Il était une voie – 100 ans de chemin de fer Aigle – Le Sépey – Les Diablerets

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IL ÉTAIT UNE VOIE Cent ans de chemin de fer Aigle–Sépey–Diablerets



IL ÉTAIT UNE VOIE Cent ans de chemin de fer Aigle–Sépey–Diablerets

Conception et réalisation : Grégoire Montangero

PUBLIsLIBRIS


© 2014 – Grégoire Montangero et Transports Publics du Chablais SA ISBN 9782940251797 www.publi-libris.com Imprimé en Suisse


« UN CHEMIN DE FER ne naît pas sous la baguette magique d’une bonne fée ; seuls l’obstination et le dévouement d’une poignée d’hommes peuvent accoucher d’une société ferroviaire. » Claude Jutzet – Opération « p’tits trains »


TABLE D’ORIENTATION

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I

II

Une célébration légitime

Une région et des rails

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Préface

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Aperçu photographique

Préambule Avant-propos Introduction

Doris Leuthard Nuria Gorrite Vincent Krayenbühl Frédéric Borloz Claude Oreiller

et autour de…

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III Coup d’œil en coulisses

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IV Si l’ASD m’était conté*

Maintenant, l’ASD ne fait plus sourire Le quotidien d’un chemin de fer différent Des rails, des traverses, du ballast et… beaucoup d’admiration

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Conduire l’ASD et adorer cela…

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Quatorze ans de patience avant d’aboutir enfin… Rapprocher « là-bas » d’ici… Après la pluie… la pluie ! De rouge à gris et beige… Le train qui ne voulait pas mourir… La population à la rescousse de l’ASD Presque cent ans d’incertitude…

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r Table d’orientation

Reymond Favre Gabriel Voutaz Laurent Pittet / Jean-Paul Muller / Sulivann Ansermoz / Bertand Lauraux / Jean-Daniel Légeret Oleg Niericker / Alain Roulin / Alain Morard / Félix Croset / Emilie Manzini / Roland Krampl / Jean-Jacques Produit * chapitre rédigé avec la complicité d’Olivier Geerinck


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V

Un art de vivre ferroviaire…

Une histoire d’amour et d’images… Le petit train du cœur Le train de la sauvegarde animalière Les enfants sur les rails de l’Histoire… L’accord parfait entre art et chemin de fer « Le train le plus culturel d’Europe ! » Rendez-vous secret sur l’ASD entre terroristes et officiels… Une rose qui ne se fane pas

Jean Lugrin La Fondation Janyce Terre et Faune Solange Wacker Festival Musique & Neige Jean Lugrin

Jean Lugrin Michel Béguelin Pascal Gertsch / Gérald Hadorn / Philippe Nicollier Olivier Geerinck Marc Striffeler Pierre Julien

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Mozart défenseur de l’ASD ? Tomber pour mieux rebondir Trois des cent mousquetaires du rail se souviennent L’aquarelliste belge fou de l’ASD… Photographier et partager pour le plaisir Coup de foudre pour une modeste halte « L’existence même de l’ASD est un “petit miracle” » Quand l’ASD entre au musée Le retour de la 1 à la Une de l’actualité

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ASD, trois lettres uniques en leur genre

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Coup de chapeau à un sauvetage modèle Bonnes nouvelles des étoiles

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Dédicaces | Remerciements | Crédits Impressum | Achevé d’imprimer

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VI Le train des passions

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VII À l’heure de conclure…

Table d’orientation

Jean-Pierre Gontard Comité Nouvel ASD / Derib / Patricia et Frédéric Studer

Virginie Duquette Mary-Claude Busset Association ASD 1914 / Gilles Bressoud / Gaël Guignard / Sébastien Zonca / André Morisod / Alain Schönmann / Marco Tirocini

Claude Oreiller

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I

UNE LÉGITIME CÉLÉBRATION Pour faire connaissance avec ce phénomène qu’est l’ASD et marquer un cap qui n’était de loin pas franchi d’avance…

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Page précédente : gros plan sur le Ci-dessus : somptueuses courbes de Sans-Souci qui toujours système de freins de l’automoinspirent photographes, peintres trice 1 de 1914. et simples promeneurs friands

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de rondeurs et d’alliance réussie entre chemin de fer et vignoble.

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PRÉFACE par Doris Leuthard conseillère fédérale, cheffe du Département fédéral de l’environnement, des transports, de l’énergie et de la communication Les Suisses aiment leurs trains. L’histoire riche et mouvementée de l’Aigle–Sépey–Diablerets illustre cette relation si particulière qui permet aujourd’hui aux habitants de la vallée des Ormonts de célébrer le centenaire de la mise en service de la ligne. La leur. Comme beaucoup d’autres lignes régionales de notre pays, l’ASD a valeur de trait d’union. Entre plaine et montagne. Entre gens d’ici et d’ailleurs. Entre service public et intérêts privés. Entre mode de transport et protection de l’environnement. Entre rentabilité et solidarité. Le succès de notre politique des transports doit beaucoup à la recherche permanente de ces équilibres. Comme à celui de la complémentarité. Depuis un siècle, l’ASD a bien rempli son rôle. L’histoire de l’ASD traduit aussi l’évolution de la mobilité. Et souligne du même coup le besoin toujours plus pressant de

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disposer d’infrastructures de transport de qualité. Il est impératif de ne pas négliger l’entretien des réseaux tout autant qu’il faut investir là où c’est nécessaire pour répondre à la hausse de la demande. Le développement économique et touristique de notre pays, sa compétitivité élevée doivent beaucoup aux performances de ses infrastructures de transport. Le financement de leur entretien et de leur extension représente autant un impératif qu’un vrai défi. Dans ce contexte et depuis un siècle, l’Aigle-Sépey-Diablerets remplit sa mission. Dans sa vallée, le « petit train des Ormonts » joue son rôle, tient sa place. Sa fidélité lui vaut un attachement particulier. Il faut s’en réjouir.

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le rail… Au premier plan, l’ASD Au loin, sous le Pic Chaussy, le viaduc routier d’Aigremont. Un de aux couleurs des années huitante ces éléments longtemps considé- (bleues) et actuelles. ré comme à même de supplanter

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INTRODUCTION par Nuria Gorrite conseillère d’État, cheffe du Département des infrastructures et des ressources humaines

Qu’est-ce que prendre le train ? Tantôt, lorsqu’il nous emmène vers d’autres horizons, c’est un voyage. nous apprécions qu’il dure un peu, et nous permette d’intérioriser la distance parcourue. A l’inverse, quand la voiture de chemin de fer n’est qu’un des lieux fugaces d’un déplacement quotidien et routinier, nous n’y faisons qu’un simple trajet, sans autre but que de nous véhiculer, le plus vite possible, vers notre destination. Cette double fonction, l’ASD l’incarne à merveille. Il garantit la desserte régionale, l’accès à la gare CFF d’Aigle, à la plaine et à son activité économique. Pour qui monte vers les Alpes, dans le même temps, il joue parfaitement le rôle d’un trait d’union entre la vallée et la montagne, permettant d’apprécier en une heure une transition spectaculaire. Toutefois, c’est une troisième caractéristique qui confère à l’ASD son importance

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fondamentale, et qui explique probablement beaucoup de sa longévité désormais séculaire : il est devenu, au fil du temps long de son histoire, une partie essentielle de l’identité régionale et même cantonale. Cette valeur ne se laisse pas chiffrer, mais elle est inestimable – et elle justifie à elle seule un engagement sans faille pour la préservation et le développement des lignes de train, de ces lignes simplement irremplaçables.

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L’automotrice parée de ses « habits de culture » (annonçant une exposition du peintre Frédéric Rouge) fait halte à

Plambuit, le temps d’un croisement.

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PRÉAMBULE par Vincent Krayenbühl Directeur général de la mobilité et des routes, Département des infrastructures et des ressources humaines du canton de Vaud De retour d’études aux USA à fin 1979, j’intègre l’Office des transports et du tourisme. Premier mandat : préparer l’argumentaire du Conseil d’État pour défendre l’ASD… D’où un attachement et un intérêt pour cette ligne dont les évolutions ont marqué mon parcours. L’Office fédéral des transports entendait remplacer l’ASD par un service routier. Situation presque désespérée. Avec son matériel roulant et son infrastructure de 1914, ce train n’était plus performant. Ma bibliothèque contient toujours le rapport de la commission d’experts aux funestes conclusions : « Une affectation optimale des ressources s’oppose au renouvellement coûteux du chemin de fer, au surplus très mal utilisé, alors que la route Aigle– Sépey–Diablerets vient d’être aménagée à grands frais pour pouvoir supporter sûrement un trafic important. »

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Le Conseil d’État répliquait en soumettant en automne 1981 au Grand Conseil vaudois un décret de 26 millions de francs. Malgré notre détermination, Berne refusa son soutien à l’ASD. En 1985, un nouveau décret de 18 millions de francs, entièrement financés par le canton, autorisa des investissements urgents. Puis, au gré de réformes fédérales et d’un lobbying parlementaire appuyé, l’ASD a bénéficié d’investissements importants de la Confédération et du canton. Certes, la question du maintien de la ligne s’est reposée dans les années nonante. Mais les temps avaient changé avec le regain d’intérêt pour les transports publics et le rail. Toutefois, rien n’est définitivement acquis. Il est donc essentiel que le trafic de l’ASD continue à croître grâce au soutien des habitants de la région et à un marketing dynamique. La pérennité de la ligne est à ce prix.

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En chaque saison, les nouvelles couleurs de l’ASD et leur motif figurant des courbes de niveau font tout leur effet.

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AVANT-PROPOS par Frédéric Borloz syndic d’Aigle, député au Grand Conseil et président des Transports Publics du Chablais « Le seul problème, pour le monde d’alors [le XIXe siècle, ndla], c’était la distance. Et voici la solution : le chemin de fer. Un peu comme Internet aujourd’hui, le chemin de fer raccourcissait l’espace et le temps. Il rapprochait ce qui était loin », peut-on lire dans Next – Petit livre sur la globalisation et le monde à venir, un essai du romancier italien Alessandro Baricco. Ces quatre phrases s’appliquent bien aux motifs qui ont justifié la création de l’ASD, sa nécessité, son apport et son rôle – aussi déterminant que bienvenu pour les gens des Ormonts. Car ils durent l’appeler de leurs vœux, cette ligne qui tarda beaucoup à voir le jour. Réalisons qu’avant cette connexion, se rendre aux Diablerets avait de quoi freiner les bonnes volontés : le nom, d’abord, un brin inquiétant tout de même, et l’éloignement,

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ensuite. Certes, ces autochtones, tout comme ceux du Sépey, voyaient les gens de la plaine d’un œil méfiant. Mais leur vie était rude, austère et peu gratifiante. L’arrivée du train facilita les échanges, amena des clients à l’auberge, des patineurs et des skieurs à l’hôtel, des clients dans les commerces et facilita les va-et-vient entre la campagne et la ville. Bref, le rail changea la donne. Modifia les esprits. Ouvrit les cœurs. Qui aurait cru, après tout cela, que maintenir ces acquis demanderait des années de bagarres ? Tel fut pourtant le destin de cette compagnie. Une sacrée histoire, faite d’interminables luttes pour que demeure l’ASD. Une histoire qu’il fallait rappeler alors que ce chemin de fer entre dans son deuxième siècle d’existence. Car, Barrico ne l’a pas dit : le train ne va pas de soi – le cas de l’ASD en est la preuve.

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Détail d’un tableau « de train sans le train », signé Ivan Moscatelli.

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MESSAGE DE BIENVENUE par Claude Oreiller directeur des Transports Publics du Chablais (TPC) Affirmer que l’ASD compte parmi les trains les plus aimés du pays relève de la simple évidence. Un coup d’œil aux archives de cette ligne en témoigne : mille faits, gestes, prises de position favorables de la part de riverains, d’usagers et d’amis du rail ; quantité de soutiens divers – en espèce ou en temps –, d’huile de coude et de bonne volonté à revendre font qu’il roule encore à ce jour. Si, aux yeux du plus grand nombre, l’ASD n’avait représenté que des caisses de métal qui grincent en se déplaçant sur des voies, il serait mort depuis longtemps. Abandonné. Oublié. Comme bien d’autres compagnies ferroviaires défuntes. Or, pour des raisons quelque peu obscures, la liaison par rail entre la ville d’Aigle et les villages du Sépey et des Diablerets occupe une place à part dans les cœurs et

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dans les esprits. De fins psychologues ou de subtils sociologues expliqueront peut-être un jour les motifs de cet attachement particulier. Quoi qu’il en soit, l’ASD bénéficie d’un capital sympathie hors du commun. Jamais on ne le qualifia de « brouette du Diable » comme le fut surnommé l’AOMC dans la vallée voisine d’Illiez. Toujours il inspira des élans de sympathie, des dons – il fut même couché sur un testament ! –, des comités de soutien. Plus souvent qu’à son tour, il inspira peintres, aquarellistes, dessinateurs, photographes, et renforça la passion du chemin de fer qu’éprouvent certains. Autant de très bonnes raisons de célébrer ses cent ans, de lui offrir un coup de jeune, de lui consacrer le présent ouvrage et de placer le tout sous ce slogan parfaitement adapté et partagé par tant de gens : I love ASD.

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II

UNE RÉGION ET DES RAILS Le miroir magique en conviendrait : l’ASD est sans conteste la ligne la plus belle et la plus variée du réseau TPC. En quelques mots et quelques vues, présentation d’un territoire qui mérite le voyage.

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« Parce que mon visage, il faut le voir aussi depuis les rives du Léman, depuis cet espace flou où la terre insiste encore, où l’eau déjà reconnaît son territoire, où les montagnes, à la suite du Rhône, acceptent de plonger, en douceur, du ciel au lac. Une coquetterie de Narcisse noyé en son miroir ? Pas de danger. Je suis le Chablais, tête du lac, bien ancrée dans ses montagnes. Depuis la nuit des temps, je me mire dans le Léman sans risque de m’y perdre. » Marie-Cécile Perrin in Le Chablais, une réalité, Ed. Identité chablaisienne

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« Comment, lorsqu’il s’agit de vous parler de notre ville et de son riche patrimoine, ne pas frôler le si naturel péché d’orgueil ? Peut-être en vous laissant la parcourir, découvrant ainsi, par vous-même, ses charmes et ses qualités. » Auteur inconnu, au sujet d’Aigle

Pages 22-23 : traverses, boulons et écrous d’origine prennent leur retraite après 100 ans de bons et loyaux services.

Page 24 : le Chablais, entre le Léman et le coude de la Vallée du Rhône, le théâtre où s’est déroulée l’histoire de l’ASD.

Ci-contre : Aigle et la plaine du Rhône, vues depuis un lieu surplombant le tracé du chemin de fer : un coin où il fait bon vivre.

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« Il y avait ici comme deux vins, l’un qui se boit avec la bouche, l’autre qui vous entre dans la tête par le nez. L’histoire de Noé, je l’ai vue ; j’ai vu un Noé ivre de vin nouveau. » C. F. Ramuz – Vendanges

Immanquable, le château d’Aigle, dans l’écrin de vignoble qui a fait, loin à la ronde, la réputation de la ville.

Page suivante : le Mont d’Or, massif qui domine le village du Sépey, vu depuis Les Chaux, au-dessus de la Pierre du Moëllé.

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« La vallée des Ormonts est la plus grande des Alpes vaudoises, la vallée alpestre par excellence. Pays admirable qui réunit tous les charmes de l’alpe et convient à tout les amis de celle-ci. » Dépliant ASD– Dépliant ASD (début du XXe siècle )

Page précédente : en dessus du Sépey, la vue sur notre coin de pays ressemble au décor d’une maquette de chemin de fer !

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Ci-dessus : vue panoramique, donc déformée, de Vers-l’Eglise, prise depuis en dessous de La Forclaz. A l’avant-plan, on

distingue la ligne de l’ASD qui serpente avant d’arriver au village.

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Vue depuis Isenau sur le Becca d’Audon (3123 mètres), sommet dont la base occupe les cantons de Berne, Vaud et Valais.

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« C’est un pays un peu secret. C’est vrai, il faut décider d’y monter, mais quand on y monte, on y retourne souvent. Il est un peu à l’écart. Mais grâce à ce pays, nous sommes aussi de vrais habitants des Alpes, de vrais montagnards. » Emile Gardaz

Vue depuis la Tornette, avec, au second plan, en bas à droite, le hameau de Meitreile et, au tout au fond, Les Diablerets.

Sur le chemin des Bovets, un banc s’offre au visiteur pour lui permettre d’admirer la vue sur le massif des Diablerets.

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« Il y a toujours eu des personnages aux Diablerets. J’aime beaucoup cette vallée adossée aux Alpes avec un petit goulet qui s’ouvre vers le bas ! On sent qu’on y lâche – au compte-gouttes ! – les gars qui descendent et y remontent vite, parce qu’on y est quand même très bien – un peu dans un creux, un peu dans un nid. Cela fait une espèce de population à part, c’est la petite Hongrie de la Suisse ! J’aime venir ici car je me sens dans un pays original. » Jean Villard–Gilles

Le lac Retaud, lieu préservé au-dessus du col du Pillon.

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La quille du Diable, cet impressionnant rocher qui trône à l’extrémité du glacier des Diablerets. Le précipice qu’elle

domine se nomme Derborence. Ce lieu valaisan, popularisé par le roman éponyme de Ramuz que porta à l’écran le cinéaste Francis

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Reusser (César du meilleur film étranger 1984), pourrait être atteint depuis les Diablerets si un tunnel traversait le massif !

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A l’arrière-plan, les Alpes pennines avec la ceinture de hauts sommets dite « couronne impériale » : le Weisshorn (4505 m),

le Zinalrothorn (4221 m), l’Ober Gabelhorn (4063 m), la Dent Blanche (4356 m) et le Cervin (4478 m).


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III

COUP D’ŒIL EN COULISSES Parce que l’on ignore bien souvent ce que signifie faire fonctionner un chemin de fer. Parce que celui dont il est question est spécial à plus d’un titre. Parce que des hommes s’ingénient à régler le ballet incessant des rames sur la prairie.

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Maintenant, l’ASD ne fait plus sourire Reymond Favre a débuté son activité à l’ASD par une journée de congé ! En effet, le 1er septembre 1989, la ligne célèbre ses 75 ans. Fils de cheminot et usager du train de longue date, Reymond Favre pouvait-il rêver d’une meilleure mise en bouche ? « Oui, répond celui qui allait prendre ses fonctions de chef de train principal, car si la fête était belle, la réalité l’était moins… Bien des choses restaient à faire pour élever le niveau de l’ASD jusqu’à celui d’une ligne moderne, compétitive et digne d’être considérée. »

En revanche, « l’esprit cheminot » qui règne à l’ASD séduit d’emblée Reymond Favre. Grande solidarité entre collègues, fraternité manifeste, nombreuses activités extraprofessionnelles au sein du personnel « roulant », disponibilité des uns en cas de maladie des autres : dans son souvenir, « les gens de l’ASD répondent toujours présent. » A cette époque, la suppression de la ligne fait déjà régulièrement la Une de

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l’actualité… « Etant sans cesse dans le collimateur fédéral, chaque article de presse accablant et menaçant pour l’ASD motive les troupes. » C’est d’ailleurs cette attitude « défensive » qui modifie la perception qu’a Reymond Favre de ce chemin de fer. Avant d’y travailler, il est commis de gare au Montreux Oberland Bernois. Vu de la Riviera vaudoise, le « p’tit train » des Ormonts n’inspire pas

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grand respect. Il figure parmi les parents pauvres des compagnies ferroviaires vaudoises. « On le jugeait vieux et mal en point, il nous faisait sourire… », raconte-t-il. Mais les alertes véhémentes que lancent les fervents amis de cette compagnie le touchent. « Le pamphlet de Claude Jutzet Opération p’tits trains m’a fait mesurer le potentiel de l’ASD, sa raison d’être et la nécessité de le conserver. »


Regrettable déraillement au Sépey, dans les années soixante. « Tout compte fait, ce genre de situations se produisait assez

peu souvent malgré le manque d’entretien dont la voie faisait l’objet à cette époque », explique Reymond Favre qui ne regrette en

Depuis lors, l’ASD a nettement progressé. « Il compte au rang des vraies et grandes lignes vaudoises. Comme les agents des autres chemins de fer, ceux de l’ASD doivent appliquer les réglementations et réussir les examens de l’Office fédéral des transports. Cela a contribué à valoriser notre personnel et à augmenter la sécurité de nos usagers. » Chef d’exploitation depuis 2004, Reymond Favre se dit « content qu’un vent

rien ce temps bel et bien – et fort heureusement – révolu. Jean-Claude Jollien, dit Jonquille, peintre et collaborateur

polyvalent de l’ASD pendant près de 40 ans, se souvient de déraillements de ce type : « J’ai dû découper au chalumeau le

positif souffle maintenant de façon permanente en faveur des transports publics – il était temps ! » L’arrivée, prévue pour 2015, d’aiguillages automatisés et d’un block de ligne qui sécurisera la ligne le réjouit au plus haut point. « De plus, avec le système de télécommande centralisé pour l’ensemble de nos lignes dont nous disposerons à Aigle, l’ASD aura atteint le niveau que nous lui souhaitons depuis… bien trop longtemps ! »

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toit du wagon K couché pour extraire les vaches qui étaient prisonnières… »

Tout cela installé, Reymond Favre pourra prendre sa retraite. Durant ses randonnées en solitaire, il regardera l’ASD passer dans les vignes qui entourent le château d’Aigle et traverser les coins sauvages qu’il affectionne aux Ormonts, avec l’agréable sentiment du devoir accompli.

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Le quotidien d’un chemin de fer différent

Quantité de singularités distinguent l’ASD. Celles-ci participent à son charme. Certes. Mais elles compliquent sérieusement son usage quotidien. Explications sur ce grand original de train par Gabriel Voutaz, chef d’exploitation ferroviaire BVB-ASD.

« Dresser la liste des aspects standard de l’ASD serait plus rapide que d’évoquer ses spécificités ! » En effet, lorsque Gabriel Voutaz énumère les particularités de ce train décidément pas comme les autres, on ne peut qu’acquiescer : l’ASD nécessite deux brigades d’agents très indépendantes (une aux Diablerets, l’autre à Aigle) ; c’est aussi la seule ligne des TPC à rouler sans crémaillère ; son parcours lui impose de traverser

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un Y (aux Planches) – « un tracé si étrange que les logiciels générateurs d’horaires gèrent avec peine ! » ; et puis l’ASD dispose de toute une flotte de matériel roulant spéciale (rame historique, voitures-salons, etc.) ; enfin, c’est la seule à desservir un hameau (Exergillod) qui, tout l’hiver durant, n’est accessible qu’en train. Autant de caractéristiques inhabituelles compliquent l’exploitation de la ligne…


Du pont des Planches, vue sur le pont routier d’Aigremont.

« Prenons le cas du tracé en Y. Cette configuration paraît simple à comprendre. Or il faut une année de pratique pour mémoriser tout ce qu’elle engendre. » D’ailleurs, très vite, les nouveaux venus se déclarent confus. « Mais une fois maîtres de cette difficulté et du stress qu’elle induit, ils pourraient supporter celui de toute autre ligne suisse ! » Pour se faciliter la tâche, les conducteurs de l’ASD communiquent entre eux par

radio. Ils s’indiquent leur position respective et leur prochaine destination. « Encore une excellente pratique qui n’a pas cours ailleurs ! Comme ils pilotent sans système de freinage automatique et qu’une ligne à adhérence impose un temps de freinage bien plus long qu’avec une crémaillère, nos agents doivent faire preuve d’une vigilance et d’une concentration redoutables. » Pareil pour ceux qui, aux Diablerets et à Aigle, leur

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accordent les autorisations d’occuper tel ou tel canton de voie. « Nous devons bien saisir la position de chaque train, comprendre les messages radio qui s’échangent, anticiper les points de croisement et donner des instructions ad hoc. Il faut avoir assuré l’exploitation de l’ASD pour soupçonner le niveau de technicité que cela requiert… » Néanmoins, la ligne n’a jamais connu d’accident grave. « En cent ans, c’est un

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exploit qui témoigne du sérieux et de l’expérience des conducteurs. » Gabriel Voutaz précise que la relative marge de manœuvre accordée – par la force des choses – aux agents de l’ASD contribue à cet état de fait. « L’expérience et le feeling permettent de surmonter la plupart des embûches. » Les heures de « métier » dictent au « roulant » si, en automne, il peut accoupler une voiture à son automotrice. « Car, à Verchiez, une

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grande composition peut très bien patiner sur les feuilles mortes et rester en plan… » Mais aux yeux de Gabriel Voutaz, la véritable unicité de l’ASD réside dans les rapports qu’entretiennent ses riverains ainsi que ses habitués avec notre personnel. « La complicité qui lie ces gens, leur volonté mutuelle de se faciliter la vie, le côté bon enfant si typique de cette ligne : c’est l’ASD d’hier, d’aujourd’hui et de demain. »


Page précédente : Ancienne gare du Sépey. Ci-contre : L’arche bétonnée du pont des Planches.

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Des rails, des traverses, du ballast et… beaucoup d’admiration

L’ASD fait l’objet de travaux pharaoniques depuis plusieurs années. Remise à neuf totale. Nouvelles voies. Nouvelle ligne de contact. Nouveaux pylônes électriques. Courbes améliorées. Tunnels et ouvrages d’art révisés et sous constante surveillance. Filets de sécurité antichute de pierres. Bref, c’est un centenaire dorloté ! Rencontre avec une partie de ceux qui veillent sur lui et sur la sécurité de ses voyageurs.

Laurent Pittet (chef technique des TPC), Sulivann Ansermoz (sous-chef du service infrastructure) et Jean Paul Muller (chef de projet) ainsi que deux prestataires externes, Bertrand Lauraux (ingénieur) et Jean-Daniel Légeret (technicien cordiste) évoquent leur admiration pour les bâtisseurs de cet ambitieux projet ferroviaire, et leurs interventions respectives pour que roule l’ASD.

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Quel regard posez-vous sur le travail de vos prédécesseurs du début du XXe siècle ? Laurent Pittet : « Chapeau à eux d’avoir eu le courage de s’atteler à une telle entreprise. Ils ont fait du très bon travail : on change aujourd’hui – et pour la première fois ! – des éléments qui ont tenu un siècle. Un ouvrage d’art comme le pont du Vanel reste admirable, aujourd’hui encore. De même que les opérations de dynamitage de la roche qui

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A gauche : le pont des Planches, juste après son achèvement, magistral et très high-tech pour l’époque.

Ci-dessus : Louis Devallière parmi quelques-uns des artisans de ce chantier impressionnant, entourés des experts de Berne

ont permis au train de passer partout, même là où la nature ne s’y prêtait pas vraiment… » Jean-Paul Muller : « Ausculter tous les ans les ouvrages d’art de l’ASD m’inspire toujours un grand respect pour leurs auteurs. Ils nous ont laissé un patrimoine d’une résistance folle, en dépit du froid, du chaud, du dégel, du regel, de la mouvance du terrain, du poids des rames et de l’usure du temps qu’ils subissent… »

souligne Sulivann Ansermoz, venus inspecter la ligne avant son ouverture au service régulier. admiratif. « Des gens qui savaient travailler de manière remarquable »,

Sulivann Ansermoz : « Qui, aujourd’hui, saurait construire des ponts voûtés comme ceux de l’ASD ? En 1911, les constructeurs s’appuyaient sur une expérience et un savoirfaire incroyables. Ils calculaient moins que nous, mais leurs réalisations tenaient plus longtemps que ne tiendront les nôtres… » Bertrand Lauraux : « Avec le bon entretien actuel du réseau et de l’infrastructure, je parie que l’ASD roulera encore en 2114 ! Et si les

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voyageurs du futur acceptent toujours d’atteindre Les Diablerets en un peu moins d’une heure, le tracé et les infrastructures présentes de l’ASD conviendront encore. En revanche, s’ils veulent un TGV des montagnes, nos successeurs devront tout reprendre à zéro… » Jean-Daniel Légeret : « Regardez le pont du Vanel, l’escarpement près de la Joux-auCrat : partout, le vide. C’est impressionnant. Imaginer que des ingénieurs et des ouvriers

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Fabian Corpas est employé au service Infrastructure depuis 1987. Il compte parmi ceux qui, pendant des années,

parcouraient la ligne à pied une fois par semaine pour graisser les aiguillages et contrôler que les écrous des traverses soient

l’ont vaincu avec les moyens de l’époque me laisse toujours béat d’admiration. » Et si l’on construisait l’ASD aujourd’ hui… Laurent Pittet : « Nous opterions sans doute pour la même rive de la Grande Eau. Mais notre frénétique quête de vitesse nous ferait dessiner un tracé plus rectiligne, avec plus de tranchées couvertes et de tunnels (moins difficiles à réaliser avec les moyens actuels), ce

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bien serrés. Il figure ici au milieu des rochers qui ont sérieusement endommagé la voie en 1999.

qui nous permettrait par ailleurs de limiter les risques de chutes de pierres. Ce gain de temps ferait perdre au parcours une grande partie de la dimension spectaculaire qui participe à son charme tant apprécié… » D’un point de vue technique, quels aspects intéressants vous réserve l’ASD ? Sulivann Ansermoz : « En quelques années, nous sommes passés d’un ASD à la limite de

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l’abandon et du démantèlement, à une ligne comme neuve et protégée. Nos hommes ont fait un travail remarquable en un temps record. Avant cela, par endroits, le train roulait sous des tunnels de verdure formés par les branches des arbres plantés des deux côtés de la voie. Sur d’autres tronçons, la caténaire, la voie et les aiguillages étaient encore d’origine ! A Verchiez, nous avons même remplacé des traverses datées d’avant 1900…


Michel Ansermoz, chef du service pour en changer quelques kilomètres de voies. Infrastructure des TPC, entouré de soldats venus en renfort sur l’ASD dans les années nonante

Il n’était donc pas étonnant que des déraillements se produisaient régulièrement… » Laurent Pittet : « Avec des lieux comme les Aviolats où, à certaines saisons, le soleil n’apparaît que dans la mémoire – j’exagère un peu ! … –, des climats très différenciés entre la plaine et la montagne, et un tracé sinueux à souhait ponctué d’ouvrages d’art centenaires, les défis sont permanents, sérieux et de taille ! »

Jean-Paul Muller : « Inspecter les 250 ouvrages d’art de la ligne est passionnant. Pas moyen de se lasser de ce travail d’observation qui requiert minutie, concentration et intérêt pour le bâti et pour la nature ! J’aime vérifier une structure à la base d’un pont pendant que le train le traverse sans que les voyageurs ne soupçonnent le moins du monde que, en dessous d’eux, un technicien veille à leur sécurité ! »

Coup d’œil en coulisses

Jean-Daniel Légeret : « Pour moi, l’analyse d’une construction d’origine et des défauts qui apparaissent aujourd’hui est toujours intéressante. Je me surprends souvent à imaginer les méthodes employées à l’époque. Mais le plus fascinant demeure ailleurs. En l’occurrence, c’est de croiser, après avoir fini mon travail pendu dans le vide au bout d’une corde afin de vérifier l’évolution d’un viaduc, du personnel ferroviaire passionné.

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Deux reflets des ravages de la tempête Andrea, le 7 janvier 2013. « Les arbres jonchaient la voie par endroits, comme plaqués

au sol en paquets », explique Laurent Pittet. « Les équipes, tant internes qu’externes, chargées de remettre la ligne en état

Cela m’étonne toujours. Autant pénibles et difficiles que soient les travaux de voie, ils ne semblent pas émousser l’amour que certains portent au rail ! » En quoi consistent vos prestations de technicien cordiste ? Jean-Daniel Légeret : « Notre harnachement nous laisse observer sous les voûtes des viaducs ou au-dessus des entrées de

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de marche (notamment pour desservir le hameau d’Exergillod accessible uniquement en train) ont fourni un effort exceptionnel

en dépit du froid et de conditions Ci-contre : différentes facettes de de travail difficiles. » l’entretien dont la voie de l’ASD a bénéficié ces dernières années.

tunnels, par exemple. Nous comparons un détail photographié l’année précédente et le comportement actuel de l’objet. Ainsi on note si une situation se stabilise ou se dégrade afin d’agender des actions. Notre métier demande des compétences en maçonnerie, béton armé et des connaissances en statique. Nous maîtrisons les techniques de cordes, d’ancrages, de protection et nous sommes insensibles au vertige, bien sûr ! »

r Coup d’œil en coulisses

Assurer la sécurité d’une telle ligne de montagne demande une vigilance constante… Jean-Daniel Légeret : « C’est pourquoi je prends nos interventions très à cœur. Et ce d’autant plus qu’aucun appareil ne peut, pour l’instant, remplacer la pertinence de l’œil humain. Seule une inspection directe, ponctuelle et précise, permet de saisir et d’estimer comment évoluent des constructions ancestrales. »


Laurent Pittet : « Des protections contre les dangers naturels équipent la ligne depuis longtemps. En 2012, une analyse de risques (chutes de pierres, d’arbres, coulées de boues et avalanches – soit les soucis majeurs pour un train de montagne), nous a permis de définir les secteurs à sécuriser. Il s’agit hélas d’opérations coûteuses, ardues, techniques, souvent très inaccessibles (localisées entre les arrêts

Grand-Hôtel et Les Aviolats), d’où l’impossibilité de toutes les effectuer de front. Néanmoins, nos travaux respectent le planning d’interventions prévu jusqu’en 2020. Et, à ce jour, nous avons traité 90 % des zones identifiées. Malgré ce motif de satisfaction, nous savons que la nature peut toujours n’en faire qu’à sa tête et nous réserver des mauvaises surprises en se manifestant là où on ne l’attend pas… »

Coup d’œil en coulisses

On vous dit très admiratif de l’ASD… Bertrand Lauraux : « En effet ! Les Chinois ont la Grande muraille, les Egyptiens les pyramides. Toutes proportions gardées, les Suisses ont les trains de montagnes ! Dès la fin du XIXe, nous avons réalisé de vraies prouesses. L’ASD en est une. De ce fait, il me paraît indispensable de le conserver et de le valoriser, comme c’est le cas à l’occasion de son anniversaire ! »

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Conduire l’ASD et adorer cela… Pour elle et pour eux, conduire l’ASD n’est pas un simple métier. A les en croire, il s’agit d’une activité tout sauf répétitive (le paysage et la lumière changent tous les jours) et d’une succession de moments privilégiés (avec une clientèle particulièrement agréable et bienveillante). Et puis, il s’agit de l’ASD, avec son histoire et ses aléas. Explications.

« Une fois par an, une riveraine de la ligne invite tous les roulants à manger chez elle “en remerciement de services rendus” ! Peu de cheminots peuvent en dire autant… », relève Oleg Nieriker, conducteur qui, depuis 25 ans, « soigne » sa clientèle. Avant cela, il en rêvait : « Gamin d’Echallens, je montais avec mes parents à notre chalet de Vers-l’Eglise. S’ils ne me trouvaient pas, ils savaient que j’étais à la gare, dessinant cet

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ASD qui me fascinait ! » Adulte, il souhaite devenir conducteur au LEB, mais les aiguillages de la vie l’amènent aux manettes du train qu’il reproduisait sur papier ! Parmi ses très bons souvenirs figure la préparation du TransOrmonan. « Après le travail, je rejoignais les autres bénévoles au dépôt. On s’activait sans répit. Puis grillade, sur place. Un soir, Daniel Monti et moi avons remonté les phares jusqu’à minuit afin que

r Coup d’œil en coulisses

le véhicule soit prêt pour la conférence de presse du lendemain ! » L’évocation de cette époque émeut Oleg Nieriker : « Au début du projet, les employés du dépôt se moquaient de nous : “Si vous croyez que vous allez sauver l’ASD avec vos brosses et vos grattoirs !” Et pourtant, c’est ce qu’on a fait ! » Ce vétéran se rappelle bien du temps des menaces de disparition de l’ASD. « Nous, on disait à qui voulait l’entendre : “Montez à


bord aujourd’hui, dans six mois ce sera trop tard…”» C’est pourquoi, durant les weekends populaires organisées par le Comité Nouvel ASD en septembre 1993, lui et les autres roulants ne comptaient pas leurs heures : « Ni Patrick Polo ni Gottfried Bürki ni moi ne protestions car on était sûrs que l’ASD allait mourir ! » Oleg Nieriker ne peut s’empêcher de penser à son collègue et formateur Gottfried Bürki : « Il avait un rêve :

conduire le train du centième anniversaire, le jour même de son départ à la retraite ! Hélas, il est mort avant… » Nostalgique et sentimental, Oleg Nieriker lance toujours un coup de sifflet lorsque son train passe devant chez Gérald Hadorn, autre « sauveur » de la ligne. « Ce petit luxe que je nous offre fait partie de la qualité de vie propre à l’ASD. J’en profite car cela ne durera pas éternellement… »

Coup d’œil en coulisses

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Alain Roulin a quitté Genève et troqué, après 13 ans de service urbain, les TPG pour l’ASD. « Je n’en pouvais plus de l’agressivité des gens. Ce n’est pas le salaire qui m’a attiré aux Ormonts, mais bien la qualité de vie et la gentillesse des usagers. Et je suis gâté ! » Alain Roulin entame souvent la discussion avec ses clients en gare d’Aigle : « Les contacts sont tellement plus cool ici, alors pourquoi s’en priver ? » Bon vivant, le

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conducteur apprécie également beaucoup le territoire qu’il traverse, assis à la meilleure place pour en jouir : « C’est beau tous les jours. Que demander de mieux ? » Ce « tortillard », comme on l’appelait, Alain Morard le conduit depuis longtemps. « Bien des lignes plus rapides empêchent de voir un lynx ou de laisser une cane et ses dix canetons traverser les voies en grimpant sur des boulons pour accéder aux rails ! »

r Coup d’œil en coulisses

Sans être un « fan de trains », Alain Morard n’en est pas moins sensible à l’âme de l’ASD. « Elle est la somme des efforts de ceux qui ont construit ce chemin de fer, se sont battus pour sa survie, ont transmis l’art des métiers du rail, comme notre ancien chef de train, Jean Borloz, dit le Grand Bouc. Il nous a légué une ligne de conduite que nous continuons d’enseigner aux nouveaux conducteurs. »


Ci-contre : tempête de neige aux Page 57 : sur cette image de Aviolats… Christophe Racat, l’ASD semble rivaliser avec la vitesse d’un TGV !

Alain Morard a vécu mille incidents depuis sa cabine. Parmi ceux qu’il évoque volontiers figurent ses rencontres avec l’ancien syndic de Lausanne, Jean-Pascal Delamuraz, lorsque ce dernier montait avec l’ASD à son chalet des Diablerets. « Il nous saluait, partageait nos craintes quant à l’avenir de la ligne… Hélas, une fois devenu conseiller fédéral puis président de la Confédération, il a opté pour la limousine

et on n’a plus pu parler de ça ensemble ! Il a fallu qu’il ait un infarctus pour avoir à nouveau le plaisir de le croiser aux Diablerets. Il avait beau être un grand Monsieur, il nous serrait toujours la main ! » Autre beau moment, l’un de ces hivers, rudes pour l’ASD : « Du côté des Echenards, plus de courant électrique. Sans doute un arbre tombé sur la ligne de contact. Train bloqué. Après une heure d’attente, les

Coup d’œil en coulisses

voyageurs commencent à avoir froid. Mon collègue Francis Jolliet et moi sommes partis à pied chez les sœurs Jordan. Elles ont préparé thé, vin chaud, fromage et charcuterie pour tout le monde ! Voilà ce qui contribue à nourrir l’âme de l’ASD ! » Jean-Jacques Produit, ancien de l’AOMC « converti » à l’ASD, a connu une situation similaire : « Une avalanche nous bloque le passage. Plus moyen d’avancer. Avant de

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pouvoir transférer mes voyageurs en bus, près d’une heure et demie d’attente… C’est alors que les vacanciers qui arrivaient pour Noël ont sorti leur pique-nique et… l’ont partagé avec nous tous ! » Roland Krampl vient, quant à lui, de passer du BVB à l’ASD. Il a donc, selon ses dires, « Encore tout à apprendre ! » Ce qui lui plaît déjà est de rouler « en adhérence ». « Sur une crémaillère, on atteint d’emblée

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notre rythme de croisière et il n’y a plus rien à faire. Avec l’ASD, en revanche, on doit sans cesse rectifier la vitesse. Un plaisir ! » Avant de conduire l’ASD, Emilie Manzini était peintre en bâtiment. « Je ne voulais plus faire de chantier, ni travailler dans un bureau. J’ai trouvé ma place ! Qu’il vente, qu’il pleuve ou qu’il neige, je ne m’ennuie jamais. J’aime conduire des gens sympas en guettant les cerfs et les chevreuils depuis ma cabine ! »

r Coup d’œil en coulisses

Retraité depuis longtemps, Félix Croset, ancien responsable technique, s’est toujours considéré « cheminot à 100 % » ! Il se souvient : « C’était quelque chose de défendre le chemin de fer à une époque où le monde politique ne pensait qu’à le démanteler… Heureusement que les conseillers d’Etat Marcel Blanc et Daniel Schmutz ainsi que les chefs des services du tourisme et des transports cantonaux ont été exceptionnels. »


A gauche : la tranchée ouverte de Panex, percée au début du XXe siècle, sans quoi l’ASD ne serait pas passé.

Ci-dessus : le pont du Vanel sous un angle peu habituel.

Si le train avait disparu, Félix Croset aurait éprouvé du ressentiment. « D’autant plus que l’ASD avait bénéficié des progrès tangibles réalisés sur les lignes construites peu avant. En 1914, l’ASD était un train hightech avec ses 1500 volts, ne l’oublions pas. » « L’ASD, ça, c’est du train !, s’exclame Lionel L’Eplattenier. Il exige sensibilité et doigté ! » Ravi par ce tracé pour l’essentiel en rase campagne, le conducteur ajoute,

comblé : « C’est rare, une telle immersion loin du bâti ! En plus, les gens du coin sont agréables et le prouvent souvent. Un jour, le conducteur que j’accompagnais a démarré sans me laisser le temps de remonter à bord après que j’aie actionné un aiguillage ! Alors j’ai tenté de rejoindre le train à pied. Sur son vélomoteur, un habitant m’a demandé ce que je faisais là. “Bougez pas, je rattrape le convoi, et je reviens vous chercher !” Voilà

Coup d’œil en coulisses

comment je me suis fait conduire à la gare, assis sur un porte-bagages ! A mon arrivée, les voyageurs ont applaudi en criant : “On a retrouvé notre contrôleur !” Ce type de situation – de même que de croiser un lynx ou des chamois qui regardent passer le train sans crainte –, on ne vit cela qu’aux Ormonts ! » Tels sont les échos des « roulants » qui, pour rien au monde, ne troqueraient « leur » ASD contre un rapide et prestigieux TGV !

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r Le train des passions


IV

SI L’ASD M’ÉTAIT CONTÉ C’est un beau roman, c’est une belle histoire, c’est une romance d’aujourd’hui, d’hier aussi, faite de hauts, de bas, de luttes acharnées et d’espoirs comblés.

Le train des passions

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r Si l’ASD m’était conté…


Des origines du projet à la mise en route du chantier

Quatorze ans de patience avant d’aboutir enfin…

L’ASD n’a rien d’un chemin de fer comme les autres. Peut-être parce qu’il est l’un des derniers-nés du réseau ferroviaire suisse. Peut-être aussi en raison de son siècle d’existence hors du commun…

Si l’ASD m’était conté…

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Page 64 : les plans du futur ASD font l’objet d’une attentive contemplation…

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r Si l’ASD m’était conté…


Page 66 : deux gravures du XIXe siècle. En haut, le village du Sépey, lieu très prisé des touristes à cette époque, en bas,

le Grand-Hôtel des Diablerets, établissement qui a donné son nom au village appelé alors Les Plans.

Ci-dessus : Samuel Weibel (17711846), a peint toutes les cures et églises du canton de Vaud, dont

le temple de Vers-l’Eglise dans son cadre bucolique à souhait…

L’ASD voit le jour bien tard, en 1914… Autrement dit, juste avant que ne tarisse la source qui inspire aux courageux investisseurs de construire et d’exploiter des chemins de fer de montagne. Avant cela, en 1840, l’Etat de Vaud inaugure la route entre Aigle et le Sépey par la rive droite de la vallée des Ormonts. Ensuite, un chantier la prolonge vers Le Rosex. Puis, en 1868, jusqu’au hameau de Plan des Isles, futur village des Diablerets.

Si l’ASD m’était conté…

A cette époque, un service de diligences transporte les voyageurs au départ d’Aigle. Il tient compte des correspondances avec les trains de la compagnie du Jura–Simplon (qui deviendra plus tard les CFF). Mais ces voitures tirées par deux à quatre chevaux mettent au moins quatre heures pour atteindre Les Diablerets, puis Gstaad et Saanen durant les mois d’été, via le col du Pillon, à 1550 mètres d’altitude.

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Avant l’ouverture de l’ASD, de bien braves diligences reliaient, en quatre heures, Aigle et les Diablerets… Se rendre au col

du Pillon était encore une autre histoire… L’arrivée du chemin de fer, avec son trajet en moins d’une heure, a sensiblement

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contribué à rapprocher la plaine de la montagne.

r Si l’ASD m’était conté…


Cartes postales d’avant 1914. et, colorisée à la main, arrêt Ci-dessus : encombrement au à Vuargny. Rosex ; ci-contre, de haut en bas : attente à la poste des Diablerets,

Isolée et difficile d’accès jusqu’à récemment, cette vallée commence à s’ouvrir au tourisme alpin, très prisé en cette fin de XIXe siècle. Voilà ce qui incite des notables de la région à envisager la construction d’une ligne ferroviaire. Berne reçoit leur première demande de concession en 1897 déjà. Mais il faudra attendre encore bien longtemps avant de pouvoir parcourir la vallée des Ormonts à bord des automotrices de l’ASD !

En effet, le 28 octobre de cette année-là, Messieurs Veillon, industriel à Bâle, et Dupraz, avocat à Lausanne, aidés par les ingénieurs De Vallière et Fils, envoient une première demande de concession au Conseil fédéral. Celle-ci propose d’établir une ligne de chemin de fer à voie étroite entre Aigle et Le Sépey par la rive droite de la vallée. L’année suivante, les mêmes audacieux adressent une autre demande pour prolonger

Si l’ASD m’était conté…

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leur voie ferrée vers Leysin-Village, lieu que la ligne directe actuelle de l’AL ne reliait pas encore à la vallée. Mais quelques mois plus tard, Monsieur Veillon décède. Avec la disparition du père du projet – au riche carnet d’adresses –, s’évanouit également le capital nécessaire à la construction du futur ASD… Coup dur pour les promoteurs. Mais ils ne se laissent pas dissuader pour autant. Les voici qui retroussent leurs manches et fondent un

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r Si l’ASD m’était conté…


Page de gauche : bons baisers du Sépey ! Quand le chef-lieu d’Ormont-Dessous se présente sous son meilleur jour avec ses

nouveau comité d’initiative. Il leur faudra une sacrée dose de foi en leur projet car une quinzaine d’années de persévérance s’imposeront avant qu’il n’aboutisse ! En ce début de XXe siècle, c’est encore l’époque des « feux d’artifice ferroviaires » ! On veut des trains partout ! Chaque montagne, chaque vallée présente un défi que souhaitent relever des promoteurs avides de prouesses techniques et… de dividendes !

nombreux hôtels d’alors et ses edelweiss. Ci-dessus : assemblée de fromagers au Sépey, tels qu’ils figurent

Dans le Chablais, plusieurs études sortent des cartons, dont un prolongement vers Saanen, une autre demande émise en 1904 par le comité de l’AOM (Aigle–Ollon– Monthey) assisté de la firme Alioth pour construire une ligne Aigle–Leysin par Le Sépey. Et une autre encore, en 1905. Cette dernière vise à la prolonger, vers Les Diablerets, mais sur la rive gauche de la vallée cette fois – pour des raisons économiques

Si l’ASD m’était conté…

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dans le livre édité par l’ASD à l’ouverture de la ligne.


Gros plan sur l’en-tête de l’action de 1911. Au centre : le village et le massif des Diablerets ; dans les médaillons : Aigle et le pont

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r Si l’ASD m’était conté…

Napoléon ; les habitations et les hôtels du Sépey.


et géologiques –, selon un tracé proche de la ligne actuelle. Pendant ce temps, les ingénieurs De Vallière planchent. Ils réalisent d’autres lignes de chemins de fer. Notamment celle du Martigny–Orsières, en partenariat avec la société allemande AEG. En 1909, les De Vallière mettent en contact le comité de l’ASD et AEG. La direction de cette dernière accepte de financer une partie de la ligne.

Seule condition : fournir les éléments électriques des futures automotrices. Le 12 mai 1910, le Grand Conseil octroie un subside pour les travaux de construction. Les communes concernées accordent également leur soutien au projet. L’avenir économique de l’ASD s’en trouve assuré. Ainsi, le 24 décembre, on s’apprête à célébrer la naissance de Jésus – bien sûr ! –, mais pas seulement. Les promoteurs du rail

Si l’ASD m’était conté…

qui souhaitaient relier la plaine aiglonne et la montagne ormonanche voient leur rêve s’exaucer : tout en se souhaitant un joyeux Noël, ils forment l’assemblée constitutive de la société du chemin de fer Aigle–Sépey– Diablerets.

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De la construction à l’ouverture de la ligne

Rapprocher « là-bas » d’ici… Brume et pluie se sont donné rendez-vous en ce 6 juillet 1914. Ces deux fautrices de trouble ternissent une journée que les amis de l’ASD auraient souhaitée radieuse. Pour eux, comme pour une grande partie de la population locale, cette date n’en est pas moins importante : celle de l’inauguration officielle de la ligne entière reliant Aigle aux Diablerets !

Mais avant cela, le 11 juin 1911, a démarré un vaste chantier. La ligne comprend six lots auxquels s’ajoutent les deux grands viaducs du Vanel et des Planches. A compter encore, les divers bâtiments des gares et les dépôts nécessaires à l’exploitation. Tant de gros œuvre exige des bras. Huit à neuf cents ouvriers répartis le long de la future ligne. Ces hommes logent sur place, dans de piteux baraquements provisoires.

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r Si l’ASD m’était conté…


Page de gauche : action au porteur de 1911. Percement d’un des tunnels de l’ASD avec les moyens d’alors…

Ci-contre : dynamitage de la roche nécessaire pour permettre le passage des voies à flanc de montagne.

Ci-dessus : finalisation à la main du travail à l’entrée du tunnel de Plambuit.

Grâce à leur acharnement durant la bonne saison, le tracé de l’ASD prend bientôt forme. En plus de poser des rails, ils bâtissent 250 ouvrages d’art (murs de soutènement, tunnels, ponts et viaducs) pour 24 kilomètres de ligne… Le viaduc du Vanel demeurera l’un de leurs motifs de fierté. On les comprend : dominant de près de cent mètres une gorge impressionnante, ce chantier s’avère des

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plus audacieux. Pour l’exécuter, ils ont installé un téléphérique traversant le ravin. Une nacelle transporte ouvriers et matériaux nécessaires à l’ouvrage. Suspendue à un fil d’acier, elle emporte les courageux au-dessus du gouffre. Le viaduc terminé, ils démonteront l’échafaudage de cet ouvrage pour le rebâtir aux Planches, afin de réutiliser cette infrastructure. Décision logique,

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Ci-dessus : fabrication de l’échafaudage nécessaire à la construction du pont du Dard.

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Page suivante : hommes en action sur différentes étapes de création de quelques-uns des

250 ouvrages d’art que compte la ligne de l’ASD…


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Ci-dessus : sur la passerelle d’accès construite par les vaillants ouvriers, les maîtres d’œuvre contemplent l’avancée du chantier. Ci-contre : entre Verchiez et Plambuit.

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r Si l’ASD m’était conté…


Ci-dessus : en amont de Plambuit. Ci-contre : sortie amont du tunnel de la Joux-au-Crat.

car l’ouverture de l’arche centrale du pont en béton correspond à celle du Vanel. De leur côté, les gares du Sépey et des Diablerets sortent de terre. Elles ressemblent à s’y méprendre à celles de la ligne Martigny–Orsières, dessinées par les mêmes architectes ! Quant à la pose de la voie, elle avance grâce à la locomotive à vapeur 1002, un vaillant petit véhicule. Vaillant, car il a

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Ci-contre : culée du pont des Planches (rive gauche), durant sa construction.

Ci-dessus : forge provisoire, établie sur l’assiette de la future ligne.

connu plusieurs vies : sur la ligne du Brunig tout d’abord, en service régulier. Puis, comme machine de chantier lors de la construction du Monthey–Champéry–Morgins, compagnie qui l’a achetée d’occasion en 1908. Et la voici maintenant qui déploie sa puissance sur le chantier de l’ASD. A l’aide de cet engin loué, la ligne atteint Les Planches en décembre 1912. Grâce à

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r Si l’ASD m’était conté…

lui toujours, le train officiel de reconnaissance qui circule entre Aigle et Le Sépey en août 1913 conduit à destination les officiels de Berne qui vérifient la conformité de la réalisation. Dès lors, tout s’accélère. Le Département fédéral des chemins de fer approuve les travaux. Le 22 décembre 1913, la ligne s’ouvre donc au trafic jusqu’au Sépey.


Cela dit, les membres de la Société du chemin de fer Aigle–Sépey–Diablerets savent ne pas être au bout de leurs peines. C’est pourquoi ils fêtent ce mi-tronçon de façon modeste. Ils invitent néanmoins à un repas amical les constructeurs, les promoteurs et les personnalités locales liées à ce grand projet. Puis, dès la fonte des neiges, au printemps suivant, ils relancent les travaux de

Entre Plambuit et Verchiez.

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L’échafaudage du pont du Vanel a été réutilisé pour construire celui des Planches dont la voûte présente les mêmes dimensions :

un moyen simple, mais futé, de rationaliser les travaux et de réaliser des économies.

plus belle. Dernier effort : terminer les opérations entre Le Sépey, Vers-l’Eglise et les Diablerets. Le plus dur est fait. Le dénivelé n’est que de 212 mètres, autant dire que le chantier se déroule à plat comparé aux 539 mètres de pente qu’il a fallu gravir entre Aigle et le Sépey… Arrive alors ce 6 juillet tant attendu, mais que gâcheront une météo peu complaisante

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et une situation internationale inquiétante. L’événement n’en attire pas moins trois cents invités. Des trains spéciaux, décorés pour l’occasion, les conduisent aux Diablerets où fanfares et discours précèdent un banquet offert dans les salles du somptueux Grand-Hôtel. Le lendemain, les automotrices neuves de l’ASD, à la belle livrée rouge-grenat,

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Si l’ASD m’était conté…

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Pages 82-83 : en mai 1914, une petite locomotive à vapeur pousse un train de chantier, sur le dernier tronçon de voie, aux Diablerets.

Ci-dessus : train d’essai, affrété pour les experts du Département fédéral des transports lors de la vérification de la conformité de

la ligne avant sa mise en service. Page de droite : composition « grenat » des débuts au départ d’Exergillod.

transportent leurs premiers voyageurs. Médusés par le paysage qui s’offre à eux et par l’impressionnante vitesse de 25 kilomètres à l’heure qu’atteint l’ASD, ceux-ci découvrent Les Diablerets, ce coin de pays reculé, presque inaccessible jusqu’alors, et que, d’un seul coup, le train rend si proche…

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r Si l’ASD m’était conté…


De l’inauguration à la Seconde Guerre mondiale

Après la pluie… la pluie ! Cinq allers-retours quotidiens entre plaine et montagne. Un matériel roulant tout neuf. Cinq grandes automotrices à bogies et autant de petites remorques à deux essieux pour les voyageurs. Plus une quinzaine de wagons de divers types pour les marchandises. Autant le dire, dès son premier jour d’exploitation, le 7 juillet 1914, l’ASD est paré. Et pourtant…

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Page 88 : affiche vantant la compagnie au moyen de l’ultramoderne pont des Planches et du très romantique château d’Aigle.

Page 91 : ombre chinoise sur le pont du hameau de Verchiez : une composition grise et beige au tout début de l’exploitation.

Ci-dessus à gauche : gouache réalisée par le peintre aiglon Frédéric Rouge à l’occasion de la mise en service de l’ASD en 1914.

Ci-dessus à droite : la gare et le petit village de Vers-l’Eglise colorisés à la main pour attirer le client vers la pureté des cimes.

La direction de la compagnie fait preuve d’un incontestable dynamisme commercial. Elle veut assurer le succès de sa ligne. D’où la vaste campagne de publicité qu’elle lance d’emblée. Pour elle, des éditeurs de cartes postales impriment des séries de vues. L’ASD y apparaît sous son meilleur jour : des rames tantôt évoluant au milieu du vignoble, tantôt entourées d’un écrin de montagnes, tantôt

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Ci-contre : toujours à l’aide de pinceau, le pont des Planches, près du Sépey, apparaît dans toute sa majesté…

saisies sur l’impressionnant viaduc du Vanel. De son côté, le peintre aiglon Frédéric Rouge réalise une gouache publicitaire qui servira d’affiche et ornera la couverture, en couleurs, de l’horaire 1914. Pour couronner le tout, l’ASD remporte une mention honorable à l’Exposition nationale de Berne, ce qui participe à la bonne image de l’entreprise. Très vite, les premières semaines affichent des résultats encourageants. L’ASD


Diplôme officiel décerné à la compagnie Aigle–Sépey–Diablerets-Aigle (sic) l’année même de sa mise en service.

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Un auteur inconnu a écrit : « pour devenir millionnaire en transportant des voyageurs, il faut être milliardaire ». Les

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premiers actionnaires de l’ASD lui donneraient sans doute raison. En effet, les innombrables efforts promotionnels consentis tels que


ces nombreux modèles de cartes postales n’ont pas pour autant convoqué dame Fortune !

A la fin des années cinquante, l’ASD, ici à Vers-l’Eglise inspire toujours les éditeurs de cartes postales…

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Le Messager des Alpes du 14 juillet 1914 célèbre avec l’emphase d’alors l’achèvement de l’ASD : « en regardant, confortablement

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installés dans les voitures, les abîmes dominés par la ligne, les précipices longés par la voie, les ponts enjambant d’une rive

à l’autre torrent et rivière à des hauteurs vertigineuses, on songe involontairement à la dose de hardiesse qu’il a fallu aux ingénieurs,


au mépris du danger dont ont fait merveilleuse. » Ces deux photos preuve les ouvriers pour arriver d’époque illustrent « l’œuvre » en à mener à bonne fin tous les question. détails de cette œuvre vraiment

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attire les voyageurs. De plus, il se révèle parfait pour convoyer les marchandises vers la plaine. Déjà, les actionnaires se frottent les mains. Ils imaginent les dividendes que leur réservera la fin de cet exercice initial. Mais le déclenchement de la Première Guerre mondiale, le 3 août, ruine ces beaux espoirs. Du jour au lendemain, le trafic touristique cesse. Le choc est brutal.

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Ci-dessus : passage d’un train mixte voyageurs-marchandises sous Vers-l’Eglise, dans les premières années de la ligne.

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Page de droite : en provenance des Diablerets, un train mixte… traverse la Grande Eau avant de marquer l’arrêt à Vers-l’Eglise.


Ci-contre : à la sortie des Diablerets, le chasse-neige vient de passer en cet hiver rigoureux du début du XXe siècle.

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Ci-dessus : gare du Sépey en hiver signé Eugène Pichard, publié par l’ASD pour vanter les mérites de dans les années trente. la région. A droite, en haut : Les Ormonts, guide du début du XXe siècle,

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A droite, en bas : couverture du premier rapport annuel. Les débuts d’exploitation jusqu’aux Diablerets laissaient entrevoir un

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été prospère, les recettes de juillet se montant à 27 479.65 francs. Mais la déclaration de guerre mettra fin à ces espérances.


Ici comme partout ailleurs, la vie ralentit. L’armée mobilise une bonne partie du personnel. L’horaire des trains est réduit afin de ne faire rouler qu’une seule automotrice à la fois. Pour ne rien arranger, un très violent coup de fœhn s’abat sur la région le 30 octobre. Il déracine des milliers d’arbres. Et il détruit la remise de l’ASD aux Diablerets. Comme le veut la chanson, la direction de

Wagons de marchandises sur le point d’être chargés, en gare du Sépey, des grands bois abattus par le coup de fœhn de 1914.

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Ci-contre, en haut : la gare des Diablerets durant la guerre de 14-18. A l’avant-plan, l’ancienne poste démolie en 1970.

l’ASD reconstruit ce bâtiment « plus beau qu’avant », et surtout plus grand, afin de pouvoir y garer deux automotrices au lieu d’une. Malgré ces temps de malheur, voilà que se manifeste une petite lueur positive. Jusqu’en 1920, l’ASD va transporter vers Aigle des milliers de tonnes de bois, fruit de la ravageuse tempête de 1914. Les automotrices s’arrêtent régulièrement en différents

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points de la ligne pour charger cette source de revenu inespérée sur des wagons plats attelés aux trains de voyageurs. La fin des hostilités signe le rétablissement des cinq allers-retours quotidiens de l’ASD. Les finances restent néanmoins précaires durant les années suivantes. En effet, le nombre de voyageurs demeure modeste, sauf en été. Et la concurrence routière pointe le bout du nez. Déjà les camions

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s’emparent d’une partie du trafic des marchandises de la vallée… Dans ces conditions, la direction de la compagnie limite ses investissements à l’entretien courant des installations ferroviaires et à quelques améliorations ponctuelles. Le tournant des années trente semble prometteur. Surgissent les sports d’hiver. Cette mode pour le mouvement en plein air profite à la santé. Tout laisse croire qu’elle


améliorera également les finances de l’ASD. On s’y prépare. On s’en réjouit. Mais survient alors la crise économique mondiale… Et le premier déficit d’exploitation de l’ASD, en 1932. Dès lors, la compagnie doit à nouveau économiser. Elle se permet tout de même quelques investissements. Entre autres pour proposer un service de livraisons à domicile qui durera près de trente ans. En 1937, elle

Page 100, en bas : « On est peu de chose… » ou les restes de la première remise des Diablerets après le coup de fœhn de l’automne 1914.

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Ci-dessus : durant l’entre-deuxguerres, skieurs et patineurs profitent des nouveaux équipements sportifs des Diablerets.


Ci-dessus, à gauche : en 1954, l’ASD acquiert un car Saurer diesel de 1937 pour assurer la liaison Le Sépey–La Forclaz. Dix ans plus

tard, un Berna, plus moderne, remplacera ce véhicule. Ci-dessus, à droite : fascicule publicitaire ASD bilingue au

assure le service de la Poste entre Le Sépey et La Forclaz. Tant bien que mal, elle poursuit son activité. A ces difficultés économiques s’ajoutent les mauvaises surprises que la nature réserve au rail. Chutes de neige, avalanches et tempêtes se suivent. D’où les innombrables et incessants problèmes d’exploitation que connaît cette ligne de montagne bien peu gâtée.

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design typique des années quarante. Page suivante : affiche de la station des Diablerets décidément

convertie aux sports d’hiver, avec son massif et son train devant un skieur – qui sait ? – admiratif…

Mais il y a pire que les soucis de l’ASD. Le 2 septembre 1939, l’histoire se répète : l’Europe entre en guerre. Mobilisation générale. Restriction de carburant. D’où un arrêt presque complet du trafic routier. L’ASD devient l’unique lien entre la plaine du Rhône et les Ormonts. Le nombre d’usagers monte en flèche. Ils seront plus de cent mille à emprunter l’ASD en 1941. Un record. « A tout malheur quelque chose est

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bon », dit le proverbe. Cette triste page de la marche du monde se révèle bénéfique pour la ligne. Certes, un scénario plus gai aurait pu valoir ce succès momentané du rail. Mais une petite compagnie ferroviaire locale n’a pas les moyens d’écrire la grande Histoire…


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De l’incendie du dépôt (1940) à la fin du trafic marchandises (1964)

De rouge à gris et beige… Une nuit noire enveloppe Aigle en cette douce et calme soirée du 26 juin 1940. L’automotrice 12 a déjà rejoint sa remise, en gare des Diablerets. La 3 achemine le dernier train en direction de la plaine. Soudain, au détour d’un virage, une immense lueur embrase le ciel et éblouit le conducteur…

La fournaise de l’incendie du dépôt de l’ASD, à Aigle, survenu dans la nuit du 26 juin 1940…

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Celui-ci n’en croit pas ses yeux : en contrebas, il fait presque clair comme en plein jour. Telles des milliers de lucioles rougeoyantes, des braises volettent devant la vitre de sa cabine. Une forte odeur de brûlé sature l’air et pique la gorge. Il pense vivre un cauchemar. Mais non : très vite, il comprend qu’un incendie ravage bel et bien le dépôt-atelier en bois, situé au Martinet, à Aigle. Son sang se fige. Des flammes hautes

Les restes calcinés du dépôt, parmi lesquels des automotrices qui, une fois réparées, reprendront du service.

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comme des sapins réduisent en cendres les automotrices 1, 2 et 11, de même que quatre des cinq petites voitures stationnées dans le bâtiment. L’homme éprouve un choc. Peu après, la nouvelle anéantit les membres de la direction car tout ce matériel est assuré en dessous de sa valeur réelle… Le lendemain, un accablement frappe le reste du personnel. Lorsque la presse relate l’événement, la

Du côté des Planches, en janvier 1987 l’automotrice 3 et son petit wagon couvert s’acheminent vers les Diablerets.

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stupeur gagne les actionnaires et les riverains de l’ASD. Ce d’autant plus que, depuis quelques années, la ligne se révèle de plus en plus indispensable à l’économie de la vallée et aux besoins de mobilité de ses habitants. Dans les esprits, l’incident prend des allures de drame. Car l’incendie – d’origine accidentelle – a diminué le matériel roulant de l’ASD des deux tiers. Il remet en cause la survie même d’une ligne de chemin de fer qui


aurait volontiers esquivé pareille épreuve… Quoi qu’il en soit, cet été-là, l’ASD doit assurer les six allers-retours journaliers prévus à l’horaire. Les deux automotrices restantes remorquent des voitures heureusement prêtées par le MOB et les CEV. Malgré ce coup du sort, la direction de l’ASD décide sans délai de garder la ligne vivante. Ainsi que de reconstruire dépôt et véhicules. Pourtant, les sommes reçues

Premières neiges pour cette composition « flambant neuve », c’est le cas de le dire, puisque rescapée de l’incendie du dépôt

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d’Aigle et remise en état, à défaut de mieux.


Ci-dessus : dans les courbes de Sans-Souci, couleurs nouvelles, couleurs anciennes, traduisent l’avant-après de l’incendie du

dépôt de l’ASD qui faillit mettre en péril l’avenir même de la compagnie…

des assurances ne suffisent pas à acheter du matériel neuf. Dès lors, on recourt aux moyens du bord. Ceux-ci empestent l’odeur âcre du feu destructeur puisqu’il s’agit d’extraire des décombres les châssis des véhicules incendiés. Cette solution de fortune exigera de fortes doses d’huile de coude mêlées de bonne volonté. Une fois nettoyées, les ruines partiront à Schlieren pour remise en état et adjonction de nouvelles caisses.

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Page de droite : d’ordinaire, c’est bien connu, les vaches regardent passer les trains. Aux Ormonts, les chats font de même !

Cela fait, l’entreprise BBC, à Baden, se chargera de la réfection de la partie électrique. Ainsi, quatre remorques et deux automotrices « reviennent à la vie ». Les voies de l’ASD les retrouvent en service régulier en 1941. Pour l’occasion, les rames arborent la jolie livrée grise et beige qu’elles conserveront longtemps. Des couleurs calmes et posées. Peut-être pour conjurer le mauvais sort et le souvenir du feu que rappelait trop

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le rouge d’origine ? Par souci d’économie, la rénovation de la troisième automotrice attendra son traitement réparateur jusqu’en 1948. Celles ayant échappé aux flammes seront rénovées de 1942 à 1949. Ce sauvetage constitue un véritable tour de force. On le doit aux collaborateurs de l’époque, bien sûr. Mais aussi au geste généreux des actionnaires de 1914. Ceux-ci, en décembre 1944, ont accepté d’abandonner


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Page de gauche : échange de propos à Vers-l’Eglise, le temps d’un « changement d’aiguille », comme disent les professionnels.

Ci-dessus : par un froid soleil hivernal aux Planches. La 12 franchit le viaduc high-tech (armature métallique couverte de béton).

50 % de leur capital-actions. Et leurs intérêts. Louable effort, hélas insuffisant : les pouvoirs publics doivent encore accorder des subsides à la compagnie pour qu’elle puisse achever de rénover son matériel et moderniser sa ligne aérienne. Le temps des économies continue donc pour l’ASD et les autres lignes chablaisiennes. C’est pourquoi, de novembre 1940 à septembre 1945, les compagnies MCM,

AL et ASD décident de gérer leurs lignes en commun. A la fin de la guerre, le MCM et l’AOM s’unissent pour former l’AOMC et une nouvelle direction regroupe les lignes de Leysin et des Diablerets. Malgré cette rationalisation, les difficultés financières persistent durant les années cinquante. Aussi, l’ASD doit, à nouveau, solliciter l’Etat de Vaud, les communes et la Confédération pour compenser son déficit d’exploitation.

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Ci-contre : photo officielle du constructeur Brown, Boveri & Cie d’une rame rénovée en 1941, après l’incendie.

Ces aides et la reprise du trafic touristique le remettent à flot. La direction décide alors d’investir dans les installations fixes. On démarre le renouvellement de la voie. Un bienfait pour le matériel roulant et pour les voyageurs car le temps de parcours s’en trouve raccourci. On rénove la gare de Versl’Eglise. Dans la foulée, la direction acquiert pour 25 000 francs d’actions dans la société du téléphérique reliant Les Diablerets au

Ci-dessus : deux affiches ASD de 1946 et 1947. Sur celle de droite, le diablotin est en fait rien de moins que le dieu Pan et sa flûte !

plateau d’Isenau. Puis, en 1956, elle opte pour une tension électrique de 1500 volts en lieu et place des 1350 utilisés jusqu’alors. Ce choix judicieux autorise, pour certaines courses, l’usage d’automotrices en double traction. En 1958, la loi fédérale sur les chemins de fer entre en vigueur. Voilà qui bénéficie aux lignes victimes de problèmes économiques, mais dont le maintien se justifie en tant que service public. Grand bol d’oxygène pour

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Matériel publicitaire du milieu des années cinquante où l’ASD est associé au télésiège d’Isenau, « l’unique des Alpes vaudoises » !

l’ASD ! Cette loi tombe d’autant mieux qu’au début des années soixante, le trafic des marchandises passe peu à peu du rail à la route… Les ravages de l’ouragan qui, deux ans plus tôt, a déferlé dans la région, valent, en 1964, le dernier gros chiffre d’affaires du secteur marchandises. L’ASD convoie en plaine 11 000 tonnes de bois. Après quoi, adieu, trafic marchandises…

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Page suivante : autre affiche de l’ASD sur laquelle Pan prend ses aises !

Par chance, la fréquentation de la ligne vit une forte hausse. Si bien que la direction peut envisager d’acheter de nouvelles automotrices. Mais la réalité économique exigera tout de même un quart de siècle de patience pour que l’ASD en voie la couleur ! Comme si, pour ce chemin de fer, rien ne pouvait être simple et sans effort…

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Des menaces de suppression (1964) à la cure de jouvence (1987)

Le train qui ne voulait pas mourir…

Petit saut dans le temps. Hiver 1984. Une dizaine d’avalanches déboulent sur les Ormonts. Images impressionnantes au journal télévisé : près des Diablerets, des langues de neige hautes comme des immeubles recouvrent la route. Ces milliers de tonnes de poudre blanche privent la vallée de sa connexion avec la plaine. L’hélicoptère s’avère précieux pour le transport des vivres et du matériel. Mais le sauveur, pour la population, c’est le train : lui seul maintient la liaison avec « le reste du monde ».

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Les forces ravageuses de la nature ont le mérite de démontrer le rôle indispensable de l’ASD. Jusque-là, depuis les années soixante, canton de Vaud et Confédération n’avaient qu’une idée en tête : troquer le rail en faveur du bus. Mais près de vingt ans de pression dans ce sens n’auront pas suffi à faire capituler les défenseurs de l’ASD. Et pour cause, ceux-ci sont presque comparables aux

irréductibles Gaulois qui peuplent les aventures d’Astérix et Obélix ! Voyez plutôt… Retour en arrière. Sept juillet 1964. Cinquante ans jour pour jour après l’ouverture de l’ASD. Les actionnaires fêtent, aux Diablerets, ce demi-siècle d’existence. Peu avant, ils ont participé au financement de la construction de la télécabine qui conduit au glacier. Ils empruntent donc ce moyen de transport qui vient d’être inauguré pour

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Page précédente : pâle reflet de la sinistre réalité induite par la dizaine d’avalanches de l’hiver 1984, lesquelles ont emporté

13 chalets… Coupés du monde, de la véritable utilité de ce train les Ormonts ne furent reliés à la menacé… plaine que par l’ASD, situation qui aida à faire prendre conscience

poursuivre leur célébration à 3 000 mètres d’altitude. Ambiance bon enfant, mais fête modeste. Chacun sait, en effet, que l’ASD manque de fonds. Chacun connaît aussi l’état du matériel roulant de la ligne : ancien et démodé, malgré son excellent état d’entretien. Il faudrait de l’argent, beaucoup d’argent pour offrir à la clientèle un temps de parcours réduit et des véhicules modernes. Or la demande de la direction émise

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Ci-dessus, à gauche : sur la courbe de Verchiez, une rame de l’Aigle–Leysin se rend aux Diablerets en octobre 2010.

dans ce sens à Berne n’a pas encore reçu de réponse. Et pour cause : la Confédération, sans dire quoi que ce soit à quiconque, a lancé une étude destinée à estimer si un bus ne remplacerait pas avantageusement le train… Ce sera là le début d’une longue série de remises en cause de l’existence du « train qui ne voulait pas mourir » comme le qualifieront ses ardents défenseurs. Des ombres planent sur l’avenir de la ligne. Néanmoins,

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Ci-dessus, à droite : vue typique de l’époque de la voiture reine : marée automobile au col des Mosses…

on établit une jonction en gare d’Aigle en 1965 afin de réunir les réseaux AL et ASD. Grâce à cela, les deux nouvelles compositions, automotrices et les voitures-pilotes, acquises l’année même par l’AL, peuvent circuler jusqu’aux Diablerets. Une aubaine pour l’ASD toujours en mal de matériel roulant neuf. En 1966, la commission Anghern étudie la modernisation du réseau. Mais cinq


Ci-contre : train mixte, typique des années soixante, au départ de Vers-l’Eglise.

ans plus tard, elle n’a pas encore rendu ses conclusions… Alors, fatiguée d’attendre, la direction de l’ASD crée son propre groupe d’étude. Finalement, celui-ci doit décider du maintien du rail ou de son remplacement par un service routier. Entre-temps, et malgré les menaces qui pèsent encore sur la ligne, automotrices et voitures – maintenant sexagénaires… – continuent de bénéficier d’un entretien

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« L’ASD risque de se retrouver “pomme avec le bour !”», peut-on lire au dos de ce pamphlet du début du XXIe siècle, publiée par

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le SEV, le syndicat du personnel des transports. Le texte évoque encore « le ver dans la pomme au Conseil fédéral » et les


« Guillaume Tell de pacotille » qui prennent l’ASD en ligne de mire. Pour la défense du train, le tract rappelle que l’ASD roule pour les

parfait. Et l’ASD complète son horaire par des courses supplémentaires. A cette époque, les difficultés financières ne touchent – hélas ! – pas que l’ASD. Les autres chemins de fer privés du Chablais en font aussi la cruelle expérience. Ce qui pousse les administrations des réseaux AL, ASD et BVB à fonder, en janvier 1975, la communauté d’exploitation des Transports Publics du Chablais. En juin de l’année

écoliers, la Poste, les touristes, les familles, les amis de l’homme (les animaux), ainsi que les clientèles jeunes et moins jeunes.

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suivante, l’AOMC rejoint cette structure. Celle-ci favorise une exploitation plus économique des quatre lignes. Cette administration groupée permet aussi l’échange de personnel et de matériel roulant en fonction des besoins. Un réel progrès. Ce rapprochement est d’autant bienvenu que, en septembre 1976, les fruits du rapport Anghern tombent enfin… Coriaces et amers, ils s’avalent avec peine. Après

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dix ans de réflexion, la décision de l’Office fédéral des transports est claire : fermeture pure et simple des lignes NStCM, ASD et AOMC, un service routier devant assurer leur remplacement. Vu de Berne, cela ne fait pas un pli. Vu du « village gaulois », en revanche, la nouvelle resserre les rangs et incite tout une partie de la population à relever ses manches… Se constitue alors un comité de défense des


Page de gauche : depuis le poste de commande d’une des automotrices des années huitante, l’arrivée à Aigle.

Ci-dessus : l’emblématique TransOrmonan dans les non moins fameuses courbes de SansSouci, entre Aigle et Verchiez.

Pages 124-125 : peu avant les Diablerets, où le tracé de la ligne s’assagit, deux générations d’automotrices aux livrées distinctes.

trois lignes vaudoises menacées. Présidé par Pierre Mayor, préfet d’Aigle, ce mouvement de fronde envoie une délégation à Berne. Objectif : plaider la cause des chemins de fer devant les représentants du Conseil des Etats et du Conseil national. Début d’une longue série de parties de ping-pong et de bras de fer… Par chance, les autorités cantonales finissent par se déclarer favorables au chemin de fer. Et le Grand Conseil d’octroyer,

Si l’ASD m’était conté…

en 1981, une aide financière composée des parts des communes et de l’Etat de Vaud. Nouveau rebondissement en 1982. Le Département fédéral des transports décide d’accorder des crédits pour moderniser les lignes AOMC et NStCM ! Hélas, les fonds réservés à l’ASD restent conditionnés au remplacement des trains par un service routier ! Finalement, aucun bus ne roulera en lieu et place de l’ASD. De ce fait, la compagnie

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ne touchera jamais un sou de cette manne annoncée… Entre-temps, les automotrices 1 et 3 arborent une nouvelle livrée. Orange cette foisci. Comme si la colère qui anime les partisans du rail avait fait virer les teintes calmes précédentes… La 2 est peinte en rouge et crème. Comme si l’on voulait, à défaut de nouveau matériel roulant, apporter une touche de modernité à ces machines âgées de 70 ans…

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Les avalanches de 1984, on l’a vu, provoquent une prise de conscience salutaire : l’ASD est nécessaire. Ainsi, contre toute attente, en septembre 1985, le Conseil fédéral reconduit la concession de cette ligne pour cinquante ans, soit jusqu’en 2035. Dès lors, avec l’appui du canton de Vaud, les six communes traversées par la ligne se mobilisent. Elles comptent tout faire pour assurer le maintien de « leur » train. Ensemble, elles

réalisent une grande première suisse : financer la modernisation d’un chemin de fer de montagne sans l’aide de la Confédération. Grâce à ces défenseurs, les Ateliers de construction mécanique de Vevey reçoivent la commande de quatre nouvelles automotrices. Et BBC, à Baden, se voit chargé de l’équipement électrique. De plus, l’ASD achète au Birsigtalbahn, en région bâloise, trois puis quatre voitures pilotes d’occasion

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pour renforcer son parc. Enfin, le 29 juin 1987, après 73 ans de bons et loyaux services, les automotrices d’origine cèdent leur place en tête des trains réguliers à leurs quatre nouvelles petites sœurs. Elles ont pour noms 401, 402, 403 et 404. Comme les princesses dans les contes de fées, elles portent des robes scintillantes bleu et crème… Elles semblent nées sous une bonne étoile. Et c’est tant mieux car l’ASD en aura bien besoin…

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Du 75e anniversaire de l’ASD (1989) à la reprise des subventions (1999)

La population à la rescousse de l’ASD

La vie de l’ASD, on l’a vu, est tout sauf un long fleuve tranquille. Mais qui pouvait se douter qu’un jour, la population en viendrait à sauver cette compagnie ?

Certainement pas les invités réunis pour célébrer son 75e anniversaire, en septembre 1989. Trains spéciaux, exposition, ambiance et cotillons sont de la partie. Pour l’occasion, la direction a invité 650 élèves des écoles de tous les coins du pays (elle espère ainsi conquérir, alors qu’ils sont encore jeunes, de futurs usagers du rail…). Depuis juillet 1987, la compagnie propose 13 allers-retours quotidiens entre

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Aigle et Les Diablerets. Un réel progrès. Ainsi, du matin au soir, des compositions bleu et crème serpentent dans les forêts des Ormonts. Les anciennes automotrices 1 et 2 demeurent en état de marche pour les trains de service et le chasse-neige. Les 3 et 12 rejoignent le Chemin de fer de la Mure (au sud de Grenoble). En revanche, la 11, restée presque dans son état d’origine, finit ses jours, en 1989, démolie au dépôt de l’ASD.

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La ligne fait l’objet d’importants travaux. En particulier une révision complète du pont du Vanel. Coûteux investissement. Même si cette modernisation tant attendue augmente la fréquentation de l’ASD – on franchit alors le seuil des 200 000 voyageurs –, le déficit augmente. Le Grand Conseil doit, une fois encore, mettre la main à la poche… Malgré tous ces efforts, l’histoire de l’ASD continue à s’écrire avec une encre

r Si l’ASD m’était conté…

quelque peu acide. Jours noirs dans les annales de la compagnie que ceux de 1990. Eh oui, les finances sont au plus bas. La Confédération n’aide toujours pas ce chemin de fer qui compte parmi ses mal-aimés. Et, en dépit d’une infrastructure quasi neuve, voici que resurgit la vieille idée de remplacer le rail par la route… Pire, les communes riveraines et le canton de Vaud baissent les bras. La survie de l’ASD ne tenait déjà qu’à


Page 126 : autocollant du Comité Nouvel ASD. C’est une des nombreuses actions de communication destinées à inciter les gens

à se mobiliser pour la survie de « leur » ASD. Page 127 : une montgolfière et une rame de l’Aigle–Leysin font

bon ménage en gare du Sépey lors des 75 ans de l’ASD. Page de gauche : faute de nouveau matériel, l’automotrice 3

est toujours en service régulier dans les années huitante… Ici à l’attente du signal de départ devant l’ancienne gare du Sépey.

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Ci-dessus : ce n’est ni la Tour Eiffel ni le viaduc de Garabit, mais bien l’impressionnante structure métallique du pont du Vanel !


Autres archives datant des années de lutte du Comité Nouvel ASD : un bon « d’achat de rail » et une plaquette de sponsoring.

Page de droite : des bénévoles du Fornerod, Daniel Monti et Marcel comité Nouvel ASD s’activent à Rittener. l’avènement du TransOrmonan. De gauche à droite : Michel

un fi l. Et voici qu’un coup de ciseau définitif pourrait bien tout réduire à néant… Jusque-là, six communes (Yvorne, Ollon, Aigle, Leysin, Ormont-Dessous et OrmontDessus) assumaient la moitié du déficit de l’ASD. Or, leurs syndics respectifs annoncent leur refus de continuer à bourse délier… De son côté, le politicien Pierre Aguet (dont l’épouse est née à la Forclaz) entend

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faire ce qu’il peut à Berne. « Déçu que la Confédération refuse de financer cette ligne, je décide de lâcher une intervention parlementaire au Conseil national. C’était un peu naïf au vu de la minceur de notre argumentaire : les statistiques de l’ASD montent (à peine 305 voyageurs de plus que l’année précédente !). Néanmoins, nous réunissons une cinquantaine de signatures


Ci contre, en bas : Marc-Henri André, un des bénévoles, en plein « grattage » du futur TransOrmonan…

Ci-dessus : Jean-Claude « Jonquille » Jolien (debout sur l’échelle). Derrière eux, une automotrice des Centovalli remisée

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entre deux essais sur l’ASD avant sa mise en service.


pour que le Conseil fédéral revienne sur sa décision et subventionne à nouveau la ligne. » Pour leur part, à l’inverse de leurs municipalités, des conseillers communaux favorables à l’ASD utilisent la motion Aguet pour argumenter : « Ce n’est pas le moment de lâcher… ça bouge à Berne ! » Finalement, trois législatifs communaux appuient le maintien du train, les trois autres optent

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pour un passage à la route, jugeant le rail trop onéreux. Parmi les tactiques utilisées par les défenseurs du rail figurent, dès l’année suivante, les actions décisives du Comité Nouvel ASD. Né avec l’assentiment de la direction de la compagnie, ce groupe composé de bénévoles va contribuer, par son dynamisme et ses opérations commerciales, à sauver la ligne.


Page de gauche : transfert de matériel entre le LEB et l’ASD, le temps de quelques semaines. Ici, la « transhumance » du

TransOrmonan dans la région d’Oron. Ci-dessus, à gauche : journée d’inauguration de la nouvelle gare

de Lausanne en 1997. A l’occasion du baptême de la locomotive 460 des CFF Diablerets, le village du même nom était hôte

d’honneur d’où la présence du TransOrmonan… Ci-dessus, à droite : la remorque du TransOrmonan en gare de

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Morges lors d’une manifestation publicitaire dans les halles de marchandises.


Affiches des années huitante vantant les voitures ouvertes et le TransOrmonan.

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Trente ans plus tard, le même TransOrmonan sous l’imposante paroi à la sortie du tunnel de la Joux-au-Crat.

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Le 28 octobre 2008, MétéoSuisse annonce déjà de la neige. Prévoyant, le service d’exploitation de l’ASD envoie

aux Diablerets l’automotrice 1 en livrée TransOrmonan, mais équipée du chasse-neige au cas où… Bien lui en prend car, le

Ses membres (employés des TPC, passionnés de chemin de fer, amis du rail, politiciens et autres convaincus de la raison d’être de ce train) se donnent sans compter. Ils conçoivent des campagnes promotionnelles, distribuent nombre de publicités vantant les mérites de l’ASD, lancent des pétitions. Ils réaménagent les anciennes automotrices 1 et 2 et leurs remorques en un train touristique, le TransOrmonan, dont les premières

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lendemain matin, plus de 50 cm de neige tombent aux Ormonts, mais sans retarder le train !

circulations, en 1992, attirent des milliers de voyageurs ! Vingt-quatre ans plus tard, l’ex-conseiller national déclare : « Cette petite lueur dans la nuit de l’ASD a contribué à maintenir l’effort financier des communes durant les trois ans qu’il a fallu pour que la politique fédérale finisse par soutenir l’ASD au même titre que les autres lignes de montagne ! »

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La voiture-pilote, dénommée Chez Rose en hommage à sa généreuse donatrice, longe le quartier du Cloître à Aigle.

Véritable salon ferroviaire qui plus est équipé d’un bar, Chez Rose a connu un grand succès populaire pendant plus de vingt

En 1993, la direction de l’ASD fait démolir l’ancienne et vétuste gare du Sépey. Un cabanon « provisoire » – mais jusqu’en 2013 tout de même ! – remplace le bâtiment d’origine. De leur côté. les intrépides activistes du Comité Nouvel ASD poursuivent leur œuvre. En 1995, ils transforment deux véhicules provenant du chemin de fer BLT en voitures-salons. La direction nomme cette composition Chez Rose, en guise de

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ans, contribuant ainsi à sauver l’ASD.

Page de droite : photo de propa- dans son état d’origine, dans les gande en faveur de l’ASD mettant vignes de Verchiez. en scène l’automotrice 11, presque

remerciement à Rose Vauthey, l’inconnue qui eut la bonne idée de coucher l’ASD sur son testament ! Les TPC héritent ainsi d’une somme rondelette, 70 000 francs destinés à créer un véhicule particulier. Deux voitures atypiques naissent de ce don et des fonds récoltés par le Comité Nouvel ASD : l’une boisée, l’autre garnie de vitres panoramiques. Chez Rose, avec ses bars et ses divans semi-circulaires, provoque de nombreuses

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locations (mariages, sorties d’entreprises, communions et autres). Très vite, ce véhicule unique révèle tout son potentiel. En effet, à elle seule et pendant près de vingt ans, Chez Rose attirera des dizaines de milliers de voyageurs sur l’ASD… Par ailleurs, l’achat de deux voitures ouvertes auprès de la ligne CFF du Brunig, en 1996, complète le matériel roulant touristique. Bonus : ces véhicules peuvent


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également rouler sur les autres lignes des TPC. Voilà qui ouvre des riches possibilités d’usage. Ces nouveautés séduisent la clientèle. Le succès est au rendez-vous. A tel point qu’en 1997, l’ASD transporte un total sans précédent de 330 000 passagers. Dans le sillage de cette évolution on ne peut plus positive, et des gros efforts financiers consentis aussi bien par l’Etat de Vaud que par les communes concernées, la

Les villages de Vers-l’Eglise et du Sépey ou la vallée des Ormonts dans toute sa splendeur.

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Confédération revient sur sa décision ! Enfin ! Juillet 1999 figure en lettres d’or dans le récit tourmenté des jours de l’ASD, Berne acceptant de le traiter comme les autres chemins de fer secondaires. Dans la foulée, la ferveur ferroviaire de certains renaît de ses cendres : comme au début, des voix reparlent de prolonger la ligne vers le Col du Pillon et l’Oberland bernois.

Annonce d’un avenir radieux ? Assurance d’un avenir tout court, assurément, et c’est déjà beaucoup !

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De l’entrée dans le troisième millénaire (2000) au siècle d’existence de la ligne (2014)

Presque cent ans d’incertitude…

Première année du troisième millénaire. Le ciel est bleu. L’ASD roule. Les soucis financiers relèvent du passé. Trêve bienvenue. Le personnel, de même que la direction des TPC – et de l’ASD en particulier –, l’apprécie, la déguste. Tout semble pour le mieux, quand soudain…

Page précédente : une rame des années huitante passe au point culminant de la ligne, la halte des Bovets.

Contre toute attente, en juin 2004, une déflagration menace cette paix conquise de haute lutte : la Confédération annonce vouloir réduire les subventions accordées aux lignes régionales… Nouveau branle-bas de combat. Tant aux Ormonts qu’en plaine, cheminots, usagers, instances politiques et associations diverses se relaient, une fois de plus, pour défendre « leur » chemin de fer.

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Car, même s’ils ne l’empruntent pas beaucoup, quantité d’Ormonans aiment l’ASD. La menace de disparition de la ligne leur fait déclarer avec un brin de retenue au journal télévisé : « Vous comprenez, ça va plus vite en voiture, mais, notre train… il fait partie du paysage ! » De plus, il constitue un moyen de transport propre, fidèle aux critères du développement durable. Et puis, il possède surtout, selon eux, un

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Page 143 : dessin de Burki traduisant les funestes perspectives auxquelles fait encore face l’ASD dans les années huitante…

Ci-dessus : château, vignoble et train, trois aspects clé d’Aigle. Ci-contre en haut : un locotracteur du NStCM complète le ballast

de l’ASD. En bas : traction d’un wagon plat chargé d’un conteneur à ordures, un nouveau trafic de marchandises pour l’ASD.

indéniable et indéfinissable « supplément d’âme ». En 1976 déjà, un journaliste de la Télévision suisse romande disait dans l’émission Affaire publiques consacrée à l’ASD et au Nyon–Saint-Cergue intitulée Des petits trains qui s’essoufflent ? : « L’aspect affectif et sentimental tient une place quelque peu disproportionnée dans cette affaire et, par conséquent, perd de sa valeur aux yeux des

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spécialistes qu’on peut et doit comprendre. Mais les hommes et les chemins de fer ont toujours fait bon ménage. Les maniaques de l’aiguillage, les obsédés du block système sont légion. On les comprend aussi. N’ontils pas l’impression, quand on leur vole leur chemin de fer, qu’on leur ôte une porte sur le rêve, une façon de qualité de la vie ? » Réaliste, un Ormonan admettait dans le même programme télévisé : « Sentimentalement,

on aimerait bien que ce train reste. Mais contre l’argent, les sentiments comptent peu… » Dans ces conditions, une seule chose à faire pour sauver (encore !) l’ASD : inciter les gens du lieu à prendre le train, et accroître son chiffre d’affaires. C’est ainsi qu’en 2007, le Conseil communal d’Ormont-Dessus fait un geste louable en sa faveur. Il lui confie le transport des ordures

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ménagères vers l’incinérateur de la Satom situé en plaine. De son côté, le Grand Conseil vote un crédit important en faveur des lignes secondaires vaudoises. Et l’année suivante, un essor du nombre de voyageurs ainsi qu’une réjouissante évolution des recettes dessine enfin un futur à long terme pour l’ASD. Dès lors, débutent de nombreux et indispensables travaux de modernisation. Les années de doute quant au maintien de l’ASD

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lui ont valu un entretien minimal. Autant dire qu’en près de vingt ans, ses infrastructures affichent un méchant coup de vieux… Alors, en 2006, on révise sa superstructure. On complète son lifting par des travaux de voie et une réfection de sa ligne aérienne. Par ailleurs, fin 2007, les TPC inaugurent leurs nouvelles installations sur la place de la gare, à Aigle. Une refonte complète offre à leurs trois lignes six voies à quai, parallèles

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à celles des CFF. Une d’entre elles dispose d’une caténaire utilisable en 900 et en 1500 volts. Le matériel roulant de l’AL et de l’ASD peut ainsi se rendre, pour entretien ou révision, au nouveau dépôt-atelier situé En Châlex, le long de la ligne AOMC, à la sortie d’Aigle, vers Ollon. De ce fait, l’ancien dépôt de l’ASD perd sa raison d’être. Qu’à cela ne tienne : il abritera les ateliers et le magasin de pièces du service de la voie des TPC.

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L’ASD sous la neige. A gauche, croisement à l’évitement des Aviolats, à droite, sortie amont du tunnel du Dard.


Durant l’hiver 2008-2009, l’ASD réceptionne une nouvelle et indispensable fraiseuse à neige. Comme le dit un conducteur rompu au déneigement : « Le réchauffement climatique existe peut-être, mais il n’atteint pas Les Aviolats ! » En effet, cette station de la ligne connaît toujours de très rigoureux hivers et de longues périodes de gel… En 2009, les TPC fêtent les dix ans de leur statut de société anonyme. L’occasion

d’un grand relookage. Optimisme oblige, une gamme de tons de verts disposés sur un fond couleur champagne estampille la nouvelle livrée. Très audacieux, le visuel – unique décoration ferroviaire abstraite au monde, selon des spécialistes du rail ! – ne passe pas inaperçu. Ces motifs doux et variés enthousiasment certains : « En toute saison, ils se fondent bien dans le paysage ». D’autres, en revanche, regrettent le bleu et

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le crème : « Ces couleurs sont indissociables de l’ASD ». Pour Gérald Hadorn, archiviste ferroviaire de grande notoriété, « Ne concevoir l’ASD qu’en bleu, c’est oublier que cette ligne a arboré bien d’autres teintes durant sa longue existence… » Une élève de l’Ecole cantonale d’art de Lausanne (Ecal) en passe de recevoir son diplôme de graphiste signe aussi bien la création de la livrée (décoration extérieure)

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des trains et des bus que le nouveau logo des TPC. La Lucernoise Nadja Zimmermann ne connaissait ni les Ormonts ni le Chablais lorsqu’elle a souscrit au concours proposé par l’Ecal. « Pour me familiariser avec les lieux j’ai opté pour des cartes géographiques. J’ai donc remarqué que le territoire couvert par les TPC est une région de plaine et de montagnes. » D’où son idée, pour la nouvelle livrée des TPC, d’illustrer cet aspect

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au moyen des courbes de niveaux et de ces dégradés de verts chers aux géographes. Ainsi, pour les cent ans de la ligne en juillet 2014, du vert – couleur d’espérance – recouvre tout le matériel roulant de l’ASD. A trois exceptions près : les véhicules de la rame historique de 1914, ceux du TransOrmonan et les voitures-salons Chez Rose. Encore actives en tête de convois touristiques et de trains photos pour l’une et


Composition panachée pour la motrice 403 et sa voiture-pilote descendant vers Aigle. Une situation qui, dès la célébration

des cent ans de la ligne ne se rencontrera plus, tout le matériel roulant régulier arborant les nouvelles couleurs vertes.

Page suivante : l’automotrice 402 recouverte de quelques détails d’œuvres de Frédéric Rouge à l’occasion d’une exposition

consacrée au peintre aiglon. Fidèles à leur tradition, les TPC continuent de faire dans le culturel.

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comme pousse chasse-neige pour l’autre, les deux automotrices des premiers jours de la ligne ont bénéficié d’une cure de jouvence. Grâce aux efforts de l’Association ASD 1914, un groupe de passionnés de chemin de fer, un des deux véhicules arbore à nouveau une robe grise et crème de 1942. « Comme cela, explique Louis Etter, président de l’association, les nostalgiques retrouveront les couleurs choisies pour conjurer l’incendie du

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dépôt et pendant la période d’après-guerre, décoration encore présente dans la mémoire des anciens. » Toujours grâce à l’aide financière des membres de l’Association ASD 1914, ces deux automotrices franchissent le cap de leurs cent ans équipées d’un dispositif d’arrêt automatique. Pour bien des amateurs, ces vénérables « vieilles dames du rail » constituent un des clous des festivités de la

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Page de droite : Vers-l’Eglise, son temple à l’acoustique reconnue (théâtre du Festival Musique & Neige) et son train.


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Tout le charme et la poésie d’une ligne de montagne lorsqu’elle arrive au pied du massif des Diablerets…

commémoration. De son côté, la rame Chez Rose retrouve du pimpant grâce à la frise animalière conçue par Derib et à la décoration intérieure imaginée par Patricia et Frédéric Studer. Ainsi, après une histoire des plus tourmentées, après avoir été maintes fois menacé puis sauvé grâce à la ténacité du canton de Vaud, des communes traversées et de ses usagers, le chemin de fer

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Aigle–Sépey–Diablerets parvient à fêter dignement, et avec faste, son 100e anniversaire en juillet 2014 ! Au bénéfice d’une remise à neuf complète (infrastructures, ouvrages d’art, filets de protection antichute de pierres, voie, ligne de contact) entamée en 2006, bientôt entièrement équipée d’un block de ligne assurant une sécurité maximale aux voyageurs, l’ASD est paré pour faire ses

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premiers tours de roue dans son deuxième siècle ! Certes, devoir renouveler son matériel roulant figurera sous peu au programme. Certes, l’exploiter restera toujours onéreux (entretenir 250 ouvrages d’art, prévenir les éboulements et déblayer les chutes de pierre, coûte cher…) Certes, rallier Aigle et Les Diablerets demeurera plus court en voiture qu’en train. Quoi que : en cas de

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glissement de terrain et de disparition de la route en dessous du Sépey (ce que personne ne souhaite mais que tout le monde craint), l’ASD apparaîtrait à nouveau, comme lors des avalanches de 1984, en tant que « sauveur » ! Avouons que, pour un train aussi souvent menacé et au passé aussi houleux, ce serait là une modeste – mais juste ! – compensation !

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Cohabitation pacifique aux Diablerets : deux compositions modernes de l’AL tiennent compagnie à la 2 de l’ASD.


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V

UN ART DE VIVRE FERROVIAIRE Il y a les 260 000 personnes que transporte l’ASD chaque année en service régulier. Et puis tout le reste. Les à-côtés dont cette ligne s’est fait la championne lorsqu’il s’agissait de rester en vie.


Une histoire d’amour et d’images… … « entre l’ASD et moi, et qui a commencé au premier coup d’œil ! », s’amuse Jean Lugrin, ancien architecte devenu photographe et grand adepte de l’ASD.

« Lorsque l’on m’a proposé d’exposer pour la deuxième fois mes photos aux Diablerets, j’ai tout de suite accepté. Mais à condition que ce ne soit pas au même endroit. » Hangar ferroviaire, gare ou wagon à bestiaux, qu’importe, lui auraient très bien convenu. C’est ainsi que les trois wagons K de l’ASD ont accueilli son exposition de 1981. Le temps d’installer des spots et des cimaises – « y compris un très symbolique

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chauffage car l’absence d’isolation faisait de ce matériel roulant un véritable congélateur ! » – et Jean Lugrin pouvait partager ses cueillettes d’images avec la population ravie ! Le livre d’or du photographe, qui vivait alors au Pays-d’Enhaut, comporte de touchants commentaires : « Je vous remercie de vouloir sauver notre train parce que vous n’avez rien à faire dans nos histoires, vous

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qui habitez à Château-d’Œx ! » ou encore «… tout le monde admira les belles photos, et chacun parla de ce petit train qui ne voulait pas disparaître. »


Page de gauche : les wagons K, prévus pour le transport de marchandises ou de bestiaux, transformés en galerie de photo le temps d’accueillir l’exposition de Jean Lugrin en 1981. Ci-contre : une des photos accrochées aux cimaises de l’exposition dans les wagons K : les sièges d’une voiture d’origine de l’ASD, tels que saisis par l’objectif de Jean Lugrin.

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Le petit train du cœur Encore les wagons K. Encore une exposition d’art itinérante. Encore un ASD qui devient le théâtre d’une bonne action… En l’occurrence, il s’agit d’une récolte de fonds en faveur de parents d’enfants leucémiques. La Fondation Janyce compte sur la vente d’œuvres pour aider les familles à assumer les frais (déplacements et autres) non remboursés par les assurances. Grâce à la générosité de plus de cent cinquante artistes d’ici et de loin à la ronde, cette campagne caritative fait un tabac ! Finalement , elle réunira une coquette somme !

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Ce projet a bénéficié d’un véritable effet boule de neige. Au fur et à mesure que les artistes partageaient leur engouement pour le projet, d’autres venaient les rejoindre et offraient des œuvres. « C’était impressionnant, tout comme le travail colossal réalisé par les TPC pour remettre en état, nettoyer, aménager et peindre les cinq véhicules », déclare Christine Fehr, membre de l’antenne ormonanche de la fondation.

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Une fois l’exposition accrochée aux cimaises improvisées des wagons K, la bienveillante caravane s’est déplacée depuis Les Diablerets jusqu’à Champéry. A chaque étape, la population lui a réservé le meilleur des accueils, celui qui a rendu possible le vif succès du Petit train du cœur.


Le train de la sauvegarde animalière Les wagons K ont servi d’écrin ambulant à une louable initiative de la vétérinaire Catherine Tschanen. Baptisés pour l’occasion Petit train Terre & Faune, ces cinq véhicules ont abrité, de juillet à septembre 2002, une exposition d’œuvres d’art destinée à une noble cause.

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Une bonne raison a prévalu à la réunion de mille et une créations (peintures, découpages, photos, sculptures, etc.), toutes liées à la nature : promouvoir les activités de l’association Terre et Faune, éduquer et sensibiliser jeunes et moins jeunes à la conservation des espèces et au respect de la nature. L’opération visait également à favoriser, grâce aux fonds ainsi récoltés, la protection ainsi que la préservation d’espèces

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Ci-contre : les wagons K destinés à l’exposition Terre et Faune, en route pour Les Diablerets. Page 160 : le Petit train du Cœur, arborant la bannière de la Fondation Janyce, lors de l’un de ses déplacements. Ici, juste en dessus des Planches, en descendant du Sépey.

hautement menacées d’extinction. De plus, cette manne permettrait de lutter contre tout commerce illégal d’animaux ou de leurs produits dérivés. « Nous avons immédiatement souscrit à la requête de cette idéaliste qui avait travaillé durant douze ans en tant que vétérinaire sans frontières », explique Claude Oreiller, directeur des TPC. « Bien nous en a pris : les sept étapes du Petit Train Terre

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& Faune (une semaine d’arrêt dans les gares principales des TPC entre Les Diablerets et Champéry) ont connu un grand succès. C’était aussi un moyen supplémentaire de montrer la nécessité de maintenir l’ASD, lequel dépassait ainsi sa simple vocation de transporteur. »

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Les enfants sur les rails de l’Histoire…

Solange Wacker, institutrice aux Diablerets, donnait volontiers cours à bord de la voiture-salon Chez Rose ! Elle emmenait ainsi vingt-quatre enfants en voyage à travers le temps et l’espace. Direction Aigle puis retour, juste de quoi évoquer une page du passé de la région et de la ligne…

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« Pour ce cours extra-muros, nous divisons la classe en huit groupes de trois élèves, se souvient Solange Wacker. Et pour pimenter la leçon, nous en faisons des journalistes, des photographes et des dessinateurs ! Un sacré défi qu’ils relèvent avec enthousiasme. » Grâce à leur guide, André Willy, à la fois passionné de l’histoire de l’ASD et inaltérable promoteur touristique, les gosses en

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Trois dessins des reporters en culottes courtes des Diablerets. Les élèves et les accompagnants près de la voiture-salon.

apprennent beaucoup sur ce train, mais encore sur les lieux traversés. « Notre conteur leur dit que l’ancienne route d’Aigle au Sépey suivait un tracé très dangereux. A tel point que les ouvriers prêts à accepter d’encourir les risques d’éboulements ne couraient pas les rues… Voilà pourquoi les responsables du chantier, entre 1835 et 1840, ont fait travailler des détenus emprisonnés à Aigle… » Les

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enfants n’en reviennent pas et écoutent ce récit, captivés. Une autre anecdote, plus dramatique, les fascine tout autant : au XVIIIe siècle, le hameau d’Exergillod (où l’ASD s’arrête encore aujourd’hui) était prospère. « Normal : il était seulement situé à trois heures de marche d’Aigle ! », s’amuse l’institutrice. L’endroit possédait alors une école, un moulin, une sellerie et un fouloir. Mais

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deux catastrophes troublèrent ses jours paisibles : un incendie puis une ravageuse épidémie de peste. « Ce fut terrible, un seul habitant d’Exergillod survécut à la maladie… » Ensuite vient la mésaventure de Jacob Pernet. En 1798, les Ormonans guerroyaient contre les Français et les Vaudois, ces derniers voulant chasser les Bernois de la région qu’ils occupaient depuis 1536. Les


Le second illustre le récit des « casiers » du hameau de Cergnat. N’ayant pas d’église, les habitants du Sépey se rendaient

autrefois au culte à Cergnat. Dans le grenier du lieu, chacun stockait ses habits du dimanche. Après leur longue marche, les gens du

enfants apprennent alors que les gens des Ormonts appréciaient la présence bernoise pour une bonne raison : depuis l’arrivée des envahisseurs, ils payaient bien moins d’impôts qu’avant ! « Pour que les élèves saisissent bien le climat qui régnait lors de ce conflit, nous leur enseignons que les soldats français se comportaient en pillards. De ce fait, la population civile les craignait. » Jacob Pernet, des Aviolats, était infirme.

Sépey les enfilaient pour assister au culte. Le troisième résume l’avalanche de 1984 et le sandwich que le

qui se produiraient sur le pont conducteur partagea avec un jeune enfant qui criait famine du- d’Aigremont en cas de passage rant l’arrêt prolongé du train… le complet du rail à la route… dernier traduit les embouteillages

Pour assurer sa survie, il devait à tout prix éviter de se retrouver nez à nez avec un guerrier étranger. Jacob se cache dans le four communal. Dans ce trou obscur, il était sûr de pouvoir échapper aux troupes de Napoléon. Hélas, un soldat ouvre le four… Il y découvre le malheureux tremblant de la tête aux pieds, certain que sa dernière heure avait sonné ! Mais le militaire se contente de lui voler ses chaussures !

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Ensuite, il referme l’orifice et s’en va, laissant en vie le pauvre infirme… Autant de récits qui, parmi d’autres, plongent les enfants au cœur de la mémoire locale transmise oralement depuis des siècles. « Ce cours a beau remonter à près de vingt ans, d’anciens élèves m’en parlent encore aujourd’hui », précise cette institutrice atypique qui aimait enseigner dans un train autant qu’en salle de classe !

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Une chanteuse de gospel qu’un trajet dans l’ASD fait littéralement retomber en enfance avant qu’elle n’apparaisse en public lors de sa prestation au Festival Musique & Neige…

L’accord parfait entre art et chemin de fer Le Festival Musique & Neige des Diablerets et Vers-l’Eglise entretient, depuis sa première édition, une étroite relation avec l’ASD. Autant que possible, la direction du festival tente toujours de déplacer en train ses artistes depuis Aigle jusqu’au temple de Vers-l’Eglise où se déroulent les concerts. « Cela contribue à décontracter les artistes et les plonge d’emblée dans l’ambiance de la région », précise Jean Lugrin, président du festival. Il en veut pour preuve l’anecdote vécue par les chanteuses du groupe de negro-spirituals qui devait se produire en 2004. « Le

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personnel de l’exploitation de l’ASD leur réserve une délicate attention : faire monter, à vide, la voiture-salon Chez Rose, depuis Aigle jusqu’aux Diablerets avant de la ramener en plaine pour embarquer nos hôtes et les conduire à Vers-l’Eglise. » Cette course pour rien visait à laisser le temps aux véhicules de chauffer et d’être accueillants. « Les musiciennes ont beaucoup apprécié l’égard. En revanche, ces femmes

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qui comptaient des esclaves parmi leurs ancêtres n’ont pas suspecté que le “serveur” qui leur proposait apéritifs et amuse-bouche était un estimé juge à la Cour internationale des droits de l’homme ! » Arrivées à destination, décontractées et séduites par la blancheur des lieux, elles se sont livrées à une bataille de boules de neige, retombant en enfance, « un des effets possibles de l’ASD, chemin de fer attendrissant s’il en est ».


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« Le train le plus culturel d’Europe ! » Avec l’exposition des œuvres de la sculptrice Agapé (1939-2004) les wagons K abritent force, pathos et émotion…

Enfant, Agapé connaît l’exode. Son père décide de quitter l’Italie pour aller chercher meilleure fortune dans les mines de Belgique. Elle gardera un douloureux souvenir de son arrachement à sa terre natale. Une blessure dans laquelle elle puisera une partie de son inspiration. Ainsi, dans la quiétude de son atelier des Diablerets, elle modèle en grès une foule d’hommes et de femmes « en

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partance ». Solitaires et accablés, ces personnages semblent porter sur leurs épaules une partie de la misère du monde. A ses yeux, le Festival Musique & Neige devrait les présenter. Mais la direction de la manifestation ne sait trop comment les mettre en valeur. Elle pense alors aux TPC et à leurs wagons K dont elle sait qu’ils peuvent mener une double vie : utilitaires au quotidien, culturels par intermittence.

r Un art de vivre ferroviaire

Après un simple contact, la compagnie acquiesce. L’exposition témoignage prend forme. Et le public répond en masse à la multiproposition culturelle qui se déroule à la fois dans les wagons K, à la gare des Diablerets et à la galerie La Hotte située au centre du village. Devant ces processions muettes, les visiteurs sont sous le choc. « Plusieurs personnes sortaient en larmes. Comme si elles avaient


assisté à une tranche d’histoire surgie de notre mémoire collective », explique Jean Lugrin, cheville ouvrière de l’exposition. « Le comble de cette aventure, s’exclame l’organisateur, c’est que les galeristes internationaux d’Agapé n’ont jamais autant vendu de ses œuvres que nous, simple clique d’amateurs des Ormonts ! On peut donc dire que l’ASD est le train le plus culturel du monde ! »

Pour autant, de prime abord, rien ne prédisposait les wagons K à accueillir un jour des expositions. Mais tout devient possible lorsque René Perréaz, à l’époque directeur des TPC, accepte de rencontrer Jean Lugrin. « D’emblée il a saisi la portée du concept et a donné son aval à de telles opérations. Avec lui et ses successeurs, nous avons pu concrétiser les synergies les plus folles. Les TPC ont toujours eu l’art

Un art de vivre ferroviaire

de dire oui à des projets que bien d’autres compagnies, moins audacieuses, auraient déclinés. » C’est ainsi que des wagons à bestiaux ou à marchandises devinrent ces véhicules à géométrie – hautement ! – variable que l’on sait.

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Nul n’aurait jamais imaginé que l’ASD transporterait des révolutionnaires et des élus colombiens. La direction ne découvrit l’affaire que des années plus tard. Par hasard, lorsque L’Hebdo publia une photo de la voiture-salon de l’ASD truffée de terroristes et de représentants de l’Etat colombien ! Rencontre avec l’instigateur de cette opération top-secrète visant à rétablir la paix en Colombie en passant par… Les Diablerets !

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r Un art de vivre ferroviaire


Rendez-vous secret sur l’ASD entre terroristes et officiels…

Jean Pierre Gontard n’a rien d’un universitaire conventionnel. Ce politologue préfère agir sur le terrain – même au péril de sa vie comme cela est arrivé dans certaines de ses missions –, plutôt que d’enseigner dans un confortable amphithéâtre. Après avoir travaillé pour le CICR, il a longtemps été le directeur adjoint de l’Institut d’études et de développement, à Genève. Et il a très souvent collaboré avec le Département fédéral

Un art de vivre ferroviaire

des affaires étrangères (DFAE), en particulier sur l’explosif dossier Colombie… En ce jour glacial de février 2000, JeanPierre Gontard jubile. Il a convaincu la tête du DFAE qu’une « course d’école » top-secrète empruntant l’ASD aiderait à mettre fin aux quarante années de guerre entre le gouvernement colombien et les rebelles FARC (Forces armées révolutionnaires de Colombie). Peu avant, deux autres pays européens

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Page précédente : selon JeanPierre Gontard (tout à droite sur l’image), au début du trajet, l’ambiance était encore très

tendue : « d’un côté, il y avait un parlementaire colombien, le chef du patronat de Colombie, le secrétaire privé du président de

ont accueilli ces mêmes personnalités. En Suisse, Jean-Pierre Gontard les reçoit avec un objectif identique : démontrer à la fois aux gouvernants et aux terroristes colombiens que des idées divergentes n’empêchent pas de discuter de l’avenir de la nation. « C’était le début d’une longue période de tentatives de négociations en faveur de la paix qui a, pour le moment, abouti aux pourparlers de La Havane. »

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la République ; de l’autre un chef chaleureuse de la voiture Chez des FARC lequel, depuis, a été tué Rose ont fini par rapprocher par l’aviation colombienne. Mais ces ennemis de longue date ». la neige, le glacier et l’ambiance

A Genève, en plus du programme officiel prévu, le négociateur a souhaité organiser une journée informelle. « Celle-ci devrait leur laisser un souvenir exceptionnel, de la Suisse, bien sûr, mais aussi sur le plan humain. » Jean-Pierre Gontard décide alors de s’éloigner de la ville de l’ONU afin de montrer aux belligérants une autre image de notre pays et de favoriser leur rapprochement. « Par le passé, j’avais déjà convié

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Ci-dessus, à gauche : à la sortie de la gare des Diablerets, personne ne suspectait l’identité des membres de cette étrange

au château d’Aigle des guérilleros colombiens… Je connaissais donc l’effet positif de ce genre de rencontres. Cette fois-ci, j’avais opté pour le glacier des Diablerets… » C’est ainsi qu’un autocar de l’armée quitte la cité de Calvin à destination d’Aigle. A son bord, dix-huit personnes. Côté suisse, deux membres du DFAE et Jean-Pierre Gontard tout investis de leur mission pacifiste. Côté colombien, un parlementaire très haut


procession. Au premier plan, vêtu d’un manteau trop grand emprunté à la hâte afin de se protéger du froid : le N° 2 des

FARC (Forces armées révolutionnaires de Colombie). Derrière lui, des membres du gouvernement officiel.

placé, le chef du patronat, le secrétaire privé du président de la République et un chef des FARC (tué depuis lors). Les représentants des deux factions opposées colombiennes ne s’adressent pas la parole. « L’air était électrique, raconte Gontard, il fallait faire preuve à la fois de diplomatie et de naturel pour éviter tout dérapage ». Comme si cela ne suffisait pas, voici qu’un accident barre l’autoroute. Cette immobilisation forcée de

Page de gauche : la bataille de boule de neige du siècle dont, plus tard, la presse colombienne a beaucoup parlé, s’est

déroulée au Diablerets entre les représentants du gouvernement et ceux des FARC.

trente minutes complique la situation et risque fort de compromettre le programme du jour. « J’annonce au patron des patrons colombiens mon intention de téléphoner aux TPC afin de tenter de faire retarder le départ du train. Fin connaisseur de la Suisse et très au fait de notre ponctualité nationale, il me lâche : “Vous rêvez ! Chez vous, le respect de l’horaire est sacrosaint !“ Néanmoins, je tente ma chance.

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Ci-dessus : discussion, à l’abri des oreilles indiscrètes, entre le président du patronat colombien et un dirigeant des FARC.

Et bien m’en prend car les responsables de l’exploitation ferroviaire de l’ASD, – qui ne soupçonnaient pas qui leur voiture-salon Chez Rose allait abriter, accepte de nous attendre une demi-heure ! » Lorsque le car arrive enfin à Aigle, près de 15 cm de neige recouvrent la place de la Gare. « En dépit du froid, la présence de ce tapis blanc contribue – si je puis dire ! – à faire fondre la glace entre les gens que nous accompagnions,

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Les membres des FARC et du gouvernement colombien ont confectionné, ensemble, un bonhomme de neige, tel un

symbole de concorde bienvenu, made in Les Diablerets. Page de droite : paix et calme au sommet. Une des cabines du

ces ennemis qui s’entre-tuaient depuis quarante ans. En effet, la plupart d’entre eux n’avaient vu de neige qu’en photo ou de loin, au sommet des volcans colombiens. Cette découverte les fascine et commence à les dérider… » Durant le trajet, l’ambiance s’améliorer au fur et à mesure du voyage dans l’ASD. A la fois sérieux et distants au début, les adversaires colombiens finissent par se rapprocher et discuter entre eux.

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téléphérique qui a emporté les belligérants colombiens jusqu’à Glacier 3000.

« Aux Diablerets, deux responsables clé du gouvernement et des FARC finissent même par fausser compagnie au reste du groupe. Ils parlent un long moment dans le froid et la neige, quand bien même ils ne possèdent ni chaussures ni vêtements adaptés. Et je sais que ce dialogue – qui a lieu sans aucun témoin ni oreille indiscrète – a permis de progresser vers un début de réconciliation. » Pour Jean-Pierre Gontard, les journées de ce

r Un art de vivre ferroviaire

type, exceptionnelles et non protocolaires, améliorent les relations entre des gens qui ne parviennent pas à communiquer. « C’est pourquoi le DFAE ainsi que ceux qui, comme moi, travaillent pour lui, en organisent régulièrement. » Celle-ci en particulier a connu deux moments très intenses. « Tout d’abord la bataille de boules de neige entre les rivaux qui, pour une fois, ne s’envoyaient pas des


balles ! Ensuite, les 45 minutes de chant improvisé auxquels se sont adonnés les deux leaders politiques opposés ! » Une tempête empêchant l’usage du téléphérique au col du Pillon, le groupe a dû patienter dans un café des Diablerets. « A cette occasion, le patron du patronat et le chef des FARC ont réalisé partager une même passion pour la trova. Il s’agit d’une tradition colombienne de chant improvisé dans laquelle les

participants doivent se répondre à coup de texte rimé ! Grâce à cet intérêt commun, les deux opposants, entourés des participants de cette improbable rencontre, ont improvisé ainsi pendant au moins 45 minutes – un moment unique ! » Aujourd’hui, les négociations ont repris et on peut espérer que la Colombie connaîtra bientôt un retour au calme. De ce fait, Jean-Pierre Gontard garde à l’esprit que

Un art de vivre ferroviaire

l’ASD, Aigle et les Ormonts auront aidé à rapprocher les FARC et le gouvernement colombien, et à faire de ce monde – dans la modeste mesure de ses moyens ! – un lieu plus paisible et meilleur.

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r Un art de vivre ferroviaire


Une rose qui ne se fane pas

De son vivant, elle s’appelait Rose Vauthey. Personne à l’ASD ni aux TPC n’en avait jamais entendu parler. Et un jour, par notaire et testament interposés, la voici qui se manifeste. Ses dernières volontés attribuaient une somme importante en faveur de l’ASD. Pour lui rendre hommage, les TPC ont créé une voiture-salon à l’intention des voyageurs. Rose décédée, Chez Rose naissait.

Un art de vivre ferroviaire

Avait-elle rencontré son futur mari sur la banquette d’une voiture de chemin de fer ? Ou échangé un premier baiser à la faveur complice d’un tunnel ? Ou encore rêvé de partance et de terres exotiques, le regard fixé sur le lointain qu’offre par instants la ligne de l’ASD ? Nul ne le saura jamais. Quel que soit le motif qui incita Rose Vauthey à inscrire ces trois lettres manifestement lourdes de sens pour elle sur son

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Page 176 : aquarelle de Derib réservée aux sponsors du centième anniversaire de l’ASD.

Page précédente : nouveauté appréciée, Chez Rose a eu droit à son heure de gloire à Lausanne en 1997, lors de

testament, elle mérite notre plus vive gratitude. Les 70 000 francs que la compagnie reçut grâce à elle furent décisifs : « La voiture Chez Rose », se souvient Dany Perrod, ancien chef de gare des Diablerets et fervent activiste durant cette période de graves menaces, « nous a beaucoup aidés dans notre lutte pour la sauvegarde de l’ASD. Chez Rose, c’était comme de la munition pour nous défendre. »

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l’inauguration de la rénovation complète de la gare. On la voit ici manœuvrée par la locomotive 460 CFF intitulée Diablerets.

Ci-dessus : une partie de l’équipe de bénévoles qui a œuvré pour transformer, entre autres, les voitures 421 et 433

En tant que voiture-salon, ce véhicule réunissait de précieux atouts commerciaux : moderne, confortable et convivial, presque panoramique, il a longtemps contribué aux lendemains qui chantent de la ligne. « Les amateurs ferroviaires venaient de toute la Suisse pour en profiter et photographier sa décoration extérieure de type chalet aux fenêtres fleuries, très originale pour l’époque ! », ajoute Dany Perrod.

r Un art de vivre ferroviaire

en la pimpante rame Chez Rose. De gauche à droite : les « gratteurs » Michel Fornerod, Alain Corboud, Gérald Hadorn,


archiviste du rail, et le conducteur de l’ASD, Oleg Nieriker. Ci-dessus et ci-contre : Chez Rose, dehors et dedans…

Quantité de généreux bénévoles avaient rendu possible cette belle réalisation, parmi lesquels des conducteurs des TPC tels que Raymond Borloz, Oleg Nieriker, Alain Morard, Daniel Monti, Dany et Alain Perrod, Patrick Polo, Maurice Puttallaz et Philippe Tavernier, qui ne comptaient pas leur temps. A grand renfort d’heures offertes à cet exigeant projet, ils avaient dégoté de quoi transformer cet ancien véhicule en une

douillette et avenante voiture-salon. « Par chance, l’assortiment d’un grand marchand de meubles proposait, au centimètre près, les canapés semi-circulaires que l’on cherchait », raconte Marcel Rittener, retraité des TPC, qui a participé à leur fixation définitive. L’intérieur de la deuxième voiture qui complétait la rame était en bois. Partisan du maintien de l’ASD, le menuisier et président du Comité Nouvel ASD Philippe Nicollier a

Un art de vivre ferroviaire

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Petite partie de la frise dessinée par Derib en 2014 pour la nouvelle vie de Chez Rose.

décidé d’offrir toute la décoration intérieure en bois ainsi que le bar du véhicule ! « C’était une époque formidable, lâche le conducteur Oleg Nieriker, le mot solidarité avait tout son sens et le projet Chez Rose, comme celui du TransOrmonan, attisaient un sentiment de fraternité entre amateurs et professionnels du chemin de fer. » Gabriel Voutaz, chef d’exploitation ferroviaire de la ligne, précise : « Le grand mérite

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de ces voitures-salons est d’avoir attiré des amateurs ferroviaires de toute l’Europe pendant plus de vingt ans ! Rares sont nos véhicules à pouvoir se targuer d’un succès populaire d’aussi longue durée ! » Cela dit, avec le temps, l’attrait initial de Chez Rose commence à ternir quelque peu : le décor extérieur perd de son éclat, le tissu des sièges prend un coup de vieux… Faut-il dès lors se résoudre à reléguer cette

r Un art de vivre ferroviaire

rame si prisée au rang d’antiquité ou à lui aménager une voie de sortie définitive ? Certains cœurs secs peuvent imaginer ces deux options. Mais, par respect envers le touchant legs de feu Madame Vauthey, Chez Rose mérite de connaître les joies des prolongations. C’est ainsi que pour les cent ans de l’ASD, cette rame bénéficie d’une cure de jouvence. On la doit aux crayons enchantés du dessinateur de bande dessinée Derib et


aux doigts d’or de la décoratrice Patricia Studer, assistée de son mari Frédéric. Le dessinateur de Yakari s’est volontiers prêté au jeu dès qu’il a su avoir carte blanche et pouvoir truffer le décor d’animaux. « Si les voyageurs apprécient le nouveau look de ce véhicule très particulier, j’aurai réussi cette grande première dans ma carrière car, en cinquante ans, je n’ai jamais conçu de livrée ferroviaire ! Et si les animaux du lieu

s’amusent à se regarder passer, dessinés sur un train, je serai comblé ! » Patricia Studer, elle, a décidé de faire entrer les quatre saisons dans l’une des voitures. Et dans l’autre, elle a bâti des cabanes ! Du jamais vu. « J’ai tenté de faire oublier que l’on monte à bord d’un train, pour entrer dans un monde sans précédent. Des niches, des sièges disposés de manière inhabituelle, des chicanes et un

Un art de vivre ferroviaire

côté “labyrinthe” devraient y contribuer. » La créatrice d’Ollon espère ainsi faire pétiller les regards des voyageurs et leur inspirer des sourires malicieux. « S’ils déclarent avoir vécu un moment hors du temps, j’aurai vraiment atteint l’objectif que je me suis fixé. » Ainsi, malgré les décennies, le legs de Rose Vauthey reste plus frais que jamais.

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VI

LE TRAIN DES PASSIONS Ils viennent de partout, émanent d’horizons professionnels variés. Ils disent aimer l’ASD et le prouvent par leurs actes.


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Mozart défenseur de l’ASD ? Mozart (1756-1791), comme chacun le sait, a séjourné plusieurs fois dans la vallée des Ormonts. Si l’on en croit le président du Festival Musique & Neige, Jean Lugrin, qui possède l’original de la lettre qui suit, Wolfgang Amadeus, lors de l’une de ses haltes dans la région, écrivit cette étonnante missive à ses amis restés à Vienne…

Le train des passions

« Après un long voyage dans ce pays si propre, si organisé, presque sans fausse note, où même les cloches des vaches sont accordées entre elles, je suis arrivé très fatigué à la petite pension qui m’accueille pour la quatrième fois. Ce ne sont pas tellement ni sa table, ni ses chambres qui m’attirent, mais l’ambiance si typique qui y règne. Je passe d’interminables heures à m’émerveiller devant ce paysage grandiose, presque

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encore en 1923, neuf ans après Page 184 : détail d’un tableau l’arrivée du chemin de fer dans la de l’Aiglon Frédéric Rouge, qui représente l’arrière du village des vallée des Ormonts. Diablerets tel qu’il apparaissait

comparable à la beauté de ma Symphonie en mi bémol majeur qui portera un jour le numéro 184 au catalogue Köchel. Et lorsque la sirène du petit train retentit, je constate avec émotion que sa vocation semble pourtant échapper à beaucoup d’entre nous. Pour les gens actifs, le rail est le moyen sécurisé de liaison avec la plaine qu’il est le seul, et de plus en plus, à pouvoir garantir. Et lorsque, durant mes

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Page 185 : le visage sain de Mozart, peu après son séjour aux Ormonts où il a contemplé les va-et-vient de l’ASD !

Ci-dessus et ci-contre : l’ASD perçu comme une maquette de train miniature par Jean-Paul Muller.

nombreuses balades, je croise l’ASD avec, à ses fenêtres, ces beaux visages d’êtres ayant lutté si durement toute leur vie dans une région qui souffre tout de même d’éloignement, je mesure pleinement l’importance de cette liaison qui, pour ces gens démunis, est vitale. C’est leur dernier lien avec le reste du monde – je dis bien le reste, car il souffre fort, le pauvre, tant il est mal en point.

r Le train des passions


A propos, je n’ai toujours pas reçu de nouvelles de mon père. Un triste pressentiment m’envahit. J’ai presque honte de l’avoir laissé seul, lui qui aurait tant aimé pouvoir être avec moi dans ces montagnes, lui qui apprécie tant ces petits trains ! Pourvu qu’ils soient toujours là lorsque nous pourrons revenir ensemble. En effet, j’ai vu des visages défaits d’indigènes qui parlaient à voix basse de la suppression possible de

leur train, lequel coûterait trop cher, ne serait pas rentable… Mes quatuors, mes quintets, mes chères sonates pour piano et violon sont-elles rentables ? Et pourtant, je les aime bien, c’est ma musique. C’est leur train. Je ne crois pas pouvoir changer mes symphonies contre un orgue, si beau soitil. Peut-être qu’eux non plus ne veulent pas changer leur train contre autre chose de plus rentable. Et heureusement ! Imaginez

Le train des passions

que l’on supprimât tout ce qui n’était plus ou pas rentable ? Vous ? Couic ! Vous ? Couic ! Et vous ? Couic ! Votre collection de timbres ? Pfouit ! Et la nature, et l’art, et l’amour ? Pfouit ! Et la guerre ? ça je ne sais pas, elle doit bien être rentable pour quelques-uns… Mes chers Amis, je vous ennuie, aussi je vais m’arrêter là pour aujourd’hui. Allez, je vous embrasse. Wolfgang »

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Tomber pour mieux rebondir Je vous parle d’un temps que les moins de vingt ans ne peuvent pas connaître, chantait Charles Aznavour. Pour évoquer les combats en faveur de l’ASD, Michel Béguelin pourrait entonner le même couplet. Compagnon de luttes dès 1978, activiste sans répit, cet ancien secrétaire syndical, ancien conseiller national et conseiller aux Etats revient sur un point fort du sauvetage de l’ASD…

L’annonce du Conseil fédéral tombe comme un couperet, le 7 juillet 1982 : Berne ne subventionnera plus l’ASD et prévoit son remplacement par un service de bus. « L’ASD est foutu. » « Cette fois, ils ont mis à mort notre train. » De telles exclamations courent sur les lèvres de tous les amis de l’ASD. Tous ou presque. Car Michel Béguelin, Pierre Monod, alias Peppone, employé de l’AOMC et syndicaliste ainsi que Louis Joye, vice-président

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du syndicat des cheminots, y donnent un autre sens. A leurs yeux, c’est l’occasion de rebondir. Quarante-huit heures après la mauvaise nouvelle de Berne, ces trois optimistes organisent une séance publique au Sépey. « L’audience est dépitée. Front bas, sourire absent, espoir évanoui. Les regards questionnent : “Que peuvent bien vouloir nous annoncer ces défenseurs du rail puisque tout est

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perdu ?” » Michel Béguelin propose une réponse très simple : la décision fédérale n’est pas un arrêt de mort irrévocable. L’exemple de la ligne Fahrwangen-Meisterschwanden, menacée de la même façon, le prouve. « L’entier de notre argumentation porte. A l’issue des débats, les visages s’illuminent, l’espoir renaît. Tous comprennent qu’il vaut la peine de se battre. Et que nous nous battrons. Et que nous finirons par gagner. »


La précarité du rail, évocation de la longue situation instable de l’ASD.

Aujourd’hui, Michel Beguelin se dit ravi d’avoir vu loin, pensé grand, travaillé fort. « Nous imaginions un rail compétitif, modernisé, performant – ce qu’il n’était pas du tout à l’époque, il faut l’admettre, face à l’automobile, efficace et toute-puissante. Bien nous en a pris puisque maintenant l’ASD forme la colonne vertébrale de la mobilité au sein du grand projet Alpes vaudoises 2020 ! »

Rares sont ceux qui, il y a trente ans, osaient rêver d’une telle reconnaissance. Mais ces quelques visionnaires ont réussi à emmener dans leur sillage une population locale qui – le cœur a ses raisons ! – aimait son train et entendait le conserver. L’avenir de l’ASD est dorénavant garanti alors que sèche l’encre de ces lignes. « Et c’est tant mieux ! » s’exclame, satisfait, Michel Béguelin. « Après avoir investi, depuis 2006,

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les millions de francs nécessaires à sa rénovation complète, remettre en cause son existence serait une folie politique ! » Rassuré, Michel Béguelin ouvre l’armoire située derrière son bureau. La main ferme et l’esprit serein, il archive à tout jamais le dossier Sauver l’ASD dont il fut, avec bien d’autres, l’un des ardents défenseurs. Que lui et ses frères d’armes trouvent ici les remerciements que mérite leur action.

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Trois des cent mousquetaires du rail se souviennent Ils furent nombreux. Ils se démenèrent corps et âme. Ils firent l’impossible pour vaincre la mort programmée de l’ASD. Trois d’entre eux, Philippe Nicollier (ancien syndic d’Ormont-Dessus. mais pas au moment des faits), Pascal Gertsch (médecin aux Diablerets) et Gérald Hadorn (archiviste ferroviaire), reviennent sur les engagements fous et leurs idées farfelues qui, pourtant, assurèrent la survie de leur ligne fétiche…

Au fond, sauver l’ASD, mais pourquoi ? Philippe Nicollier : « Par solidarité ! Solidarité envers les gens qui ne disposaient pas d’autres moyens pour se rendre en plaine ou pour atteindre leur lieu de domicile. Solidarité à l’égard des enfants pour qui, sans train, aller à l’école aurait relevé de l’exploit. Et puis, soyons francs, parce que solidarité rime souvent avec égoïsme. Donc pour éviter aux Ormonans des cohortes

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d’autobus et d’interminables bouchons sur la route… » Gérald Hadorn : « Car l’ASD fait partie de la vie locale, du paysage, du patrimoine. D’ailleurs, même de farouches automobilistes voulaient le voir continuer d’exister ! Cette ligne de chemin de fer présentant des caractéristiques techniques exclusives et traversant des lieux enchanteurs, elle méritait la vie sauve ! »

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Pascal Gerstch : « Fermer cette ligne, revenait à assassiner une noble cause ! Nous avions démontré les vertus de l’ASD lors, entre autres, d’une mémorable course route contre rail : un autobus consommait beaucoup, ne respectait pas forcément l’horaire en cas d’embouteillage et polluait ; alors que l’ASD se contentait de l’eau de la rivière locale pour sa fourniture en électricité, fonctionnait sans retard et n’émettait pas de gaz nocifs. »


Comment en êtes-vous venus à vous unir de façon si efficace ? Philippe Nicollier : « D’abord, nous avons cru l’ASD condamné à tout jamais par le refus net de la Confédération et des municipalités concernées. Puis le vote des conseillers communaux de la moitié de ces communes en faveur de l’ASD a ravivé notre espoir. C’est là que tout a basculé. Les gens préoccupés par la suppression de la ligne

se sont unis. Ensuite nous en avons recruté d’autres et d’autres encore. » Gérald Hadorn : « C’est vrai : constater que certains conseillers communaux se mobilisaient pour sauver l’ASD nous a donné du cœur au ventre. Ensuite, nos trois objectifs ont touché bien des gens ; 1) sauver le train ; 2) obtenir des moyens financiers pour le dynamiser, et 3) prouver sa nécessité. Notre absence d’intérêt économique personnel a

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assis notre crédibilité et a suscité bien des vocations. » Quel état d’esprit animait votre comité ? Gérald Hadorn : « Nous comptions parmi nous des ingénieurs, des spécialistes en marketing, des ouvriers, des cheminots et des politiciens. Malgré nos différences, un véritable esprit de corps nous liait, forgé par la volonté d’atteindre l’objectif. Tout le

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monde mettait la « main à la ponce », chacun était un « gratteur » car il fallait relever ses manches pour éliminer la vieille peinture des véhicules que nous rénovions. » Comment expliquez-vous le si grand capital sympathie dont bénéficie l’ASD ? Pascal Gerstch : « D’abord il y a eu le syndrome d’Astérix, facteur qui a beaucoup compté : nos combats nous ont fait

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passer pour des irréductibles Gaulois avec tout ce que cela engendre comme connivence au sein de la population. Dans le sillage du succès de nos actions farfelues et inattendues a surgi l’affection pour la ligne… » Philippe Nicollier : « …Parvenir à vendre près de 2100 mètres de rail, récolter plus de 300 000 francs de dons de manière saugrenue, faire affluer les voyageurs en masse, de tout le pays : tout cela a participé à forger

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une image dynamique de cette compagnie qui, jusque-là, semblait vieillotte et n’attisait pas les passions. » Gérald Hadorn : « De plus, nous avons lancé le TransOrmonan, les voitures-salons… C’était très novateur. Nous ne proposions pas un simple déplacement entre deux points, mais plutôt de monter à bord d’un train nostalgique ou autre – bref de vivre une expérience ferroviaire. »


Pages précédentes : deux aquarelles de Pierre Meeuwig qui – passion oblige ! – fit le voyage depuis sa lointaine Belgique en

1980 pour capter l’ASD du bout de son pinceau. Sur la deuxième figure le type d’autobus chers à Pascal Gertsch et qui assurèrent

Pascal Gertsch : « Pour ma part, j’ai pu bénéficier de deux contacts politiques en haut lieu. Le conseiller fédéral Adolf Ogi m’avait dit : “Si vous doublez les 180 000 voyageurs annuels de l’ASD, je m’engage à ce qu’on garde cette ligne ouverte.” De telles déclarations vous incitent à déplacer les montagnes ! » Philippe Nicollier : « On l’a pris au mot ! Avec des billets à prix cassés jusqu’au sommet

la liaison Les Diablerets–Pillon lors des journées d’affluence exceptionnelle dues au Comité Nouvel ASD.

Ci-dessus : Leon Schlumpf, le conseiller fédéral « qui ne comprenait rien au chemin de fer en Suisse romande » selon

des Diablerets et des transferts entre la gare et le col du Pillon à l’aide de sept vieux autocars, nous y sommes arrivés… » Pascal Gertsch : « …Adolf Ogi a dû tenir promesse ! Ma deuxième chance politique fut de pouvoir passer un jour entier avec le président de la Confédération Flavio Cotti. J’en ai profité pour le bassiner avec mon refrain pro-ASD ! Le pauvre ! Même les médias ont relayé la chose ! »

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certains partisans du rail, pressé d’en finir avec l’ASD si l’on en croit Barrigue.

Gérald Hadorn : « Nous avons mis les rieurs et les incrédules de notre côté. Et nous avons prouvé à ceux qui accordaient leur confiance au rail qu’ils avaient raison. » Sans ces mousquetaires du rail – ainsi que tous les autres ayant œuvré pour que l’ASD roule encore –, aujourd’hui, les vaches regarderaient passer les bouchons !

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L’aquarelliste belge fou de l’ASD… Olivier Geerinck aime l’ASD. A tel point qu’il représente sa ligne fétiche depuis près de quarante ans ! L’annonce des cent bougies de ce chemin de fer semble avoir dynamisé l’inspiration de l’aquarelliste belge : sa « cuvée » 2013-2014 compte onze nouvelles œuvres ASDéennes !

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Olivier Geerinck est un amateur ferroviaire comblé. Après avoir photographié ses premiers trains à l’âge de 10 ans, il a depuis vécu sa passion à 360 degrés. Devenu adulte, il troque sa caméra contre un pinceau et une boîte de couleurs. En parallèle, il participe, avec des amis, à la sauvegarde d’une ligne belge. Ensuite, il aide un éditeur français à écouler ses livres sur le chemin de fer dans son pays natal. A fréquenter le

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milieu de l’édition, il finit par se mettre à écrire. Sa production en la matière compte, à ce jour, sept ouvrages signés de son nom. Toujours avide d’expériences (il a formé une partie du personnel roulant pour le chantier du tunnel sous la Manche !), cet éternel passionné conduit des autorails pour son plus grand plaisir et celui de ses passagers. A la question « qu’est-ce qui vous pousse à peindre des trains en général, et l’ASD en


Page 194 : « le fait que l’ASD puisse rouler par tous les temps constitue l’une des raisons ayant assuré sa survie, affirme Olivier Geerinck. Même la colossale avalanche de février 1984 n’a pas empêché la circulation de l’ASD (lequel a transporté 5000 personnes en week-end !) » Page 196 : les wagons K dans leur couleur d’origine et leur fonction première assurent une désalpe, tractés par l’automotrice 2 encore habillée de sa livrée rouge et crème des années 1980. Ci-contre : la 404 en 2014, modernisée par sa nouvelle livrée tonique et lumineuse, lors de sa descente vers les Planches.

particulier ? », l’intéressé répond « le chemin de fer, c’est ma vie ! Je ne connais pas le ressort caché de cet engouement, mais je ne parviens pas à épuiser ce sujet ni à m’en lasser. Et puis si peindre des trains me fait plaisir, les représenter dans les paysages qu’ils traversent constitue ma marque de fabrique. Dans le cas de l’ASD, la présence de la montagne et de la nature apporte un véritable supplément d’âme au tableau. »

En poussant un brin l’investigation sur l’origine de l’attachement de longue date d’Olivier pour le chemin de fer, l’artiste nous apprend que les lignes des TPC font partie de son « paysage mental » depuis toujours. « En fait, mon tout premier souvenir de voyage ferroviaire remonte à l’âge de trois ans. Il se déroule sur le BVB, entre Le Bévieux et Gryon… Cinquante-sept ans plus tard, les chemins de fer secondaires

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De chez lui, dans le Braban wallon, en Belgique, Olivier Geerinck n’a pas pu s’empêcher de consacrer deux aquarelles

supplémentaires à son train fétiche à l’occasion de son centième anniversaire.

électriques et de montagne suisses n’ont pas perdu de leur charme à mes yeux ! » A sa place, plus d’un serait passé à autre chose. Car les 75 ans puis les 100 ans de l’AOMC ont déjà sollicité le pinceau d’Olivier. Pareil pour les 75 ans de l’ASD. Et le voici qui répond toujours « présent » vingt-cinq ans plus tard « et avec plaisir ! » s’empresse-t-il de préciser. Le bon accueil que lui ont toujours réservé les directions

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successives des TPC ainsi que les publics vaudois et valaisan explique sans doute une partie de sa constance. Mais il ne peut s’empêcher de dire que les voies d’un ASD « qui partent à l’assaut des montagnes du Chablais dans une variété infinie de paysages en toute saison, sont autant de sujets à traduire – sans modération ! – à l’aquarelle. » Pour lui, les lignes des TPC et surtout celle que l’on célèbre renferment « un

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subtil mélange de grand air, de liberté et de poésie », autant d’aspects qu’il s’ingénie à exprimer à la force de son infatigable pinceau.


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Photographier et partager pour le plaisir

A force de regarder passer les trains avec émoi, il a fini par les photographier sous toutes les coutures. Amateur de l’ASD, Marc Striffeler l’immortalise depuis longtemps et s’en explique…

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Marc Striffeler a grandi à Aigle. Très jeune déjà, il emprunte les lignes des TPC. Et à douze ans, il ajoute la photographie ferroviaire à son intérêt pour le rail. « Aujourd’hui, je continue à faire des photos de trains pour mon plaisir. Ensuite, je les archive et les échange avec d’autres passionnés. Partager une image réussie décuple la satisfaction de l’avoir prise », déclare ce collaborateur du Département de planification


L’impressionnant pont des Planches, tel que fixé par l’objectif de Marc Striffeler.

et développement de l’offre des Transports Publics Fribourgeois. Lorsqu’on lui demande ce qui l’intéresse dans l’ASD, il lâche : « Les lignes des TPC présentent chacune des caractéristiques uniques, alliant une grande variété de paysages sur quelques dizaines de kilomètres au total. Celle d’Aigle aux Diablerets en est l’un des meilleurs exemples : après des tours de roues en milieu urbain et routier, elle se

faufile dans le vignoble et la forêt – où elle offre des points de vue spectaculaires – avant de rejoindre alpages et localités de montagne. Les compositions s’allient parfaitement aux espaces traversés : délicat trait de couleur dans des environnements restés authentiques. » Grand spécialiste des chemins de fer suisses, Marc Striffeler relève une particularité propre aux TPC et surtout visible sur

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l’ASD : « Oser faire ce qui n’a pas été tenté ailleurs. » Il apprécie les audaces qui ont marqué l’histoire de cette ligne : « Sur l’ASD, bien des initiatives ont défié de nombreux et sacro-saints dogmes ferroviaires, mais toujours pour accroître la qualité du voyage des usagers. » A ses yeux, il s’agit là d’une attitude aussi rare que bienvenue et dont il espère qu’elle ne s’arrêtera pas de sitôt !

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Coup de foudre pour une modeste halte Les grandes gares du monde possèdent un charme et une magie spécifique. Lieux de partance et de retour, ces carrefours des possibles sont porteurs d’espoirs. Mais des haltes microscopiques provoquent les mêmes émois chez certaines personnes. Pierre Julien est de celles-là…

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Le photographe français Pierre Julien, de Villeurbanne, aime les chemins de fer en général, mais surtout les voies sinueuses et pittoresques des TPC. Et leurs gares et leurs haltes. Même les plus minuscules. En particulier celle des Echenards, sur l’ASD, qu’il affectionne tout spécialement : « Rien n’y manque, un grand banc, simple, en bois, un tabouret et des fleurs en jardinière en font un lieu accueillant. Bien sûr les horaires de


Page de gauche : la halte des Echenards telle qu’elle a tapé dans l’œil du photographe Pierre Julien. Ci-contre : une rame de l’Aigle–Leysin s’invite sur l’ASD, ici aux Aviolats, un des « petits plaisirs ferroviaires » chers au photographe lyonnais.

passages des trains figurent en bonne place. Il y a même une lampe tempête, déposée peut-être par les habitants de l’endroit », explique-t-il, sensible au charme de cette « maison de poupée ». Voyageur enchanté, celui qui, avant de prendre sa retraite, fut éducateur puis chef de service dans une institution pour aveugles et mal voyants, poursuit sa description : « Une pelle – sans doute à neige – repose sous le banc où elle attend

l’hiver. Un arrosoir somnole aussi, bien rangé, à l’ombre du bâtiment lilliputien. J’imagine les habitants des maisons voisines apportant une ration quotidienne d’eau aux fleurs de cette cahute abritée sous la parure d’un arbre majestueux, vaillante sentinelle, que l’on aperçoit de loin et qui semble nous indiquer : c’est ici que le train fait halte. » Car pour lui, l’ASD rime avec convivialité : « Je suis toujours frappé de voir combien les

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passagers et le personnel roulant échangent de propos agréables et complices. » On l’aura compris, Pierre Julien est un fan de l’ASD. Et son clin d’œil photographique – choisi parmi ses milliers d’images qui ornent souvent des magazines ferroviaires –, traduit bien l’impression que suscite en lui l’arrêt des Echenards, lové au cœur des Ormonts.

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« L’existence même de l’ASD est un “petit miracle” »

Dynamique et enthousiaste, l’accompagnatrice de montagne Virginie Duquette a fait découvrir l’ASD à près de 1000 touristes anglais. Au cours de randonnées enrichissantes, elle leur révèle de nombreux aspects de la ligne, tous aussi fascinants qu’insoupçonnés… Tour d’horizon !

Qu’est-ce qui fait affluer autant de groupes d’Anglais sur l’ASD ? Virgine Duquette n’en sait trop rien. « La plupart sont peu loquaces, quand bien même ils goûtent tous les instants du trajet. Ceux qui s’expriment évoquent le contraste que notre région présente par rapport aux reliefs de leur île. En revanche, je pourrais dire, les yeux fermés, si leur groupe est monté aux Diablerets en train, en voiture ou en car. De toute

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évidence, le train délasse, dissipe la fatigue ; alors que la route stresse et “électrise” le voyageur. » L’accompagnatrice emmène bien sûr ses groupes aux Diablerets, mais également dans des coins retirés, sauvages et riches en surprises. Plambuit, par exemple ! « Lorsque nous descendons à cette halte située au milieu de nulle part, les autres voyageurs se demandent : “Mais qu’est-ce qui peut bien les inciter à

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s’arrêter là ?” S’ils savaient que nous sommes au départ du délicieux sentier du sel… De là, nous franchissons des corridors d’animaux. Avec un peu de chance, nous croisons chevreuils, cerfs, chamois, renards et autres bêtes sauvages… Enfin, en matière de dépaysement, nos hôtes sont gâtés : le versant gauche de la Grande Eau est si peu construit, ses forêts sont si belles, que tous succombent au charme fou de l’endroit ! »


Ci-dessus : un miracle parmi bien d’autres : ce cerf saisi par Christophe Racat dans la course folle qu’il semble avoir entamée

avec l’ASD. Ce photographe des Diablerets – et fidèle usager de la ligne ! – ne manque jamais de fixer les bonnes surprises que

Viginie Duquette a l’art de conter les pages oubliées de l’ASD. Par exemple, le fait que sans l’aide d’une société allemande, la ligne n’aurait pu se construire ! « Difficile d’imaginer qu’une grande entreprise germanique ait accepté d’investir dans cette petite ligne régionale. Tel fut pourtant le cas, à condition qu’elle pût électrifier les premiers véhicules de l’ASD ! » Elle leur raconte encore les grands projets d’extension

lui réservent ses déplacements en train. « Comment qualifier un instant comme celui-ci ? En voiture, je n’en n’aurai pas

vraiment profité et n’aurais pas pu le partager… »

des initiateurs de la compagnie. « Ils voulaient atteindre Saanen, par le col du Pillon, ou monter au sommet du glacier des Diablerets en passant par Villars ! Mais la Première Guerre mondiale a brisé leurs rêves… » D’autres anecdotes liées à l’ASD intéressent les touristes : « Le fait que les mille et un virages du parcours ont une origine avant tout… économique ! En effet, le bureau d’ingénieur responsable de la conception de

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la ligne était payé au mètre de voie posé… D’où prohibition de la ligne droite ! » Avant le début du chantier, Berne avait donné l’ordre de « lisser » ces virages indus… Mais les experts fédéraux, au moment d’autoriser la mise en service de la ligne, ont dû noter que rien n’avait été fait… C’était trop tard ! D’autres virages n’auraient pas dû voir le jour : Virginie fait allusion aux fameuses

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courbes de Sans-Souci, au-dessus du château d’Aigle. « Les vignerons propriétaires refusaient que la voie partage leurs parcelles. D’où le projet de passer par Ollon puis de revenir sur la rive gauche de la Grande Eau en dessus des vignes pour rallier Les Diablerets. Cette option a été abandonnée et c’est tant mieux car la voie qui serpente parmi les ceps offre une vision digne d’une carte postale ! »

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Ci-contre : une lumière mordorée enflamme un tunnel de l’ASD, comme un écho à la rouille des poteaux d’origine qui ont soutenu

la ligne de contact jusqu’en 2014 avant d’être remplacés. Ci-dessus : le sentier de Provence, près de l’ASD (entre Verchiez et

En bref, selon elle, il faut se souvenir que l’existence même de l’ASD est un « petit miracle ». « Deux guerres mondiales l’ont presque ruiné. Un incendie a détruit la majeure partie de son matériel roulant. La politique fédérale du transfert du rail à la route a failli avoir raison de lui. Les communes concernées ont voulu cesser d’assumer une partie de son déficit. Il a surmonté près de quarante ans de menace et de

Salins) figure parmi les lieux de prédilection de l’accompagnatrice de moyenne montagne Virginie Duquette : « on se croirait à

Aix-en-Provence. Avec prés de bruyère et cigales qui chantent à qui mieux mieux, dépaysement garanti ! »

manque d’entretien… Cela fait beaucoup ! Si l’essence avait été moins chère en 1940 lors de l’incendie du dépôt d’Aigle, le bus aurait purement et simplement remplacé le train. Seul le manque de finances de la compagnie a favorisé le maintien du rail. Mais il était alors exclu de renouveler le matériel roulant détruit par le feu. La direction de l’ASD a donc opté pour une solution qui nécessitait courage, persévérance et conviction :

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fouiller dans les décombres et les cendres pour dégotter les restes des voitures calcinées afin d’en reconstruire à partir de cela ! A elle seule, cette page d’histoire témoigne de l’incroyable élan vital de cette ligne ! Autant de raisons, à mes yeux, de souhaiter faire découvrir, loin à la ronde, toute la richesse historique de ce chemin de fer et la somptueuse région qu’il traverse. »

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Un de ces courageux ouvriers du chantier initial auprès du type même de cahute dont ils devaient se contenter…

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Quand l’ASD entre au musée Mary-Claude Busset, historienne, dirige le Musée des Ormonts, situé à Vers-l’Eglise. Elle consacre une grande exposition à l’ASD « pour montrer la somme de prouesses que renferme ce siècle d’existence… »

Mary-Claude Busset vit aux Ormonts depuis longtemps. Mais elle ignorait mille aspects de ce qu’elle nomme « cette ligne incroyable »… Se pencher sur ce dossier lui a révélé des pages d’histoire oubliées… A commencer par le courage que nécessite encore, au début du XXe siècle, l’idée même de créer un train de montagne. « On ne réalise plus de nos jours, combien concevoir, financer et lancer un chemin de fer relève

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de l’exploit, au même titre que l’entretenir ! Avec les moyens techniques de l’époque, percer des montagnes, franchir des ravins, vaincre des éboulements, la neige, le froid, la pente, présentaient de sérieux défis… » Bien sûr, les fondateurs de l’ASD étaient prévenus des embûches qui les attendaient… « Ils connaissaient la dangerosité du sentier de la rive gauche, proche du tracé actuel de la ligne. Un texte d’un député au Grand

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Ces croquis décrivent les expériences que réserve l’exposition. Page précédente : s’installer à la place du conducteur d’un

pseudo-véhicule de l’ASD et pénétrer dans le tunnel pour y visionner des sections du tracé. Ci-dessus : revivre la nostalgie

Conseil déclare ce lieu tellement raide qu’il faut y ferrer les chamois ! Sur ce chemin de la Chenau, parfois chevaux et marchandises transportées tombaient dans le vide… Mais les initiateurs savaient qu’un train changerait la donne pour toute la vallée. Il était temps, déjà que la première route carrossable n’avait atteint Le Sépey qu’en 1839, et que les Diablerets avaient dû patienter jusqu’en 1868… »

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d’un ancien guichet de gare et d’un hall orné de matériel historique grâce à une reconstitution… S’asseoir dans une voiture de 1914

pour visionner un film ou écouter un audio guide sur différents thèmes oubliés… Ou s’installer au bureau de l’ingénieur, chargé

D’où l’état d’esprit d’alors que résume Mary-Claude Busset : « En ce temps-là, tout semblait possible. Le mot progrès s’écrivait encore avait une majuscule… Sur une carte de géographie, on traçait une voie de chemin de fer entre deux points d’intérêt. D’où les innombrables projets : hop ! une ligne pour Corbeyrier ; hop ! une pour Aoste, une pour Saanen. Rien ne dissuadait personne, aucun projet n’était trop fou ! »

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de ses outils de précision et des plans de l’ASD…

En bref, le train devait pouvoir relier tous les lieux possibles. « Restait à trouver des fonds. Comme ni le Canton ni les communes n’avançaient d’argent en l’absence de capitaux privés, il fallait convaincre… L’ingénieur et initiateur Louis de Vallières a joué un rôle capital à ce sujet. Il alla prouver aux habitants du lieu l’utilité du train. Bien lui en a pris car le rail a provoqué un véritable essor touristique et économique : transport


Ci-dessus : articulation de l’armature du pont des Planches, deuxième pont en béton de type Melan (soit une armature

semblable à celle du Vanel, mais enrobée de béton), construit en Suisse avec ce qui était alors une nouvelle technologie.

de bois, de marchandises, de lait, de bétail, de soldats mobilisés. Dans le sillage de l’ouverture de la ligne, une seconde boulangerie s’est ouverte au Sépey… » En montant l’exposition, Mary-Claude Busset a « touché du doigt » l’âme de ce chemin de fer si particulier. « J’ai appris beaucoup sur les hommes qui ont bâti la ligne. Des Italiens du Nord, engagés par centaines. Des saisonniers éloignés de leur

Une des nombreuses photos inédites découverte par Mary-Claude Busset durant ses recherches sur l’ASD.

foyer et de leurs femmes. Qui buvaient parfois plus que de raison – sans doute pour oublier les sordides baraquements dans lesquels ils logeaient le long du chantier. Parfois, des soirées trop arrosées tournaient mal. Alors les couteaux jaillissaient. Une nuit, le tenancier italien d’une des cantines repousse avec son arme un collègue qui veut boire un dernier verre. L’affaire tourne mal. L’ouvrier meurt de ses blessures. Le

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« patron » se voit condamné à 15 ans de prison… Et puis il y a les autres décès, cinq au total, dus à des accidents qui surviennent durant les forages à la dynamite des tunnels ou lors de chutes de pierres… » Pour Mary-Claude, le cœur de l’ASD bat toujours aujourd’hui. « Et l’entendre émeut bien des gens qui ont remué ciel et terre pour qu’il en soit encore ainsi. »

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Le retour de la 1 à la Une de l’actualité

« Il est à nos yeux hors de question que l’automotrice 1 ne soit pas de la fête en juillet 2014. » Ainsi tomba le décret des membres de l’Association ASD 1914. Joignant l’argent à la parole, ils cassèrent leur tirelire pour offrir une nouvelle « robe » à leur favorite et doter ce véhicule du dispositif de sécurité conforme aux exigences actuelles…

Louable intention. Remarquable réalisation. La vénérable peut rouler. Et bien rouler. Elle a non seulement retrouvé ses couleurs de 1942, mais possède un appareil d’arrêt automatique pour signaux comme ses plus récentes consœurs. Seul un groupe d’amateurs passionnés pouvait consentir l’effort nécessaire à un tel projet. Aux TPC, les mécaniciens du dépôt ne cachent pas leur tendresse pour cette vieille

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dame. Le temps d’un café, ils évoquent en quoi elle relève d’une autre époque, d’une autre conception du chemin de fer. Gilles Bressoud, explique : « Un courant de 1500 volts arrive directement dans les interrupteurs de mise en marche et dans les ampoules d’éclairage ! Alors, en cas de panne, c’est la nuit totale ! » Gaël Guignard précise : « Le pantographe ne s’actionne pas à l’aide d’un bouton, mais… d’une corde qui

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gèle souvent en hiver… Grâce à ses essuieglaces manuels et au fait que les vitres givrent autant dedans que dehors, les anciens conducteurs connaissaient toujours les derniers sprays antigel ! » Ces aspects pittoresques ne dissuadent pas Sébastien Zonca, mécanicien aux TPC et membre d’ASD 1914 : « Piloter une machine aussi sensible est un véritable plaisir ! » Modeste, il omet de préciser que ce


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véhicule exige une sensibilité, un doigté, et une expérience bien particuliers. André Morisod, chef du dépôt est catégorique : « La 1 ne supporte pas l’erreur humaine. Un mécanicien peut très bien faire fondre les résistances… » Alain Schönmann, responsable secteur mécanique des TPC, renchérit : « Comme il n’y a pas de gestion électronique entre la ligne et les moteurs, le système est sensible à la surcharge électrique… »

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Question mécanique, chaque pièce est unique et non interchangeable, contrairement à ce qui se fait maintenant. Marco Tirocini se rappelle les ajustements fins et le coup de main bien spécifique qu’il a dû acquérir : « Heureusement qu’Alain Kaegi, aujourd’hui retraité, m’a transmis son savoir, sinon nous aurions eu des surprises… » Parmi les souvenirs qui ressurgissent, revient l’aide exceptionnelle de la 1 en tant

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que chasse-neige. « Dans les avalanches, elle était irremplaçable, lâche Marco Tirocini. Avec sa charpente métallique rivetée, comme la Tour Eiffel, elle pouvait passer à travers d’immenses masses de neige. Avec leurs zones de déformation, les véhicules actuels seraient incapables de faire cela. » Il est l’heure. Les amis de la 1 et les mécaniciens posent leur tasse. Ils regardent la 1 avec respect car elle les enterrera tous !


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ASD, trois lettres uniques en leur genre

Non, si l’on en croit Google, car ASD signifie aussi… Achievement school school district district Achievement Action for for Singapore Singapore dogs dogs Action Admission sur sur dossier dossier Admission After school school detention detention After Aides et et soins soins àà domicile domicile Aides Algorithmes et et structures structures de de données données Algorithmes Alu soudure soudure diffusion diffusion Alu American school school directory directory American American school school of of dance dance American American sign-language sign-language for for the the deaf deaf American Anchorage school school district district Anchorage Android super super downloads downloads Android Application software software and and databases databases group group Application Aspiration smoke smoke detection detection Aspiration Assistance saisie saisie de de données données Assistance Assistance soudage soudage diffusion diffusion Assistance

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Association for for the the study study of of dreams dreams Association Association patronale patronale suisse suisse de de lala branche branche Association dentaire dentaire Association suisse suisse des des droguistes droguistes Association Association suisse suisse du du diabète diabète Association Atelier des des systèmes systèmes décisionnels décisionnels Atelier Atomic spectra spectra database database Atomic Atrial septal septal defect defect Atrial Auchan sport sport detente detente Auchan Authentic skateboard skateboard development development Authentic Autism spectrum spectrum disorder… disorder… Autism sans parler parler du du fait fait que que ces ces trois trois lettres lettres figurent figurent …… sans côte àà côte côte sur sur les les claviers claviers de de lala plupart plupart des des côte langues européennes européennes et et servent servent de de raccourci raccourci pour pour langues signifier ««bla-bla-bla bla-bla-bla»… »… signifier


Oui, si l’on parle bien de l’Aigle–Sépey–Diablerets ! Lors d’essais comparatifs train-route, l’automotrice 3 rallie Aigle aux Diablerets en 37 minutes, avec deux arrêts intermédiaires, temps largement inférieur à celui de l’autobus.

Entre les Aviolats et Versl’Eglise, au lieu-dit PlanMorier, sur 340 mètres, le train roule sur la seule ligne droite digne de ce nom de tout le tracé de l’ASD ! Tout le reste du tracé n’étant que courbes et contre-courbes !

Entre 1982 et 1999, l’ASD est le seul chemin de fer de montagne suisse à avoir été rénové sans l’aide de la Confédération.

L’affiche de l’ASD. réalisée à la gouache par le peintre aiglon Frédéric Rouge en 1914, constitue sa seule incursion artistique dans le monde « moderne ».

Jusqu’en juin 1987, l’ASD est le dernier chemin de fer suisse à n’utiliser en service régulier que son matériel d’origine, alors âgé de 73 ans.

En 2014, les automotrices 1 et 2, âgées de 100 ans, poussent régulièrement le chasseneige, tractent les trains touristiques et assurent des trains de travaux. Un record pour ce type de matériel et une preuve de la qualité de l’entretien assuré par les ateliers des TPC.

L’altitude de 1 157 mètres est le point culminant du tracé de l’ASD. On le franchit à la halte des Bovets, située 2 km avant l’arrivée aux Diablerets.

Les gares de l’ASD ressemblent étrangement à celles construites sur la ligne Martigny–Orsières, ouverte en 1910. Et pour cause, les mêmes architectes les ont dessinées.

Lors des avalanches de 1984, l’ASD a transporté plus de 5 000 personnes en l’espace d’un week-end.

En 1944, le chemin de fer a transporté 3 327 animaux, la plupart d’entre eux montant à l’alpage.

Certains conducteurs de l’ASD, dans les années huitante, achètent La Tribune de Lausanne, le dimanche à Aigle pour la distribuer gratuitement aux personnes intéressées lors de la montée.

En hiver, l’ASD est le seul moyen de transport pour les habitants du hameau d’Exergillod.

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VII

À L’HEURE DE CONCLURE… Même si, de toute évidence, l’histoire de l’ASD n’est pas près de finir, quelques mots encore avant de se quitter.


Coup de chapeau à un sauvetage modèle

Que l’ASD roule toujours après un siècle d’existence mouvementée relève presque du miracle. On le doit à un ensemble de forces vives et de bonnes volontés. Or, celles-ci ne provenaient pas que des professionnels de la compagnie et des TPC. Personne ne parlait alors de travail en réseau ou collaboratif. C’est pourtant ces façons de faire qui ont sauvé cette ligne…

Depuis l’avènement du chemin de fer, un modèle très hiérarchisé régit le monde ferroviaire. Directeurs et sous-directeurs, chefs et sous-chefs, parmi d’autres titres qui forcent le respect, ornent ses organigrammes. Selon l’analyste américain Jeremy Rifkin, les raisons de cette structure toute « verticale » sont d’ordre historique. En effet, au vu de leurs énormes engagements financiers, les premières compagnies

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nécessitaient des employés lettrés et éduqués, capables de lire et de produire des rapports. Cette exigence a de ce fait engendré une école publique hiérarchisée comme une usine. Par la suite, les intérêts des sphères politique et économique ont convergé vers une sorte de pensée unique. La crise actuelle de notre système centralisé vertical, et fonctionnant en circuit fermé, en découle…

r À l’heure de conclure…

A cela, l’analyste oppose le mode collaboratif d’Internet. Il qualifie ce nouveau système de « latéral » plutôt que de vertical. Wikipedia constitue un excellent exemple de cette façon de travailler « en réseau ». Rifkin parle d’un véritable et très puissant « pouvoir latéral ». Un système dans lequel des centaines de millions d’individus qui collaborent parviennent à remplacer les puissants acteurs de l’économie.


Des actions horizontales et collaboratives ainsi qu’un travail en réseau ont permis de sauver l’ASD. Autant de manières de faire

qui n’avaient rien de commun à l’époque et que prône aujourd’hui Jeremy Rifkin, conseiller des plus grandes puissances, dans

Comparer les modalités du maintien de l’ASD au fonctionnement collaboratif de Wikipedia serait exagéré. On peut néanmoins affirmer que, toutes proportions gardées, bien avant l’ère de l’Internet et du management horizontal, l’ASD a bénéficié de cette « nouvelle pensée ». Oui, cette ligne doit une grande partie de sa survie à l’effet « réseau », à la mise en commun de ressources et à une organisation latérale parallèle. Le Comité Nouvel ASD

son livre La troisième révolution industrielle – Comment le pouvoir latéral va transformer l’énergie, l’économie et le monde, (Éd. Les

Liens qui libèrent, Paris, 2012). Il peut ainsi continuer à traverser le pont du Vanel, sans l’ombre d’une crainte pour son futur…

en est un exemple. Les prises de positions des uns et des autres aux différents échelons politiques aussi. Tout comme les publications indépendantes, les initiatives personnelles et les actions populaires qui ont fleuri tous azimuts pour « sauver » cette ligne. « Si le monde se dirige vers des rapports latéraux et un nouveau type de management, relève Claude Oreiller, directeur des TPC, nous pensons que l’exemple offert par le maintien

À l’heure de conclure…

de l’ASD a aidé notre direction à aller dans ce sens ». Ainsi, une fois encore, l’ASD n’a rien fait comme les autres et a joué les outsiders ! Certes nous ne serons pas là en 2114 pour vérifier si l’ASD aura persisté et signé en la matière. Mais nous sommes prêts à parier qu’il en sera ainsi car – tout comme les hommes –, les trains ne se refont pas !

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Bonnes nouvelles des étoiles

« Le chemin de fer sera le moyen de transport du XXIe siècle, s’il parvient à survivre au XXe siècle », a déclaré l’ingénieur français Louis Armand (1905-1971). Force est de constater que, même s’il ne supplante pas l’automobile, l’ASD a survécu. Aussi, à l’issue de ce bien partiel survol de son passé, tentons d’entrevoir si un avenir radieux se dessine pour cette ligne.

Flambant neuve. Pour son siècle révolu, l’infrastructure de l’ASD n’est rien de moins que flambant neuve. Il y a trente ans de cela, personne n’aurait osé l’espérer. C’est pourtant chose faite. Beaucoup d’argent public a permis cette réalisation majeure, laquelle, par voie de conséquence, garantit son futur. Le pire relève donc de l’histoire ancienne. Les beaux jours se profilent à l’horizon.

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r À l’heure de conclure…

Aujourd’hui, la direction des TPC participe à chaque projet phare lié au développement du Chablais. Preuve même que d’office les stratégies incluent le rail. A tel point que celui-ci va contribuer à modifier l’entier de la mobilité des Alpes vaudoises (avec un hub de transports publics aux Diablerets). A plus court terme, l’ASD va bénéficier d’un renouvellement de son matériel roulant. Un cadencement à la demi-heure


Ci-dessus : trois détails de l’annonce du centième anniversaire de l’ASD qui recouvrit une voiture durant quelques mois.

Page suivante : l’Association eco.villages a invité des étudiants postgrade de la Harvard University Graduate School of

figure également au programme. Et, dans la marmite des TPC, bouillonnent déjà bien d’autres aménagements souhaitables. Autant d’éléments clé destinés à faire que l’ASD assure sa mission de service public. Quant à savoir s’il connaîtra un jour un prolongement vers le canton de Berne via le col du Pillon, personne ne peut se prononcer, même si ce très vieux projet figure toujours parmi les rêves de certains.

Design (Cambridge/USA) à se pencher sur un futur durable pour la station des Diablerets. Ceux-ci ont ensuite proposé dix visions et

projets dont cette gare ASD, imaginée par Alexander Karadjian. Rêve ou future réalité ? Avec l’ASD, il faut s’attendre à tout !

Mais l’important demeure que l’ASD est là, et bien là. Equipé afin de sillonner les Ormonts pour les décennies à venir, aimé d’un nombre invraisemblable de gens, il joue – mieux que jamais – son rôle et conserve toute sa raison d’être. Quelqu’un a écrit : « Les trains heureux n’ont pas d’histoire. » Peut-être. Dans ce cas, admettons que l’ASD est une ligne malheureuse, tant son improbable passé

À l’heure de conclure…

fut mouvementé et houleux. Mais admettons aussi que les bons et les mauvais jours (près de 36 500 tout de même…) qu’il a vécus lui valent sa physionomie unique actuelle. Or, force est de le constater : il a de beaux restes (les photographes d’un peu partout ne cessent d’ailleurs pas de l’immortaliser) ; et il a – cette fois c’est sûr ! – un très, très bel avenir devant lui. Tous les centenaires du monde ne peuvent en dire autant !

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r À l’heure de conclure…


À l’heure de conclure…

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DÉDICACES

REMERCIEMENTS

L’auteur tient exprimer ses plus vifs remerciements à celles et ceux qui, de près ou de loin et d’une façon ou d’une autre l’ont aidé dans cette réalisation : les photographes : Camplana, Dirker64, Domino73, Virginie Duquette, Jean-Daniel Echenard, Olivier Geerinck, Benoît Ghiringhelli, Gérald Il est également offert à AnneHadorn, Andreas Hirsekorn, Dominique, Noémi, Justine, Pierre Julien, Jean-Paul Muller, Sarah, Yannick, Robin, Brieuc, Christophe Racat, Marc StrifMarin, Maëlle, Dany, Isabelle, feler, André Von Arx et Thierry Jean-Luc et les autres, qui aiment Warpelin ; déjà cette ligne mais ne le savent les collaborateurs des TPC, pas encore ! anciens et actuels, pour le partage de leur expérience, Puissent toutes celles et tous ceux qui, par leur action, leur engagement, leur travail et leur opiniâtreté ont contribué envers et contre tout au maintien de l’ASD se considérer reconnus dans leur louable effort. Ce livre leur est dédié.

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leur temps et, souvent, leur Patrick Mudry, Jean-Paul MulLauraux, Jean-Daniel Légeret, indulgence complice : ler, Oleg Nirieker, Eric Olloz, Philippe Nicollier et Patrick Michel Ansermoz, Sulivann Carole Œhner, Claude Oreiller, Schifferle, Ansermoz, Alison Ashworth, Michel Pabst, Dany Perrod, les experts : Olivier Geerinck, Guy-Jean Bourgeois, Olivier Arnold Picon, Cécile Pittex, conseiller historique et Bournoud, Gilles Bressoud, Laurent Pittet, Henri Pousaz, concepteur du chapitre Si l’ASD m’était conté, ainsi que Gérald Michel Briol, Géraldine Jean-Jacques Produit, Marcel Hadorn, historien ferroviaire, Candido, Philippe Chambovey, Rittener, Laura Rodriguez, pour sa relecture avertie de la Stéphanie Coutaz, Jean-Pierre Alain Roulin, Alain Schœnmême partie ; « Bolin » Crausaz, Félix Croset, mann, Corinne Spahr, Marco Jacques Dormond, Roxane Tirocini, Philippe Thut, Adeline les soutiens amicaux et précieux : Pascal Bettex, Dubuis, Louis Etter, Reymond Vouilloz, Gabriel Voutaz et Mary-Claude Busset, Derib, Favre, Daniel Fluckiger, Gaël Sébastien Zonca ; Dominique De Ribbeaupierre, Guignard, Pascal Graf, Jean les contributeurs externes : Isabelle Geerinck, Jean Lugrin, Claude « Jonquille » Jollien, Michel Béguelin, Christine Ivan Moscatelli, Christian Roland Krampl, Céline Le Bail, Fehr, Corinne Feuz, Michel Schulé, Patricia Studer, FrédéEmilie Manzini, Daniel Monti, Fornerod, Pascal Gertsch, ric Studer et Solange Wacker. Alain Morard, André Morisod, Jean-Pierre Gontard, Bertrand

r Dédicaces | Remerciements | Crédits


CRÉDITS PHOTOGRAPHES

Camplana (p. 40) Dirker64 (32) Domino73 (175) Virginie Duquette (207) Jean-Daniel Echenard (34) Olivier Geerinck (106, 111, 118 a, 124, 128, 136) Benoît Ghiringhelli (14, 16, 18, 135, 138 a, 144 b, 148, 149, 155, 179 a, 220) Gérald Hadorn (108, 109, 110, 131, 132, 160) Andreas Hirsekorn (150) Pierre Julien (179 b, 202, 203) Jean Lugrin (158, 159, 166, 168) Grégoire Montangero (6, 10, 22, 26, 42, 55, 62, 156, 182, 184, 213,

215, 218, 223) Jean-Paul Muller (186, 187) Laurent Pittet (54) Christophe Racat (30, 36, 57, 58, 60, 61, 129, 204, 206, 216) Marc Striffeler (138 b, 144 a, 147, 152, 167, 200) André Von Arx (123, 127) Thierry Warpelin (28, 226) Raz1940 et Charlotte (38)

DESSINATEURS / ILLUSTRATEURS

Barrigue (p. 193) Burki / 24 Heures (143) Derib (176, 180) Olivier Geerinck (194-199) Pierre Meeuwig (191, 192)

Ivan Moscatelli (20) Jérôme Schaer (209, 210) Alexander Karadjian /eco.villages (224)

Musée des Ormonts (66, 68, 69, 70, 88, 100 b, 102 a, 103, 113, 114, 115, 118 b) / Claude Bornand (67) Musée national suisse (105) Swisstopo (24) Transports Publics du Chablais FONDS D’ARCHIVES (12, 45, 53, 64, 71, 74, 75, 76, 77, Archives de la construction 78 ,79 , 80, 81, 82, 83, 84, 85, 86, moderne (EPFL) (p. 50, 51, 211) 87, 89, 90 a, 91 b, 93 b, 94, 96, 97 Isabelle Chevalley (162) c, 98 b et c, 101, 102 b, 104, 112, Reymond Favre (90 b, 91 a, 92, 119, 208) / Jean Baudat (139, 214) 95, 97 a et b, 98 a, 99, 100 a, 107) / Robert Hofer (122, 125, 142) / Olivier Geerinck (93 a) Marcel Pabst (52) / André Pot Jean-Pierre Gontard (170-174) (47, 48, 49, 121, 140, 141, 146) Oleg Nieriker (133, 177-178) Solange Wacker (163-165) Antal Moholy-Nagy (189) Wikimédia Creative Commons / Marcel Rittener (116, 117, 120, DigitalART(161) 145)

Dédicaces | Remerciements | Crédits

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IMPRESSUM Conception, rédaction, maquette et mise en pages : Grégoire Montangero Relecture : Christian Guhl et Patrick Schifferle

© Copyright : 2014 – G. Montangero et Transports Publics du Chablais SA. Tous droits réservés. www.publi-libris.com

OUVRAGE ÉDITÉ À L’OCCASION DU CENTIÈME ANNIVERSAIRE DE LA LIGNE DE CHEMIN DE FER AIGLE–SÉPEY–DIABLERETS ACHEVÉ D’IMPRIMER LE 30 JUIN 2014 SUR LES PRESSES DE L’IMPRIMERIE GESSLER À NYON POUR LE COMPTE DES EDITIONS PUBLI-LIBRIS À BEX



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