L’araignée
L’araignée qui voulait faire du saut à l’élastique
«Maman!», s’exclama le petit garçon en montrant du doigt une araignée à travers la vitre de la fenêtre. «Là! Juste là! Tu la vois, l’araignée?»
Puis il ajouta: «Quand j’ai crié: ARAIGNÉE! elle s’est tournée vers moi et m’a regardé avec ses dix yeux. Elle m’a fait un signe avec une de ses pattes.» La mère sourit à son petit garçon et pensa qu’elle avait de la chance d’avoir un fils plein d’imagination. Mais... En fait, c’était vrai! Ce n’était pas n’importe quelle araignée! L’araignée avait un nom: Ema. Elle était une trapéziste célèbre, la plus douée de sa génération. Elle arrivait à faire les sauts périlleux les plus impressionnants avec une grâce emplie de magie. Elle inventait sans cesse des nouveaux numéros pour épater le public. Sa vie était bercée par les applaudissements. Mais un accident très grave avait failli mettre fin à sa carrière d’artiste.
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Un soir d’été alors qu’elle se balançait sur sa toile, aussi gracieuse et intrépide que toujours, étrangement, ses sensations n’étaient pas les mêmes que d’habitude. Elle se sentait un peu lourde. Et ce soir-là, au milieu d’une de ses voltiges, elle fut victime d’un étourdissement et rata le fil auquel elle devait se rattraper.
Normalement son erreur n’aurait pas dû avoir grande conséquence. Les araignées peuvent tomber de bien haut, comme au ralenti, elles sont retenues par des brins de soie invisibles, et atterrissent en douceur. Mais ce soir-là, n’ayant pu compter sur ses bons réflexes habituels, elle s’écrasa sur le sol. Par chance, les herbes étaient bien hautes et amortirent le coup. Ema fut étonnée, en reprenant ses esprits, de voir tout autour d’elle des tas d’araignées minuscules, éparpillées et immobiles. Sans vraiment comprendre ce qui lui était arrivé, elle se leva et là... Avec horreur elle découvrit un grand vide au milieu de son ventre. Un trou. Elle comprit alors que ces petites taches noires inanimées autour d’elle étaient ses bébés! Il y en avait une quinzaine
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Ema, incrédule, se mit pendant un long moment à les ramasser et à les secouer un à un. Epuisée par cette activité frénétique elle finit endormie à leurs côtés.
A son réveil, rien n’avait changé. Elle resta là, à les surveiller, sans bouger... dans l’attente qu’ils s’animassent. Elle gardait l’espoir que ses enfants ne fussent que profondément endormis. Au bout de deux jours, quand même, elle dut se rendre à l’évidence: aucun sommeil, aussi profond qu’il puisse être, ne dure aussi longtemps. Les larmes jaillirent de ses 10 yeux. Des flots irrépressibles remplirent sa gorge. Elle faillit s’en étouffer. Sa vie s’était déroulée sans autre préoccupation que celle d’épater son public, de dessiner des toiles de plus en plus sophistiquées pour y faire des acrobaties de plus en plus spectaculaires. Jamais elle n’avait ressenti le moindre mal. Et voilà qu’elle se contorsionnait de douleur sans savoir comment c’était arrivé. Et pourquoi à elle? Et pourquoi tout court?
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Et
elle n’arrêtait pas de pleurer. Jusqu’à la dernière goutte salée de son corps, jusqu’au moment où la soif lui fit penser qu’elle n’avait pas bu ni mangé depuis des jours...
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Ema
était une sportive. Elle regarda les feuilles d’hibiscus qui se trouvaient au-dessus de sa tête, et les pistils pleins de jus sucré lui firent soudain très envie. Elle essaya d’actionner son lanceur de fil de soie, un automatisme d’araignée, pour grimper sur les fleurs rouges. Mais non, cela ne fonctionnait pas, au milieu de son ventre il ne restait qu’un vide... Elle se résolut à grimper par les branches comme une de ces banales petites bêtes qui n’ont que leurs pattes pour se déplacer. Après avoir bu à sa soif, elle se pelotonna au creux d’une fleur avec la ferme intention de ne plus bouger. Sa vie lui semblait sans importance désormais. Sans ses sauts, ses applaudissements, et sans ses bébés, qu’elle n’avait même pas connus, il ne lui restait rien. Mais Ema était, malgré tous ses malheurs, pleine de vitalité. Vint bientôt l’heure de manger. Elle mangea, mangea... Ses bras gonflèrent, ses joues enflèrent, sa tête augmenta de taille. Elle avait grossi de partout excepté au milieu de son ventre où le trou restait intact.
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Elle se lassa de manger autant et perdit l’appétit. Elle se lova au creux d’une fleur pour passer son temps à regarder le ciel. Rien n’était plus beau ni reposant. Les nuits d’août le ciel s’animait; il était traversé d’étoiles filantes. Elle avait découvert ça!
Plus tranquille maintenant, elle commençait à attendre ce spectacle chaque nuit depuis sa fleur qui était un doux refuge. Le temps passant, Ema commençait à se consoler. Bientôt elle eut envie de repartir dans les airs. Mais son lanceur de fil ne marchait toujours pas. Elle se rappela, alors, des sauts à l’élastique de son ami Ivo. «Bien sûr!», se dit-elle, et en souriant enfin, elle partit le retrouver.
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Dans le fond du jardin, sur l’avocatier, Ivo, araignée trapé-
, ziste à la retraite, s’était reconverti. Il proposait aux insectes, friands d’émotions fortes, des sauts à l’élastique. Assez souvent les émotions étaient vraiment «trop fortes» et certains insectes mouraient d’effroi. C’était le risque! Et tout le monde était averti d’avance! Quant aux araignées, elles savent bien quoi faire dans ces cas-là. Elles ont une imagination débordante pour les accommoder en mets délicats... Parfois quand il y avait beaucoup de «pertes», le soir même on faisait banquet pour les copains. Cela fonctionnait si bien, qu’Ivo considérait même ouvrir une table d’hôtes.
Ema
prit son temps pour traverser le jardin. Se déplacer à huit pattes et au ras des herbes c’était un peu moins facile que se laisser glisser sur les fils d’araignée tendus entre les branches. Elle croisa des escargots et des vers de terre et elle découvrit un nouveau paysage, un autre point de vue, moins élevé, plus terre-à-terre. Elle fut rassurée une fois arrivée au pied de l’avocatier. Après un si long voyage elle était franchement épuisée. N’ayant plus de force pour grimper elle cria: «Ivo, s’il te plaît, lance-moi un fil. Je voudrais faire un saut à l’élastique».
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Ema non seulement fit des sauts à l’élastique chaque fois
qu’elle le désira, mais elle inventa aussi de nouveaux numéros d’acrobatie sur élastique qui attirèrent du public de partout dans le jardin. Ivo, la trouvant belle, la caressa très souvent. Bientôt le vide de son ventre fut comblé de nouveau. Un jour elle se sentit bizarrement lourde. Elle arrêta de se balancer au cas où! Son ventre gonfla, gonfla, et un soir d’été... Je suis sûr que tu as deviné. Les soirs d’été quand elle met ses petits au lit, parfois, elle pense à ses bébés perdus. Mais elle n’est plus triste. Elle est plutôt devenue une grande curieuse pleine de vie. La lumière de la fenêtre de la cuisine l’attire très souvent et elle aime y camper. Ivo lui a confectionné une grande et belle toile près de la vitre depuis laquelle elle peut voir les enfants de la maison sagement assis à table, leur maman qui sert le dîner et qui sourit, pendant que leur papa raconte sa journée. Oui, enfin uniquement quand ils ne se chamaillent pas les uns avec les autres.
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Solange Tredinick © 2009 www.tredinick.com