TROISCOULEURS #198 - juin 2023

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VERTIGES DU COUPLE

Justine Triet remonte le fil de son éclatante Palme d’or

Anatomie d’une chute avec son coscénariste Arthur Harari

Journal cinéphile, défricheur et engagé, par > no 198 / Juin 2023 / GRATUIT

KAOUTHER

BEN HANIA

Les Filles d’Olfa interroge les rouages du patriarcat p. 4

PORTFOLIO EXCLUSIF

L’envers des décors d’Asteroid

City de Wes Anderson p. 48

RETOUR SUR CANNES 2023

Palmarès, portfolio, une journée avec la réalisatrice Iris Kaltenbäck… p. 28

IRA SACHS

« Franz Rogowski porte une masculinité qui m’attire » p. 44

UNE ŒUVRE IMMENSE EN VERSION RESTAURÉE Photo © Zentropa Entertainments27 Aps Melancholia (2011) [ ]12 JUILLET AU CINÉMA

EN BREF

P. 4 L’ENTRETIEN DU MOIS – KAOUTHER BEN HANIA POUR LES FILLES D’OLFA

P.

LES NOUVEAUX – MATHILDE CHAVANNE & CLÉMENT PÉROT

P.

HOMMAGE À JACQUES ROZIER EN 3 FILMS

CINÉMA

TROISCOULEURS

éditeur MK2 + — 55, rue Traversière, Paris XIIe — tél. 01 44 67 30 00 — gratuit directeur de la publication : elisha.karmitz@mk2. com | directrice de la rédaction : juliette.reitzer@ mk2.com | rédactrice en chef : time.zoppe@mk2. com | rédacteurs : lea.andre-sarreau@mk2.com, quentin.grosset@mk2.com, josephine.leroy@mk2. com | directrice artistique : Anna Parraguette | graphiste : Ines Ferhat | secrétaire de rédaction : Claire Breton | renfort correction : Marie-Aquilina

El Hachem | stagiaire : Chloé Blanckaert | ont collaboré à ce numéro : Margaux Baralon, Julien Bécourt, Lily Bloom, Tristan Brossat, Renan Cros, Marilou Duponchel, Julien Dupuy, Anaëlle Imbert, Corentin Lê, Damien Leblanc, Belinda Mathieu, Stéphane Méjanès, Wilfried Paris, Michaël Patin, Laura Pertuy, Perrine Quennesson, Bernard Quiriny, Cécile Rosevaigue, & Célestin et Anselmo | photographes : Ines Ferhat, Julien Liénard | illustratrice : Sun Bai | publicité | directrice commerciale : stephanie.laroque@mk2. com | che e de publicité cinéma et marques : manon.lefeuvre@mk2.com | responsable culture, médias et partenariats : alison.pouzergues@mk2. com | che e de projet culture et médias : claire. defrance@mk2.com

Photographie de couverture : Julien Liénard pour TROISCOULEURS

Imprimé en France par SIB imprimerie — 47, bd de la Liane — 62200 Boulogne-sur-Mer TROISCOULEURS est distribué dans le réseau ProPress Conseil ac@propress.fr

CULTURE

ÉDITO

Qui dit vrai ? La question irrigue toute l’œuvre de Justine Triet, de son premier court – pourtant sans paroles –, Sur place (2007), qui documentait les manifestations anti-CPE de 2006, à son éclatante Palme d’or, Anatomie d’une chute, qui met en scène une écrivaine accusée d’avoir assassiné son compagnon, en passant par les querelles survoltées d’un couple dans La Bataille de Solférino (2013) et par le procès d’une avocate sur le fil dans Victoria (2016). Seulement, la passionnante cinéaste utilise cette interrogation – fondamentale dans un procès – comme un MacGu n, un prétexte permettant de dérouler des dizaines d’autres questions, en réalité bien plus éloquentes. Voilà même tout le programme d’Anatomie d’une chute, qui part des accusations portées contre cette héroïne complexe (incarnée par l’impressionnante actrice allemande Sandra Hüller – le rôle a même été écrit pour elle) pour scruter en gros plan le sillage de cette chute. Désosser pièce par pièce, mot à mot, minute par minute, les dynamiques de pouvoir dans un couple en fin de vie. Explorer l’endroit même où la vérité semble insaisissable, voire inexistante. Le

malin jury cannois a choisi de couronner cette fresque d’une ambition folle, qui n’essaye pas de mettre de l’ordre dans le chaos, mais d’en saisir, à l’image du cinéma de Justine Triet, les (au moins) cinquante nuances. On a sauté de joie à l’annonce de cette Palme d’or – qui était précisément la nôtre – et en écoutant le discours nécessaire de Justine Triet sur la façon dont la révolte contre la réforme des retraites a été oblitérée, puis sa mise en garde concernant la menace pesant sur la précieuse exception culturelle française – celle qui lui permet justement de faire ses films, comme elle l’a dit. Avant de tomber des nues devant les réactions hallucinantes que le discours a suscitées (on y revient p. 32). Le film de Justine Triet sort le 23 août, mais il nous semblait vital de célébrer au plus vite ce chef-d’œuvre et cette cinéaste française d’exception – l’une des plus grandes parmi les vivantes – pour dépasser ce faux procès. Non pas faire triompher la vérité, mais l’œuvre elle-même, coécrite avec le cinéaste Arthur Harari, son complice et compagnon. Ils nous ont donné un vertigineux entretien croisé à Cannes, qui atteste de leur fort engagement féministe et éthique, et de leur fabuleux goût pour la complexité.

TIMÉ ZOPPÉ

Dans un entretien de Jeanne Balibar publié dans notre numéro de mai, nous avons écrit en ndlr au sujet des deux réalisateurs de Jeanne et le garçon formidable, Olivier Ducastel et Jacques Martineau : « Ils avaient été embauchés avec l’assentiment de Jeanne Balibar pour coécrire et réaliser le film. » Le producteur du film, Cyriac Auriol, a porté à notre attention le fait que cette formulation n’était pas exacte. Effectivement, nous aurions dû écrire que Jeanne Balibar avait présenté Jacques Martineau à Cyriac Auriol en vue de réfléchir à l’écriture d’un scénario, tel que c’est rapporté dans un article de Libération, paru en avril 1998, portant sur la genèse de Jeanne et le garçon formidable. Par ailleurs, à la suite de notre interview de Jeanne Balibar, les réalisateurs du film nous ont adressé un droit de réponse que nous publions en page 10. Ce très beau film ressort en salles le 14 juin, et nous lui consacrons un article sur la même page.

juin 2023 – no 198 03 Sommaire
P. 74 EXPO – ANOUK KRUITHOF P. 75 SON – THIS IS THE KIT P. 20 EN COUVERTURE – JUSTINE TRIET, PALME D’OR P. 28 RÉCAP – RETOUR DE CANNES P. 44 ENTRETIEN – IRA SACHS POUR PASSAGES P. 48 PORTFOLIO – DANS LES DÉCORS D’ASTEROID CITY DE WES ANDERSON P. 52 CINEMASCOPE : LES SORTIES DU 14 JUIN AU 12 JUILLET 14 18 P. 78 PAGE JEUX
© 2018 TROISCOULEURS — ISSN 1633-2083 / dépôt légal quatrième trimestre 2006 Toute reproduction, même partielle, de textes, photos et illustrations publiés par mk2 + est interdite sans l’accord de l’auteur et de l’éditeur
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ERRATUM

Elle vient de décrocher l’Œil d’or (Prix du meilleur documentaire) à Cannes avec cette histoire d’une mère célibataire de quatre filles, dont les deux aînées disparaissent. Avec Les Filles d’Olfa, Kaouther Ben Hania livre un documentaire hybride, aussi puissant qu’étonnant, dans lequel elle convoque des comédiennes pour jouer aux côtés des véritables protagonistes de l’affaire. Mélange de reconstitutions, de mises en abyme et de confessions face caméra, ce film signe l’apogée d’un travail que la réalisatrice tunisienne centre autour de la recherche formelle, sans jamais perdre de vue un propos politique.

L’histoire d’Olfa Hamrouni a fait le tour des médias tunisiens en 2016. Comment vous est venue l’idée de la porter à l’écran ?

J’ai tout de suite eu envie d’en faire un film. Je ne savais pas lequel, mais le personnage d’Olfa était fascinant, et je trouvais la thématique mère-fille intéressante. À ce moment-là, elle était presque lynchée, on la traitait de monstre, ses filles de démons. Il y avait chez elle une lassitude de ne pas être crue. Il a donc fallu lui expliquer ma démarche, lui dire que je voulais simplement faire connaissance, que je n’allais pas filmer avant de « trouver » le film. Cela a créé un début de relation de confiance. Avec Olfa et ses filles, on est devenues presque intimes.

Quand avez-vous enfin « trouvé le film » ?

Cela a pris cinq ans, entre 2016 et 2021. J’avais commencé à tourner un documentaire classique en 2017, mais je n’aimais pas ce que j’avais filmé, ce n’était pas à la hauteur de cette histoire. J’ai failli abandonner. J’ai tourné L’Homme qui a vendu sa peau [2021, ndlr], et j’ai repris ce projet pendant la pandémie. C’est mon producteur, Nadim Cheikhrouha, qui m’a parlé de reconstitution.

Dans le film, vous avez utilisé plusieurs procédés. Celui de la reconstitution e ectivement, mais aussi des images du tournage de cette reconstitution même, et des parties purement documentaires…

En réalité, je déteste les reconstitutions, je trouve ça cliché. Mais j’aime beaucoup détourner les clichés. J’ai décidé de montrer le

passé, qui n’existe plus et que je ne peux pas filmer, en amenant des comédiens. En revanche, ils n’allaient pas uniquement faire des reconstitutions. Je sais que les acteurs posent énormément de questions sur leurs personnages, ils aiment comprendre ce qu’ils vont jouer. J’ai voulu les sortir de leur zone de confort. Cette fois, ils ne vont pas comprendre en lisant un scénario ou la description théorique d’un personnage fictif, mais en se confrontant directement à la vie, à sa complexité, à une vraie personne. Avec tous ces éléments, j’avais trouvé ma forme. Et tout a décollé. Dans la foulée, on a trouvé les financements.

On pense parfois à Bertolt Brecht en regardant Les Filles d’Olfa. Pour lui, il fallait absolument rompre avec l’illusion, briser le quatrième mur pour susciter la réflexion du spectateur plus que l’identification. C’était aussi votre idée ? Absolument. D’ailleurs, en parlant de briser le quatrième mur, j’ai tout fait pour avoir des regards caméra dans le film. Quand Olfa se confie, on voit qu’elle regarde l’objectif. Pour l’obtenir, on avait installé un téléprompteur qui di usait mon image au niveau de l’objectif. Comme ça, elle pouvait avoir l’impression de me répondre directement alors qu’elle regardait en fait la caméra. Le quatrième mur, je voulais vraiment le fracasser.

La Belle et la Meute (2017) a été tourné avec beaucoup de plans-séquences. Dans

L’Homme qui a vendu sa peau, il y avait une volonté de représenter des corps comme des œuvres d’art. L’expérimentation formelle est-elle un moteur de votre travail ?

Je me pose toujours la question de savoir si je peux filmer autrement qu’avec un champ-contrechamp. La di érence entre la fiction et le documentaire, c’est que la fiction coûte beaucoup plus cher. Je ne peux pas me payer le luxe d’expérimenter en plateau, il faut que j’aie e ectué cette recherche formelle en amont. Pour un documentaire, je peux me permettre de chercher en filmant, de tout changer le jour du tournage. Et ce que j’apprends dans le documentaire, je l’utilise dans la fiction.

Quels documentaires vous ont inspirée ?

Close-Up d’Abbas Kiarostami a été décisif [sorti en 1991, le film, entre fiction et documentaire, met en scène l’histoire vraie d’un cinéphile se faisant passer pour le cinéaste Mohsen Makhmalbaf, puis relate son procès, ndlr]. Mais j’ai commencé moi-même avec des documentaires. Mon premier film de fiction, Le Challat de Tunis [2015, ndlr], était même un faux documentaire. C’est l’accumulation de toutes ces expériences qui m’a permis de faire Les Filles d’Olfa. Ça m’a donné une espèce de maturité pour me lancer dans un dispositif complexe, que je devais ensuite rendre fluide, presque organique.

Dans la mesure où vous laissiez les comédiens et la famille d’Olfa interagir ensemble,

no 198 – juin 2023 04 Cinéma > L’entretien du mois

y a-t-il eu des moments où votre documentaire vous a échappé ?

C’est arrivé plusieurs fois, alors que j’ai tendance à être control freak sur mes films. D’ailleurs, je fais du documentaire précisément pour m’obliger à arrêter de tout contrôler, pour me laisser surprendre et enrichir par le réel. Sur Les Filles d’Olfa, c’était jouissif, car je ne savais pas du tout à quoi m’attendre. Je devenais la première spectatrice de mon propre film. Lors du tournage d’une séquence, un comédien m’a demandé d’arrêter de filmer. C’était la confusion totale.

Cette scène intervient alors que le comédien, Majd Mastoura, est censé incarner le nouveau compagnon d’Olfa, donc le beau-père de ses filles. Lors de cette scène, celles-ci révèlent qu’il les a violentées sexuellement. Est-ce qu’il y a eu des moments di ciles sur le plateau ?

Oui. Beaucoup ne sont d’ailleurs pas dans le film. En général, c’étaient les acteurs qui avaient peur, bien plus que les vraies personnes, ce qui est curieux. Ils sont habitués à un système bien rodé : recevoir un scénario, apprendre des dialogues, faire des répétitions… Les codes sont très installés.

Là, ils ont dû se jeter dans le vide. Hend

ne voulait pas voir le montage final. Elle m’a dit : « Je sais que je suis horrible. Ce n’est pas la peine de me le montrer, je le sais. » Je l’ai encouragée à le regarder quand même, car mon ambition, c’était de montrer sa complexité. Et finalement elle a été très contente. Parce que je montre un amour passionnel et une violence démente, mais dont on explique l’origine.

La question des violences patriarcales traverse bon nombre de vos films. Qu’est-ce que Les Filles d’Olfa vous a permis de montrer de nouveau ?

Dans celui-ci, il s’agit d’une violence intrafamiliale transmise. Olfa a tellement intégré le patriarcat qu’elle reproduit tout ce qu’il y a de plus toxique sur ses filles en croyant les protéger. Le patriarcat n’est pas une histoire d’hommes. Beaucoup de femmes l’intègrent, comme Olfa, dans un mode de survie. Parce qu’elles pensent que c’est la seule manière de s’en sortir. C’est comme ça que cela devient très sournois. Ce n’est pas non plus une histoire tunisienne. La Tunisie est un contexte, riche, et que je connais bien, mais c’est universel.

Au visionnage, on a l’impression qu’Olfa et ses filles ont engagé des discussions

Avec Les Filles d’Olfa, vous parlez aussi de la montée de l’islamisme. Le cinéma est-il toujours politique ?

Oui, je pense, même si on prétend le contraire. Moi, c’est assumé. Le pouvoir, les rapports de domination, sont une matière très intéressante et une perspective par laquelle je vois le monde. Ce n’est pas de l’idéologie, mais je pense que tout est politique.

Les Filles d’Olfa est le premier film tunisien à être présenté en Compétition ocielle à Cannes depuis plus de cinquante ans. Comment se porte le cinéma en Tunisie ?

Après le « printemps arabe », l’e acement de la censure et ce sou e de liberté nous ont permis de raconter pas mal d’histoires malgré le manque de moyens. Il n’y a pas d’argent pour le cinéma en Tunisie, donc c’est dur, mais cela a permis l’émergence d’une cinématographie hyper intéressante.

LES ÉTÉS DU LOUVRE

Sabri, qui joue le rôle d’Olfa jeune, est une grande star dans les pays arabes. Elle n’a pas l’habitude de se montrer vulnérable, en train de faire son métier.

On la voit d’ailleurs réagir vivement lorsque Olfa admet avoir employé la violence avec ses filles. Cette mère est à la fois très aimante et très violente. Est-ce que la question de la réaction du public face à Olfa s’est posée à vous ?

Elle avait déjà été exposée aux réactions hostiles et tranchées en 2016, quand elle est passée dans les médias. D’ailleurs, elle

très intimes sur le plateau. Le film a-t-il joué le rôle de catharsis ?

Je pense qu’être sur un tournage a permis aux filles de s’ouvrir. C’était une prise de parole salvatrice pour elles. Ce que je trouve magnifique, c’est qu’elles résistent à leur héritage violent, à la vision patriarcale du monde. Elles ont grandi dans cette sphère violente, mais elles la rejettent. Pas de manière intellectuelle avec un discours féministe, mais de façon quasiment organique. C’est aussi ce qui m’a motivée à faire le film : leur résistance, leur fraîcheur, leur manière si spontanée de parler.

C’est aussi l’émergence d’une nouvelle génération, avec par exemple Erige Sehiri ou Youssef Chebbi qui ont chacun présenté un film à la Quinzaine des réalisateurs en 2022 (respectivement Sous les figues et Ashkal)… Notre point commun, c’est que nous sommes mus par une volonté très cinéphile. On ne veut pas parler pour parler, mais importer une nouvelle perspective, un nouveau regard. Nous ne sommes pas nombreux, donc on se donne des conseils. Quand je commence un projet, j’appelle les autres pour parler aussi bien de techniciens que d’acteurs. Il y a une forme de solidarité entre nous, et j’espère qu’à l’avenir nous serons plus nombreux à faire plus de films. C’est d’ailleurs valable pour toutes les voix sous-représentées du cinéma, pas seulement les tunisiennes, qui méritent d’être sous les feux des projecteurs.

juin 2023 – no 198
UN FESTIVAL À CIEL OUVERT 21 JUIN - 20 JUILLET 2023
Illustration © Thomas Hayman 05 L’entretien du mois < Cinéma
MUSIQUE - DANSE - THÉÂTRE CINÉMA - SPECTACLES EN FAMILLE Toute
la programmation sur louvre.fr
PROPOS
MARGAUX BARALON Les Filles d’Olfa de Kaouther Ben Hania, Jour2fête (1 h 50), sortie le 5 juillet Photographie Julien Liénard pour TROISCOULEURS
« Mon film montre un amour passionnel et une violence démente. »
RECUEILLIS PAR

LESYNDROMECHINOIS

OLIAT EN BREF

Voilà un cas à part. D’habitude, le scandale arrive avant le film et pas l’inverse. Dans le thriller de James Bridges de 1979, Jane Fonda, Michael Douglas et Jack Lemmon mettent au jour une catastrophe nucléaire imaginaire qui pollue les nappes phréatiques. Sauf que, douze jours après la sortie, à Three Mile Island, aux États-Unis, un événement similaire se produisait. La concomitance des deux eut un impact immense sur l’opinion publique du pays et alimenta les mouvements antinucléaires naissants. Croisons les doigts pour que Le Jour d’après ne devienne pas, lui aussi, réalité.

SEULE CONTRE TOUS

Le long métrage de Steven Soderbergh sorti en 2000 est devenu la référence du genre. Il met en scène une Julia Roberts épatante dans le rôle d’Erin Brockovich, une mère célibataire au chômage devenue figure du militantisme écolo. Son fait d’arme ? Avoir révélé un scandale d’eau polluée aux États-Unis. Vingt ans plus tard, sa verve, son attitude et ses looks hauts en couleur continuent de marquer les esprits : ils ont notamment inspiré l’héroïne de la série HPI. Haut potentiel intellectuel (incarnée par Audrey Fleurot), qui bat tous les records d’audience sur TF1.

Dans Les Algues vertes, Céline Sallette incarne Inès Léraud, une journaliste partie en Bretagne pour enquêter sur ces « laitues de mer », véritable fléau des côtes. Adaptation de la BD, elle-même tirée de l’enquête d’Inès Léraud, qui dénonçait la puissante agroindustrie bretonne, le film s’inscrit dans une lignée d’œuvres sur les combats environnementaux. Quand le septième art nous alerte sur l’état de notre planète.

ALERTE ERINBROCKOVICH.

Plusieurs années d’enquête ont été nécessaires au réalisateur et scénariste Frédéric Tellier pour boucler le scénario de Goliath, film de procès sorti en 2022 très fortement inspiré des « Monsanto Papers », une a aire de désinformation organisée autour du glyphosate révélée par Le Monde. Si la société et les personnages sont fictifs, le réalisateur parvient à dénoncer ces pratiques et surtout à créer les archétypes du cinéma environnemental, du lanceur d’alerte en sou rance à l’avocat dépassé mais engagé en passant par le col blanc aux pratiques redoutables.

DARK WATERS

Dans le film de Todd Haynes, Mark Ru alo incarne l’avocat Robert Bilott, qui a dénoncé les pratiques toxiques de l’entreprise chimique DuPont, responsable de la pollution de l’eau d’un coin de la Virginie-Occidentale. Âpre, le film explore aussi la part de sacrifice de celles et ceux qui décident de se battre pour en finir avec les aberrations écologiques. Et une chose est sûre, c’est que parfois ça paye : après la sortie du film, en novembre 2019, le cours de l’action de DuPont s’est écroulé en Bourse. Et toc !

Sorti en 2021, le film de Farid Bentoumi revient sur le scandale des boues rouges de l’usine de Gardanne, qui a déversé pendant cinquante ans une marée de bauxite diluée avec de la soude concentrée à chaud dans la Méditerranée. Si le vrai site ne rejette plus ces boues en mer depuis 2016, les dégâts sont toujours bien visibles. La force de Rouge ? Faire rimer écologie avec réalité sociale. Et, comme dans Les Algues vertes, Céline Sallette y jouait une journaliste lanceuse d’alerte. Tiens, tiens…

En bref no 198 – juin 2023
06 Infos graphiques
QUENNESSON
PERRINE
Les Algues vertes de Pierre Jolivet, Haut et Court (1 h 47), sortie le 12 juillet

Ça tourne

NOÉMIE MERLANT

Attention, immense attente. Après son premier (et réussi) long métrage Mi iubita, mon amour (2022), Noémie Merlant prépare Les Femmes au balcon, qu’elle a coécrit avec la géniale Céline Sciamma – leurs routes s’étaient déjà croisées sur le magnifique Portrait de la jeune fille en feu de Sciamma (2019), dans lequel jouait Noémie Merlant. Une comédie horrifique qui racontera l’histoire de trois femmes enfermées dans un appart en pleine canicule – a priori, on sera loin d’un film d’été léger à la Rohmer. Notre engouement est au maximum.

JESSICA PALUD

Autre deuxième long à guetter : celui de la Française Jessica Palud (Revenir, 2019), qui a embauché l’étonnant Matt Dillon, aussi à l’aise dans les comédies potaches à la Mary à tout prix (1998) des frères Farrelly que dans les fables sombres et dédaléennes à la The House That Jack Built (2018) de Lars von Trier. L’acteur américain incarnera Marlon Brando dans ce biopic consacré à Maria Schneider (Anamaria Vartolomei), qui avait subi une scène de viol (simulé) par l’acteur – en accord avec le réalisateur Bernardo Bertolucci, mais sans son consentement à elle –pendant le tournage du Dernier tango à Paris (1972). Son parcours cabossé avait été raconté en 2018 par sa nièce, la journaliste Vanessa Schneider, dans le livre Tu t’appelais Maria Schneider (2018), dont s’inspire le film.

JOACHIM TRIER

« Un film intime, émouvant et souvent drôle sur la famille, la mémoire et la nécessité de réécrire les histoires que nous nous racontons pour survivre. » Voilà comment les boîtes de prod Mer Film et Eye Eye Pictures du prochain film du cinéaste norvégien teasent le projet de ce dernier, d’après le site américain ScreenDaily. Au scénario, Trier et son inséparable buddy Eskil Vogt. Un duo d’écriture qui fait toujours des merveilles – en témoigne le très beau Julie (en 12 chapitres), un de nos grands coups de cœur à Cannes en 2021.

SEBASTIÁN LELIO

Gloria (2013), Une femme fantastique (qui avait remporté l’Oscar du meilleur film étranger en 2018), The Wonder (2022)… Le cinéaste chilien s’est construit une filmo centrée sur des personnages forts, qui tentent de s’extirper d’une société trop normative. Dans son prochain film, il racontera l’histoire folle de l’astronome américain et vulgarisateur scientifique Carl Sagan (Andrew Garfield), connu notamment pour avoir participé au lancement en 1977 de sondes interstellaires comportant des sons et des messages à destination d’éventuels extraterrestres, dans le cadre de l’ambitieux programme Voyager.

En bref juin 2023 – no 198 07
JOSÉPHINE LEROY

La sextape

PERDRE SA VIRGINITÉ AU CINÉMA

Devant l’électrisant How to Have Sex de Molly Manning Walker, au Festival de Cannes, j’ai été frappée par une épiphanie intime, comme si je voyais une fille perdre sa virginité au cinéma pour la première fois.

Pourtant, je repensais à tous les films que j’avais en mémoire : Kids (1995), Virgin Suicides (2000)… la liste est longue. Alors pourquoi avais-je ressenti cela ? Dans notre société, perdre sa virginité n’est pas un tabou ; au contraire, cela s’inscrit dans une to do list, comme dans le film de Maggie Carey (réalisatrice de The To Do List – The Sex List pour la version française). C’est un passage obligé pour devenir une femme, entre savoir marcher en talons et sauter en parachute. How to Have Sex ose poser d’autres questions (notamment :

La phrase

« est-ce que je le veux vraiment ? ») et s’autorise ainsi à interroger l’armageddon intime que ce passage à l’acte représente. Perdre sa virginité est proche d’un rituel initiatique. « Est-ce que j’ai changé ? » demande l’héroïne de The Diary of a Teenage Girl (Marielle Heller, 2015) juste après l’acte, comme si cela s’inscrivait sur le front par magie. Dans la vie d’une jeune fille banale, perdre sa virginité, c’est un instant un peu confus, étrangement vide malgré une fierté idiote qui masque une forme de déception, un sentiment de « tout ça pour ça ». Au cinéma, le dépucelage des garçons hétérosexuels est majoritairement traité sous la forme de la blague (American Pie de Paul et Chris Weitz, 1999, 40 ans, toujours puceau de Judd Apatow, 2015) ; quant à celui des jeunes filles, il su t de taper « la virginité des jeunes filles au cinéma » sur Google pour prendre la mesure du moulin à fantasmes qu’il représente pour les hommes ( Jeune et jolie de François Ozon, 2013, Sexe Intentions de Roger Kumble, 1999…). L’actrice de White Bird de Gregg Araki

(2014), Shailene Woodley, s’amusant d’avoir perdu sa virginité quatre fois au cinéma, avait répondu à un journaliste que les filles le faisaient pour les autres. Oui, la brisure de l’hymen – puisque c’est de cela qu’on parle – n’appartient pas aux jeunes filles, et, à sa manière, la réalisatrice de How to Have Sex (Prix Un certain regard à Cannes cette année) la leur rend. Comme Catherine Breillat l’avait fait avec 36 fillette (1988) avant elle. Sur le papier, l’histoire du film a un fort air de déjà-vu : une jeune femme décidée à perdre sa virginité avant la fac plonge tête la première dans les réjouissances d’un spring break avec ses copines délurées. Mais, dans ce décorum criard, Molly Manning Walker réussit à saisir le vertige existentiel de son héroïne et sonde avec un humour acide les doutes d’une génération grisée par l’euphorie collective.

À chaque jour ou presque, sa bonne action cinéphile. Grâce à nos conseils, enjolivez le quotidien de ces personnes qui font de votre vie un vrai film (à sketchs).

POURCETTECOUTURIÈRE

Depuis son arrivée dans votre quartier, cette grande introvertie, qui sirote dans son arrière-boutique des tasses d’Earl Grey, vous intrigue. Pour briser la glace, parlez-lui d’une de ses compatriotes, la cinéaste Joanna Hogg (le diptyque The Souvenir, ou plus récemment Eternal Daughter), dont l’œuvre sensible, pudique et fantomatique refait enfin surface, après des années d’invisibilité – le livre collectif Joanna Hogg. Regards intimes sur l’imaginaire la raconte avec brio.

La réalisatrice Justine Triet dans son discours de remerciement après avoir reçu la Palme d’or pour son film Anatomie d’une chute, lors de la cérémonie de clôture du Festival de Cannes, le 27 mai (lire notre dossier p. 32)

OURVOSVOISINS, qui vivent en trouple

ets’engueulen

Passages d’Ira Sachs (2023)

Malgré tout, vous les aimez bien. Pour dénouer les tensions, invitez vos charmants mais bruyants voisins à l’ouverture de la 12e édition du Champs-Élysées Film Festival, qui met en avant le meilleur du cinéma indépendant français et américain et invite cette année le cinéaste indé Ira Sachs (lire p. 44). Il y présente Passages, son dernier bijou, qui aborde les tribulations d’un triangle amoureux (Adèle Exarchopoulos, Franz Rogowski, Ben Whishaw). La thérapie idéale.

Joanna Hogg. Regards intimes sur l’imaginaire, sous la direction de Franck Garbarz et Frédéric Mercier (Condor | Carlotta, 208 p., 29,90 €) Plus d’informations sur champselyseesfilmfestival.com

POURVOTRE

TANT E, qui se

croitsorcière

Enfant, quand vous organisiez un goûter d’anniversaire, il arrivait qu’elle débarque chez vous avec sa longue chevelure brune hirsute, son maquillage noir et ses robes en velours, et qu’elle fasse peur à vos amis. Maintenant que l’eau a coulé sous les ponts, vous assumez son excentricité. Pour le prouver, o rez-lui Demonia (1990) de l’Italien Lucio Fulci, un slasher aussi kitsch que subversif (avec des nonnes adoratrices de Satan qui ressuscitent).

Demonia de Lucio Fulci, en Blu-ray (Carlotta, 15 €)

En bref no 198 – juin 2023 08 JOSÉPHINE LEROY À offrir
LILY BLOOM
AN GLAISE, on nepeutplusdiscrèt e
© Nikolopoulos Nikos © Paname
« La marchandisation de la culture que le gouvernement néolibéral défend est en train de casser l’exception culturelle française sans laquelle je ne serais pas là, devant vous. »

Petit écran SÉRIE

DES GENS BIEN

Cette comédie noire francobelge suit une enquête abracadabrantesque autour d’une fraude à l’assurance. Dotée d’un humour absurde ravageur et d’un délicieux casting, elle instille juste ce qu’il faut de réalité sociale au sein de son thriller burlesque.

Des gendarmes dévoués, des époux aimants, de bons chrétiens, des travailleurs honnêtes dont le seul objectif est de joindre les deux bouts… La série Des gens bien en est e ectivement remplie, de gens bien et sans histoires, laissés pour compte de la modernité qui vivent tranquillement à la frontière franco-belge. Mais cette sage existence est perturbée dès la scène d’ouverture par Tom Leroy, policier fébrile du Plat Pays, qui pousse une voiture dans un ravin avant d’y mettre le feu. D’un coup d’un seul, il embrase le véhicule et la femme qui se trouve dedans, avant d’appeler les secours. Cette femme, c’est la sienne, et il prétexte un accident. Le gendarme français dépêché sur place n’y voit pas matière à ouvrir une enquête. Jusqu’à ce que Philippe, son collègue, flaire l’entourloupe… À partir de là, c’est l’escalade. Seront impliqués, pêle-mêle, une ex-amante érotomane, un cousin repris de justice super flippant, un centre de bronzage, la cousine de la reine Mathilde de Belgique et une sœur évangélique radicalisée. La série trouve sa saveur dans le fait de plonger des personnages confondants de banalité dans une intrigue rocambolesque. Qu’on ne s’y trompe pas, la trivialité confine au sublime lorsqu’elle est façonnée par Stéphane Bergmans, Benjamin d’Aoust et Matthieu Donck, les trois créateurs belges de cette pépite. On pense beaucoup à Fargo des frères Coen, les forêts des Ardennes à la place de la neige. On ne pensait pas, en revanche, rire autant devant les tirades d’un commissaire belge mourant d’ennui (« Tu sais ce qui me ferait vraiment plaisir ? Un pédophile »). On connaissait, enfin, le potentiel comique d’India Hair ou de Dominique Pinon, et c’est un plaisir de les voir en user auprès de leurs excellents confrères belges Lucas Meister et Bérangère McNeese.

En bref juin 2023 – no 198 09
Sur Arte.tv jusqu’en octobre
MARGAUX BARALON

Flash-back

JEANNEETLEGARÇON FORMIDABLE

Devenue culte pour toute une génération, la déchirante comédie musicale d’Olivier Ducastel et Jacques Martineau ressort au cinéma, après son succès mitigé en 1998.

Le premier long métrage d’Olivier Ducastel et Jacques Martineau raconte l’histoire de Jeanne (Virginie Ledoyen), standardiste qui a un coup de foudre dans le métro pour Olivier (Mathieu Demy). Quand Olivier annonce à Jeanne qu’il est séropositif, celle-ci veut continuer, sans peur, à le fréquenter. « En tant que militant d’Act Up, ma préoccupation à l’époque était la crise du VIH-sida, qui n’était pas finie. Le film devait porter un regard joyeux sur ce sujet dramatique, en opposition à une grande partie de la production intellectuelle qui était plus morbide. Je voulais célébrer le droit de continuer à être libre sexuellement malgré le sida, puisqu’il su sait de se protéger et d’être vigilant. » Le choix de faire une comédie musicale s’imposa vite. « Jacques Demy était décédé en 1990 et son dernier film, Trois places pour le 26, était sorti en 1988. Il y avait comme un manque, et on désirait refaire de la comé-

Droit de réponse À JEANNE BALIBAR

die musicale en France. » Mathieu Demy, fils de Jacques, accepta de jouer dans le film, qui bénéficia de superbes chansons, d’une musique de Philippe Miller et d’une modernisation du genre avec de la salsa et du tango. Ancrée dans la réalité sociale des années 1990, cette histoire d’amour tragique bouleverse encore par sa manière de faire coexister euphorie sentimentale et désenchantement final. « La fin n’est pas consolatrice, car on évite de faire se croiser Jeanne et le militant d’Act Up François (Jacques Bonna é), alors qu’ils auraient pu se soutenir et faire leur deuil ensemble », confirme Olivier Ducastel. Un choix qui expliqua peut-être le succès mitigé. « Le film a fait un peu moins de 200 000 entrées, loin de ce que les distributeurs attendaient. » Jeanne et le garçon formidable va heureusement connaître une nouvelle vie avec une version restaurée 4K, qui redonne au film toute sa flamme originelle.

Dans le n° 197 de TROISCOULEURS, nous avons publié un entretien avec Jeanne Balibar dans lequel l’actrice évoquait la genèse de Jeanne et le garçon formidable, affirmant être à l’origine du projet et en avoir été injustement écartée. Les réalisateurs Olivier Ducastel et Jacques Martineau, que nous avons interviewés à l’occasion de la ressortie prochaine du film, nous ont confié ce droit de réponse.

« Nous comprenons, avec Olivier, que Jeanne Balibar soit déçue de n’avoir pas joué dans Jeanne et le garçon formidable, la comédie musicale que j’avais écrite pour elle, mais nous ne comprenons pas l’histoire qu’elle di use dans les médias. Si l’idée d’écrire une histoire d’amour sous forme de comédie musicale dont elle serait la vedette était bien la sienne,

il n’y a pas là matière à revendiquer un quelconque droit sur une œuvre. Le scénario est entièrement de ma main. Rien du récit, pas une ligne, pas une réplique, pas un vers de chanson, ne vient d’elle. Elle n’a pas non plus pris le temps de suivre l’écriture du scénario, accaparée qu’elle était par le début fulgurant de sa carrière d’actrice. C’est Cyriac Auriol [producteur du film, ndlr] qui m’a encouragé à écrire, moi qui avais surtout comme objectif de terminer ma thèse de doctorat. Je suis néanmoins reconnaissant envers Jeanne Balibar de m’avoir, presque par accident, révélé que j’avais du goût et peut-être même du talent, pour l’écriture. Pour le reste, il n’y a pas sujet à polémique : nous n’avons appris la grossesse de Jeanne Balibar que le jour où le médecin des assurances a refusé de la couvrir. Le film était en pleine préparation. Du jour au lendemain, les crédits bancaires ont été coupés et nos financiers se retiraient du projet. Il fallait la remplacer ou renoncer au film. Pauline Duhault et Cyriac Auriol ne pouvaient assumer des dettes qui auraient ruiné leur jeune société de production. Vingt-cinq ans plus tard, Jeanne et le garçon formidable connaît une nouvelle vie en salles, il est temps de rétablir la vérité. »

DAMIEN LEBLANC

Illustration : Sun Bai pour TROISCOULEURS

En bref 10 no 198 – juin 2023
JACQUES MARTINEAU, AVEC OLIVIER DUCASTEL Jeanne et le garçon formidable d’Olivier Ducastel et Jacques Martineau, Malavida (1 h 34), ressortie le 14 juin

ÉCRIT PAR MAURICIO ZACHARIAS & IRA SACHS

Photo: © 2023 Guy Ferrandis SBS Productions • © 2023 SBS Productions • Création: Benjamin Seznec TROÏKA SAÏD BEN SAÏD ET MICHEL MERKT PRÉSENTENT
WHISHAW
LE 28 JUIN AU CINÉMA
BEN
FRANZ ROGOWSKI ADÈLE EXARCHOPOULOS ET RÉALISÉ PAR IRA SACHS

Scène culte

LE SAMOURAÏ

DE JEAN-PIERRE MELVILLE (1967)

Jef Costello (Alain Delon), tueur à gages solitaire, élimine le patron d’une boîte de jazz. La nuit même, il est arrêté comme suspect. Malgré son alibi et le silence des témoins, le commissaire (François Périer), persuadé de sa culpabilité, organise sa filature. Retour en salles, en version restaurée, du Samouraï, dont la rigueur et la froideur horlogères ne cessent de fasciner.

LA SCÈNE

L’appartement de Jef Costello a été mis sur écoute par la police. Lorsqu’il rentre chez lui, il accroche son chapeau et son manteau à une patère, inspecte sa manche de chemise tachée de sang (la marque d’une blessure causée par ses employeurs), puis décroche le combiné du téléphone. Une intuition soudaine le fait se raviser: l’oiseau qu’il garde en cage efectue des bonds autour de sa mangeoire. Méthodiquement, Jef inspecte les lieux et fnit par repérer le micro placé en hauteur sous le rideau d’une fenêtre. Il le décroche et ressort sans un bruit.

En bref 12 no 198 – juin 2023

LES HERBES SÈCHES

L’ANALYSE DE SCÈNE

Un trench-coat, un Borsalino, des yeux bleu acier : l’image que s’est composée le Samouraï est un masque impénétrable. Pour entrevoir l’âme de celui-ci, Jean-Pierre Melville nous invite à visiter, littéralement, son intérieur : l’appartement où il trouve refuge entre deux meurtres est un gourbi sinistre et délabré, dans lequel la seule trace de vie est un bouvier en cage. Cet oiseau prisonnier ne figure pourtant pas, comme on pouvait l’espérer, le symbole d’une humanité pas tout à fait éteinte. On le comprend dans cette scène sans paroles (comme tant d’autres) dans laquelle la musique de François de Roubaix, nimbant d’abord le rituel minutieux de Jef Costello, s’arrête brusquement lorsque celui-ci flaire le danger. Ne reste que le pépiement monocorde du bouvier qui e ectue un ballet nerveux et répétitif, indéchi rable pour les non-initiés (nous autres spectateurs). Ainsi, le samouraï n’a pas choisi un animal de compagnie, il a dressé une alarme. C’est l’une des idées les plus radicales du film, qui transforme l’image même du vivant en objet paranoïaque. Un oiseau-postiche aussi utile qu’un trench-coat, un Borsalino ou un flingue.

En bref 13 juin 2023 – no 198
PREMIÈRE
DENIZ CELILOĞLU MERVE DIZDAR MUSAB EKICI
Le nouveau chef-d’œuvre de Ceylan. 
LE 12 JUILLET AU CINÉMA
PHOTOS ©NURI BILGE CEYLAN MICHAËL PATIN Le Samouraï de Jean-Pierre Melville, Les Films du Camélia (1 h 45), ressortie le 28 juin

LES NOUVEAUX

CLÉMENT MATHILDE

Avec le doux et en-chanté Pleure pas Gabriel (court métrage présenté à la Semaine de la critique à Cannes), la réalisatrice suit la virée d’un jeune prof dépressif (Dimitri Doré) le temps d’une nuit et d’une rencontre salvatrice.

Mathilde Chavanne a tenu à témoigner d’un contexte politique hostile lors de la présentation de son court Pleure pas Gabriel à la Semaine de la critique en entonnant « On est là ! », ce chant populaire de lutte pour les travailleurs et contre le patriarcat. « On est là », c’est bien ce que disent ses films, qui ont l’e et d’une présence alliée, réconfortante et émancipatrice. La cinéaste approche les sentiments de tristesse et de solitude avec sincérité, drôlerie, profondeur. Elle pointe aussi ce qui dans la société les exacerbe. Dans Pleure pas Gabriel, le jeune prof joué par Dimitri Doré dit que sa dépression n’a pas qu’à voir avec un chagrin d’amour, elle est « à propos de tout ». Dans ses courts Amour(s) (2019), Noée dans la tempête (2019) ou Simone est partie (2021), Mathilde Cha-

vanne fait des images avec ce « tout » vertigineux, elle lui donne une forme pop et nocturne – « Ce sont comme des moments de moi dessinés au feutre fluo. » Elle dit s’identifier à la phrase d’Édouard Levé dans son livre Autoportrait (2005) : « Comme je suis drôle, on me croit heureux. » Ce souci d’ambiguïté infuse ses films, même si leur émotion est directe, parvient droit au cœur. Et si elle est attachée aux gens qui doutent, elle défend aussi la nécessité de s’a rmer : « On éduque les filles à se poser beaucoup de questions, à répondre à celles des garçons. Des fois, les certitudes, ça évite aussi de tomber dans des boucles. » Dans Amour(s), elle conjure sa peine amoureuse en sondant l’imaginaire d’enfants sur l’amour. Des situations d’intimité d’adultes rejouées par eux, dans leur candeur, nous interrogent sur ce à quoi on aspire, nous, à travers nos entremêlements amoureux. « Il ne faut pas trouver trop de réponses, sinon on arrête de faire des films. Le long métrage que j’écris, À la recherche du miraculeux, parle de ça. Il dira très au premier degré que l’espoir fait vivre. »

À la Quinzaine des cinéastes, on a été emportés par le court Dans la tête un orage de ce jeune cinéaste prometteur. Il capture l’été de jeunes vivant dans une banlieue proche de Calais, qu’il observe avec beaucoup d’amour, mais sans naïveté.

La première fois qu’il a vu cet endroit – un quartier HLM composé d’immeubles insalubres, en périphérie de Calais –, c’était comme une (ré)apparition. Ça lui a tout de suite rappelé des espaces abandonnés similaires où ont vécu ses aînés, près de Rouen. Né au Mans, passé par des petites villes de l’Ouest, avant une installation à Tours, Clément Pérot a vite ressenti le besoin de partir. Il s’est inscrit en prépa de lettres et cinéma à Paris, puis en école de cinéma à Toulouse. Mais il s’y est senti à l’étroit, peu compris dans son désir de décloisonner les frontières entre le docu et la fiction. Retour à Paris, avec une double inscription aux Arts décoratifs et aux Beaux-Arts, dont il est sorti diplômé l’année dernière. Son premier choc esthétique au cinéma ? Hiroshima mon amour d’Alain Resnais. Ses

En bref 14 no 198 – juin 2023
QUENTIN GROSSET
2
Photographie : Julien Liénard pour TROISCOULEURS

PÉROT

maîtres en photo ? L’Américain Walker Evans, ponte de la photo vernaculaire, et la Française Valérie Jouve, influence essentielle pour Dans la tête un orage. Un film estival aussi dépouillé que beau, sur une jeunesse qui s’ennuie, s’insulte, pêche, roule à vélo, se pose dans des champs de blé pour discuter de tout et de rien. Les images sont fixes, les sons aménagés de façon particulière – on est loin des films sociaux misérabilistes. Clément Pérot pose sur eux un regard doux, sans les remodeler selon son (ou nos) fantasme(s). Son allure discrète – il porte une chemisette bleu clair rayée et un jean – contraste avec une présence forte, un regard passionné et habité. Il planche en ce moment sur l’écriture d’un long métrage de fiction, qui suivra des dockers du port du Havre – avec, on le devine, ce désir de redorer le vestige ouvrier. Beau paradoxe pour un cinéaste en pleine éclosion.

Dans la tête un orage de Clément Pérot, (24 min), le 18 juin au Forum des images

En bref 15 juin 2023 – no 198
JOSÉPHINE LEROY Photographie : Julien Liénard pour TROISCOULEURS

Tout doux liste

ÉLÉMENTAIRE [FILM]

Dans ce conte initiatique aux allures de Juliette, les différents éléments cohabitent en paix à Element City. Imaginée par le studio Pixar ( ViceVersa), cette fable animée en 3D o re plusieurs niveaux de lecture pour s’adresser aux petits comme aux grands. Élémentaire dès 6 ans

L’interview de...

Sadeck Berrabah est chorégraphe et danseur. Il s’est fait connaître grâce à ses collaborations avec Shakira et Black Eyed Peas, ou encore Woodkid lors de la clôture des Jeux paralympiques de Tokyo. Anselmo l’a rencontré pour son premier spectacle en tant que chorégraphe, l’impressionnant et original Murmuration.

Que signifie le nom de ton spectacle ?

En anglais, les murmurations sont des nuées d’oiseaux qui se déplacent ensemble. Si l’un d’entre eux change de direction, les autres le suivent instantanément. Leurs mouvements font comme des vagues dans le ciel. Sur scène, j’ai réuni une quarantaine de danseurs qui sont coordonnés, comme ces nuées d’oiseaux.

PAR ANSELMO, 9 ANS

meubles du salon, on regardait les clips à la télévision ou les cassettes VHS de mes parents sur Michael Jackson, et on reproduisait les pas de danse. Adolescent, ça se passait plus dans la rue : un carton par terre, des copains, et chacun apportait son pas.

Ton petit frère est aussi devenu danseur ?

Donc tu as toujours voulu devenir danseur et chorégraphe ?

Non, je ne pensais pas devenir artiste. Avec mes parents, on ne considérait pas cela comme un métier imaginable. C’était comme une passion, un hobby : on n’y avait pas d’avenir, c’est pour ça que j’ai fait de la maçonnerie et d’autres boulots.

MIRACULOUS. LE FILM [FILM]

Ladybug, la plus française des super-héroïnes du petit écran, débarque au cinéma. Aidée par son acolyte Chat Noir, elle a ronte de nouveaux super-méchants dans une épopée mi-fantastique mi-romantique, nous o rant une visite d’un Paris joliment animé en 3D. • C. B. Miraculous. Le film de Jeremy Zag (SND, 1 h 45), sortie le 5 juillet,

Comment est-ce que tu travailles ? Je dessine beaucoup pour réussir à visualiser et penser un mouvement. Mes chorégraphies sont les transpositions de mes dessins. C’est un peu comme un origami : un avant-bras représente une ligne que l’on plie ou déplie.

Ça ressemble aussi à un film d’animation ! Oui, les danseurs font bouger mes dessins. La danse, c’est un tableau en mouvement. Il y a huit tableaux sur scène, qui racontent mes influences : le hip-hop, le popping, l’acrobatie…

Et toi, qui t’a appris à danser ? J’ai 34 ans. Quand j’étais petit, il n’y avait pas de prof de hip-hop comme aujourd’hui, et encore moins de tutos sur Internet. Alors, mon petit frère et moi, on poussait les

Non, Adel [TRex, de son nom de scène, ndlr] s’est orienté vers la musique. C’est lui qui a composé la bande originale de mon spectacle. On forme un binôme, on a évolué ensemble.

Tu habitais où ?

À Metz, dans l’est de la France, et on bougeait dans d’autres villes pour danser. On y apprenait d’autres influences, et c’est comme ça qu’on progressait. On faisait des battles.

Tu n’avais pas le trac ?

J’étais bègue et très introverti. La danse m’a beaucoup aidé. Quand on fait des battles de danse, il faut s’imposer. La première fois que je me suis lancé dans le cercle, j’étais en pression totale, je n’entendais même plus la musique ! L’avantage des battles, c’est que, même si on se charrie, c’est de l’humour, et c’est bienveillant. On discute de ce qu’on peut améliorer, on se conseille entre danseurs.

À quel moment ça a changé ?

Avec les réseaux sociaux. Tout en travaillant, j’ai continué à danser. J’ai eu l’idée d’une chorégraphie, Géométrie variable. J’en ai parlé à un ami. On a tourné, puis posté une vidéo ; elle a très bien marché. Ensuite, j’ai été repéré par une émission de télé, et les choses se sont enchaînées.

Quel est ton plus grand rêve ? Je suis déjà très heureux, mais ce serait incroyable de pouvoir faire évoluer ce spectacle avec encore plus de danseurs et de le produire à l’Opéra Garnier !

Murmuration de Sadeck Berrabah, jusqu’au 8 juillet au 13ème Art (1 h 15), dès 6 ans

PROPOS RECUEILLIS PAR ANSELMO (AVEC CÉCILE ROSEVAIGUE)

Photographie : Ines Ferhat pour TROISCOULEURS

CHONCHON, LE PLUS MIGNON DES COCHONS [FILM]

Di cile de protéger son cochon de compagnie quand un grand concours de charcuterie s’organise en ville… La jeune Babs relève cette mission dans ce film en stop motion à l’univers visuel minutieux et singulier et aux thèmes très actuels. C. B. Chonchon, le plus mignon des cochons de Mascha Halberstad (The Jokers, 1 h 12), sortie le 28 juin, dès 3 ans

Et toujours chez mk2

SÉANCES BOUT’CHOU ET JUNIOR [CINÉMA]

Des séances d’une durée adaptée, avec un volume sonore faible et sans pub, pour les enfants de 2 à 4 ans (Bout’Chou) et à partir de 5 ans (Junior).

samedis et dimanches matin dans les salles mk2, toute la programmation sur mk2.com

La critique de Célestin, 9 ans

SORTIE LE 28 JUIN

LAMAISONDESÉGARÉES

« Au début du film, j’ai eu peur : “Oh non ! Ça va se passer dans un monde normal…” Mais en fait pas du tout ! C’est l’histoire de deux filles et d’une grandmère. La plus petite ne peut plus parler, mais elle peut dire ce qu’elle pense par les gestes ou en écrivant. C’est une belle illustration pour dire que, même avec un handicap, on peut être heureux et faire du bien. L’autre fille a vécu un traumatisme et a fui son père, qui l’engueulait. La grand-mère dit aux deux filles, comme dans Terminator 2 : “Venez avec moi si vous voulez vivre.” Elle les emmène dans une maison qui parle avec une voix qu’on ne comprend pas, mais on ressent ce qu’elle

veut dire. J’aimerais avoir cette grand-mère, parce qu’avec elle les filles rencontrent plein de monstres. Leur ennemi est un serpent rouge qui prend la tristesse des gens pour être plus fort. En France, on ne croit plus à rien, alors que tout le monde est un peu croyant au Japon. Ça aide à mieux comprendre les choses. Si je vais là-bas, je vous préviens, je vais chercher toutes ces créatures ! »

La Maison des égarées de Shinya Kawatsura, Les Films du Préau (1 h 45), sortie le 28 juin, dès 10 ans

PROPOS RECUEILLIS PAR JULIEN DUPUY

16 no 198 – juin 2023 En bref > La page des enfants

JACQUES ROZIER EN TROIS FILMS

Électron libre de la Nouvelle Vague, trop insolent et singulier pour embrasser totalement ce mouvement, Jacques Rozier, qui nous a quittés le 2 juin, laisse derrière lui une filmographie aussi resserrée qu’éclatante. Retour sur trois de ses films.

ADIEU PHILIPPINE (1963)

son service militaire. Soudain, la parenthèse estivale laisse un goût amer, et Adieu Philippine s’abrite derrière la comédie pour mieux percer son noyau tragique. Mais, en 1963, la guerre d’Algérie est encore une blessure fraîche. Invoquer sa mémoire appartient à une censure collective et inconsciente. Rozier procède alors par allusions : un ami revenu d’Algérie, la menace futile de quelques guêpes sur la plage et le soleil qui dessèche les cœurs resteront les seuls stigmates de cette guerre invisible.

MAINE OCÉAN (1986)

« Si je n’étais pas cinéaste ? J’aurais été marin. Marin comme les marins de Pagnol, pour traverser le Vieux-Port. » Cette confession de Jacques Rozier au micro de l’émission Cinéma, cinémas, en 1986, éclaire de façon limpide un grand thème de sa filmographie : la tentation de la fuite, le départ de l’urbain vers un ailleurs chaotique. Et qui dit départ dit rencontres hasardeuses. Elles sont justement au cœur de ce quatrième long de Jacques Rozier, dans lequel une danseuse brésilienne (Rosa-Maria Gomes) croise à bord d’un trajet Paris-Angers deux contrô-

sellini). Maine Océan porte la trace de cette filiation avec le Néoréalisme italien. Écrit en trois jours, tourné en trois semaines, le film traque, par un principe d’épuisement, des moments de vérité qui échapperaient à ses

En 1958, Jean-Luc Godard découvre aux Journées internationales du court métrage de Tours Blue jeans de Jacques Rozier. Sidéré par son oisiveté (des jeunes en Vespa draguent sur la Croisette, à Cannes), celui qui explosera deux ans plus tard avec À bout de sou e convainc son producteur Georges de Beauregard de financer le premier long de Jacques Rozier. Le tournage d ’Adieu Philippine est un long chemin de croix, qui dit l’intransigeance précoce de son jeune auteur : douze mois à flanc de montagnes corses, avec des acteurs choisis dans la rue, des dialogues volubiles, une piste son égarée en cours de route qu’il faudra reconstituer en lisant sur les lèvres des comédiens. Il n’en faut pas plus pour que Rozier décroche sa réputation d’« enfant terrible de la Nouvelle Vague »… et une sélection à la Semaine de la critique cannoise en 1962. À quoi tient cette déflagration, cette entrée fracassante dans une modernité devenue instantanément classique ? C’est qu’Adieu Philippine renferme un secret. Il y a d’abord l’histoire de Michel, machiniste à la télévision, incapable de choisir entre deux filles qu’il aime. Rozier traite sa paralysie a ective comme un marivaudage chorégraphié, rythmé par des ellipses et des saillies verbales d’une cruauté réjouissante. Et puis il y a l’ombre d’une seconde histoire, celle de la guerre d’Algérie, où Michel doit bientôt partir faire

leurs de la SNCF (Bernard Ménez et Luis Rego) alors qu’elle n’a pas validé son billet. Tandis qu’une autre passagère (Lydia Feld) traduit leurs échanges, le ton monte, vacille vers l’absurde, s’envenime, avant l’heure de la réconciliation : ce quatuor improbable atterrira finalement sur l’île d’Yeu pour une virée maritime. Jacques Rozier était un grand admirateur des cinéastes français de l’avantguerre (Jean Renoir et Jean Vigo en tête) et de leurs héritiers transalpins (Roberto Ros-

acteurs, examine les malentendus du langage qui séparent les êtres. Ici, le détour compte plus que l’arrivée, les erreurs des personnages les définissent avec une humanité touchante, les rêves perdus deviennent matière à fiction. Une autre société, où chacun se définirait hors des clous et à l’abri des regards, est possible : voilà la leçon de Jacques Rozier, que des cinéastes contemporains comme Guillaume Brac et Alain Guiraudie retiendront pour leurs propres utopies sociales.

LES NAUFRAGÉS DE L’ÎLE DE LA TORTUE (1976)

En 1974, Jacques Rozier fait une entorse à son errance hexagonale pour tourner pendant huit semaines en Guadeloupe et en Dominique cette comédie qu’il produira luimême, avec le réalisateur Jacques Poitrenaud. Son pitch à la Koh-Lanta vaut de l’or : l’employé d’une agence de voyages (Pierre Richard, au top de son comique étourdi et maladroit) et son acolyte (Maurice Risch) organisent un séjour conceptuel sur une île

déserte. Les participants devront y survivre dans des conditions semblables à celles de Robinson Crusoé. Sauf que les touristes révèlent rapidement leur bestialité… Les Naufragés de l’île de La Tortue résonne comme un aveu métaphorique de la méthode de travail Rozier : tout comme ses personnages, le réalisateur aime débarquer en terre inconnue pour expérimenter un concept auquel personne ne croit, brandissant son excentricité contre la morosité du monde. Ce faux carnet de voyage exotique est aussi l’occasion de dynamiter les idées reçues sur le bonheur : alors qu’ils étaient venus chercher le farniente, les vacanciers (interprétés par des acteurs débutants tels que Patrick Chesnais, Jacques Villeret et Jean-François Balmer) découvrent à leur insu que la félicité est un dur labeur qui se façonne et se mérite. Sous les tropiques, la poésie confuse, dense, parfois pleine d’impasses, de Jacques Rozier, n’a jamais été aussi criante. Conçu comme une comédie populaire, le film, qui mettra deux ans à sortir, sera un échec en salles. Sans doute parce qu’il est le témoignage indirect d’un cinéaste qui ne choisissait jamais la facilité.

Trois courts métrages de Jacques Rozier (Paparazzi, Le Parti des choses. Bardot et Godard et Blue jeans) visibles sur mk2curiosity.com

LÉA ANDRÉ-SARREAU

18 no 198 – juin 2023
© D. R. mk2 © D. R. mk2 © D. R. mk2 © D. R. mk2 © D. R. mk2 En bref > Hommage
Une autre société, où chacun se définirait hors des clous, est possible : voilà la leçon de Rozier.

UN FILM DE SEPIDEH FARSI

SCÉNARIO JAVAD DJAVAHERY CRÉATION GRAPHIQUE ZAVEN NAJJAR

ORIGINALE ERIK TRUFFAZ

LES FILMS D’ICI – SÉBASTIEN ONOMO PRÉSENTENT
MUSIQUE
© 2022 LES FILMS D’ICI –KATUH STUDIO –BAC CINÉMA –LUNANIME –TRICKSTUDIO LUTTERBECKDESIGN GRAPHIQUE CRÉDITS NON CONTRACTUELS Film dʼouverture Festival
International du Film de Berlin LE 28 JUIN

JUSTINE TRIET & ARTHUR HARARI

Elle vient de remporter la Palme d’or pour Anatomie d’une chute, qui examine – dans la lignée d’une filmo unique et politique – le délitement d’un couple à travers le procès d’une femme dont le mari est mort mystérieusement. Lui, cinéaste tout aussi génial (Onoda. 10 000 nuits dans la jungle), est son coscénariste et compagnon dans la vie. Il joue aussi dans Le Procès Goldman de Cédric Kahn, qui a ouvert la Quinzaine des cinéastes et sort le 27 septembre. Fascinés par ce couple de cinéma, on les a rassemblés pour un entretien croisé.

Vous venez à Cannes pour deux films de procès. Qu’est-ce que ça dit du cinéma français et de la société contemporaine pour vous ?

Justine Triet : Le besoin de justice ? Je me suis posé cette question-là il y a quelques jours justement. Peut-être que le tribunal permet d’essayer de comprendre la société de nos jours.

Arthur Harari : C’est peut-être un lieu où tout peut résonner. Il y a un genre, le film de procès, mais les codes sont plus ouverts que dans le polar, la comédie… C’est une boîte de laquelle on peut faire remonter énormément de choses, et où la parole peut avoir quelque chose de spectaculaire. Après, si c’est pris de manière édifiante ou très signifiante, ça peut être très chiant aussi. Mais c’est une bonne question, parce qu’il n’y en a pas eu tellement dans le cinéma français, de films de procès… Il y a eu Saint Omer d’Alice Diop, sorti l’année dernière. Vous l’avez vu ?

J. T. : Oui, et j’ai été très impressionnée par le film, que j’ai trouvé passionnant dans sa radicalité, sa manière de montrer la complexité de cette femme. Claire Mathon à la photo est exceptionnelle. C’était très troublant parce que je l’ai vu quand j’étais au milieu du montage du mien. Et la blague, c’est que, moi, je rêvais de faire tourner Alice Diop dans mon film. Au casting, on a beaucoup pensé à elle pour faire l’avocate aux côtés de Swann Arlaud [qui incarne l’avocat de l’héroïne, ndlr].

juin 2023 – no 198 En couverture <----- Cinéma
PROPOS RECUEILLIS PAR JOSÉPHINE LEROY Photographie : Julien liénard pour TROISCOULEURS
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On ne lui a pas proposé parce qu’elle était en pleine finition de son propre film, qui est plutôt aux antipodes du mien.

A. H. : Je l’ai vu aussi. Ce qui me frappe, c’est que, alors que les deux films portent sur la mise en accusation d’une femme, celui d’Alice Diop [une fiction qui reconstitue le procès d’une jeune femme sénégalaise

Justine Triet

jugée pour infanticide en 2016 à la cour d’assises de Saint-Omer, ndlr] est entièrement sur le procès, alors qu’il y a dans Anatomie d’une chute [le film raconte le délitement d’un couple à travers le procès d’une femme dont le compagnon est mort dans des circonstances troubles, ndlr] une espèce de concentration, une forme d’entonnoir, un tunnel de paroles. À l’arrivée, les deux films sont très di érents. Chez Alice Diop, il y a une forme de distanciation un peu brechtienne, alors que le film de Justine joue beaucoup sur l’incarnation. Ce sont deux cas d’école très di érents.

Justine, vous semblez très attirée par le microcosme judiciaire depuis Victoria (2016), mais vous choisissez toujours d’y instiller une forme de chaos. On pense à cette scène dans Victoria où Virginie Efira, qui est avocate, plaide défoncée. Dans Anatomie d’une chute, le couple formé par Sandra, incarnée par Sandra Hüller, et Samuel, joué par Sa-

coup, je trouve que la représentation de la justice dans les films de fiction est souvent ratée. Je me souviens avoir assisté à un procès qui était un bordel énorme ! Les tables étaient déplacées, il y avait des interruptions pour boire de l’eau…

muel Theis, à mesure qu’il est disséqué, est de plus en plus traîné dans la fange. Pourquoi bousculez-vous autant l’image très lisse qu’on peut avoir de la justice ?

J. T. : J’ai passé beaucoup de temps dans les tribunaux : je me faufilais dans les salles très jeune. J’ai démarré ma carrière en étudiant aux Beaux-Arts, et j’ai commencé par faire du documentaire [comme ses premiers moyens métrages, Solferino (2009), et Des ombres dans la maison (2010), ndlr]. Je regardais beaucoup les films de Frederick Wiseman, de Raymond Depardon, avant de me pencher sur le cinéma de Hollywood. Du

A. H. : Ça, c’est très français. J. T. : Il y a quelque chose de beaucoup plus énergique. La personnalité du président du jury aussi est très importante. Il y a un avocat pénaliste qui nous a beaucoup aidé à comprendre cette machine. En fait, ce qui m’intéresse, c’est vraiment le nœud du tribunal, cette idée qu’on y délire beaucoup de choses, ce qui est très cinégénique. Ça me fait penser à cette phrase de Gilles Deleuze, qui déteste Freud, et qui dit en gros : « On ne délire pas son père ou sa mère, on délire le monde. » [dans un cours intitulé « Anti-Œdipe et autres réflexions », donné durant l’année universitaire 1979-1980 à Paris-VIII, ndlr]. Ça n’est pas un endroit où on dit juste : « Papa, maman, mon mec, le couple… »

A. H. : Ou « coupable » ou « non coupable ». J. T. : C’est un endroit où le monde est coupable de tout. On le voit bien dans le film, où la façon de vivre de Sandra est aussi jugée. On parle par exemple beaucoup de sa bisexualité, de sa vie sexuelle, du fait qu’elle est écrivaine. On voit bien, quand on n’a pas de preuve de culpabilité, qu’on est contraint d’aller voir ailleurs. Et que la parole est là pour combler les manques. Elle envahit tout jusqu’à l’écœurement. Elle devient ridicule.

A. H. : Ça peut être un piège pour les films de procès que de devenir extrêmement symboliques ou signifiants. En fait, dans un procès, le privé devient public, l’intime devient général, et l’anecdotique a tout de suite tendance à devenir signifiant. C’est fort, parce que c’est regarder les choses pas seulement du bout de la lorgnette. En même temps, un des écueils qu’il m’a semblé important d’éviter, c’était de faire un truc déclaratif. Ce que je trouve fort, avec le peu de recul que j’ai, c’est que le film ne cherche pas à dire quelque chose.

J. T. : Il cherche plus à montrer le caractère infernal, la situation inextricable de cette femme. Ce serait plutôt raconter un cauchemar, quand un enfer privé devient un enfer public. C’est quelque chose qui a une forme d’ampleur, une puissance de déformation, comme quand, à un moment, on ressort un extrait sonore [d’une dispute du couple, enregistrée la veille de la mort de Samuel, ndlr]. La société va sortir cette phrase de son contexte, parce que c’est le seul élément auquel elle peut se raccrocher.

Ce n’était pas un peu vertigineux de raconter la chute d’un couple tout en construisant un film à deux ?

J. T. : Non, franchement, pas plus qu’avec un autre scénariste. La seule chose qui a changé, c’est que, moi, je pouvais écrire n’importe quand, lui était sur d’autres choses en même temps.

22 no 198 – juin 2023 1 Cinéma > En couverture
«
Au tribunal, on délire beaucoup de choses. »
Sandra Hüller © Les Films Pelléas – Les Films de Pierre 1 Antoine Reinartz © Les Films Pelléas – Les Films de Pierre Sandra Hüller (au centre) © Les Films Pelléas – Les Films de Pierre 2 3

A. H. : C’était pendant le confinement.

J. T. : Des fois, je demandais des trucs à Arthur la nuit ; il n’en pouvait plus, parce qu’il n’y avait pas de limite.

A. H. : On redoutait qu’on nous dise : « Est-ce que c’est autobiographique ? »

Mais le film est comme une espèce de projection cathartique. C’est une vision extrême et catastrophique de ce qui ne nous arrivera pas. En fait, c’était même assez jouissif de se dire : « Et si ça, dans leur vie, ça prenait cette tournure-là ? » C’est vraiment le principe de la fiction d’imaginer un déplacement qui crée une espèce d’hypertrophie et permet de faire se déployer des éléments en germe. Comme une fleur qui doit se déployer, mais qui a de la lumière à un endroit et pas à un autre.

Dans votre cinéma, Justine, la vie professionnelle de vos héroïnes, qu’elles soient avocate ( Victoria ), psy ( Sibyl, 2019) ou écrivaine, comme ici, déteint toujours énormément sur la vie intime. Et ce qui est aussi pointé durant le

procès, c’est la jalousie de Samuel pour Sandra, qui l’éclipse…

J. T. : Il y a des trucs dans le film que j’ai découverts récemment, comme le fait qu’on était quand même obsédés par l’idée d’égalité dans le couple, par l’idée de trouver une façon de vivre ensemble de manière paritaire, égale. Ce que je trouve intéressant, c’est que, que le personnage de Samuel se soit suicidé ou qu’il ait été tué, il bou e tout l’espace, il prend toute la place.

A. H. : C’est quasiment une vengeance, en fait.

Sandra Hüller est impressionnante dans le film. Il y a quelque chose de très opaque chez elle ; elle inspire à la fois de l’empathie et du rejet. C’était important pour vous de ne pas l’enfermer dans une case, un peu comme ce qu’avait tenté de faire Alice Diop avec son héroïne dans Saint Omer ?

J. T. : J’adore Sandra Hüller. Et oui, tu as raison, il y a cette même opacité. Alice Diop

a une carte en plus, car on ne voit rien du passé de son héroïne. Nous, on a une vision de sa vie de famille, donc c’est un peu di érent. Mais ce qu’il y a en commun, c’est de refuser un certain classicisme du film de fiction très convenu. Après, nous, ce qu’on a choisi de faire, c’est aussi de s’accrocher au point de vue de l’enfant. On voulait faire un film de procès, mais avec des manquements. En tant que spectatrice, je suis beaucoup plus touchée par cette place donnée au fantasme. Là, ça passait par le fait de se mettre à la place d’un enfant qui est malvoyant.

Cet enfant malvoyant, qui semble extralucide, ressemble assez au Danny de Shining – il s’appelle d’ailleurs Daniel. Il a presque un aspect mythologique, motif qui a été exploré par le cinéma américain des années 1970. Comment avez-vous créé ce personnage ?

J. T. : Les gamins sont ici presque à la même distance que le spectateur au tribunal. Cet enfant, c’est un formidable outil

21 septembre – 22 octobre Berthier 17e

Edelweiss [France Fascisme]

Sylvain Creuzevault création

29 septembre – 15 octobre Odéon 6e

The Confessions

Alexander Zeldin en anglais, surtitré en français

8 – 17 novembre Berthier 17e

Angela [a strange loop]

Susanne Kennedy / Markus Selg en anglais, surtitré en français

16 novembre – 22 décembre Odéon 6e

Andromaque

Jean Racine Stéphane Braunschweig création

28 novembre – 17 décembre Berthier 17e

Carte noire nommée désir

Rébecca Chaillon

9 – 20 janvier Berthier 17e

La réponse des Hommes

Tiphaine Raffier

11 janvier – 4 février Odéon 6e

Les Émigrants

W. G. Sebald

Krystian Lupa

31 janvier – 9 février

Berthier 17e

Rohtko

Anka Herbut Łukasz Twarkowski en letton, anglais et chinois, surtitré en français

27 février – 17 mars

Berthier 17e

L’Enfant brûlé

Stig Dagerman

Noëmie Ksicova

5 mars – 14 avril

Odéon 6e

Hamlet

William Shakespeare

Christiane Jatahy création

20 avril – 5 mai

Berthier 17e

Jours de joie

Arne Lygre Stéphane Braunschweig

23 avril – 19 mai

Odéon 6e

Dom Juan

Molière

Macha Makeïeff

24 mai – 15 juin

Berthier 17e

Oui

Thomas Bernhard

Claude Duparfait / Célie Pauthe

31 mai – 19 juin

Odéon 6e

Les Paravents

Jean Genet Arthur Nauzyciel Abonnez-vou s

23 juin 2023 – no 198
En couverture <----- Cinéma
!
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4 de fiction. Moi, je suis née dans une famille où j’avais a aire à des récits di érents, et, enfant, je me demandais où était la vérité. Donc je me suis beaucoup identifiée à lui.

A. H. : Le gamin a pris de plus en plus de place pendant qu’on écrivait. On s’est dit que ce qui serait génial, ce serait qu’au bout d’un moment le gosse – qui, au départ, n’a même pas vraiment de prise sur son témoignage, c’est même assez décevant ce qui en ressort – en arrive à vouloir et même pouvoir influer sur l’issue. Il passe de témoin à juré, mais aussi quasiment à avocat et, pour moi, quasiment à metteur en scène. Sur cette dimension mythologique dont vous parlez, elle existe aussi grâce au gamin qu’on a trouvé, Milo Machado Graner. À un moment, on nous a fait remarquer qu’il ressemblait à la gamine de Cría cuervos… [de l’Espagnol Carlos Saura, sorti en 1976, ndlr]. Et oui, nous aussi, on a pensé à Danny de Shining à un moment, mais ce n’était pas intentionnel. Il y a certains enfants qui incarnent toute l’enfance. On se projette en lui.

J. T. : On a quand même essayé d’avoir une modernité. Et quand on a pris cette décision de prendre un enfant qui n’était pas malvoyant pour l’incarner, on craignait de s’approprier cette réalité. Mais le hasard a fait que Milo avait un oncle malvoyant, et, du coup, il connaissait très bien tout ça. Il a été baigné aussi dans des structures qui viennent en aide aux personnes malvoyantes. On avait tout un réseau autour.

L’architecture intérieure de la maison, isolée dans la montagne, est aussi fascinante qu’étrange. Elle a une verticalité, des pièces fermées… Elle prend presque l’aspect d’un lieu maudit, à la lisière du thriller et du fantastique.

J. T. : Je voulais absolument que ce soit un chalet. Cette image était là dès le début.

A. H. : Mais, après, ce qui était marrant, c’était qu’en écrivant le film on posait des éléments de manière pas forcément théorisée ou concertée – c’est-à-dire qu’on voulait que ce soit à la montagne, au milieu de la neige, très isolé, et que le personnage chute. Plus on ajoutait des couches à l’intrigue, aux personnages – le fait qu’ils se soient installés récemment ici, que ce soit son bled à lui, et pas à elle –, plus on dessinait des contraintes pour le décor. Des combles, un dénivelé, une certaine architecture… Ce qui fait qu’à un moment c’était devenu extrêmement compliqué de trouver le bon lieu.

J. T. : C’était tellement infernal qu’on se disait qu’il fallait un studio. Et c’est marrant parce que quelqu’un nous a dit que c’était Shining à l’envers, avec le mec qui meurt au début. Mais, dans ma réalisation, je ne voulais pas répondre aux codes du thriller, être dans l’efficacité. Ça ne m’intéressait pas du tout de faire un énième thriller à l’américaine.

Donc, même pour les scènes de procès en elles-mêmes, qu’on n’autorise pas à filmer en France contrairement aux États-Unis,

vous ne vous êtes pas tellement inspirés de films américains ?

A. H. : Je me rappelle qu’à un moment on regardait vraiment des fictions de procès. On est tombés sur un film avec Hugh Grant, qui, clairement, n’était pas bien. Tout était plombant, très sérieux. On s’est dit : « Surtout pas ce cliché-là. »

J. T. : Les personnages d’avocats aussi sont très simplistes dans ce cinéma-là.

Dans Anatomie d’une chute, les personnages d’avocats sont au contraire très subtils : il y a le tribun d’un côté – Antoine Reinartz – et le méthodique, l’e acé – Swann Arlaud.

J. T. : On a l’image d’une justice française très austère. OK, on a encore nos robes, on a encore des éléments traditionnels, mais, selon moi, ça serait trop passéiste de représenter les choses comme ça. Et Swann, il arrive avec ce corps très androgyne, assez à l’opposé d’Antoine. C’est marrant parce que je n’avais pas du tout pensé à lui pour le rôle, mais il était incroyable. Ça a été l’évidence. Il joue un mec dont on sent qu’il a envie de défoncer tout le monde. Le personnage de Swann, il est du côté des femmes, il permet de déconstruire une certaine virilité.

A. H. : Justine est obsédée par ça. Par l’idée de casser les clichés, et notamment celui de la virilité. C’est une expérimentatrice du réel. Et moi, je trouve ça hyper intéressant, parce que c’est une question qui est omniprésente, aujourd’hui, dans la société. Qu’est-ce qui se passe quand les hommes ne peuvent plus

se laisser aller à cette tendance, à cette exigence ? Qu’est-ce qui se passe ? Anatomie d’une chute parle de ça.

J. T. : Ce sont des questions de goût, après. Mais ce n’est pas une pose ! Parce qu’en ce moment il y a tout un courant ; je ne suis pas originale en faisant ça. Il y a plein de jeunes acteurs : une évolution que je vois arriver et que je trouve passionnante. Ce sont des questions qui ont trait au désir.

Je sais que, quand j’avais fait Victoria, on avait remarqué une virilité chez Virginie Efira, en face d’un Vincent Lacoste, qui a ce côté jeune garçon pas encore formé – maintenant, il l’est plus ! Il y a aussi cette opposition entre Sandra et Swann.

A. H. : Il y a un mélange, je trouve, dans le personnage de Sandra. Et chez Samuel, pareil, c’est un drôle de mélange.

J. T. : Il est épais.

24 no 198 – juin 2023 Cinéma > En couverture
« Justine est obsédée par l’idée de casser le cliché de la virilité. »
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Arthur Harari
Samuel Theis, Sandra Hüller et Milo Machado Graner
Les Films Pelléas
Films de Pierre
Sandra Hüller
Les Films Pelléas
Films de Pierre

Critique SUR LA BRÈCHE

À la fois tragédie familiale, film de procès, dissection post-mortem d’un couple et portrait d’une héroïne en quête d’intégrité, le magistral film de Justine Triet multiplie les pistes narratives et stylistiques pour offrir un palpitant traité d’ambiguïté contemporaine.

Après trois premiers films (La Bataille de Solférino, Victoria et Sibyl), qui redessinaient chacun à leur manière la comédie sentimentale d’auteur, Justine Triet franchit un nouveau cap avec Anatomie d’une chute, récit à la dimension ouvertement dramatique et criminelle qui frappe par l’intensité de son dispositif. S’ouvrant par une séquence dans laquelle une écrivaine (jouée par Sandra Hüller, impressionnante) est interviewée à son domicile au milieu des montagnes, tandis que son compagnon (Samuel Theis) et leur fils malvoyant de 11 ans (Milo Machado Graner) se trouvent à l’étage, le film installe d’emblée une atmosphère étou ante. Quelques instants plus tard, la vue du corps inanimé dudit compagnon, gisant dans la neige au pied du chalet, fait basculer le film dans la tragédie judiciaire. Le cheminement narratif va alors consister à établir la vérité sur cette mort suspecte, façon aussi pour la cinéaste de décortiquer l’histoire de ce couple et d’exposer à la conscience de leur enfant tous les dysfonctionnements dont sou rait la relation entre ses parents. La grande force de cette œuvre coécrite avec Arthur Harari (réalisateur d’Onoda. 10 000 nuits dans la jungle) est d’interroger en permanence les motivations et agissements des personnages. À travers notamment de trépidantes scènes de procès au cours desquelles les rapports de force paraissent étrangement déséquilibrés – Swann Arlaud joue ainsi l’avocat quelque peu e acé de l’héroïne accusée de meurtre, face à un Antoine Reinartz qui incarne un o ensif avocat général, apportant un contrepoint comique par ses déroutantes remarques sociétales –, et grâce à des propositions stylistiques inspirées (dont l’utilisation récurrente de l’obsédante version instrumentale du titre « P.I.M.P. » de 50 Cent), Justine Triet déploie un univers hostile autour d’une héroïne qui se tient au bord du gou re. Poignant dans son portrait d’un couple qui a échoué à organiser sa vie dans l’harmonie et la réciprocité, Anatomie d’une chute traite d’arrachement à soi-même et fait planer tout du long un vent d’ambiguïté morale et d’indécision sentimentale. Jusqu’à un plan final enfin apaisé, qui conclut superbement ce portrait d’une femme cherchant à reprendre son destin en main malgré le brouillard du réel. · DAMIEN LEBLANC

25 juin 2023 – no 198 En couverture <----- Cinéma

A. H. : Et en même temps il est extrêmement féminin.

Arthur, vous jouez dans Le Procès Goldman de Cédric Kahn (sortie le 27 septembre), qui ressuscite une a aire très connue en racontant le second procès, en 1976, du militant de la gauche radicale Pierre Goldman, accusé de braquages et de meurtres. Vous y campez son avocat, Georges Kiejman, personnalité très médiatique, disparu le 9 mai dernier. Vous faites sentir son bouillonnement intérieur, en même temps que sa virtuosité technique. Qu’est-ce qui vous a le plus interpellé chez ce personnage ?

A. H. : Je le connaissais déjà avant de faire le film. Après, ce qui était écrit – la partition – était passionnant. C’est marrant parce que les films de Justine et de Cédric ne se

ressemblent pas du tout, mais ce qui se recoupe, c’est l’anti-e et de manche. Les avocats tentent de changer quelque chose dans l’approche de l’audience en France. Georges Kiejman a une méthode très dépouillée, il n’était que dans le débat. Il était obnubilé par les faits, la décortication des témoignages.

C’est quelqu’un qui s’est toujours situé très loin de la virilité théâtrale, qui était très élégant, délicat. Un anti-Éric Dupond-Moretti, qui, lui, correspond à une vision à l’ancienne, plus dans la gueulante, qui est impressionnant, intimidant, terrorisant. Moi, je n’aurais pas pu jouer ça.

Vous avez des désirs d’exploration pour la suite, tous les deux ?

A. H. : On ne va a priori pas retravailler ensemble. Parce que, là, c’était extrêmement

passionnant, mais très intense. Presque trop intense. Le temps d’écriture a été plus long que ce qu’on pensait, comme c’était très dense. Et puis le film a été un peu vampirique. On était dans un acharnement – Justine, elle est acharnée. C’est l’une de mes meilleures expériences – ça m’a notamment appris à écrire des personnages féminins, parce que moi, j’écris plutôt des personnages d’hommes [c’est le cas dans Diamant noir, avec Niels Schneider, sorti en 2016, et Onoda. 10 000 nuits dans la jungle, sorti en 2021, ndlr], et mon prochain film sera centré sur une femme –, mais on y a laissé un peu des plumes.

Anatomie d’une chute de Justine Triet, Le Pacte (2 h 40), sortie le 23 août

DE HAUTE LUTTE

Dans la rue, au tribunal, dans le couple ou sur un plateau de tournage, Justine Triet ne cesse, de film en film, d’éclairer, de nuancer et de déséquilibrer les rapports de force pour mieux les mettre en question. • T. Z.

SUR PLACE (2007)

Dans ce court métrage documentaire sans dialogues, Justine Triet filme les manifs antiCPE place d’Italie à Paris, de l’extérieur et de l’intérieur, faisant sentir ce que la contestation sociale fait aux lieux et aux corps.

SOLFÉRINO (2009)

Un an après ces manifs, Triet revient sur un autre rassemblement, rue de Solférino, pour tourner un docu fiévreux sur les deux soirées électorales de la présidentielle de 2007, au siège du Parti socialiste.

VILAINE FILLE, MAUVAIS GARÇON (2012)

Ce moyen métrage de fiction porté par l’explosive Lætitia Dosch explore, le temps d’une nuit survoltée, la possibilité d’une histoire entre une comédienne désœuvrée et un dessinateur isolé.

LA BATAILLE DE SOLFÉRINO (2013)

Pour son premier long, la cinéaste suit un couple en crise pendant la présidentielle de 2012, sondant les frictions entre docu et fiction, intime et spectaculaire, sphères publique et privée.

VICTORIA (2016)

Une avocate en crise (Virginie Efira) doit défendre un ami accusé de meurtre dans un procès avec pour seul témoin le chien de la victime, tout en tombant amoureuse de son nouveau jeune homme au pair.

SIBYL (2019)

Coscénarisé, comme Anatomie d’une chute, avec Arthur Harari, Sibyl suit une psy hantée par une relation passée quand elle est confrontée aux drames amoureux d’une de ses patientes, actrice.

26 no 198 – juin 2023 Cinéma > En couverture
Filmo
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© D. R. © D. R. © D. R.

Nezouh : en arabe, mouvement des âmes, des eaux et des personnes

PRIX DU PUBLIC ARMANI BEAUTY FESTIVAL DE VENISE 2022

SÉLECTION OFFICIELLE

UN FILM COURAGEUX, INTENSE ET PASSIONNANT SCREEN INTERNATIONAL

FESTIVAL DE CANNES 2023

ÉCRANS JUNIORS MENTION SPÉCIALE

UNE VISION ENCHANTERESSE, LE PORTRAIT DÉLICAT D’UNE FAMILLE ENTRE CONTE DE FÉES ET RÉALITÉ DEADLINE

PRIX AMNESTY INTERNATIONAL FESTIVAL MEDFILM DE ROME 2023

UN FILM PLEIN D’INVENTIVITÉ ENTRE NATURALISME ET RÉALISME MAGIQUE

MYMOVIES

MERVEILLEUX, INTIME ET RÉVOLUTIONNAIRE SENTIERI SELVAGGI

UN FILM DE SOUDADE KAADAN

BFI ET FILM4 PRÉSENTENT, EN ASSOCIATION AVEC STARLIGHT MEDIA, UNE PRODUCTION BERKELEY MEDIA GROUP, KAF PRODUCTIONS, EX NIHILO
AU CINÉMA LE 21 JUIN

CANNES 2023

RETOUR SUR LE PALMARÈS OFFICIEL

PALME D’OR :

Anatomie d’une chute de Justine Triet

C’était notre Palme rêvée et le jury de Ruben Östlund en a fait une réalité. D’une ampleur folle, le film débute par la mort d’un homme, pour se recentrer sur sa compagne (Sandra Hüller <3) et son fils, et dérouler le fil complexe de leur passé familial au cours d’un procès captivant. Cerise sur le gâteau : le discours très politique de la cinéaste (lire p. 32) : au-delà de la polémique, on se réjouit que le cinéma puissant et audacieux de Justine Triet soit célébré. J. L. sortie le 23 août, lire l’entretien p. 20

GRAND PRIX : The Zone of Interest de Jonathan Glazer

Le Britannique Jonathan Glazer (Under the Skin, 2014) a fait son retour avec un film qui n’a laissé aucun de ses spectateurs indi érents. Et pour cause, ce long métrage aussi retors que virtuose suit le quotidien du directeur d’Auschwitz et de sa famille (avec encore l’impeccable Sandra Hüller, remerciée pour son courage par le cinéaste), dans une villa au jardin fleuri, à deux pas de l’enfer du camp, laissé hors champ… Une proposition sciante de radicalité, qui valait bien ce Grand Prix. J. L. date de sortie non communiquée

NOTRE BEST OF

RAPITO. C’est ainsi qu’on a baptisé le beau et si attachant pigeon blanc qui nous rendait quotidiennement visite dans notre appartement cannois (c’est aussi le titre original de L’Enlèvement de Marco Bellocchio). Tu nous manques cruellement, Rapito.

PRIX DE LA MISE EN SCÈNE : La Passion de Dodin

Bou ant de Trần Anh Hùng

Après vingt-trois ans d’absence, le Franco-Vietnamien Trần Anh Hùng (L’Odeur de la papaye verte, À la verticale de l’été) a fait un retour savoureux à Cannes avec ce film inclassable – à la fois récit d’amour et traité gastronomique. Il s’ouvre sur une mémorable séquence d’une vingtaine de minutes, quasi muette, ballet de casseroles, préparations, réductions, cuissons, découpes et flambages. Aux fourneaux : Benoît Magimel et Juliette Binoche. J. L. sortie le 8 novembre

nos soirées avec ses sets endiablés. À cause d’elle, on n’a pas réussi à se sortir de la tête « Cqsfdm (Ce qui se fait de mieux) » de Yolande Bashing.

MRS. DJ. La géniale attachée de presse de la Quinzaine, Catherine Giraud, a illuminé

PROM NIGHT. Grand gymnase, vestiaire, ballons et gobelets rouges… La Semaine de la critique nous a ramenés le temps d’une soirée à nos sweet années teen Et c’était tout simplement fabuleux.

QUEEN KARINE. C’est elle qu’on va voir quand on veut découvrir des pépites indés, mais c’est aussi elle qui est de toutes les fêtes les plus wild. On est fans de l’attachée de presse Karine Durance (qui s’est notamment occupée de la Palme, Anatomie d’une chute) – et on repense à cet instant où on l’a vue seule, dans un coin, en pleine teuf, en belle tenue, lunettes noires

28 no 198 – juin 2023
Cinéma > Retour de Cannes
© Les Films Pelléas –Les Films de Pierre
© A24 © Gaumont

En donnant la récompense suprême au génial Anatomie d’une chute de Justine Triet, le jury, présidé cette année par Ruben Ostlünd, ne s’y est pas trompé. C’est d’ailleurs ce qu’on a pensé des palmarès de toutes les sélections, dans cette édition particulièrement stimulante

au cours de laquelle ont été couronnés de manière équilibrée des réalisateurs bien installés, qui exercent mieux que jamais leur sensibilité, et des voix plus jeunes, qui proposent des formes et des visions du monde amples et singulières. Résumé des récompenses (et best of perso).

Rone L(oo)ping

Live with Orchestre national de Lyon

PRIX DU JURY : Les Feuilles mortes d’Aki Kaurismäki

PRIX DU SCÉNARIO : Yuji Sakamoto pour Monster d’Hirokazu Kore-eda

Comment surmonter l’angoisse d’un monde miné par la guerre, la pauvreté, la solitude ? Le film du Finlandais Aki Kaurismäki (L’Homme sans passé) répond en mode mineur (comprenez : sans e ets de manches, mais avec une pudeur qui touche en plein cœur) : par l’amour. Soit celui qui naît presque miraculeusement entre deux quadras lessivés par le prolétariat, et qui va leur donner la force de se relever. Revigorant. J. R. sortie le 20 septembre

Scénariste pour la télé nipponne, Yuji Sakamoto n’avait auparavant écrit qu’un film ayant dépassé ses frontières : Tokyo Eyes de Jean-Pierre Limosin (1998). Gros bond de carrière avec ce sacre (par un jury dont faisait partie Julia Ducournau, qui remerciait le Festival de laisser « rentrer les monstres » en recevant la Palme d’or en 2021) pour Monster, dans lequel récits et points de vue s’entremêlent avec virtuosité autour d’un harcèlement scolaire. T. Z. date de sortie non communiquée

et cigarette, et qu’elle nous est apparue comme une fascinante reine des ténèbres.

GENTLEMAN. Spotted, un soir de fête, sur la plage : Jean-Pierre Darroussin tenant dans ses mains les talons de son date.

ventivité pour entretenir son corps de sexagénaire. Pendant que nous, on clopait compulsivement, les yeux rivés sur nos écrans. Mauvaise conscience…

FOODPORN. Dans La Passion de Dodin Bouffant, cette question, qu’on se pose trop peu : « Qu’as-tu ressenti en mangeant cette omelette norvégienne ? »

CROISÉS SUR LA CROISETTE

SPORT ADDICT. Sur son balcon, notre voisin d’en face redoublait chaque jour d’in-

Françoise Lebrun lisant Le Monde à la plage ; Quentin Tarantino dégustant son plat à notre pizzéria favorite ; Pedro Almodóvar en vadrouille, le soir, avec son crew.

« DIRTY BOOTS. » Dans L’Été dernier, le personnage de Léa Drucker drague son beau-fils de 17 ans avec ses gros sabots. Catherine Breillat passe du Sonic Youth pour

Nouvel Album

Sortie le 16.06

29 juin 2023 – no 198 Retour de Cannes < Cinéma
/
© Sputnik
Photographe
:
Malla Hukkanen © Le Pacte

PRIX D’INTERPRÉTATION

MASCULINE : Kōji Yakusho pour Perfect Days de Wim Wenders

En 1997, l’acteur venait pour la première fois à Cannes pour L’Anguille de Shōhei Imamura, qui raflait la Palme d’or – depuis, on l’a vu chez Hirokazu Kore-eda, Kiyoshi Kurosawa ou Alejandro González Iñárritu. Chez Wim Wenders, il incarne un sexagénaire, agent d’entretien dans des toilettes de Tokyo à la vie ascétique, mais habité d’une fougue toute juvénile. Ce film mélancolique et discrètement punk se clôt avec un long plan, magnifique, sur le visage de l’acteur. Inoubliable. J. R. sortie le 29 novembre

CAMÉRA D’OR

Créée en 1978, la Caméra d’or récompense chaque année le premier long métrage d’un ou d’une jeune cinéaste – parmi toutes les sélections cannoises, à l’exception de l’ACID. Présidé cette année par Anaïs Demoustier (qui a fait une savoureuse ga e dans son discours en renommant le prix « Palme d’or »), le jury a choisi le très beau L’Arbre aux papillons d’or du Vietnamien Pham Thien An (sortie le 20 septembre), présenté à la Quinzaine des cinéastes. Un fascinant récit de deuil et de quête spirituelle, entre longs plans-séquences et travellings impressionnants, qui n’est pas sans rappeler la virtuosité de Bi Gan ou d’Apichatpong Weerasethakul. J. L.

PRIX D’INTERPRÉTATION

FÉMININE : Merve Dizdar pour Les Herbes sèches de Nuri Bilge Ceylan

Inconnue jusqu’ici à l’international, l’actrice turque a sidéré tout le monde. Sa densité de jeu et sa puissance contenue dans le rôle d’une jeune prof qui a perdu une jambe dans une action militante nous ont laminés, tout comme son personnage subjugue et attire les deux héros. En recevant son prix, Merve Dizdar a soutenu les luttes féministes et l’opposition en Turquie, ce qui lui vaut depuis une pluie de critiques de la part des soutiens au pouvoir islamo-conservateur. T. Z. sortie le 12 juillet, lire la critique p. 69

QUEER PALM

La Queer Palm, ce prix cannois fondé en 2010 par Franck Finance-Madureira qui récompense des films à thématiques LGBTQ+, toutes sélections confondues, a été décernée à Monster d’Hirokazu Kore-eda, film sensible à propos du harcèlement qui, en dépeignant l’amour caché entre deux jeunes garçons, rappelait un peu Close de Lukas Dhont, lauréat de la Queer Palm l’année précédente. À la remise du prix, le président du jury, le flamboyant John Cameron Mitchell (Shortbus), a confié à quel point l’œuvre du cinéaste lui était intime et lui a rendu hommage en entonnant une berceuse (forcément punk) en japonais. Q. G.

PRIX

UN CERTAIN REGARD : How to Have Sex de Molly Manning Walker

Des copines britanniques vont à Majorque pour les vacances. Molly Manning Walker filme la pression du groupe et complexifie le schéma classique de la perte de virginité comme passage à l’âge adulte, proposant une réflexion lucide sur le consentement. Bloquée dans un taxi, la cinéaste est arrivée en retard pour recevoir son prix. Pour faire patienter le public, John C. Reilly, génial président du jury Un certain regard, a poussé la chansonnette de façon éclatante. Q. G. date de sortie non communiquée

SEMAINE DE LA CRITIQUE

Graoouuu. Organisée par le Syndicat français de la critique, la Semaine de la critique a distingué (via le jury présidé par Audrey Diwan) d’un Grand Prix Tiger Stripes de la Malaisienne Amanda Nell Eu, comingof-age sauvage dans lequel a ronter la puberté s’apparente à dompter un fauve. Le Prix du Jury a été attribué à Il pleut dans la maison de PalomaSermon Daï, qui suit un frère et une sœur dans la ruralité wallonne et réinvente le cinéma social. Le Prix Révélation a récompensé Jovan Ginić, acteur de Lost Country du Serbe Vladimir Perišić, qui a marqué par sa verve en ado pris dans le feu des manifs contre Slobodan Milošević en 1996. Q. G.

faire sentir que son héroïne avance vers la prédation.

VERTIGO. On a eu très peur quand le Vertigo, ce génial lieu de nuit cannois aux dragshows flamboyants, a fermé.

BOLÉRO . On a été électrisés par ce court de Nans Laborde-Jourdàa (Semaine de la critique), qui raconte le retour au pays d’un danseur. Sa session drague dérive vers un hallucinant rituel de réenchantement queer.

un livre de magie noire qui, prévenait-elle, « [pouvait] tuer des gens ou les faire danser nus sur des tables ». Brrr.

« FAIRE UNE SPIKE LEE. »

Heureusement, l’équipe de la Queer Palm avait trouvé un nouvel endroit juste à côté – même nom, plus petit, plus fou, plus hypnotique.

EXORCISME. En entretien pour son court J’ai vu le visage du diable (Quinzaine), Julia Kowalski avait apporté

THIERRY FRÉMAUX LA FRONDE. Une vidéo dans laquelle le délégué général du Festival se fighte presque avec un flic (qui lui reprochait d’avoir roulé à vélo sur un trottoir) a fait jaser tous les festivaliers. Faut pas chau er Titi !

En 2021, Spike Lee avait annoncé la Palme d’or bien trop tôt lors de la cérémonie. Anaïs Demoustier y a fait référence après avoir dit qu’elle venait remettre la Palme d’or plutôt que la Caméra d’or.

May December aussi drama qu’insidieux, et deux regards documentaires puissants, Kaouther Ben Hania avec Les Filles d’Olfa (lire p. 4) et Wang Bing avec son film-fleuve Jeunesse (le printemps).

DANS NOS CŒURS Nos chouchous pour le palmarès, malheureusement pas retenus : Todd Haynes avec son

30 no 198 – juin 2023 Cinéma > Retour de Cannes
© Haut et Court © Nuri Bilge Ceylan © Nikolopoulos Nikos

Daphne Patakia

AU CINÉMA LE 19 JUILLET

Elzévir Films Présente
Un film de Marie Garel-Weiss Benoît Poelvoorde Agnès Jaoui Raphaël Quenard

PALME D’OR : CE QU’A VRAIMENT DIT JUSTINE TRIET

sociale sur la scène du Grand Auditorium Louis-Lumière.

PALME DE LA COLÈRE

L’effraction du réel dans le cinéma a toujours irrigué les films de Justine Triet. En 2013, dans La Bataille de Solférino, la réalisatrice orchestrait, au milieu d’un tourbillon collectif et conjugal, la journée d’une reporter télé (Lætitia Dosch) chargée de couvrir le second tour de l’élection présidentielle. Le 27 mai dernier, en recevant la Palme d’or pour Anatomie d’une chute (la troisième pour une femme, après Jane Campion et Julia Ducournau) des mains de Jane Fonda, Justine Triet a convoqué – cette fois-ci littéralement – la colère

En cause ? La façon dont le gouvernement a « nié et réprimé de façon choquante » la protestation populaire contre la réforme des retraites, « une contestation historique, extrêmement puissante, unanime ». Sans se prononcer sur le fond de cette réforme, Justine Triet a souligné le mépris social et l’indi érence dont, selon elle, la majorité présidentielle a fait preuve. Soulignant que « ce schéma de pouvoir dominateur de plus en plus décomplexé éclate dans plusieurs domaines », Justine Triet a ensuite embrayé sur un second sujet à bien distinguer de celui de la réforme des retraites : le système de financement vertueux du cinéma français, que le monde entier nous envie, et qui est aujourd’hui menacé, selon elle, par une logique de rentabilité. « La marchandisation de la culture que le gouvernement néolibéral défend est en train de casser l’exception culturelle française », a-t-elle exprimé. Ces propos ont immédiatement fait réagir la ministre de la Culture, Rima Abdul Malak sur

Twitter, qui s’est déclarée « estomaquée par [ce] discours si injuste ». « Ce film n’aurait pu voir le jour sans notre modèle français de financement du cinéma, qui permet une diversité unique au monde. Ne l’oublions pas », développe-t-elle sur le réseau social. Contrairement à ce que laisse entendre ce tweet, Justine Triet n’a pas attaqué le mécanisme de subventions publiques. Elle alerte au contraire sur la mise en péril, par une série de réformes en cours, de ces dispositifs d’aide. Elle ne les critique pas, mais déplore leur destruction à petit feu, rappelant au passage qu’elle doit tout à ces structures : « [C’est] cette même exception culturelle sans laquelle je ne serais pas là aujourd’hui. »

LE FINANCEMENT FRANÇAIS DU CINÉMA, ÉTERNEL MÉCONNU

Sur les réseaux sociaux, de nombreux élus accusent Justine Triet d’être « ingrate ». Leur principal argument : le film serait largement financé par des fonds publics, avec l’argent du contribuable. Le maire de Cannes, Da-

vid Lisnard (Les Républicains), s’est ainsi insurgé sur Twitter de ce « discours d’enfant gâtée et si conformiste, en recevant la prestigieuse Palme d’or pour son film subventionné ». Quant au député Renaissance Guillaume Kasbarian, il suggère « d’arrêter de distribuer autant d’aides à ceux qui n’ont aucune conscience de ce qu’ils coûtent aux contribuables ». Seul hic : Anatomie d’une chute, pas plus qu’aucun autre film français, n’est « biberonné » aux aides publiques ni subventionné par les impôts des Français. Ces réactions en chaîne témoignent d’une méconnaissance profonde des apports financiers d’un film, et notamment du rôle du CNC (Centre national du cinéma et de l’image animée), établissement public complètement autonome, créé en 1946, et qui représente aujourd’hui la principale aide nationale. Comment ça marche ? Le CNC n’est pas financé par des impôts, mais par des taxes, dont la plus connue est la taxe dite « spéciale additionnelle ». Il s’agit d’une somme (10,72 % exactement) prélevée sur la vente de chaque ticket de cinéma payé par un spectateur, qui servira plus tard à financer n’importe quel autre film. Traduction : si vous êtes allé voir Avatar. La voie de l’eau de James Cameron, vous avez un peu participé à financer Anatomie d’une chute (bravo à vous). C’est précisément ce système redistributif, ce cercle vertueux, qui permet de financer des films d’auteur grâce au succès des blockbusters, que Justine Triet loue. Le fonds de soutien du CNC est aussi renfloué par les chaînes de télévision privées, l’audiovisuel public, les ventes de vidéos et d’abonnements en ligne, par des sociétés de distribution et de production, mais aussi par des aides publiques de la collectivité locale.

L’EXCEPTION CULTURELLE EN CAUSE

Pourquoi Justine Triet accuse-t-elle le gouvernement de « casser » lentement cette exception culturelle française ? En 2019, une fracture s’amorce lorsque Dominique Boutonnat, futur directeur du CNC, publie un rapport controversé préconisant une augmentation des investissements privés dans le cinéma et accordant davantage d’aides à la production pour les films censés réaliser des performances économiques plus « rentables » au box-o ce. « Il faut accroître la rentabilité des actifs (les œuvres) : la maximisation de la rentabilité des actifs (films, séries…) implique une exploitation complète des œuvres, avec une véritable logique entrepreneuriale », explique ce rapport. Les détracteurs de Dominique Boutonnat y voient une atteinte à la diversité, au

32 no 198 – juin 2023
En reprochant au gouvernement son mercantilisme en matière de politique culturelle et son mépris social vis-à-vis des contestations populaires, la lauréate de la Palme d’or a suscité de vives critiques. Jusqu’à en faire oublier le fond de son discours, profondément tourné vers la jeune génération.
Cinéma > Retour de Cannes
© Christophe Simon / A.F.P.

Remous cannois

CACHEZ CES COLLAGES

Au matin du dimanche 21 mai, on découvre sur les murs de Cannes des collages réalisés pendant la nuit par le collectif Tapis rouge colère noire, qui proteste contre « la complicité du Festival […] envers les agresseur se s et les harceleur se s ». « Patriarcannes », « Votre violence nous Depp »… des messages éloquents qui ne résistent malheureusement pas au Kärcher vite dégainé par la Ville. • T. Z.

PAS LEUR ROI

Le 23 mai, la CGT organise une manif devant la gare de Cannes et coupe le gaz aux abords du Palais, a ectant plusieurs hôtels et restaurants. « La CGT et tous les travailleurs mécontents ne s’opposent pas à la culture, aux loisirs ou au sport au travers de ces actes symboliques décidés collectivement ; ils expriment simplement leur ras-le-bol de ce mauvais scénario que veut nous jouer le roi Macron », précise la CGT dans un communiqué. • T. Z.

renouvellement des auteurs, à l’émergence d’une génération neuve, au pluralisme des formes. Tout ce que défend précisément Justine Triet dans la dernière partie de son discours, largement occultée par les commentateurs, dans laquelle elle plaide pour les plus précaires de l’industrie cinématographique : « Ce prix, je le dédie aux jeunes réalisatrices, aux jeunes réalisateurs, et même à ceux qui aujourd’hui n’arrivent pas à tourner. On se doit de leur faire de la place, cette place que j’ai prise il y a 15 ans dans un monde un peu moins hostile, et qui considérait encore possible de se tromper, et de recommencer. » Invité dans l’émission Quotidien le 29 mai pour la sortie de son nouveau film, L’Île rouge, le cinéaste Robin Campillo a appelé à se pencher minutieusement sur la parole et la pensée de Justine Triet, tournée vers la justice sociale, l’altérité et la protection de ceux qui n’ont pas le privilège d’être « installés » dans le milieu du cinéma : « Si on écoute bien ce que dit Justine, elle ne parle pas complètement d’elle, elle parle des cinéastes à venir. » Le même jour, Pierre Lescure, ancien président du Festival de Cannes, relevait dans l’émission C à vous : « [Justine Triet] avait préparé son texte politique, et c’est bien son droit le plus strict comme pour tout artiste, pour tout citoyen. » Et de rappeler que bien avant la réalisatrice, Bertrand Tavernier, en 1997, défendait l’exception culturelle française sans que personne ne crie à l’ingratitude. Ou que Ken Loach, en 2016, pourfendait le néolibéralisme sans déclencher de tels débats. En somme, que Cannes est et restera, malgré les résistances, un haut lieu de contestation politique.

LIBOR WINKLER DANIEL BERGMANN JAN MENCLIK LÉA ANDRÉ-SARREAU
33 juin 2023 – no 198 Retour de Cannes < Cinéma

CANNES À L’HEURE DOCUMENTAIRE

La saison des grands festivals qui s’achève avec Cannes aura été celle du documentaire. Après les récompenses suprêmes glanées à Venise (Toute la beauté et le sang versé de Laura Poitras) et à Berlin (Sur l’Adamant de Nicolas Philibert), deux docus étaient cette année présentés en Compétition sur la Croisette, en plus des sélections parallèles qui en comptaient également beaucoup. Que retenir de cette réjouissante mise en lumière ?

En janvier dernier, le CNC, la Scam et la Cinémathèque du documentaire lançaient « l’année du documentaire » pour promouvoir ce dernier auprès du grand public. De son côté, le Festival de Cannes a eu aussi la bonne idée de lui o rir une place de choix. En plus de nombreux docus visant à réfléchir sur la place des artistes dans la société et à revenir sur certains pans de l’histoire du cinéma, du passionnant Chambre 999 de Lubna Playoust à Godard par Godard de Florence Platarets, cette 76e édition aura vu la sélection, en Compétition, de Jeunesse (le printemps) et des Filles d’Olfa, vainqueur de l’Œil d’or (qui récompense le meilleur docu cannois). Cela faisait dix-neuf ans qu’aucun documentaire ne s’était frayé un chemin en Compétition. La présence dans cette catégorie du très beau Jeunesse... s’est à ce titre imposée comme une grande avancée, tant le cinéma de Wang Bing y apparaît toujours aussi précis et exigeant, filmant durant trois heures trente-cinq le quotidien de jeunes travailleurs du textile près de Shanghai. Les Filles d’Olfa de Kaouther Ben Hania s’est à l’inverse présenté sous la forme d’un film hybride, à michemin entre le docu et la fiction, avec des séquences de reconstitution dans lesquelles

des actrices interprètent deux jeunes femmes qui ont quitté leur foyer dans des circonstances dramatiques. Retors et composite, le film de Ben Hania documente pourtant bien quelque chose dans ses scènes fictionnelles : ce que la caméra de la cinéaste tunisienne enregistre au gré de la reconstitution réside dans l’émotion troublante des personnages bien réels auxquels est renvoyée, par la présence des actrices, l’absence douloureuse des deux sœurs disparues, dont ne restent au montage qu’une poignée d’archives.

PORTRAITS IMPOSSIBLES

Une partie non négligeable des documentaires sélectionnés cette année à Cannes était ainsi consacrée à l’examen d’une relation mère-fille(s). C’est le cas de La Mère de tous les mensonges d’Asmae El Moudir, présenté à Un certain regard, ou encore de l’hypnotique Machtat de Sonia Ben Slama, projeté à l’ACID. Compatriote de Ben Hania, Ben Slama fait preuve d’une approche plus strictement documentaire, en observant minutieu-

sement (et sans voix o ) le quotidien d’une mère et de ses deux filles travaillant comme chanteuses de mariage dans la petite ville tunisienne de Mahdia. Même schéma, dans un tout autre environnement, avec Little Girl Blue de Mona Achache, projeté en Séance spéciale. Dans ce film déroutant qui croise archives et reconstitutions, la cinéaste raconte l’histoire de sa propre mère, l’écrivaine Carole Achache, interprétée par Marion Cotillard. Émaillé d’épisodes traumatiques, le récit, narré à la première personne, évoque de nombreux pans de sa vie sans pour autant clarifier l’ensemble de ses états d’âme et de ses choix. C’est ce qui ressort le plus de ces documentaires en forme de portraits heurtés voire impossibles : filmer une personne réelle de toutes les manières envisageables revient à accepter que celle-ci nous oppose, in fine, une implacable résistance. Qu’elle soit présente (Machtat), absente (Les Filles d’Olfa) ou défunte (Little Girl Blue), la figure documentaire trace elle-même sa propre trajectoire. Au documentariste de tenter, dans le meilleur des cas, de trouver les moyens de s’en approcher. En témoignent deux autres portraits projetés en Séance spéciale : Anselm et Man in Black. Dans le premier, Wim Wenders filme

34 no 198 – juin 2023 Cinéma > Retour de Cannes
© D. R. Jeunesse
©
House
Fire – Gladys
Production Little Girl Blue de
Achache © D. R. La Mère de tous les mensonges d’Asmae El Moudir © D. R. 1 1 3 2 4 1 2 3 4
Machtat de Sonia Ben
Slama
(le printemps) de Wang Bing
2023
on
Glover
CS
Mona

le métier du célèbre plasticien allemand Anselm Kiefer en 3D, télescopant son travail manuel avec des images de sa jeunesse et des illustrations évoquant ses inspirations. Dans le second, Wang Bing filme Wang Xilin, un compositeur chinois exilé en Europe, nu dans le Théâtre des Bou es-du-Nord comme s’il avait déjà un pied dans la tombe. Dans les deux cas, il s’agit d’échafauder des dispositifs sur mesure, dans la tradition du documentaire de création ou d’installation. La 3D permet par exemple à Wenders de capturer le travail artistique dans ce qu’il a de dynamique et de volumétrique (textures, reliefs, matières diverses, etc.), tandis que l’épuration du cadre et du théâtre dans lequel Wang Bing filme le compositeur revient à figurer sa solitude, son isolement et son invisibilisation.

ESPACES EN CRISE

Mettre en lumière ce qui n’est habituellement pas sous le feu des projecteurs reste l’un des objectifs premiers du documentaire. Il en va ainsi pour Bread and Roses de Sahra Mani, en Séance spéciale. Le film débute sur la prise de Kaboul par les talibans durant l’été 2021 et suit le quotidien de trois féministes luttant pour le retour de leurs droits. Bread and Roses est à la fois le portrait de ces militantes et le portrait d’une ville, ici parcourue par l’entremise de caméras mobiles et de téléphones portables. La souplesse de la démarche documentaire s’y révèle de la plus belle des façons : au contraire de la fiction, ce cinéma s’adapte à toutes les situations, pour saisir le réel quand bien même son enregistrement serait précaire, entravé, voire dangereux. Dans cette optique, un autre documentaire, réalisé lui aussi dans un pays en guerre, était cette année présenté à l’ACID : dans In the Reaview de Maciek Hamela, une caméra est fixée à l’avant d’un van polonais sillonnant l’Ukraine pour évacuer des civils par petits groupes. Les mêmes scènes de désespoir (et d’espoir) se répètent ainsi dans le cadre familier de l’habitacle d’une voiture menacée par les combats qui font rage non loin. Plutôt qu’à un pays entier, Steve McQueen a quant à lui consacré un imposant docu (quatre heures) à sa ville, Amsterdam, au temps de l’occupation nazie. Avec Occupied City, présenté en Séance spéciale, le cinéaste britannique a mis de côté la fiction (Shame, 12 Years a Slave) pour dresser des parallèles entre la lecture d’un ouvrage consacré aux juifs déportés depuis la capitale néerlandaise et les images filmées aujourd’hui dans les rues d’Amsterdam, dont certaines, fantomatiques, prises durant la crise du Covid-19. Que ce soit dans Bread and Roses (prise de pouvoir des talibans), dans In the Rearview (guerre en Ukraine) ou dans Occupied City (crise du Covid-19), le documentaire s’est a rmé comme une forme cinématographique particulièrement adaptée pour représenter à l’écran une crise d’ampleur. D’où peut-être sa présence importante cette année à Cannes : lorsque la fiction est empêchée, réduite au silence par le tumulte d’un monde sous tension, le documentaire prend le relais.

CORENTIN LÊ

35 juin 2023 – no 198 Retour de Cannes < Cinéma

UNE JOURNÉE AVEC… IRIS KALTENBÄCK

9 H 30

On était sur le pied de guerre, en surplomb de la plage Nespresso – l’une des plages qui accueillent pendant le Festival les équipes de films et la presse –, quand on a vu la cinéaste descendre d’une belle voiture noire, en tenue chic, satinée. Pas le temps de niaiser : en un peu plus d’une heure, elle doit enchaîner interviews filmées et séances photo, dans une ambiance à la fois bon enfant (car qui dit ciel pluvieux, dit photographes heureux) et électrique, entre flashs qui crépitent dans tous les sens et questions de journalistes qui fusent. « J’ai plutôt l’habitude d’être derrière la caméra, donc pas facile de se retrouver tout à coup devant. En même temps, ce qui est intéressant, c’est que j’apprends vachement de choses du métier de comédien, de l’exposition que c’est, de la fragilité dans laquelle ça met », nous confie-t-elle entre deux shootings. Déjà en retard sur le programme, Iris Kaltenbäck et sa productrice Alice Bloch partent en courant – la pluie éclaboussant bien fort leurs chaussures et le bas de leurs pantalons – vers le Miramar, l’espace dédié à la projection des films de la Semaine, pour les derniers tests techniques qui précédent la première projection du Ravissement.

Une première fois à Cannes, ça ressemble à quoi ? Pour le savoir, on a suivi Iris Kaltenbäck le jour de la présentation de son beau premier long métrage

Le Ravissement à la Semaine de la critique (le film a reçu le prix SACD à l’issue de la compétition). Derrière la vitrine, le luxe majestueux, on a découvert que Cannes, ça pouvait aussi être des sprints sous une pluie qui éclabousse les vêtements chics. Récit, heure par heure, d’une journée cannoise fatidique.

10 H 45

Elles se faufilent à leurs places dans le noir. Nous, on est juste derrière un des membres de l’équipe, qui glisse que « c’est pas si dégueulasse » : un euphémisme, car tout le monde semble plutôt rassuré du résultat sur grand écran. Dans la salle se trouvent notamment le monteur, la chef opératrice, tous ces membres de l’équipe qui portent aussi le film, mais

dans l’ombre. Ici, dans ce cocon, chacun a son mot à dire. « C’est un moment très angoissant, parce qu’on a toujours le fantasme que le DCP [le Digital Cinema Package, soit le support de projection numérique qui remplace la bobine de pellicule dans les salles équipées pour le numérique, ndlr] ne marche pas – ça, c’est l’angoisse suprême. Et en même temps c’est un moment génial de communion, et c’est aussi le calme avant la tempête », résume Alice Bloch.

12 H-16 H

On s’éclipse un moment (avec notre trépied, on est un peu envahissants), avant de revenir pour saisir l’ambiance après les premiers retours de la presse – très bons. On retrouve donc ce beau monde sur un toit-terrasse. Toute l’équipe est dispatchée – dans un coin, Hafsia Herzi et Alexis Manenti, les acteurs, rigolent ; dans un autre, Iris s’entretient avec une journaliste sur un canapé. Comme dans une bulle, avec vue sur mer. Autour de la table du déjeuner, on voit Alice Bloch. « Je regarde mon téléphone toutes les deux minutes pour voir ce qui tombe, ce qui ne tombe pas. » Elle suit la situation de très près, un peu comme si elle était une conseillère politique qui actualisait les résultats d’une élection dans un QG. On a demandé à Iris Kaltenbäck – sa candidate – comment elle percevait les premiers retours de la presse : « C’est passionnant de voir comment le regard du ou de la journaliste teinte complètement le film. » « Parfois, il y a des choses qu’on n’a pas nous-mêmes vues », renchérit Alice Bloch, qui vit ce moment comme un « jeu ». Un jeu qui dure donc près de quatre heures, après quoi l’équipe doit très brièvement passer à l’hôtel pour un changement/rafraîchissement rapide, avant de se rediriger vers le Miramar.

11 H 30

La tempête est attendue avec la toute première projection du film, au même Espace Miramar. Mais le ciel s’éclaircit très vite quand la cinéaste voit la salle se remplir complètement. Elle confesse, émue : « Je lâche mon film, qui ne m’appartient plus. » Avant une nouvelle salve d’interviews, l’heure du déjeuner et des premiers débriefs arrive.

16 H 40

Après un bref rendez-vous avec Ava Cahen, la déléguée générale de la Semaine de la critique, à l’Espace Miramar, la cinéaste se prête à nouveau au jeu du shooting photo et des « photocalls » – ces séances qui réunissent des membres de l’équipe dans un décor. Comme depuis le matin, Iris Kaltenbäck la joue naturel – elle ne s’est d’ailleurs pas changée, là où des vedettes aguerries du tapis rouge auraient probablement a ché trois ou quatre di érents outfits au fil de la journée. L’heure fatidique approche : celle de la projection dite « o cielle » (qui, contrairement à celle du matin, réunit non seulement la presse mais aussi les partenaires, les proches, le marché du film).

36
no 198 – juin 2023 Cinéma > Retour de Cannes
Photographie : Julien liénard pour TROISCOULEURS

17 H-18 H 37

Salle comble, encore, pour cette deuxième projection. Cette fois, Iris et son équipe restent sur place pour voir le film – ils occupent tout un rang. Pendant ce temps (on a déjà vu le film), on s’est baladés, et on a découvert l’existence d’une salle mitoyenne dans laquelle se cachent les attachés de presse (qui font de la veille, toujours au taquet). Deux secondes avant le générique de fin, on franchit la porte secrète qui mène vers la salle. Au centre du rang, la cinéaste, très émue, est applaudie avec beaucoup d’engouement (et pendant un assez long moment) par les spectateurs. Pas de pleurs, mais beaucoup de câlins entre elle et son équipe. Beaucoup de soulagement aussi, on le sent. À la sortie, ça grouille encore de gens, mais tout le monde paraît beaucoup plus serein, car ils vivent pour la première fois un moment de partage, de connexion directe avec les spectateurs, sans intermédiaire. « C’est assez amusant de découvrir un lieu en vrai, alors qu’on l’a vu plein de fois à la télé. D’un coup, c’est complètement autre chose dans le réel. Et, en même temps, c’est ça qui est bien. Ça permet aussi de désacraliser les choses et de savoir où est l’essentiel », nous confie la cinéaste. Dans la foulée, la Semaine de la critique organise une soirée dans un gymnase, avec un décor de bal de promo et une ambiance très teen movie. Un retour à l’insouciance – comme un ravissement au réel – plus que bienvenu pour relâcher la pression de cette intense première fois.

37 juin 2023 – no 198
Retour de Cannes < Cinéma
JOSÉPHINE LEROY

CROISÉS SUR LA CROISETTE

À chaque retour de Cannes, notre photographe, Julien Liénard, nous envoie ses images comme un journal de bord, entre instantanés d’anonymes aux looks fous sur la Croisette, photos du quotidien plus terre à terre du Festival, clichés de jeunes pousses ou encore de stars forcément épuisées par le rythme, qu’il sait toujours sublimer. Voici sa récolte annuelle, aussi glam qu’espiègle, avec Todd Haynes, Vimala Pons ou Hafsia Herzi pris entre deux feux.

1

Nahuel Pérez Biscayart, acteur dans La Fille de son père d’Erwan Le Duc (Semaine de la critique)

Une jeune personne bondissant sur une plage

Heloisa Pires, actrice dans Levante de Lillah Halla (Semaine de la critique)

Un vendeur de kiosque palmé

5

Vimala Pons, actrice dans Vincent doit mourir de Stephan Castang (Semaine de la critique)

Todd Haynes, réalisateur de May December (Compétition officielle)

Christa Théret, actrice dans Conann de Bertrand Mandico (Quinzaine des cinéastes)

Monia Chokri, réalisatrice de Simple comme Sylvain (Un certain regard)

Cannois tapant le carton

Isabella Rossellini, actrice dans La Chimère d’Alice Rohrwacher (Compétition officielle)

La Méditerranée, toujours au rendezvous

Alice Rohrwacher, réalisatrice de La Chimère (Compétition officielle)

Hafsia Herzi, actrice dans Le Ravissement d’Iris Kaltenbäck (Semaine de la critique)

Cinéphile bien mis en quête de film

Karim Leklou, acteur dans Vincent doit mourir de Stephan Castang (Semaine de la critique)

38 no 198 – juin 2023 Cinéma > Retour de Cannes
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Photographies : Julien Liénard pour TROISCOULEURS QUENTIN
GROSSET

Sortie le 9 juin

juin 2023 – no 198 Retour de Cannes < Cinéma
KING•KRULE 5 39
40 no 198 – juin 2023 6 7 11 10 9 8 Cinéma > Retour de Cannes

WELFARE

UN FILM DE FREDERICK WISEMAN

LE 5 JUILLET AU CINÉMA

UNE PLONGÉE AU CŒUR DU SYSTÈME SOCIAL AMÉRICAIN

UN CHEF-D’ŒUVRE EN COPIE RESTAURÉE 4K

Retour de Cannes < Cinéma juin 2023 – no 198 41
42 no 198 – juin 2023 12 14 15 13 Cinéma > Retour de Cannes

CHAVIRER

IRA SACHS

Que ce soit dans Keep the Lights On (2012) ou Love Is Strange (2014), le cinéaste américain Ira Sachs sait filmer l’amour au long cours, qui tout à coup chavire, se transforme, prend des directions inattendues. Dans le sublime Passages, présenté à la dernière Berlinale, il suit, à Paris, un couple d’hommes artistes ensemble depuis quinze ans (joué par Franz Rogowski et Ben Whishaw), dont l’un s’éprend d’une

femme (Adèle Exarchopoulos). Le cinéaste nous parle des points de bascule, de ces instants fugaces et parfois irréversibles qu’il approche de manière infiniment sensible.

La façon dont le film parle d’amour est assez lumineuse, sensuelle, fluide. D’où vous vient cette inclination ?

Pour moi, la pandémie a été assez dure à gérer émotionnellement. C’était comme la mort.

C’est ce que j’ai ressenti. Ce film, ça a été une forme de renaissance. Il m’a permis de sortir de l’obscurité, de l’enfermement. Je me suis senti très libre en le réalisant. C’était comme si je n’avais rien à perdre, que je pouvais le faire comme je voulais.

Comment avez-vous découvert Franz Rogowski, qui irradie dans le rôle de Tomas, ce cinéaste flottant sentimentalement

entre son compagnon, Martin, et Agathe, une institutrice ?

Je l’ai vu pour la première fois dans Happy End de Michael Haneke – il est incroyable dans une scène où, dans un karaoké, il danse sur « Chandelier » de Sia. Il y joue le

phique qui m’a semblé unique, puissante, sexy, drôle… nouvelle.

En quel sens ?

J’ai coécrit le scénario avec Mauricio Zacharias en pensant à Franz. Il aurait pu refu-

fils d’Isabelle Huppert [Ira Sachs avait fait tourner l’actrice dans Frankie, ndlr] et ils sont tous les deux à leur meilleur. Quand je l’ai vu et que j’ai quitté la salle, j’étais réellement excité. Il avait une présence cinématogra -

ser le film, mais en tout cas j’ai pensé à lui pour imaginer ce personnage. L’expérience de tourner ensemble a débouché sur une véritable relation d’artistes et d’amis. Il est perspicace, tout sauf académique. Il a des

44 no 198 – juin 2023 Cinéma > Entretien
1
« Tous mes films sont des confrontations avec moi-même. »

observations vraiment étonnantes, et nous n’étions pas toujours d’accord. Sa combativité fait partie de son plaisir d’acteur. Pour moi, le fait de s’engager solidement avec quelqu’un implique des disputes. C’est une preuve de confiance, de liens enracinés.

La masculinité qu’il incarne vous semblet-elle porter une forme de modernité ?

Franz porte surtout une masculinité qui m’attire ! L’attraction, c’est très important pour un réalisateur, car son œil devient celui du public. Dans un film important pour moi, L’Innocent de Luchino Visconti, son dernier long métrage [qu’il réalisa en 1976, en chaise roulante à la suite d’une attaque cérébrale, ndlr], on sent que son œil est plein de désir, de convoitise pour l’un des trois acteurs principaux. Et moi j’étais autant attiré par Franz que par Adèle Exarchopoulos et Ben Whishaw. Je les ai désirés.

Franz Rogowski est à l’origine danseur, et on sent un vrai plaisir chorégraphique dans votre mise en scène. Les séquences où il

apparaît le plus sensuel sont les scènes de danse et les séquences de sexe. Vous les avez approchées de la même manière ?

Franz est danseur, mais c’est aussi un acrobate et un casse-cou. Et d’ailleurs, plus que comme un danseur, il se voit comme une sculpture. Son corps est un moyen de transmettre du sens, de l’émotion, de la détermination. J’ai donc souvent pensé à lui comme à une figure dans l’espace. Par exemple, où pouvais-je le placer pour qu’il puisse transmettre tel sentiment ? Ça a été déterminant dans la scène finale, dans le couloir de l’école [dans cette scène, Tomas tente de reconquérir Agathe, ndlr]. Comprendre où serait situé son corps, c’était l’essentiel de nos discussions. Je ne fais pas répéter mes acteurs avant de tourner, en revanche on parle beaucoup de l’action et du mouvement. On chorégraphie la relation des acteurs avec la caméra. Franz est une personne réfléchie, attentive, sensible. Ce n’est pas un bulldozer. Il ressemble à son personnage dans sa volonté de prendre des risques sur le plan émotionnel.

Et, comme lui, il est à l’aise avec son corps et la sexualité.

Quelles questions vous êtes-vous posées pour figurer l’intensité de l’attirance entre Tomas et Agathe – particulièrement dans cette scène de leur première rencontre ?

J’ai essayé de comprendre comment leur positionnement dans le plan permettrait de communiquer leur désir à l’image. Pour une grande partie de cette scène dans la cuisine, tout repose sur la performance des acteurs, mais aussi sur leur immobilité. Aussi, l’une des choses à laquelle je pensais, c’est qu’en ne lui montrant pas tout vous attirez le spectateur, qui est intrigué. D’une certaine manière, en l’excluant, vous l’invitez à participer.

Que vouliez-vous personnellement explorer à travers les hésitations de Tomas ?

Tous mes films sont des questions, des confrontations avec moi-même. Les actions de Tomas ne sont pas les miennes, mais je comprends ce que ça peut être, d’être guidé par son désir avant tout. À certains égards,

la pandémie a été un frein pour ça. J’étais curieux de voir les conséquences dans la vie d’un homme qui pense qu’il peut tout avoir.

On voit surtout vos personnages vivre leurs relations – on voit peu les moments où ils les intellectualisent, tentent de les formuler, de les cadrer.

Pour moi, le film est comme une série d’entredeux : je suis des gens qui sont au milieu d’étapes de leur vie. Le cinéma a ce pouvoir de capter l’entre-deux. Dans l’histoire, il n’y a ni commencement ni fin. C’est ce que j’apprécie dans la littérature, le sentiment d’être à l’intérieur d’un paragraphe, d’une phrase. Il y a là toujours la possibilité de l’inattendu.

Dans la première séquence du film, pendant un tournage, Tomas, qui est cinéaste, bouscule l’un de ses acteurs, parce qu’il veut capter chez lui un moment de bascule, de transition. C’est aussi ce que vous vouliez saisir dans votre propre film ?

J’étais curieux de voir comment la vie pouvait changer en un instant, à quel point le désir

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n’était jamais figé. Votre identité peut soudain se transformer, et cela peut vous amener à rejeter quelqu’un.

Pour autant, votre mise en scène n’accable jamais le personnage de Tomas – ni d’ailleurs aucun des personnages principaux. Pour tous on ressent une forte empathie, une compréhension.

Je pense que cela vient du fait que le film n’est pas répété. Les acteurs se vivent dans l’instant, sans construction. Je considère qu’il s’agit d’une forme d’improvisation émotionnelle. C’est ce que j’ai voulu avec ce film. J’ai senti qu’on m’avait volé certaines choses ces dernières années, parmi lesquelles le fait de pouvoir être intime avec des acteurs. Mais je me suis aussi senti privé de ce cinéma de l’intime, qui me paraît de plus en plus précieux.

Tomas est réalisateur mais, à part au début, on le voit très peu tourner. Pourquoi ? Mon producteur, Saïd Ben Saïd, m’a fait remarquer que, chez Éric Rohmer, on voit très peu les gens travailler – on les voit à peine dans leurs bureaux. Vous savez qu’ils ont des emplois, mais ceux-ci ne sont pas au centre de l’histoire. Ici, le héros est en plein tournage, mais c’est pareil, je m’intéresse plus à ses relations en dehors.

Pourtant, si l’on prête attention à leurs discussions, la relation à l’art semble centrale dans la vie de tous vos personnages. C’est parce que c’est le monde que je connais. Je me sens à l’aise, familier avec le milieu des artistes. Plus que l’art en soi, ce qui m’intéressait avec ce film, c’était comment l’art et la culture sont a aires de pouvoir. En tournant, j’ai beaucoup pensé à ce film de Rainer Werner Fassbinder, Le Droit du plus fort [dans lequel un jeune gay d’un milieu modeste a une relation avec un bourgeois vénal, ndlr]. À la manière dont il intrique masculinité et pouvoir, hiérarchie. Je me posais la question : que deviennent ces deux hommes gay, blancs et riches, lorsque l’un des deux devient intime avec une femme ? Comment ils continuent malgré tout à exercer une forme de domination masculine ?

Pour vous, le patriarcat a un grand poids dans cette relation ?

Bien sûr. C’est aussi un film sur le pouvoir autour du désir et de la connaissance de soi. Agathe fait elle aussi des choix. Je n’essaye pas de simplifier les relations entre les hommes et les femmes, mais je tente de les analyser. Au même titre que le désir et l’identité ne sont jamais figés, le pouvoir ne l’est pas non plus. C’est d’ailleurs pour ça

que le film communique ce sentiment du danger et du possible.

Vous parliez de votre approche intime avec les acteurs. Vous passez beaucoup de temps avec eux avant de tourner ? Je le fais souvent, mais individuellement. D’abord, pour devenir plus proche. Mais aussi parce que je ne veux pas être au milieu d’une conversation entre deux acteurs. Franz et Ben pourraient vous le dire : la première fois où nous nous sommes rencontrés tous les trois, je les ai quittés au bout de cinq minutes. Je ne voulais pas faire partie de leur relation. Une fois qu’une conversation s’engage entre un cinéaste et plusieurs acteurs, le réalisateur fait partie de leurs discussions. Je n’avais pas envie de ça, comme je n’ai pas envie qu’ils évoquent entre eux ce que je leur dis quand je suis seul avec eux. Je suppose que moins je suis dans leur tête au moment de tourner, mieux c’est.

Si les trois héros sont si sexy et magnétiques, c’est aussi grâce à leur garde-robe, particulièrement stylée. Comment avez-vous pensé cet aspect mode ?

J’ai travaillé avec Khadija Zeggaï, une chef-costumière fantastique. On s’est demandé s’il fallait qu’on privilégie plutôt le

réalisme ou si on allait pencher pour un résultat plus cinématographique. On a tranché pour le cinématographique – c’est-à-dire un film avec de la couleur, du glamour, et du sexe. On a voulu accentuer l’irréalité des trois acteurs. On a choisi des vêtements qui pourraient avoir l’air bizarres, mais ces acteurs les ont fait paraître très réalistes. Le look est rehaussé, les corps sont rehaussés, les couleurs sont rehaussées, les formes sont rehaussées. Comme dans votre film Frankie, sorti en 2019, où vous filmiez des Français au Portugal, vous filmez Tomas, qui est allemand, dans un pays où il n’est pas né, la France. Vous-même américain, vous tournez à Paris. Qu’est-ce qui vous intéresse dans cette délocalisation ? Je vis dans un monde où il y a un mélange d’horizons et de géographies. Mon mari est équatorien, mon scénariste est brésilien, mon producteur est tunisien, mon monteur est français, mes enfants sont bilingues. Et Paris est une ville dans laquelle j’ai passé beaucoup de temps au cours des trente dernières années, j’y ai beaucoup d’amis. Je m’y sens bien, et j’y ai appris à aimer le cinéma. J’ai réalisé un film intitulé Forty Shades of Blue [en 2005, ndlr] dans lequel une femme russe vivait à Memphis. Ce déplacement

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« Le film parle du pouvoir autour du désir et de la connaissance de soi. »
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Franz Rogowski et Ben Wishaw Adèle Exarchopoulos et Franz Rogowski
Ben
Wishaw et Franz Rogowski Franz Rogowski et Adèle Exarchopoulos

était alors central dans la vie du personnage. Mais, dans Passages, ça me semble moins important.

Dans le film, la temporalité est brouillée, parfois le temps semble s’arrêter – comme lorsque Agathe chante « Le Temps des cerises » à Tomas. Qu’est-ce qui se joue dans cette scène ?

C’est le point culminant du romantisme dans le film. Cette scène entre eux deux, c’est comme la romance perdue que le reste du film recherche.

Je sais que vous êtes très fan d’Éric Rohmer. Son film Les Nuits de la pleine lune (1984) commence par ce proverbe : « […] qui a deux maisons perd sa raison. » Cette maxime pourrait s’appliquer aussi à Passages, mais vous l’explorez dans une direction moins moraliste, non ?

Je n’ai pas vu ce film ! J’ai encore des films de lui à découvrir. Pour moi, Éric Rohmer et Nestor Almendros [son chef-opérateur sur Ma Nuit chez Maud ou Le Genou de Claire, ndlr] sont des artistes horny [très chauds, ndlr], et c’est une chose à laquelle

je m’accroche en vieillissant : je pense que c’est bien. Rohmer aime le corps, il aime la peau. Je pense que ça fait partie du plaisir du cinéma de ressentir le désir derrière la caméra.

Passages d’Ira Sachs, Paname (1 h 31), sortie le 28 juin

PROPOS RECUEILLIS PAR QUENTIN GROSSET

Critique PASSAGES DU DÉSIR

On s’attendait à aimer le nouveau film d’Ira Sachs, songeant aux délicieux souvenirs que nous avaient laissés Keep the Lights On (2012) et Love Is Strange (2014), mais pas à être touchés à ce point. Avec une grâce tranquille, Passages revivifie deux marronniers du cinéma : le Paris des appartements bourgeois et la triangulation amoureuse.

À la soirée de fin de tournage du film qu’il dirige, dans son t-shirt filet noir sexy, Tomas (irrésistible Franz Rogowski) butine tout naturellement entre Martin (Ben Whishaw), son mari, et Agathe (Adèle Exarchopoulos), une institutrice

qui fait la fête dans la même boîte. Tomas n’a peut-être jamais été avec une femme, mais, avec elle, c’est l’évidence. Le feu. L’irrépressible attraction. Après avoir passé la nuit avec elle, il en parlera tout de go à Martin en rentrant dans le bel appartement parisien qu’ils occupent depuis quelques années – le premier est allemand, l’autre britannique. Heurté, jaloux, le doux et réservé Martin accepte malgré tout la nouvelle en l’espace de quelques minutes. De leurs discussions sur les termes de leur relation, avant ou après ce premier épisode avec Agathe, on ne saura jamais rien. Et c’est une des magnifiques idées d’Ira Sachs que de nous laisser découvrir ses personnages au fil de leurs actions plutôt que de leurs réflexions, raccord avec la personnalité impulsive de Tomas. Rien ne l’agace plus que la cérébralisation des plaisirs de la vie : dans la scène d’ouverture, il s’énerve contre un comédien qui n’arrive pas à descendre de façon naturelle, devant la caméra, des escaliers menant vers le bar préféré du personnage qu’il incarne. Parcourant Paris à fond la caisse à vélo dans

ses petits crop-tops et son manteau en fourrure de mouton, Tomas navigue ainsi entre Martin et Agathe sans se justifier, aspiré par l’excitation de la nouveauté avec l’institutrice, que viennent ballotter le confort et la plénitude de sa relation avec son partenaire de longue date. Les di érentes possibilités de configurations se dessinent, se multiplient ou se divisent en fonction du temps qui passe et des rencontres ; l’amour et la tendresse demeurent. Si Ira Sachs parvient à nous emporter d’un seul tenant dans son triangle amoureux, c’est à la fois grâce à ses acteurs déments mais aussi à son regard si particulier. Durant les irradiantes scènes de sexe, la caméra accompagne et caresse les corps, redoublant l’intensité et l’intimité entre chaque duo, pour mieux nous faire comprendre cette idée si simple et si belle : tout entre eux se passe au-delà des mots et des définitions. Dans les silences, les passages secrets, les interstices du désir et les mystères de l’orientation sexuelle, que l’on n’aura sans doute jamais fini d’explorer. • TIMÉ ZOPPÉ

47 juin 2023 – no 198
Voyage vers l’intérieur 31 mars – 16 juillet 2023
Anna-Eva Bergman
conseillée sur mam.paris.fr Entretien < Cinéma
Anna-Eva Bergman N°45-1971 Crête de montagne 1971 Acrylique, modeling paste et feuille de métal sur toile 200 x 150 cm Musée d’Art Moderne de Paris © Anna-Eva Bergman / Adagp, Paris, 2023. Photographie © Laurent Chapellon — Key Graphic
#expoBergman Réservation
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DANS LE DÉCOR

Comme en réaction à l’univers urbain foisonnant de son précédent film, The French Dispatch, Wes Anderson plante son nouveau terrain de jeu dans les plaines désertiques du sud-ouest des États-Unis avec Asteroid City. Dans une minuscule ville fictive située aux abords d’un cratère de météorite se croise une foultitude de personnages hétéroclites. Ils seront amenés à faire une rencontre historique, rapportée et commentée, en parallèle, dans les coulisses d’un théâtre. Ces environnements, comme cette narration à double niveau, permettent à Anderson d’assumer plus que jamais le caractère pastiche et suranné de ses films : bidouillant les perspectives, exacerbant les contrastes, son nouveau livre d’images n’aurait pu voir le jour sans les talents de deux membres clés de sa famille de techniciens. L’Allemand Simon Weisse, en charge des miniatures, est un fidèle d’Anderson depuis The Grand Budapest Hotel. Le Français Stéphane Cressend fut, une nouvelle fois après The French Dispatch, chargé de la construction de tous les décors. Tous deux nous racontent la création de l’univers d’Asteroid City, entre minutie obsessionnelle et chantiers cyclopéens.

Tableaux

Stéphane Cressend : « Au début de notre travail sur Asteroid City, Wes Anderson nous a fourni un story-board animé, une sorte de BD qui s’apparente à du Sempé avec une touche plus punk. Ce document définit chaque plan du film. On a même la focale qui sera utilisée au tournage ! À partir de cet élément, l’équipe de décoration conçoit des peintures d’ambiance, puis des dessins techniques, qui me permettent de construire les décors, comme cet intérieur que j’apprécie particulièrement, avec ses tons très pastel. Et puis on y décèle bien le caractère obsessionnel de Wes, car les trois tableaux que l’on voit dans cette photo étaient déjà présents, quasi tels quels, sur son story-board animé ! »

Le motel

S. C. : « Les extérieurs du film ont été tournés à Chinchón, une ville située au sud de Madrid, où Orson Welles avait tourné deux films. Nous avons dû aplanir le terrain, ajouter la route et les éléments de décors, dont une centaine de faux cactus. Nous avons également recouvert les cinq hectares de ce plateau à ciel ouvert d’un sable soigneusement échantillonné. Tout autour du décor, nous avons construit deux kilomètres de palissade : c’était un plan incliné de deux à

trois mètres de haut, recouvert de toile de jute sur laquelle nous avons projeté de la matière sableuse. La palissade permettait de simuler une ligne d’horizon au-dessus de laquelle nous placions nos énormes fausses formations rocheuses. »

Simon Weisse : « En plus de concevoir toutes les maquettes, mon équipe a construit plusieurs accessoires pour Asteroid City, comme ces distributeurs automatiques que l’on voit aux abords du motel. »

Le train

S. W. : « Je n’aime pas beaucoup les trains miniatures. Ça me rappelle les jouets prisés par les modélistes amateurs. Sauf que ce train, que retouche ici ma précieuse collaboratrice Susanna Jerger, est di érent de ce que l’on voit habituellement : Wes et son chef décorateur, Adam Stockhausen, nous ont demandé de travailler spécifiquement à partir d’un train miniature américain. Ce sont de vrais petits véhicules à l’échelle 1/8 e. Un train “miniature” de ce genre a donc été acheté aux États-Unis – ils sont introuvables en Europe – et nous avons tout refait, de la carcasse au moteur. Nous avons également créé tout ce que les wagons transportent : les voitures mais aussi les avocats qu’il a fallu sculpter, tirer en résine puis peindre un à un. Pour ajouter des détails sur ce type de maquette, il nous arrive d’utiliser des pièces de maquettes du commerce, en particulier de tanks. »

Rochers

S. C. : « Une partie du générique d’ouverture a été filmée dans le décor principal du film. C’est donc mon équipe qui a conçu les formations rocheuses que vous voyez ici. Pour fabriquer ces sortes de caricature de Monument Valley, nous avons fait des maquettes en pâte à modeler. Une fois validées, les maquettes ont été scannées, puis découpées dans de gros blocs de polystyrène à l’aide d’une fraiseuse pilotée par ordinateur. Chaque bloc ainsi obtenu a été fixé sur des structures en acier et une équipe de vingt sculpteurs a ensuite ajouté des détails. Certains rochers étaient énormes, et le vent pouvait atteindre 100 km/h sur la plaine où nous tournions. Il fallait donc solidement arrimer les rochers au sol pour éviter qu’ils ne soient emportés. »

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La ville

S. W. : « Cette petite ville, sur laquelle travaille ma fille, Lucy Weisse, est un décor miniature un peu atypique pour nous, puisqu’il est assumé dans le film comme factice. Comme toujours avec Wes, nous partons de dessins très détaillés. Or, pour valider notre travail, Wes ne veut voir des photos de nos maquettes que dans le cadre et la perspective définis en amont.

Pour nous assurer que nous respectons sa vision, nous filmons les premières études de nos décors miniatures en les superposant avec le dessin qu’il nous a fourni. Peindre une maquette telle que celle-ci est un défi en soi : il est très di cile d’obtenir les détails adéquats à cette échelle, il faut être très fin. Peu de gens ont ce savoir-faire. »

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Perspective forcée

S. C. : « Nous avons utilisé plusieurs fois la perspective forcée dans Asteroid City, une technique très compliquée à maîtriser. Comme on peut le voir sur cette photo, l’échelle rapetisse à mesure que les éléments s’éloignent de la caméra. En l’occurrence, les balcons à l’avant-plan sont grandeur nature, mais les façades d’immeubles sont miniaturisées. La perspective forcée

ajoute de la profondeur au décor. Sur n’importe quel autre film, nous placerions un fond vert sur lequel serait incrusté en postproduction le panorama adéquat. Évidemment, ça ne correspondrait pas au style de Wes. Et d’ailleurs, la perspective forcée ne peut fonctionner qu’avec quelqu’un comme lui, qui n’aborde ses décors qu’en fonction du plan qu’il a en tête. »

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Portfolio <----- Cinéma JULIEN DUPUY KIDAM ET ARIZONA DISTRIBUTION PÉSENTE OCÉAN SALOMON DIALLO SOPHIE-MARIE LARROUY ANNABELLE LENGRONNE KIDAM PRÉSENTE EN COPRODUCTION AVEC MICRO CLIMAT ET SAME PLAYER AVEC LE SOUTIEN DU CENTRE NATIONAL DU CINÉMA ET DE L’IMAGE ANIMÉE DE LA RÉGION NOUVELLE AQUITAINE DE LA PROCIREP ET DE L’ANGOA AVEC LA PARTICIPATION D’ARIZONA DISTRIBUTION EN ASSOCIATION AVEC BEST FRIEND FOREVER ET CINEVENTURE 7 LAURÉAT DE LA MENTION SPÉCIALE DES PRIX DU SCÉNARIO DÉVELOPPÉ AVEC LE SOUTIEN DE LA RÉGION GRAND EST UN FILM ÉCRIT ET RÉALISÉ PAR ANGELA OTTOBAH PRODUIT PAR ALEXANDRE PERRIER ET FRANÇOIS-PIERRE CLAVEL AVEC FINNEGAN OLDFIELD ET ALINE HÉLAN BOUDON OCÉAN SALOMON DIALLO SOPHIE-MARIE LARROUY ET ANNABELLE LENGRONNE IMAGE LUCIE BAUDINAUD SON FRÉDÉRIC DABO DÉCORS YASMINA CHAVANNE COSTUMES RACHÈLE RAOULT DIRECTION DE PRODUCTION CÉCILIA ROSE MONTAGE AEL DALLIER VEGA AVEC RAPHAËLLE MARTIN HOLGER MONTAGE SON JOSEFINA RODRIGUEZ ET CLÉMENT CHAUVELLE MIXAGE MATHIEU FARNARIER ÉTALONNAGE CHARLES FRÉVILLE ET JULIAN NOUVEAU POSTPRODUCTION FRANÇOIS NABOS ET MICRO CLIMAT FINNEGAN OLDFIELD ALINE HELAN BOUDON MUSIQUE ORIGINALE REBEKA WARRIOR EN SALLE LE 19 JUILLET ANGELA OTTOBAH Asteroid City de Wes Anderson, Universal Pictures (1 h 45), sortie le 21 juin 51 juin 2023 – no 198

LE GUIDE DES SORTIES CINÉMA PAR

INDIANA JONES ET LE CADRAN DE LA DESTINÉE

Cinquième et dernier volet des aventures du célèbre archéologue – mais premier qui n’est pas réalisé par Steven Spielberg –, ce réjouissant blockbuster s’amuse avec le concept de temps pour offrir un écrin doré à Harrison Ford, 81 ans, plus émouvant que jamais.

Réalisé par James Mangold (Copland, Logan), Indiana Jones et le cadran de la destinée se devait de gérer quarante ans de mythe cinématographique. De gestion temporelle, il en est justement question dans ce récit qui démarre en 1944 par Indiana Jones aux prises avec ses sempiternels ennemis nazis. Appliquant au visage de Harrison Ford la technique du de-aging (rajeunissement numérique), cette scène d’exposition est étrangement dévitalisée malgré la prouesse des cascades. Mais l’engourdissement du personnage occupe justement le cœur du film : un bond temporel nous amène ensuite en 1969, alors que Jones vit seul à New York et s’apprête à prendre sa retraite de prof. Ce héros vieillissant reçoit la visite de sa filleule (épatante Phoebe Waller-Bridge), lancée à la

recherche du cadran d’Archimède, appareil qui aurait le pouvoir de localiser les fissures temporelles. L’aventurier, bousculé dans ses certitudes, est alors entraîné pour un dernier tour de piste entre Maroc, Grèce et Sicile. Si cette intrigue paraît recycler les stratagèmes visant à l’éternel recommencement des sagas hollywoodiennes, le film surprend par le soin qu’il apporte à la figure de son héros. Indy a beau revendiquer dès le début son goût pour la solitude, c’est au contraire l’élan collectif d’une petite troupe solidaire qui le poussera à sortir de ses retranchements. Se déroulant à la période où l’Amérique vient d’envoyer les premiers astronautes sur la Lune, le film raconte de façon ludique qu’après la maîtrise de l’espace c’est la maîtrise du temps qui alimente tous les fantasmes. Et ce cinquième

volet évite justement de trop verser dans la nostalgie gratuite en montrant un Indiana Jones qui cesse soudain de se reposer sur son seul passé pour accepter le vieillissement et embrasser son époque. Pour Harrison Ford, au regard plus touchant et pétillant que jamais, comme pour James Mangold, à l’aise dans les séquences d’action les plus farfelues, la mission est fièrement accomplie.

52 Cinéma > Sorties du 14 juin au 12 juillet no 198 – juin 2023
SORTIE LE 28 JUIN Indiana Jones et le cadran de la destinée de James Mangold, Walt Disney (2 h 22), sortie le 28 juin DAMIEN LEBLANC
UNE ENQUÊTE CAPTIVANTE SUR UN SCANDALE FRANÇAIS " UN FILM POLITIQUE ET ENGAGÉ ! " L’OBS Un film de PIERRE JOLIVET CÉLINE SALLETTE 2.4.7. Films présente NINA MEURISSE JULIE FERRIER VERTES
D’APRÈS ALGUES VERTES, L’HISTOIRE INTERDITE D’INÈS LÉRAUD et PIERRE VAN HOVE PUBLIÉ PAR LA REVUE DESSINÉE-DELCOURT Avec PASQUALE D’INCA, ADRIEN JOLIVET, CLÉMENTINE POIDATZ et la participation de R. JONATHAN LAMBERT SCÉNARIO DE PIERRE JOLIVET et INÈS LÉRAUD
PAR
LES ALGUES
JUILLET
LE 12

Peinture délicate d’une famille sans repères, Love Life de Kōji Fukada délivre, dans les plis d’un imposant film de deuil, quelques éclats qui touchent sans bruit ni fracas, à la faveur d’un geste ou d’un simple rayon de soleil.

La joie qui entoure le couple que forment Jirō et Taeko au début de Love Life n’est, on s’en doute, qu’un trompe-l’œil : dans le nouveau film de Kō ji Fukada ( Au revoir l’été, L’Infirmière ), l’allégresse est de courte durée. En pleine fête d’anniversaire, les parents de Jirō reprochent à Taeko de ne pas leur avoir donné leur propre héritier, elle qui a déjà la garde de Keita, son fils, issu d’un précédent mariage. Après un événement tragique, les liens qui unissaient cette petite famille recomposée se rompent définitivement… Un film de deuil remonte alors à la surface d’un récit

LOVE LIFE

qui avançait jusqu’à présent masqué. Un voile semble même recouvrir, de temps à autre, les sentiments douloureux que les personnages s’attachent à garder enfouis quand ils le peuvent, comme dans cette scène charnière où l’ex-mari de Taeko se cache sous un drap blanc, mimant l’avancée d’un fantôme tout en faisant tourner un disque sur lequel se reflètent les rayons du soleil. Love Life est à l’image de cette séquence : un film où se cacher – et taire ses sentiments – revient paradoxalement à se mettre en lumière. Di cile de ne pas songer à Drive My Car (2021) lorsque Fukada, comme Ryusuke Hamaguchi, fait par exemple de la langue des signes le centre de gravité de plusieurs séquences importantes : des retrouvailles silencieuses et sous tension qui sont ponctuées, sur la bande-son, par les va-et-vient du métro à l’arrière-plan ; un mari déçu qui exprime ses ressentiments dans le hors-champ, sans que son interlocuteur ne puisse l’entendre ou lire sur ses lèvres, etc. Le silence induit par le mutisme de l’un des personnages principaux – l’ex-mari de Taeko, un vagabond qui, dès son apparition, dynamite

le film de l’intérieur – implique en e et d’exprimer les choses autrement, en sublimant par quelques trouvailles de mise en scène (jeux d’ombres et autres reflets) le genre très balisé du drama japonais. Une habitude chez Fukada, qui s’occupe depuis maintenant plus de dix ans à brouiller les lignes dans des films à la beauté sûre et discrète.

Love Life de Kōji Fukada, Art House (2 h 04), sortie le 14 juin

CORENTIN LÊ

54 Cinéma > Sorties du 14 juin au 12 juillet no 198 – juin 2023
SORTIE LE 14 JUIN
Love Life est un film où se cacher revient paradoxalement à se mettre en lumière.

STARS AT NOON

Après la science-fiction (High Life), le polar (Les Salauds) ou la comédie romantique (Vendredi soir), Claire Denis réinvente le film d’espionnage avec Stars at Noon. Un film sur l’amour comme monnaie d’échange, Grand Prix à Cannes en 2022.

Le cinéma de Claire Denis est une vision pessimiste du monde, une façon de toujours filmer le désir contrarié au plus près de la peau. Une sorte de cinéma préliminaire dans lequel l’orgasme est impossible. Parce qu’il y a une cruauté, une crudité même chez Claire Denis. Tout est a aire de transaction, de compromis.

Cette vision noire du monde, elle la partage avec le romancier américain Denis Johnson, dont elle adapte ici le roman éponyme paru en 1986. Transposée dans le Nicaragua de 2020, en pleine épidémie de Covid-19, cette rencontre entre une journaliste trouble (Margaret Qualley, révélation) et un homme d’a aires anglais pas si net (Joe Alwyn) prend la forme d’une échappée impossible. Le récit d’espionnage, traversée de paranoïa et de violence, crée une menace nébuleuse qui pousse les corps à se rapprocher, à espérer trouver dans l’autre une issue de secours. Claire Denis filme ici la romance supposée naître du danger comme un échange pour la survie, le sexe comme une transaction financière. Hypnotique par la grâce de sa mise en scène très sensorielle, le film nous oblige à nous cogner à ces deux héros cyniques mais terriblement humains.

CHOCOLAT

Plongée dans les derniers instants de la colonisation, le premier film de Claire Denis, éclaboussant de maturité politique, ressort en salles.

Derrière ce titre énigmatique se cache une expression désuète : « être chocolat », c’est être trompé. C’est ce sentiment trouble qu’éprouve France (Mireille Perrier) lorsque après des années d’absence elle retourne au Cameroun où elle est née. Prise en stop par un homme noir américain, la jeune femme, submergée par les souvenirs du pays avant son indépendance, laisse a eurer à la surface du présent les bribes de la colonisation française. Inspirée par ses propres souvenirs du Cameroun, où elle passa une partie de son enfance, Claire Denis réalise avec Chocolat (1988) la photographie cruelle d’un monde en extinction, vu à travers les yeux d’une enfant innocente. L’amitié entre Protée, le boy noir de la famille, et France, filmée

en de longs plans silencieux, ne survit pas à la prise de conscience politique du racisme colonial. Avec un regard aiguisé, la réalisatrice scrute les névroses de cette famille de colons européens, fonctionnaires dépassés par les mutations du pays. Ténu, quasi mutique, d’une lenteur hypnotique, ce film d’une grande sensualité plastique condense toute la force du cinéma de Claire Denis. Un érotisme nerveux caché sous une grande pudeur, l’apparente froideur d’une mise en scène entièrement vouée à ses interprètes – inoubliable tête-à-tête entre Cécile Ducasse et Isaach de Bankolé –, un montage sonore d’une précision redoutable.

55 Sorties du 14 juin au 12 juillet <---- Cinéma juin 2023 – no 198
RESSORTIE LE 21 JUIN LÉA ANDRÉ-SARREAU
LE
JUIN
SORTIE
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Chocolat de Claire Denis, Carlotta Films (1 h 45), ressortie le 21 juin Stars at Noon de Claire Denis, Ad Vitam (2 h 17), sortie le 14 juin RENAN CROS
L’amitié entre Protée et France ne survit pas à la prise de conscience politique du racisme colonial.

ASTEROID CITY

SORTIE LE 21 JUIN

Avec cette fable, Wes Anderson reconnecte son cinéma aux craintes d’une humanité qui aurait perdu son lien avec elle-même. Vibrant.

Wes Anderson s’est vu reprocher dernièrement de s’enfermer dans une zone de confort à force de répéter les mêmes procédés stylistiques. Mais, deux ans après The French Dispatch, il parvient à dépoussiérer son cinéma en allant voir du côté de la science-fiction paranoïaque. Il situe son intrigue en 1955, dans un désert du Sud-Ouest américain, où la ville d’Asteroid City, célèbre pour son cratère de météorite, s’apprête à accueillir des enfants surdoués et leurs familles pour un concours scientifique, avant que l’arrivée d’un visiteur imprévu ne place tout ce petit monde

en quarantaine… Outre cette intrigue fantastique, une seconde couche narrative apparaît sur la côte est, où se répète une pièce de théâtre nommée Asteroid City. Aux images colorées du désert s’opposent les plans théâtraux en noir et blanc, mais on retrouve dans les deux univers un casting commun. Si Jason Schwartzman incarne dans l’Ouest un photographe veuf qui surnage avec ses quatre enfants et Scarlett Johansson, une star de cinéma, le même duo foule les planches de l’Est avec d’autres noms. Dépeignant une Amérique qui veut bâtir de nouveaux mondes scientifiques et artistiques, Anderson fait surtout a eurer une belle émotion avec ces familles confinées qui essaient de construire des relations sociales pour tenir le coup. Sublimant les angoisses d’une humanité qui se demande comment reprendre goût à la vie après un traumatisme, Asteroid City ressemble à un joli miracle.

SORTIE LE 28 JUIN

À partir de la

de l’actrice italienne Vera Gemma, les cinéastes Tizza Covi et Rainer Frimmel (L’Éclat du jour, Mister universo) fantasment une fiction espiègle sur la condition de nepo-baby dans le cinéma.

On ne connaissait pas la fantasque Vera Gemma, mais elle est une figure du cinéma italien (elle a joué dans des films de Dario Argento) dont le talent a été occulté, confisqué par des hommes. En premier lieu, par son père acteur, la star Giuliano Gemma, connu pour ses westerns spaghetti. Tizza Covi et Rainer Frimmel, dans leur variation fantasmée sur la vie de Vera, montrent à quel point elle est toujours ramenée à lui, quoi qu’elle fasse. Une scène du film la présente d’ailleurs en train de dialoguer avec son amie Asia Argento (fille de Dario Argento), qui joue elle aussi son propre rôle,

dans laquelle les deux actrices parlent de leur position paradoxale, tout à la fois privilégiée et dans l’ombre de leurs pères. Les cinéastes figurent Vera Gemma à l’aube de la cinquantaine, alors qu’elle est de moins en moins sollicitée par le cinéma et qu’elle doit se réinventer. Leur démarche ressemble alors un peu à celle de Rebecca Zlotowski dans Une fille facile (2019), dans lequel la cinéaste, s’inspirant de la figure de Zahia Dehar, dynamitait les clichés sexistes sur l’hyperféminité. Avec malice, Vera Gemma fait mentir tout ce que les hommes voient en elle, cette supposée superficialité, et emmène le film là où on ne l’attendait pas, sur le terrain du film social, dans une exploration des quartiers pauvres de Rome.

56 Cinéma > Sorties du 14 juin au 12 juillet no 198 – juin 2023
vie
VERA
Vera fait mentir tout ce que les hommes voient en elle et emmène le film là où on ne l’attendait pas.
QUENTIN GROSSET Vera de Tizza Covi et Rainer Frimmel, Les Films de l’Atalante (1 h 55), sortie le 28 juin Asteroid City de Wes Anderson, Universal Pictures (1 h 45), sortie le 21 juin DAMIEN LEBLANC

LES FILLES D’OLFA

Le documentaire faisait cette année son grand retour à Cannes (lire p. 34). Les Filles d’Olfa de la Tunisienne Kaouther Ben Hania (lire p. 4) y a décroché l’Œil d’or, retraçant le parcours d’une femme et de ses quatre filles dont les deux aînées se sont volatilisées, « avalées par les ténèbres ».

De quelle nature sont ces ténèbres que nous annonce la cinéaste, en voix o , au début du film ? Son intelligence est de ne pas répondre d’emblée, non pour ménager un suspense douteux, mais plutôt pour ne pas dévier notre attention : ce qui compte, ici, c’est de comprendre le cheminement qui a mené là cette famille

de femmes. Kaouther Ben Hania choisit donc de raconter cette histoire vraie, terrifiante, en nous présentant d’abord les protagonistes. Olfa, quinqua tunisienne malicieuse, intimidée par la caméra, mais révélant au fil des entretiens une nature rebelle, passionnée, violente. Ses quatre filles : les deux plus jeunes, Eya et Tayssir, encore adolescentes, assises à ses côtés ; et les deux aînées, Rahma et Ghofrane, absentes, disparues depuis 2015, remplacées pour le film par des actrices. Le dispositif se met en place, la vraie famille rencontre les actrices, et c’est aussi la naissance de cette famille recomposée par le cinéma que raconte le film : les femmes se découvrent, s’apprivoisent. Elles sont rejointes par la star tunisienne Hend Sabri : elle jouera Olfa dans la reconstitution des moments les plus durs de sa vie. Sa nuit de noces, par exemple : son refus de coucher avec son mari, sa sœur à elle qui intervient pour inciter l’homme à la violer, la rage d’Olfa. Le sang sur le drap blanc, exhibé aux convives comme gage de virginité ?

Ce n’était pas le sien, mais celui du mari

qu’elle avait fini par tabasser, lâche-t-elle dans un sourire. Après la naissance des quatre filles – une malédiction dans une société patriarcale et sexiste –, Olfa finit par quitter ce mari violent qu’elle n’aime pas. Elle tombe folle amoureuse d’un autre homme qui s’avère toxicomane, abusif et finit en prison. Elle galère, part faire des ménages à l’étranger, puis revient : ses voisines l’ont alertée, ses filles sont en train de mal tourner. Comme l’ont fait les femmes de sa famille avant elle, Olfa sévit, frappe, insulte, tente d’enfermer, alors que, dehors, la Tunisie post-révolution de 2011 voit le parti islamiste étendre son pouvoir… Au fil des entretiens, des reconstitutions et des échanges de plus en plus intimes entre ces sept femmes hantées par les deux absentes, le film retrace ainsi puissamment l’histoire d’une emprise séculaire, institutionnelle, religieuse, politique sur le corps des femmes. Rappelant parfois Virgin Suicides de Sofia Coppola, il raconte aussi l’adolescence et son besoin de transgression, et la vulnérabilité dans laquelle les jeunes femmes sont projetées à la puberté. Il dit la détresse des mères qui aiment mal, celle des filles abusées et l’amour malgré tout. Il finira, bien sûr, par dire ce que sont devenues Rahma et Ghofrane. Mais surtout il rappelle la possibilité de briser le cycle des violences et des oppressions, à travers les visages si beaux et libres des plus jeunes filles d’Olfa.

Les Filles d’Olfa de Kaouther Ben Hania, Jour2fête (1 h 50), sortie le 5 juillet

« Taille minuscule, cœur immense »

Le Parisien

« Une merveilleuse surprise »

20 Minutes

« Un bijou »

Première

LE COQUILLAGE (AVEC SES CHAUSSURES) Un film de Dean Fleischer Camp avec Jenny Slate

57 Sorties du 14 juin au 12 juillet <---- Cinéma juin 2023 – no 198
© 2021 Marcel The Movie LLC. Tous droits réservés.
ÉTÉ, SORTEZ DE VOTRE COQUILLE ! ACTUELLEMENT AU CINÉMA !
CET
LE 5 JUILLET
SORTIE
JULIETTE REITZER

Sublime portrait fantasmé de l’acteur porno Lalo Santos, Pornomelancolia de l’Argentin Manuel Abramovich sonde sa dépression sans jamais tirer de conclusion sur les travailleurs du sexe, comme fasciné par l’opacité de son personnage.

Le premier plan de ce film entre documentaire et fiction a quelque chose de déchirant, qui nous place tout de suite dans une forte empathie pour Lalo Santos. Son corps se reflète dans une vitre de magasin. L’acteur attend on ne sait quoi tandis que son regard se perd dans le vide, puis tout à coup il éclate en sanglots. La suite de Pornomelancolia emprunte un ton bien plus clinique en suivant le quotidien de Lalo en tant que sex-influenceur ou acteur sur des tournages de pornos gay, dans des scènes mécaniques répétées jusqu’au vertige, totalement désérotisées. Il n’empêche, ce premier plan noyé

de larmes, on l’a en tête comme quelque chose de lancinant, qui nous pique tout du long, se rappelle à nous comme un secret douloureux que l’on partage avec Lalo. Car Pornomelancolia n’est heureusement pas ce film à thèse un peu simpliste qui viendrait condamner le porno ou le travail du sexe en dépeignant la tristesse des personnes qui l’exercent. Si tant est que le film dénonce quelque chose, ce serait d’ailleurs peut-être plus le capitalisme numérique, qui entraîne le héros dans une perpétuelle autoreprésentation sur les réseaux sociaux, qui l’amène aussi à travailler de manière répétée et intensive, se fatiguant dans des cadences extrêmes, mettant son propre corps à rude épreuve. Et encore, cette possible intention critique est à nuancer, Lalo semblant aussi trouver son compte sur les réseaux grâce à la bienveillance de ses fans. Il semble aussi trouver le porno plus fun et valorisant que le travail à la chaîne en usine qui a l’air de lui peser au début du film. Manuel Abramovich dépeint d’ailleurs la communauté des acteurs comme une épaule, un soutien, notamment lorsque Lalo fait son coming out séropositif. Pornomelancolia est plus complexe et s’attache

plutôt à explorer ce qu’il y a d’hermétique, d’abyssal dans la dépression. Le visage de Lalo étant toujours fermé, cette tristesse ne se manifeste franchement qu’à quelques reprises, dans des moments où son corps o ert continuellement résiste. Sur le tournage d’un porno, tandis qu’il prend un autre acteur, celui-ci lui dit d’arrêter parce qu’il a mal, mais le réalisateur lui dit de continuer, l’intimant au viol. Abramovich observe alors Lalo se briser. Il y a dans ses yeux quelque chose d’épouvanté, de tremblant, de rageur. Comme si sa blessure apparaissait soudain à vif.

Pornomelancolia de Manuel Abramovich, Épicentre Films (1 h 34), sortie le 21 juin

Pornomelancolia s’attache à explorer ce qu’il y a d’hermétique, d’abyssal dans la dépression.

58 Cinéma > Sorties du 14 juin au 12 juillet no 198 – juin 2023
PORNOMELANCOLIA SORTIE LE 21 JUIN
QUENTIN GROSSET
NANNI MORETTI DOMENICO PROCACCI RAI CINEMA PRÉSENTENT AU CINÉMA LE 28 JUIN

NEZOUH

La cinéaste syrienne Soudade

Kaadan plonge par la fiction au cœur de la guerre civile qui ravage son pays en imaginant la vie d’une famille dans un quartier assiégé de Damas. En prenant le parti de filmer dans leur appartement, elle fait sourdre l’horreur du conflit, son enlisement et les aspirations de la population.

La métaphore de l’appartement d’une famille comme microsociété permet à Soudade Kaadan des observations subtiles sur le conflit syrien, tout en évitant la violence frontale. La cinéaste choisit de se centrer avec tendresse

IL BOEMO

Avec ce drame, le FrancoTchèque Petr Václav (We Are Never Alone, 2016) met en lumière l’histoire tragique de Josef Mysliveček, un grand compositeur oublié, contemporain de Mozart. Un beau geste de réhabilitation, teinté de tristesse.

Après avoir réalisé Amadeus (1984), son biopic culte sur Mozart, Miloš Forman entendait raconter l’histoire du Bohémien Josef Mysliveček, un grand musicien et compositeur bien moins connu mais tout aussi doué que Wolfgang, qui fut son ami. S’il n’a jamais abouti, ce projet ressuscite, en quelque sorte, entre les mains de Petr Václav. « Il Boemo » (traduit par « celui qui vient de la Bohême », actuelle République tchèque), c’est le surnom donné à Mysliveček. Le récit commence en 1764, quand ce fils de meunier alors âgé de 27 ans – et absolument pas prédestiné à entrer dans les cercles mondains – est pro-

pulsé dans une Venise libertine, après avoir entamé une liaison fatale avec une femme de la cour. Dans des plans savamment composés, Petr Václav restitue le stupre comme la flamboyance de l’époque. Cette idée de saleté mêlée à de la préciosité, qui rappelle le cinéma de Luchino Visconti, s’accentue au fil des rencontres du héros – ce personnage gardant l’allure non d’un ambitieux, mais d’un éternel jeune naïf, qui accepte sans broncher de se dégrader, avant de finir sa vie, recroquevillé dans l’ombre, atteint de syphilis (il en meurt en 1781, à Rome). Dès le premier plan, on sait qu’il court à sa perte, mais le regard mélancolique que Petr Václav pose sur ce grand damné nous donne envie de croire à une rédemption – qui n’arrivera bien entendu jamais.

sur les rêves de la jeune génération. On suit Zeina, 14 ans, après qu’un missile a touché son foyer. Son père refuse pour autant de partir, ne supportant pas l’idée d’être considéré comme un réfugié. Sa femme tente pourtant de le convaincre, ne voyant plus d’avenir en Syrie. Kaadan dénonce ici l’orgueil, la résistance têtue du patriarcat, voué à se fissurer. La réalisatrice fait preuve d’une adroite maîtrise de l’espace : il y a la cruelle réalité vécue à l’intérieur de l’appartement, avec ce hors-champ de la guerre rappelé par le son, et la chambre de Zeina, percée d’une crevasse après avoir été bombardée. De ce trou et de ces ruines, la jeune fille fantasme un autre monde plus poétique dans lequel Kaadan sait aussi nous amener. Cette lucarne donnant sur les étoiles est alors comme une possible échappée, qui deviendra une fuite concrète lorsque Zeina et sa mère choisiront d’aller contre le père.

60 Cinéma > Sorties du 14 juin au 12 juillet no 198 – juin 2023
SORTIE LE 21 JUIN SORTIE LE 21 JUIN
Cette idée de saleté mêlée à de la préciosité rappelle le cinéma de Visconti.
Nezouh de Soudade Kaadan, Pyramide (1 h 43), sortie le 21 juin QUENTIN GROSSET Il Boemo de Petr Václav, Nour Films (2 h 20), sortie le 21 juin JOSÉPHINE LEROY
Harold ORSONI Cédric APPIETTO Marie-Ange GERONIMI Virginie LEDOYEN Lomane DE DIETRICH avec Denis PODALYDÈS Sociétaire de la Comédie-Française et “ UN MAGNIFIQUE CONTE D’ÉTÉ, NERVEUX ET SENSIBLE
LE POINT AU CINÉMA LE 12 JUILLET CHAZ PRODUCTIONS PRÉSENTE un film de CATHERINE CORSINI Aïssatou DIALLO SAGNA Suzy BEMBA Esther GOHOUROU © 2023 CHAZ PRODUCTIONS - LE PACTE - FRANCE 3 CINÉMA
LE RETOUR

VERS UN AVENIR RADIEUX

Revenant au registre semiautobiographique qui a fait sa réputation, Nanni Moretti signe un film à la fois amusant et désabusé qui souligne avec autodérision son côté désuet tout en continuant à vouloir croire en un monde meilleur.

Cinéaste italien majeur, notamment vainqueur de la Palme d’or en 2001 avec La Chambre du fils, Nanni Moretti semblait avoir perdu de sa verve lors de l’accueil contrasté en 2021 de son pesant drame choral Tre piani. Visiblement conscient de son image un peu désuète, le réalisateur, qui fêtera ses 70 ans au mois d’août, décide de reprendre des couleurs avec ce nouveau film, dans lequel il se livre au style semiautobiographique qui l’a rendu si populaire au début de sa carrière et lui a valu son premier grand succès avec Journal intime. Moretti incarne ici le rôle de Giovanni, cinéaste

italien renommé qui s’apprête à tourner une fresque politique située en 1956, lors de l’invasion soviétique en Hongrie, dans le but de rappeler que le Parti communiste italien aurait dû à l’époque se détacher de l’Union soviétique. Mais Giovanni découvre que ces évènements anciens n’intéressent pas du tout la jeune génération. Et les problèmes vont s’accumuler pour ce cinéaste de plus en plus dépassé : son couple entre en crise lorsque son épouse (l’excellente Margherita Buy) va voir un psychanalyste, sa fille tombe étrangement amoureuse d’un sexagénaire polonais et son producteur français (Mathieu Amalric) se révèle être un escroc qui fait peser un danger sur l’existence du film de Giovanni. Cultivant un ton mi-amusé mi-atterré, Moretti brocarde une époque dans laquelle les plateformes comme Netflix formatent le goût du public et où l’attrait pour les thrillers violents a de quoi désespérer les vieux cinéphiles. Mais il garde une belle vitalité dans la peinture de sa petite troupe de personnages et continue à filmer tendrement Rome (où les balades à trottinettes ont remplacé les virées à mobylettes de Journal intime). Moretti réa rme surtout

son amour d’un cinéma poétique et lumineux, entre autres dans les séquences où il montre un cirque hongrois qui rappelle l’œuvre de Federico Fellini. En inlassable passeur de l’histoire du cinéma italien, le cinéaste conserve ainsi sa croyance dans le pouvoir qu’a le septième art de réenchanter le monde et de combattre la tristesse d’une époque qui donne pourtant bien des raisons de déchanter.

Vers un avenir radieux de Nanni Moretti, Le Pacte (1 h 36), sortie le 28 juin

DAMIEN LEBLANC

62 Cinéma > Sorties du 14 juin au 12 juillet no 198 – juin 2023
Cultivant un ton mi-amusé mi-atterré, Nanni Moretti brocarde une époque dans laquelle Netflix formate le goût du public.

LA SIRÈNE

SORTIE LE 28 JUIN

Abadan, 1980. Cette ville portuaire du sud de l’Iran abritant une ra nerie devient une cible de choix pour l’Irak de Saddam Hussein. Pendant près d’un an, les troupes du dictateur en font le siège. Ce moment particulier de la « guerre oubliée » a inspiré La Sirène à Sepideh Farsi, qui fait le choix de se mettre à la hauteur des yeux d’Omid, 14 ans, resté seul avec son grand-père après le départ au front de son frère. L’adolescent trouve

alors un bateau abandonné et décide d’en faire une arche pour sauver sa famille… La Sirène est né de contraintes. Interdite de territoire depuis la sortie de son film Red Rose (2015), Farsi n’avait aucun moyen de tourner sur place et refusait les e ets spéciaux. L’animation lui a permis de contourner ces obstacles avec une aisance sidérante. Dès la scène d’ouverture, dans laquelle Omid lève les yeux pour arrêter un ballon de foot et aperçoit les avions de combat irakiens qui crachent leurs bombes, la cinéaste impose son sens du découpage et une identité visuelle extraordinaire. Jouant d’une animation à l’ancienne et d’aplats de couleurs, Sepideh Farsi oscille entre la réalité crue de la guerre et une mise à distance poétique. Ses personnages intrigants esquissent en creux le portrait d’une société iranienne diverse qui se retrouve autour de ce qui demeure quand tout le reste a disparu : la culture.

MASTER GARDENER

Avec ce nouvel opus, dans lequel les jardins botaniques remplacent les casinos luminescents de The Card Counter (2021), l’abrasif Paul Schrader livre un nouveau vigilante movie existentiel qui confirme la bonne dynamique de son cinéma.

L’ascétique Narvel Roth (Joel Edgerton) tente de vivre avec son passé de néonazi en entretenant le jardin d’une riche propriétaire (Sigourney Weaver), lorsqu’il prend sous son aile une jeune Afro-Américaine, Maya (Quintessa Swindell), pour lui apprendre la botanique et l’aider à sortir de la drogue. L’art méticuleux du jardinage y remplace le jeu de cartes pratiqué par le héros de The Card Counter comme métaphore de la mise en scène, tandis que la figure obsessionnelle du jardinier se substitue à celle du joueur calculateur en tant que double de

Paul Schrader. Au-delà du plaisir de suivre le réalisateur s’entêter à reprendre le script matriciel qu’il a écrit pour Taxi Driver (1976), en l’adaptant film après film à di érentes thématiques (crise climatique, torture, suprématie blanche), la grande qualité de Master Gardener est aussi de se distinguer légèrement de la noirceur de The Card Counter. Tout en continuant de se confronter à la culpabilité blanche, le cinéaste semble avoir trouvé dans l’horticulture matière à un faux vigilante movie, dans lequel la rédemption ne se trouve pas dans la repentance par le sang, mais dans la délicate germination d’une graine : celle d’un fragile espoir qui, à la manière d’une fleur, nécessite d’être entretenu pour éclore.

du jardinage

63 Sorties du 14 juin au 12 juillet <---- Cinéma juin 2023 – no 198
Sepideh Farsi raconte dans ce beau film d’animation le siège du port d’Abadan pendant la guerre Iran/Irak. À l’évocation frontale et métaphorique de la violence s’ajoute un touchant portrait de la société iranienne.
L’art méticuleux
fonctionne comme une métaphore de la mise en scène.
SORTIE LE 5 JUILLET CORENTIN LÊ Master Gardener de Paul Schrader, The Jokers / Les Bookmakers (1 h 50), sortie le 5 juillet La Sirène de Sepideh Farsi, Bac Films (1 h 40), sortie le 28 juin MARGAUX BARALON

SISU. DE L’OR ET DU SANG

Le Finlandais Jalmari

Helander livre un film de guerre détonnant, qui pousse le curseur de l’héroïque au maximum – jusqu’au joyeux massacre.

En 1944, au cœur d’une Laponie dévastée par la Seconde Guerre mondiale, un ancien soldat, bien décidé à laisser la violence des combats derrière lui, se reconvertit en chasseur d’or. Alors qu’il a découvert un gisement, il croise la route d’une troupe de nazis sanguinaires qui comptent bien garder ce butin pour eux. Débute alors un a rontement sans pitié pour ce précieux métal… En 2011, Jalmari Helander étonnait déjà avec son premier long métrage, Père Noël origines, une comédie fantastique

AU CIMETIÈRE DE LA PELLICULE

SORTIE LE 5 JUILLET

Le premier film réalisé par un cinéaste noir en Afrique francophone subsaharienne, Muramani, a été perdu dans les limbes de l’histoire. Dans un documentaire très cinéphile, entre la Guinée et Paris, Thierno Souleymane Diallo part à la recherche de ce trésor oublié.

C’est armé d’un vague synopsis que Thierno Souleymane Diallo essaie de mettre la main sur un court métrage guinéen perdu, Muramani de Mamadou Touré, datant de 1953. Perche micro sur le dos, le jeune cinéaste traverse villages isolés et salles de cinéma abandonnées, jusqu’à atteindre Paris pour visiter le cinéma La Clef puis un bunker de Bois-d’Arcy, dans lequel se cacherait son Graal pour cinéphiles… Mais d’entretien en entretien, Diallo se rend compte que personne n’a vu Muramani ni ne sait où une

copie pourrait se trouver. « Du côté de la Guinée, tu ne trouveras rien du tout […] On n’a pas la culture des archives », lui rappelle, un brin dépité, l’un des intervenants de ce documentaire éclairant qui dresse un panorama des di érentes figures de la cinéphilie guinéenne. En dépit de son titre, Au cimetière de la pellicule n’a en e et rien d’une oraison funèbre : la recherche du film perdu est aussi un prétexte pour brosser le portrait des lieux et des personnes dont le réalisateur croise la route (étudiants, techniciens, cinéastes, exploitants, vendeurs de DVD gravés, etc.). Qu’importe dès lors de retrouver ou pas l’archive en vue de mettre en lumière une cinématographie méconnue : Diallo vient lui-même d’en créer une, tout aussi précieuse

Au cimetière de la pellicule de Thierno Souleymane Diallo, Dean Medias (1 h 30), sortie le

quelque peu horrifique sur un Père Noël monstrueux. Cette année, il revient avec une œuvre tout aussi singulière et décalée, qui explore la légende fictive d’un homme qui refuse de mourir (« sisu » est un terme finnois sans équivalent en français, qui désigne une forme de ténacité bien particulière). Rencontre improbable entre Rambo et les héros de Quentin Tarantino ( Inglorious Basterds en tête), le film surprend grâce à un mélange de genres astucieux (horreur, guerre, comédie noire) et un rythme maîtrisé. Les scènes de combats sont sanguinolentes et inventives, les situations rocambolesques, mais le tout tient la route grâce à l’acteur finlandais Jorma Tommila (que l’on retrouve aussi dans Père Noël origines), qui se jette corps et âme dans ce rôle de colosse increvable. Sisu. De l’or et du sang n’a rien de probable ni de subtil, et c’est tant mieux.

64 Cinéma > Sorties du 14 juin au 12 juillet no 198 – juin 2023
SORTIE LE 21 JUIN
Le cinéaste essaie de mettre la main sur un court métrage guinéen perdu, de 1953.
5 juillet Sisu. De l’or et du sang de Jalmari Helander, SND (1 h 31), sortie le 21 juin CHLOÉ BLANCKAERT CORENTIN LÊ

En 1973, l’éminent documentariste Frederick Wiseman, spécialisé dans les portraits d’institutions, se plongeait au sein d’un bureau d’aide sociale à New York. Cinquante ans plus tard, le passionnant Welfare sort pour la première fois en France.

Resté inédit dans les salles françaises après sa sortie aux États-Unis en 1975, Welfare nous installe, près de trois heures durant, dans les locaux d’un bureau d’aide sociale à New York. Comme à son habitude, Frederick Wiseman prend la position d’un observateur patient et discret, qui laisse se dérouler ce qui prend place devant sa caméra : entretiens en vue de bénéficier d’aides, conversations sur les chaises de la salle d’attente, débats entre collègues sur la conformité de tel document, etc. Le cinéaste y observe

les différents services qui occupent l’établissement se renvoyer la balle à intervalles réguliers, en laissant parfois les potentiels bénéficiaires totalement démunis. Car il est ici question d’explorer une structure sous pression, représentante d’une forme minimale d’État-providence dans un pays qui en est quasiment dépourvu. Pour ausculter le fonctionnement de l’institution, Wiseman a recours à la forme qui a fait sa renommée : d’un côté la captation, sur de longues durées, de situations dialoguées ; de l’autre l’insertion au montage d’intermèdes montrant les mouvements du personnel et l’envergure monstrueuse d’un organisme à la rigueur écrasante. Le bureau d’aide sociale y apparaît comme un labyrinthe administratif dans lequel il s’agit, pour les individus, de négocier avec la rigidité d’un agencement kafkaïen et quasi abstrait. En s’intéressant particulièrement au déploiement d’une parole conflictuelle, en lutte verbale avec le système, Wiseman parvient à rendre chaque entrevue réellement captivante. Cette accumulation de situations problématiques, voire insolubles, donne au film toute sa force politique : le bureau d’aide sociale a beau faire du cas par

cas, le constat qui émerge du montage de Welfare est surtout collectif. Régler des dicultés individuelles une à une n’entravera en rien les maux systémiques dont elles ne sont que les échos. « Dans l’histoire, Godot ne vient jamais », évoque, en référence à Samuel Beckett, un sans-abri errant dans les locaux à la toute fin du film. Les bureaux de l’aide sociale ne désempliront pas tant que Godot n’aura pas pointé le bout de son nez.

Welfare de Frederick Wiseman, Météore Films (2 h 47), sortie le 5 juillet

CORENTIN LÊ

65 Sorties du 14 juin au 12 juillet <---- Cinéma juin 2023 – no 198
SORTIE LE 5 JUILLET
WELFARE
Ce bureau d’aide sociale est comme un labyrinthe où l’on négocie avec la rigidité d’un agencement kafkaïen.

UNE NUIT

Dans son troisième long métrage, Alex Lutz, acteur, réalisateur et scénariste, filme la rencontre fortuite et passionnée de deux individus qui échappent à la réalité de leur vie, le temps d’une nuit.

Une altercation véhémente dans une rame de métro bondée. Puis un coup de foudre, qui se concrétise maladroitement dans la cabine d’un Photomaton. Aymeric et Nathalie se rencontrent par hasard. Elle est un peu plus âgée que lui, pas du tout son type, et pourtant elle lui plaît. Incapables de se dire au revoir, les deux inconnus décident de passer la nuit ensemble. Lors de cette errance, qui s’organise comme une fuite hors

LE RETOUR

Catherine Corsini peint avec brio le portrait d’une mère et de ses deux filles ados dans un film lumineux et tendre, offert tout entier à ses deux jeunes comédiennes (Esther Gohourou et Suzy Bemba), éclatantes révélations de ce coming-of-age social et pluriel.

Que craint-on de voir apparaître dans un film sur la jeunesse ? Un travestissement du mot, une falsification de son essence ? Par son argument de départ – un retour en Corse, terre chargée en secrets enfouis pour une mère et ses deux filles –, le nouveau

Catherine Corsini laissait présager un film tourmenté par le passé. C’est en réalité tout l’inverse qu’il porte, tant le regard se fait moins rétrospectif qu’entièrement tourné vers le présent. La jeunesse n’y est jamais figée, mais bel et bien là, incarnée par deux jeunes comédiennes, merveilleux duo cha-

mailleur (Esther Gohourou et Suzy Bemba). Autour, tout ce qui témoigne de la présence de cet âge (les amours de vacances, les excès de la fête…) est rendu dans une vibration émouvante et actuelle, et, comme toujours chez Corsini, marquée par des fractures de classes (bourgeoisie et racisme en étendard de la violence sociale). La réussite de ce beau teen movie hanté de fantômes tient alors à cette redéfinition du mot « jeunesse » qui, ici, déterminerait moins un âge qu’un état ou le lieu d’une introspection réinventée, touchant jusqu’au personnage de la mère (Aïssatou Diallo Sagna, précieuse révélation du précédent film de la cinéaste, La Fracture, 2021). Pour que reste de ces voyages la sensation d’une grande vitalité des sentiments.

Le Retour de Catherine Corsini, Le Pacte (1 h 46), sortie le 12 juillet

La réussite de ce beau teen movie tient à la redéfinition du mot « jeunesse ».

de leur quotidien constitué d’échecs amoureux et d’adolescents capricieux, ils vont se découvrir. Après Guy (2018), faux documentaire sur un artiste de variété française sur le déclin, Alex Lutz revient derrière la caméra avec un troisième long métrage qui a beaucoup à dire. Coécrit avec Hadrien Bichet et Karin Viard, Une nuit révèle tour à tour les confidences de ses deux personnages, tout en élaborant une cartographie insolite d’un Paris nocturne. D’une soirée étudiante au bois de Boulogne à une virée dans un club échangiste, le couple repousse les frontières des possibles, se défait de ses idées préconçues et s’o re une nuit de liberté et de légèreté. Une fraîcheur bienvenue, accentuée par un duo d’acteurs complices (Alex Lutz et Karin Viard), qui se donnent la réplique avec beaucoup d’humour et de malice. Jusqu’à la révélation finale qui donne au film un tout autre sens.

66 Cinéma > Sorties du 14 juin au 12 juillet no 198 – juin 2023
SORTIE LE 5 JUILLET Une nuit d’Alex Lutz, StudioCanal, sortie le 5 juillet CHLOÉ BLANCKAERT MARILOU DUPONCHEL

Dans ce documentaire saisissant, Marusya

Syroechkovskaya parcourt son fonds d’images de douze ans de vie dans une « Russie de la déprime », et adresse un hommage posthume à son ancien amant issu d’une jeunesse ravagée par la drogue.

C’est entre autres « Love Will Tear Us Apart » de Joy Division qui accompagne les images du film que consacre Marusya Syroechkovskaya à Kimi, son grand amour dont la disparition s’annonce d’emblée inéluctable. Un air de la cold-wave pour dire le caractère sans issue de leur relation, minée par les addictions et le mépris d’un État oligarchique. Le travail de la jeune Russe pénètre crûment dans le quotidien de jeunes âmes en perdition, installées dans de mornes immeubles périphériques. D’une matière recueillie depuis ses 16 ans, période d’over-

HOW TO SAVE A DEAD FRIEND

doses en série chez ses amis, la réalisatrice compose une œuvre pénétrée dans laquelle on voit grandir les addictions et le sentiment d’être condamné et de n’avoir aucune prise sur la marche de la nation. L’apparition – presque divine – de Kimi, âme sœur dont Marusya Syroechkovskaya filme la lumière, les discours fiévreux, le corps aussi, rebat un temps les cartes. Les deux adolescents connaissent un amour total, fait de grands rires et de bad trips, accompagnés par ce témoin rassurant qu’est la caméra. Quand les amoureux s’éloignent, Kimi appelé par les drogues dures et Marusya par les études, le film prend un tour dostoïevskien, se concentrant sur la survie du jeune homme et de son grand frère. Comment montrer un être cher en une pièce documentaire à la durée figée ? Quels aspects de sa personnalité épouser, quels moments de son existence écarter ? À la manière de

Joanna Hogg avec son diptyque The Souvenir, Marusya Syroechkovskaya montre un talent remarquable à retranscrire les chemins de l’intime, le récit que l’on fait de soi et des autres, dans un montage aussi minutieux que bouleversant. Au-delà du poème visuel et mélodique qu’elle dédie à Kimi, la jeune cinéaste fait s’imprimer les voix, visages, corps et aspirations d’une jeunesse russe oubliée, et gronde fort contre le régime de Vladimir Poutine.

How to Save a Dead Friend de Marusya Syroechkovskaya, La Vingt-Cinquième Heure (1 h 43), sortie le 28 juin

LAURA PERTUY

Trois questions

Pensez-vous que vous filmer au quotidien vous a sauvée de vos addictions ?

C’est possible. La caméra m’a toujours semblé être une bonne alliée pour comprendre le monde, en tirer du sens, communiquer avec autrui. Je participais aussi à des manifestations antigouvernementales, caméra à la main : j’avais l’impression de pouvoir faire bouger les lignes.

Vos choix musicaux sont très réfléchis…

Le film nous regarde grandir, Kimi et moi ; il était donc important d’introduire la musique qu’on écoutait à l’époque. Il y a aussi des morceaux que j’ai créés. J’ai utilisé un programme de « sonification », qui transforme des données – visuelles, dans mon cas – en signaux acoustiques.

À MARUSYA SYROECHKOVSKAYA

Je me suis déplacée à di érents endroits du corps de Kimi avec un iPad, le logiciel les a analysés puis a produit un son. Je me demandais où l’on allait quand on meurt. Devenons-nous de la musique ?

Pensez-vous que le film pourra être montré en Russie ? J’aimerais. Avant la guerre, on n’était déjà pas certains de pouvoir le montrer à cause des scènes de shoots et des jurons. Pour le projeter, il faudrait couper plein de choses… et, avec la guerre, il est encore moins facile d’obtenir un permis d’exploitation. De toute façon, l’idée était de faire produire le film ailleurs qu’en Russie [il est produit par quatre pays européens, dont la France, ndlr] pour être libre dans mon expression.

67 Sorties du 14 juin au 12 juillet <---- Cinéma juin 2023 – no 198
Le film, pénétré, montre les addictions grandir.
SORTIE LE 28 JUIN

FIFI

Pour leur premier long métrage, Jeanne Aslan et Paul Saintillan réalisent une subtile fable sociale dont l’énergie solaire l’affranchit des conventions du genre.

Sur le papier, Fifi a tout de la chronique sociale classique d’aujourd’hui, entièrement rivée à l’observation d’une rencontre fortuite entre deux mondes qui d’ordinaire se croisent peu, mais que le cinéma français n’a cessé de vouloir rassembler. D’un côté, celui de Fifi (Céleste Brunnquell), fille d’une famille nombreuse et pauvre de Nancy vivant dans une HLM. De l’autre, celui de Stéphane (Quentin Dolmaire), fils de classe moyenne (plus, plus) et étudiant de commerce désabusé, de retour dans la

ELLE S’APPELLE BARBARA

et parvient à saisir l’affaissement de l’État islamique en suivant une djihadiste complètement absente à elle-même.

En Irak, Barbara assiste à l’exécution de son mari, un Français parti combattre pour Daech. Détenue dans un camp de prisonniers djihadistes, parmi d’autres veuves, la jeune femme d’origine portugaise, enceinte de leur troisième enfant, attend son propre jugement – qui pourrait également se traduire par une mise à mort. Comment sonder l’âme de cette femme dont les motivations demeurent absconses ? Peut-être que la prouesse de Sérgio Tréfaut tient justement dans le constat, dénué d’a ect, qu’une telle entreprise est vaine. Le geste de fiction du documentariste

et ancien président du festival Doclisboa prend comme ressort dramatique le désir irrépressible qu’a le cerveau humain d’identifier une raison à l’horreur, ce besoin insistant de combler l’incompréhension par des éléments tangibles. En n’assouvissant jamais ce désir du spectateur, il interroge les habitudes du regard, les ressorts faciles de la pensée, et déploie surtout un thriller ténu. Car Tréfaut s’intéresse plus à la bascule implacable qui s’opère dans la vie de son héroïne au moment de l’a aiblissement de Daech qu’à marteler un parti pris ou regarder naître une rédemption. Et son film d’exprimer, en pointillé, ce qui se tait ou même s’anéantit lorsqu’on laisse des idées, des croyances, vampiriser son identité propre.

Sérgio Tréfaut interroge les ressorts faciles de la pensée,

maison familiale pour réfléchir à sa vie et gagner un peu d’argent avec un job d’été de mise sous pli. Par cet heureux hasard qui n’advient que dans ces récits de formation, nourris par l’horizon romanesque que permet l’été et son temps dilaté, les deux se rencontrent et se retrouvent à cohabiter dans la vaste demeure qui, sans présence adulte, se transforme en cabane isolée, îlot à l’abri des castes de la société. Élégant sens du casting que d’avoir misé sur Céleste Brunnquell et Quentin Dolmaire… Tout le film se trouve contaminé par leur présence magnétique et finit par s’accorder à leur merveilleuse souplesse, mélange de nonchalance feinte et de pure présence cinégénique. Ainsi ouvert à ses deux personnages, prêt à les accueillir, Fifi sait convoquer les clichés pour mieux les défaire, et s’achemine vers une douceur ouatée proche du conte.

68 Cinéma > Sorties du 14 juin au 12 juillet no 198 – juin 2023
SORTIE LE 14 JUIN Fifi de Jeanne Aslan et Paul Saintillan, New Story (1 h 48), sortie le 14 juin MARILOU DUPONCHEL
Sans tout à fait délaisser son habituel regard documentaire, Sérgio Tréfaut (Paraíso, 2022) s’attelle ici à la fiction
et déploie un thriller ténu.
Elle s’appelle Barbara de Sérgio Tréfaut, Alfama Films (1 h 21), sortie le 28 juin LAURA PERTUY

En Anatolie, un professeur accusé de harcèlement sexuel fait la rencontre d’une enseignante qu’il va chercher à séduire. Nuri Bilge Ceylan signe un drame existentiel surprenant, croisant avec souplesse grande fresque romanesque et cinéma moderne.

S’il rêve de travailler un jour à Istanbul, loin de la campagne, Samet enseigne le dessin dans un petit collège d’Anatolie. Antipathique au possible, il est accusé avec Kenan, son collègue et colocataire, de mettre par son comportement mal à l’aise l’une de ses élèves, Sevim. Borné et persuadé d’être victime d’une accusation exagérée, Samet fait en parallèle la rencontre de l’insaisissable Nuray, professeure d’anglais et ancienne militante qui a perdu une jambe lors d’un attentat politique… Proche de celle d’un roman-fleuve, l’intrigue des Herbes sèches

LES HERBES SÈCHES

s’inscrit dans la lignée des précédents films de Nuri Bilge Ceylan, lauréat de la Palme d’or en 2014 avec Winter Sleep. Le film partage avec son précédent long, le très beau Poirier sauvage (2018), une même manière de trouer l’avancée du récit par des dérèglements inattendus. Au-delà des dialogues philosophiques tou us, qui caractérisent le cinéma de Ceylan, se déploie ici une série d’écarts formels témoignant d’un relâchement salutaire de la part d’un cinéaste à l’inverse plutôt célébré pour ses drames froids et pesants. Un vent de légèreté sou e ainsi sur l’épaisse couche de neige qui recouvre l’Anatolie : à plusieurs reprises, des changements d’axe lors d’une longue conversation ou un rapide mouvement de caméra après un enchaînement de plans fixes su sent pour nous bouleverser, en miroir d’un personnage dont les certitudes sont de plus en

plus ébranlées au fur et à mesure de l’intrigue. La rigueur de la mise en scène étire les situations jusqu’au point de rupture : le film a beau placer en surface un ensemble de repères (des lieux qui reviennent, des personnages qui prennent leur temps pour parler, un rythme assez lent), il avance masqué pour s’avérer, dans sa deuxième moitié, superbement imprévisible. Au point d’en devenir véritablement troublant et ambigu, et de commencer à nous hanter dès son générique de fin.

Le film se révèle superbement imprévisible.

Trois questions

Nuray, la prof d’anglais qui intéresse le héros et son collègue Kenan, est un personnage féminin très fort. Porte-t-elle une forme de modernité, selon vous ?

C’est surtout qu’elle est su samment puissante pour pouvoir influencer elle-même le cours des événements. Elle attire les hommes d’une manière di érente du désir érotique classique que l’on a en tête. Les hommes ont généralement peur des femmes puissantes…

De façon inattendue, vous brisez le quatrième mur à un moment-clé du récit. Quel effet recherchiez-vous ?

J’avais tourné la scène, mais je ne savais pas si j’allais la garder. Au montage, ça m’a plu. Je voulais que le spectateur ait une approche complètement

À NURI BILGE CEYLAN

di érente du film en plaçant cette séquence à un moment où l’intensité est à son apogée. Qu’il accepte que le cinéma ne soit qu’une construction, en révolte contre les habitudes actuelles de se focaliser uniquement sur les émotions ressenties.

Votre cinéma épouse des codes classiques, mais s’ancre bien dans notre époque. Êtes-vous intéressé par un cinéma plus expérimental ?

Ça m’intéresse beaucoup, même si je n’aime pas forcément. Ce que j’y vois, en matière de narration, peut m’influencer. La façon de raconter l’histoire prend plus de place que le sujet en luimême. Le cinéma expérimental, comme celui du jeune Turc Burak Çevik dont je suis le travail, ouvre notre horizon.

69 Sorties du 14 juin au 12 juillet <---- Cinéma juin 2023 – no 198 PAR T. Z.
Les Herbes sèches de Nuri Bilge Ceylan, Memento (3 h 17), sortie le 12 juillet CORENTIN LÊ
LE 12 JUILLET
SORTIE

CALENDRIER DES SORTIES

JUIN 14

Carmen de Benjamin Millepied Pathé (1 h 56)

Carmen, jeune Mexicaine tentant de traverser la frontière avec les États-Unis, tombe sur une patrouille. Avec un ex-marine qui lui sauve la vie, elle se réfugie dans la Cité des Anges.

Fifi de Jeanne Aslan et Paul Saintillan New Story (1 h 48)

Pour fuir son HLM un été, Fifi vole les clés de la maison d’une amie. Quand le frère aîné rentre à l’improviste, il l’autorise à rester, au lieu de la chasser.

The Flash d’Andy Muschietti

Warner Bros. (2 h 24)

Barry se sert de ses pouvoirs pour remonter le temps et modifier son passé. Alors qu’il est pris au piège d’une réalité où les super-héros ont disparu, l’avenir de l’univers repose sur lui.

Giulia de Ciro De Caro Moviemento Films (1 h 49)

Le temps d’un été caniculaire à Rome, Giulia cherche un nouveau sens à sa vie. Son besoin de liberté et ses désirs illusoires la mènent vers de nouvelles rencontres.

Jeanne et le garçon formidable d’Olivier Ducastel et Jacques Martineau

Malavida (1 h 34)

Jeanne collectionne les amants. Quand elle rencontre Olivier dans le métro, c’est le coup de foudre. Mais leur amour est assombri par le grand mal de la décennie : le sida.

Love Life de Kōji Fukada Art House (2 h 04)

Taeko vit avec son époux et son fils en face de chez ses beaux-parents. Alors qu’elle rencontre l’ex-fiancée de son mari, le père biologique de son fils refait surface.

Marcel le coquillage (avec ses chaussures) de Dean Fleischer Camp

L’Atelier (1 h 30)

Lorsqu’un réalisateur de documentaire découvre Marcel et sa grand-mère dans son Airbnb, il publie une vidéo qui leur o re un nouvel espoir de retrouver leur famille.

La Nuit du verre d’eau de Carlos Chahine JHR Films / Jour2fête (1 h 23)

Été 1958. Trois sœurs sont en villégiature dans la montagne libanaise. La vie du village est bousculée par la révolution grondant à Beyrouth et par l’arrivée de deux Français.

Stars at Noon de Claire Denis Ad Vitam (2 h 17)

Une journaliste américaine bloquée sans passeport dans le Nicaragua d’aujourd’hui rencontre dans un bar d’hôtel un voyageur anglais. Il semble être l’homme rêvé pour l’aider à fuir le pays.

JUIN 21

38,5° quai des Orfèvres

Un tueur en série sème des alexandrins sur ses scènes de crime. Une jeune enquêtrice est chargée de cette a aire impossible, sous la direction d’un commissaire légendaire.

Asteroid City de Wes Anderson

Universal Pictures (1 h 45)

Asteroid City, 1955. Cinq enfants surdoués présentent leurs inventions scientifiques, au même moment où des essais nucléaires provoquent des champignons atomiques.

Chocolat de Claire Denis

Carlotta Films (1 h 45)

La vie d’un couple de Blancs parmi les Noirs peu de temps avant l’indépendance du Cameroun. Vie perturbée par les passagers d’un avion qui se pose sur leur domaine…

Élémentaire de Peter Sohn

Walt Disney (1 h 42)

À Element City, la rencontre entre Flam, jeune femme intrépide, et Flack, garçon sentimental, met en question toutes leurs croyances sur le monde dans lequel ils vivent.

Il Boemo de Petr Václav

Nour Films (N. C.)

Dans une Venise libertine, la vie, l’œuvre et les frasques de Josef Mysliveček, surnommé « Il Boemo », un compositeur de génie oublié, que le jeune Mozart admirait.

Magnificat de Virginie Sauveur

Orange Studio / Alba Films (1 h 37)

À la mort d’un prêtre, la chancelière du diocèse découvre qu’il s’agissait d’une femme. Elle mène l’enquête pour comprendre comment une telle imposture a été possible.

Nezouh de Soudade Kaadan Pyramide (1 h 43)

Au cœur du conflit syrien, Zeina et ses parents sont les derniers à vivre dans leur quartier assiégé. Quand un missile fait un trou béant dans leur maison, ils doivent partir.

70 no 198 – juin 2023 Cinéma > Sorties du 14 juin au 12 juillet
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de Benjamin Lehrer KMBO (1 h 24)
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Polaris d’Ainara Vera Jour2fête (1 h 18)

Capitaine de bateaux dans l’Arctique, Hayat navigue loin des hommes et de son passé. Quand sa sœur, Leila, met au monde une fille, leurs vies s’en trouvent bouleversées.

Pornomelancolia de Manuel Abramovich

Épicentre Films (1 h 34)

How to Save a Dead Friend de Marusya Syroechkovskaya

La Vingt-Cinquième Heure (1 h 43)

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Le jour de ses 16 ans, Marusya s’est fait la promesse d’en finir avec la vie. Au cœur de cette « Russie de la déprime », elle rencontre Kimi dont elle tombe amoureuse.

lire p. 58

Lalo, sex-influenceur qui se met en scène nu pour ses followers, devient la vedette d’un film porno. Mais, dans la réalité, il semble vivre dans une mélancolie constante.

Sisu. De l’or et du sang de Jalmari Helander

SND (1 h 31)

lire p. 64

Finlande, 1944. Un ancien soldat découvre un gisement d’or. Prêt à tout pour sauver son précieux butin, il a ronte tous les SS qui se trouvent sur son chemin.

La Sorcière et le Martien de Thomas Bardinet

DHR / À Vif Cinémas (1 h 17)

Myriam va changer de famille d’accueil. Bilal doit rejoindre ses parents scientifiques sur Mars. Cet été sera le dernier qu’ils vivront sur le territoire de leur enfance.

Indiana Jones et le cadran de la destinée de James Mangold

Walt Disney (2 h 34)

lire p. 52

Indiana Jones s’apprête à tirer sa révérence. Quand sa filleule vole un précieux artefact, il se lance dans une dernière quête, retrouvant son vieil ennemi juré.

La Maison des égarées de Shinya Kawatsura

Les Films du Préau (1 h 45)

FESTIVAL EVERYBODY

SPECTACLES, COURS & ATELIERS, DÉBATS, ART CONTEMPORAIN…

∞∞∞∞∞∞

Elle s’appelle Barbara de Sérgio Tréfaut

Alfama Films (1 h 21)

lire p. 66

Barbara a suivi en Irak son époux devenu combattant de Daech. Trois ans après, sa vie a totalement changé : elle vit avec ses enfants dans un camp de prisonniers djihadistes.

Farang de Xavier Gens

StudioCanal (1 h 39)

Lors d’une permission, le passé de Sam, détenu exemplaire, le rattrape et ne lui laisse qu’un choix : la fuite. Cinq ans plus tard, en Thaïlande, il prépare sa vengeance.

lire p. 16

Deux jeunes filles se retrouvent séparées de leur famille à la suite d’un cataclysme. Elles rencontrent une vieille dame qui les recueille dans sa maison à l’écart du village.

Passages d’Ira Sachs

Paname (1 h 31)

FESTIVAL SUR LE CORPS CONTEMPORAIN

SPECTACLES, ROLLER PARTY, ART CONTEMPORAIN, COURS DE SPORT, ATELIERS…

lire p. 44

L’histoire de deux hommes qui sont ensemble depuis quinze ans, et ce qui se passe quand l’un d’eux a une liaison avec une femme.

Rheingold de Fatih Akın Pathé (2 h 18)

L’incroyable ascension de Giwar Hajabi, jeune immigré kurdo-iranien, ancien criminel et trafiquant de drogue devenu Xatar, star et légende du rap allemand.

Ruby l’ado Kraken de Faryn Pearl et Kirk DeMicco Universal Pictures (1 h 35)

Ruby, 16 ans, tente désespérément de trouver sa place au lycée, quand elle découvre qu’elle est la descendante directe de la lignée des reines guerrières Kraken.

Le Samouraï de Jean-Pierre Melville

Les Films du Camélia (1 h 45)

lire p. 12

Jef Costello est un tueur à gages. Alors qu’il est suspecté d’un meurtre, une femme l’innocente. Relâché, Jef cherche à comprendre pourquoi elle a agi de la sorte.

71 Sorties du 14 juin au 12 juillet <---- Cinéma
Conception graphique KIBLIND • Photo © Collectif Lova Lova WWW.LECARREAUDUTEMPLE.EU
DU 28 JUIN AU 2 JUILLET 2023 TROISIÈME ÉDITION juin 2023 – no 198
JUIN 28

La Sirène de Sepideh Farsi

Bac Films (1 h 40)

Sud de l’Iran, 1980. Les habitants d’Abadan résistent au siège des Irakiens. Alors que l’étau se resserre, Omid, 14 ans, va tenter de sauver ceux qu’il aime.

Les Vengeances de maître Poutifard de Pierre-François Martin-Laval UGC (N. C.)

Instituteur à la retraite, Robert Poutifard n’a plus qu’une idée en tête : aidé de sa mère, il va se venger des anciens élèves qui ont gâché sa vie.

Vera de Tizza Covi et Rainer Frimmel

Les Films de l’Atalante (1 h 55)

Vera vit dans l’ombre de son célèbre père. Lassée de sa vie et de ses relations superficielles, elle décide de rencontrer des individus de la haute société romaine.

Vers un avenir radieux de Nanni Moretti

Le Pacte (1 h 36)

Giovanni s’apprête à tourner son nouveau film. Entre son couple en crise, son producteur au bord de la faillite et sa fille qui le délaisse, tout semble jouer contre lui.

Cléo, Melvil et moi d’Arnaud Viard

Moonlight Films (1 h 13)

Dans le Paris désert du premier confinement, Arnaud, 55 ans, séparé d’Isabelle et père de deux enfants, va en profiter pour prendre soin d’eux et faire le point sur sa vie.

Les Filles d’Olfa de Kaouther Ben Hania Jour2fête (1 h 50)

Olfa est tunisienne et mère de quatre filles. Un jour, ses deux aînées disparaissent. Pour raconter leur histoire, la réalisatrice convoque des actrices professionnelles.

Joy Ride

d’Adele Lim

Metropolitan FilmExport (1 h 32)

Audrey demande à son amie d’enfance, Lolo, à son ancienne coloc, Kat, et à l’excentrique cousine de Lolo de l’accompagner en Chine à la recherche de sa mère biologique.

Luise de Matthias Luthardt Pyramide (1 h 39)

Octobre 1918. Dans une ferme en Alsace, Luise recueille une jeune Française en fuite et un soldat allemand blessé. Un dangereux jeu à trois se met en place.

Master Gardener de Paul Schrader

Tout le monde m’appelle Mike

de Guillaume Bonnier

À Vif Cinémas / The Dark (1 h 27)

Jean, Isabelle et leur fils naviguent autour du monde. Pendant une escale à Djibouti, ils rencontrent Mike, un chau eur de taxi. Jean décide alors de l’embarquer.

Une nuit

d’Alex Lutz

StudioCanal (N. C.)

Paris, métro bondé. Une femme bouscule un homme, ils se disputent. Très vite, le courant électrique se transforme… en désir brûlant. La nuit, désormais, leur appartient.

Welfare de Frederick Wiseman Météore Films (2 h 47)

Yo mama de Leïla Sy et Amadou Mariko Gaumont (1 h 32)

A olées par le clip de rap de leurs fils de 11 ans, trois mères de famille se lancent à leur tour dans le rap avec un clip explosif qui rencontre un succès surprenant.

lire p. 63

JUILLET 05 JUILLET 12

À contretemps

de Juan Diego Botto

Condor (1 h 45)

Rafa, avocat engagé, doit retrouver la mère d’une fillette laissée seule dans un logement insalubre. Il rencontre Azucena, une femme injustement menacée d’expulsion…

Au cimetière de la pellicule

de Thierno Souleymane Diallo

lire p. 64

En 1953, Mamadou Touré tourne Muramani, tout premier film réalisé par un cinéaste d’Afrique francophone subsaharienne. Le documentaire parcourt la Guinée à la recherche de cette œuvre perdue.

The Jokers / Les Bookmakers (1 h 50)

Narvel est un horticulteur dévoué. Lorsque son employeuse l’oblige à prendre sa petitenièce comme apprentie, les sombres secrets de son passé se révèlent peu à peu.

Promenade à Cracovie de Mateusz Kudla et Anna Kokoszka-Romer ARP Sélection (1 h 10)

Ce documentaire suit Roman Polanski dans la ville où il a vécu enfant, en compagnie de son ami de toujours, le photographe Ryszard Horowitz, survivant de la Shoah.

Les Algues vertes de Pierre Jolivet

Haut et Court (1 h 47)

Une journaliste s’installe en Bretagne pour enquêter sur le phénomène des algues vertes. Elle découvre la fabrique du silence qui entoure ce désastre écologique et social.

Les damnés ne pleurent pas de Fyzal Boulifa New Story (1 h 50)

Marina, 30 ans, nageuse professionnelle éloignée des bassins depuis un accident a ectant son équilibre physique et mental, reprend la compétition dans l’espoir de remporter une médaille olympique.

Fatima-Zahra traîne son fils, Selim, de ville en ville, fuyant les scandales. Quand Selim découvre la vérité sur leur passé, sa mère lui promet un nouveau départ à Tanger, où ils vont faire de nouvelles rencontres.

72 no 198 – juin 2023 Cinéma > Sorties du 14 juin au 12 juillet
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Dean Medias (1 h 30) lire
lire p. 4, 34 et 57 p. 66
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Tinnitus de Gregório Graziosi Wayna Pitch (1 h 45)
lire p. 6 Dans un bureau d’aide sociale new-yorkais, employés et usagers se retrouvent démunis face à un système qui régit leur travail et leur vie.

Les Herbes sèches de Nuri Bilge Ceylan

Memento (3 h 17)

lire p. 69

Samet est un jeune enseignant dans un village reculé d’Anatolie, en attente d’une mutation. Alors qu’il perd espoir, il rencontre Nuray, jeune professeure comme lui.

Limbo de Soi Cheang

KinoVista (1 h 58)

Dans les bas-fonds de Hong Kong, un flic vétéran et son jeune supérieur doivent arrêter un tueur qui s’attaque aux femmes, laissant leur main coupée pour seule signature.

Petit Jésus de Julien Rigoulot

Wild Bunch (1 h 35)

Jean, récemment séparé, enchaîne les galères... Mais sa vie pourrait bien changer, car son fils, Loulou, 10 ans, pourrait être le nouveau Messie.

Le Retour de Catherine Corsini

Le Pacte (1 h 46)

lire p. 68

Khédidja part en Corse avec ses filles le temps d’un été pour s’occuper des enfants d’une famille aisée. L’occasion pour elles de découvrir une partie cachée de leur histoire.

Mission: Impossible Dead Reckoning Part. I de Christopher McQuarrie

Paramount Pictures (2 h 43)

Ethan Hunt et son équipe se lancent dans une mission périlleuse : traquer une nouvelle arme capable de menacer l’humanité entière...

Rétrospective

Lars von Trier

Treize films

Les Films du Losange

Dancer in the Dark, Antichrist, Melancholia, Element of Crime… Les films du réalisateur danois sont de retour au cinéma en version restaurée.

73 Sorties du 14 juin au 12 juillet <---- Cinéma juin 2023 – no 198 Centre Pompidou Exposition | 10 mai – 7 août 2023 Norman Foster réservation conseillée sur centrepompidou.fr En partenariat média avec Avec le soutien de Foster + Partners, Ombrière au Vieux-Port de Marseille, Marseille (France) 2010-2013 © Norman FosterPhoto © Edmund Sumner VIEW, 2013 © Centre Pompidou, direction de la communication et du numérique
Synopsis officiels

SÉLECTION CULTURE

Expos

NORMAN FOSTER

ANNA-EVA BERGMAN ANOUK KRUITHOF

Gagnez des places en suivant TROISCOULEURS sur Facebook et Instagram

Monstre sacré de l’architecture high-tech, le Britannique Norman Foster a laissé son empreinte monumentale dans le monde, en conciliant écologie et ingénierie de pointe.

Le viaduc de Millau, le British Museum (Londres), la Hearst Tower (New York)… L’exposition dévoile le processus de conception de ces célèbres édifices. • Julien Bécourt

> jusqu’au 7 août au Centre Pompidou

Cette rétrospective consacrée à l’artiste franco-norvégienne, décédée en 1987, réhabilite une œuvre méconnue. La feuille d’or fut son matériau signature au sein d’un ensemble de peintures, de dessins et de photographies aux motifs géométriques, entre abstraction et figuration, dans une quête de pureté sans compromis. • J. B. > « Voyage vers l’intérieur » jusqu’au 16 juillet au musée d’art moderne de Paris

PIERRE DAC. LE PARTI D’EN RIRE

Autoconsacré « roi des loufoques », Pierre Dac régala la France de son humour absurde des années 1930 aux années 1970, à la radio comme dans les journaux. Cette exposition rétrospective place le concepteur de Signé Furax et du « schmilblick » au panthéon de la déconne, aux côtés de ses comparses Francis Blanche et Jean Yanne. • J. B.

> jusqu’au 27 août au musée d’art et d’histoire du Judaïsme

Spectacles

PINA BAUSCH [DANSE ]

FESTIVAL JOGGING [DANSE

Hybridant photographies, textiles et sculptures, les patchworks post-humains d’Anouk Kruithof mettent en relief la porosité entre nature, culture et technologie. À travers cette monographie d’envergure, on s’aventure dans un monde à la fois inconnu et étrangement familier. Peaux d’images en latex pendant sur des structures en tube métalliques ou ondulant dans un biotope aquatique, les « sculptures photographiques » de l’artiste néerlandaise entretiennent un dialogue entre l’humain et le non-humain, l’organique et l’artificiel. Entre jeux de reflets et de transparences, altérations des couleurs et récupération de matériaux industriels, ces installations révèlent une fascinante polysémie formelle. Elles ont été élaborées le plus souvent en répercussion avec les lieux de résidence qui ont accueilli l’artiste : comme cet habitat sur pilotis qu’elle bâtit dans la jungle du Suriname à l’usage des locaux, dont la

construction sera interrompue par le Covid-19. En détournant des sources visuelles numériques – de vidéos virales au compte Instagram d’agences gouvernementales –pour les incorporer à des sculptures hybrides où PVC, latex, polystyrène et métal s’agglomèrent et s’interpénètrent, l’artiste soumet notre regard à un questionnement politique autour de la prolifération de l’image et de son usage. La contemplation du désastre environnemental par écran interposé ne renforcerait-elle pas le sentiment d’impuissance ? L’écologie est-elle soluble dans le vortex du clickbait ? Dans cette réappropriation plastique des formes de coercition, Anouk Kruithof donne physiquement à voir les interconnexions que la société de surveillance s’e orce d’invisibiliser. J. B.

> « Tentacle Togetherness » jusqu’au 6 août au Centre photographique d’Île-de-France

FESTIVAL PARIS L’ÉTÉ [DANSE

Une femme en robe vaporeuse blanche, comme somnambule, se cogne à une forêt de chaises : voilà une des images marquantes de ce classique de la chorégraphe allemande Pina Bausch, Café Müller. Sa troupe historique, le Tanztheater Wuppertal, déploie à nouveau cette chorégraphie sensorielle, ambiguë et poignante. • Belinda Mathieu

> Café Müller du 6 au 12 juillet

à La Villette

Au Carreau du Temple, le ballon se déplace à coups de pas de bourrées et de grands jetés avec le Discofoot du CCN – Ballet de Lorraine, la danse contemporaine devient art martial breton avec Lutte·s de Thierry Micouin et Pauline Boyer, mais aussi séance d’aérobic avec Dédicace, le « marathon jukebox dansé » de Romane Peytavin et Pierre Piton. • B. M.

> du 28 juin au 2 juillet au Carreau du Temple

Un roi tombe amoureux d’une femme en entendant sa voix. Il la croit jeune, elle est en fait centenaire. Pour le rencontrer, la vieille femme tente de dissimuler ses traits disgracieux avec l’aide d’une fée. Emma Dante déploie l’imaginaire teinté de fantaisie et de poésie des contes de l’auteur napolitain du XVI e siècle Giambattista Basile. B. M.

> La Scortecata du 17 au 28 juin au théâtre national de La Colline

Maud Le Pladec entraîne le CCN – Ballet de Lorraine dans un clip hypnotisant et frénétique avec Static Shot, Marina Otero se la joue chorégraphe tyrannique entourée d’hommes nus dans Fuck Me, et Madame Arthur chante Alain Bashung dans un cabaret show queer aussi extravagant que touchant. L’été s’annonce chaud et dansant. • B. M.

> Festival Paris l’été du 10 au 30 juillet

74 Culture no 198 – juin 2023
]
]
[ THÉÂTRE ]
EMMA DANTE
Foster + Partners, Tour Hearst, New York (USA), 2000-2006 Anna-Eva Bergman, N 18-1956 Grand Soleil, 1956 Anouk Kruithof, Mind(fool)ness, 2017 Pierre Dac et André Gabriello (1896-1975) simulant un duel avec des chapeaux. Canular pour L’Os à moelle, 1938 © Chuck Choi Archives Jacques Pessis © Anna-Eva Bergman / Adagp, Paris, 2023 Photographie © Peter Mydske / Stortinget Courtoisie de l’artiste et de la galerie Valeria Cetraro, Paris © Bettina Stob © ML Antonelli © Laurent Philippe Static Shot

Restos HABILE

Bou e et mode, c’est le combo réussi et engagé d’Éric, chef, et de Camille, styliste. Du petit déjeuner au dîner, on grignote un croque-monsieur, un chou farci, des œufs au plat ou une tatin, et on refait sa garde-robe. Avec un saintjoseph Fruit d’Avilleran blanc de François Villard (59 €), on est bien. Menus : 23-29 € ou 55-75 € • Stéphane Méjanès > 16, rue de Lancry, Paris Xe

Son

CHARBON KUNITORAYA

LOLO BISTROT

VOUS SOUHAITEZ CONTRIBUER À UN ENGAGEMENT SOLIDAIRE ?

Exit les mauvaises brochettes japonaises au fromage, le chef Masafumi Nomoto crée à Paris un authentique resto de yakitori. Menu locavore avec du poulet de Bresse, filet, cuisse, aile et cœur, mais aussi tempura de saintjacques. Mention spéciale aux boulettes et jaune d’œuf. Tarif en conséquence.

Menus : 120-180 € • S. M.

> 5, rue Villédo, Paris Ier

THIS IS THE KIT

Avec son sixième album Careful of Your Keepers, Kate Stables, alias This Is the Kit, fait grandir un peu plus encore sa singulière écriture folk-pop, poussant haut vers le ciel les frondaisons d’une poésie orale et musicale aux expansives ramifications.

Depuis 2003, l’autrice-compositrice anglaise (mais parisienne de longue date) creuse son sillon entre folk et « antifolk », traditions et explorations, telle une âme ancienne de passage au présent. Révélée par un revival folk aux côtés de Vashti Bunyan, elle fait produire ses albums par John Parish, Aaron Dessner (The National) ou ici, Gru Rhys (Super Furry Animals), pour faire éclore des chansons ambivalentes, aussi inquiètes qu’apaisantes, toutes à la fois enracinées et détachées. Les « gardiens » (« Keepers »), pour lesquels elle réclame ici notre attention (« Careful » ), sont les habitants du monde naturel (les arbres et tout ce à quoi ils se lient, c’est vaste)

Livres

tout autant que le chœur amical, familial, sentimental qui nous entoure et nous accompagne. Ici, ce sont les fidèles Rozi Plain (basse/voix), Neil Smith (guitare), Jamie Whitby-Coles (batterie) et Jesse Vernon (cuivres) qui entrelacent arpèges savants, pulsations free et souffles glorieux, tout en laissant – merveille d’alchimie maturée – l’espace nuancé nécessaire à la voix de Stables pour qu’elle soit au premier plan. Celle-ci, douce et assurée, rappelant Julie Doiron ou Aldous Harding, égrène comme des chapelets des chansons aux airs de mantras, qui font tournoyer les mots, mais moins comme des motifs répétitifs que comme les éléments d’une spirale ascendante, revenant toujours di érents. Il nous semble ainsi assister à une croissance, avec ses aléas, ses hauts et ses bas, mais où tout persévère et s’étend, et c’est lumineux. • Wilfried Paris

> Careful of Your Keepers de This Is the Kit (Rough Trade Records)

ÉLOGEDELAPLAGE ET PETIT ÉLOGEDUTRANSAT

Les beaux jours sont de retour, il flotte un air de vacances, chacun songe à boucler ses valises. En guise d’avant-goût, ouvrons deux livres qui nous parlent de plages et de transats. Le premier, Éloge de la plage, est signé Grégory Le Floch, l’un des jeunes romanciers en vue du moment, dont le dernier roman , Gloria, Gloria était illuminé par ses superbes descriptions de l’île d’Elbe. À mi-chemin entre le récit intime, l’essai littéraire et l’étude sociologique par la bande, il évoque la plage sous tous ses aspects, historique, social, géologique, pictural, culturel. De-

puis quand va-t-on à la plage ? Dans quelle tenue ? Pour y faire quoi ? Quel rapport a-t-elle avec l’érotisme, avec la liberté, avec l’infini ? Le Floch aborde ces questions et bien d’autres en convoquant écrivains, peintres, historiens, cinéastes et chercheurs spécialisés, lesquels nous apprennent hélas que la plupart des plages du monde sont menacées par la montée des eaux. 5 500 kilomètres de plages américaines disparaîtront d’ici la fin de ce siècle, et 8 % des françaises… Il est encore temps, malgré tout, d’installer sur le sable sa serviette ou, mieux, son

Après Lolo cave à manger, Loïc Minel et Christophe Juville se dédoublent. Vins d’auteurs, tel ce Volcanic 2019 de Fabien Forest, et plats funky de Zac Gannat : cervelle, huître et balsamique, ou tarte caramel et stilton. Malin : une omelette à la carte chaque jour. Menus : 22-28 € • S. M. > 53, rue du Faubourg-Poissonnière, Paris IXe

JACQUES TATI. SWING!

En quarante titres, retrouvez l’univers facétieux, nostalgique et follement inventif des films de Jacques Tati (Les Vacances de Monsieur Hulot, 1953 ; Mon oncle, 1958 ; Playtime , 1967 ) à travers leurs musiques (d’Alain Romans, Françis Lemarque, Charles Dumont…), entre jazz et java, bruits des villes et airs de fête. • W. P.

> Jacques Tati. Swing ! (Born Bad Records)

ANADOL

Anadol est une musicienne turque qui compose des miniatures instrumentales synth-pop pleines de poésie, entre Bruce Haack et The Space Lady, avec des Casio vintage et beaucoup d’imagination. Ici, elle remixe et réédite son album de 2017, inspiré par des B.O. de films français, italiens et turcs des années 1960. • W. P.

> Hatıralar d’Anadol (Pingipung)

DEVENEZ ÉCOUTANT(E) BÉNÉVOLE et REJOIGNEZ UNE ÉQUIPE CHALEUREUSE

transat. Vanessa Postec rend hommage à cet objet indispensable dans Petit éloge du transat, livre léger mais sérieux, qui explore la chaise longue sous toutes les coutures et qui en fait l’étendard d’un projet quasi politique, celui d’une vie ralentie, apaisée, raisonnablement nonchalante et pleinement vécue. C’est une réplique à ressortir, cet été : « Je ne fais pas la sieste, je milite. »

• Bernard Quiriny

> Petit éloge du transat de Vanessa

Postec (Les Pérégrines, 184 p., 12,50 €)

> Éloge de la plage de Grégory

Le Floch (Rivages, 240 p., 19 €)

• Formation sérieuse assurée

• Lieu d’écoute sur Paris

• Infos : www.suicide-ecoute.fr ou 01 45 39 93 74

75 Culture juin 2023 – no 198
© Stéphane Méjanès
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Stéphane Méjanès
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Stéphane Méjanès
Plu s o n e n parle, moins o n y pense...

CINÉMAS

QUAI DES SONGES

Avant-premières, cycles, jeune public

Avis aux rêveurs et aux curieux, un nouvel espace culturel a ouvert ses portes au mk2 Quai de Loire, dans le XIXe arrondissement de Paris. Figurines exclusives, romans japonais, jeux de société… Cette boutique de 200 m2 a de quoi vous surprendre. « L’espace est imaginé comme un cocon, avec du bois clair pour un côté convivial. On veut que les gens s’y sentent bien », confie Cécile Langlais, directrice de la boutique Quai des songes. Si son confort ne vous convainc pas d’y flâner tout l’après-midi, les merveilles qu’elles renferment s’en chargeront. En quête de divertissement ? Plus de 4 000 références de jeux de société pour tous les

Conférences, débats et cinéma clubs

FEMME, VIE, LIBERTÉ : UN AN DE LUTTES

Rencontre avec certains auteurs – dont Marjane Satrapi – de Femme, vie, liberté (L’Iconoclaste), une BD engagée qui raconte ce qui n’a pu être filmé depuis la révolution des femmes iraniennes l’an dernier. > le samedi 16 septembre 2023 à 11 h au mk2 Bibliothèque

Retrouvez toute la programmation de mk2 Institut ici :

FIÈVRES ADOLESCENTES

À l’approche de l’été, la sève monte dans les corps et les têtes des grands enfants. Ce passage obligé vers la vie d’adulte a donné lieu à des films magnifiques – de Xavier Dolan, François Tru aut ou Andrea Arnold – mis en avant dans une sélection imaginée par les journalistes et programmateurs de mk2.

> à partir du 15 juin, sur mk2curiosity.com

Retrouvez toute la programmation de mk2 Curiosity ici :

âges s’o rent à vous. Collectionneurs dans l’âme ? Des figurines collector des mangas One Piece ou Demon Slayer vous attendent ! Mais elles ne patienteront pas longtemps, car le mantra de cette boutique à mi-chemin entre la librairie et le concept store est de dénicher des pièces en édition très limitée, importées directement du Japon et exclusives en France. La preuve avec la fable écologique illustrée, Le Grand Arbre au centre du monde, éditée pour la première fois en français, qui plaira aux passionnés du studio Ghibli. Son autrice, Makiko Futaki, était une célèbre animatrice du studio, encouragée par Hayao Miyazaki lui-même dans l’écriture

CLÉMENT VIKTOROVITCH : LA RHÉTORIQUE EN PARTAGE

Nous avons tous besoin d’apprendre à convaincre et à décrypter les argumentations. C’est justement l’objet de ce cycle de leçons animées par le politologue et chroniqueur Clément Viktorovitch pour découvrir les armes du discours.

> tous les jeudis du 11 mai au 29 juin au mk2 Bibliothèque à 20 h

de ses ouvrages. Prolongez cette immersion dans l’univers onirique du cinéaste japonais avec La Cité des brumes oubliées de Sachiko Kashiwaba, le livre qui a inspiré Le Voyage de Chihiro (2002). Un dépaysement garanti à prix doux : entre 12,90 € et 24,90 € pour un roman, et jusqu’à 110 € pour les figurines les plus rares. Le plus dur restera de faire un choix ! • CHLOÉ BLANCKAERT > Quai des songes, au mk2 Quai de Loire.

Retrouvez toutes les actualités des cinémas mk2 ici :

MUSIQUE CLASSIQUE ? CHICHE !

« Et si la musique classique était plus actuelle que jamais ? » Un cycle de conférences animé par Marina Chiche et ses invités pour penser la musique classique à la lumière des enjeux de société et au croisement des disciplines.

> tous les jeudis du 25 mai au 29 juin au mk2 Odéon (côté St Germain) à 20 h

Chaque semaine, une sélection de films en streaming sur mk2curiosity.com

LE MEILLEUR DU COURT MÉTRAGE

À l’occasion de la nouvelle édition du festival Côté court de Pantin, visionnez gratuitement les plus belles propositions de ce cru 2023, avec les films de Bertrand Mandico, Garance Kim, Serge Bozon, Anaïs-Tohé Commaret ou encore Jean-Gabriel Périot. > du 15 au 29 juin, sur mk2curiosity.com, gratuit

LES RÉALISATRICES À L’HONNEUR

Pour célébrer la Palme d’or attribuée à Anatomie d’une chute de Justine Triet, troisième réalisatrice à recevoir cette récompense, place aux femmes avec une programmation spéciale mettant en avant les films d’Agnès Varda, Samira Makhmalbaf, Maren Ade, Lucia Puenzo ou Wanuri Kahiu.

> à partir du 29 juin, sur mk2curiosity.com

76 no 198 – juin 2023
Les actus mk2
© D. R.

LE FESTIVAL PARADISO EST DE RETOUR POUR UNE QUATRIÈME ÉDITION

Du 6 au 9 juillet, le festival organisé par mk2 et le Louvre vous emmène en Italie. Au programme : un western de Sergio Leone, le célèbre cabaret de Madame Arthur, ou encore un incontournable de Federico Fellini.

Qui ne voudrait pas découvrir (ou redécouvrir) gratuitement les grands chefs-d’œuvre du septième art sous un ciel étoilé ? Pour la quatrième année consécutive, le festival Paradiso fait de ce rêve une réalité, en vous ouvrant les portes du plus beau cinéma du monde : la cour Carrée du Louvre, métamorphosée en une place de village napolitain. Pendant quatre jours, goûtez à la dolce vita grâce à cette sélection culturelle estivale qui comblera tous vos sens. Au programme : gastronomie italienne, cours de danse, concerts et DJ sets enivrants, mais surtout du cinéma, avec certaines séances présentées par la journaliste de TROISCOULEURS Lily Bloom. C’est un incontournable de Martin Scorsese qui ouvrira les festivités. Les A ranchis (1990) – fresque historique à la mise en scène survoltée retraçant la vie du gangster d’origine irlandaise et italienne Henry Hill – sera à savourer en version 4K sur l’écran géant érigé pour l’occasion. En avantséance, Busy P, l’ancien manager des Daft Punk, dynamisera la cour du Louvre avec un DJ set aux tonalités électroniques. Le tout à apprécier un spritz à la main ! Une véritable invitation à la rêverie et au spectacle vous attend ensuite le 7 juillet. Le légendaire cabaret-club de Pigalle, Madame Arthur, rendra un hommage coloré et impertinent à l’Italie avec une performance exclusive de l’artiste Corrine. L’idéal pour se mettre dans l’ambiance, avant de prolonger la soirée avec 8 1/2 (1963), le chef-d’œuvre méta du cinéaste italien Federico Fellini. Enfin, après un détour par l’Italie de Sergio Leone (et la projection de son western Il était une fois dans l’Ouest (1969)), Cinéma Paradiso Louvre se terminera le 9 juillet par la projection de Plein Soleil (1960), le thriller vénéneux de René Clément, adapté du roman Monsieur Ripley de Patricia Highsmith. Gratuites et accessibles à tous, les places du festival Paradiso seront distribuées cette année via un système de loterie. Il ne vous reste plus qu’à peaufiner votre italien ! CHLOÉ BLANCKAERT > Toutes les infos sur mk2festivalparadiso.com

Le culte

Après La boîte à magie

ACTES
actes noirs
SUD
© Nicoletta Ceccoli Écoutez dès maintenant un extrait du roman.
Les actus mk2
juin 2023 – no 198 77
© Cinéma Paradiso Louvre

Page jeux

les mots croisés ciné

Ce mois-ci, pour la sortie d Indiana Jones et le cadran de la destinée de James Mangold (au cinéma le 28 juin), on vous propose une grille en l’honneur de l’éternel aventurier Harrison Ford.

HORIZONTALEMENT 1 Ils sont de mèche. Bière amère. 2. Il intéresse les chercheurs. Robe bien coupée. Avant un joint. Expression du doute. 3. Groupes de chant. Rôle ayant fait de Harrison Ford une star planétaire, à la fin des années 1970, dans la trilogie Star Wars originelle. 4. Mettre la corde au cou. Femme de New Delhi. 5. Ville d’origine de l’acteur Américain. Qui reste sans réponse. C’est un sot ! 6. Qui est protégé des dieux. Passe la main. 7. Crochet en forme de s. Infos du jour. 8. Fragiles. Mit son grain de sel. 9. Petite économie. Il peut être di cile à passer ! (+ art.). 10. Il fait grand bruit. Il manque lorsqu’on est sur la réserve. 11. Di cile. Mince et svelte. Dans l’air du temps. 12. Californium. Déesse Terre. Doucereux. 13. Battu. Film de Peter Weir de 1985 dans lequel Harrison Ford incarne l’inspecteur John Book. Mal d’enfant. 14. Complice d’une mauvaise cause. Prénom arabe. Joignis les mains. 15. Qui ne sont pas punis. Appelai un taxi. 16. Croisé ici. Ville portuaire de l’île grecque Sifnos. C’est tout comme. 17. Petit mobile. Cale de navire. Désert de dunes. 18. Harrison Ford est la vedette de ce film de Ridley Scott (1982), mais aussi celle de la version 2049 de Denis Villeneuve (2017). 19. Laboure pour la troisième fois. 20. Lieu de travail. 21. Somme à payer. Visiteur des égouts. 22. Colère passée. Mouilla aux pores. 23. Espèce disparue. Peut être très cher. 24. Ce n’est pas elle. Choisi par les urnes.

les différences

VERTICALEMENT

A. En ce lieu. B. Ça pour une surprise ! Utile pour régler ses comptes. C. Il atteste d’une victoire. Cabriole. Haut de gamme. Mention positive. Trompé. D. Filtres naturels. Transport en commun. Digestif allemand. Nulle part ailleurs. E. Conversation secrète et Apocalypse Now sont deux des succès de ce réalisateur, dans lesquels Harrison Ford a joué. Épais et fourni. F. Acquitta une dette. Erbium. Soupir de soulagement. Passé au pouvoir. Consommée pour du liquide. G. Bord d’un cours d’eau. Sacrément préféré ! Mis sur le compte des Coréens. Bornée. H. Aux portes de Séoul. Classique d’Andrew Davis dans lequel le personnage de Harrison Ford, accusé du meurtre de sa femme, cherche à prouver son innocence. Transport parisien. I. Prises de bec. Extra-terrestre sympathique. Remplit à ras bord. J. Qui n’est pas polisson. Sodium. Nettoya à l’eau. K. C’est là le problème ! L’illustre acteur l’a reçue par surprise lors du Festival de Cannes 2023. L. Petite embarcation. Confisquées. Le meilleur à la carte. M. Célèbre aventurier aux non moins célèbres chapeau et lasso. Manger à sa fin. Retira de la vie active. N. Avec lui, tout devient possible ! Devant le père et le fils. Chi res romains. Tel un nombre divisible par deux. Produit d’un commerce diabolique. O. Actrice qui partage avec Harrison Ford l’a che d’Indiana Jones 5. Arrive avant nous. P. Arbre de rives. Voyelles. Q. Prit de la hauteur. Maison de bois russe. R. Lettres de préavis. Toute une révolution. Un jeu d’enfants !

78 no 198 – juin 2023 Les solutions ici :
À gauche, une image du film Asteroid City de Wes Anderson (au cinéma le 21 juin, lire p. 56). À droite, la même, à sept di érences près.
© Gaumont A B C D E F G H I J K L M N O P Q R 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14 15 16 17 18 19 20 21 22 23 24 © 2022 Pop. 87 Productions LLC
• PAR ANAËLLE IMBERT – © LES MOTS, LA MUSE
(1) Selon le rapport d’activité Apprentis d’Auteuil 2022. Agence Marcel© Yann Le Pape Apprentis d’Auteuil aide chaque année près de 40 000 jeunes (1) en difficulté à bâtir leur avenir. La confiance peut sauver l’avenir Soutenez-nous sur www.apprentis-auteuil.org RÊVER À NOUVEAU C´EST TOUT UN APPRENTISSAGE
La Fédération Nationale des Cinémas Français et ¢ présentent #feteducinema www.feteducinema.com ≥Tarif unique de 5€ la séance dans tous les cinémas participants et à toutes les séances du 2 au 5 juillet 2023 inclus (hors majoration pour les films en 3D, séances spéciales et prestations complémentaires). Offre non cumulable avec d’autres avantages tarifaires. SOCIÉTÉ D’ÉDITION DE CANAL PLUS, S.A.S. AU CAPITAL DE 95 018 076 €329 211 734 RCS NANTERRE

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