatier et l'exposition de certains partenaires, comme la Biennale Hors Normes (BHN) ou d'autres, qui travaillent sur la santé mentale ou la psychiatrie.

TVB : Comment mobilisez-vous le public ? Les ateliers sont-ils accessibles à tous, même à ceux avec des difficultés pour s'exprimer ?

TVB : Comment s'organise votre programmation culturelle ?

CR : Nous avons une brochure de saison qui présente les expositions qui auront lieu tout au long de l'année et dont je viens de vous parler. Puis nous avons une programmation culturelle en lien avec les festivals et événements culturels du territoire. Par exemple, ce soir nous devions avoir, dans le cadre du Festival Parole Ambulante, une soirée poésie autour du centenaire de Boris Vian, or les mesures sanitaires actuelles nous ont amené à l'annuler. Pour éviter cela, tous nos prochains projets anticipent une alternative au présentiel pour leur restitution.

TVB : Comment s'organise le travail avec les artistes ?

CR : Nous travaillons de trois façons. Parfois, la thématique vient de nous et nous faisons appel à des artistes, comme pour le projet Portraits de gens organisé cette année. Nous avions envie de mettre en avant les personnes qui travaillent à l'hôpital (ndlr : ateliers les jeudis après-midis jusqu'à juin 2021). Nous avons alors fait appel à l'illustratrice Alexe Lolivrel, auteure de la BD Radiographie d'un HP, consacrée au Vinatier, et au metteur en scène Nicolas Ramond, qui travaille souvent avec l'écrivaine Fabienne Swiatly, qui a écrit le livre Un jour, je suis passée de nuit, sur le travail de nuit d'infirmières et d'infirmiers en psychiatrie à Saint Jean de Dieu. L'équipe a donc été constituée par des relations et connaissances que nous avions, qui nous ont mis en relation avec ces artistes intéressés par la psychiatrie. Parfois, ce sont des services qui montent des projets et cherchent des artistes et nous faisons la mise en relation. Parfois, ce sont des équipes artistiques qui viennent nous voir et nous demandent si cela nous intéresse que l'on travaille ensemble. Par contre, nous ne prendrons jamais un projet clé en main ou un copier-coller d'un projet déjà réalisé ailleurs. Il doit être pensé pour le lieu et avec les gens qui vont y participer (patients et habitants de Bron, en toute mixité).

CR : Tout se passe sur la base du volontariat, il n'y a rien d'obligatoire. Les personnes sont informées grâce à nos outils de communication et viennent à leur gré. Les soignants ont moins le temps d'accompagner les personnes qu'ils suivent à la Ferme du Vinatier, les usagers viennent donc par euxmêmes et sont par conséquent relativement autonomes. Néanmoins, nous avons développé un dispositif qui s'appelle Éclats d'Art, réseau des projets artistiques des unités de soin du Centre Hospitalier Le Vinatier qui permet aux services de soin de développer leurs propres projets culturels, à l'échelle de leur service et sur leur propre territoire. Car quand on pense au Vinatier, on pense toujours à Bron, mais le Vinatier est aussi à Rillieux-la-Pape, Neuville, Décines, Lyon, etc. Pour les personnes trop malades pour s'engager dans un projet culturel régulier, on a pensé à des projets plus ponctuels et moins engageants. De nombreux artistes manquent de lieux pour répéter ou faire leurs représentations. On a décidé de mettre à disposition notre salle à la Ferme du Vinatier, gratuitement, en échange de petites propositions à jouer directement dans les services. Il s'agit d'une forme de troc. La compagnie U.Gomina a, par exemple, fait quelques interventions musicales dans les services avec des orgues de Barbarie, nous avons fait des cinés-concerts dans les services de pédopsychiatrie, etc. On essaie de penser à tous.

Eva, Jacques, Marianne, Audrey, Catherine, Jean-Baptiste, Romain, Marianne, Laurianne

Marianne a participé à la création de l'exposition que nous avons visitée avec le groupe du projet et nous montre sa création. © Laurianne Ploix LaFerme du Vinatier héberge une salle de spectacles, une salle d'exposition, un centre de documentation, une artothèque et même une boîte à lire...

Les sténopés de Marianne

Marianne a fabriqué des sténopés au cours d'ateliers à la Ferme du Vinatier. Elle nous explique le fonctionnement de ces appareils photo faits maison.

« Il s'agit de boîtes étanches à la lumière (peintes en noir à l'intérieur en 2 couches). On fait un petit trou sur le côté afin qu'il serve d'objectif. On le recouvre avec du scotch noir qui sert d'obturateur. Puis, en chambre noire, on met un papier argentique qui réagit à la lumière, la face sensible du papier face au trou, et on referme la boîte. Pour prendre une photo, on retire le scotch et on laisse ouvert le temps qu'il faut pour que l'image s'imprime sur le papier. Lors de mon stage sténopé à la Ferme du Vinatier, en mars, on a utilisé les boîtes sténopés en bois de Johanna et le temps de pose était d'environ 10 minutes. Mais au mois de juillet, on ne laissait ouvert que quelques secondes. Tout dépend de la luminosité qui change au cours de la journée, de l'année, de l'emplacement, de la météo, etc.

Une fois que la photo est prise, on rabat le scotch sur le trou. Puis on va en chambre noire, pour réouvrir le sténopé dans l'obscurité. On retire le papier argentique, on le passe dans les 3 bacs de produits chimiques pour les différentes étapes du développement : le prémouillage, le révélateur, le bain d'arrêt, le fixateur et le rinçage. On obtient alors le négatif de la photo. Si tu veux ensuite obtenir le positif, tu peux faire un tirage par contact. Tu poses un papier photo argentique non exposé à la lumière (la face sensible à la lumière vers le haut), puis par-dessus le négatif (la face développée contre la face sensible). Enfin, tu poses dessus une plaque de verre. Puis, tu fais un peu comme dans le film Les Visiteurs : « jour/nuit », donc tu allumes et éteins la lumière plusieurs fois. Tu peux alors récupèrer le nouveau papier exposé à la lumière, tu le développes dans les 3 bacs et tu obtiens ton positif. »

Le projet Fresque avec Éclats d'Art

Catherine a participé au projet Fresque mené par le Centre référent de réhabilitation psychosociale et de remédiation cognitive de Lyon (SUR-CL3R), qui l'accompagne, grâce à l'appel à projet organisé chaque année par la Ferme du Vinatier : Éclats d'Art, réservé aux différents services de l'hôpital. Elle nous explique: « On a travaillé avec des graffeurs, on s'est entraîné à faire des dessins en commun et, à la fin, on a peint tous ensemble, en même temps, sur le mur en bas du SUR. C'est vraiment une œuvre commune. J'ai fait des plantes, un oiseau, un cube en 3D intégré au travail des autres, c'est vraiment très riche.» Marianne, éducatrice spécialisée, participait également au projet. Elle complète : «C'était d'autant plus riche qu'on a eu le temps d'imaginer la fresque semaine après semaine puisqu'on a laissé la création s'exprimer le jourmême, librement, sans plan et avec une part de mystère. On s'est entraînés auparavant à différentes techniques : le crayon, l'aquarelle et la bombe. C'est l'aboutissement de nombreux ateliers avec les graffeurs Antonin Rêveur et Khem, puis la liberté créatrice du moment. » Catherine nous confie : « Je garde un super souvenir de cet atelier et il en reste une trace. Chaque fois que je reviens ici, ça me remet en joie, je ressens une certaine satisfaction d'avoir créé quelque chose qui reste. »

Des ateliers radio pour faire entendre sa voix

Àl’hôpital Saint Jean de Dieu, des usagers suivis en ambulatoire donnent de la voix. Pour écouter, se faire entendre, capter ce qui les entoure. Plusieurs cycles d’ateliers radio, animés par le comédien et metteur en scène Stéphane Daublain, se déroulent chaque année. Le résultat : une création d’une dizaine de minutes, capsule sonore de cette émulation de groupe de quelques semaines.

C’est un exercice souvent nouveau pour les participants . : tendre un micro, enregistrer des sons environnants, enregistrer sa voix, interroger des personnalités, aller à la rencontre des passants… Depuis 2014, l’hôpital Saint Jean de Dieu organise des ateliers radio avec des usagers. D’abord réalisé dans l’enceinte de l’hôpital, le projet a ensuite évolué vers l’extérieur et pris le nom de Radio Passage. « L’idée du passage est importante car lorsqu’on est hospitalisé, il y a un passage dedans dehors, d’un lieu à l’autre, explique Cécilia de Varine, chargée d’action culturelle. Ces ateliers radio aident à passer d’un lieu à l’autre. » Des usagers d’une unité de soins ambulatoires de l’hôpital Saint Jean de Dieu participent toujours à un cycle (deux à trois cycles de trois mois par an) ; des personnes d’autres structures ou d’une institution culturelle partenaire où se déroulent les séances peuvent s’ajouter. Les groupes de travail animés par le comédien et metteur en scène Stéphane Daublain ont ainsi créé La beauté est le nom de quelque chose qui n’existe pas (réalisé à l’espace Pandora à Vénissieux en partenariat avec l’hôpital de jour Dupic), Archiver nos souvenirs (réalisé aux archives municipales de Givors en partenariat avec le Centre d’accueil thérapeutique Les bords du Gier). Le rôle de ce professionnel du théâtre est de fédérer le groupe, de favoriser la prise de parole, l’échange, de faire émerger les idées de chacun. « Le thème des ateliers n’est pas déterminé en avance, il est souvent amené par le lieu culturel où l’on se trouve. Le plus dur dans ce projet est de ne rien anticiper», précise-t-il. Radio Passage se fait passerelle, propice à la rencontre.

« J’ai aimé aller dans le parc pour chercher des bruits, c’était nouveau »

De gauche à droite, Messali Cheraitia, Marie*, Stéphane Daublain et Cécilia de Varine. © Marie Albessard

sont enregistrés avec les participants pendant les ateliers, la voix d’au moins 5 d’entre eux doit être entendue, un refrain de chanson est chanté a capella, on doit y entendre deux langues différentes… Au cours des ateliers, les missions se répartissent : certains interviewent des personnes, d’autres captent des sons… « Je suis satisfaite d’être arrivée au bout, indique Marie*, qui a participé au cycle à Vénissieux. J’ai aimé aller dans le parc pour chercher des bruits, c’était nouveau. On a été confrontés à de nouvelles situations ». Ces rendez-vous réguliers soudent les participants autour d’un projet commun et de la découverte de l’outil radiophonique. « On a partagé un bon moment, on rigolait bien. On a rencontré des gens, cela faisait énormément de bien», témoigne Messali Cheraitia, qui suit ces ateliers radio depuis leur création en 2014. « Faire une activité me rend heureux. Plus je fais des choses, plus je redeviens “normal” ».

À la fin, c’est Stéphane Daublain qui réalise le montage sonore avec l’objectif de ne pas « trahir ce qu’on a fait ensemble ». La finalité des ateliers est attendue avec impatience par les participants : une séance d’écoute collective, la mise en ligne de la création sur la webradio Radio Passage et la présentation de ce travail sur les ondes de Radio Pluriel dans l’émission Vivre ensemble. « La présentation à la radio c’était important pour moi, ajoute Marie. C’était quelque chose : être là, avoir son fauteuil… » Cécilia de Varine ajoute : « On est tellement dans une société d’images qu’on pense être reconnu par sa visibilité. Alors que quand on a une voix et qu’on la fait entendre, ça nous donne une place. »

« Ce sont toujours les mêmes types de personnes qui ont droit à la parole. Avec Radio Passage, l’idée est de la donner à des personnes qui l’ont peu », indique encore le comédien. Une série de règles, ou plutôt de « contraintes créatives », régissent les créations sonores : tous les sons

http://radiopassage.fr Marie Albessard et Jean-Yves Marandon

Les participants lors d’une représentation du spectacle au parc du Clos Layat. ©Garance Li

« Des habitants » : la danse au cœur du lien

Entre septembre 2018 et juin 2019, l’hôpital du Vinatier et la Maison de la Danse ont proposé un projet artistique à un groupe de patients, de soignants et d’aidants. Rencontre avec le psychiatre et danseur Emmanuel Monneron, et le chorégraphe Sébastien Ly, de la compagnie Kerman.

TVB : Comment est né le projet « Des Habitants » ?

EM : Le projet a été initié quand je suis arrivé au Vinatier . en mai 2018. J’avais l’idée de travailler avec une structure culturelle proche, en l'occurrence la Maison de la Danse. J’avais une envie très personnelle de faire un projet autour de la danse avec des soignants et des personnes accompagnées par les services du Vinatier. Il y avait deux aspects : le parcours du spectateur, où les participants allaient voir des spectacles, et la pratique artistique, chorégraphique avec Sébastien. SL : Emmanuel m’avait parlé de ce projet et je lui avais dit que j'étais très intéressé par ce type de rencontre. J’étais dans un cycle qui s’appelait « Habiter le monde ». C’est comme ça qu’on a bâti ce projet, avec la même idée que les autres spectacles : se rendre compte de la manière dont on est en rapport les uns avec les autres, et avec l’environnement auquel nous appartenons.

TVB : Comment se déroulaient les ateliers ?

SL : Nos séances duraient 4 heures. On commençait par se parler, car on se voyait une fois par mois. Ensuite, on s’échauffait tous ensemble. Puis, au fur au mesure des séances, on a peaufiné ce qui allait devenir le spectacle. L’origine du spectacle (ndlr : présenté le 27 juin au studio Jorge Donn de la Maison de la Danse), c’est un texte que j'avais écrit au tout début de ce travail sur « Habiter le monde ». Les participants l’ont trouvé super donc on s’est dit : « on a qu’à choisir chacun un mot dans ce texte qui nous parle, et y associer un geste ». C’est à partir de ces gestes-là, qu’on a travaillé, peaufiné, mis dans l’espace, qu’on a écrit la chorégraphie.

TVB : Qu’est-ce que la danse peut apporter aux usagers de la psychiatrie ?

EM : Ce projet avait vraiment été pensé dans l’idée de pouvoir établir des relations plus horizontales que d’habitude, à l’intérieur du dispositif de soin. L’idée c’était de se dire : on va, en groupe, participer à un projet, accompagnés par Sébastien. Donc ça a mis en distance ces liens qui sont souvent très stéréotypés, entre patients, soignants, familles. Et après – mais ce n’est, selon moi, pas réservé au domaine de la santé mentale – proposer de s’investir dans un processus de création « élève ». Ça permet de s’exprimer, d’être en lien d’une autre façon, avec soi et avec l’autre.

TVB : Quels ont été les retours des participants ?

SL: Quand on a commencé le projet, on savait qu’on avait la possibilité de présenter le spectacle à la Maison de la Danse, mais on a toujours dit qu’on allait avancer, et que si il y avait un désir commun de monter sur scène, on le ferait. Puis une équipe de France 2 est venue filmer la dernière répétition. Les participants ont accepté avec grand plaisir de se faire filmer et de se faire interviewer. Je me suis dit : « Quel trajet, entre se demander si on se produira sur scène, et témoigner à visage découvert dans un média ». C’était extrêmement fort. EM : Ils ont été très fiers de monter sur scène, de témoigner dans différents médias, de pouvoir montrer tout ça à leurs proches. C’était la satisfaction de ce travail, de cet investissement extrêmement important. Et après il y avait la question de la communauté, du lien. Il y a vraiment des personnes qui se sont rencontrées, il y a des amitiés qui ont pu se développer.

Catherine, Audrey Morel et Raphaëlle Vivent

Après le succès de « Des habitants », la Maison de la Danse et le Vinatier ont renouvelé leur partenariat. Un nouveau cycle a été initié en septembre 2020, intitulé Tous ces autres en soi. Si l’évolution de la crise sanitaire le permet, la chorégraphe québécoise Ariane Boulet viendra animer des ateliers de danse à partir de mars 2021.

Une « insolite fabriq» d'acteurs à Villeurbanne

Depuis plusieurs années, Sylvie Moreau, attachée aux relations avec le public au Théâtre National Populaire (TNP) et Malo Lopez, metteuse en scène de la Compagnie Insolite Fabriq, nous ont reçus dans les coulisses du TNP de Villeurbanne. Au programme : la genèse du projet « Bulles à sons », mené par une troupe de théâtre un peu particulière...

TVB : Pouvez-vous chacune faire une présentation de votre parcours ?

SM : Je suis permanente au TNP depuis 16 ans. Je suis chargée de la relation avec les publics : je m’occupe du lien entre le théâtre et le monde du travail, de l’accessibilité, et des projets Culture & Santé, un dispositif coordonné par l'association Interstices.

ML : Je suis metteuse en scène et je suis aussi responsable artistique de « l'Insolite Fabriq » depuis 2013. J’ai été élève d’un Centre dramatique national pendant 6 ans et j’ai suivi des études en psychologie clinique. J’ai travaillé dans une école spécialisée qui proposait le théâtre comme outil pédagogique. J’ai remarqué qu’une fois sortis de l’école, ces élèves, adolescents en situation de handicap, n’avaient malheureusement plus de lien avec le théâtre et la culture.

TVB : Comment vous est venue l'idée de monter cette compagnie ?

ML : Partant de ce constat, j’ai monté une compagnie pour amateurs au sein d’une MJC. Le théâtre de la Croix-Rousse nous a permis de réaliser de beaux projets grâce à un partenariat. J’ai compris que dans ce vivier de personnes en situation de handicap, beaucoup possèdent un vrai talent. J’ai aimé les diriger dans diverses mises en scènes. En 2013, j’ai eu envie de monter une compagnie professionnelle. Je me suis rendue compte en pensant ce projet qu’il en existait très peu et que tout était à créer.

TVB : Pourquoi le nom « Insolite Fabriq » ?

ML : Je me suis rapprochée de l’établissement et service d'aide par le travail (ESAT) Hélène Rivet à Lyon. J'ai ensuite justifié auprès de l'Association lyonnaise pour la gestion d’établissements pour personnes déficientes (l'ALGED), l’intérêt d’être une activité de production comme toutes les autres activités proposées dans les ESAT. Il fallait alors que notre compagnie soit lucrative. Nous avons commencé par monter des formes de spectacles destinés aux entreprises. J’ai réfléchi longuement au nom et à l’identité de la compagnie. Les termes « Fabrique » et « Insolite », qui résonnent avec « construction » et « singulier » se sont imposés d’euxmêmes.

TVB : Acceptez-vous tout le monde dans votre compagnie de théâtre ?

ML : L’ESAT qui héberge la compagnie ne doit pas dépasser l’effectif de travailleurs défini par l’ARS. Ils sont actuellement 9 et seront bientôt 10. Je suis à la recherche d’autres talents et je souhaiterais avoir jusqu’à 12 ou 14 comédiens. Je reçois beaucoup de demandes d’hommes, mais pas assez de femmes. Je recrute principalement des personnes porteuses de handicap mental. Mais je ne suis pas fermée à rencontrer d’autres candidats avec plutôt des troubles d’ordre psychique.

TVB : Comment est née cette collaboration avec le TNP ?

SM : Nous nous sommes rencontrées ici, au TNP. Dès ce premier rendez-vous est née l’envie de travailler ensemble, à partir d’un véritable partenariat : Insolite Fabriq et Malo Lopez apporteraient leur connaissance du travail artistique avec des comédiens et comédiennes porteurs de handicap, et moi, je pourrais apporter mon savoir-faire en matière de montage de projet et ma connaissance de cette institution théâtrale. Cela fait partie de mon travail au sein de cette structure, d'accueillir tous les publics possibles et de faire venir des personnes en situation de handicap. Mon rôle en tant que chargée des relations publiques est de pousser les portes et d'en ouvrir davantage. Le travail de sensibilisation se fait du théâtre vers l’extérieur, mais également en interne : comment accueillir au mieux des spectateurs ou des comédiens porteurs de handicap ?

TVB : Pouvez-vous nous expliquer le projet « Bulles à sons » ?

ML : En visitant le théâtre, ce lieu magique par ses Malo Lopez et Sylvie Moreau au espaces, on s'est dit « pourquoi on n'irait pas explorer et faire vivre tous ces nombreux espaces parfois TNP lors de notre interview en équipe. © Elodie Horn cachés ? ». C'est comme ça qu'est née l'idée d'une déambulation pour le public, déambulation que nous avons aussi captée en images. L’envie de bousculer les lieux, les codes, de la même façon qu’on est bousculé quand on est handicapé, me pousse toujours à sortir des sentiers préétablis et à inventer d’autres formes.

TVB : Vous ne travaillez qu'avec des productions originales ou est-ce qu'il vous arrive de jouer des textes du répertoire classique ou contemporain?

ML : Notre nouveau projet est né d’une volonté de jouer une pièce du répertoire classique en convoquant tout le vocabulaire du théâtre d’aujourd’hui : l’image, la danse, la musique… Monter ce spectacle est aussi un prétexte pour parler des rapports amoureux de mes acteurs. Nous aimerions que cette nouvelle création trouve sa place dans les programmations culturelles.

Photographie

Flous Furieux : des photographes au regard unique

Donner la parole à ceux qui ont d’ordinaire peu d’occasion de s’exprimer publiquement, c’est tout l’objectif des Flous Furieux, « un collectif de photographes singuliers », comme le décrit son fondateur, Grégory Rubinstein.

Costume de photographe

Créé en novembre 2016, le collectif lyonnais compte aujourd’hui une cinquantaine de membres. Grégory Rubinstein propose des ateliers photos à des structures sociales et médico-sociales, d’où sont issus la plupart des membres du collectif. « Le reste de notre activité, c’est l’activité d’un collectif de photographes classique. On se retrouve, on a un local. On a du matériel, qu’on met à disposition de tous nos membres », précise le fondateur. Pour rejoindre les Flous, pas besoin de connaissances particulières. «C’est ouvert à tout le monde, il faut juste de l’envie», continue-t-il.

À l’origine, les Flous Furieux sont issus d'une rencontre entre un éducateur spécialisé, Grégory, et quatre patients atteints d'autisme, dans un internat. Lors d'une matinée particulièrement ennuyante, l'un des jeunes patients trouve l’appareil photo de Grégory et commence à l'utiliser. C’est ainsi que le collectif fait ses débuts : un appareil photo, cinq humains et un village entier à découvrir. «Ça a créé une rencontre tout à fait étonnante avec les voisins», se remémore Grégory, alors que les habitants et les patients de l’institut n’avaient jusqu’alors jamais eu de liens. Les jeunes patients dépassent les barrières du préjugé et de l’a priori. « Ils captaient des expressions qui étaient absolument magnifiques», se souvient-il.

Après cette expérience positive, Grégory fonde officiellement les Flous Furieux. Le but du collectif est de permettre à ses membres de se mettre dans la peau d'un photographe, avec toutes les possibilités qui en découlent. « Quand vous êtes résident d’un foyer, vous êtes étiqueté comme ça. Quand vous avez un appareil photo dans les mains, vous êtes considéré comme un photographe. Donc les possibilités d’interactions avec l’extérieur sont complètement différentes », explique Grégory. Un constat partagé par Sofiane, l’un des membres du collectif : « Ça m'a apporté pas mal d'interactions sociales. Sachant que l’un de mes problèmes a toujours été le manque d’ouverture avec les gens». Autiste, Aymerick peut, lui, avoir des difficultés à se concentrer. « J’ai tendance à être très volubile, à beaucoup parler. Et justement, être dans la photo, ça me canalise. Et mon côté autiste, mes difficultés relationnelles… ça disparaît vraiment à ce moment-là », témoigne-t-il.

Chacun trouve sa place

© Jérémy Fafournoux / Laurence Lamy Collectif des Flous Furieux

Très impliqué dans la vie associative, Anthony préfère quant à lui les tâches plus administratives : « Aller chercher le courrier, faire les réunions, faire les sorties. Aller à la banque...». Si chacun trouve sa place au sein du collectif, les membres apportent, eux aussi, quelque chose au collectif. Par exemple, Sofiane a beaucoup de compétences techniques : « C’est vrai que je fais le service intérim de la réparation technique. Dernièrement, réparer le micro dictaphone de Greg», s’amuse-t-il. Mais comme le souligne le fondateur du collectif, les membres ont aussi beaucoup à apporter au monde : « On oublie aussi que ces personnes-là sont pleines de ressources. Elles ont des capacités, des qualités qui sont complètement ignorées dans notre société ». Des qualités qu’ils peuvent exprimer librement au sein des Flous Furieux.

Catherine, Audrey Morel et Raphaëlle Vivent

Le théâtre pour s'émanciper

Nous avons assisté à une répétition de l’atelier de théâtre de l’hôpital Sainte-Marie de Clermont-Ferrand. Depuis trois ans, un groupe de patients et de soignants se retrouve trois jours par mois, sous la direction de Fabrice Dubusset de la compagnie vichyssoise Procédé Zèbre, afin de répéter une pièce présentée chaque année dans une salle de spectacles de la région. les tensions, le stress et les émotions réprimées. Apprendre à le maîtriser, c’est réapprendre à se contrôler et ainsi à mieux communiquer.

Claude en pleine répétition de son jeu de mimes. © Laurianne Ploix

Nous entrons dans le gymnase art-déco de l’hôpital psychiatrique. Des murs carrelés et des fenêtres colorées au style art nouveau nous font entrer dans un nouveau décor. Une dizaine de silhouettes drapées de blanc se meuvent lentement sous le regard et la voix d’un homme qui semble les guider. Nous arrivons en pleine répétition.

La troupe Ligne de flottaison

Pour le metteur en scène, Fabrice Dubusset, « en trois jours, on a le temps de développer quelque chose, de travailler de manière intense, de créer des liens ». Et sa méthode semble fonctionner puisque ce sont toujours les mêmes participants qui constituent la troupe qu’ils ont nommée : Ligne de flottaison. Au sein de ce groupe atypique, on trouve à la fois des patients et des soignants, mais difficile de savoir qui est qui une fois sur scène : tous jouent ensemble, à égalité. Accompagné par Isabelle Paze, chorégraphe, Fabrice Dubusset travaille, le jour de notre venue, les mouvements des comédiens et l’occupation de l’espace. Pour le directeur artistique : « le théâtre c'est total, il y a de la musique, de l’écriture et du mouvement, il est donc primordial de les faire travailler pour qu’ils soient à l’aise sur n’importe quel mouvement ou rythme ». Être habité par le mouvement, ne faire qu’un avec la musique, le texte et la scène. Ici, on apprend à s’exprimer par les déplacements et les gestes. Pour certains participants, le corps est souvent le lieu où s’accumulent

Un projet artistique avant tout

« Je ne fais pas de l’art thérapie, je fais un projet artistique, je travaille avec eux comme avec des professionnels », explique Fabrice Dubusset qui n’hésite pas à emmener la troupe hors des murs de l’hôpital pour des représentations ou des stages. La compagnie compte déjà deux spectacles de prévus à Vichy et Montluçon, si la Covid19 le permet. Pour Fabrice, ces sorties en dehors de l’hôpital font partie du travail lié au théâtre. « Il faut s’ouvrir, aller voir d'autres choses, provoquer des rencontres », nous confie l’intervenant, « ces représentations permettent à la fois aux participants de découvrir les autres troupes et le public». Un gros travail est fait sur la sensation, notamment en brisant la barrière entre le fauteuil rouge du spectateur et la scène où jouent les acteurs. «On est au-delà des protocoles du théâtre, loin du théâtre confortable. Je me souviens d’acteurs qui demandaient à la fin du spectacle directement aux spectateurs si cela leur avaient plu », se rappelle le directeur. Les décors ont été construits par l’ESAT de Montluçon.

Mémoire et cures au programme de la pièce

La troupe a choisi de parler de la maladie de façon détournée, en imaginant un établissement thermal où se rencontreraient les différents personnages. La plupart des textes sont écrits par les participants et il s'agit de l’étape fondatrice du projet et de l’équipe. Fabrice raconte : « ce qu’ils

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