Trois Couleurs #109 - mars 2013

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cinéma culture techno mars 2013 n°109 by RENCONTRE AVEC HARMONY KORINE

Et aussi…

Judd Apatow • Ed Banger • Bruno Dumont • Le Monde fantastique d’Oz • Woodkid • Rocé Exposition Maurice Pialat • Tomb Raider • Agnès Jaoui et Jean-Pierre Bacri • À la merveille

La tête dans les nuages

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SOMMAIRE Éditeur MK2 Agency 55 rue Traversière, 75012 Paris Tél. : 01 44 67 30 00 Directeur de la publication Elisha Karmitz (elisha.karmitz@mk2.com) Rédacteur en chef Étienne Rouillon (etienne.rouillon@mk2.com) Rédactrice en chef adjointe Juliette Reitzer (juliette.reitzer@mk2.com) Rédactrice Laura Tuillier (laura.tuillier@mk2.com) Directrices artistiques Marion Dorel (marion.dorel@mk2.com) Sarah Kahn (hello@sarahkahn.fr) Secrétaire de rédaction Jérémy Davis (jeremy.davis@mk2.com) Iconographe Juliette Reitzer Stagiaire Stéphane Odrobinski Ont collaboré à ce numéro Stéphane Beaujean, Ève Beauvallet, Léa Chauvel-Lévy, Sophia Collet, Renan Cros, Tiffany Deleau, Bruno Dubois, Julien Dupuy, David Elbaz, Yann François, Clémentine Gallot, Claude Garcia, Adrien Genoudet, Quentin Grosset, Jérôme Momcilovic, Wilfried Paris, Michael Patin, Laura Pertuy, Bernard Quiriny, Guillaume Regourd, Yal Sadat, Alain Smet, Bruno Verjus, Éric Vernay, Anne-Lou Vicente, Etaïnn Zwer Illustrateurs Dupuy et Berberian, Stéphane Manel, Charlie Poppins Illustration de couverture ©Sam Green Représenté par Lieke Noordink / Unit Publicité Directrice commerciale Emmanuelle Fortunato Tél. 01 44 67 32 60 (emmanuelle.fortunato@mk2.com) Responsable clientèle cinéma Stéphanie Laroque Tél. 01 44 67 30 13 (stephanie.laroque@mk2.com) Chef de projet communication Estelle Savariaux Tél. 01 44 67 68 01 (estelle.savariaux@mk2.com) Assistante chef de projet Anaïs Benguigui Tél. 01 44 67 30 04 (anais.benguigui@mk2.com)

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© 2013 TROIS COULEURS issn 1633-2083 / dépôt légal quatrième trimestre 2006. Toute reproduction, même partielle, de textes, photos et illustrations publiés par MK2 est interdite sans l’accord de l’auteur et de l’éditeur. Magazine gratuit. Ne pas jeter sur la voie publique.

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5 … ÉDITO 6 … ENTRETIEN > Woodkid pour The Golden Age 10 … PREVIEW > La Belle Endormie de Marco Bellocchio 12 … SCÈNE CULTE > Matrix d’Andy et Larry Wachowski

15 LES NEWS 15 … CLOSE-UP > Nicholas Hoult pour Warm Bodies de Jonathan Levine et Jack le chasseur de géants de Bryan Singer 16 … BE KIND, REWIND > Queen of Montreuil de Sólveig Anspach 18 … EN TOURNAGE > Amour crime parfait d’Arnaud et Jean-Marie Larrieu 20 … COURTS MÉTRAGES > 35e Festival international du court-métrage à Clermont-Ferrand 22 … FESTIVALS > 25e festival Premiers Plans d’Angers ; 63e Berlinale 24 … MOTS CROISÉS > Agnès Jaoui et Jean-Pierre Bacri pour Au bout du conte 26 … SÉRIES > House of Cards de Beau Willimon 28 … ŒIL POUR ŒIL > Guerrière vs. This is England 30 … FAIRE-PART > « Maurice Pialat – Peintre et cinéaste » à la Cinémathèque 32 … P ÔLE EMPLOI > Antonin Baudry, diplomate et scénariste de bande-dessinée pour Quai d’Orsay 34 … ÉTUDE DE CAS > Les Amants passagers de Pedro Almodóvar 36 … TOUT-TERRAIN > Orties, Lady 38 … SEX TAPE > The Sessions de Ben Lewin

40 DOSSIERS 40 … 40 ANS – MODE D’EMPLOI > Entretien avec Judd Apatow ; la famille Apatow 46 … CLOUD ATLAS > Rencontre avec l’équipe ; cartographie du film 54 … CAMILLE CLAUDEL, 1915 > Entretien avec Bruno Dumont 58 … SPRING BREAKERS > Entretien avec Harmony Korine ; rencontre avec les actrices du film 68 … LE MONDE FANTASTIQUE D’OZ > Les studios Disney, Sam Raimi et le pays d’Oz : histoires d’une rencontre extraordinaire

71 LE STORE 71 … OUVERTURE > Tetris Desk Lamp par Kas Design 72 … EN VITRINE > Rencontre avec Pedro Winter et So_Me pour les 10 ans d’Ed Banger 76 … RUSH HOUR > Paris fait son cinéma ; Dungeon Quest – Tome 3 ; Pierre Étaix 78 … KIDS > La Dernière Licorne de Jules Bass et Arthur Rankin Jr. 80 … VINTAGE > La Rivière rouge de Howard Hawks 82 … DVD-THÈQUE > Le Ciel et la Boue de Pierre-Dominique Gaisseau 84 … CD-THÈQUE > Gunz n’Rocé de Rocé 86 … BIBLIOTHÈQUE > Les Grands Jours de Pierre Mari 88 … BD-THÈQUE > Philémon – Le Train où vont les choses… de Fred 90 … LUDOTHÈQUE > Tomb Raider

95 LE GUIDE 96 … SORTIES EN VILLE > Yo La Tengo ; Mesparrow ; Linder ; Joel Meyerowitz ; Peter Stein ; le retour de l’œuf 108 … SORTIES CINÉ > No de Pablo Larraín ; À la merveille de Terrence Malick ; Notre monde de Thomas Lacoste ; Le Mur invisible de Julian Roman Pölsler ; Djeca – Enfants de Sarajevo d’Aida Begic ; The Place Beyond the Pines de Derek Cianfrance 122 … LES ÉVÉNEMENTS MK2 > L’École des superhéros au MK2 Bibliothèque ; « Les courts métrages, le retour » par MK2, KissKissBankBank et La Banque Postale ; 3e Festival du film Nikon 128 … « TOUT OU RIEN » PAR DUPUY ET BERBERIAN 130 … LE CARNET DE CHARLIE POPPINS www.mk2.com 3


ÉDITO Spring Breakers : les canons et la mitraille Une scène de concert en plein milieu d’une plage cramée de soleil. Arrive un rappeur à la dégaine pas possible. « Est-ce que vous êtes lààà ? » Mille mains bien hautes avec des gobelets tout rouges répondent : « Ouaiiiiiiiiiis ! » Au micro, le personnage joué par James Franco donne le vertige. Pas parce qu’il nous embarque sur des sommets, mais parce qu’il a les pieds au-dessus d’un trou sans fond. Au bout des gobelets, quatre bombinettes adolescentes. Elles ont financé leur spring break en braquant un fast-food. Attention, Spring Breakers, c’est pas anti-système pour un sou. Le film de Harmony Korine ne demande jamais : « Pourquoi vous êtes là ? » La réponse sue tout de même par tous les pores de ces gamines surarmées en maillot de bain : elles sont là pour être là. C’est la fête de la fête. Un « break » qui n’aura pas de postérité une fois de retour en ville : on ne prend pas le bus scolaire en bikini. Un vide béant, tautologique, qu’on ne peut pas creuser, y a rien à gratter. Pas que Spring Breakers soit un mauvais film. C’est un bon film. Les propositions d’articles tournaient autour de deux idées : c’est gonflé de mettre des flingues et des joints dans la bouche des starlettes de Disney ; et Spring Breakers est un exercice de style qui met en scène la vacuité de la génération MTV en absorbant ses codes visuels. Mais comment décrire le vide ? C’est un coup à se fracasser sur des chambranles de portes ouvertes. « Pourquoi vous êtes là ? » : on a préféré s’en tenir à poser la question à Harmony Korine et ses actrices. Ergoter sur Spring Breakers, c’est vouloir courir cent mètres sur les mains. Ces gamins ne sont rien. Ce film ne dit rien, et c’est ce mutisme qui le rend parlant. Spring Breakers ne doit pas avoir de postérité, il édifie une impasse qu’il faudra éclater dans un autre film. Korine pourrait se lancer sur la piste du nouvel album du groupe punk Iceage, You’re Nothing, qui fait dire ce mois à notre chroniqueur qu’il « remanie la grammaire de la violence pour rendre à la jeunesse le goût du sang ». You’re Nothing. Bonne raison pour devenir quelqu’un. _Étienne Rouillon

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ENTRETIEN

Il y a deux ans, le Français Yoann Lemoine, connu pour ses réalisations de clips, lançait un projet musical, WOODKID, avec une chanson démente, Iron. The Golden Age prolonge la piste sous la forme d’un album orchestral à l’identité unique, à la cohérence toute-puissante, fort de clips majestueux. « Ma voix est difficile à mixer, son timbre se confond avec celui du violoncelle », commence par prévenir Lemoine, dans un registre savant inattendu. C’est que Woodkid n’est pas la dernière marotte d’un touche-à-tout virtuose. The Golden Age est le fruit d’un travail artisan, acharné, timbré. _Propos recueillis par Étienne Rouillon

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n évacue tout de suite le fait qu’en tant que réalisateur de clips vous avez travaillé avec Rihanna, Lana Del Rey, Drake ou Katy Perry. Est-ce difficile de se lancer à son tour dans la musique quand on collabore avec un tel gratin ?

Collection de timbres

Je n’ai aucun complexe par rapport à ça. Je fais une musique très différente, mais je ne me suis pas singularisé par volonté d’éviter la comparaison. Je ne vois pas de différence entre musique indé et mainstream, c’est une frontière de vieux routard de la musique. Si j’avais la voix, je me verrais bien faire de la grosse dance, de la musique de divertissement. J’adorerais faire des ­productions pour Rihanna. Avez-vous eu une formation musicale ? Comment avez-vous appris à composer des chansons ?

J’ai grandi dans une famille créative, entouré de musiciens. Petit, je suis allé au conservatoire, j’ai appris le piano. J’ai arrêté pendant des années, j’avais d’autres choses en tête avec mes études d’arts appliqués. Pour une raison qui m’échappe je m’y suis remis dans les années 2000. Ça me manquait. J’ai toujours été très curieux sur le plan visuel et sonore. Gamin, j’écoutais beaucoup de bandes-sons de films. Souvent des films que je n’avais pas vus. Je me mettais dans ma chambre avec le casque à donf et je mettais mes propres images sur la musique.

©Mathieu Cesar

The Golden Age donne envie de prendre d’assaut des châteaux forts, armé seulement de bouts de bois…

Cette dimension épique et dramaturgique du son, ce pendant de mon oreille musicale, s’est forgée avec des B.O. très classiques, comme celles de Spielberg. Et puis j’ai eu la chance de découvrir, enfant, la musique du compositeur Philip Glass.

La dimension répétitive de ses compositions se retrouve dans vos chansons…

Absolument. Il y a autre chose qui m’a marqué enfant : les diffusions de la série Twin Peaks sur la Cinq. Mes parents ne voulaient pas que je regarde. Ils trouvaient ça trop barré pour moi. Mais eux regardaient. J’étais dans ma chambre et je n’entendais que le son. Et cette bande-son d’Angelo Badalamenti, le générique d’intro, c’est quelque chose qui m’a profondément marqué. Oui, cette répétition dans les structures, ces principes de production, de composition, ça vient aussi de l’apprentissage que j’ai fait de la musique par les logiciels informatiques. J’ai toujours eu des ordinateurs autour de moi, cette approche digitale du son. Je me souviens, sur la PlayStation 1, j’avais ce jeu, Music. Une sorte d’embryon de Cubase (logiciel de production musicale – ndlr). Je faisais des pistes sur ma manette. J’étais comme un dingue. C’est comme ça que j’ai appris à composer. Votre musique respecte ce solfège orchestral très organique, mais les structures et les techniques de production sont atypiques…

J’avais envie de faire de la musique, vraiment de la musique. Sur scène, mes musiciens ont une partition. Je ne joue pas de la musique depuis un iPod. J’avais besoin, comme dans mes travaux de réalisateur, de mettre dans ce projet un investissement artisan. J’ai besoin de maîtriser mon métier. De l’apprendre. Comme un menuisier qui travaille des années sur un modèle de chaise, pour un jour arriver à réaliser la chaise parfaite. Il y a deux ans, la chanson Iron a défini un alphabet propre à Woodkid…

L’idée est effectivement de créer une nouvelle grammaire www.mk2.com

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©Karim Sadli

d’écriture de la musique, de l’arrangement, de la production, sur une base qui reste pop. Beaucoup d’artistes ont évidemment utilisé des formes orchestrales en pop : Divine Comedy, Pink Floyd… J’ai cherché à aller plus loin en éradiquant tous les instruments de la pop pour n’en conserver que la structure. Sur certaines chansons, on devine le renfort d’instruments électroniques, sans que le tympan ne parvienne à les démasquer…

« Créer une illusion de réalité avec un son qui est en fait dix fois plus gros et plus profond qu’à l’origine. »

En fait, l’album est très faux. On a triché partout, et ça, ça m’intéresse beaucoup. Par exemple, les prises d’orchestre que l’on a faites avec l’opéra de Paris… Eh bien, on a tout redécoupé, pitché (modifier la tonalité du son – ndlr), samplé. On a travaillé cette matière de manière peu orthodoxe.

L’exemple le plus probant, ce sont les percussions…

On a passé des mois à kiter des batteries (recréer des batteries électroniques à partir d’une banque de sons enregistrés – ndlr). Par exemple, des timbales d’orchestre jouées par des personnes pas du tout habituées à travailler comme ça. On a cherché le timbre absolu. La grosse caisse absolue, la cymbale absolue. Des sons extrêmes dans leur recherche, dans leur genre. Une des chansons est ainsi construite avec des trombones dépitchés…

Pour celle-ci, on a été très inspirés par Autobahn, du groupe de musique électronique Kraftwerk. J’avais envie de transférer ça dans un monde organique. Pitcher entièrement un orchestre, faire tomber sa tonalité pour qu’il y ait cette impression… comme quand une sirène d’ambulance passe à toute vitesse. On a aussi doublé les percussions d’orchestre avec des sons de genre techno, très graves. Ça ne s’entend pas de 8

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façon évidente parce que l’on a synchronisé le tout parfaitement. Au final, ça donne une impression très organique à l’oreille. Une illusion de réalité pour un son qui est en fait dix fois plus gros et plus profond qu’à l’origine. C’est une forme d’hyperréalisme. Cette approche se retrouve dans vos clips, qui associent la boue brute et la pierre ciselée…

Visuellement, cela m’intéresse, cette recherche de collision entre passé et futur. Je veux figurer un ancien monde, intemporel, qui entre en collision avec des éléments modernes. L’architecture futuriste de mes clips emprunte ainsi aussi au passé, avec ses influences soviétiques. Ce paradoxe, cette ambivalence, c’est aussi présent quand j’utilise partout le noir et blanc mais dans une tonalité HD, avec une image très piquée. Ça date le projet dans une époque, par les procédés utilisés, et en même temps ça le met hors du temps, par le rendu. Une nostalgie magnifiée par la technologie. Les utilisations de filtres sur un truc comme Instagram concentrent ce paradoxe : faire comme si c’était vieux, grâce à des outils modernes. Dans la même idée, peut-être qu’un jour j’irai au bout de cette idée que j’avais pour ­l’album : une chanson infinie.

Infinie ?

Oui, une chanson que l’on ressortirait régulièrement, non pas dans une nouvelle version, mais dans une nouvelle perfection. Une chanson que l’on peaufinerait au fil du temps. J’entretiendrais une infinie répétition ­escherienne. Peaufiner à chaque fois, comme l’artisan. ♦ The Golden Age de Woodkid Label : GUM Sor tie : 18 mars

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PREVIEW

Sommeil agité La Belle Endormie de Marco Bellocchio Avec : Isabelle Hupper t, Toni Ser villo… Distribution : Bellissima Films Durée : 1h50 Sor tie : 10 avril

Grand sujet, scénario presque « dissertatoire », La Belle Endormie prend le pouls tapageur de l’histoire récente sur un mode très illustratif : tous les avis autour de l’euthanasie d’une jeune femme plongée dans le coma s’y affrontent par le prisme des personnages, sans que le film ne prenne parti dans un débat qui a agité l’Italie en 2008. Pourtant, à partir de ce tourbillon politique et médiatique, Marco Bellocchio produit une fresque plus complexe, comme tirée de son anesthésie lorsqu’elle se resserre sur le jeu de séduction entre une militante du Mouvement pour la vie et un jeune homme aux convictions troublées. C’est en filmant les dilemmes et les paradoxes que le réalisateur de Vincere parvient à s’épanouir.

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©Francesca Fago

_Quentin Grosset

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scène culte

Voyage dans les nuages… et dans la matrice. Dans Cloud Atlas (lire également p. 46), ANDY et LANA WACHOWSKI déploient une audacieuse intrigue qui mêle les destins de six personnages à la grande histoire. Dans le premier volet de la trilogie Matrix, Neo (Keanu Reeves) se trouve lui aussi confronté aux croisements des réalités et doit appréhender l’existence de la matrice, que l’on « superpose à [son] regard pour [lui] faire oublier la vérité », selon les mots de son mentor Morpheus. Un vrai travail de l’esprit, comme dans cette séquence où Neo, attendant d’être reçu par l’Oracle, avise un enfant en train de tordre une cuillère par l’esprit… _Par Stéphane Odrobinski

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DR

MATRIX (L’enfant aperçoit Neo qui l’observe, et la cuillère se redresse immédiatement. Neo s’approche de lui, s’accroupit et prend la cuillère, que l’enfant lui tend.)

L’ENFANT : N’essaye pas de tordre la cuillère, car c’est impossible. (Neo regarde la cuillère. L’enfant marque une pause, puis reprend.)

L’ENFANT : Tu dois essayer de te concentrer pour faire éclater la vérité.

(Interpellé, Neo regarde l’enfant.)

NEO : Quelle vérité ? L’ENFANT : La cuillère n’existe pas. NEO : La cuillère n’existe pas… L’ENFANT : Et là, tu sauras que la seule chose qui se plie, ce n’est pas la cuillère, c’est seulement ton reflet.

(Neo tient la cuillère devant lui et la fixe intensément. Au bout de quelques instants, celle-ci se plie une nouvelle fois. Une femme surgit brutalement, interrompant l’exercice.)

LA FEMME : L’Oracle peut vous recevoir. Matrix d’Andy et Larr y Wachoswki, scénario d’Andy et Larr y Wachowski (19 9 9 ) Disponible en DVD ( Warner Bros.)


Close-up

©Jamie McCarthy/WireImage

NEWS

Nicholas Hoult

Collégien souffre-douleur dans Pour un garçon, ado arrogant dans la série Skins, étudiant entreprenant dans A Single Man ou mutant dans X-Men – Le Commencement… À seulement 23 ans, l’Anglais Nicholas Hoult a déjà un CV bien étoffé et le goût de l’éclectisme. Ce mois-ci, il est le héros de Jack le chasseur de géants de Bryan Singer (en salles le 27 mars), relecture épique du conte populaire, et de Warm Bodies (en salles le 20 mars), sorte de Roméo et Juliette postapocalyptique signé Jonathan Levine. Dans cette rom com improbable mais désarmante, il incarne un zombie nostalgique amoureux d’une humaine qu’il protège de ses congénères. L’an prochain, on le verra dans Mad Max – Fury Road et dans X-Men – Days of Future Past, deux blockbusters qui devraient définitivement l’installer à Hollywood. _Tiffany Deleau

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NEWS BE KIND, REWIND

ENTRAIN DE BANLIEUE

Dans Queen of Montreuil, la cinéaste SÓLVEIG ANSPACH se penche, souveraine du haut de sa grue, sur la ville bigarrée de la Seine-Saint-Denis, où se croisent les destins loufoques d’une réalisatrice endeuillée, de squatteurs islandais et d’un phoque orphelin aux yeux tristes. Un charmant panorama de Montreuil, cité cinégénique depuis les fééries de Georges Méliès…

©ExNihilo MikrosImage-2012

_Par Quentin Grosset

Queen of Montreuil de Sólveig Anspach Avec : Florence Loiret-Caille, Didda Jónsdót tir… Distribution : Diaphana Durée : 1h27 Sor tie : 20 mars

©Shellac

DR

©Mk2

Trois fois Montreuil

Le Voyage dans la lune de Georges Méliès (1902)

L’amour existe de Maurice Pialat (1960)

La Commune (Paris, 1871) de Peter Watkins (2000)

C’est dans la rue ­François-Debergue, à Montreuil, que Georges Méliès fait construire en 1897 le tout premier studio de cinéma français. Le prestidigitateur y laisse libre cours à sa fantaisie avec un abracadabrant alunissage. Inspiré par le roman de Jules Verne De la Terre à la lune, cette « féérie » (genre entre fantastique et science-fiction qui fera le succès du cinéaste et de sa société Star Film) voit une fusée abritant des explorateurs s’écraser dans l’œil du satellite. Les décors peints et les trucages, novateurs à l’époque, vaudront à Méliès d’être surnommé « le mage de Montreuil ». ♦

Parmi les premiers films du réalisateur d’À nos amours, ce court documentaire autobiographique reste l’une des plus belles évocations de la banlieue au cinéma. Sur des images de la périphérie de Paris à la fin des années 1950, une voix amère livre un commentaire nostalgique sur ces zones laissées dans l’oubli après la guerre. Pialat se souvient alors, avec mélancolie, de sa jeunesse montreuilloise : « La banlieue entière s’est figée dans le décor préféré du film français. À Montreuil, le studio de Méliès est démoli. Ainsi, merveilles et plaisirs s’en vont, sans bruit. » ♦

Pour retracer l’histoire tourmentée de la Commune de Paris, le cinéaste britannique Peter Watkins a investi les locaux de la Parole Errante, centre de création dirigé par Armand Gatti – figure du théâtre révolutionnaire – et situé à l’emplacement même des anciens studios de Méliès. Dans ce lieu très engagé dans les luttes sociales de la ville, Watkins mélange les époques et fait ainsi intervenir, sous la forme anachronique d’actualités télévisées, des Montreuillois amateurs critiquant le gouvernement versaillais de 1871 et s’interrogeant sur leur situation contemporaine. ♦

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©Wild Bunch Distribution

NEWS EN TOURNAGE

Les frères Larrieu sur le tournage des Derniers Jours du monde, sorti en 2009

CIME PARFAITE D’ Amour crime par fait d’Arnaud et Jean-Marie Larrieu Avec : Mathieu Amalric, Karin Viard… Distribution : Gaumont Sor tie prévue : 2013

Après Les Derniers Jours du monde, ARNAUD et JEAN-MARIE LARRIEU délaissent leur terre pyrénéenne pour le tournage d’Amour crime parfait, film noir et quatrième adaptation au cinéma d’une œuvre de l’écrivain Philippe Djian. _Par Quentin Grosset

ordinaire, les frères Larrieu sont plus Sud-Ouest que SudEst. Dans les Pyrénées, les deux larrons ont tourné leurs plus belles fantaisies picaresques, où le paysage montagnard est toujours le lieu du vacillement des genres et de l’exploration des corps. C’est cette fois à Megève, dans les Alpes savoyardes, puis en Suisse que les réalisateurs ont entamé début février le tournage d’Amour crime parfait, leur sixième long métrage de fiction. Le terrain est toujours montueux, mais le climat, lui, s’annonce plus asphyxiant que vivifiant. En adaptant Incidences, roman de Philippe Djian paru en 2010, les Larrieu inclinent leur

Clap !

_Par S.O.

1 Bryan Singer Depuis 2003, il n’avait plus filmé la super équipe de mutants. Avoir participé au scenario du prequel X-Men – Le Commencement lui aura donné l’envie de repasser derrière la caméra pour sa suite directe, Days of Future Past, prévue pour juillet 2014.

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cinéma vers le thriller romantique, même si une grande partie du livre était écrite sur le ton de la comédie. L’intrigue tournera autour de Marc, un professeur de littérature à l’université de Lausanne qui, après avoir couché avec l’une de ses étudiantes, la trouve inanimée dans son lit. Une fois débarrassé du corps, il se retrouve dans un jeu de séduction troublé avec la mère de la jeune fille. Mathieu Amalric et Karin Viard, déjà au casting des Derniers Jours du monde, composeront avec Maïwenn, Sara Forestier et Denis Podalydès pour emprunter les chemins vierges, peut-être plus pentus et périlleux, de la filmographie des cinéastes. ♦

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2 Michael Mann Le magazine Variety a annoncé que le réalisateur de Heat et de Collatéral dirigera bientôt Chris Hemsworth, la star de Thor, dans un cyber-thriller. Mann travaille avec le scénariste Morgan Davis Foehl, déjà à l’œuvre pour l’adaptation du jeu vidéo Mass Effect.

3 Harrison Ford Pas une semaine sans que le prochain Star Wars ne soulève des rumeurs folles. Ce qui est sûr, c’est qu’Indiana Jones retrouvera le gilet sans manches de Han Solo. Quant à Mark Hamill (Luke Skywalker), il s’est dit intéressé si les anciens sont de la partie.

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NEWS courts métrages Courts, toujours _Par L.T.

© Sergio Oksman

Spécial Clermont-Ferrand

© Sergio Oksman

Une histoire pour les Modlin de Sergio Oksman Grand Prix Labo mérité pour ce docu expérimental fascinant, qui reconstitue la vie d’Elmer Modlin à partir d’archives trouvées dans une poubelle de Madrid : figurant dans Rosemary’s Baby, il s’enferma pendant trente ans dans un appartement avec sa femme et son fils et devint progressivement fou.

Une histoire pour les Modlin de Sergio Oksman

_Par Laura Tuillier

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réquentation record pour cette 35e édition du Festival international du court-métrage, qui s’est tenue à Clermont-Ferrand du 1er au 9 février derniers. Les salles, disséminées entre ville haute et ville basse, sont combles. Étudiants en option ciné, Clermontois habitués et Parisiens venus pour l’occasion ont fait orgie d’une programmation gargantuesque (plus de deux cents films sélectionnés). Côté compétition nationale, on retiendra Hotel Cervantes de Guillaume Orignac et Guillaume le désespéré de Bérenger Thouin, deux films qui, à partir d’images fixes appartenant au passé, construisent des histoires en trompe-l’œil, menteuses et fascinantes. C’était aussi le cas

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d’Une histoire pour les Modlin (lire ci-contre), présenté dans la sélection Labo. L’animation était également de la fête, avec des films tantôt sombres et graphiquement épatants (Les Sept Péchés capitaux d’Antoine Roegiers, à partir de gravures de Bruegel l’Ancien, ou Bite of the Tail de Song E. Kim), tantôt enlevés et désopilants (le Tram littéralement jouissif de Michaela Pavlatova). Enfin, pour les plus voraces, un panorama dédié à la production indienne permettait de découvrir des bijoux, souvent en 35 mm, à l’image de Darshan et de Girni d’Umesh Kulkarni, deux fictions poétiques mettant en scène des enfants en résistance contre le réel. Avis aux gourmets. ♦

Vie et mort de l’illustre Grigori Efimovitch Raspoutine de Céline Devaux Ancienne élève des Arts déco, Céline Devaux a remporté le prix du Meilleur Film d’animation francophone avec cette biographie animée (dessins classieux à l’encre sur Celluloïd) du célèbre Raspoutine, ici décrit avec humour comme un marabout déluré.

© Kazak Productions

Après dégustation au Festival de Clermont-Ferrand, il semblerait bien que l’année 2013 soit un bon cru pour les courts métrages. Entre films d’animation brillants, fictions déconstruites et un panorama indien savoureux, récit par le menu de cette 35e édition.

© Céline Devaux - ENSAD

LE BANQUET

Les Lézards de Vincent Mariette Léon et Bruno, deux potes dans un hammam. Le premier a rendez-vous avec une fille rencontrée sur internet. Le second doit donner son avis. Dans une moiteur en noir et blanc, Vincent Macaigne et Benoît Forgeard forment, en mecs maladroits, un parfait duo comique.

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NEWS FESTIVALS

©See Saw Films

1. Le troublant Clip de Maja Miloš, présenté au festival Premiers Plans d’Angers

© KMBO

2. Top of the Lake, la série policière de Jane Campion présentée à la Berlinale

COMPTES-RENDUS 1. FESTIVAL PREMIERS PLANS D’ANGERS, mI-FUGUES, MI-RAISON Pour fêter son quart de siècle, le festival Premiers Plans d’Angers, qui avait lieu fin janvier, trouvait l’équilibre entre la fleur et la force de l’âge. À Angers, on a fêté plusieurs anniversaires. Celui de Jeanne Moreau, 85 ans, puis celui du festival des premiers films européens, dont l’actrice est la marraine. Cette 25e édition a ainsi mis à l’honneur quelques vétérans comme Marcello Mastroianni, Claude Miller, John Boorman ou encore Denis Lavant. Mais ce sont surtout les déraisons juvéniles qui ont animé l’événement. Dans Ali a les yeux bleus, portrait erratique d’un ado fugueur, le réalisateur italien Claudio Giovannesi offre un point de vue nerveux sur la société multiculturelle de son pays. Autre fuite, celle de Passer l’hiver d’Aurélia Barbet, qui filme le basculement entre une vie confortable et un abandon à la liberté, quand le troublant Clip de Maja Miloš s’interroge sur l’éveil sexuel de jeunes Serbes avec une radicalité qui rappelle Larry Clark. Point de rencontre entre ces questionnements, Je ne suis pas mort de Mehdi Ben Attia fouille le désir entre un professeur et son élève : un jeune adulte et son aîné se regardent en biais, s­ ’attirent, et finissent par faire corps. ♦

2. BerlinALE, sur sa faim Sous les flocons, la compétition de la 63e Berlinale, fidèle à elle-même, faisait la part belle aux drames de société bien intentionnés et engagés. Venu avec son The Grandmasters enfin achevé, Wong Kar-wai a remis un Ours d’or convenu à Child’s Pose du Roumain Calin Peter Netzer. Plus réjouissantes, les distinctions attribuées à David Gordon Green pour la réalisation de Prince Avalanche, à Jafar Panahi pour le scénario de Closed Curtain et au Canadien Denis Coté (Vic et Flo ont vu un ours) pour l’innovation. An Episode in the Life of an Iron Picker a cumulé Grand Prix du jury et Prix d’interprétation masculine. Débarrassé de sa redoutable trilogie, le cinéaste Ulrich Seidl est reparti les mains vides, snobé comme Steven Soderbergh, Bruno Dumont, Hong Sang-soo et Gus Van Sant. Les nouveautés se cachaient en sections parallèles : on en retiendra Frances Ha de Noah Baumbach, le documentaire de Nicolas Philibert La Maison de la radio, la prochaine romance de Jacques Doillon (Mes séances de lutte) et, parmi les petits films passés par Sundance, I Used to Be Darker de Matthew Porterfield. Joyau de la semaine en séance spéciale : Top of the Lake, la minisérie policière de Jane Campion. ♦

_Quentin Grosset

_Clémentine Gallot

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NEWS MOTS CROISÉS La réplique

« On s’est amusés à faire de Cendrillon un garçon qui s’appelle Sandro. C’est lui qui perd sa chaussure. » Ils vécurent heureux et eurent beaucoup d’enfants, certes. Mais comment les adages de contes de fées se portent-ils aujourd’hui ? Dans Au bout du conte, AGNÈS JAOUI et JEANPIERRE BACRI composent une fantaisie chorale dérivée des histoires de notre enfance, où l’amour et la filiation se racontent avec une tendre lucidité. Pour nous, ils ont commenté quelques extraits des contes de Perrault.

« Il fallut en venir enfin / Aux servantes, aux cuisinières / Aux tortillons, aux dindonnières / En un mot à tout le fretin. » (Peau d’âne)

J.-P. B. : Même si c’est encore très cloisonné, la société a changé, et c’est d’ailleurs pour ça qu’on s’est amusés à tordre un peu le conte et à faire de Cendrillon un garçon qui s’appelle Sandro. C’est lui qui perd sa chaussure. A. J. : Dans les émissions de téléréalité, si on prend la célébrité comme la nouvelle aristocratie, on aime l’idée qu’une bergère accède d’un coup de baguette magique au statut de princesse. Ça continue à faire rêver dans les chaumières.

« La fée partit aussitôt, et on la vit au bout d’une heure arriver dans un chariot tout de feu, traîné par des dragons. »

_Propos recueillis par Juliette Reitzer _Illustration : Stéphane Manel

(La Belle au bois dormant)

LE CONTE EST BON « Pour vous rendre méconnaissable / La dépouille de l’âne est un masque admirable. » (Peau d’âne)

Agnès Jaoui : Le déguisement est le premier pas vers l’interprétation. Petit, on se déguise en princesse, en pirate, et ça m’est resté. Je voulais pour les costumes du film quelque chose d’assez intemporel, qui permette d’évoquer tel ou tel conte.

« Alors le Roi (…) se souvint de la prédiction des Fées, et jugeant bien qu’il fallait que cela arrivât, puisque les Fées l’avaient dit, fit mettre la Princesse dans le plus bel appartement du Palais, sur un lit en broderie d’or et d’argent. » (La Belle au bois dormant)

Jean-Pierre Bacri : On a vite élargi le thème premier du conte de fées à toutes les sortes de superstitions, de croyances. C’est comme ça qu’on est arrivés à la prédiction du film, une voyante qui annonce à Pierre la date de sa mort. Les êtres humains ne peuvent pas être tout seuls dans le noir, dans le néant. Il faut bien 24

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s’appuyer sur quelque chose, et tout est bon à prendre, que ce soit l’astrologie, Dieu ou la date de sa mort.

« Est-ce vous, mon Prince ? lui dit-elle. Vous vous êtes bien fait attendre. » (La Belle au bois dormant)

A. J. : J’avais très envie de dire aux jeunes filles de ne pas attendre d’être révélées par un homme. C’est une grande constante des contes de fées, et ces archétypes féminins continuent à peser sur nos frêles épaules. J.-P. B. : Pas si frêles que ça, les femmes sont résistantes. Elles sont douces et résistantes.

« Qui ne sait que ces loups doucereux, de tous les loups sont les plus dangereux. » (Moralité du Petit Chaperon rouge)

A. J. : Il y avait deux possibilités pour le loup du film. Soit qu’il ait d’abord l’air d’un prince charmant ; soit, comme dans le conte, que ce soit clairement un loup dès le départ, à la fois effrayant, repoussant et attirant. Et Benjamin Biolay incarne parfaitement ce loup moderne.

J.-P. B. : Il n’y a pas trop d’aspects fantastiques dans le film… A. J. : Si, la scène de la chaussure par exemple. J.-P. B. : La chaussure, c’est pas fantastique, ça, la chaussure. A. J. : Si, fantastique dans le sens qui s’éloigne du réalisme pur. Je peux te dire qu’on s’est quand même posé la question de pourquoi Sandro ne remonterait pas tout simplement chercher sa chaussure perdue… Au niveau de la réalisation, je voulais rendre le quotidien merveilleux. Pour le bal, par exemple, je me suis souvenue d’une fête aux Frigos de Paris.

« Et qu’il est des temps et des lieux / Où le grave et le sérieux / Ne valent pas d’agréables sornettes. » (Peau d’âne)

J.-P. B. : La réalité, c’est qu’on est incapables d’écrire au premier degré. Finalement, l’humour c’est une distance, il suffit de prendre un petit peu le large et la tragédie devient une comédie. A. J. : C’est aussi qu’on aime rire et observer ce qu’il y a de drôle et de triste dans les malentendus, dans l’incommunicabilité. Un de mes voisins qui a vu le film m’a dit : « Ma femme a ri tout du long, et moi j’ai pleuré. » ♦ Au bout du conte d’Agnès Jaoui, scénario de Jean-Pierre Bacri et Agnès Jaoui Avec : Agathe Bonitzer, Ar thur Dupont… Distribution : Memento Films Durée : 1h52 Sor tie : 6 mars

« Tu t’es jamais demandé comment ce serait si tu étais séparé de ta femme par un truc grave, genre son décès ? (…) Mais sans douleur, qu’elle parte en douceur, (…) et ta deuxième femme serait géniale. » Paul Rudd, père d’une famille en crise dans 40 ans – Mode d’emploi (en salles le 13 mars)

La phrase « J’ai vu deux personnes en colère dans leur bière : il y avait le visage de Maurice, qui restait humain et en colère, et puis le visage de Guillaume, mon fils, qui était aussi pareil, en colère. » Gérard Depardieu, ému, lors de l’ouverture de la rétrospective et de l’exposition consacrées à Maurice Pialat à la Cinémathèque, le 18 février

Status quotes Notre sélection des meilleurs statuts du mois sur les réseaux sociaux Nico : Orties, les dames aux chlamydias. Le Gorafi : L’Oscar du meilleur acteur est décerné à Abraham Lincoln pour son interprétation de Daniel Day-Lewis. Benjamin : On retiendra de Stéphane Hessel sa chanson Déjeuner en paix. Intertitres : Scanne-moi ce JPEG. Humortrain : Problème de mathématiques : un immeuble projette une ombre de 54 pieds de long. Au même moment un homme de 6 pieds de haut jette une ombre de 4 pieds de long. Quelle est la taille, en pieds, de l’arbre ? Nassim : Cheval à la place du bœuf : Ikea a fait une boulette. Marc : Die Hard 5, le dernier film de l’acteur d’Armageddon, se passe à Moscou. Au même moment, une pluie de météorites s’abat sur la Russie. Coïncidence ? Je ne pense pas. Sandrine : Jours de collyre, le remake du film de Dreyer par une critique borgne. Ash Humpy : Une réunion d’anciens élèves ? Pourquoi faire ? Je suis déjà sur Facebook, je sais déjà qui est devenu gros. Patcat : Si les gens pouvaient entendre les cinq secondes qui suivent la fin d’un appel téléphonique, nous n’aurions plus de potes. Platedjeans : Attention : la consommation d’alcool peut vous amener à penser que les gens rient AVEC vous.

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NEWS SÉRIES le caméo

©Showtime

Matt Damon dans House of Lies Quand Matt Damon a besoin d’une petite récréation entre deux longs métrages, il a pris l’habitude de passer pour une ordure à la télé. En janvier dernier, il kidnappait le présentateur Jimmy Kimmel pendant son late show pour prendre sa place à l’antenne. Et le 10 février, son alter ego scélérat faisait une apparition dans la comédie de Showtime House of Lies, à la recherche d’une bonne cause à défendre pour pouvoir faire la nique à George Clooney. L’occasion pour Damon, accessoirement, de retrouver à l’écran Don Cheadle, un autre ancien d’Ocean’s Eleven. _G.R.

NOUVELLE DONNE

David Fincher, Kevin Spacey, Robin Wright… Au-delà de son générique prestigieux, la saga politique House of Cards marque la naissance d’une nouvelle façon de regarder des séries, sans passer par la case télé. _Par Guillaume Regourd

House of Cards de Beau Willimon (États-Unis, 2013, 1 saison) Diffusion : Netflix (indisponible en France)

©Netflix

L

e 1er février dernier, la télévision est officiellement morte. On exagère ; encore que… À cette date, le site américain de vidéo à la demande Netflix lançait House of Cards, sa toute première série originale. Non content d’affranchir ainsi la fiction télé de sa composante « télé », l’opérateur décidait de rendre disponible, d’un seul coup d’un seul, l’intégralité de la saison 1. Soit la remise en cause de soixante-dix ans d’habitudes de spectateur sommé de patienter entre deux livraisons hebdomadaires, et un clou supplémentaire planté dans le cercueil des chaînes. Cruel ? Attendez de voir le costard taillé à la presse écrite, ce fossile, dans House of Cards. La commisération ne figure pas au registre de son implacable protagoniste, le très influent député démocrate Frank Underwood, qui contrôle dans l’ombre le Congrès américain et passe ses journées à crucifier sourire aux lèvres ses adversaires – et, plus souvent encore, ses alliés.

Multipliant les regards-caméra et les apartés caustiques, Kevin Spacey s’en donne à cœur joie, jamais aussi ravi qu’en requin nageant parmi ses congénères. Bien que réalisés par David Fincher, les deux premiers épisodes pèchent par excès de cynisme cabot. Le plein potentiel du show, adapté d’une minisérie anglaise de 1990, ne se révèle qu’ensuite, trouvant le juste équilibre entre

fable acide et étude de caractères ménageant une place conséquente au très beau personnage d’épouse incarné par la divine Robin Wright. Aussi brillante mais bien moins austère que sa jumelle maudite Boss, House of Cards donne envie d’avaler d’un trait ses treize épisodes. La télévision a peut-être un genou à terre, mais les séries, elles, ont de beaux jours devant elles. ♦

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On est tous western ! Pendant tout le mois de mars, les sept chaînes Ciné+ mettent à l’honneur le western sous toutes ses formes (de l’âge d’or à l’animé Rango). Une chevauchée fantastique entre cow-boys solitaires, desperados revanchards et amazones de l’asphalte. _J.R.

©1973 Universal Pictures

Lena Dunham Rien n’arrête la star et créatrice de Girls – deux Golden Globes en poche et une troisième saison d’ores et déjà commandée, Dunham développe un nouveau projet : une comédie centrée sur la vie de Betty Halbreich, célèbre styliste new-yorkaise. _G.R. ©HBO

Utopia L’inclassable série anglaise diffusée en début d’année sur Channel 4 a décroché le Grand Prix séries au dernier FIPA. Bonne pioche pour le festival audiovisuel biarrot que cette dystopie barrée à l’humour très noir, sur fond de BD prédisant l’avenir. _G.R.

©Channel 4

Zapping

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©RDA/BCA

©UFO Distribution

NEWS ŒIL POUR ŒIL

Guerrière de David Wnendt Avec : Alina Levshin, Jella Haase… Distribution : UFO Durée : 1h46 Sor tie : 27 mars

This Is England de Shane Meadows Avec : Thomas Turqoose, Stephen Graham… Disponible en DVD (MK 2 Video)

Ennemis intimes

Comment interroger le pouvoir d’embrigadement des groupes ­néonazis sur des jeunes paumés ? Le film Guerrière est cousin de la plongée crue de This Is England. Même sujet, même approche, mêmes difficultés. _Par Étienne Rouillon

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H

orizon social bouché, désœuvrement scolaire, délitement du cercle familial : les jeunes Marisa (Guerrière) et Shaun (This Is England) baignent dans le même cocktail incendiaire. Un mélange qui s’embrase lorsque leur route sans boussole croise les bottes de nazillons. L’intégration est toujours rapide et plus aisée qu’imaginé : fixée par une mise aux normes vestimentaires, un tatouage à l’aiguille et un acte violent – le plus souvent un tabassage d’immigré. C’est après ces passages obligés que le genre du film d’embrigadement extrémiste doit choisir entre un long chemin de croix rédempteur façon American

History X, ou, comme dans This Is England et Guerrière, un parcours plus ambigu, où les interrogations du protagoniste sont atténuées par les promesses de cette nouvelle famille cimentée dans la haine des autres. Le contexte punk et skinhead (mouvements noyautés par l’extrême droite plusieurs années après leur naissance) offrait à This Is England une respiration absente de Guerrière, où l’omniprésence des croix gammées, des discours racistes et de la nostalgie du IIIe Reich est suffocante. C’est, pour le réalisateur, le meilleur moyen de sensibiliser et d’éduquer sur la montée nouvelle du néonazisme en Europe. C’est réussi. ♦

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©William Karel

NEWS FAIRE-PART

Maurice Pialat et Sandrine Bonnaire sur le tournage d’À nos amours, 1982-1983

Anniversaire

LA MAISON PIALAT MAURICE PIALAT, disparu il y a tout juste dix ans, est fêté ce printemps à la Cinémathèque, qui consacre une exposition à son parcours dans le cinéma et dans la peinture. Une reconnaissance que Pialat a longtemps cherchée sans la trouver, lui qui a réalisé son premier long métrage, L’Enfance nue, à 43 ans. _ Par Laura Tuillier

L’

exposition de la Cinémathèque s’ouvre sur un autoportrait de Pialat, peint lorsqu’il était élève aux Arts déco dans les années 1940. Rappelant Soutine, le sujet semble apparaître à travers un bain de couleurs flou, troublé. Pialat ne ressemble pas au réalisateur imposant qu’il deviendra. Jeune, il est celui qui cherche : le début de l’exposition dévoile les toiles de l’élève, mais aussi quantité de projets avortés de celui qui tente de devenir acteur, d’adapter Marcel Proust, qui réalise

ses premiers courts mais n’arrive pas à financer son long. Pialat, qui formera des duos féconds avec les femmes qui partagent sa vie, Arlette Langmann puis Sylvie Pialat, reste en marge du groupe de la Nouvelle Vague. Mais lorsqu’il réussit enfin à réaliser, les films s’enchaînent et forment rapidement une œuvre éblouissante, vive et mélancolique. L’Enfance nue et La Maison des bois, portraits d’enfants mal-aimés, lui permettent d’affirmer sa mise en scène. Puis vient le temps

Le carnet

« Maurice Pialat – Peintre et cinéaste », jusqu’au 7 juillet à la Cinémathèque Nous ne vieillirons pas ensemble, Police et Sous le soleil de Satan de Maurice Pialat, disponibles en DVD (Gaumont)

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Décès « En art, il faut qu’il y ait la notion de danger, qu’on puisse y laisser sa peau. Personne ne sortira d’ici. Les poseurs, ça ne marche pas. (…) Mon combat à moi, c’est chaque jour écrire des millions de merdes, pour arriver, peut-être, à faire une phrase qui tienne debout. » Daniel Darc dans Trois Couleurs n° 58.

©David Wolff-Patrick/WireImage

Victoires Amour (Michael Haneke) et Argo (Ben Affleck) ont dansé de concert autour des statuettes : à la fois prophètes en leur pays et dans les catégories Meilleur Film étranger, aux Césars comme aux Oscars. Les oubliés (Carax ici, Spielberg là-bas) ont laissé la place aux surprises (Jennifer Lawrence).

©Jeff Vespa/WireImage

DR

_Par S.O.

Naissance Yippee Ki-Yay!, ce n’est pas que la réplique mi-bougonne, mi-bravache de John McClane dans Die Hard, c’est aussi le titre d’une nouvelle revue de cinéma gratuite pour iPad. Composé de news, de critiques et de dossiers, le magazine s’appuie sur une ligne très illustrée et des ressources numériques bienvenues.

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des grands films et des grands rôles offerts à Isabelle Huppert (Loulou), Sandrine Bonnaire (À nos amours) ou Gérard Depardieu (Police). Malgré la consécration (Palme d’or en 1987 pour Sous le soleil de Satan), Pialat n’a jamais cessé de ressembler à son autoportrait de jeunesse : inquiet, vaguement ailleurs. Au sommet, sûrement. ♦

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NEWS PÔLE EMPLOI

©NIZ

Brève de projo

Nom : Antonin Baudr y Professions : diplomate et scénariste de bande-dessinée Dernier projet : Quai d’Orsay – Chroniques diplomatiques – Tome 2 avec Christophe Blain (Dargaud, disponible)

©Laura Pertuy

Un scénariste peut en cacher un autre : le sacre à Angoulême le mois dernier de Quai d’Orsay, satire des coulisses du ministère des Affaires étrangères, a fait tomber le masque d’Abel Lanzac, derrière lequel se dissimulait le diplomate ANTONIN BAUDRY, ancienne plume de Dominique de Villepin. Portrait schizophrène. _Par Laura Pertuy, à New York

L’

allure débonnaire et une barbe sagement extravagante plantée sur des pommettes rieuses, Antonin Baudry traverse en silence son bureau de l’Ambassade française aux ÉtatsUnis, loin du speechwriter frénétique dépeint dans les deux tomes de Quai ­d’Orsay avec son complice le dessinateur Christophe Blain. Il semble aborder sa mission de diplomate comme un jeu complexe et grisant, dont il connaît chaque règle et chaque personnage à la perfection. En charge de la programmation culturelle française sur le territoire américain, Baudry attend la nuit pour se transformer en Lanzac, le scénariste stakhanoviste : « Je n’aime rien plus qu’attendre que tout le monde soit endormi pour m’installer à mon ordinateur et imaginer de nouveaux personnages et situations », nous confirme-t-il. Au petit matin, on l’aperçoit au croisement de Madison et de la 79e rue, le pas décidé et la mine ragaillardie, en route pour ses dossiers. La fièvre créatrice serait-elle l’élixir de ce jeune expat propulsé aux premiers rangs de la diplomatie ? « Je me 32

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Antonin Baudry dans son bureau de l’Ambassade française aux États-Unis

« Écrire au nom de quelqu’un d’autre est une activité très troublante pour l’identité, il ne faut pas s’y frotter trop longtemps. » sens encore porté par l’énergie du travail en cabinet, précise-t-il. On ne peut pas s’inscrire dans la diplomatie culturelle sans avoir l’envie de tout donner ; c’est un métier qui vous prend corps et âme. » Pourtant, même tout entier plongé dans des négociations avec les institutions new-yorkaises, son esprit ne semble jamais quitter les sphères de l’imagination. Subitement, il désigne une chaise sur sa droite et s’anime : « Je peux asseoir n’importe lequel de mes personnages ici et le faire parler. Le tout est de combiner des personnes réelles à des inventions et à des synthèses de plusieurs individus. » Un procédé évident si l’on en croit Baudry, qui s’est cependant souvent confronté à l’angoisse

CV 6 mai 1975 Naissance d’Antonin Baudry 1992 Après un bac S, il essuie les bancs de la prépa Louis-le-Grand. 1994 Il entre à Polytechnique et se passionne pour les grandes théories économiques et les mystères de l’univers. 1998 Il rejoint l’ENS pour des études de littérature et de cinéma. Il en conserve une passion très vive pour Jonas Mekas, Abel Ferrara et le cinéma de Hong Kong. 2002 Il devient speechwriter de Dominique de Villepin au ministère des Affaires étrangères. 2010 Il est nommé conseiller culturel à New York. Publication du premier tome de Quai d’Orsay. 3 février 2013 Le second volume de Quai d’Orsay obtient le prix du Meilleur Album au festival d’Angoulême. Baudry dévoile son identité.

de la page blanche pendant ses années au ministère des Affaires étrangères : « Écrire au nom de quelqu’un d’autre est une activité très troublante pour l’identité, il ne faut pas s’y frotter trop longtemps. » ÉCRAN DUEL Et l’emballement légèrement schizophrène de se poursuivre chez ce Jekyll décontracté, qui propose à la volée une partie de Risk à l’ensemble de son équipe pour le vendredi d’après. Fasciné par la tactique et les mécaniques du langage, il en a même tiré un jeu de société – La Course à l’Élysée, chez Letheia –, toujours avec Christophe Blain. La perspective d’une adaptation cinématographique de Quai d’Orsay n’a donc guère effrayé Baudry qui, redevenant Lanzac de nuit pour des discussions enlevées avec Bertrand Tavernier, a fait bénéficier le scénario de son sens de la réplique percutante. « Je n’avais pas imaginé d’adaptation car je trouvais la BD déjà assez cinématographique. Bertrand m’a dit qu’il savait comment traiter le fameux “VLON !” (onomatopée exprimant l’arrivée

en trombe du ministre – ndlr) de l’album, et ça a été le point de départ de notre discussion. » Ce sont Thierry Lhermitte et Raphaël Personnaz qui interprèteront les deux personnages phares de Blain et Lanzac. Un troisième niveau de réalité pour Baudry, qui avoue adorer « ouvrir les cerveaux » de ses interlocuteurs pour observer ce qui s’y passe et mieux se mettre à leur place. « Quai d­ ’Orsay était une façon de rendre justice aux hommes politiques, toujours présentés avec une panoplie de défauts mais dont on sous-estime le mérite d’essayer de s’occuper de la chose publique et d’y engouffrer leur vie. » Est-ce chez Lanzac que cette obsession de la vérité éclate le plus fort, via la musique graphique qui rythme l’évolution des personnages de case en case pour tomber juste en fin de page ? Ou chez Baudry, qui mène une politique culturelle friande de transparence et de contrôle budgétaire avec un enthousiasme enfantin ? Sûrement quelque part entre chien et loup, à l’heure où ils se rencontrent en passant d’un refuge à l’autre sur Central Park. ♦

Le Diable dans la peau de Gilles Mar tinerie // Sor tie le 27 mars

La technique ©2013 Paramount Pictures

Vlon !

Ego trip Ça commence par une invitation Facebook, en 2008. Tiens, c’est marrant, un type de 11 ans s’appelle comme moi, Quentin Grosset, alors je l’ajoute. Puis, je me rends compte qu’il est beaucoup plus cool que moi. Qui est ce préado qui tourne pour Harmony Korine ? Je me suis fait supplanter par un gamin… Tant pis, je me sers de lui pour faire croire à toute la fac que je joue dans Film socialisme de Jean-Luc Godard. J’ai la classe. Mais en 2012, je reçois le carton de projection du Diable dans la peau de Gilles Martinerie, où mister Duplicata joue un ado révolté en fugue, qui arbore ma coupe de cheveux. Un vrai rôle de badass, à côté duquel je fais pâle figure. Comme une projection satanique de mon âme innocente, mon Black Swan. J’ai vraiment hâte de le rencontrer. _Quentin Grosset

Puppet show Edward, le troll d’Hansel & Gretel, était physiquement présent sur le plateau grâce à la société Spectral Motion, déjà à l’œuvre sur les deux Hellboy. Ce monstre est en effet un personnage « animatronique », néologisme créé par le père des Muppets, Jim Henson, et désignant une technique sophistiquée de fabrication de marionnettes. En l’occurrence, Edward était interprété par le comédien Derek Mears, affublé d’un crâne en résine sur lequel était collé un masque souple en mousse de latex simulant la peau du monstre. De petits mécanismes radiocommandés permettaient de bouger la peau synthétique : les sourcils, les yeux, les joues, les lèvres et même la langue étaient manipulés à distance par quatre marionnettistes. _J.D. Hansel & Gretel – Witch Hunters de Tommy Wirkola // Sor tie le 6 mars

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NEWS ÉTUDE DE CAS

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cents : l’augmentation du prix moyen en dollars des tickets de cinéma aux ÉtatsUnis, soit seulement 0,4 % de plus sur un an. C’est la moins forte hausse depuis le début de la crise. Elle était de 0,9 % l’année dernière, de 4 et 5 % pour 2010 et 2011.

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Le nombre de diodes que comporte la robe « Twitter dress », qui affiche sur le tissu ses tweets reçus en temps réel. Elle a été portée pour la première fois par la chanteuse Nicole Scherzinger pour la promotion de la 4G à Londres. De quoi déshabiller sa vie privée.

Le nombre d’années qu’il a fallu au Mississippi pour abolir l’esclavage. Après avoir vu le film Lincoln, le professeur Ranjan Batra a découvert que, suite à une non-ratification du 13e amendement en 1865, l’esclavage y était techniquement toujours en vigueur.

Almodóvar nous fait-il planer ? NON Après le sublime et vertigineux thriller La Piel que habito, Pedro Almodóvar a décidé de s’amuser un peu. Il prend pour prétexte à une orgie de blagues et de parties de jambes en l’air un vol interminable à l’issue incertaine. On retrouve ici le réalisateur déluré d’Attache-moi ! (1990), fan de décors rétros et colorés, mettant en scène des personnages déjantés dont les pulsions sexuelles s’expriment tous azimuts. Le film prend-il son envol pour autant ? Tandis que les stewards enchaînent les vannes au ras des pâquerettes (« Tu as du blanc au coin de la bouche ! »), le récit n’est pas sans trous d’air, et le caractère improbable des amourettes des passagers échoue à nous emmener au septième ciel. Au bout d’une heure de film, on se désintéresse de savoir si l’avion va a­ tterrir : a-t-il jamais décollé ?

Les Amants passagers de Pedro Almodóvar Avec : Javier Cámara, Lola Dueñas… Distribution : Pathé Durée : 1h30 Sor tie : 27 mars

OUI S’il faudra sans doute attendre quelques années encore pour célébrer le grand retour d’Almodóvar, Les Amants passagers marque un sain détour par la comédie pop, la beauté glacée de La Piel que habito ayant menacé d’enfermer le cinéaste espagnol dans un contrôle mortifère. Almodóvar renoue donc avec le piquant hérité de la Movida madrilène, période La Loi du désir (1987) : jouissance d’une langue ibère déliée, conversations érotico-­ burlesques incongrues et à bâtons rompus entre stewards imbibés et passagers bigarrés, tous des caricatures assumées. Unique et charitable fonction de cette comédie frivole et gay-friendly : sortir de sa torpeur une Espagne en pleine crise nationale (l’avion qui tourne en rond en est l’image la plus criante). De l’entertainment de haut vol. _Clémentine Gallot

©Pathé Distribution

_Laura Tuillier

À bord d’un Airbus défectueux, la joyeuse troupe des Amants passagers (des stewards déchaînés, une star du bondage, une vierge caliente…) se trouve forcée de cohabiter. PEDRO ALMODÓVAR signe un retour à la comédie pure : un vol sans perturbation ?

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NEWS TOUT-TERRAIN COVER boy +

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Prenez les lignes carrées et énergétiques des hard rockeurs californiens de Chickenfoot, grattez du médiator fou de Frank Zappa et vous dessinerez des chemins de traverse pour le nouvel et délicat album pop-rock des quatre Parisiens d’Exsonvaldes, Lights. _S.O.

UNDERGROUND

CALÉE

Quvenzhané Wallis : la petite héroïne haute comme trois pommes des Bêtes du Sud sauvage de Benh Zeitlin a terminé le tournage du prochain film de Steve McQueen, Twelve Years a Slave, aux côtés de Brad Pitt et Michael Fassbender. Excusez du peu.

DÉCALÉE

Quvenzhané Wallis n’arrête pas. Elle vient d’être confirmée pour rejoindre l’équipe du réalisateur Will Gluck qui s’apprête à tourner Annie, remake de la comédie musicale de John Huston. Elle y tiendra le rôle-titre, damant le pion à Willow Smith, pressentie jusqu’alors.

_Par L.T.

RECALÉE

Quvenzhané Wallis, 9 ans et plus jeune nominée aux Oscars pour son rôle dans Les Bêtes du Sud sauvage, est repartie bredouille le 24 février dernier. Depuis, les gif animés la montrant les deux poings levés fleurissent sur le web. Heureusement, elle y garde le sourire.

OVERGROUND En bonne voie En perte de vitesse en solo, l’Américaine Nicole Wray et la Britannique Terri Walker unissent leurs forces avec le duo LADY. En avant, soul ! _Par Éric Vernay

Lady de Lady Label : Truth & Soul Records/Dif fer-Ant Sor tie : 11 mars

À mort Baptisées ORTIES, deux frangines de 25 ans larguent une bombe electro-dark dans la mare du rap hexagonal, pour une singulière vision de cauchemar. _Par Éric Vernay

Sextape d’Or ties Label : Nuun Records/La Baleine Sor tie : disponible

Ce sont deux sœurs jumelles, nées sous le signe des corbeaux : « On bouffe le rap assises sur une pierre tombale », narguent les Orties sur une chanson. Textes hardcore, ambiances morbides, beats electro. Rap gothique ? « Ca sonne ringard, “rap gothique”, rouspète Antha, la grande gueule du tandem. Tu t’attends à un disque avec des cloches d’église tout le temps ! Chez nous, 36

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l’ambiance est différente, tu as le ciel bleu, les palmiers et pas forcément “le ciel est noir, il pleut”, le truc horrible. » Leur truc, c’est donc plutôt « l’angoisse sous le ciel bleu », corrige sa frangine Kincy. Impressionnées par le « rap de perdant » du Klub Des Loosers, les banlieusardes du « 9-1 » ont lâché leurs guitares il y a six ans pour cracher leur spleen en punchlines hip-hop. « On voulait retrouver le côté vénère et immédiat des textes, justifie Antha. Le rap, c’est un peu le nouveau punk ! » Du fond de la piscine fantasmée de leur LP Sextape émerge un cauchemar défoncé à la cocaïne et à l’autotune. Séduit, l’Anglais Dev Hynes bosse déjà pour elles. « Il nous a envoyé des sons minimalistes et atmosphériques, à la Twin Peaks », s’excite Kincy. Mortel. ♦

Hier Nées en 1988, les sœurs jumelles Antha et Kincy grandissent à Bures-surYvette, une petite commune en banlieue parisienne. Elles s’essaient au rock, au punk et au metal, avec Antha au chant et Kincy à la guitare. Lassées, elles passent au rap avec Orties.

Aujourd’hui Le rappeur Al K-Pote les invite sur le morceau Avale, diffusé sur Dailymotion en 2009. Avec le collectif Butter Bullets à la production, elles sortent en juin 2012 une mixtape intitulée Sextape, vendue uniquement à Los Angeles et en format cassette.

Demain Après avoir diffusé plusieurs clips sur internet, Orties sort sa Sextape en format physique. Intrigué par leur electro-rap dark, l’alchimiste pop Dev Hynes (aka Lightspeed Champion et Blood Orange) leur confectionne des sons pour un futur EP.

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LA TIMELINE D’orties

Laissées de côté par l’industrie mainstream dans les années 2000 après des départs canon – disque de platine pour Nicole Wray, nomination au Mercury Prize pour Terri Walker – deux chanteuses soul font aujourd’hui leur retour par la petite porte indé, en duo. Le projet s’appelle Lady, « parce que Wray & Walker, ça sonnait trop cowboy ! », avance Walker, hilare. « On s’est rencontrées il y a trois ans à New York, raconte son acolyte d’Atlanta. On a commencé à jammer, avec nos deux micros côte à côte. On était comme des sœurs. Parfois, on n’écrivait même pas nos textes, on improvisait ! » Sur Lady, pétillant disque de soul à l’ancienne, leur complicité est évidente. « C’est comme si on était une seule personne, confie Walker. Le gars qui enregistrait avec nous disait : “C’est dingue, je croyais que c’était Nicole qui chantait à ce moment là !”, alors que c’était moi. Et inversement ! » Aussi humbles et chaleureuses que leurs interprètes, les ritournelles rétro de Lady évoquent « la vraie vie. Comment s’améliorer. Ce n’est pas un album sur la perfection, mais sur la recherche de la bonne direction » : belle boussole soul. ♦

LA TIMELINE DE LADY Hier En 1998, l’Américaine Nicole Wray explose à 17 ans avec son album Make It Hot. L’Anglaise Terri Walker débute elle aussi sa carrière en fanfare à 24 ans, avec un premier album nommé au Mercury Prize en 2003. Elles se rencontrent à New York en 2009.

Aujourd’hui Épaulées par les producteurs du label Truth & Soul, Leon Michels et Jeff Silverman (connus pour leur travail avec Aloe Blacc ou Lee Fields & The Expressions), Walker et Wray commencent à chanter ensemble. Elles écrivent ainsi près de vingt chansons.

Demain Le duo enregistre sous le nom de Lady un premier LP. Onze morceaux de soul classique et roborative évoquant des artistes des années 1970 comme Ann Peebles ou Glady Knight, avec des thèmes universels comme l’amour, les tracas du quotidien, la famille.

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NEWS SEX TAPE

Handisport de chambre The Sessions de Ben Lewin Avec : John Hawkes, Helen Hunt… Distribution : 20 th Centur y Fox France Durée : 1h35 Sor tie : 6 mars

S’affranchir de ses infirmités pour connaître la volupté ? Lourdement handicapé et privé de sensations, Mark (John Hawkes) vit allongé la plupart du temps dans un gigantesque poumon d’acier. Avec la bénédiction d’un prêtre (William H. Macy), il loue les services d’une thérapeute-assistante sexuelle (Helen Hunt). Cette initiation à la sensualité mène à un dépucelage hors normes qui fait des étincelles à l’écran, au point qu’un critique du New York Times les a élus couple de l’année au cinéma. Cet « Intouchables du sexe », inspiré d’une histoire vraie, aborde avec malice la sérieuse question de l’accès à la sexualité pour les handicapés. On y retrouve avec joie la toujours piquante Helen Hunt, ici en coach épicurienne. _Clémentine Gallot 38

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INTERVIEW

JUDD APATOW

© Universal Pictures

TOUJOURS

Lena Dunham et Judd Apatow sur le tournage de 40 ans – Mode d’emploi 40 Paul Rudd, mars 2013

TORDANT

Quel est l’âge idéal de la comédie ? Ce genre où tout est affaire de timing peut-il être le fait de comiques vieillissants ? Autant de questions posées depuis Funny People en 2009, une transition pour JUDD APATOW de la comédie régressive à succès (40 ans, toujours puceau, SuperGrave) à la « dramédie ». Pour celui qui est devenu, à 45 ans, le parrain bienveillant de la comédie américaine, 40 ans – Mode d’emploi constitue une mise au point qui interroge en s’en moquant la viabilité des interactions humaines et familiales. Un âge d’or turbulent. _Propos recueillis par Clémentine Gallot et Laura Tuillier

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INTERVIEW

1.

Comment travaillez-vous une fois sur le plateau de tournage ?

La chose la plus importante, c’est les répétitions. Dès que j’ai un premier brouillon, qui normalement ne vaut pas grand-chose, je convoque les acteurs, on fait des lectures à voix haute, on a de longues conversations sur ce que j’ai voulu dire, ce que je devrais ajouter. Je me souviens que c’est Paul (Rudd – ndlr) qui m’a suggéré d’écrire la scène où les deux mecs parlent des différentes manières de tuer leur femme. Quand on arrive au moment du tournage, j’ai des dizaines d’idées et de possibilités différentes et je les tourne toutes. Je me dis : « Eh ! Megan Fox avait parlé de “sextrologie” pendant les répètes, il faut tourner ça ! » Avez-vous besoin d’une ­am­biance amicale et familiale pendant le tournage ?

Il faut trouver des gens qui puissent travailler en symbiose. Par exemple, Leslie (Mann, la femme de Judd Apatow – ndlr) et Paul jouent un couple, donc ils doivent beaucoup s’aimer et beaucoup s’énerver dans la vraie vie. C’est ce qui les aide à comprendre pourquoi ils sont un couple à la fois réussi et raté dans le film. C’est la même chose avec Iris et Maude (les filles d’Apatow, également actrices dans le film – ndlr), qui sont très drôles dans le film lorsqu’elles se chamaillent mais qui jouent quelque chose qui existe aussi en dehors du plateau. Comment avez-vous pensé la mise en scène de 40 ans – Mode d’emploi ?

Jusqu’à présent, j’ai toujours pensé à une mise en scène qui s’efface devant l’histoire, comme chez ­Alexander Payne ou bien dans les premiers films de Hal Ashby.

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2. 1. De gauche à droite : Iris Apatow, Maude Apatow, Paul Rudd et Leslie Mann 2. Robert Smigel (à gauche) et Paul Rudd (à droite)

Je ne pense pas que la stylisation visuelle servirait mes films. Je veux que le spectateur ait l’impression de passer sa tête par la porte et de regarder les personnages vivre. L’émotion passe par eux, pas par la caméra. Vos films sont presque toujours des « coming of age stories », des récits d’apprentissage, que les héros aient 16 ou 40 ans…

Parce qu’on essaye toujours de comprendre ce qu’on fait là ! Tous les rôles qu’on endosse dans la vie, enfant, parent, époux, sont compliqués à gérer. Les gens trop à l’aise, je trouve ça louche. D’ailleurs, je pensais que mes amis allaient trouver 40 ans – Mode d’emploi exagéré, mais la plupart m’ont confié avoir vécu presque toutes les ­situations que je décris. Il y a toujours eu des éléments tragiques dans vos films, mais pensez-vous faire un cinéma plus angoissé avec l’âge ?

Je dirais que même à l’époque de Freaks & Geeks, ce que le public appréciait dans la série, c’était le côté angoissé et névrotique. On avait dressé un portrait réaliste de jeunes qui ne vont pas forcément réussir dans la vie. Je pense au personnage joué par Jason Siegel, qui rêve de devenir batteur ; il passe une audition, et on prend conscience qu’il n’est pas doué, qu’il ne réussira jamais. J’aime bien être dans cet espace où les choses sont très honnêtes, je ne fais pas des films plein de joie où le mec séduit la fille à tous les coups. Dans vos films récents, cependant, le geek réussit à séduire la jolie fille…

C’est parce que c’est ce qui m’est arrivé ! (rires) Mais lorsque j’étais ado, ce n’était pas cool d’être un geek. J’aimais les acteurs de stand-up, les bandes d­ essinées et

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Parlons un peu de formation : le stand-up et les comedy clubs sont-ils toujours la meilleure manière pour de jeunes comédiens de se faire connaître ?

Qu’est ce qui vous a inspiré pour écrire 40 ans – Mode d’emploi ?

J’ai commencé à écrire le scénario à 42 ans. Je voulais raconter l’histoire d’une famille et parler de quelqu’un qui ait le même âge que moi. Mais je ne voulais pas filmer une « tranche de vie », je savais qu’il fallait un événement qui unifie le tout. J’ai choisi le moment où le couple a 40 ans et où il se met à tout remettre en cause, à tenter de faire en sorte que la vie fonctionne mieux et finalement à tout déballer, à devenir dingue.

les Monty Python, et je ne pouvais partager ça avec personne, même pas avec un groupe de geeks. Maintenant, c’est différent, les jeunes un peu étranges comme je pouvais l’être ne sont plus considérés comme des losers. Bill Gates et Steve Jobs sont passés par là, et le mec cool, ce n’est plus forcément le capitaine de l’équipe de foot.

Il y a toujours des clubs d’improvisation comme la Upright Citizens Brigade à Chicago ou Second City à New York. Mais beaucoup de talents émergent en tournant des vidéos. Quand j’étais jeune, la technologie n’existait pas, les gens ne pouvaient pas voir facilement ce que vous faisiez. Maintenant, je travaille avec le site humoristique Funny or Die : si elle est génialement drôle, une vidéo peut recevoir un million de clics. Les jeunes gens créatifs n’ont plus d’excuse pour ne pas se lancer. Just do it! Comme Lena Dunham, qui a fait un très beau premier film pour 45 000 ­dollars (Tiny Furniture, 2010 – ndlr). Comment expliquez-vous la popularité croissante de la comédie à partir des années 1980 ?

Il y a eu un boom des comedy clubs, relayé ensuite par des stars de la télé comme Bill Cosby. Le câble et HBO ont bouleversé tout ça : plus besoin que quarante millions de téléspectateurs apprécient votre série pour qu’elle soit renouvelée, on peut avoir du succès avec un million de gens. D’où la chaîne Adult Swim, Childrens Hospital, Delocated, qui sont des sitcoms très bizarres, ­parfois de 10 ou 12 minutes.

Seriez-vous tenté de revenir à la télévision après l’annulation de vos séries Freaks & Geeks et Les Années campus, produites au début des années 2000 ?

Je produis la série Girls sur HBO, je m’amuse bien, j’essaye d’écrire de plus en plus d’épisodes avec Lena Dunham. Cela me donne envie de refaire de la télé… Quand on fait une série, on n’a pas besoin de trouver de fin, on peut terminer sur une note étrange et prolonger la réflexion à l’épisode suivant. Alors qu’au cinéma il faut apprendre à conclure.

D’ailleurs, vos films sont en général plus longs que les standards de la comédie hollywoodienne. Pourquoi ?

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C

omédien de stand-up avorté, fan des Monty Python et de Lenny Bruce, ­Apatow a commencé par écrire des blagues pour la télévision. Il en a conservé une méthode de travail, affinée au fur et à mesure qu’il multiplie les casquettes de scénariste, cinéaste ou producteur : romancer ses expériences intimes. Aujourd’hui, cela signifie mettre en scène sa propre famille en plus de sa famille artistique, avec qui il a renouvelé le genre de la comédie : Seth Rogen, Adam McKay, Will Ferrell ou la nouvelle recrue Lena D ­ unham. Le rire potache et pétaradant d’Apatow dissimule une finesse du trait où l’ars comica est un humanisme qui permet d’adoucir les mœurs. L’harmonie entre pochades et inquiétudes y permet au moins de trouver du réconfort, à défaut d’un âge de raison.

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JUDD APATOW

Je ne sais pas si je vais revoir mes personnages un jour, alors je me dis : pourquoi ne faire que quatre-vingtdix minutes avec George Simmons (le personnage joué par Adam Sandler dans Funny People – ndlr) ? Les gens ont du mal à se concentrer longtemps aujourd’hui, mais cela me donne justement envie de me rebeller et de faire des films de plus en plus longs ! Vous êtes influencé par les Monty Python, entre autres. Selon vous, l’humour britannique s’autocensure-t-il moins que la comédie américaine ?

LORSQUE J’ÉTAIS ADO, CE N’ÉTAIT PAS COOL D’ÊTRE UN GEEK. J’AIMAIS LES ACTEURS DE STAND-UP, LES BANDES DESSINÉES ET LES MONTY PYTHON, ET JE NE POUVAIS PARTAGER ÇA AVEC PERSONNE. MAINTENANT, C’EST DIFFÉRENT, LES JEUNES UN PEU ÉTRANGES COMME JE L’ÉTAIS NE SONT PLUS CONSIDÉRÉS COMME DES LOSERS.

En Angleterre, la télévision essaye d’être créative et n’est pas considérée comme une mine d’or, ce qui est sain. L’acteur irlandais Chris O’Dowd (qui joue dans 40 ans – Mode d’emploi – ndlr) a créé une sitcom très drôle, Moone Boy. L’Amérique commence à s’inspirer du modèle britannique avec des séries ­tordues comme Kenny Powers. Concevez-vous la comédie plutôt comme un travail de groupe ou comme une activité solitaire ?

Il m’arrive de vouloir être seul pendant des mois pour décider de ce que je veux faire, et ensuite je suis tout excité de commencer le travail avec les comédiens. Pour SuperGrave, nous avons travaillé en groupe pendant des années avant que le film ne voie le jour. J’essaye de faire en sorte qu’on se sente en famille aussi vite que possible. Pensez-vous faire une comédie sur les vieux un jour, ou ce genre concerne-t-il uniquement les jeunes ?

Non, je ne pense pas que la comédie soit réservée à la jeunesse. Tout mes amis se font vieux, même Jim Carrey. J’y pense pas mal, je me demande quel sera le film à faire avec Ben Stiller lorsqu’il aura 60 ans. Ce que j’aime, c’est créer à partir de ce que je vis sur le moment. Dans six ans, je risque d’écrire quelque chose comme : « Que faire quand sa fille veut épouser un con ? » ♦ 4 0 ans – Mode d’emploi de Judd Apatow Avec : Paul Rudd, Leslie Mann… Distribution : Universal Pictures International Durée : 2h14 Sor tie : 13 mars

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40 ans, toujours puceau (2005) Avec ce portrait d’un homme coincé qui s’éveille à la vie, Apatow donne le ton de son cinéma. Mélangeant émotion et comique burlesque, social et potache, le film fait rapidement la conquête du public.

En cloque, mode d’emploi (2007) Nouvelle comédie romantique inhabituelle avec ce couple improbable obligé de s’entendre. Autour de cette histoire, Apatow multiplie les personnages secondaires comiques et les digressions pop devenues cultes.

Funny People (2009) Fini l’esprit adolescent, Apatow surprend tout le monde avec cette comédie grave. Portrait acide d’un comique mégalo, le film, très attendu, est un échec : Apatow est trop vite passé à l’âge adulte pour son public.

40 ans – mode d’emploi (2012) Apatow fait le portrait des petites compromissions de l’âge adulte. À la fois chronique familiale et film autobiographique, 40 ans… donne l’impression que les comédies d’Apatow ressemblent enfin à la vie.

APATOW PRODUCTEUR

La LégeNde de Ron Burgundy (2004) Portrait d’un présentateur machiste et crétin, première collaboration entre Adam McKay et le comique Will Ferrell, le film, en multipliant les seconds rôles hilarants, donne le ton d’une nouvelle comédie américaine.

Supergrave (2007) Gros succès pour ce portrait de trois adolescents désœuvrés. Grâce à son scénariste Seth Rogen, la teenage comedy fait un retour en grâce. Au casting, trois révélations : Jonah Hill, Christopher Mintz-Plasse et Michael Cera.

Sans Sarah, rien ne va (2008) Succès surprise pour cette comédie romantique décalée filmée par Nicholas Stoller. Jason Segel s’y confronte au comique anglais Russell Brand, parfait en rock star sans limites. Encore un beau portrait de loser.

mes meilleures amies (2011) Écrite et interprétée par la géniale Kristen Wiig, issue du SNL, cette comédie féminine et joyeuse s’offre de réjouissants moments de burlesque crado. Très drôle et étonnamment émouvant.

The Ben Stiller Show (1992) Essai d’une alternative au SNL avec ce show parodique. Le tout jeune Ben Stiller y crée le personnage de Zoolander. Annulée au bout de douze épisodes, la série vaut tout de même son premier Emmy au producteur Apatow.

Freaks and Geeks (1999) Portrait d’un groupe d’adolescents en marge, la série est aussi drôle que tendre. Au casting : James Franco, Jason Segel et Seth Rogen. Coup d’essai, coup de maître, la série annulée trop tôt devient rapidement culte !

les années campus (2001) Nouvel échec pour Apatow avec cette série sur la vie à la fac, annulée au bout d’une saison. Injustement méconnue, Les Années campus prolonge l’univers des losers magnifiques de Freaks & Geeks.

Girls (2012) Enfin un carton plein avec cette série écrite par Lena Dunham sur le quotidien de quatre jeunes New-Yorkaises désabusées. Véritable phénomène, Girls devient le porte-drapeau d’une comédie féminine décomplexée.

APATOW RÉALISATEUR

Blake Edwards

C’est l’alter ego d’Apatow père de famille. Après avoir incarné le pote sensible de Steve Carrell dans 40 ans, toujours puceau, il est le mari en crise de Leslie Mann (Mme Apatow) dans 40 ans – Mode d’emploi.

Paul Rudd

C’est la version négative d’Apatow. Comique très célèbre, il utilise la vanne pour se tenir à distance des sentiments. À travers le rôle qui lui est donné dans Funny People, Apatow exorcise ses propres démons.

Adam Sandler

C’est l’adolescent idéal. Bourru, graveleux mais indéniablement tendre, Seth Rogen joue le mâle irresponsable qui apprend à devenir adulte. Mais la domestication de l’ours n’est pas si évidente.

Seth Rogen

C’est le clown parfait. Mélancolique et burlesque, il fait de chacune de ses grimaces une perte de contrôle soudaine. Issu du SNL et du Daily Show, Steve Carrell devient l’incarnation du type coincé.

Steve Carrell

APATOW ET SES DOUBLES

Roi de la comédie burlesque, il a su marier au fil de son œuvre les gags les plus outranciers avec une description raffinée du sentiment amoureux. Il a révélé des acteurs comme Peter Sellers ou Dudley Moore.

APATOW À LA TÉLÉ

JAMES L. BROOKS Réalisateur oscarisé pour Tendres Passions, il pratique une comédie d’auteur, à la fois tendre et amère. C’est également un producteur influent pour le cinéma et la télévision, entre autres des Simpson.

SATURDAY NIGHT LIVE Créée par Lorne Michaels en 1975, c’est la grande émission comique américaine. Mêlant guest stars de luxe et comiques, le show est un réservoir à gags et à personnages qui migrent bien souvent vers le cinéma.

GRANDS-PARENTS

_Par Renan Cros

De la télévision au cinéma, à la fois réalisateur, auteur, producteur mais aussi découvreur de nouveaux talents, Judd Apatow a fait du rire son empire. Généalogie d’un roi qui a su se démultiplier pour mieux régner.


CLOUD ATLAS

CLOUD ATLAS

En portant à l’écran le roman Cartographie des nuages de David Mitchell, TOM TYKWER, ANDY WACHOWSKI et LANA WACHOWSKI se sont attaqués à une mission impossible : raconter six histoires entrelacées sur cinq siècles et portées par treize acteurs – Tom Hanks et Halle Berry en tête – qui incarnent plus de cinquante personnages mystérieusement connectés. Film exigeant et total, Cloud Atlas est un ovni, un blockbuster spirituel sur la transcendance de l’âme, que ses auteurs et acteurs nous ont raconté.

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_Par Bruno Dubois, à Los Angeles


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CLOUD ATLAS

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Tom Hanks

Hugh Grant

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loud Atlas est un film miraculé. « En écrivant le livre il y a dix ans, je me suis dit qu’il ne serait jamais adapté au cinéma », raconte le Britannique David Mitchell, qui a « encore du mal à réaliser » qu’il est en train d’en faire la promo à Hollywood. Trop compliqué, trop long, trop cher, trop mystique, le cinéaste allemand Tom Tykwer a tout entendu, et surtout « non ». « J’ai frappé à toutes les portes, et aucun grand studio ne voulait prendre le risque », se souvient le réalisateur de Cours, Lola, cours. Tombé amoureux du roman choral que lui avaient recommandé les Wachowski en 2006, il imagine un pari un peu fou : en faire un film indépendant, l’un des plus chers du cinéma allemand avec un budget de 100 millions de dollars (Tykwer est coproducteur du film via la société allemande X Filme Creative Pool) et le coréaliser avec les parents de Matrix, qui voulaient collaborer avec lui depuis plus de dix ans. Le problème de Cloud Atlas, c’est que la structure du livre ne se prêtait pas au cinéma. Du XIXe siècle jusqu’à un futur postapocalyptique, chacune des six histoires (lire p. 52) est racontée chronologiquement pendant la première moitié du roman puis refermée dans la seconde en ordre inverse, sur le schéma « 1-2-3-4-5-6-5-4-3-2-1 ». Le seul fil narratif continu, c’est la voix d’une époque qui s’invite dans la suivante via un journal, des lettres, une symphonie ou un film. « Cela ne suffisait pas, explique Lana Wachowski. Il fallait attendre plus d’une heure pour présenter certains personnages. On aurait pris le risque de perdre les ­spectateurs en route. » Bloqués dans cette impasse structurelle, le frère et la sœur tentent une réunion de la dernière chance avec

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tombé amoureux du roman choral, le cinéaste tom tykwer imagine un pari un peu fou : en faire un film indépendant. Tom Tykwer en 2009. Andy Wachowski raconte : « On a déconstruit chaque scène sur des centaines de cartes de couleur éparpillées partout dans la pièce, en essayant de les regrouper sans y parvenir. L’idée d’entrelacer les arcs en utilisant les mêmes acteurs pour incarner différents rôles s’est alors imposée naturellement. » Tom Hanks, Halle Berry, Hugo Weaving, Susan Sarandon, Hugh Grant… Un casting étoilé de treize acteurs, qui jouent près de soixante personnages au cours des six périodes. Leur voyage, influencé par la philosophie bouddhiste pratiquée « en amateur » par David Mitchell, peut s’interpréter comme celui d’une âme qui évolue au gré des générations, laissant parfois la trace de son passage – par exemple, une tache de naissance en forme de comète.

Comme au théâtre

Ce tour de passe-passe rendu possible par la magie du maquillage et des effets spéciaux a surtout permis aux réalisateurs de séduire des stars et de lier solidement les fils pour tisser une tapisserie complexe. « C’était un changement majeur. On ne l’aurait pas fait si David n’avait pas été d’accord », explique Lana Wachowski. Mitchell, qui a laissé au trio une liberté totale pour l’adaptation, a été immédiatement conquis : « C’était

la solution pour conserver l’idée de récurrence éternelle et du voyage de l’âme. J’étais comme une mère confiant son enfant à des parents adoptifs et j’ai vu qu’ils allaient l’aimer. » Le résultat demande au spectateur sa pleine attention. On passe toutes les cinq minutes du XIXe au XXIVe siècle, du drame à la comédie et du thriller à la science-fiction. On joue aussi à identifier les acteurs, qui changent parfois de sexe et de couleur de peau selon les époques. Alors que certains ont accusé le film de racisme pour avoir utilisé des acteurs de type européen pour incarner des Asiatiques à Neo Seoul, l’actrice coréenne Doona Bae balaie ce reproche. Dans un anglais hésitant, elle rappelle qu’elle et Halle Berry « incarnent aussi des rôles de femmes blanches et d’hommes ». « Ceux qui parlent de racisme n’ont vraiment rien compris au message », s’emporte à son tour l’acteur britannique Jim Sturgess, qui libère dans le film le clone incarné par Doona Bae de ses chaînes. C’est précisément le travail de caméléon demandé aux interprètes qui a convaincu Tom Hanks de rejoindre le projet. « C’était un rêve d’acteur, raconte-t-il. On avait l’impression de faire partie d’une troupe de théâtre. Il suffisait de changer de costume pour changer de rôle. » Cloud Atlas était l’un de ces coups de cœur capables de convaincre le comédien le plus rentable – et le mieux payé – de Hollywood d’accepter une réduction de son cachet, qui avoisine en général les vingt millions de dollars. Son implication fiévreuse dans le projet a ouvert de nombreuses portes, assure Tom Tykwer. « J’ai une chance formidable, explique Hanks. J’étais mauvais à l’école parce que j’étais hyperactif. Acteur est sans doute le seul métier que ce trouble me permettait d’exercer. » Pendant le tournage,

on passe toutes les cinq minutes du xix e au xxiv e Siècle, du drame à la comédie et du thriller à la science-fiction. il s’est d’ailleurs « amusé comme un gamin qui joue aux cow-boys et aux Indiens ». Ses personnages préférés ? « Hugo Weaving en terrifiante infirmière et Hugh Grant en chef de guerre cannibale. » Halle Berry, elle, a d’abord eu du mal avec la schizophrénie de l’exercice. « Tout s’est débloqué quand Lana m’a dit de jouer une âme et non un personnage », explique l’actrice. Des trois réalisateurs, c’est Lana Wachowski qui est la plus habitée lorsqu’elle parle du film. Car entre Matrix et Speed Racer, Larry a changé de sexe pour devenir Lana, et les « Wachowski brothers » sont désormais les « Wachowski siblings » (« frère et sœur »). Celle qui dit avoir toujours eu l’impression d’être une femme piégée dans un corps d’homme a totalement adhéré au message du livre : « Bien sûr que le thème résonne particulièrement pour moi, cette idée que nous sommes d’abord une âme, au-delà de notre enveloppe charnelle. » Autrefois timide et renfermée, elle n’a jamais semblé aussi épanouie et affirmée qu’avec ses cheveux roses et sa nouvelle identité.

L’âme du film

Pour accélérer un tournage réduit à soixante jours seulement, le trio a fait le choix de filmer parallèlement les six histoires. Au Royaume-Uni, les Wachowski se sont

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ainsi occupés du voyage en bateau et des deux segments futuristes ; Tykwer, des trois portions plus contemporaines, en Allemagne. « C’est comme s’ils avaient un lien télépathique », spécule Tom Hanks. « Peut-être bien qu’on partage une âme, plaisante Andy Wachowski. Mais la vérité, c’est qu’on discutait beaucoup par Skype, y compris pour parler des mouvements de caméra et de la photographie. » La cohérence presque miraculeuse du film tient aussi beaucoup du travail de l’orfèvre allemand Alexander Berner, qui s’est occupé du montage titanesque. La bande originale, composée par Tom Tykwer et ses compères Johnny Klimek et Reinhold Heil, achève de lier le tout, notamment grâce à la symphonie du Cloud Atlas Sextet, qui hante les personnages. Comme les spectateurs, chaque acteur a son interprétation sur le film. Halle Berry se dit « sensible » à l’idée de la réincarnation. Plus cartésien, Tom Hanks préfère retenir « l’impact extraordinaire qu’un acte de générosité, même anodin, peut avoir des centaines d’années plus tard ». Alors que Hugo Weaving semble incarner la constante maléfique du film, les personnages joués par Tom Hanks sont ceux qui évoluent le plus en cinq siècles : il débute en docteur raciste en 1849 avant d’aider l’enquête de Halle Berry en 1973 et d’hésiter entre la peur et l’amour en 2321. Notre corps n’est-il qu’un simple vaisseau pour des âmes qui traversent l’espace et le temps ? Sommes-nous tous connectés par des forces d’amour et de destruction ? Comme le roman de Mitchell, le film n’a pas l’arrogance d’apporter des réponses définitives. Moins obscur que The Tree of Life de Terrence Malick, moins boursouflé que The Fountain de Darren Aronofsky, qui partagent avec lui une ambition métaphysique, Cloud Atlas réussit surtout le tour de force d’être accessible dès le premier visionnage. Au second, il révèle sa beauté fulgurante et laisse une empreinte indélébile. ♦ Cloud Atlas de Tom Tykwer, Andy Wachoswki et Lana Wachowski Avec : Tom Hanks, Halle Berr y… Distribution : Warner Bros. France Durée : 2h45 Sor tie : 13 mars

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Halle Berry

Tom Hanks

Transformistes C’est grâce à l’équipe de maquilleurs supervisée par Daniel Parker et Jeremy Woodhead que les comédiens principaux de Cloud Atlas purent interpréter entre trois et six personnages chacun. Des transformations qui allaient de la simple couche de maquillage à l’ajout de pièces de silicone et de gélatine sur les visages. Une tâche monumentale, compliquée par un tournage chaotique : les travestissements de Susan Sarandon en hindou ou de Ben Whishaw en Asiatique furent décidés en dernière minute. Les Wachowski avaient également des références étonnantes pour certains personnages : le visage de Meronym, exploratrice du futur interprétée par Halle Berry, s’inspire ainsi des « bagel heads », une tendance beauté japonaise qui consiste à s’injecter une solution saline dans le front pour créer une protubérance évoquant le fameux petit pain rond. _J.D.

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CLOUD ATLAS

CLOUD ATLAS

QUI EST QUI ?

Cartographie des différentes intrigues et des protagonistes de Cloud Atlas _Par Marion Dorel, Bruno Dubois et Étienne Rouillon

1849

1936

1973

2012

2144

2321

PACIFIQUE

CAMBRIDGE

SAN FRANCISCO

ROYAUME-UNI

NEO SEOUL

HAWAII

L’avocat Adam Ewing (Jim Sturgess) tient un journal de bord lors d’une traversée en bateau et doit prendre position sur l’esclavage face à un docteur raciste (Tom Hanks).

Le jeune musicien Robert Frobisher (Ben Whishaw) aide un compositeur à écrire une symphonie pendant qu’il lit le journal d’Adam Ewing et écrit des lettres à son amant Rufus Sixsmith (James D’Arcy).

La journaliste Luisa Rey (Halle Berry) rencontre Rufus Sixsmith dans le cadre de son enquête sur l’activité suspecte d’une centrale nucléaire et demande l’aide du scientifique Isaac Sachs (Tom Hanks).

L’éditeur Timothy Cavendish (Jim Broadbent) lit un script sur la vie de Luisa Rey et tente de s’échapper d’une maison de retraite avant d’adapter ses propres aventures en une pièce de théâtre.

La serveuse Sonmi-451 (Donna Bae) regarde un vieux film sur l’échappée belle de Cavendish. Elle découvre qu’elle est un clone artificiel et devient la figure centrale de la rébellion.

Zachry (Tom Hanks), un membre d’une tribu revenue à l’âge de la pierre sur une Terre dévastée, vénère la déesse Sonmi et reçoit la visite de Meronym (Halle Berry), une femme venue d’un autre monde.

TOM HANKS

Henry Goose (docteur)

Le Gérant de l’Hôtel

TOM HANKS

Isaac Sachs (scientifique)

Dermot Hoggins (écrivain)

HALLE BERRY

Une esclave

Jocasta Ayrs (femme du compositeur)

le Gorille de l’hôtel

Luisa Rey (journaliste)

Une invitée à une soirée

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Tadeusz Kesselring (compositeur)

Ovid (docteur)

Meronym (exploratrice)

HUGH GRANT

Lloyd Hooks (patron d’Isaac Sachs)

Denholme Cavendish (frère de Timothy)

HUGO WEAVING

Haskell Moore (beau-père d’Adam Ewing)

Zachry (indigène)

HALLE BERRY

HUGH GRANT

Giles Horox (révérend)

Un acteur (qui incarne Timothy Cavendish)

Seer Rhee (maître de Sonmi-451)

Kona (chef des barbares)

HUGO WEAVING

Bill Smoke (assassin)

Noakes (infirmière)

Mephi (professeur)

Le vieux Georgie (esprit maléfique)


BRUNO DUMONT

INTERVIEW

© ARP Selection

PERDRE LE NORD

Juliette Binoche dans le rôle de Camille Claudel

Un nom, une date. Lorsque BRUNO DUMONT s’attaque au genre balisé du biopic, cela ressemble à ce qu’a réussi à faire ­Maurice Pialat avec son Van Gogh. Le réalisateur filme un temps resserré, celui qui voit Camille ­Claudel, internée dans un asile de Provence, attendre avec fièvre la visite de son frère, l’écrivain Paul Claudel. En 1915, Camille ­Claudel ne sait pas qu’elle va passer le reste de sa vie enfermée et qu’elle ne sculptera plus jamais. Bruno Dumont, habitué aux paysages désolés du Nord de la France

et à la rudesse d’acteurs non professionnels (La Vie de Jésus, L’Humanité, Hors Satan), a choisi Juliette Binoche pour incarner, dans un jeu dépouillé, une artiste en pleine chute. Il a demandé à des patientes d’un centre hospitalier de la région d’apparaître aux côtés de l’actrice. À la fois témoignage quasi-documentaire sur le quotidien de l’internement, mise en scène implacable de la paranoïa et récit d’un destin en train de se figer, Camille Claudel, 1915 offre des visages changeants. ­Entretien avec un maître du portrait.

© Alexandre Guirkinger

_Propos recueillis par Laura Tuillier / _Photographie : Alexandre Guirkinger

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BRUNO DUMONT

V

ous tournez loin des paysages du Nord qui vous sont habituels, dans un endroit plus radieux. Comment avez-vous vécu cette translation ?

J’aurais pu faire Camille Claudel à l’hôpital de Ville-Évrard, son premier lieu d’internement. J’y avais fait des repérages, les lieux sont bien, mais j’avais envie du Sud, que je connais mal. L’idée d’être perdu me plaisait, il a fallu que j’assimile les lieux. Le Sud est immédiatement très beau alors que le Nord est rendu beau par le cadre, par la patience de la caméra. En Provence, il y a comme une évidence de la lumière. Je tournais une tragédie donc j’avais besoin de ­beaucoup de soleil, comme un contrepoint.

Comment se plonge-t-on dans une biographie ?

Avant de faire de la fiction, j’ai fait de la commande pour des films industriels, donc la figure imposée ne me dérange pas. Il y a peu de matériau dans le journal médical de Camille Claudel, je partais de presque rien. Camille Claudel est quelqu’un qui a été, je la filme qui ne fait pas grand-chose. J’ai toujours constaté que la pauvreté du fond est très intéressante au cinéma, ça permet de développer une mise en scène proéminente. Pour Camille Claudel, j’ai pu jouer avec la connaissance qu’a le spectateur de sa vie, d’autant qu’un film a déjà été fait sur elle ; je n’ai pas eu besoin de tout dire, de tout expliquer. La paranoïa est au centre des troubles de Camille Claudel. De quoi est-elle le signe ?

C’est la maladie typique de l’artiste, c’est l’enflure démesurée du moi. Camille Claudel a été tuée par le désamour de Rodin, elle voulait être aimée absolument et ça n’a pas été le cas. Dans sa paranoïa entre une r­ ivalité avec Rodin : elle refuse de sculpter pour

ne pas qu’il lui vole ses idées. C’est une peur qui sommeille chez tout artiste. Camille Claudel incarne le génie artistique et la chute. Camille est très silencieuse au début du film, puis explose lors d’un long monologue face à un psychiatre mutique…

Après quarante minutes de film, la parole arrive. Le spectateur peut comprendre ce que dit Camille, qui n’en peut plus. Il a été trempé dans le même bain, il a compris quelque chose de la vie à l’asile. Le fait d’avoir dégagé des temps documentaires permet d’atteindre un paroxysme. J’aime beaucoup travailler le spectateur au corps : lui donner froid pour qu’il sente mieux ­l’arrivée de la chaleur. Le film est né d’un désir de Juliette Binoche de travailler avec vous. Comment avez-vous envisagé cette demande ?

C’était très confortable d’être désiré par Juliette en tant que réalisateur. J’étais en position de force. En même temps, elle a beaucoup de caractère, elle est très féministe alors que moi pas du tout, ce qui fait qu’il nous arrivait de nous disputer. Un film naît toujours d’une relation compliquée avec les acteurs, d’un rapport de force. C’est essentiel. Alors que vous avez l’habitude de travailler avec des acteurs non professionnels, Juliette Binoche, actrice célèbre, incarne une autre femme célèbre, une artiste. Cela vous ­semblait-­ il cohérent ?

J’ai eu l’idée de Camille Claudel grâce au désir de Juliette Binoche de travailler avec moi. Les deux figures sont devenues indissociables. Qu’elle soit actrice ne change rien : moi, j’ai travaillé avec

INTERVIEW

l’humaine, avec la femme qu’elle est aujourd’hui. J’ai situé l’action en 1915 pour que Juliette ait l’âge de Camille. Je voulais que sa présence ­suffise, il fallait qu’elle en fasse très peu. Il y a aussi des patientes qui jouent dans le film. De l’une d’elles, vous dites : « Je n’ai pas de personnage, je n’ai pas de commentaire à faire sur ce qu’est Jessica. »

« J’AIME BEAUCOUP TRAVAILLER LE SPECTATEUR AU CORPS : LUI DONNER FROID POUR QU’IL SENTE MIEUX L’ARRIVÉE DE LA CHALEUR. »

Beaucoup avaient des maladies autistiques graves, donc je ne pouvais pas les diriger. Je prenais la décision de les mettre dans le plan mais je ne pouvais pas influer sur ce qu’elles étaient. Je trouvais ça nécessaire de représenter la maladie mentale par la seule maladie mentale, sans entrer dans le commentaire. En revanche, il y a d’autres malades, moins atteintes, avec qui j’ai pu travailler. Là, j’ai beaucoup discuté avec elles de leurs désirs de jouer telle ou telle scène. Alexandra, la jeune femme qui réconforte Juliette, est assez atteinte, mais il était possible de la diriger. J’ai distribué les rôles selon les c­ apacités de chacune. Avez-vous senti qu’il y avait le risque de mettre en scène un « freak show » ?

Il y a des spectateurs qui sont des salauds, qui verront des choses horribles dans mon film. Moi, j’estime avoir assez travaillé avec les médecins et les patientes pour être délivré de ça. Et puis je pense que déguiser ces filles qui sont en jogging toute la journée dans l’asile, s’occuper d’elles, ça leur fait du bien. Leur ordinaire est d’un ennui total, faire un film est quelque chose de distrayant. Les reconnaître, les représenter, les c­ onsidérer, c’est important. Les patientes ont-elles vu le film ?

Oui, elles l’ont vu il y a quelques jours. C’était une projection particulière, assez bruyante. Mais tout le monde était très content. Le psychiatre m’a dit qu’il trouvait le film tout à fait juste sur la psychiatrie, c’était ­important pour moi. Votre film joue sur deux temps contradictoires : le temps impatient de l’attente du frère et le temps très long de l’internement de Camille…

© ARP Selection

Le journal de Camille ne parle que de ça : l’attente des visites de son frère. Il me semble que j’ai fait un film à suspense, presque comme un film américain sur l’apocalypse. Le film se développe sur l’attente de cette apothéose minuscule. J’ai dit à Juliette Binoche : « Toi, tu sais que Camille Claudel restera enfermée toute sa vie, mais ton personnage ne le sait pas. » En 1915, Camille Claudel pense qu’elle va sortir. Elle est pleine d’espoir.

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Le film délaisse Camille un moment pour s’intéresser à Paul Claudel, avant qu’il n’arrive à l’asile…

Avec Paul, le film passe dans la figuration d’un esprit qui se déploie. Mais c’est uniquement pour s’apercevoir que Paul est aussi fou que Camille. Pendant une heure de film, nous sommes plongés dans un quasi-silence. Puis, Paul arrive et se met à réciter des vers. Silence et ­p oésie vont ensemble. Comment avez-vous envisagé la rencontre longtemps retardée entre la sœur et le frère ?

Je voulais qu’on sente l’immensité de la rencontre de deux grands esprits français du début du XXe siècle. Elle en train de tomber, lui de monter. Ils sont de la même famille, ils s’aiment et se haïssent de façon gigantesque. Paul est rendu rude par son éducation, sa foi. Camille a tout fait exploser, elle me plaît davantage, elle est pure. Mais j’aime bien Paul, je le trouve très français : à la fois génial, fou et lâche. C’est sa duplicité, vouloir être un saint et ne pas savoir quoi faire de sa sœur.

On évolue dans un monde de femmes, dont le désir semble absent. Se situe-t-il hors champ, tout entier tapi dans cette attente du frère ?

À l’asile, les êtres sont au repos. Ce n’est pas le lieu du sexe. Nous sommes dans un espace de désamour spirituel et physique. Dans le compte-rendu médical de Camille Claudel, il est d’ailleurs noté qu’elle ne se masturbe pas. De plus, il me semble que la sexualité peut disparaître facilement chez l’artiste : ils se font l’amour à eux-mêmes en permanence. La sexualité dans l’invisible est encore plus forte. Je pense à Hadewijch, probablement mon film le plus érotique et le moins frontal. Il y a une scène de séduction très émouvante dans le film : la scène de répétition de Dom Juan par deux patientes. Camille, spectatrice, passe du rire aux larmes…

Nous aussi, sur le plateau, il nous arrivait de rire sans trop savoir si c’était de la gêne ou de l’émotion. On perd nos repères, comme Camille. C’est la même chose quand je filme Paul Claudel de façon un peu ridicule : il est poète mais il bataille pour ouvrir la porte de sa voiture. Le grotesque est toujours au bord du tragique. ♦ Camille Claudel, 1915 de Bruno Dumont Avec : Juliet te Binoche, Jean-Luc Vincent… Distribution : ARP Sélection Durée : 1h35 Sor tie : 13 mars

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Spring Breakers

interview

Quarante ans : (toujours sans) mode d’emploi. HARMONY KORINE, l’enfant terrible du cinéma ricain révélé par le scénario de Kids de Larry Clark en 1995, refuse de grandir. Tant mieux : en 2013, l’univers du réalisateur de Gummo est toujours aussi dérangeant, hallucinogène et déjanté. Mais son public, jusqu’ici confiné à la sphère indé, pourrait bien s’élargir avec son nouveau film, Spring Breakers, à la faveur d’un casting télescopant stars Disney et gansgta rappers. Rencontre avec un brillant allumé. _Propos recueillis par Quentin Grosset et Éric Vernay


James Franco

P

rofiter de l’image aseptisée de Selena Gomez pour la confronter au sud craspec des ÉtatsUnis rejoignait a priori l’idée éculée de la teen idol qui ose polluer son univers sucré en allant rencontrer l’autochtone. Mais Spring Breakers va bien plus loin que sa campagne marketing aguichante et bien maline. Harmony Korine, habitué à malaxer l’univers boueux des rednecks, s’empare ainsi de l’imagerie à la fois solaire et triviale des spring breaks – ces périodes de vacances étudiantes renommées pour leurs fêtes alcoolisées et leur culte du bikini – pour en poétiser la surface. Car ce gang de braqueuses adolescentes et ce truand charismatique aux dents dorées, joué par le drôle et flippant James Franco, sont des prétextes à une manipulation formelle et musicale plus exigeante. Pervertissant l’esthétique MTV, qu’il agglomère au son rap dirty South, le réalisateur de Trash Humpers mixe les matières et les horizons culturels antagonistes pour proposer une incantation aussi potache que ­sophistiquée, aussi méditative que détonante. Ce n’est pas la première fois que vous collaborez avec James Franco…

J’avais déjà travaillé avec lui pour une exposition intitulée « Rebel », autour de La Fureur de vivre de Nicholas Ray. Ma vidéo s’appelait Kaput, ce qui signifie « mort ». James y interprète le chef d’un gang de filles masquées et armées de machettes, qui roulent sur des BMX et portent des tee-shirts du rappeur Tupac Shakur. Existe-t-il un lien entre cette installation et Spring Breakers ?

Je n’y ai jamais réfléchi. Kaput tentait, dans une veine impressionniste, de ré-imaginer les gangs de filles, les combats de nuits. Spring Breakers est plus onirique. Vous avez écrit le scénario du film pendant un spring break…

J’ai décollé vers Daytona Beach, qu’on surnomme la « Redneck Riviera », en Floride. Là-bas, je n’ai pas trouvé 60

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de spring breakers, juste des lesbiennes, des bikers et des enfants obèses. Alors j’ai demandé à une dame de l’hôtel où étaient partis les ados. Elle m’a répondu qu’ils ne venaient plus ici depuis quinze ans. J’ai donc pris un avion pour Panama City, toujours en Floride, où les teens mettaient le feu à leur chambre, pissaient dans le sable, baisaient sur les lustres ou écoutaient Taylor Swift… C’était un enfer, un cauchemar adolescent. J’essayais d’écrire tout en ayant peur que quelqu’un vomisse sur ma terrasse ou me jette un fût de bière. Après ça, je suis allé à trente kilomètres de là. Là-bas, je n’ai vu que des nains. On m’a dit que l’hôtel était réservé pour le tournage d’un reality show sur le catcheur Hulk Hogan, avec des nains qui lui ressemblaient. Pourquoi avoir choisi de travailler avec Benoît Debie, le chef opérateur de Gaspar Noé ?

Je voulais que le film soit une expérience physique. La narration devait faire l’effet d’une prise de drogue ou, par exemple, épouser les rythmes compulsifs de la musique électronique. Dans les oeuvres de Gaspar, la lumière de Benoît s’apparente à de la peinture, et je souhaitais que les couleurs soient les véritables stars. La musique est un élément omniprésent dans Spring Breakers. Comment la bande originale a-t-elle nourri la structure du film ?

Mon idée était de construire Spring Breakers selon les codes d’une violente pop song. C’est pourquoi le film est organisé en micro-scénarios, avec des scènes très rapides qui reviennent comme des boucles. Certains dialogues se répètent, comme le refrain d’une chanson. Je voulais que ça accroche, puis que tout d­ isparaisse instantanément. Quentin Tarantino dit réfléchir d’abord à la musique avant d’entamer l’écriture d’un scénario. Procédez-vous ainsi ?

Parfois, oui. La séquence où les personnages chantent du Britney Spears a été pensée comme ça. J’avais envie depuis longtemps d’utiliser une de ses chansons dans

« je voulais que le film soit une expérience physique, fasse l’effet d’une prise de drogue.»  – Harmony Korine –

©Nicolas Guerin

©Pathé Distribution

interview


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Spring Breakers

un film. Britney est la matérialisation culturelle de ces rêves pop américains qui, progressivement, se désintègrent dans quelque chose de plus sinistre, de plus sombre ou subversif. Pourquoi avoir demandé au rappeur Gucci Mane d’interpréter le méchant ?

C’est l’un de mes rappeurs préférés. Je suis allé lui rendre visite en prison pour lui proposer le rôle. En tant que « trap rapper » (née dans les ghettos d’Atlanta, la trap music est l’un des courants majeurs du rap du Sud des États-Unis, avec pour colonne vertébrale la triade flingues, grosses liasses et narcotiques – ndlr), il connaît l’univers dans lequel baignent les personnages. Alien, le personnage joué par James Franco, est-il inspiré de rappeurs réels ?

C’est l’archétype classique du gangster blanc du Sud qui veut être Noir. J’ai grandi à Nashville et j’ai souvent vu ce genre d’individus dans le bus scolaire. Un an avant le tournage, j’ai montré pas mal de clips à James Franco, du rap régional surtout. Beaucoup de choses du Memphis des années 1990 : Three 6 Mafia, Project Pat Crunchy Black, … Et Franco a passé beaucoup de temps en c­ ompagnie d’un rappeur blanc nommé Dangeruss. Alien est une sorte de chaman, un guide pour une version déviante du rêve américain…

Oui, c’est un gangster mystique. On est à la frontière entre deux mondes, l’un saturé de signes gangsta et l’autre baigné de fanatisme religieux. Ces deux tendances entrent en collision avec le personnage d’Alien. Il est poétique de façon bizarre et démente. Spring Breakers bascule lors d’une intense scène de sexe entre Alien, deux filles et un flingue qui change de main. La domination masculine vacille…

Dans la scène que j’avais écrite, les filles se contentaient d’effrayer Alien. Et c’était la fin de la séquence. Mais pendant les répétitions, la manière dont elles tenaient 62

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le flingue m’a semblée plus phallique, j’ai commencé à imaginer qu’elles lui insèrent l’arme dans la bouche façon « gorge profonde », pour l’émasculer. Franco a alors suggéré que son personnage suce le flingue, pour retourner une nouvelle fois la situation d’un point de vue psychologique : ce moment cristallise leur amour. Les trois personnages réalisent alors qu’ils sont c­ onnectés dans leur folie. C’est presque une scène de romance. Considérez-vous Spring Breakers comme une romance ?

Oui, mais une romance complètement ravagée !

Selena Gomez et Vanessa Hudgens, deux jeunes stars estampillées Disney, n’ont-elles pas été effrayées par le contenu sulfureux du film ?

Non, curieusement, ce fut l’une de mes expériences de tournage les plus faciles à gérer ! Je leur ai juste demandé de se familiariser avec mon style, d’aller vers l’inconnu sans avoir peur, en gardant en tête qu’elles jouent des personnages de fiction et qu’il faut s’y perdre. Sur le tournage, comment avez-vous gardé le contrôle lors des nombreuses séquences de fête et de débauche ?

La plupart du temps, c’était complètement i­ ncontrôlable, ils s’en foutaient que je filme ou non, ils baisaient n’importe où, tombaient du plafond, des objets prenaient feu, les chambres étaient mises en miettes… C’était assez sauvage. Je filmais ces scènes comme un ­documentariste, sauf que c’était moi qui avait déclenché ce truc ! Comment faites-vous pour rester si proche des jeunes ?

Je ne me suis jamais senti connecté avec les personnes âgées. ♦ Spring Breakers de Harmony Korine Avec : James Franco, Vanessa Hudgens… Distribution : Mars Durée : 1h32 Sor tie : 6 mars

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Spring Breakers

De gauche à droite : Ashley Benson, Selena Gomez, Vanessa Hudgens et Rachel Korine

PARTY GIRLS

Des idoles adolescentes de chez Disney, un réalisateur indé réputé pour son cinéma déglingué : c’est le choc des cultures que propose Spring Breakers, fable trash sur la quête de plaisir. Rencontre déconcertante avec des actrices trop sages pour être honnêtes. _Par Renan Cros

E

n ce dimanche matin, une foule de jeunes filles en fleur se presse sur le parvis d’un grand hôtel parisien. Elles attendent de pied ferme l’apparition de leurs idoles venues assurer la promotion de Spring Breakers, film dont ces fans, très jeunes pour la plupart, ne savent rien mais qui sera à coup sûr pour elles « le meilleur de l’année ». À l’intérieur de l’hôtel, les interviews se font à la chaîne. On y croise aussi bien des journalistes d’une prestigieuse revue cinéphile française que ceux d’une radio musicale pour jeunes. Pendant que Harmony Korine parle de son œuvre dans la pièce attenante, les quatre « spring breakeuses », très apprêtées, donnent un entretien après l’autre sous l’œil protecteur de l’attachée de presse américaine. Au moment où on les rencontre, elles se décident à saluer ce public de fans qui les guette depuis l’aurore. L’hystérie est totale.

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Soudain, la rue scande le nom de Selena Gomez. C’est elle, la benjamine, qui est la véritable star, ce qui provoque le sourire (amer ?) de ses petites camarades. Amusée, elle minaude et s’excuse de ce bruit continu qui couvrira toute l’interview. Star d’une série télévisée de Disney Channel, connue pour avoir été « l’officielle » de Justin Bieber, Selena Gomez veut gagner ses galons d’interprète. Pour elle, jouer dans Spring Breakers a été « un défi personnel, une envie d’actrice ». Si elle n’a pas peur de choquer son public, elle concède tout de même avoir vécu le tournage comme une expérience déstabilisante, mais affirme que le résultat a dissipé toutes ses craintes. Selena et celles qu’elle présente comme ses « copines » soutiennent en effet ne pas percevoir la portée subversive du film. C’est le fun qui règne en maître : pour ces adolescentes qui ont trop vite connu

la gloire, ce projet a fait office de spring break par procuration. Les aspirations les moins immorales de leurs personnages – quête de plaisir et de liberté – sont devenues les leurs et sont seules mises en avant : star du soap pour ados Pretty Little Liars, Ashley Benson s’étonne ainsi qu’on puisse s’interroger sur le sexisme présumé du film. Et toutes revendiquent d’être des filles fortes, féminines et sexy. Quant aux scènes de violence et de débauche, Vanessa Hudgens, l’héroïne romantique de High School Musical, botte en touche : « Ce n’est qu’un film ! » À les écouter, rien n’a donc de conséquence. Vraies ou fausses ingénues ? On ne saurait dire. Mais on ressort de cette rencontre avec l’impression tenace que Harmony Korine a su, avec ou sans leur consentement, capter l’ambiguïté de ces nouvelles princesses, symboles d’une génération qui veut tout, tout de suite. ♦ www.mk2.com

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PORTRAIT

© Disney Enterprises Inc. All Rights Reserved

SAM RAIMI

James Franco en magicien

Michelle Williams est Glinda, la bonne sorcière du Sud.

SAM RAIMI, le parangon du cinéaste geek révélé par Evil Dead et popularisé par la trilogie ­Spider-Man, aurait-il vendu son âme à Hollywood en signant Le Monde fantastique d’Oz ? Et les studios Disney tenteraient-ils de vampiriser l’un des derniers grands mythes américains qui ne lui appartienne pas en produisant ce prequel officieux des aventures de Dorothy et ses amis ? Ce serait faire un mauvais procès au réalisateur comme à la major que de répondre par ­l’affirmative. Car dans l’œuvre de Sam Raimi comme dans celle de Disney, tous les chemins mènent à Oz. _Par Julien Dupuy

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L

e cycle du pays d’Oz est probablement la plus vieille obsession des studios Disney : à la suite du triomphe de Blanche-Neige et les sept nains, Walt Disney souhaite tirer un dessin animé des romans de L. Frank Baum. Mais le producteur Samuel Goldwyn lui souffle l’achat des droits, qu’il vend ensuite à la MGM. Le reste appartient à l’histoire : le studio au lion produit en 1939 une comédie musicale qui devient l’un des mythes modernes américains. Pugnace, Walt Disney ne lâche pas l’affaire pour autant : il reste en contact avec les héritiers de Baum, qui lui apprennent, en 1957, que les droits sont de nouveau libres. Disney débourse aussitôt une

fortune pour les acquérir et déclare dans son émission télé Disneyland qu’une adaptation est sur les rails. Mais la production se révèle chaotique : les premiers devis sont dispendieux, le scénario ne satisfait pas l’exigeant Walt et le film, intitulé The Rainbow Road to Oz, est finalement abandonné. Ce ­projet au long cours ne disparaît pas avec la mort du père fondateur du studio : en 1985, la major porte à l’écran Oz – Un monde extraordinaire, superproduction et suite officieuse du clas­sique de la MGM. Cet étrange film est un échec public qui est immédiatement enterré dans les douves de Disney. Le monde d’Oz continue pourtant de hanter les coursives du studio, qui produit en 2005 le téléfilm Le Magicien d’Oz

des Muppets. Un encas en attendant la sortie du Monde fantastique d’Oz, première véritable rencontre si longtemps espérée entre Disney et l’œuvre de Baum. Il était donc une fois, un magicien de cirque, Oscar (James Franco), emporté par une tornade dans un monde magique où des sœurs sorcières se livrent une lutte sans merci. Si l’on était en droit de questionner la légitimité de Disney vis-à-vis d’Oz, on peut encore plus s’étonner que Sam Raimi s’embarque sur un tel projet. Après tout, le réalisateur s’est fait connaître avec l’un des films d’horreur les plus radicaux qui soit : le cultissime et traumatisant Evil Dead (1981). Un traumatisme qui explique d’ailleurs que la carrière de Raimi se soit construite sur un malentendu, car le gore et l’horreur chez le réalisateur n’ont jamais été une finalité, mais bien un moyen. Moyen de rendre hommage aux chantres de la comédie américaine tels que les Trois Stooges ou Tex Avery, comme on le voit dans l’hilarant Evil Dead III – L’Armée des ténèbres (qui ressort ce mois-ci

en DVD chez Filmédia, dans ses trois montages inédits en France). Moyen, également, de mettre en scène des contes moraux, avec notamment Intuitions et Jusqu’en enfer. Ainsi, le cinéma de Sam Raimi procède d’une vraie schizophrénie en ce que ses films les plus violents sont finalement plus inoffensifs qu’ils n’y paraissent, tandis que ses œuvres tout public sont nettement plus intenses que leurs doux atours ne le laissent présager. Les montagnes sucrées d’Oz dissimulent donc une noirceur bien dans le ton du cinéaste. Tout en demeurant un conte pour enfants, Le Monde fantastique d’Oz se permet en effet des visions éprouvantes : les larmes de la sorcière Theodora creusant des sillons douloureux dans son visage angélique, les singes volants écartelant rageusement une armée d’épouvantails ou un village de porcelaine baignant dans une ambiance mortifère, avec des membres de poupées ensevelis sous un amas de ruines. Mais surtout, si Sam Raimi semble en parfaite symbiose avec le sujet du film, c’est qu’il est

sans aucun doute le dernier grand cinéaste expressionniste en activité : chez lui, la caméra est partie prenante de l’action et n’hésite pas à agresser le spectateur. Il est donc d’une logique imparable que Le Monde fantastique d’Oz soit aussi une ode aux pouvoirs magiques primaux du cinéma, comme l’était déjà Le Magicien d’Oz. Non content de célébrer visuellement le passage du monde réel à Oz avec une transition du noir et blanc en format carré à la couleur en Cinémascope, le film révèle que les pouvoirs de l’enchanteur éponyme reposent sur les balbutiements du cinématographe, un art technologique capable d’accomplir, littéralement, des miracles. D’ailleurs, comme un signe du destin, c’est dans son Michigan natal que Raimi est parti tourner son prequel : l’État même où, trente ans plus tôt, il filmait Evil Dead. Décidément, ces deux univers-là étaient amenés à se rencontrer. ♦ Le Monde fantastique d’Oz de Sam Raimi Avec : James Franco, Mila Kunis… Distribution : The Walt Disney Company France Durée : 2h07 Sor tie : 13 mars

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LE STORE

EMPILE AMPOULE

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en vitrine

« Je suis très inspiré par ces binômes de producteurs et graphistes qui ont créé des choses ensemble. Ce qui nous définit, c’est le côté alternatif, libre et fun. »

DIX SUR DISQUE

Il y a dix ans, PEDRO WINTER, alias « Busy P », fondait le label electro Ed Banger. Depuis, tout le monde connaît l’écurie parisienne à l’image branchée et au look club-­skate-graff-pop, capable de remplir deux Zénith avec Justice ou de s’offrir la Grande Halle de la Villette pour son anniversaire. À cette occasion, retour sur l’épopée Ed Banger avec le boss Busy P et son directeur artistique, SO_ME.

certains, existe réellement chez Ed Banger. On a traversé cette épreuve ensemble. J’ai le souvenir d’avoir voulu tout abandonner après son décès, mais on est resté soudés et là, on prépare les 10 ans avec le sourire, parce qu’il aurait ­sûrement voulu qu’on continue.

Sur le logo d’Ed Banger que tu as dessiné, So_Me, on reconnaît la silhouette de Pedro… S.M. : À l’époque, on jouait encore des vinyles. Pedro se trimballait des kilos de disques sur une espèce de trolley de grand-mère, ça me faisait marrer, cette silhouette de grand dadais avec sa mèche, ça définissait bien le label. Je ne sais pas qui est la patron de XL Recordings, par exemple, pourtant c’est un super label. Mais je sais qui est le patron d’Ed Banger.

©Marco Dos Santos

Comment vous êtes-vous rencontrés, tous les deux ? Pedro Winter : On s’est rencontrés en 2001 dans une soirée rap. Il y avait un de ses potes, DJ Pone, qui était en train de mixer. So_Me : Ce soir-là, je venais de recevoir un bouquin dont j’avais fait la couv. C’était mon premier job. Pedro m’intercepte et me dit qu’il aime bien le style de mon dessin, que ça lui fait penser au logo de Headbanger, sa boîte de management. Le lendemain, j’étais dans les bureaux. Depuis, on ne s’est plus quittés.

©Marco Dos Santos

_Propos recueillis par Éric Vernay

Votre premier tube, c’est We Are Your Friends (2003), un remix de Simian signé Justice. Son succès vous a-t-il étonnés ? P.W. : Le single n’a pas explosé tout de suite. Je l’ai écouté grâce à Bertrand (So_Me – ndlr), en m’incrustant à une raclette chez Gaspard (Augé, moitié de Justice – ndlr). Le lendemain, j’ai dit à Gaspard et Xavier (de Rosnay , autre moitié de Justice – ndlr) que je montais un label et que je voulais sortir le morceau. Il a quand même fallu deux ou trois ans pour que ça prenne ! La blague, c’est que Virgin, qui avait le morceau avant tout le monde – puisque ce titre était à la base le fruit d’un concours de remixes, perdu par Justice –, m’a rappelé trois ans après pour Ed Banger a 10 ans. Si vous ne deviez retenir me dire qu’il pourraient peut-être le sortir. que trois moments-clés de son histoire, les- Justice est devenu ce qu’il est aujourd’hui sans quels seraient-ils ? qu’aucune radio française n’appuie sur play. P.W. : D’abord, il y a la rencontre avec Mr. Flash Elles sont toutes passées à côté. en mars 2003 : il cherchait un manager. À l’époque, je manageais Daft Punk, DJ Mehdi, Pour la vidéo du morceau, c’est toi, So_Me, Cassius et Cosmo Vitelli. J’étais donc pas mal qui est allé chercher le prix du meilleur clip occupé, et puis ça ne m’intéressait plus d’être (Best Video Award) aux MTV Music Awards. manager. Mais j’ai écouté Radar Rider et j’ai dit Comment Kanye West a-t-il réagi ? à Mr.Flash : « Viens, sortons ton disque », et ça a S.M. : Cette catégorie était la seule pour laquelle été le premier single du label. Deuxième moment le vote revenait au public, ce qui prouve encore important, c’est le succès de Justice : 2007-08, une fois le succès underground de We Are Your une époque assez folle, avec notamment les Friends. Kanye West, qui était aussi en compépremiers Zénith, un symbole pour nous autres tition, a aussitôt sauté sur scène pour se plaindre Parisiens. Il y avait Klaxons qui jouait avec de sa défaite, en précisant qu’il n’avait pas vu eux, je me souviens… Chair de poule ! Le troi- notre clip. Après, en coulisses, il s’est un peu sième moment, c’est moins drôle : la dispari- excusé en ajoutant qu’il nous avait donné le beau tion de DJ Mehdi en 2011, qui nous a tous bien rôle parce qu’il s’était énervé alors que nous, on chamboulés. Le côté famille, qui peut faire rire était restés cools !

Pedro Winter (à gauche) et So_Me

« Justice est devenu ce qu’il est sans qu’aucune radio française n’appuie sur play. Toutes sont passées à côté. »

P.W. : On a découvert ça en même temps que tout le monde et on l’a bien apprivoisé. S.M. : Tout est plus accessible avec internet, mais malheureusement ça a aussi changé l’approche des maisons de disques, qui ne mettent plus un kopeck dans les clips. Il y a moins de choses intéressantes depuis l’âge d’or de MTV : les Michel Gondry et les Spike Jonze ne bossaient pas dans la même économie. Il reste des gens talentueux, mais beaucoup d’artistes se Ed Banger a été fondé en 2003, la même année sont désintéressés de cette forme d’expression, que Myspace. Internet a-t-il changé votre car elle n’est plus rentable. Maintenant, c’est un manière de créer ? truc de combattant, pour la beauté de l’art. ED BANGER en 9 shots _Par Etaïnn Zwer Mr. Flash La première signature du label. En 2003, Pedro Winter troque Headbangers Entertainment, sa société de management (et Q.G. des Daft Punk) contre Ed Banger, sort Radar Rider, titre trip-hop futuriste à la Mo’ Wax et prend la French touch de court. Go.

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So_Me L’identité graphique du label, c’est lui. Pochettes, clips (dont D.A.N.C.E. pour Justice), merchandising (le store Club 75), fashion… Le créatif prolifique a donné au son Ed Banger un look : twist flashy pop, entre street art et dinguerie classe, unique.

DJ Mehdi

Compiles

Justice

I <3 U So

Producteur habile disparu trop tôt et frangin de cœur de Winter depuis 1995, celui que tous considéraient comme « l’âme du label » a imposé avec brio le combo hip-hop-electro avec son premier album pour Ed Banger, Lucky Boy (2006), et ses sets généreux.

Ed Banger c’est une affaire de (grande) famille et de plaisir, à l’image des compilations du label : remixes entre copains, guests de choix (Let the Children Techno), titres en preview et même démos (le single Civilization de Justice, présenté sur The Bee Sides).

Les héritiers des Daft starifient le label. Des tubes (Never Be Alone, Waters of Nazareth), l’album Cross et sa croix iconique, des clips provocants (Stress de Romain Gavras), une esthétique futuro-épique : le duo propage l’electro noisy et démonte la sono mondiale.

En 2010, le maxi The Rawkers de Cassius affole internet : les fans s’emparent de l’appli réalisée par le collectif We Are From L.A., les bouches anonymes qui chantent « I love you so » font trois millions de vues. Géniaux, malins, les clips d’Ed Banger détonnent.

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©Marco Dos Santos

en vitrine Pedro Winter (à gauche) et So_Me

En 2006, l’Américaine Uffie, encore ado, sort Pop the Glock. Selon ses mots, tu deviens pour elle un « père de substitution », Pedro… P.W. : Alors je n’ai pas réussi ma mission de père de substitution ! Uffie n’est plus sur Ed Banger depuis maintenant un peu plus d’un an. S.M. : Si, t’as réussi : elle a juste quitté le foyer ! P.W. : Quand elle est arrivée chez nous, c’était la petite amie de Feadz. Elle devait juste faire des voix « tests », et puis on a écouté : c’était mortel. On a arrêté de travailler avec Uffie après la sortie de son album parce qu’il n’y avait plus vraiment de discours artistique. Elle était entourée d’un manager et d’une directrice artistique autres que nous. C’est dommage, parce que le disque, j’en suis super fier musicalement. C’est Feadz, Mr. Oizo et SebastiAn qui l’ont produit ! Le label a publié une quinzaine d’albums en dix ans. C’est peu, non ? P.W. : Par rapport au reste de l’industrie, oui, on a un rythme lent ! En dix ans, on a sorti soixantedix maxis. D’autres labels autour de nous en sortent cent par an ! Notre rythme est humain, chaque s­ ortie est importante pour moi. Il y a un

Ciné Multipiste et doué pour l’image, le label ami du gang Kourtrajmé s’acoquine à de jeunes réalisateurs et zone au cinéma : SebastiAn signe la B.O. de Notre jour viendra, Gaspard Augé (Justice) et Quentin Dupieux (Mr. Oizo), celle de l’énigmatique Rubber.

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« Par rapport au reste de l’industrie, on a un rythme lent, humain. Chaque sortie est importante pour moi. » côté viscéral. On est dans le même bureau depuis dix ans. C’est pas anonyme, d’une certaine manière je suis le label. Il y a une esthétique Ed Banger, comme c’était le cas pour le Factory Records de Tony Wilson et Peter Saville (Joy Division, New Order) : est-ce un modèle ? P.W. : Cette comparaison me fait super plaisir ! Je garde les pieds sur terre, mais peut-être que dans vingt ans on se souviendra de Peter Saville et Tony Wilson, de James Lavelle et Futura (du label britannique de trip-hop Mo’ Wax – ndlr) et de nous… Je suis très inspiré par ces binômes de producteurs et graphistes qui ont créé des choses ensemble. Ce qui nous définit, c’est le côté alternatif, libre et fun. On a un leitmotiv, aussi, c’est le titre du livre de So_Me, qu’on édite : « Travail, famille, party. » ♦

Travail, famille, party Dix ans et un livre-album de famille géant : quatre cents photos prises par So_Me – tournées, DJ sets, fêtes, moments volés… Un témoignage inédit sur l’aventure Ed Banger, à découvrir également en exposition à la galerie 12Mail du 1er au 5 avril.

Boston Bun Dernière recrue de l’écurie Winter, graine de champion proche de Club Cheval et remarqué pour ses mixtapes tonitruantes : son EP Housecall – trois titres de lean house coup de poing – a d’ores et déjà conquis. Ed Banger voit le futur en grand.


RUSH HOUR AVANT

PENDANT

APRÈS

Se faire une toile dans le cinéma de Jules et Jim, déambuler passage Brady sur les pas du héros de Frantic : c’est ce que propose ce guide touristique pour cinéphiles, qui répertorie par quartiers (avec des plans détaillés) cent un restaurants, hôtels, boutiques ou bars parisiens ayant accueilli les tournages de films aussi variés que Hôtel du Nord, Nikita ou Inglourious Basterds. Clair et illustré de nombreuses photos, l’ouvrage est issu d’un site internet déclinant le concept à d’autres villes. _S.O.

Treize ans que pareille réunion ne s’était tenue à Paris : 280 artistes parmi les plus pointus de l’aiguille se retrouvent au 104, sous le patronage des héros du dessin permanent Tin-tin et Piero. L’occasion de se laisser tenter la peau, entre deux concerts de Burning Heads ou de Thompson Beat. Mais que dessiner ? On vous conseille de vous plonger dans le trait à la fois épique, potache et planant du troisième volume de cet épatant mélange des genres qu’est la bande dessinée Dungeon Quest. _É.R.

En parallèle de l’entreprise de restauration des films de Pierre Étaix (invisibles pendant près de vingt ans), de nombreux entretiens ont été menés afin de sortir de l’ombre un cinéaste dont l’œuvre ramassée (cinq longs métrages et quatre courts) n’en demeure pas moins réjouissante. D’abord assistant de Jacques Tati, Pierre Étaix a rapidement formé avec Jean-Claude Carrière un duo inséparable. Le livre, richement illustré, revient sur cette amitié qui n’a jamais cessé de prendre forme en dessins, gags visuels, photos et films. _L.T.

Paris fait son cinéma de Barbara Boespflug et Béatrice Billon (Éditions du Chêne) // Disponible

Dungeon Quest – Tome 3 de Joe Daly (L’Association, disponible) Mondial du tatouage, du 22 au 24 mars au 104

Une balade dans la capitale, révisez vos classiques avec le guide Paris fait son cinéma

LE MONDIAL DU TATOUAGE, piochEZ DES IDÉES À TATOUER DANS la BD DUNGEON QUEST

avoir vu un film de Pierre Étaix, lisez Pierre Étaix

Pierre Étaix – Intégrale cinéma restaurée de Séverine Wemaere et Gilles Duval (Capricci) // Sor tie le 14 mars

TROP APPS _Par S.O.

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How to Tie a Tie « Mais bien sûr que je sais faire un nœud de cravate, mais celle-ci est trop longue. » La prochaine fois qu’on mettra vos compétences en doute, How to Tie a Tie vous permettra de sauver la face. Avec trente nœuds, on ne tombe jamais à court d’idées.

Gears & Guts Connaissez-vous Carmaggedon, ce jeu dont le but était de foncer au volant d’un bolide pour écraser un maximum de personnes et accumuler les points ? Remplacez les gens par des zombies, votre ordinateur par un smartphone, et vous aurez Gears & Guts.

FlightRadar24 Pro FlightRadar24 permet d’identifier et de visualiser en réalité virtuelle le trafic aérien. Véritable tour de contrôle mobile, l’appli indique aussi le modèle d’avion, la compagnie et le numéro de vol, la provenance et la destination, l’altitude et la vitesse.

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©1982 ITV STUDIOS GLOBAL ENTERTAINMENT Limited. Tous droits réservés. Distribué par Park Circus Limited.

KIDS MONSTRES ET MERVEILLES La Dernière Licorne concilie féérie et cauchemar dans un conte animé édifiant qui ressort en salles. Malgré ses trente ans d’âge, il n’a rien perdu de sa puissance. _Par Julien Dupuy

Avant de porter sur écran en 1982 le best-­ seller de l’écrivain Peter S. Beagle, le duo Jules Bass et Arthur Rankin Jr. pâtissait d’une mauvaise réputation. Et pour cause : les deux cinéastes s’étaient rendus responsables en 1977 d’un très vilain Bilbo le Hobbit animé, ce qui explique en partie que Beagle ait d’abord refusé de leur confier les droits de son œuvre la plus célèbre.

La peluche

_C.Ga.

Les Petites Marie

Les peluches des Petites Marie (les créateurs en 1963 des inoubliables marionnettes de Pimprenelle et Nicolas pour l’émission Bonne nuit les petits) deviendront vite indispensables aux marmots. Car pour passer l’hiver, rien de tel qu’un ami super doux à emporter sous la couette. La bonne idée de ces peluches : être déclinées en plusieurs gammes – « Retro », « Zarby » ou encore « Patchies » – afin de s’adapter aux envies des petits. En vente au Store du MK 2 Bibliothèque

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Des craintes injustifiées au vu du résultat final, car La Dernière Licorne est un objet étrange et fascinant : ce périple d’une licorne cherchant à retrouver les autres représentants de son espèce donne lieu à des scènes aussi étonnantes que l’un des protagonistes coincé entre les seins monumentaux d’une créature digne de Fellini ou une tenancière de cirque dévorée vivante par une chimère. Surtout, le dernier tiers du métrage est empreint d’un spleen que n’aurait pas renié Edgar Allan Poe. Il faut également saluer la beauté plastique du film, fortement influencée par les enluminures médiévales et devant beaucoup au studio japonais Topcraft, en charge de l’animation et des décors. Rien d’étonnant lorsque l’on sait que les membres-clés de Topcraft allaient fonder dans les années suivantes le studio Ghibli. ♦ La Dernière Licorne de Jules Bass et Ar thur Rankin Jr. (reprise) Avec les voix (en V.O.) de : Alan Arkin, Jef f Bridges… Distribution : Carlot ta Films Durée : 1h32 Sor tie : 20 mars

Le livre

_L.T.

Maître des brumes

de Tomi Ungerer (L’École Des Loisirs) Le retour de Tomi Ungerer (Jean de la Lune) avec un livre aux accents hivernaux. Maître des brumes, dédié à l’Irlande, commence sur une terre reculée où deux enfants vivent heureux. Comme tous les enfants, ils vont devoir partir à la découverte de leurs peurs, ici une île mystérieuse qui se découpe à l’horizon, « menaçante comme une vieille dent de sorcière ». Les magnifiques illustrations d’Ungerer se déploient pour laisser aux petits le souvenir d’un beau voyage.


©WildSide

vintage John Wayne

ROUGE C’EST ROUGE Restauré par WildSide dans une version légèrement rallongée, La Rivière rouge impose un John Wayne assombri : le premier western de HOWARD HAWKS révolutionne le genre. _Par Yal Sadat

Du western classique, on a surtout retenu deux symboles : l’espace et John Wayne. D’un côté, la géographie aride du Sud, vallées, déserts et canyons d’envergure. De l’autre, une carcasse de pionnier buriné, pas moins colossal. Dans nos souvenirs, Wayne combattait ce décor majestueux mais hostile jusqu’à triompher à force de bravoure, sans tromper l’éthique. Mais il faut revoir La Rivière rouge pour se rappeler que les choses furent souvent plus retorses. À mesure que progressent les convois de bétail se dessine la question : et si Wayne incarnait luimême le danger, la force hostile, tandis que la terre brûlée était la vaillante héroïne combattant la folie des hommes ? Inversion des rôles,

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éboulement des valeurs. Tom Dunson (Wayne) part pour le Missouri pour vendre son cheptel, flanqué de son fils adoptif (Montgomery Clift) et d’une bande de cow-boys qu’il n’hésite pas à tyranniser. Le fils devra organiser une mutinerie contre son père, déboussolé par une soif de domination. C’est donc un Wayne clair-obscur qui s’invente ici, entre héroïsme et folie, couvant une violence rare : on retrouvera cette dualité en lui chez John Ford ou Henry Hathaway. Bien que nouveau dans le western, Howard Hawks décèle cette colère dans les traits baroques du « Duke » et exploite ce qui fait la force du genre : cette capacité à écrire le mythe tout en le critiquant. Car le périple de nos cow-boys déchirés renvoie bien sûr aux origines d’une nation parfois guidée par des hommes trop tempétueux, que seule l’intégrité de quelques autres sait remettre sur le droit chemin. La portée romanesque transparaît d’autant mieux dans cette version longue (narrée cette fois par le vieil acolyte de Tom, en voix off), restaurée comme pour voir plus nettement encore, dans la poussière soulevée par les troupeaux fous, les traces d’une morale inscrite dans les viscères de l’Amérique. Une morale enterrée par les vieux coyotes mais exhumée par les cœurs purs. ♦ La Rivière rouge de Howard Hawks (19 48) Avec : John Wayne, Montgomery Clift… Édition : WildSide Durée : 2h13 Sortie : disponible

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DVDTHÈQUE

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FILMS La sélection de la rédaction

Mad Men – Saison 5 (Metropolitan FilmExport)

GRANDS MALADES

En 1959, une équipe de cinéastes français décide de traverser la Nouvelle-Guinée en passant par son centre, encore inconnu. Le Ciel et la Boue, ou sept mois d’une expédition de darons, aussi stupide qu’héroïque. _Par Étienne Rouillon

Faut voir sa tête, deviner les poils d’une barbe de six mois prisonnière dans la boue. Et la tête de ses jambes : rongées à vif par des sangsues qu’il retire en se cramant la peau du bout des cigarettes. Les clopes, c’est seulement quand le paquet a été largué par l’avion ravitailleur des Hollandais. Et quand le tabac a trouvé le temps de sécher. Ça ne sèche jamais. Le Ciel et la Boue, c’est un torrent d’eau permanent qui irrigue une atmosphère moite et fiévreuse. Faut voir sa tête, au chef d’expédition, Pierre-Dominique Gaisseau, lorsqu’il sort enfin de la jungle pour faire un bain de pieds dans l’eau propre de l’océan Atlantique. « Des êtres à la limite de l’humanité », disait-il de sa voix off pour décrire les indigènes, une heure plus tôt dans le documentaire. Au bout du compte, c’est bien l’équipe d’exploration franco-hollandaise qui fait figure de meute hagarde, la truffe ­é clatée d’avoir ­reniflé de trop près la piste.

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Le Ciel et la Boue commence mal, pas parce que le projet de traversée est titanesque, mais parce qu’il est motivé par une approche ethnologique raciste. Pierre-Dominique Gaisseau souhaite faire l’expérience de « ce crépuscule de début du monde » en allant vivre au plus près de communautés cannibales, féroces, isolées et qui n’ont jamais vu d’hommes blancs. Il part du principe qu’ils n’ont pas évolué comme « nous » dans cet environnement si difficile, qu’ils sont bloqués au stade préhistorique. Mais Gaisseau est un homme honnête. Plutôt que de masquer ses erreurs ethnocentrées du début, il fait évoluer sa voix off à mesure que l’expédition lui permet de mieux comprendre les populations qu’il rencontre et qui battent en brèche l’exotisme attendu : les indigènes s’émeuvent rarement de la couleur de peau blanche. Pire, l’exploration les laisse sceptiques ou indifférents. Traverser ? Mais pourquoi ? Pour revenir avec probablement le plus beau et le plus impressionnant des documentaires d’exploration, qui fait passer Aguirre – La Colère de Dieu pour une croisière peinarde. C’est vraiment bien monté, raconté dans un style direct proche du « commentaire par le réalisateur », disparu du genre documentaire mais que l’on retrouve aujourd’hui dans les bonus DVD des films de fiction. Présenté au Festival de Cannes en 1961, Le Ciel et la Boue remporte l’Oscar du Meilleur Film documentaire en 1962 et, cinquante ans plus tard, termine sa t­ raversée en terre DVD. ♦ Le Ciel et la Boue de Pierre-Dominique Gaisseau Documentaire Édition : Chiloé Productions Durée : 1h32 Sor tie : disponible

Le retour de Don Draper pour une saison 5 qui, malgré les menaces qui ont pesé sur la série, déroule avec faste ses intrigues existentielles, amoureuses et financières. Si, dans le copieux épisode inaugural, l’ambiance est à la fête façon sixties colorées, l’atmosphère se fait vite plus sombre. Sur Madison Avenue, les mad men doivent affronter le suicide d’un des leurs. À la maison, Betty prend du poids et jalouse le foyer en apparence heureux de Don et Megan. Maladie, folie, mort : la saison 5 plonge dans la dépression pour se terminer sur un plan terrible qui laisse Don Draper en proie à ses vieux démons. _L.T.

GEBO ET L’OMBRE

de Manoel de Oliveira (Épicentre Films) Après le beau et fantomatique L’Étrange Affaire Angelica en 2010, le prolifique centenaire portugais Manoel de Oliveira nous captive une nouvelle fois avec Gebo et l’Ombre. Gebo (Michael Lonsdale), un comptable fatigué, vit en compagnie de sa femme (Claudia Cardinale) et de sa belle-fille (Leonor Silveira, habituée des plateaux du cinéaste). Leur quotidien, terne et répétitif, est tourmenté par l’absence du fils de Gebo, João ; lorsque ce dernier réapparaît, tout bascule. Par sa désarmante simplicité, le film interroge le spectateur et confirme l’étendue de la virtuosité de son metteur en scène. _S.O.

AGATHA

de Michael Apted (Warner Bros.) Si l’on se souvient de Dix petits nègres ou de Mort sur le Nil, c’est ici la mystérieuse disparition pendant onze jours de la romancière Agatha Christie, en 1926, qui intéresse l’Anglais Michael Apted (Gorilles dans la brume, Nell). Sorti en 1979, Agatha invente à « la Reine du Crime », magistralement incarnée par Vanessa Redgrave, une sombre idylle avec Wally Stanton, un journaliste qui l’admire (Dustin Hoffman). Le film ressort en DVD à l’occasion de l’édition par Warner d’une nouvelle collection, intitulée « Films criminels », disponible uniquement en ligne à partir du 15 mars. _S.O.

LOOPER

de Rian Johnson (M6 Vidéo) En 2044, Joe (Joseph GordonLevitt) est un « looper », un tueur à gages exécutant des cibles envoyées du futur par la mafia. Il se retrouve un jour le fusil braqué sur… lui-même, vingt ans plus vieux. Mais ce Joe du futur (impeccable Bruce Willis) parvient à s’échapper, donnant le coup d’envoi aux magistrales boucles scénaristiques de ce captivant thriller de science-fiction. Deuxième collaboration de Johnson avec Gordon-Levitt (après Brick, sorti en 2005), Looper explore avec brio le motif du voyage dans le temps, jusqu’à une réflexion intime sur les conséquences dramatiques des blessures du passé. _S.O.

Albert Camus – le journalisme engagé

de Joël Calmettes (Chiloé Productions) Dans ce documentaire de 52 minutes, Joël Calmettes s’intéresse à la figure de l’intellectuel engagé qu’a incarnée Albert Camus de la montée du nazisme à la guerre d’Algérie, en passant par la Seconde Guerre mondiale. D’abord à l’Alger républicain, puis à Combat à l’époque de la Résistance et enfin à L’Express dans les années 1950, Albert Camus définit sa position : celle d’un humaniste qui reste lucide. « À tant de malheurs, ne faut-il pas préférer le silence, et cette ironie, qui aide à vivre ? », se demandait-il dans son premier édito pour L’Express, sans pourtant renoncer à l’écriture. _L.T.

L’Épine dans le cœur

de Michel Gondry (Éditions Montparnasse) C’est un documentaire particulier. D’abord parce qu’il se souvient du parcours incroyable de Suzette, une institutrice courageuse dans les lointaines Cévennes, des années 1950 aux années 1980. Et aussi – même s’il fait tout pour qu’on l’oublie – parce que Suzette est la tante du cinéaste Michel Gondry. Le réalisateur artisan montre, quelques années avant The We and the I, qu’il peut délaisser sa maestria de la bidouille pour toucher directement au cœur son sujet. Les bonus du DVD sont de petits miracles, des bourgeons qui rappellent que le génie de Gondry tient autant dans son œil que dans ses mains. _É.R.

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CDTHÈQUE

ALBUMS La sélection de la rédaction

Berberian Sound Studio – Original Soundtrack

©Manova

de Broadcast (Warp)

LES MOTS JUSTES

Toujours aussi énervé, austère et intransigeant. Dix ans après ses débuts, ROCÉ revient avec son quatrième album, Gunz n’Rocé. Un concentré de beats à l’ancienne et de punchlines poétiques qui en disent plus long sur le rappeur du Val-de-Marne que ne le ferait une interview-fleuve. _Par Éric Vernay

Loin, très loin des noms d’oiseaux échangés en ce moment par les stars du rap français, Rocé, lui, continue son chemin solitaire. Un chemin de croix que le MC, né à Bab El Oued, en Algérie, il y a 36 ans, trace avec la fierté de l’éternel rebelle depuis son premier freestyle en 1996, sur un album de Different Teep. Produit par DJ Mehdi, le morceau s’appelait Respect et ­donnait déjà une idée de la ligne de conduite austère empruntée par Rocé jusqu’à son dernier album, Gunz n’ Rocé. Le quatrième seulement, en plus de dix ans. « J’ai l’impression d’être trop lent, rappe-t-il en 2013, trop réfléchi et hors normes, comme si j’me faisais écraser par l’aiguille de l’horloge. Ça va tellement vite que y a rien d’sensé, c’est trop condensé, la vitesse m’empêche d’avancer. » Peu en phase avec le rythme compulsif de l’ère internet, le rappeur 84

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du Val-de-Marne est allergique au cirque promotionnel ouvrant les portes du mainstream : « J’ai mis des années à construire un disque et un discours, faut qu’ j’t’en parle entre une bitch et un p’tit four », lance-t-il sur le même morceau. Si c’est ainsi, monsieur José Kaminsky, plutôt que de vous interviewer, interrogeons directement vos textes. N’avez-vous pas peur de vous isoler par excès d’intransigeance ? « J’me suis initié à être un autre type pour être un mec que la société n’voit plus comme un autiste, mais j’y arrive pas, mon visage est ma façade, sourcils tellement froncés qu’tu peux skater sur mon arcade. J’voulais signer, mais ne semble correspondre à l’affaire. J’suis spé, Picasso a dessiné mon trait d’caractère. » Qu’est-ce qui vous distingue des musiciens à succès ? « J’aime guerroyer dans la langue, pas dans les cocktails, remballe attirail, victoires et médaille, c’est pas mon combat. Danser l’hypocrisie, faire le canard et péter un câble ? Désolé, mais j’rappe pas pour être sympa. » Qu’est-ce qui cloche dans le rap actuel ? « Y a plus de contre-culture, juste des comptes rendus des ventes (…). J’suis un des seuls à résister, le vice flippe de m’agripper. À moi tout seul, j’suis une équipe, car j’suis seul mais habité. » Le bon rap, alors, c’est quoi ? « J’aime quand la rime se reflète, s’appuie sur la caisse claire et l’effleure, laisse l’instru incruster les cœurs, faire groover les frères et les sœurs. J’aime le son qui fait peur, feutré, creusé, qu’on fait péter des heures. Désaccordé, c’est fait exprès, le groove est fait ­d’erreurs. » Amen. ♦ Gunz n’Rocé de Rocé Label : Hors Cadre/Dif fer-Ant Sor tie : disponible

A State of War

de Poni Hoax (Pan European Recording/Sony Music) Les fans de David Bowie ont de la chance : non seulement l’idole revient en grande forme, mais Poni Hoax offre à son œuvre de nouvelles résonances – celles d’un grand groupe parisien du XXIe siècle. Au-delà de ce détail, A State of War est un cadeau à tous les nostalgiques (vieux ou jeunes) de la pop populaire de qualité (des Doors à Depeche Mode), aux auditeurs désemparés par la musique postmoderne, avec ses mutations difformes et ses copies conformes. Poni Hoax est entré en guerre contre l’industrie pour restaurer l’époque des classiques. Merci les punks conservateurs. _M.P.

Le film de Peter Strickland – qui sort le 3 avril et narre l’effondrement psychologique d’un ingénieur du son – est le prétexte rêvé pour l’un des plus beaux groupes anglais des vingt dernières années de synthétiser ses obsessions, aurales et spectrales. Égarées dans le labyrinthe du temps et les influences de Krzysztof Komeda (compositeur de B.O. pour Polanski), d’Ennio Morricone et des expérimentations du BBC Radiophonic Workshop, trente-neuf petites gemmes sonores, entre électronique vintage, clavecin victorien et orgue gothique, nous font aussi regretter la chanteuse Trish Keenan, disparue en 2011. _W.P.

Adulte

de 69 (Lowmen Records/Modulor) La réédition des albums de Sloy est venue rappeler le caractère unique du groupe noise de Béziers, qui rivalisait crânement dans les années 1990 avec Pixies ou Shellac (Steve Albini ne s’y était pas trompé en les produisant). Espérons que cela permettra également à ses anciens membres Armand Gonzalez et Virginie Peitavi d’attirer l’attention sur leur duo 69, dont le deuxième album est une petite bombe de krautrock moderne. Avec l’âge Adulte, ils n’ont rien perdu de leurs qualités d’écriture ni de leur fantaisie oblique : rarement guitare baryton, synthétiseurs et chant étranglé auront produit ensemble d’aussi belles visions de friches. _M.P.

You’re Nothing

The Terror

On croyait avoir cerné Iceage avec New Brigade, premier album de ces gamins danois, sorti en 2011 : ivresse colérique et frustration blanche, doublées d’une maîtrise confondante des genres (post) punk et hardcore. You’re Nothing repousse les limites de ce programme : ce deuxième essai audacieux ne sert pas seulement de barbaque de luxe pour leurs concerts (réputés virils et cathartiques), mais porte les bleus à l’âme aussi fièrement que ceux des pogos. Mieux qu’un disciple de Crass ou de Black Flag, Iceage remanie la grammaire de la violence pour rendre à la jeunesse le goût du sang. _M.P.

Les Flaming Lips nous avaient habitués à un songwriting pop, psychédélique, joyeux, et les concerts, bardés de confettis et de ballons colorés, allaient avec. Rien ne nous prédisposait à cette « terreur » nouvelle, disque abrupt et noir monté sur boucles électroniques, nappes synthétiques et grésillements électriques, la voix haute de Wayne Coyne psalmodiant solitude et manque d’amour. Il n’empêche, sur cet horizon ambient et downtempo, les mélodies-ritournelles distillent leur venin, et une ivresse se répand, mélancolique, immanente, plate. C’est toute la beauté de cet album qui s’effraie de l’époque. _W.P.

d’Iceage (Matador/Naïve)

de The Flaming Lips (Bella Union/Cooperative Music)

In Film Sound

de Shannon Wright (Vicious Circle/Differ-Ant) En 2012, on a parlé du revival grunge, mais à part Cloud Nothings, rien d’entendu ne justifiait la fixette. Shannon Wright s’en moque, elle qui, depuis vingt ans, n’a jamais cessé de faire chialer son public, d’abord avec son groupe Crowsdell puis en solo, nue derrière un piano et une boîte à rythmes ou bien armée de tapageuses guitares saturées – c’est le cas sur In Film Sound. Elle semble même plus remontée que jamais, avec sa voix à la Patti Smith qui ne vieillit pas et sa sensibilité transie chevillée au corps. « No one can change you », répète-t-elle sur Bleed. Aucune mode idiote non plus. _M.P.

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Dans Les Grands Jours, PIERRE MARI reconstitue l’enfer d’une bataille en 1916. Un formidable roman sur l’expérience limite de la guerre. _Par Bernard Quiriny

Écrire aujourd’hui sur la guerre de 1914-18 a-t-il un sens ? Non pas que le sujet soit anachronique, bien sûr, mais nombre de témoins ont déjà raconté, à l’époque, les batailles et les pluies d’obus, d’Henri Barbusse (Le Feu) à Maurice Genevois (Ceux de 14), en passant par Roland Dorgelès (Les Croix de bois). Comment dire mieux qu’eux ce qu’ils ont vu ? Bien des romanciers contemporains relèvent malgré tout le défi, à l’image ces dernières années d’Alice Ferney, de Marc Dugain, de Jean Rouaud ou de Jean Echenoz. Pierre Mari, lui, se focalise sur un épisode précis : la bataille du bois des Caures,

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position cruciale au nord-est de Verdun attaquée en février 1916 par l’armée allemande et défendue pendant deux jours par les 56e et 59e bataillons. On trouve deux notabilités dans les rangs français : Émile Driant, gendre du général Boulanger et romancier connu sous le pseudo de Danrit, et Marc Stéphane, écrivain inclassable qui publiera un saisissant récit de cette expérience (Ma ­dernière relève au bois des Caures). Mais Mari évoque aussi les soldats anonymes en multipliant les points de vue pour restituer l’ambiance des tranchées et l’angoisse à l’approche de l’assaut. Sur ce plan, on peut le dire, Les Grands Jours tient du tour de force : grâce à des images très efficaces, au choix du vocabulaire, à l’élégance précise de la phrase, Mari atteint à une puissance d’évocation exceptionnelle et donne à sentir toute la fureur de la bataille. Surpuissante, l’attaque allemande se présente comme un véritable déluge de flammes, un Trommelfeuer (« tambour de feu ») dont on dit qu’il durera cent heures, d’où le mot de « centaure » que forgent les soldats français épouvantés… « C’est tout l’horizon qui s’emporte, écrit Mari. La terre tressaute comme si les coups lui étaient assénés des profondeurs autant que du dehors. Un bouquet d’arbres est lacéré par des hachures de flammes. » Par-delà ces scènes époustouflantes de conflit, le roman vaut aussi pour sa description des flottements du commandement et de la logistique (impossible d’obtenir des renforts, l’état-major étant convaincu que l’assaut aura lieu ailleurs…) et, surtout, pour l’évocation poignante du traumatisme que cette boucherie laissera aux soldats, à l’image du brave garçon sur qui Mari termine son récit. Ce jeune libraire, après douze semaines d’hôpital, se renferme sur lui-même et finit par se foutre en l’air, incapable de revivre, désenchanté à jamais par ce qu’il a vu. Intense, dramatique, ce somptueux roman captivera bien au-delà des ­passionnés d’histoire. ♦ Les Grands Jours de Pierre Mari Éditeur : Fayard Genre : roman Sor tie : disponible

LIVRES La sélection de la rédaction _Par B.Q.

La Conscience de l’ultime limite

de Carlos Calderón Fajardo (L’Arbre Vengeur) Deux pigistes flemmards décident d’inventer des faits divers dans un journal. Un mystérieux lecteur leur en suggère d’autres… Vrais ou faux ? Un étonnant jeu de miroirs péruvien, à mi-chemin entre polar menteur, réflexion sur la violence et conte noir.

Le Culte de la collision

de Christophe Carpentier (P.O.L)

Le Tueur hypocondriaque de Juan Jacinto Muñoz Rengel (Les Escales)

Un ado matricide erre à travers la France, simulant des amnésies pour que des familles prises de pitié l’accueillent. Ce road-novel clinique et analytique provoque une étonnante fascination et s’impose comme le meilleur des trois livres de son auteur.

Attention, bijou de polar philosophique : un tueur à gages perclus de maladies voudrait honorer un contrat mais en est empêché par ses symptômes, qui le font se comparer à d’autres grands malades, comme Kant ou Molière… Érudit, drôle et spirituel.

(« Que se serait-il passé si… ») et des paradoxes temporels telles que les affectionnent les amateurs de SF. Au-delà de son aspect spéculatif, ce roman d’aventures se lit surtout comme une évocation nostalgique des fifties américaines, un bon vieux temps où la vie semblait plus douce, moins chère, plus simple – seul hic, le racisme y régnait en maître. On regrettera juste que le tableau de l’Amérique post-JFK soit vite expédié et que la thèse du tireur isolé retenue par King le pousse à ignorer tous les enjeux narratifs

liés à la théorie du complot, d’où une deuxième partie un peu unilinéaire. Mais ces bémols restent très mineurs au regard de la réussite de ce gros roman qui reconstitue tout un monde et fait vibrer la corde de nos plus vieux fantasmes : manipuler le passé, changer le cours de l’histoire, récrire le réel. Ce qui, après tout, est le job des écrivains, non ? ♦

PASSÉ RECOMPOSÉ En associant le mythe de la mort de JFK au fantasme du voyage dans le temps, STEPHEN KING crée un cocktail imparable et fabuleusement addictif.

©Dick Dickinson Photography

BIBLIOTHÈQUE ©Hélène Polette

Le tambour du feu

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Grâce à des images très efficaces, à l’élégance précise de la phrase, Mari atteint à une puissance d’évocation exceptionnelle et donne à sentir toute la fureur de la bataille.

_Par Bernard Quiriny

La guerre du Viêtnam aurait-elle fait moins de victimes si John Fit zger ald Ken nedy n’était pas mort à Dallas en 1963 ? Telle est la conviction de Jake Epping, brave prof de lycée qui trouve un passage dans la réserve d’un restaurant pour remonter en 1958. Cinq ans durant, il va donc patienter dans le passé pour empêcher l’assassinat du Président ce fameux 22 novembre… 22/11/63, pavé de près de mille pages, fait une somme addictive de toutes les figures classiques de l’uchronie

22/11/6 3 de Stephen King Traduit de l’anglais (États-Unis) par Nadine Gassie Éditeur : Albin Michel Genre : roman Sor tie : 7 mars

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BDTHÈQUE

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BANDES DESSINÉES La sélection de la rédaction _Par S.B.

Culbutes de Sammy Harkham (Cornelius)

TOUT LE MONDE DESCEND

Depuis 1965, l’intrépide Philémon enchante les lecteurs. Son ultime périple va les effondrer : rien n’est plus désarmant qu’un voyageur paralysé à quelques encablures de sa destination. _Par Stéphane Beaujean

À tort et à travers, le ­qualificatif « poète » ponctue les compliments adressés aux artistes. Il suffit d’un motif romantique, d’un symbole dans la trame pour que le terme soit galvaudé. Ce n’est pas le cas ici. On peut sans crainte clamer haut et fort : « Fred est un poète. » Au sens premier. Un artiste qui empoigne la langue, la distord et la ciselle à son gré. Avec comme seul souci l’expression de son imaginaire vagabond. Qu’est ce que la poésie en bande dessinée ? C’est bien simple : la page y prend valeur d’autre lieu. Le blanc qui sépare les cases devient un pont, et le héros doit l’emprunter pour avancer. Les dessins se détachent du fond blanc et glissent en bas de la page. Le livre n’est plus un support mais donne corps à un autre monde, onirique, le pays des « lettres de l’océan Atlantique », parsemé d’antichambres, de passages souterrains et de chausse-trapes. Tous ces chemins ouverts 88

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qu’emprunte Philémon devraient, avec un peu de chance, conduire sur le premier « A » de l’océan Atlantique. Un paradis perdu, sur lequel l’oncle du héros rêve de retourner, en vain. C’est avec une grande tristesse que se lit cet ultime opus, conclusion de l’une des œuvres les plus extravagantes de la bande dessinée, entamée en 1965 et en friche depuis vingt-cinq ans. Une invitation à la beauté, habitée par le goût de l’ailleurs, l’amour du cirque et la peur de la routine. L’auteur, Fred, au corps trop fatigué, n’a pas pu conclure comme il le souhaitait. C’est donc sur une boucle, fabriquée par défaut, forcément habitée par la mort, que s’achève ce voyage. Beaucoup seront émus, d’autant que cet adieu fait doublement sens. Philémon y chevauche une locomotive nourrie à la « vapeur d’imaginaire », qui pourrait l’emporter enfin sur le fameux « A ». Cette locomotive du dernier voyage, les amateurs de Fred l’auront reconnue, fait écho à celle que sa grand-mère, fuyant la guerre en Grèce au début du siècle dernier, rata, trop occupée à boire des coups avec ses amis. Le train manqué explosa sur une mine, ne laissant aucun survivant. « C’est ainsi que ma grand-mère et ses dix enfants – parmi lesquels une petite fille de dix ans qui allait devenir une femme, puis ma mère – ont été sauvés par le hasard et la musique, le sens de la fête et de l’amitié », aime à rappeler Fred pour expliquer son œuvre. Ce train de la vie vient de muer en train de la mort. Mais les nuages de vapeur d’imaginaire, eux, persistent dans le ciel et indiquent une route vers l­’ailleurs. Assurément un ­passage secret. ♦ Philémon – Le Train où vont les choses… de Fred Édition : Dargaud Sor tie : disponible

Éditeur de génie, Sammy Harkham a également dessiné quelques rares nouvelles, dont la plupart sont compilées dans cette première anthologie. Notamment Poor Sailor, un petit bijou qui vaut à lui seul l’achat du livre, conte au dessin contemplatif, hanté par le regret d’un marin à la retraite qui repart à l’aventure en abandonnant une vie paisible et une compagne bienveillante. Le surgissement des souvenirs et le mutisme incessant bouleversent. L’oeuvre de Harkham, ce recueil en témoigne, n’est pas figée dans la forme, mais son dessin est constamment habité par une assourdissante mélancolie.

Superman anthologie Collectif (Urban Comics)

Tous les épisodes fondateurs du mythe de Superman ou presque sont compilés dans cette anthologie conçue pour appréhender les diverses évolutions et transformations du surhomme à la cape rouge, icône parmi les plus importantes de la culture populaire américaine du XXe siècle : la naissance dans les années 1930, en réaction à la crise économique ; l’enrichissement mythologique des années 1950, avec l’arrivée de parents adoptifs et d’un code moral ; la prise de conscience politique des seventies. Superman, messie d’une Amérique en mouvement, décrypté pile à temps pour la sortie de Man of Steel cet été.

Trouble Is My Business – Vol. 1 de Jirô Taniguchi et Natsuo Sekikawa (Kana)

Voici un Taniguchi de jeunesse, au dessin moins affirmé mais plus nerveux, avec Natsuo Sekikawa au scénario (Au temps de Botchan). Un recueil d’enquêtes hardboiled complètement sous l’influence de Chandler, et plus encore sous celle du Privé de Robert Altman : le héros, jusque dans sa coupe de cheveux désinvolte, évoque la géniale incarnation de Marlowe par Elliott Gould. Détective déconnecté d’un monde dans lequel il ne se reconnaît plus, Fukumachi erre, bon an mal an, de vols de tableau en enlèvements. Seul bémol, la dimension grotesque du personnage est parfois lourdement surlignée.

Goliath

de Tom Gauld (L’Association) Changez de perspective, et c’est tout un mythe qui s’effondre. Voilà le principe appliqué par Tom Gauld, petit génie de la bande dessinée indépendante londonienne, au trait minimaliste et bourré d’humour. Ici, le conte épouse le point de vue, non de David, mais de Goliath, présenté en pauvre soldat contraint par sa hiérarchie à s’opposer à l’armée d’Israël. Le découpage faussement simple, les cadrages habiles et décalés, la maîtrise des clairs-obscurs faits de petits traits et de tonalités ocres participent à distiller un sentiment de solitude et de fatalisme. Une relecture à hauteur d’homme, aussi astucieuse que poignante.

Mon ami Dahmer

de Derf Backderf (Cà Et Là) Même environnement, mêmes milieu scolaire et camarades de classe, même type de paternel scientifique et distant : Backderf et Dahmer avaient beaucoup en commun durant leur adolescence. Ils se connaissaient, s’appréciaient à leur manière. L’un est devenu dessinateur, l’autre l’un des pires tueurs en série du XXe siècle. Avec un dessin frontal, un trait épais, des silhouette longilignes et une mise en scène intelligente des chemins que chacun emprunte dans la vie, Backderf témoigne de cette scolarité malheureuse, de l’innocence et de la bêtise adolescente qui allaient accoucher d’un criminel.

Casanova – Histoire de ma fuite

de Giacomo Nanni (Olivius) Cette transposition de l’autobiographie de Casanova étonne par la puissance esthétique des enluminures de Giacomo Nanni. Un travail hallucinant tout en rehauts, trames, silhouettes et entrelacs de lignes géométriques. Une esthétique qui sculpte essentiellement des volumes, des espaces et des atmosphères lumineuses, accentuant le sentiment d’enfermement et d’obscurité. Ce récit d’un emprisonnement injuste, d’un isolement violent et d’une évasion qui fera la célébrité de son auteur s’en trouve magnifié, sans pour autant renoncer à la pudeur intrinsèque à l’écriture originelle de Casanova.

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©Crystal Dynamics Square Enix

LUDOTHÈQUE RUDE GIRL

Le retour de Lara Croft fait honneur aux attentes qui l’ont précédé, pour un épisode très spectaculaire et fondateur d’une nouvelle image de l’héroïne culte. _Par Yann François

On aurait tendance à l’oublier, mais cette chère Lara Croft a déjà 16 ans et onze jeux au compteur. Si elle reste une icône éternelle, même au-delà des frontières du jeu vidéo, inutile de se voiler la face : à force d’épisodes de moins en moins convaincants et de navets cinématographiques, sa gloire s’est gentiment vue remisée au placard durant les années 2000. La faute, sans doute, à un certain Uncharted, qui lui a piqué la vedette en révolutionnant le genre. Bien décidé à reprendre le flambeau, Tomb Raider semble avoir appris de ses erreurs passées en proposant un reboot dédié à la toute première expédition de Lara, chapitre aussi traumatique que déterminant dans sa vocation. Cette renaissance a suscité, avant même sa sortie, de nombreuses polémiques quant au traitement, apparemment sadique – sinon machiste – de son héroïne. Le jeu prend, il est vrai, le parti d’une radicalité sans concession. Suite au naufrage de son bateau au large du Japon, Lara et son équipage échouent sur une île inconnue des cartes, où se cachent autant de trésors historiques que de sombres forces

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surnaturelles. En proie à toutes les menaces, animales comme humaines, l’héroïne se verra non seulement malmenée de toutes parts, mais forcée d’embrasser les ténèbres pour survivre à la sauvagerie environnante. Comprendre : ce parcours du combattant devra se vivre comme un chemin de croix souvent extrême et d’une noirceur peu commune. Mais ce qui pourrait frôler le spectacle cruel ne bascule pourtant jamais dans la complaisance. Rude, éreintant, Tomb Raider l’est assurément pour son personnage et pour le joueur. Il faut pourtant reconnaître un talent romanesque à ses développeurs, qui n’abandonnent jamais leur empathie pour Lara et la rattrapent toujours in extremis avant le pire. D’autant que le jeu, en plus d’un scénario principal mené tambour battant sur une douzaine d’heures, laisse aussi libre cours à la flânerie et à l’excavation, particulièrement réussie, de tombeaux archéologiques. Contrainte au système D permanent, la jeune femme se forge l’âme d’une ingénieuse chasseresse aux trésors, lâchée dans un no man’s land immense qui devient peu à peu son aire de jeu attitrée. L’icône a beau éclore dans le sang, la boue, les larmes et le feu, sa soif d’aventure, elle, ne cède jamais devant l’épreuve. Cette quête d’ailleurs et de merveilleux naît sous les pires augures, mais c’est bien elle qui fait de Lara un personnage aussi mythique qu’il est ­terriblement humain. ♦ Tomb Raider (Square Enix) Genre : action/aventure Développeur : Cr ystal Dynamics Plateformes : PS3, X360, PC Sor tie : disponible

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jeux La sélection de la rédaction _Par Y.F.

Ni no Kuni – La Vengeance de la sorcière céleste (Namco Bandai/ Level-5, sur PS3)

Né de la coopération entre les studios Ghibli et Level-5 (Professeur Layton), Ni no Kuni a tout du rêve de fan qui se réalise enfin. En plus d’être un conte animé, il est surtout un remarquable jeu de rôle, bénéficiant d’une direction artistique renversante d’un côté, d’un gameplay intelligent et rythmé de l’autre. En bon RPG japonais, Ni no Kuni demande certes un investissement horaire soutenu. Aucune hésitation à avoir, tant cette odyssée fabuleuse se montre à la hauteur des plus grands films de Miyazaki, où l’imaginaire enfantin se mesure sans cesse aux blessures de la réalité.

Strike Suit Zero

(Born Ready Games, sur PC)

Le space opera est en voie de disparition. Strike Suit Zero ne fait pas que le raviver : il le croise avec l’univers des mecha géants de la japanimation de notre enfance. Un mariage entre X-Wing et Macross, voilà qui ne manque pas de saveur. Développé par un petit studio, le jeu n’envie rien aux autres blockbusters cosmiques : ses vues de l’espace sont splendides, et ses combats, véritables ballets, magnifient chaque voltige en arabesque colorée. Préférant le plaisir du pilotage arcade à celui de la simulation, Strike Suit Zero promet d’intenses mêlées épiques dans le grand vide.

DmC – Devil May Cry

(Capcom/Ninja Theory, sur PS3, X360 et PC) Le retour de Dante en ado next gen a beau faire râler les puristes de la première heure, ce reboot tient largement la dragée haute à ses prédecesseurs. Fini la tignasse blanche et le look gothique, place à la crête et l’insolence punk de son remplaçant. Sans chercher à révolutionner quoi que ce soit, DmC s’avère un beat’em all parfaitement équilibré. Jamais compétitif, jamais superficiel non plus, le jeu tient son grand écart entre deux philosophies du jeu de baston avec un sacré panache. On ajoutera à cela un sens du mauvais goût parfaitement assumé, réservant son lot d’envolées ubuesques.

Antichamber (Demruth, sur PC et Mac)

S’il emprunte la plupart de ses principes au génialissime Portal, Antichamber ne met pas longtemps avant d’imposer sa griffe. Prisonnier d’un labyrinthe à l’architecture psychédélique, le joueur progresse à travers des salles-énigmes de plus en plus complexes. Sauf qu’Antichamber est moins affaire de casse-tête que de perception. En jouant avec les réflexes lambda du cerveau devant une énigme, le soft se moque de toutes les réalités et de toutes les géométries. Manifeste surréaliste pour une nouvelle approche du jeu vidéo, il se déguste comme un songe de M. C. Escher revisité par un fondu de pixel art.

The Cave

(Sega/Double Fine Productions, sur PC, PS3-PSN, X360-XBLA et Wii U-NN) Sous ses airs de petite production indé, The Cave marque le grand retour de Ron Gilbert, le créateur de Maniac Mansion et de Monkey Island. Au programme : la descente spéléologique et périlleuse de trois personnages, éligibles parmi sept (le moine, la scientifique, les jumeaux…), dans une grotte aux mille dangers. Accompagnés par la voix caverneuse (et gentiment cynique) du maître des lieux, ils doivent résoudre des énigmes en mettant leurs forces et leurs atouts en commun. Très drôle, parfois retors, le jeu se parcourt élégamment comme un musée nostalgique à la gloire du grand Gilbert.

Little Inferno

(Tomorrow Corporation, sur PC, Mac et Wii U) Une cheminée pour cadre. Des objets à jeter dedans. Une simple pression de bouton pour faire naître une flamme et brûler les objets. Et c’est tout. Ceux qui se souviennent du brillant World of Goo ne s’étonneront pas de la nouvelle folie de ses créateurs, les passionnés de Tomorrow Corporation. On peut légitimement interroger la vacuité apparente d’un jeu qui se complaît dans la seule combustion. L’exercice n’a rien d’une arnaque, et voir son quotidien partir en fumée pour de faux s’avère même un geste libérateur, presque cathartique. L’une des pertes de temps les plus poétiques qui soit.

Soirée d’ouverture le 11 avril - Paris Jazz Club : 1 entrée = 3 clubs Paris : MK2 / Duc des Lombards / Baiser Salé / Sunside / Péniche L’improviste Programmation et réservation : MK2 .com et application iphone 92

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LE GUIDE

SORTIES EN VILLE CONCERTS EXPOS SPECTACLES RESTOS

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©Nathalie Ridard Ephelide

©Thierry Depagne

©Linder

rock indé-pop hybride / rétrospective-Photographie / THE ÂTRE / LE PL AT

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SORTIES EN SALLES CINÉMA DU MERCREDI 6 mars au mardi 2 avril

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©Warp Records

SORTIES EN VILLE CONCERTS

Jamie Lidell, le 15 mars à la Gaîté lyrique

L’AGENDA _Par W.P.

The Spinto Band + Duel

Après Shy Pursuit, paru à la mi-2012, The Spinto Band est déja de retour avec Cool Cocoon. Et l’on succombe toujours à sa power pop agrémentée de belles harmonies vocales, entre Weezer, Pavement et Beach Boys. Le 11 mars au Point éphémère, 20h, à par tir de 14, 20 €

Amatorski

©Carlie Armstrong

Les Belges Amatorski (« amateur » en polonais) déroulent un post-rock cinématographique, entre Portishead et Sigur Rós, hanté par la douce voix mélancolique d’Inne Eysermans. L’amateur, c’est « celui qui aime ».

LE FEU SACRÉ

Les années 1990, avec leur réseau de labels indé (Thrill Jockey, Matador, Drag City, Sub Pop…), de groupes et artistes (Dinosaur Jr., Sonic Youth, Beck, Pavement, Cat Power, Will Oldham, Smog…), de disquaires, de fanzines et de vente par correspondance, ont développé la notion de musique indépendante : une éthique (do it yourself, kill your idols) autant qu’une esthétique ( free electricity) qui en firent l’une des décennies les plus créatives du rock américain. Las, l’indie rock, qui se concevait comme scène, communauté et art de vivre libre de toute sujétion, semble être devenu dans les années 2000 art de se vendre (les utilisations publicitaires ayant remplacé les ventes d’albums), soumis aux 96

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Le Britannique Jamie Lidell, connu pour son éclectisme (de l’electronica au funk) revient avec Jamie Lidell (Warp), mariant sa chaude voix gorgée de soul à des arrangements électroniques ou R’n’B.

Reprends-moi fort L’asso Vert Pituite La Belle organise une journée sous le signe de la reprise, avec des invités de choix : Pascal Comelade, Rodolphe Burger, Fantazio, Stephen Harrison, Charles Berbérian, Arlt, Will Guthrie…

Yo La Tengo, le 18 mars au Bataclan, 19 h, 30,70 €, w w w.bataclan.fr Fade (Matador, disponible)

_Par Wilfried Paris

Jamie Lidell

Le 15 mars à la Gaî té lyrique, 20h, 23 €

Rock indé

Le trio du New Jersey YO LA TENGO entretient la flamme électrique et passe par Paris pour défendre son statut d’ultime bastion de l’indie rock des années 1990. L’un des plus beaux groupes américains à voir sur scène.

Le 13 mars à la Maroquinerie, 18h30, entrée libre

Le 17 mars aux Voûtes, 15h30, à par tir de 13 €

effets de mode (Pitchfork) et aux bijoux pour hipsters (iPod). Et Cat Power a dû annuler sa dernière tournée parce qu’elle était trop fauchée. C’est pourquoi il faut aller soutenir les vétérans Yo La Tengo : parce qu’après treize albums, ils sont peut-être les derniers à faire vivre cette belle idée qu’ont forgée les années 1990 d’un rock aussi abrasif que soucieux du détail, aussi primitif qu’intellectuel, aussi intransigeant qu’accessible, toujours en mouvement, toujours en question. Et aussi parce qu’Ira Kaplan est un des guitaristes les plus inspirés du monde, que Georgia Hubley n’aurait pas démérité à la batterie dans l’orchestre de Sun Ra et que James McNew est un bassiste aux doigts de fée. Leur dernier album, Fade, entre krautrock délicat, noise versatile et pop lancinante, est un des plus cohérents et aboutis de leur carrière. Certains l’ont entendu comme le chant du cygne d’un groupe vieillissant. Il nous semble au contraire porter la flamme vivace, quoique fragile, d’une ambition qui dépasse l’immédiateté de l’événement pour s’inscrire dans la durée. Ce feu, Yo La Tengo l’a. ♦

Les yeux fermés #2 L’agence Kongfuzi offre un plateau rétro-futuriste : l’electro-disco sépia d’Egyptology, la noise macabre de Lonely Walk, les synthétiseurs cinéphiles d’Umberto, le synth-punk anxiogène de Violence Conjugale. Le 19 mars à la Flèche d’or, 19h30, à par tir de 12 €

Gonzaï XIII Le webmag (et depuis peu revue papier) Gonzaï continue d’organiser de belles soirées, ici avec le duo électronicien Matmos, Fairhorns – le clavier fou de Beak> en solo – et les boucles de Jonathan Fitoussi. Le 22 mars à la Maroquinerie, 19 h30, à par tir de 10 €

Mmmmm + Shit Browne + Blind Digital Citizen Jolie triplette dance-rock : les Normands de Da Brasilians en mode « faire danser les filles » (Mmmmm), la bande du Motel qui revisite le son Madchester (Shit Browne) et les cosmiques Blind Digital Citizen. Le 22 mars au Point éphémère, 20h, à par tir de 13€


©Katja Ruge

SORTIES EN VILLE CONCERTS

The Bell Laboratory, le 17 mars à la Cigale

L’AGENDA _ Par E.Z.

Pantha Du Prince & The Bell Laboratory

Depuis Black Noise (2010), le sorcier de l’electronica s’épanouit dans les marges et livre ici un side project élégant : hymne-concept organisé autour d’une armée de carillons, Elements of Light entremêle house, jazz, musiques contemporaine et sacrée dans un live vespéral, hypnotique. Le 17 mars à la Cigale, 20h, 32 €

©Nathalie Ridard Ephelide

Little Freaky Things

DE HAUTE VOLÉE Pop h y bride

_Par Etaïnn Zwer

Mesparrow, c’est elle, Marion Gaume, moitié moineau (sparrow) moitié archer (arrow). Affranchie des Beaux-Arts, elle rayonne sur scène depuis six ans, armée d’un piano et d’une loop station (une pédale qui enregistre des boucles à la volée). Pépite underground, de Tours à Londres puis retour, elle a pris son temps avant d’affoler les foules en livrant l’EP ovni Next Bored Generation. Taillé dans le même bois, son premier opus est une construction subtile, aérienne où beats, boucles, claviers gigantesques et guitares discrètes déploient des symphonies vocales vertigineuses. L’héroïne de cet album épris de liberté (I Don’t Want 98

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Le 20 mars au Social Club, 23h, entrée libre

Yan Wagner

Coaché par Arnaud Rebotini, le prodige de la French electro cavale entre scènes prestigieuses et remixes inventifs (de Daho à Juveniles). Son secret : voix blanche, spleen électrique eighties et un premier album gavé de pépites « new new wave » à danser – Forty Eight Hours durant, au moins. Le 22 mars au Nouveau Casino, 19 h30, 19,80 €

Mesparrow, le 25 mars au Divan du monde, 19 h, 15 € – Festival Les Femmes s’en mêlent Keep This Moment Alive (East West, disponible)

Déjà repérée à l’automne dernier avec l’EP Next Bored Generation, la très douée MESPARROW vient défendre son premier album, hors piste, envoûtant, le bien nommé Keep This Moment Alive, lors d’une session organique et forcément incandescente.

Quand l’affolante Mai Lan et sa pop de feu rencontrent l’excité Donovans, ils font des petits élevés à la codéine. Les titres cosmico-funk de leur EP (Nightfall, What a Bad Day) et leurs remixes qui tabassent par Maelstrom, Borussia ou The Shoes donnent le tournis. Vite, release party.

Beach House

to Grow Up) et d’excès créatifs, c’est donc sa voix, grave et voilée, corps augmenté, instrument fou. Pour habiller ces treize hymnes hypnotiques fourbis en analogique, avec du « grain », Thomas Poli, guitariste de Dominique A – qu’elle chérit –, a tissé des ambiances délicatement ténébreuses, textures vibrantes inscrites dans la lave de l’instant. Proche de Camille ou de Christine And The Queens, Mesparrow ne choisit pas entre Barbara (Danse avec moi en duo avec Frànçois) et PJ Harvey. Soul glacée, gospel blême (On the Cliff ), cabaret, folk urbain – elle trace un paysage sensoriel à part où chasser l’organique, l’émouvant et le mystère. Autant de films vrais (Street Kid) et de tableaux imaginaires que l’artiste déroule avec un goût certain pour les références : L’Enfer d’Henri-Georges Clouzot hante le clip de Locked in My Thoughts, et l’artiste Pipilotti Rist celui de Next Bored Generation. Naturellement, son univers hybride et singulier a conquis le festival Les Femmes s’en mêlent pour une soirée où elle présentera, superbe, son nouveau live. Mesparrow plane haut et, sans ciller, vise le cœur : touché-bluffé. ♦

Envolé sur les pistes sinueuses de leur quatrième opus, l’envoûtant et encensé Bloom, le duo dream pop de Baltimore descend enfin du ciel pour distiller sa mélancolie verglacée dans un feu d’artifice en slow motion, magique. Du rêve à foison. Le 22 mars à la Cigale, 19 h30, 29,70 €

Disclosure Les frangins Lawrence décoiffent house et garage britanniques à coup de tubes (Latch), de remixes (Jessie Ware) et de featurings alléchants (AlunaGeorge sur White Noise). En pleine hype, ils défendront leur très prochain premier album, qui s’annonce taillé pour l’amour et le dancefloor. Le 26 mars au Nouveau Casino, 19 h30, 18,80 €

ME.011 Mercredi Production prend ses quartiers à la Villette avec un doublé gagnant : l’electro-house aventureuse des copines Jennifer Cardini et Chloé croisera la hippie dance (Time) des Pachanga Boys – Superpitcher et Rebolledo – pour un spring break planant. Le 6 avril au Cabaret sauvage, 22h, à par tir de 22 €


©Joachim Koester

SORTIES EN VILLE EXPOS

Joachim Koester au palais de Tokyo

L’AGENDA _Par A.-L.V.

« Ugo Rondinone – Pure Moonlight » Almine Rech inaugure son nouvel espace parisien avec « Pure Moonlight » de l’artiste suisse Ugo Rondinone. Une nouvelle série de peintures mandalas aux cercles concentriques flous, évoquant par leurs reflets bleutés et argentés autant de lunes à différents stades. Au sol, trente bougies en bronze et en plomb viennent renforcer l’idée d’un temps suspendu. Du 9 mars au 12 avril à la galerie Almine Rech, w w w.alminerech.com

©Linder

Julio Le Parc

Sans titre, 1976, photomontage original, collage sur page de magazine

GODE SAVE THE QUEEN R é tro spe c tive « Linder – Femme/Objet », jusqu’au 21 avril au musée d’Ar t moderne, w w w.mam.paris.fr

Le musée d’Art moderne présente un large ensemble d’œuvres de l’artiste britannique LINDER, passée maître en l’art du collage et du photomontage. Où comment travestir les images de la réalité pour mieux la dénoncer. _Par Anne-Lou Vicente

C’est un bien étrange comité d’accueil qui attend le visiteur de l’exposition sur Linder : placardée sur les murs du couloir de l’entrée, la même image s’étale et se décline en autant de visages noir et blanc d’un mannequin arborant une bouche rouge baiser surdimensionnée, plus ou moins déformée. L’image de la femme réside au cœur du travail de Linder, née Linda Mulvey à Liverpool en 1954, très tôt attirée par le mouvement de libération des femmes. Dès 1976, à l’issue d’études de graphisme, elle réalise collages et photomontages à partir de magazines féminins et masculins, dans une esthétique résolument do it yourself où appropriation et détournement constituent des modes opératoires 100

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subversifs. Impliquée dans la scène musicale punk, elle crée notamment les pochettes des disques des Buzzcocks et chante dans son propre groupe Ludus en 1978. L’exposition montre d’ailleurs la vidéo de leur fameux concert à la mythique Haçienda de Manchester, le 5 novembre 1982, durant lequel la chanteuse, végétarienne, apparaît vêtue d’une robe à base de têtes de poulet, de pattes et d’autres viscères, sous laquelle se cache un godemichet noir. Il faut dire que malgré un savoir-faire des plus précis – elle réalise ses premiers collages au scalpel sur une plaque en verre –, Linder n’est pas du genre à faire dans la broderie anglaise. Pour dénoncer haut et fort la condition de la femme et sa représentation au sein d’une société prônant avant tout la consommation, l’artiste fait en quelque sorte fusionner corps féminins et objets, ce qui donne naissance à des créatures aussi surprenantes que terrifiantes, têtes et membres étant remplacés par des appareils électroménagers. Quand ce ne sont pas des fleurs ou des gâteaux qui font office de visage ou de cache-sexe. Messages reçus. ♦

Ce solo show de Julio Le Parc fait écho à son exposition au palais de Tokyo. Figure historique influente pour les jeunes générations, membre fondateur du Groupe de recherche d’art visuel, l’Argentin est le précurseur de l’art cinétique et de l’art optique. Ses peintures, sculptures et installations nous immergent dans un univers de mouvement et de lumière. Jusqu’au 13 avril à la galerie Bugada & Cargnel, w w w.bugadacargnel.com

« Une exposition parlée » Commissaire invité de la nouvelle saison de la programmation Satellite, Mathieu Copeland présente le « premier mouvement » de sa « Suite pour exposition(s) et publication(s) ». « Une exposition parlée » questionne l’immatérialité de l’œuvre et de l’exposition, et leur disparition annoncée à travers la forme dite et/ou lue. Jusqu’au 12 mai au Jeu de paume, w w w.jeudepaume.org

« Paint it black » Scandée par un ensemble de partitions, l’exposition, qui emprunte son titre à une chanson des Rolling Stones, présente des récentes acquisitions du Frac réunies autour du noir et blanc. Un prétexte formel renvoyant à un mode d’abstraction du réel, une manière d’évoquer le caractère nécessairement sélectif du processus de mémoire. Du 14 mars au 12 mai au Plateau Frac Île-de-France, w w w.fracidf-leplateau.com

« Joachim Koester – Reptile brain or reptile body, it’s your animal » Mêlant art, science et contre-culture, le travail de l’artiste danois Joachim Koester tend à constituer une histoire fragmentaire et subjective du magique, des rituels initiatiques et des expériences hallucinatoires. Cette exposition présente deux nouveaux films ainsi qu’une annexe documentaire. Jusqu’au 20 mai au palais de Tok yo, w w w.palaisdetok yo.com


SORTIES EN VILLE EXPOS

©C. E. Crosby

LE CABINET DE CURIOSITÉS

Gisant (hommage à C. E. Crosby), 2012

Chambre funéraire

©Joel Meyerowitz Courtesy Howard Greenberg Gallery, NYC

On qualifie souvent le plasticien flamand Jan Fabre de trublion, d’enfant terrible. Il fait pourtant partie de ces artistes contemporains fidèles à la tradition, le regard tourné vers hier. Ce fut bien sûr le cas à la Biennale de Venise en 2011, où ses pietà renvoyaient directement au thème chrétien et à la mater dolorosa. Avec ses deux sculptures de gisants en marbre exposées à la galerie Templon, il renouvelle cette attirance pour les formes anciennes et sa délectation pour l’expression de la vanité. En témoignent également ses cerveaux grouillant d’insectes, dont le marbre n’enlève en rien l’aspect morbide. La vie est courte, et la fin proche. Mais qu’importe face à de si beaux memento mori. _L.C.-L. « Gisants », jusqu’au 20 avril à la galerie Daniel Templon, w w w.danieltemplon.com

L’ŒIL DE…

CELLULE DE DÉGRISEMENT Photographie « Joel Meyerowitz – Une rétrospective », jusqu’au 7 avril à la Maison européenne de la photographie, w w w.mep-fr.org

La rétrospective consacrée à l’Américain JOEL MEYEROWITZ est l’occasion de revivre un moment important dans l’histoire de la photographie moderne, qu’il parvient à cristalliser dans les années 1960 : le passage du noir et blanc à la couleur. _Par Léa Chauvel-Lévy

Avant de choisir de retranscrire le réel en couleur, Joel Meyerowitz hésita : fallait-il faire une infidélité au monde d’hier, à une époque où l’on trouvait encore la couleur grossière ? Comment tourner le dos aux nuances, au classicisme qu’offraient le noir et blanc ? Pour se lancer dans ce bain coloré, il fallut un voyage européen. Décisif, initiatique. À Malaga, en 1967, Meyerowitz shoote un cheval et sa carriole accidentée. Le soleil réchauffe les tons. Son œil entrevoit la possibilité d’un monde où la chair n’est plus grise. Mais combien de soubresauts faudra-t-il pour qu’il s’engage à fond dans cette démarche qui lui vaut 102

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aujourd’hui l’étiquette de maître de la couleur ? Son doute, si fécond, se ressent intimement dans l’exposition. L’exemple le plus parlant reste sans doute cette série de diptyques réalisée en Floride, où Meyerowitz saisit les mêmes scènes, à droite en noir et blanc, à gauche en couleur. Sur l’un d’entre eux, un homme tient un poisson devant le coffre de sa voiture. En noir et blanc, l’image frôle le ridicule – la banalité est parfois mauvaise cliente du monochrome soigné… –, alors qu’en couleur, le quotidien ordinaire est sublimé, un peu à la façon d’un Martin Parr. Plus tard, bien plus tard, c’est donc en couleur que Meyerowitz témoigne des attentats du 11 Septembre. À force de ténacité, après plusieurs jours, il finit par convaincre la police de le laisser accéder à la scène. Sur place, le photographe rend compte de la béance de Ground Zero, de cet inqualifiable cratère. Le parcours s’achève sur ce réel documenté, montrant la diversité du travail d’un homme qui excella également dans les portraits et les photographies de rue et qui commença sur un coup de tête. Un coup de génie. ♦

©Marc Bauer, Le Collectionneur ©Marc Domage

NYC, 1963

Vue de l’exposition

Marc Bauer, artiste plasticien « Je ne pensais pas parler de la spoliation des biens des Juifs par les nazis pendant l’Occupation… Mais j’ai trouvé des photographies qui relataient cette histoire et je m’y suis plongé. Cela m’a intéressé de dessiner ces intérieurs, ces salons… Ce qui me plaît dans l’esthétique de ces années noires ? J’aime bien les objets, les meubles et les vêtements de cette période. D’un côté, il y a le modernisme des années 1920-30, et de l’autre, l’aspect conventionnel de la décennie 1940. C’est un mélange assez riche. Cela permet aussi d’aborder en creux l’économie du vol, du meurtre ainsi que de l’appropriation. La spoliation des biens n’étant qu’un des effets de l’extrême violence du régime nazi. » _Propos recueillis par L.C.-L.

« Le Collectionneur », jusqu’au 14 avril au Centre culturel suisse, w w w.ccsparis.com


SORTIES EN VILLE SPECTACLES

©Olivier Charlot

Le spectacle vivant non identifié

Salon de dégustation

On entre dans Park comme on visiterait la chambre fantasmée de Lady Gaga ou une version postmoderne des films de Tati. Deux univers qui n’ont a priori pas grand-chose en commun mais qui trouvent une conjugaison absurde et délirante dans la tête de Claudia Triozzi. Cette performeuse italienne nous entraîne dans un appartement rempli de robots domestiques de son cru : un siège de coiffure aux allures de chaise électrique, avec un casque sèche-cheveux orné de saucisses de Strasbourg ; des chaussures avec steak haché incorporé à la semelle pour cuire la viande à même le sol pendant le coiffage… Bref, un délire total mais éloquent quand on sait l’artiste préoccupée par l’instrumentalisation du corps féminin. _È.B. ©Thierry Depagne

Park de Claudia Triozzi, le 28 mars au théâtre de Vanves – Festival Ar tdanthé w w w.theatre-vanves.fr

L’INVITÉ SURPRISE

LABICHE ET LA BÊTE Le Prix Mar tin d’Eugène Labiche, mise en scène de Peter Stein, du 22 mars au 5 mai à L’Odéon-théâtre de l’Europe, w w w.theatre-odeon.eu

Monstre sacré du théâtre européen, icône du Berlin d’avant la Chute, le corrosif PETER STEIN revient à Paris avec Le Prix Martin ­d’Eugène Labiche. Une rencontre explosive ? _Par Ève Beauvallet

Un humour désabusé sur fond de mélancolie intersidérale, un répertoire machiavélique courant du Faust de Goethe aux Démons de Dostoïevski, des années de lutte pour dépasser le poids de l’histoire… Peter Stein, 75 ans, légende vivante de la scène allemande, avait habitué aux couleurs sombres. Du noir noir. À la rigueur, du rire jaune. Lorsqu’on apprend que l’ex-boss de la Schaubühne de Berlin (institution théâtrale mythique qu’il dirige de 1970 à 1986) met en scène un Labiche, c’est donc un peu comme d’imaginer Tarkovski monter une comédie musicale. « Je suis un homme tragique et je mets en scène une comédie française », déclare d’ailleurs l’intéressé, amusé, au magazine La Terrasse. Et quelle comédie ! Le Prix Martin est une fantaisie domestique et adultérine, un vaudeville « de mouvement » qui 104

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aligne les tête-à-queue et les coq-à-l’âne avec la rapidité d’une prise de karaté. Sur scène, les deux vieux potes qui s’étripent autour du concept de fidélité ne sont pas si éloignés de Bouvard et Pécuchet, rappelle encore Peter Stein : « Flaubert était un grand admirateur de cette pièce, cela a totalement conforté mon choix ! » Avant de revenir à Paris à l’invitation de son ami Luc Bondy (directeur de l’Odéon), Peter Stein avait en fait déjà travaillé sur le vaudeville, avec une adaptation de La Cagnotte de Labiche par Botho Strauss. C’était il y a quarante ans. À l’époque, Stein jetait les rudiments de ce théâtre communautaire que la toute jeune « génération Europe » s’est mise à aduler. Un théâtre transfrontalier nourri au sein tonitruant de l’Italien Giorgio Strehler, mais aussi aux plateaux bruts et épurés de l’Anglais Peter Brook. Un théâtre physique focalisé sur l’acteur (Bruno Ganz, La Chute, est son compagnon de route), mené dans des scénographies immersives et des timings plutôt expérimentaux (23 heures de spectacle pour Faust en 2000). On est curieux de voir quelques uns de nos meilleurs comédiens – comme Laurent Stocker, de la Comédie Française – sous sa patte. ♦

©Brigitte Enguérand

T hé âtre

Céline Sallette chez James Joyce

Pour un comédien, jouer Molly Bloom (le soliloque féminin qui constitue le dernier chapitre de l’Ulysse de James Joyce), c’est un peu comme franchir le col de l’Everest. Un texte qui subjugue, tiré sans ponctuation, un flux ininterrompu et fragmentaire de pensées dont il faut retrouver soimême le souffle, le rythme… Et puis la langue de Joyce à dompter, avec ou sans points-virgules, ce n’est pas une mince affaire… Pas de quoi effrayer l’étonnante actrice Céline Sallette (remarquée récemment dans la série de Canal+ Les Revenants), une force de la nature nourrie au théâtre d’Ariane Mnouchkine comme à celui de son compagnon Laurent Laffargue, qui la dirige, pour l’occasion, sur scène. _È.B. Molly Bloom de James Joyce, mise en scène de Laurent Laf fargue, du 21 mars au 7 avril au théâtre de la Commune (Auber villiers) w w w.theatredelacommune.com


SORTIES EN VILLE RESTOS

©AD Vitam Distribution

la recette

Comment rater des coquillettes grâce à Sophie Letourneur Prenez trois copines dans un appart parisien et laissez-les se remémorer leurs souvenirs de vacances. Sophie Letourneur aux fourneaux (elle est réalisatrice et actrice), ses deux potes en mirlitons déchaînés. Pendant que les meufs retracent leur virée au festival de Locarno, l’eau des pâtes chauffe. Carole, Camille et Sophie sont d’accord pour dire qu’aux films, elles ont préféré les garçons. Sophie Letourneur reprend le même principe que pour Le Marin masqué et s’amuse du décalage entre la voix off des filles redevenues parisiennes et ce qui arriva réellement à Locarno. Pendant ce temps, les pâtes sont toutes molles et collent au fond de la marmite. Heureusement, il reste des cupcakes. _L.T.

©Bruno Verjus

Les Coquillettes de Sophie Letourneur Avec Sophie Letourneur, Camille Genaud… Ad Vitam // Sor tie le 20 mars

où deguster…

LA PREUVE PAR L’ŒUF Pour une génération de Parisiens toqués d’œufs durs, l’œuf, autrefois roi du zinc, retrouve depuis quelques mois du brillant et même ­parfois du clinquant. _Par Bruno Verjus (www.foodintelligence.blogspot.fr)

En mode mayonnaise, l’œuf trône toujours à la carte des bistrots. Comme au Paul Bert, l’un des plus emblématiques de la capitale, où, comble du chic, il s’enténèbre de truffes pour la saison d’hiver. Pour les tables les plus trendy ou étoilées, il se pare du patronyme de la ferme qui l’a pondu, à l’instar de l’œuf coque de la Bigottière – ferme située dans l’Orne – pour l’Arpège d’Alain Passard ou de celui de la ferme de Rambouillet pour le Sergent recruteur, sur l’île Saint-Louis. L’œuf s’offre « parfait » – entendez cuit à 63,5 °C pendant 1h30, selon les préceptes japonais de l’onsen tamago (œuf cuit à la source chaude) – dans les restaurants modernes et souvent imparfaits. L’œuf fait aussi l’objet de fermes spéculations financières : mayonnaise, encore, il pourra vous coûter moins d’un euro, quatre-vingt-dix cents exactement – le mets 106

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le moins onéreux du prestigieux restaurant le Voltaire –, ou bien jusqu’à dix fois plus cher si, comme celui du restaurant l’Évasion, il a été primé par l’Association pour la sauvegarde de l’œuf mayo. Selon Claude Lebey, fondateur, président et l’un des deux seuls membres de l’ASOM, l’œuf mayo idéal se compose de trois demiœufs « assez gros », avec une mayonnaise « très moutardée et qui nappe bien. » « On peut mettre de la salade. Je recommande de la sucrine, pour son croquant et son goût. Ou encore mieux, une macédoine de légumes fraîche – encore un plat qui a disparu des menus », conseillait encore en 2011 à l’AFP M. Lebey, critique gastronomique et auteur d’un Guide Lebey des restaurants de Paris et sa banlieue. Parmi tous ces œufs, il en est un qui flatte particulièrement mon palais : celui du chef Fernando de Tomaso, du restaurant la Pulperia. Déposé avec soin sur une assiette immaculée, il resplendit aux côtés de la viride palette du poireau grillé et de l’herbe de la SainteBarbe, aussi appelée cresson de terre. Mollet et ventru, il offre la texture d’une crème tiède et laisse entrapercevoir, sous le voile diaphane et aguichant du blanc, sa promesse d’or. ♦

©Klunderbie

L E plat

Le Sergent recruteur

… l’œuf

Le Sergent recruteur 41, rue Saint-Louis-en-l’Île – Paris IVe Tél. : 01 43 54 75 42 L’Arpège 84, rue de Varenne – Paris VIIe Tél. : 01 47 05 09 06 Le Voltaire 27, quai Voltaire – Paris VIIe Tél. : 01 42 61 17 49 L’Évasion 7, place Saint-Augustin – Paris VIIIe Tél. : 01 45 22 66 20 Le Bistrot Paul Bert 18 rue Paul-Bert – Paris XIe Tél. : 01 43 72 24 01 La Pulperia 11, rue Richard-Lenoir – Paris XIe Tél. : 01 40 09 03 70


et surtout…

SORTIES EN SALLES CINÉMA

06/03 Au bout du conte (lire p. 24) The Sessions (lire p. 38) Spring Breakers (lire p. 58) No (lire p. 110) À la merveille (lire p. 112)

L’AGENDA _Par C.G., Q.G., S.O., J.R., É.R. et L.T.

13/03 40 ans – Mode d’emploi (lire p. 40) Cloud Atlas (lire p. 46) Camille Claudel, 1915 (lire p. 54) Le Monde fantastique d’Oz (lire p. 68) Notre monde (lire p. 114) Le Mur invisible (lire p. 116) 20/03 Warm Bodies (lire p. 15) Queen of Montreuil (lire p. 16) La Dernière Licorne (lire p. 78) Les Coquillettes (lire p. 107) Djeca (lire p. 118) The Place Beyond the Pines (lire p. 120) 27/03 Guerrière (lire p. 28) Le Diable dans la peau (lire p. 33) Les Amants passagers (lire p. 34) L’Artiste et son modèle de Fernando Trueba

La Religieuse de Guillaume Nicloux

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20/03 Outreau, l’autre vérité

Vivan las Antipodas!

La Religieuse

Mystery

Une affaire de proxénétisme pédophile est découverte à Outreau, les accusés sont jugés coupables, incarcérés trois ans, puis acquittés. Produit par Bernard de La Villardière, ce docu revient sur l’affaire et donne la parole aux oubliés du procès : les enfants.

L’idée est séduisante : choisir huit endroits de la planète aux antipodes les uns des autres et les faire communiquer. L’Argentine avec la Chine, Hawaï et le Botswana… Un film parfois enfermé dans son concept, malgré la beauté des images recueillies.

Après Jacques Rivette, cette nouvelle adaptation du roman anticlérical de Diderot par Guillaume Nicloux (Le Poulpe) révèle la jeune Pauline Étienne en nonne suppliciée aux mains de perverses mères supérieures (Louise Bourgoin et Isabelle Huppert).

Présenté en ouverture d’Un certain regard à Cannes, Mystery marque le retour en Chine de Lou Ye après Love and Bruises, tourné à Paris. Le réalisateur s’attaque à une histoire d’adultère et de faux-semblants qui bifurque rapidement vers le polar tortueux.

20 ans d’écart

Hansel & Gretel – Witch Hunters

Sous le figuier

La Chute de la Maison Blanche

Alice Lantins a tout pour devenir rédactrice en chef. Un seul bémol, son image de femme coincée. Le jeune Balthazar pourrait bien tout changer. Le réalisateur de Ils (2006) délaisse les films d’horreur pour se livrer à un surprenant jeu de l’amour.

Les célèbres frère et sœur ont désormais soif de vengeance. Ils ignorent cependant que leur passé les rattrape, faisant planer sur eux la plus dangereuse des menaces. Après Abraham Lincoln, c’est le conte des frères Grimm qui a droit à un reboot électrique.

Nathalie, Christophe et Joëlle sont réunis au bord de la Moselle autour de Selma, 95 ans et gravement malade. Les trois amis se découvrent, à mesure que l’idée d’aider Selma à mourir germe. Un film léger mais qui fait preuve d’une grande maturité.

Scénario en béton armé pour acteur carré : l’ex-Spartiate Gerard Butler se retrouve au mauvais moment mais au bon endroit. La Maison Blanche est prise d’assaut alors que ce policier fait le tour du pâté de maison… Par le réalisateur de Training Day.

de Serge Garde Documentaire Zelig Films, France, 1h32

de David Moreau Avec Virginie Efira, Pierre Niney… EuropaCorp, France, 1h32

de Victor Kossakovski Documentaire Potemkine, Allemagne, 1h48

de Tommy Wirkola Avec Jeremy Renner, Gemma Ar ter ton… Paramount Pictures, États-Unis/Allemagne, 1h28

13/03

d’Anne-Marie Étienne Avec Gisèle Casadesus, Anne Consigny… Océan Films, France, 1h35

de Lou Ye Avec Hao Lei, Qin Hao… Wild Bunch, France/Chine, 1h38

d’Antoine Fuqua Avec Gerard Butler, Morgan Freeman… SND, États-Unis, durée N.C.

27/03 L’Artiste et son modèle

LE CHOC DES GÉNÉRATIONS

Jack le chasseur de géants

LA CITÉ ROSE

La relation ambiguë entre le sculpteur vieillissant Marc Cros et une jeune fille qui devient sa muse, sur fond de France occupée en 1943. Jean Rochefort y compose un rôle en forme de réflexion sur la création, rendu dans un noir et blanc lumineux.

Où l’on retrouve enfin la star de Mafia Blues dans une comédie familiale dont le prétexte est l’arrivée de grandsparents chargés de surveiller une marmaille surexcitée. Un amusant télescopage des interdits parentaux et des largesses de papy.

Cette actualisation du conte populaire anglais nous entraîne au royaume des géants, perdu dans le ciel depuis des siècles. Quand les monumentales créatures débarquent sur Terre, Jack (interprété par le rafraîchissant Nicholas Hoult) doit protéger ses pairs.

Le réalisateur prend le parti bienvenu de filmer la cité comme un lieu de vie et d’échanges lumineux, où se jouent les émois de Mitraillette, un gamin de 12 ans, et de ses potes. Mais les trafics de leurs aînés font peser une sombre menace sur le petit groupe…

Les Nuits avec Théodore

JAPPELOUP

Les Voisins de Dieu

THE LEBANESE ROCKET SOCIETY

Au cours d’une soirée parisienne, Théodore et Anna font connaissance. Ils finissent la nuit aux ButtesChaumont. Le parc devient rapidement le refuge de leur histoire d’amour, tandis qu’ils s’isolent du reste du monde et de la vie diurne.

Pierre Durand abandonne sa carrière d’avocat pour se consacrer au saut d’obstacles. Il mise tout sur un cheval en lequel personne n’a confiance : Jappeloup. Une vision intimiste d’une histoire vraie qui avait inspiré le roman Crin Noir de Karine Devilder.

Dans une petite ville d’Israël, trois amis très pratiquants font la loi dans le quartier. Ils se donnent notamment pour tâche de surveiller leurs voisins arabes. Les Voisins de Dieu, récit d’apprentissage musclé, interroge la montée des intégrismes.

Après le brillant Je veux voir en 2008, le duo de documentaristes prend pour prétexte un projet universitaire méconnu et avorté de conquête spatiale dans les années 1960 pour dresser le constat amer de la situation du Liban dans la géopolitique actuelle.

de Fernando Trueba Avec Jean Rochefor t, Claudia Cardinale… Bac Films, Espagne, 1h45

de Sébastien Betbeder Avec Pio Marmai, Agathe Bonitzer… Arizona Films, France, 1h07

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de Guillaume Nicloux Avec Pauline Étienne, Isabelle Hupper t… Le Pacte, France/Allemagne/Belgique, 1h54

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d’Andy Fickman Avec Billy Cr ystal, Bet te Midler… 20 th Centur y Fox, États-Unis, 1h40

de Christian Duguay Avec Guillaume Canet, Marina Hands… Pathé Distribution, France, 2h10

de Br yan Singer Avec Nicholas Hoult, Ewan McGregor… Warner Bros., États-Unis, 1h50

de Meni Yaesh Avec Roy Assaf, Gal Friedman… Sophie Dulac, France/Israël, 1h38

de Julien Abraham Avec A zize Diabate Abdoulaye, Idrissa Diabate… UGC, France, 1h37

de Joana Hadjithomas et Khalil Joreige Documentaire Urban Distribution, France/Lybie/Qatar, 1h40

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SORTIES EN SALLES CINÉMA

NO No pasará

Le Chilien PABLO LARRAÍN recrée et décrypte la campagne qui a précipité la chute de Pinochet : No est une passionnante réflexion sur le régime des images historiques. _Par Clémentine Gallot

Certain de son avenir radieux, Augusto Pinochet propose en 1988 un référendum qui décidera de son maintien au pouvoir : s’ensuivra une bataille médiatique télévisée sans précédent au Chili. En coulisses, le camp de ses adversaires s’organise. Les gauchistes de la campagne décident, au lieu de dénoncer frontalement le régime, d’embaucher un jeune publicitaire (Gael García Bernal) : celui-ci va organiser la diffusion de spots télévisés particulièrement primesautiers, où les citoyens sautillent et virevoltent en appelant

à voter « Non ». Le compromis stratégique que représente l’utilisation esthétique de ces images marketing fait date : le « No » appose ainsi sa propre mise en scène à celle imposée par la dictature de Pinochet. Le défunt régime pinochiste continue de hanter le cinéma chilien, notamment à travers la trilogie de Pablo Larraín, qui en fait l’exégèse depuis 2008, chroniquant la mémoire de la dictature dans Tony Manero et Santiago 73. Troisième volet abusivement décrit comme un « Mad Men chilien », No évite la reconstitution pour interroger le filtre de la mémoire : « Les images d’archives représentent un tiers du film », précise le cinéaste. « Pour montrer cet imaginaire, il fallait lui donner la texture des années 1980 : plutot que la haute définition, j’ai préféré créer une ­illusion. » ♦ De Pablo Larraín Avec : Gael García Bernal, Alfredo Castro… Distribution : Wild Bunch Durée : 1h57 Sor tie : 6 mars

3 questions à

Pablo Larraín Avez-vous rencontré les protagonistes du « Non » ? Nous avons fait de longues recherches, rencontré les producteurs de la campagne et condensé plusieurs personnages en un. Je ne voulais pas faire un film choral comme Short Cuts. Nous avons respecté la véracité des faits, mis en fiction selon notre interprétation subjective. Quelle est l’importance des images d’archives ? Elles ne peuvent être altérées, sinon on crée une distorsion. En revoyant ces images, je les ai trouvées très belles et émouvantes. Pinochet avait imposé un modèle économique au Chili et ainsi créé les conditions de son départ grâce aux outils marketing qu’il avait mis en place : à tel point qu’il était persuadé de gagner ! Quelle est votre mémoire de cette époque ? Je me souviens de peu de choses de cette campagne. Quand j’étais enfant, on a vu arriver ces spots qui étaient frais et optimistes à la télévision : ça a changé l’humeur du pays. Avant cela, dans mon souvenir, tout était gris.

3 raisons d’aller voir ce film 1… Parce que cet épisode de la vie politique chilienne, méconnu chez nous, a valu à Pablo Larraín une nomination aux Oscars dans la catégorie Meilleur Film étranger.

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2… Pour assister au retour de l’acteur mexicain Gael García Bernal, absent depuis le triomphe en 2004 de Carnets de voyage et qui campe ici un pubard aux dents longues.

3… Parce que Larraín a tenu à tourner l’intégralité du film avec une caméra datant de 1983 : « J’ai voulu que l’on ne puisse pas différencier les images d’époque du reste du film », dit-il.


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SORTIES EN SALLES CINÉMA

À LA MERVEILLE Éloge de l’amour

Deux ans à peine après The Tree of Life, l’Américain TERRENCE MALICK hisse une banale histoire de couple vers les hauteurs célestes de son cinéma, pour en faire une méditation évanescente sur l’amour. Forcément sublime. _Par Jérôme Momcilovic

Creusant plus loin encore, mais dans un cadre plus ténu, la logique formelle que The Tree of Life, Palme d’or à Cannes en 2011, avait déjà porté à incandescence, À la merveille ne décevra ni les amoureux du cinéma de Terrence Malick (qui vibreront à l’unisson de ses plans soulevés comme des feuilles par un élan constant d’extase), ni ses contempteurs (qui y verront la confirmation qu’il ferait un très bon

réalisateur de pubs pour parfum). Les seconds devront néanmoins, pour assumer leurs sarcasmes, fermer les yeux sur l’épuisante beauté du geste de Malick, qui n’est pas près de t­ rouver d’équivalents. L’intrigue d’À la merveille est d’une désarmante simplicité : un couple s’aime, puis se déchire, se sépare, s’aime encore. À leurs côtés se joue, discrète, une autre histoire : un prêtre doute, il lui semble que la substance de l’amour chrétien lui échappe. Une seconde ­histoire d’amour, donc, mais lue celle-là sous l’angle de la spiritualité – c’est-àdire du cinéma. Qu’est-ce qui, de l’invisible, nous touche ? C’est la question qui, sans relâche, motive le travail du cinéaste américain. Et fait se croiser, avec une étourdissante virtuosité, atmosphère éthérée (les réalisations de Malick ressemblent toujours plus à des rêves éveillés, bercés par le chuchotement de voix descendues du cosmos) et

sensualité constante (personne ne filme les mains, les caresses, les peaux comme lui). C’est en couturier qu’il aborde cet audacieux maillage, brodant les sublimes fragments dont sont faits ses films avec une science du montage qu’il est le seul à maîtriser et qui le rapproche de plus en plus de cet idéal de cinéma pur vers lequel toutes ses œuvres semblent tendues. ♦ De Terrence Malick Avec : Ben Af fleck, Olga Kur ylenko… Distribution : Metropolitan FilmExpor t Durée : 1h52 Sor tie : 6 mars

3 raisons d’aller voir ce film 1… Pour le travail toujours recommencé de Malick et du directeur de la photographie Emmanuel Lubezki sur la lumière, filmée comme une matière concrète et palpable.

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2… Pour la poétique du montage et des fragments inaugurée en 1978 avec Les Moissons du ciel et qui atteint ici un résultat sublime, presque expérimental.

3… Pour la manière de plus en plus radicale, de plus en plus belle, dont Malick traite les voix : ici, un long ruban de chuchotements off flottant autour du film.

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SORTIES EN SALLES CINÉMA

NOTRE MONDE Fond souverain

Là où l’on répète jusqu’à la nausée que le temps de ce monde s’accélère et va dans le mur, le nouveau documentaire, exigeant et ambitieux, de THOMAS LACOSTE se présente comme un coup d’arrêt qui a tous les atours d’un manifeste politique. L’invite est simple : s’arrêter, se placer dans une dynamique de réflexion commune et tenter d’estimer Notre monde. _Par Adrien Genoudet

Le fond est noir ; l’arrière-plan commun à chaque intervenant semble un moyen de mêler dans un même ensemble le fond de la pensée du film. Tout est une question de fond dans ce documentaire qui fait le

pari de laisser la seule parole remplir l’espace. Après deux heures de projection, le spectateur aura vu défiler une myriade d’intellectuels divers – philosophes, sociologues, économistes, magistrats, plus de trente-cinq en tout – assis, le regard et la voix posés, s’essayant à l’exercice périlleux du diagnostic actuel de la société. Si la forme joue de sa simplicité – entretiens courts ponctués de lectures ou de plans de coupe sur un public –, Notre monde renoue avec l’idée d’un cinéma p­ olitique. Intellectuel actif depuis plusieurs années, Thomas Lacoste y poursuit les entretiens esquissés dans Penser critique (2012). Si ce film s’affiche comme nécessaire, c’est bien parce que ses différentes voix s’y fondent comme une chorale intimant un sens – si ce n’est un but – à la perdition de certains repères fondamentaux de la société : interroger le contemporain par des tonalités plurielles, les confronter et les

additionner dans le but ­d’amorcer une « commune pensée ». « Faites de la politique », nous dit Lacoste comme pour nous alerter sur l’absence d’engagement dont font preuve les nouvelles générations. Rythmé par des extraits de Trois Femmes puissantes lus par son auteur Marie NDiaye, Notre monde trace les contours d’une croyance éclairée dans le politique et dans sa capacité, dès lors qu’il est mû par le fond, à initier un renouveau sociétal. ♦ De Thomas Lacoste Documentaire Distribution : Shellac Durée : 1h59 Sor tie : 13 mars

3 raisons d’aller voir ce film 1… Pour découvrir le « ciné-frontière » : Thomas Lacoste travaille depuis plusieurs années sur ce concept d’un cinéma permettant, par les entretiens et l’ouverture artistique, la réflexion.

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2… Pour apprécier la diversité, rare, des intervenants et de leurs avis complémentaires. L’ouverture philosophique prônée par Jean-Luc Nancy incarne à elle seule l’âme du film.

3… Parce qu’il interroge pleinement les enjeux contemporains à un moment où la société a besoin de se distancier des multiples changements qu’elle subit.


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LE MUR INVISIBLE Enfermée dehors

Dans Le Mur invisible, JULIAN ROMAN PÖLSLER filme une femme seule, coincée dans les Alpes autrichiennes. Toute vie s’est figée au-delà de ce périmètre à la fois vaste et délimité par un mur improbable, planté là sans explication. Sur ce postulat fantastique, le réalisateur parvient à construire une dramaturgie, alors qu’il n’y a plus d’histoire à raconter. _Par Quentin Grosset

Sur son journal de bord, elle note qu’elle caresse son chien, trait sa vache, se promène dans le paysage alpin d’où elle ne peut plus sortir et tente de subsister. Adaptation d’un roman de Marlen Haushofer paru

en 1968, Le Mur invisible propose une réinterprétation féminine du mythe de Robinson Crusoé, mais ce n’est paradoxalement pas à partir des codes du survival que ce premier film sur grand écran de Julian Roman Pölsler arrive à captiver. S’il filme une expérience limite, c’est sur les gestes quotidiens et banals de cette femme sans nom qu’il s’attarde le plus volontiers. Le personnage se met à écrire sur ces événements anecdotiques pour étendre un espace restreint, se récréer tant bien que mal une identité et redéfinir une sociabilité mise à mal par ses seules interactions avec les animaux. Ce mouvement d’écriture, rendu par la voix off, est le seul gardien d’une vie intérieure et le dernier rapport à une temporalité humaine. Il ne brasse pourtant rien d’autre que la tendresse de son chien Luchs ou ses appréhensions quant au manque de nourriture. Au fil des saisons, la femme change physiquement, ses gestes deviennent

plus rudes et plus habiles, mais jamais elle ne perd le fil de son texte. Le cinéaste en suit la progression dramatique, de l’espoir à la résignation, du sentiment d’enfermement à l’apaisement. Comme se laissant porter par cette sérénité finalement acquise, sa caméra se tourne vers la communion entre une femme en situation de résistance et une nature hostile et fascinante, jusqu’à ce que le papier vienne à manquer. ♦ De Julian Roman Pölsler Avec : Mar tina Gedeck, Wolfgang Maria Bauer… Distribution : Bodega Films Durée : 1h48 Sor tie : 13 mars

3 raisons d’aller voir ce film 1… Pour l’interprétation de Martina Gedeck qui, pratiquement seule à l’écran, compose un rôle subtil, à la fois très physique et tout en intériorité silencieuse.

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2… Pour la façon dont Julian Roman Pölsler filme la nature, en scope. Elle apparaît d’abord monumentale et inquiétante, puis finalement sereine et amicale.

3… Pour la représentation discrète et sans effets du mur invisible, possible symbole d’une dépression qui permettra à cette femme de se reconstruire.


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DJECA LA GUERRE ET L’APRÈS

Caméra au poing, la réalisatrice bosniaque AIDA BEGIC (Premières neiges, 2008) scrute avec rage les ruines de la société bosniaque dans Djeca – Enfants de Sarajevo. En tension permanente, sa jeune héroïne s’y dresse vaillamment. _Par Juliette Reitzer

De hauts murs bouchant les perspectives, une ville grise et sinistrée, figée dans un interminable aprèsguerre : lorsqu’Aida Begic filme Sarajevo, où elle est née et élève aujourd’hui sa fille, c’est d’abord pour faire le constat d’une débâcle. C’est, aussi, pour lancer un appel à la reconstruction. Orphelins de guerre, ses héros Rahima, 24 ans, et Nedim, 14 ans, vivent ensemble dans un modeste appartement. La

jeune femme travaille avec sérieux dans la cuisine d’un resto et lutte avec peine contre les insolences de son ado de frère, bientôt mêlé à une bagarre lourde de conséquences… La force du film va de pair avec celle de la frêle Rahima, dont le passé de punkette se dévoile par bribes à mesure qu’elle sillonne les rues de son quartier. Film urbain et aride, tourné en plan-séquence et caméra à l’épaule, Djeca vibre tout entier de l’urgence à aller de l’avant dans laquelle vivent ses personnages, hantés par une guerre dont la mémoire s’invite sans cesse – jusque sur la bande-son, qui pétarade de feux d’artifice et d’explosions en tout genre. Cette lutte intime ne s’apaisera que dans la symbolique réconciliation d’un frère et d’une sœur : là seul se niche l’espoir d’un avenir à construire. ♦ Djeca – Enfants de Sarajevo d’Aida Begic Avec : Marija Pikic, Ismir Gagula… Distribution : Pyramide Durée : 1h30 Sor tie : 20 mars

3 questions à

Aida Begic Comment est né ce film ? Il y a quelques années, on parlait beaucoup du « rêve bosniaque », l’idée qu’après les dégâts de la guerre on construirait quelque chose de nouveau. Mais aujourd’hui, les souvenirs ont remplacé les rêves, la Bosnie a renoncé au futur et à l’espoir. J’ai voulu réfléchir à la manière dont les jeunes, nés pendant la guerre, perçoivent ce monde. Rahima porte le voile pendant tout le film, à l’exception d’une scène… Je sais que tout le monde autour de moi a une opinion sur le fait que je porte le voile, et ce n’est pas toujours facile à vivre. Ce moment où Rahima enlève son foulard est très important : on la regarde comme une femme comme les autres. Comment le cinéma bosniaque se porte-t-il ? Entre zéro et trois films sont tournés chaque année. Le budget de notre fonds pour le cinéma est d’un million d’euros, ce qui n’est rien. Notre gouvernement est en crise, l’État est au bord de la faillite… Si on n’est pas soutenus plus sérieusement, je ne suis pas sûre qu’on parle de cinéma bosniaque ces cinq prochaines années.

3 raisons d’aller voir ce film 1… Parce que Djeca – Enfants de Sarajevo, présenté en sélection Un certain regard à Cannes en 2012, y a été distingué d’une mention spéciale du jury.

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2… Pour l’ambition politique de la réalisatrice : « Nous avons le devoir de nous demander quel genre de monde nous laisserons aux jeunes générations », nous confiait-elle.

3… Pour la formidable énergie que le film transmet, en dépit des tensions sociales, économiques et politiques que traverse la Bosnie d’aujourd’hui.


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THE PLACE BEYOND THE PINES Tailler la route

Dans l’honnête Blue Valentine, DEREK CIANFRANCE empilait en vrac les bribes de la vie d’un couple, de l’innocence jusqu’au sordide et inversement. Avec The Place Beyond the Pines, il livre une chronique familiale d’une ampleur tragique inattendue. _Par David Elbaz

L’Amérique est une terre ancestrale. Un sol agrégé d’histoires multiples en sous-couches, de défaites des uns enfouies sous les victoires des autres. C’est le motif que Derek Cianfrance explore dans The Place Beyond the Pines,

traduction de l’iroquois schenectady, le nom de la ville (située dans l’État de New York) où il installe ses personnages : Luke (Ryan Gosling), motard acrobatique dans une foire nomade bientôt reconverti dans le braquage de banques, et Avery (Bradley Cooper), jeune recrue idéaliste de la police locale. La route de l’Apache tatoué et celle du cow-boy propret se croisent dans un affrontement furtif et choquant. Un instant seulement, et une malédiction pour leurs descendances. Car telle est la surprenante ambition scénaristique de Cianfrance : rendre piégeur un récit que l’on croyait linéaire et balisé, utiliser le plot twist (changement brutal du fil de l’histoire) pour déplier un film triptyque, une micro-saga générationnelle. Sur les bancs de l’université du Colorado, Derek Cianfrance eut

pour maîtres des grands noms du cinéma expérimental tels que Phil Solomon et Stan Brakhage. Et derrière l’armature complexe de son scénario, on retrouve cette puissance d’évocation de l’image seule, exempte de tout objet. À plusieurs reprises, la caméra en grand-angle surplombe une route – longue saignée d’asphalte ouvrant une forêt de conifères – que ses ­personnages empruntent chacun leur tour, aux moments-clés de leurs histoires. Où les mène-t-elle ? Dans ce lieu mys­tique, au-delà des pins ? Si le cinéaste accidente la route de son récit, c’est pour mieux en imager une autre, plus métaphorique. Une route dégagée, où les légendes intimes se tracent. ♦ De Derek Cianfrance Avec : Ryan Gosling, Bradley Cooper… Distribution : StudioCanal Durée : 2h20 Sor tie : 20 mars

3 raisons d’aller voir ce film 1… Pour les virages surprenants pris par le scénario de Derek Cianfrance, qui emprunte au maître du suspense Alfred Hitchcock et à son Psychose.

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2… Pour le tandem d’acteurs Ryan Gosling-Bradley Cooper : frères ennemis, acteurs splendides aux antipodes, égaux dans la qualité de leurs performances.

3… Pour l’excellente bande originale, signée Mike Patton, ancien membre de Faith No More et de Mr. Bungle, groupe culte de rock expérimental des années 1980-90.


LES ÉVÉNEMENTS DES SALLES

L’AGENDA À partir du 6 mars

Cycle « Bill Murray s’affiche » MK2 HAUTEFEUILLE

À l’occasion des 20 ans d’Un jour sans fin et de la sortie en salles de Week-end royal, programmation dédiée à l’acteur américain Bill Murray avec S.O.S. fantômes, Lost in Translation, Coffee and Cigarettes, Broken Flowers, La Vie aquatique et Moonrise Kingdom. Projections les samedis et dimanches en matinée. Du 6 au 27 mars

MK2 Bout’chou et MK2 Junior

Projections pour les tout-petits, de 3 à 5 ans (10, 11, 12, Pougne le hérisson, En promenade, Le Criquet) et pour les un peu plus grands (Le Jour des corneilles, Le Jardinier qui voulait être roi, La Folle Escapade). Plus d’informations sur www.mk2.com/evenements.

cycle

Le 14 mars à 19h

SUPER CLASSE Après le succès de Studio philo, Olivier Pourriol poursuit l’entreprise de mêler cinéma et philosophie avec L’École des superhéros. Chaque jeudi au MK2 Bibliothèque, il invite les spectateurs à réfléchir avec lui, grâce à des films mettant en scène des superhéros. _ Par Claude Garcia

J

eudi, 18 heures. Depuis début janvier, Olivier Pourriol reçoit les spectateurs dans la salle 12 du MK2 Bibliothèque. La séance commence normalement, par la projection d’un film. Cette fois, il s’agit de Kick Ass de Matthew Vaughn. Pourtant, le film s’arrête rapidement, la lumière se rallume, Olivier Pourriol se lève de son siège pour présenter l’extrait diffusé. L’idée de ce normalien, agrégé de philosophie, est de faire dialoguer sa discipline avec le septième art, d’illustrer les concepts par des images animées. Après avoir pendant sept saisons animé Studio philo, Olivier Pourriol a décidé de s’intéresser cette année, avec L’École des superhéros, spécifiquement aux films de superhéros. Cette fois-ci, Kick Ass est l’occasion d’aborder le « sens de la famille » : pourquoi existe-elle dans la forme que nous lui connaissons, vers quoi tend cette institution ? Olivier Pourriol s’appuie sur les travaux d’Alain et sur son analyse d’Auguste Comte pour distinguer le rôle du père, qui

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transmet à l’enfant les contraintes sociales (« il faut ») et le rôle de la mère, qui est de veiller à la préservation de son enfant (« il faudrait »). Dans Kick Ass, les jeunes héros ont affaire à des familles dysfonctionnelles, dans lesquels l’élément maternel manque souvent. Ils se trouvent donc particulièrement exposés, et les combinaisons s’avèrent des protections pratiques contre la violence du monde extérieur. Olivier Pourriol projette ensuite des extraits de Chronicle et des Indestructibles qui, chacun dans des genres opposés, lui permettent d’approfondir la réflexion sur le rôle de la famille. L’alchimie entre philo et cinéma fonctionne à plein, et Olivier Pourriol rappelle aux spectateurs qu’« aller au cinéma c’est toujours essayer de tisser de nouveaux liens ». Comme avec une seconde famille. ♦ L’École des superhéros, chaque jeudi à 18h, jusqu’au 13 juin au MK 2 Bibliothèque Plus d’infos sur w w w.mk 2 .com

Soirée boxe, littérature et cinéma MK2 QUAI DE LOIRE

En partenariat avec les éditions Verticales et les éditions Fayard, projection à 20h30 de Boxing Gym de Frederick Wiseman, précédée d’une rencontre avec les auteurs Alban Lefranc (Le Ring invisible) et Frédéric Roux (Alias Ali). Du 17 au 19 mars

Le Printemps du cinéma TOUTES LES SALLES

Tarif unique de 3,50 € la séance pendant trois jours, sur tous les films, à tous les horaires et dans toutes les salles du réseau MK2. Le 18 mars à 18h

Séminaire philosophique de Charles Pépin MK2 HAUTEFEUILLE

Sujet : « Le plus grand risque n’est-il pas de trop vouloir prévenir les risques ? » Tarif normal : 15 € / Réduit : 9 € / Abonnement annuel sur demande : charlespepin@wanadoo.fr Le 19 mars à 14h

Cycle « Connaissance du monde » MK2 NATION

Projection de Népal-Mustang – Royaumes perdus de l’Himalaya d’Emmanuel et Sébastien Braquet (documentaire, 2012). Le 19 mars à 20h30

Avant-première de Free Angela MK2 QUAI DE SEINE

Soirée événement : le documentaire de Shola Lynch sera projeté en présence exceptionnelle d’Angela Davis. www.mk2.com 123


LES ÉVÉNEMENTS DES SALLES

L’AGENDA À partir du 20 mars

Cycle « Derrière chaque note » MK2 QUAI DE SEINE

En matinée, projections de Ziggy Stardust and The Spiders From Mars (1973), Noces (2011) et Traviata et nous (2012). Le 21 mars à 20h

Soirée Traviata et nous MK2 QUAI DE SEINE

Le film sera projeté en présence du réalisateur Philippe Béziat et du producteur Philippe Martin, en ouverture du cycle « Derrière chaque note ».

Concours

Du 21 au 31 mars

JAMAIS À COURT Un an après, voici le retour du retour des courts métrages soutenus par KissKissBankBank, MK2 et La Banque Postale. Un concours qui permet à tous les talents d’avoir l’opportunité d’être diffusés dans les salles des réseaux MK2 et CGR. _Par Claude Garcia

C’

est une actrice toute acquise à la cause du court métrage qui présidera le jury 2013. Julie Gayet a été membre du jury du Festival du court-métrage de Clermont-Ferrand et marraine de la première édition du Jour le plus court aux côtés de Michel Gondry. Les films retenus à la fin du mois d’avril seront diffusés dans les salles MK2 toute l’année 2013 et pendant un mois en province dans le réseau de salles CGR. Les projets et les films terminés sont à déposer avant le 26 mars sur la plateforme de financement participatif KissKissBankBank. Les films doivent avoir une durée maximale de sept minutes, leurs réalisateurs être titulaires de l’ensemble des droits d’auteur de l’œuvre. La Banque Postale décernera un prix Coup de cœur parmi les lauréats dont la dotation est un budget de représentation de 5 000 € pour défendre le film dans les festivals. L’ensemble des films candidats seront à retrouver sur les chaines YouTube et Dailymotion de KissKissBankBank et la chaîne YouTube de MK2. ♦ Pour déposer votre projet, rendez-vous sur w w w.kisskissbankbank.com

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Festival Cinéma du réel MK2 BEAUBOURG

Plus d’informations sur www.cinemadureel.org. Le 25 mars à 18h

Séminaire philosophique de Charles Pépin MK2 HAUTEFEUILLE Sujet : « Tout n’est-il que libido ? » Le 25 mars à 20h30

Rendez-vous des docs MK2 QUAI DE LOIRE

Soirée organisée en partenariat avec le festival Cinéma du réel 2013. Projections de La Clôture de Tariq Teguia (Algérie/France, 2002) et d’Atlantiques de Mati Diop (France/ Sénégal, 2009), en présence de ce dernier. Le 25 mars à 20h30

Avant-première de Ill Manors MK2 BIBLIOTHEQUE

En présence du réalisateur et rappeur Ben Drew Le 26 mars à 20h

Avant-première de Kinshasa Kids MK2 QUAI DE SEINE En présence du réalisateur Marc-Henri Wajnberg Le 29 mars à 19h

6 e Soirée de la petite édition MK2 QUAI DE LOIRE

Les éditions du Chemin De Fer, maison d’édition à cheval entre Paris et la Bourgogne. Rencontre à la librairie avec les éditeurs Renaud Buénerd et François Grosso, ainsi qu’avec certains de leurs auteurs et graphistes.

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LES ÉVÉNEMENTS DES SALLES

Court métrages

L’ÉCOLE DES FANS Pour sa troisième édition, le Festival du film Nikon avait pour thème « Je suis fan ». Le but : convaincre en réalisant une fiction de 140 secondes maximum. À la clef : deux prestigieux prix et une diffusion dans les salles MK2 pour le lauréat du Prix du jury. _Par Claude Garcia

L

ors de la dernière édition du Festival du court-métrage de Clermont Ferrand, on a pu découvrir les lauréats du concours organisé par Nikon. Après « Je suis un héros » et « Je suis l’avenir », la troisième édition, présidée par la comédienne Virginie Ledoyen, avait pour thème « Je suis fan ». Animation, montage de photos, tous les formats étaient les bienvenus, pourvu que le film n’excède pas 140 secondes. Défi relevé haut la main par le collectif de comédiens Clap, dont l’un des membres, Paul Lapierre, ancien élève du cours Florent, a décidé de passer derrière la caméra pour la première fois. Gagnant du Prix du jury, son film Je suis prête imagine une sorte de club de coaching pour fans désireux de s’améliorer. Au programme : comment faire de jolis cœurs avec les mains, sortir prestement son carnet à autographes ou encore crier bien fort le nom de son idole. Comme l’année dernière, où le gagnant avait imaginé la réunion d’un club de rieurs dans un monde qui interdisait 126

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le rire, le film a construit son histoire autour d’un groupe social fictif. Cette comédie enlevée, dont le rythme s’adapte parfaitement à la courte durée imposée, a séduit Virginie Ledoyen, qui note : « Ce film était le plus juste, à la fois dans son écriture et dans son rendu. Et le jeu des comédiens était parfait. » Le réalisateur a remporté 5 000 euros, un appareil photo Nikon et la diffusion de son film sur grand écran, dans les salles MK2. Quant au Prix du public, il a récompensé un hommage cinéphile, Je suis fan de grand écran, réalisé par Marcio Darocha. Ce réalisateur brésilien, qui réside en France et prépare actuellement son premier long métrage, dresse le portrait tendre d’un projectionniste dont la vocation s’est affirmée dès l’enfance. ♦ Je suis prête de Paul Lapierre, dif fusé jusqu’au 19 mars dans le réseau MK 2 Je suis fan de grand écran de Marcio Darocha, visible sur w w w.festivalnikon.fr

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la chronique de dupuy & berberian

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Le carnet de Charlie Poppins

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