Trois Couleurs #120 avril 2014

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le monde à l’écran

darren aronofsky du 2 avril au 6 mai 2014

De la Bible à Hollywood, Dieu est-il un bon scénariste ?

bill plympton

Le roi du film d’animation indépendant est amoureux

et aussi

Wang Bing, Miossec, Zoo de Vincennes…

Dolan à la ferme

La jeune pousse du cinéma québécois s’installe à la campagne

no 120 – gratuit




l’e ntreti e n du mois

Darren Aronofsky Dieu est-il un bon scénariste ?

Le réalisateur de Requiem for a Dream et de Black Swan adapte le déluge de la Genèse et s’empare du mythe dans un blockbuster savant et excitant, bel équilibre entre péplum fantastique, film catastrophe et huis clos introspectif. L’histoire de Noé (Russell Crowe) et de sa famille est réactualisée sous la forme d’un manifeste écologiste. Alors que le film est interdit dans plusieurs pays (lire à ce propos notre interview du producteur Scott Franklin sur troiscouleurs.fr), explication de texte avec Darren Aronofsky.

© jason bell

Propos recueillis par Étienne Rouillon

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avril 2014


l’e ntreti e n du mois

« interpréter ces mythes, c’est le moyen de leur rendre toute leur puissance poétique et métaphorique. » l’épisode du déluge est souvent, pour les croyants, le premier contact avec la figure d’un dieu destructeur, par opposition à une figure plus attendue, bienveillante et miséricordieuse. enfant, quel regard portiez-vous sur cette histoire ? Je me souviens que j’avais de l’empathie non pas pour Noé, mais pour ces gens qui n’avaient pas pu monter à bord du bateau. J’ai toujours vu ça comme une histoire terrifiante. Nous sommes tous conscients au fond d’être des personnes faillibles. Connaissant nos faiblesses et défauts, on se pose la question de savoir si nous aurions été autorisés à monter sur le bateau. quelle place la religion a-t-elle eue dans votre éducation ? Je suis juif, mais je n’ai pas été élevé dans un environnement très religieux. Mes parents respectaient surtout les jours de fête, c’était une démarche plus culturelle que religieuse. Cette histoire de la Genèse, je la vois comme l’un des trésors de notre culture. Il appartient à tous. Il n’est pas confisqué par le monde judéo-chrétien. C’est un peu comme les mythes grecs et nordiques, qui sont racontés et adaptés dans le monde entier. La forme même du mythe du déluge se retrouve dans toutes les cultures, en Chine, au Japon, chez les Mayas ou dans la région de l’Amazonie. Tous les peuples ont une histoire liée au pouvoir destructeur de l’eau capable de faire disparaître des civilisations. Le déluge n’avait pas été porté à l’écran, j’y ai vu une formidable opportunité : réactualiser ce mythe, tout comme le cinéma a donc pu réactualiser des mythes grecs ou nordiques récemment. réactualiser le dieu judéo-chrétien est-il aussi simple que de mettre en scène les dieux de l’olympe ou d’ásgard ? Il y a comme une résistance, parce que des gens pensent qu’il faut prendre ces histoires au pied de la lettre. Interpréter ces mythes, c’est au contraire pour moi le moyen de leur rendre toute leur puissance poétique et métaphorique. Quand on regarde mon film, il n’y a rien de réaliste dans toute cette histoire : les animaux qui vont deux par deux, la création des arcs-en-ciel, le Léviathan sur Terre, les anges déchus qui errent comme des géants de pierre… Nous avons voulu créer un univers fantastique, au même titre que la Terre du Milieu dans Le Seigneur des anneaux. Je ne pense pas que cela puisse être de nature à offenser les croyants. Cette

histoire est aussi un symbole universel que l’on peut appliquer à notre quotidien. L’idée même du péché originel, c’est une manière symbolique de comprendre ce qui nous différencie du règne animal. Mon fils de 7 ans dit que nous sommes la seule espèce qui s’entretue. Il a raison. Bien sûr, il arrive de temps en temps qu’un hippopotame en tue un autre en le blessant mortellement pendant une rixe, mais nous sommes les seuls à avoir fait du meurtre un art. C’est vraiment tout ce qui m’intéresse. Voilà une histoire qui débute avec la création du monde, se poursuit avec le péché originel puis le premier meurtre, saute les générations et nous raconte un monde complètement corrompu, celui dans lequel vit Noé. Très bien. Comment puis-je faire résonner ces événements avec nos vies d’hommes modernes ? le récit du déluge dans la genèse est très concis. la narration peut volontiers se faire par ellipse, des mystères faisant avancer le récit. comment avez-vous traduit ce texte sous la forme d’un scénario ? Je voulais figurer un monde où tout ce que l’on verrait serait non pas réaliste mais concevable. Évidemment, il y aura toujours des gens pour dire : « C’est impossible de faire tenir tout le royaume animal dans une arche ! » Cela n’a aucune importance. On raconte une histoire les gars, c’est un mythe que l’on essaie de rendre plausible à l’écran. Personne, par exemple, ne doute du fait que le cyclope n’a jamais existé, qu’il n’y a jamais eu ce géant avec un seul œil vivant en haut d’une colline que l’on a aveuglé avec un pieu. Et pourtant tout le monde est d’accord, l’Odyssée est une histoire géniale. Pourquoi cela ne serait pas le cas de la Genèse ? Je m’attends aux attaques dures pour ce qui est de l’adaptation du texte. J’ai simplement essayé de faire en sorte que l’histoire se tienne à l’écran. Prenez les animaux, notre première réaction en tant que spectateur c’est : « Comment une simple famille va-t-elle pouvoir s’occuper de toutes ces bêtes, les nourrir, nettoyer leur lisier ? » Moi, en tant que réalisateur, je ne veux pas que l’attention s’attarde sur ces problèmes, alors j’adapte, en faisant intervenir une herbe magique qui va placer les bêtes dans un état d’hibernation. Se sortir des problèmes physiques permet de se concentrer sur les thèmes centraux du film et du texte biblique, l’idée du péché et de la moralité. Ce sont des thèmes qui touchent autant les croyants que les non-croyants.

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© mmxiv paramount pictures corporation and regency engtertainment inc

l’e ntreti e n du mois

une époque très lointaine pendant laquelle nous n’avions pas d’autres moyens d’appréhender intellectuellement les indices de cette création. » L’idée de l’évolution des espèces, il y a trois mille ou cinq mille ans, était difficilement concevable sans origine divine. Et c’est toujours quelque chose de difficilement abordable au xxie siècle si l’on ne vous l’enseigne pas.

« L’idée de l’évolution des espèces, il y a trois mille ou cinq mille ans, était difficilement concevable sans origine divine. » il y a un moment fort où vous vous adressez aux deux, croyants et non-croyants. noé raconte le début de la genèse, la création du monde. sa voix, en off, colle strictement au texte biblique, et accompagne des images qui elles figurent en accéléré les explications de la science moderne : la tectonique des plaques, la division cellulaire, la théorie de l’évolution… C’est intéressant de présenter ces six jours de la création mis en parallèle avec les découvertes scientifiques. Ce que l’on voit n’est cependant pas tout à fait exact sur le plan scientifique, il y a des raccourcis. Je ne pense pas que la communauté scientifique sera parfaitement satisfaite de cette séquence. Je ne pense pas non plus que les croyants qui prennent le texte au pied de la lettre seront ravis. Vous savez, aux États-Unis, il y a des gens qui rejettent Darwin, ce qui est complètement… enfin, passons. Ce que j’espère, c’est que cette double lecture établira un dialogue intérieur : « O.K., détachons-nous de cette temporalité littérale des six jours et considérons qu’il s’agit d’une représentation mythologique qui permettait de se figurer la création du monde à

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toutefois, vous achevez cette séquence figurant l’évolution des espèces par une ellipse sous la forme d’un fondu au blanc qui sépare l’homme du reste des animaux. pourquoi ne pas montrer explicitement un ancêtre commun à l’homme et au singe ? J’ai fait ça parce qu’il y a de fait une séparation dans le texte. « Puis Dieu dit : “Faisons l’homme à notre image.” » Vous pouvez interpréter cela comme vous le voulez du point de vue de l’évolution, mais je ne voulais pas y mettre mon opinion, ce serait faire de la politique. Il n’y a rien là-dessus dans le texte. Je pense que nous sommes tous des animaux, mais il y a quelque chose qui nous distingue des autres mammifères. Où placer cette distinction ? Ce que je sais, c’est que ce qu’a fait l’homme au xxe siècle a eu un impact sur la planète sans commune mesure avec l’activité des autres espèces. C’est une question centrale dans le film : ce qui nous a séparés du royaume animal et pourquoi nous avons développé à ce point notre domination de la planète. Retrouvez l’interview du producteur du film, Scott Franklin, sur notre site, www.troiscouleurs.fr Noé de Darren Aronofsky avec Russell Crowe, Jennifer Connelly… Distribution : Paramount Pictures Durée : 2h18 Sortie le 9 avril

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Sommaire

Du 2 avril au 6 mai 2014

À la une… 4

en ouverture

portfolio

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exclusif

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Darren Aronofsky

Le réalisateur de Requiem for a Dream et de Black Swan adapte sa bande dessinée Noé au cinéma. Il nous explique comment il a abordé le premier récit catastrophe de l’histoire de l’humanité, privilégiant son caractère de conte symbolique à sa dimension dogmatique et religieuse. De la Bible à Hollywood, Dieu est-il un bon scénariste ?

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entretien

Mati Diop Avec Mille soleils, elle signe un moyen métrage en forme de conte nostalgique et retrouve l’acteur de Touki Bouki, chef-d’œuvre du cinéma sénégalais.

Bill Plympton

Il est le parangon du cinéaste indépendant. Producteur, scénariste et réalisateur, le New-Yorkais assure également la totalité de l’animation de ses films. Résultat : la moindre rature des « plymptoons » vibre au rythme des émotions de leur créateur. Dans ses neuf précédents longs métrages d’animation, il nous avait ainsi dévoilé ses tripes, éventuellement les recoins les plus malfamés de son cerveau. Avec Les Amants électriques, il nous ouvre son cœur.

en couverture

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l’album

Tom à la ferme Avec ce quatrième film, le réalisateur canadien Xavier Dolan s’empare brillamment des codes du thriller pour une évocation angoissante et sensuelle d’un deuil empesé par les non-dits.

reportage

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Zoo de Vincennes Après des années de travaux, le parc zoologique rouvre ses portes. Dans les coulisses de cet événement, nous avons suivi le transfert de l’un de ses illustres pensionnaires : Aramis, le jaguar.

nouveau genre

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Miossec Christophe Miossec, chanteur à boire, baiser, brûler, devenu sobre (mis au sec, on ose le jeu de mot) et presque vieux sage, sort un nouvel album, Ici-bas, ici même, apaisé mais pas moins brûlant, entre protest et love songs. Entretien cafés/ cigarettes électroniques.

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La fable régressive Film noir, mélodrame, road movie… mais encore ? Nous partons chaque mois à la recherche d’un genre inconnu de l’histoire du cinéma. Ce mois-ci : la fable régressive.

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© alban grosdidier

© jason bell ; wang bing ; fabien breuil ; philippe quaisse / pasco ; clara palardy ; étienne rouillon ; d.r. ; rda

Wang Bing Dans Les Trois Sœurs du Yunnan, le documentariste suit le quotidien de trois fillettes livrées à ellesmêmes dans les montagnes boueuses du sud-ouest de la Chine. Sidérant.


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… et aussi

Du 2 avril au 6 mai 2014

Édito 13 À quoi sert de mettre en scène la fin du monde ? S’en prévenir ou s’y résigner ? Les actualités 14 Retour sur ce qui a le plus agité les pages de notre site Internet l’agenda 18 Les sorties de films du 2 au 30 avril 2014 histoires du cinéma 23 Portraits, entretiens, reportages

ÉDITEUR MK2 Agency 55, rue Traversière – Paris XIIe Tél. : 01 44 67 30 00 DIRECTEUR DE LA PUBLICATION Elisha Karmitz (elisha.karmitz@mk2.com) RÉDACTEUR EN CHEF Étienne Rouillon (etienne.rouillon@mk2.com) RÉDACTRICE EN CHEF ADJOINTE Juliette Reitzer (juliette.reitzer@mk2.com) RÉDACTEURS Quentin Grosset (quentingrosset@gmail.com) Laura Tuillier (laura.tuillier@mk2.com) DIRECTRICE ARTISTIQUE Sarah Kahn (hello@sarahkahn.fr) GRAPHISTE-MAQUETTISTE Jérémie Leroy SECRÉTAIRE DE RÉDACTION Vincent Tarrière (vincent.tarriere@orange.fr)

les films 43

Dancing in Jaffa de Hilla Medalia p. 43 // La Crème de la crème de Kim Chapiron p. 44 // Nebraska d’Alexander Payne p. 46 // Heli d’Amat Escalante p. 50 // Rio 2 de Carlos Saldanha p. 50 // Computer Chess d’Andrew Bujalski p. 52 // Métabolisme ou Quand le soir tombe sur Bucarest de Corneliu Porumboiu p. 54 // States of Grace de Destin Cretton p. 58 // Night Moves de Kelly Reichardt p. 60 // Dans la cour de Pierre Salvadori p. 62 // 3x3D de JeanLuc Godard, Peter Greenaway et Edgar Pêra p. 62 // Conversation animée avec Noam Chomsky de Michel Gondry p. 64 // Last Days of Summer de Jason Reitman p. 66 // Pas son genre de Lucas Belvaux p. 68… Les DVD 70 Le Loup de Wall Street de Martin Scorsese et la sélection du mois

ICONOGRAPHE Juliette Reitzer STAGIAIRE Timé Zoppé ONT COLLABORÉ À CE NUMÉRO Stéphane Beaujean, Ève Beauvallet, Camille Brunel, Léa Chauvel-Lévy, Renan Cros, Oscar Duboÿ, Julien Dupuy, Yann François, Clémentine Gallot, Lorraine Grangette, Camille Griffoulières, Stéphane Méjanès, Jérôme Momcilovic, Wilfried Paris, Michaël Patin, Ollivier Pourriol, Alexandre Prouvèze, Bernard Quiriny, Guillaume Regourd, Louis Séguin, Éric Vernay, Anne-Lou Vicente, Etaïnn Zwer ILLUSTRATEUR Charlie Poppins PHOTOGRAPHES Fabien Breuil, Philippe Quaisse PUBLICITÉ DIRECTRICE COMMERCIALE Emmanuelle Fortunato (emmanuelle.fortunato@mk2.com)

© diaphana ; 2013 paramount pictures d.r. ; version originale / condor ; roger arpajou ; shellac ; agat films et cie 2013

RESPONSABLE CLIENTÈLE CINÉMA Stéphanie Laroque (stephanie.laroque@mk2.com)

cultures 72 L’actualité de toutes les cultures et le city guide de Paris

time out paris 98 La sélection des sorties et des bons plans compilés par Time Out Paris

trois couleurs présente 104

CHEF DE PROJET COMMUNICATION Estelle Savariaux (estelle.savariaux@mk2.com) CHEF DE PROJET Clémence Van Raay (clemence.vanraay@mk2.com) ASSISTANTE CHEF DE PROJET Mathilda Brissy (stage.regie@mk2.com)

Architecture en uniforme, Liz Green, les événements MK2

Illustration de couverture © Aline Zalko pour Trois Couleurs

© 2013 TROIS COULEURS issn 1633-2083 / dépôt légal quatrième trimestre 2006. Toute reproduction, même partielle, de textes, photos et illustrations publiés par MK2 Agency est interdite sans l’accord de l’auteur et de l’éditeur. Magazine gratuit. Ne pas jeter sur la voie publique.

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é dito

par ÉTIENNE ROUILLON ILLUSTRATION de CHARLIE POPPINS

quoi sert de filmer la fin du monde ? Tout va bien. Prenez le jour de la victoire aux Oscars de Gravity, des astronautes envoyaient un message de félicitations depuis la station spatiale internationale, et la NASA publiait des photos cousines des images du film : des vues somptueuses sur notre monde. De là-haut, tout avait l’air de rouler. Patatras ! deux semaines plus tard, la même NASA déclarait que cette fois, c’était plié, une de leurs études prédisant la fin inéluctable et prochaine de notre civilisation. Pourquoi cette annonce de pisse-froid alors que l’agence spatiale a

plutôt pour habitude de nous dire que tout baigne, que les grosses météorites passent suffisamment loin de notre planète ? Pourquoi annoncer notre destruction ? Pour s’y résigner, ou pour la prévenir ? Nous avons posé la question à Darren Aronofsky, qui y répond avec son interprétation inédite de la Genèse sur grand écran. Avec Noé, son rapport au texte biblique balance entre la prophétie et l’avertissement écolo – et semble préférer le second. Reste à savoir si nous avons encore le choix, encore le temps de réagir. La question est partagée par Xavier Dolan dans son thriller rural qui fait notre couverture, Tom à la ferme : si tout s’écroule autour de nous, à quoi bon rester seul ?

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e n bre f

Les actualités Retours et compléments d’information sur les nouvelles culturelles de ces derniers jours qui ont agité notre site Internet, troiscouleurs.fr. Par Ève Beauvallet, Julien Dupuy, Quentin Grosset, Jérémie Leroy, Timé Zoppé

> l’info graphique

Qui passe son temps à détruire New York ? Godzilla revient le 14 mai pour croquer la Grosse Pomme. Le site The Concourse a listé les nombreuses attaques subies par la métropole américaine sur grand écran. Voici les grandes tendances de ce récapitulatif en trente-six films. Q. G. & J. L.

les monstres

les catastrophes naturelles

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les virus

les hommes

les aliens

les super-héros

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3

2

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attaques

désastres

épidémies

destructions

invasions

bagarres

Par exemple celle de King Kong, singe monumental capturé par des explorateurs sur une île mystérieuse. Devenu incontrôlable, il saccage l’Empire State Building.

Dont celui du Jour d’après (2004) de Roland Emmerich. New York se transforme en patinoire géante, conséquence du réchauffement climatique qui dérègle la planète.

Dans L’Enfer des zombies (1979) du réalisateur italien Lucio Fulci, un mystérieux navire accoste la baie de New York. Un mort-vivant en sort. Il va contaminer la planète entière.

On pense à Point limite (1964) de Sydney Lumet. Par erreur, les ÉtatsUnis détruisent Moscou. L’Amérique décide donc de sacrifier New York pour prouver sa bonne foi.

Dont celle d’Independence Day (1996) de Roland Emmerich. Une soucoupe volante plane au-dessus de Manhattan, puis réduit la ville entière en miettes.

La plus mémorable est celle d’Avengers (2012) de Joss Whedon. Selon le Hollywood Reporter, les dégâts figurés dans le film auraient coûté la bagatelle de 160 milliards de dollars à la ville.

> COMPTE RENDU

© sun production

Festival de films de femmes

Nagima de Zhanna Issabayeva

Le festival international de films de femmes de Créteil a mis les bouchées doubles pour exposer les points de vue féminins et les représentations de genre à l’écran. En plus des habituelles compétitions (fiction, documentaire, et court métrage), la trente-sixième édition, qui se déroulait du 14 au 23 mars dernier, proposait trois sections parallèles : les héroïnes inattendues, les femmes et le sport, et les réalisatrices vietnamiennes. À retenir, parmi les fictions, la curiosité indonésienne What They Don’t Talk About When They Talk About Love, une immersion à la narration complexe et fascinante dans les amours entre de jeunes malvoyants. Plus classique, le huis clos espagnol Ayer no termina nunca remporte le Grand prix du jury fiction : l’histoire d’un ancien couple se remémorant un drame intime est l’occasion pour la réalisatrice Isabel Coixet d’évoquer indirectement les conséquences de la crise. Mais le choc émotionnel et esthétique se trouve du côté de Nagima de Zhanna Issabayeva, portrait sidérant d’une jeune Kazakhe livrée à elle-même, symbole des peurs de la jeunesse face à l’avenir. T. Z.

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e n bre f

Les concerts de B.O. Concert Final Fantasy en mars dernier, ciné-concert Le Seigneur des Anneaux 3 ce mois-ci, concert Pixar en juin prochain… À première vue, les récitals de bandes originales se portent bien. Mais à première vue seulement… « On en parle peut-être plus, mais ils sont de plus en plus rares ! », répond sans détours Benoît Basirico, spécialiste de la question et fondateur du site Cinezik.fr. Il nous rappelle le nombre d’événements portés disparus depuis quelques années : « Le festival d’Auxerre s’est arrêté en 2009, le Festival de Cannes ne fait plus grand-chose, Le Divan du Monde a cessé d’organiser ses Ciné Party… » Une raréfaction regrettable d’après certains fans, mais vu d’un bon œil par certains compositeurs qui considèrent les récitals de B.O. comme une dénaturation de leur travail. È. B.

© universal pictures

Concert Le Seigneur des Anneaux 3 : le Retour du roi du 4 au 6 avril au Palais des Congrès Pixar en concert le 22 juin au Palais des Congrès

EN TOURNAGE

© paul zimmerman / wireimage

> Musique de film

D’après le site Deadline.com, Sofia Coppola serait en négociation pour diriger une nouvelle adaptation du conte aquatique de Hans Christian Andersen, La Petite Sirène Le studio Universal a confirmé qu’Omar Sy figurerait au générique de Jurassic World, le quatrième volet, réalisé par Colin Trevorrow, de la saga aux dinosaures Ryan Gosling, quant à lui, pourrait prochainement s’atteler à la production d’un biopic consacré au réalisateur de l’âge d’or hollywoodien Busby Berkeley, qu’il incarnera Louise Bourgoin figurera aux côtés de Vincent Lindon dans le prochain film de Joachim Lafosse, Les Chevaliers blancs, inspiré de l’affaire de l’Arche de Zoé. Q. G.

décès > LA TECHNIQUE

47 ronin Parmi les nombreuses créatures qu’affronte Keanu Reeves dans 47 ronin, on trouve un moine capable de se téléporter tout autour de son adversaire (devant, derrière, sur les côtés). Pour réaliser ce trucage, la société londonienne Framestore, récemment oscarisée pour Gravity, a mélangé méthode archaïque et trucage numérique. Sur le plateau, Keanu Reeves affrontait une multitude de comédiens grimés pour incarner ledit moine. L’équipe de Framestore a ensuite effacé par ordinateur la quasi-totalité de ces acteurs, n’en laissant visible à l’écran qu’un seul à la fois, jamais le même, pour donner l’impression que le moine passe instantanément d’un lieu à un autre. J. D. 47 ronin de Carl Erik Rinsch (Universal Pictures) Sortie le 2 avril

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Le comédien Hal Douglas s’est éteint en mars dernier à l’âge de 89 ans. Il avait prêté sa voix, au timbre grave reconnaissable entre tous, à d’innombrables bandes-annonces de films américains (Philadelphia, L’Arme fatale, Forrest Gump…). On n’entendra plus avec la même inflexion de voix ces mots qu’il avait si souvent prononcés : « In a world… » ou « in a time… ». Q. G.


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ag e n da

Sorties du 2 au 30 avril No Gazaran de Doris Buttignol et Carole Menduni Documentaire Distribution : Nour Films Durée : 1h30 Page 46

Tout est permis de Coline Serreau Documentaire Distribution : Bac Films Durée : 1h36 Page 48

47 ronin de Carl Erik Rinsch avec Keanu Reeves, Hiroyuki Sanada… Distribution : Universal Pictures Durée : 1h59 Page 16

Pelo Malo de Mariana Rondón avec Samantha Castillo, Samuel Lange Zambrano… Distribution : Pyramide Durée : 1h33 Page 46

Les Yeux jaunes des crocodiles de Cécile Telerman avec Julie Depardieu, Emmanuelle Béart… Distribution : Wild Bunch Durée : 2h02 Page 48

Mille soleils de Mati Diop Documentaire Distribution : Independencia Durée : 45min Page 26

Salaud, on t’aime de Claude Lelouch avec Johnny Hallyday, Sandrine Bonnaire… Distribution : Les Films 13 / Paname Durée : 2h04

Heli d’Amat Escalante avec Armando Espitia, Andrea Vergara… Distribution : Le Pacte Durée : 1h45 Page 50

2 avril

Dancing in Jaffa de Hilla Medalia Documentaire Distribution : Pretty Pictures Durée : 1h24 Page 43

9 avril

Rio 2 de Carlos Saldanha Animation Distribution : 20 th Century Fox Durée : 1h42 Page 50

La Crème de la crème de Kim Chapiron avec Thomas Blumenthal, Alice Isaaz… Distribution : Wild Bunch Durée : 1h30 Page 44

Noé de Darren Aronofsky avec Russell Crowe, Jennifer Connelly… Distribution : Paramount Pictures Durée : 2h18 Page 4

Computer Chess d’Andrew Bujalski avec Patrick Riester, Wiley Wiggins… Distribution : Contre-Allée Durée : 1h32 Page 52

Eastern Boys de Robin Campillo avec Olivier Rabourdin, Kirill Emelyanov… Distribution : Sophie Dulac Durée : 2h08 Page44

Apprenti gigolo de John Turturro avec John Turturro, Woody Allen… Distribution : ARP Sélection Durée : 1h30 Page 48

Les Nouvelles (Més)aventures d’Harold Lloyd de Hal Roach, Alf Goulding, Harold Lloyd et Frank Terry Distribution : Carlotta Films Durée : 48min Page 76

L’Étrange Petit Chat de Ramon Zürcher avec Jenny Schily, Anjorka Strechel… Distribution : Aramis Films Durée : 1h12 Page44

La Belle Vie de Jean Denizot avec Zacharie Chasseriaud, Solène Rigot… Distribution : Chrysalis Films Durée : 1h33 Page 48

Divergente de Neil Burger avec Shailene Woodley, Miles Teller… Distribution : SND Durée : 2h23

Nebraska d’Alexander Payne avec Will Forte, Bruce Dern… Distribution : Diaphana Durée : 2h Page 46

My Sweet Pepper Land de Hiner Saleem avec Golshifteh Farahani, Korkmaz Arslan… Distribution : Memento Films Durée : 1h34 Page 48

Rétrospective Satyajit Ray, le poète bengali de Satyajit Ray avec Madhabi Mukherjee, Soumitra Chatterjee… Distribution : Les Acacias Durée : 1h57 / 1h52 / 1h14

La Braconne de Samuel Rondière avec Patrick Chesnais, Rachid Youcef… Distribution : Rezo Films Durée : 1h22 Page 46

Suneung de Shin Su-won avec Lee Da-wit, Sung June… Distribution : Dissidenz Films Durée : 1h47 Page 48

Une histoire banale d’Audrey Estrougo avec Marie Denarnaud, Marie-Sohna Condé… Distribution : Damned Durée : 1h22

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Sorties du 2 au 30 avril 16 avril

23 avril

Noor de Ça la Zencirci et Guillaume Giovanetti avec Noor, Uzma Ali… Distribution : Zootrope Films Durée : 1h18 Page 58

Tom à la ferme de Xavier Dolan avec Xavier Dolan, Pierre-Yves Cardinal… Distribution : Diaphana Durée : 1h42 Page 30

Les Amants électriques de Bill Plympton Animation Distribution : Ed Durée : 1h16 Page 23

Night Moves de Kelly Reichardt avec Jesse Eisenberg, Dakota Fanning… Distribution : Ad Vitam Durée : 1h47 Page 60

Les Trois Sœurs du Yunnan de Wang Bing Documentaire Distribution : Les Acacias Durée : 2h33 Page 36

Après la nuit de Basil da Cunha avec Pedro Ferreira, João Veiga… Distribution : Capricci Films Durée : 1h35 Page 56

Dans la cour de Pierre Salvadori avec Catherine Deneuve, Gustave Kervern… Distribution : Wild Bunch Durée : 1h37 Page 62

Métabolisme ou Quand le soir tombe sur Bucarest de Corneliu Porumboiu avec Diana Avr mu , Bogdan Dumitrache… Distribution : Zootrope Films Durée : 1h29 Page 54

Girafada de Rani Massalha avec Saleh Bakri, Laure de Clermont-Tonnerre… Distribution : Pyramide Durée : 1h25 Page 56

96 heures de Frédéric Schœndœrffer avec Gérard Lanvin, Niels Arestrup… Distribution : ARP Sélection Durée : 1h36

African Safari 3D de Ben Stassen Documentaire Distribution : StudioCanal Durée : 1h26 Page 54

Je m’appelle Hmmm… d’Agnès Troublé avec Lou-Lélia Demerliac, Sylvie Testud… Distribution : A3 Durée : 2h01 Page 56

Khumba d’Anthony Silverston Animation Distribution : Metropolitan FilmExport Durée : 1h23

The Best Offer de Giuseppe Tornatore avec Geoffrey Rush, Jim Sturgess… Distribution : DistriB Films Durée : 2h11 Page 54

Une rencontre de Lisa Azuelos avec Sophie Marceau, François Cluzet… Distribution : Pathé Durée : 1h21 Page 56

Une promesse de Patrice Leconte avec Rebecca Hall, Alan Rickman… Distribution : Mars Durée : 1h38 Page 54

Un voyage de Samuel Benchetrit avec Anna Mouglalis, Yann Goven… Distribution : Épicentre Films Durée : 1h27 Page 56

24 jours : la Vérité sur l’affaire Ilan Halimi d’Alexandre Arcady avec Zabou Breitman, Pascal Elbé… Distribution : Paradis Films Durée : 1h50 Page 60

Les Chèvres de ma mère de Sophie Audier Documentaire Distribution : Jour2fête Durée : 1h40 Page 56

States of Grace de Destin Cretton avec Brie Larson, John Gallagher Jr… Distribution : Version Originale / Condor Durée : 1h36 Page 58

The Amazing Spider-Man : le Destin d’un héros de Marc Webb avec Andrew Garfield, Emma Stone… Distribution : Sony Pictures Durée : N.C. Page 60

Need for Speed de Scott Waugh avec Aaron Paul, Dominic Cooper… Distribution : Metropolitan FilmExport Durée : 2h10

La Ligne de partage des eaux de Dominique Marchais Documentaire Distribution : Les Films du Losange Durée : 1h48 Page 58

Le Dernier Diamant d’Éric Barbier avec Yvan Attal, Bérénice Bejo… Distribution : Océan Films Durée : 1h48 Page 60

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ag e n da

3x3D de Jean-Luc Godard, Peter Greenaway et Edgar Pêra Expérimental Distribution : Urban Durée : 1h10 Page 62

Barbecue d’Éric Lavaine avec Lambert Wilson, Florence Foresti… Distribution : StudioCanal Durée : 1h38 Page 64

Pas son genre de Lucas Belvaux avec Émilie Dequenne, Loïc Corbery… Distribution : Diaphana Durée : 1h51 Page 68

Conversation animée avec Noam Chomsky de Michel Gondry Animation Distribution : Shellac Durée : 1h28 Page 64

Enfants des nuages : la Dernière Colonie d’Álvaro Longoria Documentaire Distribution : Chapeau Melon Durée : 1h21 Page 64

Les Femmes de Višegrad de Jasmila Žbani avec Kym Vercoe, Pamela Rabe… Distribution : Happiness Durée : 1h12 Page 68

Ali a les yeux bleus de Claudio Giovannesi avec Nader Sarhan, Stefano Rabatti… Distribution : Bellissima Films Durée : 1h39 Page 64

Last Days of Summer de Jason Reitman avec Kate Winslet, Josh Brolin… Distribution : Paramount Pictures Durée : 1h51 Page 66

Joe de David Gordon Green avec Nicolas Cage, Tye Sheridan… Distribution : Wild Side Films / Le Pacte Durée : 1h57 Page 68

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histoires du

CINéMA

MATI DIOP

XAVIER DOLAN

WANG BING

Portrait de la réalisatrice de Mille soleils p. 26

Entretien avec le réalisateur de Tom à la ferme p. 30

Le cinéaste chinois sort Les Trois Sœurs du Yunnan p. 36

« Je cultive mes défauts, c’est ce qui rend mon travail humain. »

© philippe quaisse / pasco

Bill Plympton

Bill Plympton est le parangon du cinéaste indépendant. Producteur, scénariste et réalisateur, le New-Yorkais assure également la totalité de l’animation de ses films. Résultat : la moindre rature des « plymptoons » vibre au rythme des émotions de leur créateur. Dans ses neuf précédents longs métrages d’animation, parmi lesquels les cultissimes L’Impitoyable lune de miel ! ou The Tune, Plympton nous avait ainsi dévoilé ses tripes, éventuellement les recoins les plus malfamés de son cerveau. Avec Les Amants électriques, il nous ouvre son cœur. Propos recueillis par Julien Dupuy

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omment sont nés Les Amants électriques ? Il y a quinze ans, j’ai vécu une histoire d’amour passionnelle. Mais la colère s’est immiscée dans notre relation, et nous sommes arrivés à un degré de haine tel que nous voulions nous entretuer, alors que, paradoxalement, nous cherchions toujours à coucher ensemble. Cette dualité entre désir et haine m’a fasciné. J’ai alors imaginé cette histoire d’une femme qui reste si attirée par son ex-amant qu’elle accepte d’être cocue, du moment qu’elle profite de l’adultère, même si c’est par procuration, en changeant littéralement de corps. Si cette histoire est inspirée de votre vie, pourquoi avoir choisi de la raconter d’un point de vue féminin ? J’ai l’impression que si la mode féminine est si prégnante dans nos mondes occidentaux, c’est aussi parce que les femmes cherchent quotidiennement à se métamorphoser, à travers le maquillage et les vêtements, pour satisfaire le besoin de variété de leur conjoint. Choisir une femme comme personnage principal me permettait d’aborder cette idée en sous-texte. C’est d’ailleurs la première fois que je m’attache à créer des personnages psycho­ logiquement assez complexes. Du coup, les spectateurs et les critiques saluent les qualités d’écriture des Amants électriques. Ça me fait bizarre, je ne suis pas habitué à ça. Parlons justement de votre processus d’écriture. Puisque vous concevez tout votre film, dans quelle mesure votre scénario évolue-t-il pendant que vous le mettez en images ? Mon « scénario » initial se résume à une série de phrases qui répertorient et organisent mes idées et envies. Je dessine ensuite un brouillon de story-­ board : ce sont de minuscules vignettes qui représentent le déroulement du film et que je peux modifier rapidement. J’ai dessiné trois cents pages d’une dizaine de vignettes pour Les Amants électriques. Ensuite, je refais la totalité du story-­board pour affiner l’histoire : cette fois, les vignettes sont plus grandes et détaillées, et j’y ajoute des annotations pour la lumière ou les bruitages. Enfin, je commence l’animation.

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L’apparence de vos personnages évolue-t-elle durant ce processus ? Oui, parce que plus vous dessinez un personnage, meilleur il sera. Vous allez simplifier ses lignes, rendre sa silhouette plus élégante, c’est presque comme une sélection naturelle. J’estime qu’il faut dessiner environ trois cents fois un personnage principal avant de pouvoir l’animer. Vous arrive-t-il d’être surpris par l’évolution de vos personnages ? Non, car ce processus s’effectue de façon viscérale : tous les personnages font partie de moi, j’évolue en leur compagnie. Et vice versa. Par contre, durant la création du film, je trouve de nouvelles idées qui peuvent m’étonner. Dans une scène, par exemple, le méchant se pince les tétons. En les dessinant, j’ai eu l’impression que leurs petits orifices ressemblaient à des bouches cramoisies. J’ai alors eu l’idée de faire hurler les tétons pour retranscrire la douleur qu’éprouve le personnage. Qui fait les voix de vos personnages ? Moi, la plupart du temps. Vous voulez un exemple ? [Il se met à imiter le personnage de Jake en plein coït, ndlr]. Comme vous pouvez le voir, nous ne sommes pas chez Pixar. Je ne pourrais pas faire un film pour les gamins, il me faut de la passion, de la violence, du sexe, de l’amour. Ce qui ne vous empêche pas d’être ami avec John Lasseter [réalisateur de Toy Story, 1001 pattes, Cars, et directeur artistique des studios Pixar et Walt Disney, ndlr]. Je l’ai beaucoup fréquenté à l’époque de ses premiers courts métrages, lorsqu’il était dans une misère noire. Je le vois moins maintenant, il est trop occupé. Mais si Lasseter vous donnait carte blanche pour travailler chez Pixar, vous accepteriez ? Absolument ! Même s’il y a beaucoup de règles avec eux, travailler chez Pixar me permettrait de toucher un public plus large. Malheureusement, mes films sont cantonnés au circuit art et essai. Et voilà le résultat : John est aujourd’hui l’un des artistes les plus riches du monde, et moi l’un des plus pauvres (rires). Mais que voulez-vous, je n’ai pas eu de mécène comme Steve Jobs, moi !

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Les Amants électriques de Bill Plympton

Mais vous avez Kickstarter. Parlez-nous de votre campagne de financement participatif… Lindsay Woods, ma directrice artistique, a mis au point une technique de colorisation par ordinateur qui rappelle les aquarelles que je pouvais faire à l’époque où je travaillais comme caricaturiste pour le New York Times ou pour Rolling Stones. Mais ça demandait du temps, du personnel, et donc de l’argent. Ce qui m’a conduit à lancer une campagne Kickstarter pour financer la mise en couleur des Amants électriques avec, comme d’habitude, plusieurs degrés de récompense, selon l’importance des contributions. Le plus haut niveau donnait droit à un dîner en ma compagnie. Mais personne ne l’a pris, je pense que les gens avaient peur que je fasse des choses sexuelles étranges avec la bouteille de vin. En tout cas, ce fut un véritable carton. Le financement participatif est un nouveau champ des possibles pour moi. Avant, j’aurais été obligé de composer avec un investisseur. Là, ce sont mes fans qui m’ont financé, et tout ce qu’ils veulent, c’est que ma vision reste intacte. N’aviez-vous pas peur d’obtenir un résultat trop synthétique en choisissant une mise en couleur par ordinateur ? Déjà, je n’avais pas le choix : faire les aquarelles à la main aurait été bien trop long et bien trop cher. Ensuite, les couleurs ont été posées à l’ordinateur, mais nous avons scanné de vraies aquarelles pour les créer. Enfin, j’ai bataillé avec mon équipe pour qu’ils conservent mes ratures et mes erreurs. Je cultive mes défauts, c’est ce qui rend mon travail humain. C’est pour ça que je dessine avec des crayons à papier : ils laissent voir toutes mes hésitations. Et puis, de cette façon, j’ai besoin de peu de chose pour travailler. Ces jours-ci, dans

« Je ne pourrais pas faire un film pour les gamins, il me faut de la passion, de la violence, du sexe, de l’amour. » ma chambre d’hôtel, je planche à l’animation de mon prochain film, un « documenteur » sur Hitler. Il adorait Disney, et j’essaie d’imaginer de quelle manière il aurait évolué s’il était devenu un réalisateur de films d’animation. Justement, comment voyez-vous l’évolution de votre médium ? Nous vivons une période enthousiasmante. L’animation est en train de prendre le pas sur Hollywood, même si les studios continuent à cantonner cet art aux films pour enfants. Même un film comme Gravity peut-être considéré comme un film d’animation, puisque la majeure partie du film est créée et animée par ordinateur. De plus, je vois autour de moi de jeunes mecs qui se lancent dans le métier en essayant tout un tas de choses. J’ai même vu un formidable court métrage créé uniquement avec des épingles. Cette montée en puissance est logique : l’animation est une forme d’expression qui n’a aucune limite. Un artiste peut faire ce que bon lui semble, tout en gardant la mainmise sur la totalité de son œuvre. L’animation, c’est l’art ultime. Les Amants électriques de Bill Plympton Animation Distribution : Ed Durée : 1h16 Sortie le 23 avril

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MILLE SOLEILS

© fabien breuil

MATI DIOP

« Magaye joue beaucoup dans la vie, il a une grande maîtrise de l’image qu’il renvoie. Tenir son propre rôle n’était pas un problème. » 26

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Mille soleils est le premier film de Mati Diop à sortir en salles. Passée par l’école du Fresnoy et occasionnellement actrice, la jeune femme de 32 ans signe un moyen métrage en forme de conte nostalgique pour lequel elle retrouve l’acteur de Touki Bouki, chef-d’œuvre du cinéma sénégalais des années 1970. PAR LAURA TUILLIER – PHOTOGRAPHIE DE FABIEN BREUIL

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e visage juvénile de Mati Diop évoque un souvenir de cinéma. C’était en 2008, elle avait 25 ans, en paraissait 18, et tenait le premier rôle dans 35 rhums de Claire Denis. De cette époque, la jeune femme a gardé la silhouette gracile et y a ajouté une assurance calme, une résolution souveraine. « Le film de Claire Denis m’a confirmé dans mon désir de réalisation ; elle m’a transmis quelque chose de sa détermination. » Son moyen métrage Mille soleils sort en salles, après une gestation longue de cinq ans. Il y est question d’un ancien acteur, Magaye Niang, confronté au souvenir d’un film tourné dans sa jeunesse, Touki Bouki de Djibril Diop Mambéty. Le réalisateur sénégalais, décédé en 1998, n’est autre que l’oncle de Mati Diop. « J’ai découvert Touki Bouki sur une VHS très abîmée, ce qui a participé à rendre le film encore plus lointain et mystérieux. J’ai eu assez vite envie de le partager avec mes amis, pour leur montrer que je venais de cette Afrique, et que c’était celle-là dont j’étais fière. » désirs

À partir de cette relation, à la fois intime et politique, à l’œuvre de son oncle, Mati Diop a tricoté un maillage complexe et fascinant entre la fiction et le documentaire, le passé et le présent. Mille soleils est le portrait d’un homme qui erre dans la lumière basse des nuits de Dakar, filmées en numérique, et qui, au détour d’une rue, rencontre l’image d’un jeune homme qui l’éblouit et l’anéantit. Ce jeune homme, c’est son personnage dans Touki Bouki, Mory, un éleveur de vaches, amoureux d’Anta – qui a choisi l’exil, alors que lui est resté en Afrique. Lorsque naît le projet de Mille soleils, en 2008, Mati Diop n’a réalisé qu’un seul film autoproduit. Elle s’apprête à entrer au Fresnoy et profite des quelques mois qu’il lui reste avant la rentrée pour partir seule à Dakar rencontrer Magaye Niang. « Les choses se sont faites assez simplement. Son désir de jouer a rencontré mon très grand désir de le filmer. Magaye joue beaucoup dans la vie, il a une grande maîtrise de l’image qu’il renvoie. Tenir son propre rôle n’était pas un problème. » Mille Soleils aurait pu être un simple documentaire sur Magaye Niang, trente ans après Touki Bouki, mais Mati Diop ne s’est pas arrêtée là.

Pendant cinq ans, elle a mûri le projet, réalisé deux courts et un moyen métrages, affirmé son style : « Il fallait rendre le film libre, indépendant de celui de mon oncle. L’écriture est donc hybride, elle tient du collage. » Et en effet, ce qui élève Mille soleils à un degré d’intensité imprévu, c’est lorsque la fiction prend brusquement le pas sur l’ancrage documentaire. Magaye/Mory décide de retrouver Anta – ou l’actrice qui la joue, le doute plane –, son amour enfui. Coup de fil longue distance, vision hallucinatoire, passage au 35 mm, final dans la neige… Mati Diop ouvre une brèche dans le temps, par laquelle s’engouffre une immense nostalgie qui drape Magaye dans les habits fantomatiques de Mory. « Comment vivre avec la légende qu’il a été ? L’histoire réelle est tellement romanesque que j’ai tout de suite basculé dans la mythologie. » Sorcellerie

Ce lien entre mythe et réalité, Mati Diop l’avait déjà exploré dans Atlantique (2008) qui mettait en scène le récit de l’odyssée d’un jeune Dakarois qui tentait de traverser l’océan. Lorsqu’on lui demande quelles ont été ses influences pour Mille soleils, Mati Diop cite Husbands de John Cassavetes, et Werner Herzog, « pour le côté lyrique des séquences dans la neige ». Les deux cinéastes sont des références hétérogènes qui cadrent justement avec cette capacité qu’a la jeune réalisatrice de se réapproprier des histoires – intimes et de cinéma –, pour aboutir à un film éminemment personnel et singulier. À entendre Mati Diop évoquer son projet de long métrage, La Prochaine Fois le feu, qui mêlera « le portrait d’une jeunesse très contemporaine à la fable gothique d’une Pénélope qui n’a pas les moyens d’attendre patiemment Ulysse », on parie sur un film encore plus fantastique. Souhaitons que celle qui considère le cinéma com­ me « proche de la sorcellerie » continue d’affirmer, contre le temps qui passe et la tristesse qui se dégage des vieux chefs-d’œuvres, ce que la caméra peut : allumer des soleils, partout, et surtout sur les cendres des amours perdus. Mille soleils de Mati Diop Documentaire Distribution : Independencia Durée : 45min Sortie le 2 avril

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ÉPISODE 7

© rda

La fable régressive

Stan Laurel et Oliver Hardy dans Les Bons Petits Diables de James Parrott (1930)

Incarnée par des adultes, cette anarchie juvénile a toujours quelque chose d’effrayant. 28

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nouveau g e n re

Film noir, mélodrame, road movie… mais encore ? Derrière les dénominations officielles retenues par les encyclopédies, nous partons chaque mois à la recherche d’un genre inconnu de l’histoire du cinéma. Ce mois-ci : la fable régressive.

© collection christophel

PAR JÉRÔME MOMCILOVIC

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Will Ferrell et John C. Reilly dans Frangins malgré eux d’Adam McKay (2008)

n enfant fait des bêtises. Il est comme tous les enfants : propulsé par son rire qui est la plus puissante des révoltes, il court. Et dans sa course il renverse tout, slalomant entre les meubles pour échapper aux adultes, à qui il donne l’air idiot de qui est vaincu par plus petit que soi. Il est comme tous les enfants, sauf qu’il mesure un mètre quatrevingt-quatre, ou quatre-vingt-onze : c’est Cary Grant, c’est Will Ferrell. Un acteur adulte joue, donc, un enfant : l’idée est vieille comme le cinéma bur­lesque. Dans Les Bons Petits Diables (James Parrott, 1930), Laurel et Hardy se dédoublent, pour jouer à la fois une paire de bambins en vareuse, et les deux adultes qu’ils font tourner en bourriques. Face à ces répliques miniatures, Hardy finalement baisse les bras et admet, dans un mélange de défaite et d’admiration : « Boys will be boys! » Les petits garçons seront toujours des petits garçons, y compris quand ils seront devenus adultes : c’est ce que démontre le film, qui ne confronte grands et petits que pour révéler que les grands sont eux-mêmes restés des enfants. Cet éloge d’une régression consentie (quelque chose comme « gardez votre âme d’enfant ! ») est souvent la morale du genre, jusqu’à Big (Penny Marshall, 1988) ou

Frangins malgré eux (Adam McKay, 2008). Mais pas toujours : l’anarchie enfantine ne vaut pas les délices du monde adulte et civilisé, semble dire Howard Hawks à la fin de Chérie, je me sens rajeunir (1952). D’autant que, incarnée par des adultes, cette anarchie juvénile a toujours quelque chose d’effrayant. Et elle fait peur parce que, contrairement aux apparences, elle relève du plus grand sérieux – ce sérieux des jeux d’enfant dont parlait Nietzsche. C’est ce sérieux qui fait le génie de Will Ferrell et de John C. Reilly dans Frangins malgré eux, parce qu’ils n’y jouent pas des adultes restés enfants, mais bien de vrais enfants, des enfants à tête d’adulte, et donc de vrais monstres. Comme étaient monstrueux Bernard Menez, Jacques Villeret et Maurice Risch dans le génial et méconnu Nono Nénesse (1975) que Jacques Rozier tourna pour la télé en s’inspirant des Bons Petits Diables. Marguerite Duras, quant à elle, prit un parti exactement inverse en faisant jouer à un adulte le rôle d’Ernesto, 7 ans, dans le bien nommé Les Enfants (1985) : imaginer non plus un adulte redevenu enfant en esprit, mais un enfant sur qui serait tombée trop tôt la malédiction des adultes – le savoir. Le tragique Ernesto, avec ses 7 ans qui en paraissent 50, est peut-être le personnage d’enfant le plus juste et beau de l’histoire du cinéma.

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Tom à la ferme

XAVIER DOLAN Derrière le caractère bucolique du titre, Xavier Dolan fait vivre un véritable choc culturel à Tom, jeune publicitaire citadin soudain plongé dans la campagne profonde. Venu aux funérailles de son amant, il découvre que la mère du défunt ne sait rien de leur relation et que son frère veut tout faire pour qu’elle reste cachée. Pour son quatrième film, le réalisateur canadien s’empare brillamment des codes du thriller avec cette évocation angoissante et sensuelle d’un deuil empesé par les non-dits. Propos recueillis par Quentin Grosset

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om à la ferme est une adaptation de la pièce de théâtre du même nom de Michel Marc Bouchard. En exergue de celle-ci, on peut lire : « Avant d’apprendre à aimer, les homosexuels apprennent à mentir. Nous sommes des mythomanes courageux. » Que vous inspirent ces phrases ? Je les trouve très belles et surtout très vraies. Mais je ne les ai pas insérées dans le long métrage pour plusieurs raisons. Déjà, je voyais mal comment les intégrer dans les dialogues, elles ont un côté un peu trop pompeux ou trop intellectuel pour que les personnages puissent les prononcer. Elles auraient aussi pu apparaître en ouverture du film, mais cela aurait été réducteur. Je ne voulais pas mettre l’accent sur le thème du mensonge, je préférais mettre en lumière l’intolérance, la violence que l’on accepte. Comment avez-vous découvert la pièce de Michel Marc Bouchard ? J’ai assisté à une représentation en janvier 2011. J’étais alors en pleine préproduction pour Laurence Anyways. J’ai aimé les possibilités que le texte comportait déjà, ce qu’il pouvait devenir au cinéma, et

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les sentiments qu’il y avait là à explorer. Mais la narration était très théâtrale, éthérée, déconstruite, presque durasienne. Et la voix intérieure du personnage principal était omniprésente, ce qui aurait pu être un peu lourd à l’écran. Je cherchais quelque chose de plus fluide. D’ailleurs, chaque séquence est découpée très simplement, selon une alternance gros plan/plan large. Comment êtes-vous passé du théâtral au cinématographique ? En mettant de côté les éléments qui me paraissaient incompatibles avec le langage filmique. Au cinéma, il y a un rythme, on n’a pas le temps de s’asseoir. On n’a pas le temps de dire : « Du beurre. Du beurre sur la table. Une tache. Jaune, sale, molle. » Au théâtre, oui, c’est l’art de l’instant. Ensuite, la pièce était beaucoup plus comique. Le film est certainement plus austère et plus viril que le texte, très intime et très sensuel, de Michel Marc. La sensualité du film apparaît de façon plus retenue, parfois involontairement. Je voulais en faire un thriller, jouer avec une tension très forte. Dans la pièce, l’arrivée du personnage de Sara, [une amie de Tom qui le rejoint à la campagne et qu’il fait passer pour l’ex-petite copine du défunt, ndlr] avait presque

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© clara palardy

« Dans un thriller psychologique, la musique, c’est tout. » Xavier Dolan incarne Tom dans son film Tom à la ferme

l’air d’un sketch. Je l’ai adoucie, j’ai effacé son tempérament très fort et vulgaire, et aussi le fait qu’elle soit présentée par Tom comme une anglophone ne parlant pas un mot de français – une manière de s’assurer que la mère ne veuille pas s’aventurer à en savoir plus. Ça aurait été très drôle de garder cette dimension du personnage, son accent à couper au couteau, mais ça aurait vraiment désamorcé ce qui suit, l’éclatement, l’explosion. C’est la première fois que vous collaborez avec quelqu’un sur un scénario. Le fait de travailler avec l’auteur de la pièce a-t-il modifié votre rapport à l’écriture ? Non, pas vraiment, car notre méthode de travail a été assez différente de ce qu’on avait d’abord envisagé. On voulait faire le yo-yo : quelqu’un écrit une première version, puis l’envoie à l’autre pour qu’il la retouche, et ainsi de suite… Après ces premiers allers-retours, on devait s’asseoir et écrire ensemble. Mais Michel Marc menait plusieurs projets de front, et moi j’ai toujours hâte d’écrire les dialogues. Je lui avais dit qu’on tournerait dans deux ou trois ans, mais finalement, je l’ai appelé pour lui dire que ça se passerait en octobre 2012. Donc il est venu à la maison et on a commencé

un dépouillement scène par scène. Puis Michel Marc est parti en vacances pour finaliser un autre scénario, et moi j’ai continué, tandis qu’il m’envoyait des retours exhaustifs page par page. Avec le cinéaste Jacob Tierney, avec qui j’ai scénarisé mon sixième film intitulé The Death and Life of John F. Donovan, un projet américain situé dans le milieu du show-business, nous avons procédé encore autrement, on écrivait vraiment côte à côte. À quoi est due cette inflexion dans votre mise en scène, plus rude, plus sobre que dans vos précédents films ? Tom à la ferme est un thriller psychologique, alors que J’ai tué ma mère, Les Amours imaginaires et Laurence Anyways étaient des drames sentimentaux. Il faut s’adapter au sujet. Dans un film de genre, on ne peut pas faire des parenthèses musicales, des clips, des effets, des manières. Ça n’aurait pas collé avec le rythme du film, je ne voulais pas déconcentrer le spectateur. Au départ, vous aviez d’ailleurs prévu de réaliser un film sans musique… Oui, et ça aurait été une erreur. Dans un thriller psychologique, la musique, c’est tout. Quand je

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Pierre-Yves Cardinal et Xavier Dolan

suis arrivé en salle de montage, j’ai commencé à mettre de la musique instrumentale partout, pour faire peur et maintenir la tension. Quels sont selon vous les pièges de la représentation du rapport campagne/ville, et comment faire pour ne pas tomber dedans ? Déjà, je ne pense pas les avoir évités. J’ai l’impression que quelqu’un de la ville qui voit mon film peut être irrité par le côté un peu précieux du personnage de Tom, alors que quelqu’un de la campagne peut lui être agacé par le côté barbare, homophobe et intolérant de Francis. Mais moi, j’ai grandi en province ; six mois par an en région, le reste en banlieue de Montréal. Je les connais, les deux revers de la médaille. Je ne voulais pas faire comme si les gens de la campagne étaient très ouverts à l’homosexualité, simplement pour leur faire plaisir ou pour être un cinéaste qui offre des points de vue variés sur le monde. Comment faire naître ce sentiment d’oppression propre à un huis clos avec un film qui se passe beaucoup en extérieur ? Dans la pièce, les personnages restaient constamment dans la cuisine. Je me suis dit qu’il serait certainement beaucoup plus exaspérant et apeurant qu’on y soit, qu’on en parte, puis qu’on y revienne.

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Pour moi, le fait de sortir de la ferme rendait les retours beaucoup plus effrayants. Tom a mille occasions de quitter la ferme, mais jamais il n’en profite, car il choisit ce danger qu’il adopte, qu’il apprivoise. Quand il va chez le docteur, le spectateur pense qu’il va s’enfuir, qu’il va lui annoncer qu’il est retenu en otage par un malade, mais non. Suite à la mort de son amoureux, il se sent coupable, veut se faire punir, a besoin de se faire pardonner. Souvent, on se sent responsable de la mort des gens. C’est malsain, toxique, masochiste. Comment décririez-vous le rapport qui se noue entre Francis et Tom ? Ils sont complémentaires. Ils se trouvent à un moment de leur vie durant lequel ils sont extrêmement seuls, l’un depuis toujours, l’autre depuis peu. Tom cherche à comprendre ce qui est arrivé : quelqu’un est mort, il cherche une sorte de salvation, une absolution. Francis a besoin d’un contact, lui aussi ressent une certaine attirance pour Tom. Ce n’est pas une question d’homosexualité : si tu es un être brisé que personne ne regarde, que personne ne touche, et si quelqu’un te désire, peu importe ton orientation, une mutualité se crée. Francis propose un jeu de rôle dont le risque et l’agressivité séduisent Tom. Leur relation est définie par le syndrome de Stockholm.

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© clara palardy

© clara palardy

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Pierre-Yves Cardinal, Lise Roy et Xavier Dolan

« Je ne voulais pas faire comme si les gens de la campagne étaient très ouverts à l’homosexualité. » Comment avez-vous construit le personnage de Tom, son allure, son attitude, son rapport à la mère et au frère du défunt ? Je l’imaginais avec un petit bec pincé. C’est un publicitaire qui vient de la ville, il est un peu énervant, un peu hipster. J’avais envie d’une grosse tignasse blonde, depuis le début. Il ressemblait un peu à ça dans la pièce. Mais on ne sait jamais trop ce qu’il porte. Très rapidement, il se fait prêter les vêtements qui appartenaient à son copain. Il prend la place de celui-ci aux yeux de la mère et de Francis. C’est une relation triangulaire, tout le monde remplace quelqu’un dans Tom à la ferme. Plus que le lien entre une mère et un fils, j’ai cherché avec ce film à approfondir la perte de repères et l’épuisement de la figure maternelle. Mon prochain film, Mommy, dont j’ai fini le tournage en février, sera lui totalement centré sur la relation

entre une femme sans éducation et sans moyens et son fils qui souffre de troubles comportementaux. Du jour au lendemain, elle doit le garder à temps plein. Il est très gentil, très charismatique et totalement amoureux d’elle, mais en même temps, il est extrêmement impulsif et brutal. Selon vous, le cinéma a-t-il un rôle à jouer dans l’évolution des mœurs et dans l’acceptation des différences ? Oui, et c’est vrai pour toutes les époques. Le cinéma a changé les mœurs, il les a écrites. Il a un rôle positif dans la manière de faire évoluer les débats. Si les cinéastes peuvent précéder les événements ou les initier, tant mieux. Je pense que les artistes sont aussi, en quelque sorte, des politiciens. Ils ont une responsabilité envers la société, quel que soit le genre de cinéma auxquels ils s’adonnent. Moi, je ne suis pas particulièrement engagé, mais depuis le début, je parle de la différence et de la tolérance. Au fond, Tom à la ferme est une illustration de ce qui se produit dans la société, cette violence envers les gens différents qu’on finit par cautionner. Tom à la ferme de Xavier Dolan avec Xavier Dolan, Pierre-Yves Cardinal… Distribution : Diaphana Durée : 1h42 Sortie le 16 avril

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CRITIQUE

Geôle et joli Tom à la ferme n’est pas qu’un récit sur l’homophobie en milieu rural. C’est aussi un drame dont l’âpreté étonne de la part de Xavier Dolan, un film moins baroque que ses précédents, mais encore plus tourmenté et charnel.

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PAR QUENTIN GROSSET

Ce rapport très violent devient presque érotique.

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ans Les Amours imaginaires (2010), Francis, le personnage incarné par Xavier Dolan, se retrouvait à genoux dans un décor de forêt automnal pour discrètement tenter d’attraper un lapin blanc. Soudain, par surprise, un séduisant blondinet, dont il était secrètement amoureux, lui sautait dessus pour lui plaquer le dos au sol sur un lit de feuilles jaunies. Dans cet élan brutal et sensuel, le temps se suspendait, et Francis se voilait la face sur un désir qui s’avérerait non réciproque. Le tour de force graphique de Tom à la ferme – une poursuite dans un champ de maïs – met en place une configuration semblable. Tom cherche à échapper à un autre Francis, le grand frère écorché vif de son amant disparu. Il court tellement vite que les contours des feuilles coupantes s’évanouissent pour là encore donner forme à un espace de faux-semblants tirant vers l’abstrait et le cauchemardesque. Déboussolé, Tom se fait mettre à terre sans s’en rendre compte. Même position couchée que dans Les Amours imaginaires : Francis est sur lui, et Tom est prisonnier de ses bras. Sauf qu’à cette agressivité dans les gestes

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de Francis s’ajoute un peu de tendresse, et que ce rapport très violent devient presque érotique. Les deux personnages joués par Dolan sont soumis, mais ils se lovent dans cette sujétion, et en tirent peut-être une certaine jouissance. Déraison funèbre

C’est ce genre de décrochement qui impressionne dans l’œuvre du réalisateur canadien. Dans plusieurs séquences de Tom à la ferme, une brisure de l’intrigue entraîne le film dans une direction plus retorse. Variation sur le placard, thriller psychologique, survival movie sur un jeune urbain perdu dans une province maussade, romance SM ou réflexion sur le deuil, le film est un peu tout ça à la fois, sans jamais complètement correspondre à l’une des catégories. Film de genre torturé, ce quatrième long métrage de Xavier Dolan n’adopte pas la flamboyance pop à laquelle le cinéaste nous avait habitués. C’est que Dolan vise à l’épure, pour se concentrer sur les sentiments souvent toxiques de ses personnages, les dénuder le plus rigoureusement possible, sans afféteries, pour en maîtriser le douloureux déchaînement.

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les trois sœurs du yunnan

wang bing Cinéaste majeur de la Chine contemporaine, Wang Bing met patiemment (et clandestinement) au jour le quotidien aride de ceux qu’on ne voit pas, aux marges du spectaculaire développement économique chinois. Pour son documentaire Les Trois Sœurs du Yunnan, qui sort ce mois-ci, il a filmé trois fillettes livrées à elles-mêmes, dans un hameau de montagne glacial et boueux. Une sidérante histoire de labeur et de survie.

© wang bing / les acacias

PAR JULIETTE REITZER

Les Trois Sœurs du Yunnan de Wang Bing

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re ncontre

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n homme s’extirpe de terre, sort de son trou. C’est sur cette image hallucinante que s’ouvre L’Homme sans nom (2009), l’un des longs métrages documentaires de Wang Bing visibles dans le cadre de la rétrospective que lui consacre le Centre Pompidou (voir page suivante). Le cinéaste y suit pas à pas un ermite, mi-vagabond mi-aliéné, qui vit dans une excavation souterraine, loin des regards. Cette image initiale incarne de façon très littérale le motif qui semble guider l’œuvre de Wang Bing : mettre au jour ce qui est enfoui, déterrer les souvenirs occultés et les vérités encombrantes. Ainsi, dans Le Fossé, son seul film de fiction (Lion d’or à Venise en 2010), le cinéaste reconstitue le camp de « rééducation par le travail » de Mingshiu – la plupart des détenus y sont morts de faim –, mettant en lumière les répressions du mouvement « anti-­ droitiers » de la fin des années 1950. Dans une scène glaçante du film, une jeune femme rendue folle de rage et de chagrin creuse à mains nues la terre grise, cherchant la dépouille de son fiancé parmi les milliers de sépultures anonymes. Tourné plus tôt, Fengming, Chronique d’une femme chinoise est le pendant documentaire du Fossé : Wang Bing y recueille le témoignage, face caméra, de la veuve d’un forçat de Mingshiu. Ces deux films cruciaux exhument un épisode de l’histoire effacé de la mémoire collective – il est interdit d’en parler publiquement en Chine – et largement méconnu dans le reste du monde. distance idéale

Réalisateur souterrain, Wang Bing l’est à tout point de vue : il tourne clandestinement, grâce à des fonds venus d’Europe, et aucun de ses films n’a été projeté en Chine. En revanche, nous dit-il sur Skype, assis avec son interprète dans un restaurant de Pékin, « tous circulent en DVD pirates. On n’a pas la voie médiatique pour discuter du cinéma, mais au gré des rencontres, je me rends compte que beaucoup de gens ont vu mes films ». Né en 1967, il a d’abord étudié la photographie, avant de suivre des cours de cinéma à Pékin. De 1999 à 2001, seul avec sa caméra DV, il filme les ouvriers d’un immense complexe industriel à l’agonie de Shenyang. À l’ouest des rails, son premier film, est un chef-d’œuvre de neuf heures, pendant lesquelles le cinéaste met au point la distance idéale

qui est à l’œuvre dans ses films : « Les personnages et la caméra sont très proches, mais je ne veux pas que les individus soient interrompus par l’acte de filmer. Je veux filmer discrètement : j’observe, je n’interviens pas, je ne commente pas. » On est fasciné par l’empathie et la douceur de sa caméra, qui se fond dans le mouvement naturel, organique, du réel, jusqu’à se faire totalement oublier des individus qu’elle filme et fait sortir de l’ombre. survie et labeur

Pour Les Trois Sœurs du Yunnan, Wang Bing s’est installé à Xiyangtang, un village situé dans les montagnes de la province du Yunnan, au sud de la Chine. Quelques dizaines de familles y vivent, à plus de 3 000 mètres d’altitude, dans un dénuement extrême, engluées dans le froid, la boue et le brouillard. « En 2009, je suis allé rendre visite à la famille d’un ami écrivain décédé, Sun-Shi Xiang. En revenant de sa tombe, j’ai rencontré trois fillettes qui jouaient à côté de la route. Elles étaient différentes des autres enfants, parce qu’elles étaient totalement seules. » Leur mère est partie il y a longtemps – on ne sait où ni pourquoi –, leur père vit et travaille en ville. À partir d’octobre 2010, le cinéaste filme les fillettes pendant treize jours, répartis sur cinq mois. Ying, 10 ans, s’occupe seule de ses sœurs Fen, 4 ans, et Zhen, 6 ans. Vue d’ici, leur existence est inconcevable, sidérante : c’est un quotidien de survie et de labeur. Se baisser dans les champs, remplir des paniers, les porter, les décharger, préparer les repas, nourrir et déplacer les bêtes, omniprésentes – porcs, chevaux, poules, chiens… Les gestes sont répétitifs, les mains rougies, les regards cernés, les visages butés dans l’abnégation. Jamais misérabiliste, le film interroge le spectateur : quel avenir pour ces fillettes ? « C’est une question que je me suis posée moi-même, et je tourne en ce moment un documentaire sur les adolescents de cette région, qui quittent leur village pour être ouvriers en ville. C’est un projet sur l’avenir de ces enfants, et sur la réalité de la Chine d’aujourd’hui. » Une réalité jamais montrée, éclipsée par l’impressionnante croissance économique du pays. Discrètement, modestement, Wang Bing continue de creuser un passionnant sillon. Les Trois Sœurs du Yunnan de Wang Bing Documentaire Distribution : Les Acacias Durée : 2h33 Sortie le 16 avril

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h istoi re s du ci n é ma

Wang BING

EN IMAGES

Du 14 avril au 26 mai, le Centre Pompidou organise une rétrospective des films de Wang Bing dans le cadre de l’événement « Cinéastes en correspondance : Wang Bing – Jaime Rosales ». Le réalisateur chinois y expose des photographies grands formats qui prolongent son travail cinématographique. Morceaux choisis, commentés par l’artiste. PAR JULIETTE REITZER

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wang bing, père et fils, 2014

Wang Bing suit le quotidien d’un père et de ses deux fils, rencontrés dans le village où il a tourné Les Trois Sœurs du Yunnan : « Il y a deux ans, ils sont partis vivre à Kunming, la capitale de la province. Le père y travaille dans des conditions très pénibles : il réduit des pierres en poudre. » (Page de gauche et ci-dessus.) © « courtesy wang bing / galerie paris-beijing »

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h istoi re s du ci n é ma

wang bing, traces, 2014

Pour cette série, réalisée pour l’exposition, Wang Bing est retourné sur le site du tournage de son film Le Fossé, dans le désert de Gobi : « Il y a tellement de changements en Chine aujourd’hui, la photographie est un très bon moyen de conserver des traces du passé. » © « courtesy wang bing »

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portfolio

wang bing, l’homme sans nom, 2014

Cette série d’images revient sur le quotidien monotone et frénétique du héros mutique de L’Homme sans nom : « Dans la plupart de mes documentaires, l’histoire est assez simpliste. L’homme mange, dort, et travaille. En Chine, dès qu’on est en âge de travailler, on le fait sans arrêt. » © « courtesy wang bing / galerie paris-beijing »

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les F I L M S du 2 au 30 avril Computer Chess

Andrew Bujalski s’intéresse à la préhistoire des geeks et de leurs ordinateurs p. 52

Métabolisme

État des lieux grinçant du cinéma roumain par Corneliu Porumboiu p. 54

last Days of Summer

Face-à-face brûlant entre Kate Winslet et son geôlier au grand cœur, Josh Brolin p. 66

Dancing in Jaffa Peut-on résoudre le conflit israélo-palestinien en dansant le cha-cha-cha ? Sans angélisme, le documentaire Dancing in Jaffa parvient à faire valser enfants israéliens et palestiniens. Ou comment des initiatives locales inspirées font bouger les lignes. PAR CLÉMENTINE GALLOT

Pierre Dulaine, personnage excentrique et un peu guindé, a de quoi se rengorger. Ce Britannique, ancien champion du monde de danse de salon, est aussi le fondateur d’un programme intitulé Dancing Classrooms qui, depuis vingt ans, enseigne à des enfants newyorkais issus de milieux défavorisés l’art polissé des entrechats. Cette idée de génie a fait florès et a même été portée sur grand écran (Dance with me), avec le glabre Antonio Banderas dans le rôle de Dulaine. Or ce dernier, qui est originaire de Jaffa, nourrit depuis longtemps le projet de retourner sur les lieux de son enfance pour y décliner le concept. Jaffa constitue une équation insoluble, puisqu’Israéliens et Palestiniens y cohabitent, difficilement. « Cela a été, de loin, l’entreprise la plus compliquée de toute ma vie », assure Dulaine. « Il a fallu convaincre les parents, sachant qu’un garçon et une fille palestiniens ne sont pas censés se toucher, et qu’aux yeux de nombreux parents israéliens, les Palestiniens sont des citoyens de seconde zone. J’ai expliqué qu’il s’agissait moins de danser que d’appren­ dre l’élégance et la confiance en soi. Ça a marché », se félicite-t-il. Le danseur pose ainsi ses valises à Jaffa pendant dix semaines, au cours desquelles il visite des écoles, côtoie quelque cent cinquante bambins, et en

retient environ quatre-vingts qui s’affrontent lors d’un concours final. Ni hip-hop ni R’n’B, le programme imposé semble tout droit sorti du carnet de bal d’une débutante du siècle dernier : cha-cha-cha, rumba, tango, valse. Le simple geste de se donner la main ne se fait pas sans heurts, certains quittent même la salle. « Danser n’est pas se marier », rappelle Dulaine aux ados récalcitrants. « Colonisateurs » pour les uns, « poseurs de bombe » pour les autres, « c’est danser avec l’ennemi », résume Dulaine. Surfant sur la vague des Sexy Dance 3D, Mad Hot Ballroom et autres télé-­ crochets, ce documentaire a l’art de montrer comment se rejouent quotidiennement, à échelle réduite, dans une salle de classe, les scènes d’un conflit. Si l’on n’échappe pas au prêchi-prêcha de mise sur la tolérance entre les peuples, la démonstration se fait sans démagogie bien-pensante : au fur et à mesure que les corps gagnent en aisance, cette art-thérapie un peu new age voit s’initier un dialogue durable entre des protagonistes jusque-là infréquentables. C’est déjà pas mal. de Hilla Medalia Documentaire Distribution : Pretty Pictures Durée : 1h24 Sortie le 2 avril

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Eastern Boys PAR ÉRIC VERNAY

Paris, sa périphérie, ses réseaux illégaux… Tout en ruptures de ton, la mise en scène de Robin Campillo mute de la froide observation documentaire des migrants de la gare du Nord (originaires des pays de l’Est) vers le drame angoissant type Funny Games, se transforme en délicate love story gay, pour basculer vers le thriller sur fond de questions sociétales comme les sans-papiers et la prostitution. Avec une belle maîtrise, le réalisateur des Revenants réussit un film étrange et inquiétant, aussi intense que désarmant. de Robin Campillo avec Olivier Rabourdin, Kirill Emelyanov… Distribution : Sophie Dulac Durée : 2h08 Sortie le 2 avril

L’Étrange Petit Chat PAR LAURA TUILLIER

La Crème de la crème PAR RENAN CROS

Trois étudiants d’une grande école de commerce utilisent leur enseignement pour développer un réseau de prostitution au sein de leur établissement. Avec ce sujet scabreux, on attendait de Kim Chapiron un pamphlet trash et décadent. Hélas, les amateurs de provoc facile vont être déçus. Si le film est loin d’être prude, c’est surtout son aspect littéraire qui surprend. Le film pioche du côté de l’ironie mordante d’un Bret Easton Ellis période Les Lois de l’attraction pour raconter, avec finalement beaucoup d’empathie et de tendresse, l’histoire de ces petits Rastignac en herbe. Dans la bouche de son merveilleux casting de jeunes têtes peu connues, la

partition de Chapiron fait mouche. Il parvient, par la précision de son scénario, à questionner la place du sentiment dans un monde où tout s’achète et se vend. Mais surtout, en déplaçant un certain cynisme ambiant au cœur d’un monde encore régi par l’adolescence, il crée un décalage salvateur. On rit donc souvent devant La Crème de la crème, avant d’être soudain glacé par une phrase qui frappe juste, c’est-à-dire là où ça fait mal. Sans crier gare, Chapiron signe peut-être, avec ce teen movie désabusé et étrangement romantique, un futur film culte.

Présenté à Cannes dans la très bonne et très pertinente sélection de l’A.C.I.D., L’Étrange Petit Chat est un film ambitieux. Circonscrivant sa narration dans le cadre d’un appartement berlinois, il fait le choix de la fixité des plans et de l’écoulement, en apparence banal, d’une journée en famille. Pourtant, la mise en scène indique que quelque chose d’inhabituel est en train d’arriver : cadre resté vide trop longtemps, contamination des espaces par le son, emballement soudain des personnages… le mystère, travesti dans un habit quotidien, est bien là.

de Kim Chapiron avec Thomas Blumenthal, Alice Isaaz… Distribution : Wild Bunch Durée : 1h30 Sortie le 2 avril

de Ramon Zürcher avec Jenny Schily, Anjorka Strechel… Distribution : Aramis Films Durée : 1h12 Sortie le 2 avril

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Nebraska Road-movie dans lequel un père et son fils traversent le Midwest, Nebraska emprunte une route plus familière pour son auteur, Alexander Payne, que celle de The Descendants, dans lequel Georges Clooney incarnait un Hawaïen dépressif. PAR TIMÉ ZOPPÉ

Le réalisateur n’en a pas encore fini avec le Nebraska, dont il est originaire – l’action de quatre de ses six longs métrages a, au moins en partie, pour cadre cet État situé en plein milieu des États-Unis. « J’ai pensé que cela serait intéressant de revenir tourner sur ma terre natale et de montrer les zones rurales, que je ne connaissais pas très bien. » Un vendeur se résout à conduire son père un peu toqué dans le Nebraska après que celui-ci a reçu une publicité clamant qu’il a gagné un million de dollars. En chemin, ils s’arrêtent dans la petite bourgade où le père et la mère ont vécu. Un quiproquo déterre alors les vieilles rancœurs des habitants. C’est la première fois que Payne n’assure pas la coécriture du scénario : « Quel soulagement ! Au début de ma carrière, je n’imaginais pas que j’allais devoir écrire tous mes scripts… Mon but, c’est de réaliser. Bien sûr, avant le tournage, j’ai

> PELO MALO

Au Venezuela, Junior, 9 ans, rêve d’avoir les cheveux lisses et d’apparaître en chanteur sur sa photo de classe. Rien de tel pour agacer son irascible mère qui voit du plus mauvais œil chaque attitude prétendument féminine qu’il adopte. T. Z. de Mariana Rondón (1h33) Distribution : Pyramide Sortie le 2 avril

ajouté ma sensibilité au scénario. » Comme dans ses précédents films (Sideways, Monsieur Schmidt…), l’atmosphère est douce et le drame tire vers le comique. Mais, crise oblige, le regard porté sur la nouvelle génération de Nébraskains n’est pas toujours tendre. Ainsi, les cousins du héros sont des chômeurs obsédés par les voitures et inculpés pour tentative de viol. « Les gens disent que c’est une caricature, que je suis méchant… Mais la pire chose que vous pouvez faire aux gens, c’est un documentaire sur eux ! » Personnage le plus ambivalent du film, la mère du héros (merveilleuse June Squibb) orchestre ce petit monde avec fracas. d’Alexander Payne avec Will Forte, Bruce Dern… Distribution : Diaphana Durée : 2h Sortie le 2 avril

> NO GAZARAN

Début 2011, une compagnie américaine obtient des permis pour exploiter le gaz de schiste dans deux communes d’Ardèche et d’Aveyron. Ce docu militant suit la fructueuse mobilisation des opposants et offre des repères utiles – définitions, infographies… J. R. de Doris Buttignol et Carole Menduni (1h30) Distribution : Nour Films Sortie le 2 avril

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> LA BRACONNE

Driss, jeune délinquant, croise la route d’un vieux loubard chevronné (Patrick Chesnais). Ensemble, ils forment une association de voleurs et un duo de copains toujours sur la brèche. Un premier long métrage en forme de récit d’apprentissage noir. L. T. de Samuel Rondière (1h22) Distribution : Rezo Films Sortie le 2 avril


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Apprenti gigolo

À Brooklyn, deux amis, l’un libraire, l’autre fleuriste, déci­dent de démarrer un drôle de business : le premier sera le maquereau du second, qui offrira ses services à une tripotée de femmes insatisfaites. C’est sans compter sur l’amour, qui débarque sous les traits de Vanessa Paradis. John Turturro, davantage connu comme acteur, joue ici la carte de la bromance et du romantisme. Il s’inspire des comédies new-yorkaises de Woody Allen, misant sur la malice de celui-ci pour donner à son Apprenti gigolo légèreté et drôlerie.

Par L. T.

de John Turturro avec John Turturro, Woody Allen… Distribution : ARP Sélection Durée : 1h30 Sortie le 9 avril

Suneung

PAR Quentin Grosset

Dans un lycée d’élite, le suneung, un examen qui détermine l’entrée des étudiants dans les meilleures universités, met en compétition les élèves les plus doués. Quand l’un d’entre eux est assassiné, June est suspecté. C’est que, pour être le plus brillant, certains sont prêts à devenir très cruels… Si le héros passe trop facilement

> LES YEUX JAUNES DES CROCODILES

Adaptée du best-seller de Katherine Pancol, l’histoire de deux sœurs que tout oppose, l’une qui mène une vie futile et aisée (Emmanuelle Béart), l’autre aux prises avec moult difficultés (Julie Depardieu). Une suite de quiproquos va bouleverser leur relation. T. Z. de Cécile Telerman (2h02) Distribution : Wild Bunch Sortie le 9 avril

de souffre-douleur à bourreau, le film a le mérite de pointer la pression à laquelle sont soumis les étudiants en Corée du Sud, pays qui présente le plus fort taux de suicide chez les jeunes. de Shin Su-won avec Lee Da-wit, Sung June… Distribution : Dissidenz Films Durée : 1h47 Sortie le 9 avril

La Belle Vie PAR T. Z.

Pour son premier long métrage, Jean Denizot s’inspire de l’affaire Fortin et livre un récit intime et sauvage sur le libre arbitre et la transmission des valeurs. Yves s’est isolé dans la montagne avec ses deux fils âgés de 15 ans et de 17 ans. Mais ce repli relève autant du choix que de l’obligation, puisque le père a « volé » ses enfants à leur mère lorsqu’ils se sont séparés dix ans plus tôt. Zaccharie Chasseriaud (Les Géants) brille en fils indécis à l’énergie flamboyante.

> MY SWEET PEPPER LAND

Ancien combattant kurde, Baran est affecté à la sécurité d’un village reculé qui ne connaît que la loi du caïd local. Sa route croise celle de Govend, institutrice rejetée par les habitants… L’influence de Sergio Leone est palpable. T. Z. de Hiner Saleem (1h34) Distribution : Memento Films Sortie le 9 avril

> TOUT EST PERMIS

Coline Serreau filme les stages de récupération de points du permis de conduire, un lieu d’expression des frustrations sociales. Après Solutions locales pour un désordre global, la réalisatrice s’attaque à une question moins écologique, mais tout aussi politique. T. Z. de Coline Serreau (1h36) Distribution : Bac Films Sortie le 9 avril

de Jean Denizot avec Zacharie Chasseriaud, Solène Rigot… Distribution : Chrysalis Films Durée : 1h33 Sortie le 9 avril

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Rio 2 PAR QUENTIN GROSSET

Blu et sa famille ne sont plus les seuls oiseaux de leur espèce. Alors qu’ils quittent Rio de Janeiro pour la forêt amazonienne, ils découvrent que d’autres aras bleus y vivent. Le réalisateur Carlos Saldanha imagine une famille à son héros, qui arpente des contrées inconnues et explore de nouveaux genres musicaux. Dans le premier Rio, le cinéaste avait plusieurs défis à relever. D’abord, poser un regard personnel sur sa ville natale, tout en conservant certains stéréotypes qui la rendraient immédiatement reconnaissable. « Il fallait retrouver l’essence de la culture carioca : en termes de musique, par exemple, les courants les plus évidents étaient la samba et la bossa nova », précise-t-il. Dans la

suite du film, ce sont les détails de la forêt qui, de l’aveu de Carlos Saldanha, ont été les plus difficiles à recréer en version animée. Surtout, il fallait trouver de nouveaux rythmes pour faire remuer Blu et sa bande d’oiseaux rares. « Je voulais fouiller des sonorités propres au Nordeste, loin de celles du carnaval de Rio. Dans

cette région, les gens dansent la square dance [danse en quadrille, ndlr]. Certaines chorégraphies du film sont basées là-dessus. » De quoi faire chanter et guincher toute la faune de l’Amazonie.  de Carlos Saldanha Animation Distribution : 20th Century Fox Durée : 1h42 Sortie le 9 avril

Heli © 2013 mantarraya - tres tunas - martin escalante

PAR ÉTIENNE ROUILLON

Après Sangre (2006) et Los Bastardos (2009), le réalisateur mexicain Amat Escalante est revenu à Cannes l’an passé avec ce film bouillant et colérique (Prix de la mise en scène). C’est l’histoire d’une famille laborieuse qui trime pour survivre dans un Mexique rural et prolétaire. Leur

quotidien précaire plonge dans l’horreur lorsque leur fille s’amourache d’un jeune policier qui se retrouve dans le viseur de barons de la drogue qui veulent lui faire payer la disparition d’un chargement de came. Leur vengeance disproportionnée déborde sur la famille de l’adolescente. Tortures,

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mises à mort, les omniprésentes scènes de brutalité sont filmées frontalement, parfois esthétisées. Le film s’ouvre, par exemple, sur une pendaison qui vient sanctionner un habile plan-séquence. C’est que le réalisateur mexicain se fiche de savoir si le septième art doit se prémunir d’une représentation trop directe de la violence qui tendrait vers la complaisance. Si ces moments sont crus et cruels pour le spectateur, c’est parce que son cinéma fait de cette méthode de représentation un outil de dénonciation des réalités sociales. La démarche est honnête, puissante et très bien menée. Au spectateur de décider si la fin justifie ces moyens.  d’Amat Escalante avec Armando Espitia, Andrea Vergara… Distribution : Le Pacte Durée : 1h45 Sortie le 9 avril


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Computer Chess Fort d’une réputation solide en festivals, Computer Chess confirme l’attrait de son réalisateur Andrew Bujalski pour un cinéma bricolé, en s’intéressant à la préhistoire des geeks et de leurs ordinateurs. PAR LAURA TUILLIER

Rien de moins glamour, en apparence, qu’un film qui promet de se pencher sur une assemblée de geeks des années 1980 réunis dans un motel miteux du fin fond des États-Unis pour comparer les programmes de jeu d’échecs qu’ils ont mis au point. Computer Chess ne quittera pourtant jamais ce décor qui, le temps d’un week-end, verra s’affronter une flopée de petits génies à lunettes. Andrew Bujalski, figure importante du cinéma américain indé – il est le pape du mumblecore, courant qui assume l’improvisation et le manque de moyens –, pousse le handicap jusqu’à filmer ce tournoi avec une caméra d’époque créant une image d’un noir et blanc brouillon. Mais, très vite, Computer Chess parvient à intéresser le spectateur aux rapports humains qui se jouent dans cette microsociété composée de personnages que leur passion ringarde rend attachants. Le film donne ainsi la

parole à des hippies persuadés que leur logiciel plaira au Pentagone, à des vieux garçons qui s’interrogent sur les limites de l’intelligence de leur machine, ou encore à un franc-tireur du jeu d’échecs sur ordinateur qui envisage la programmation comme un poème. Confrontant ces nerds sympathiques à un séminaire de thérapie de couple quasi sectaire, le cinéaste interroge avec humour – moqueur mais jamais méprisant – les possibilités de la rencontre et les modalités variées du lien social. Fort d’une mise en scène simili-documentaire et d’une grande tendresse pour son sujet, Computer Chess rappelle que toute passion se joue à plusieurs. d’Andrew Bujalski avec Patrick Riester, Wiley Wiggins… Distribution : Contre-Allée Durée : 1h32 Sortie le 9 avril

3 questions à ANDREW BUJALSKI PROPOS RECUEILLIS PAR L. T. Comment vous est venue l’idée de Computer Chess ?

Ça faisait des années que j’avais le fantasme de filmer en noir et blanc avec une vieille caméra analogique. Ensuite, j’ai cherché la meilleure histoire à raconter avec ce style visuel. Pour moi chaque médium raconte les choses de manière particulière. Avec cette caméra, j’ai eu l’impression de filmer des fantômes de cinéma.

Comment avez-vous dirigé vos acteurs ?

J’estime que le casting constitue la majeure partie de mon travail. La plupart de mes acteurs sont des non-professionnels, et nous fonctionnons par la conversation. J’ai l’impression que les non-professionnels sont très honnêtes, ils arrivent à l’émotion par un processus qui les engage entièrement.

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Comment avez-vous financé le film ? Trouver de l’argent est toujours une expérience douloureuse. Nous avons prospecté différents investisseurs privés et mécènes. Un tiers du film a également été financé grâce à une campagne de financement participatif. Cela dit, nous avions très peu de moyens, beaucoup de gens étaient bénévoles. Je me sens un peu vieux pour ces méthodes, à vrai dire !


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Métabolisme

ou Quand le soir tombe sur Bucarest État des lieux grinçant du nouveau cinéma roumain par l’un de ses meilleurs ambassadeurs, Corneliu Porumboiu, en dix-sept plans à combustion lente. PAR CLÉMENTINE GALLOT

La nouvelle vague roumaine n’a pas eu lieu. C’est Corneliu Porumboiu, 38 ans, qui le dit, lui qui, à ses débuts, aux côtés de Cristian Mungiu et Cristi Puiu, avait été adoubé par la critique. Depuis 12h08 à l’est de Bucarest, Caméra d’or à Cannes en 2006, Porumboiu a développé un goût pour l’humour à froid, les longs plans séquences et un regard narquois sur la Roumanie postcommuniste, qu’il ne renie pas dans ce troisième long métrage, présenté à Locarno. Il y est question des humeurs d’un cinéaste renommé, Paul (joué par la star roumaine Bogdan Dumitrache), et de sa relation avec une de ses actrices, Alina (Diana Avrămuţ), aux derniers jours d’un tournage toujours relégué au hors-champ. Le film, qui se construit comme un métadiscours sur l’état du cinéma, n’a de cesse de vérifier ou d’infirmer les principes qu’assène Paul. Cette leçon de

> THE BEST OFFER

Commissaire-priseur renommé, Virgil Oldman se voit confier une expertise par une cliente qui ne veut lui parler qu’au téléphone… Une romance étrange et intrigante qui accumule les retournements de situation et va jusqu’à lorgner vers le thriller. Q. G. de Giuseppe Tornatore (2h11) Distribution : DistriB Films Sortie le 16 avril

cinéma théorique, guettée par l’autoparodie, s’avère en fait plus maligne qu’il n’y paraît : Paul, au demeurant assez antipathique, essaye surtout de courir le guilledou avec son actrice. Porumboiu ne s’astreint ici ni à un simple autoportrait ni à l’exercice du film à message en forme de requiem pour la pellicule. Il raconte : « Il y a trois ans, il a été question d’une réforme du CNC roumain, qui n’a finalement pas eu lieu. J’avais aussi en tête de réaliser le making of du film d’un ami auquel il travaille depuis des années et qu’il n’est jamais parvenu à terminer », ajoute-t-il, de passage à Paris pour le financement de son prochain film. Son sujet ? « Une chasse au trésor. » de Corneliu Porumboiu avec Diana Avr mu , Bogdan Dumitrache… Distribution : Zootrope Films Durée : 1h29 Sortie le 16 avril

> AFRICAN SAFARI 3D

Deux spécialistes animaliers entament un long périple de 6 000 km à travers l’Afrique (brousse, savane, forêt…) à la rencontre d’animaux en liberté. En Jeep, en ballon ou en pirogue, ils parviennent à les approcher de près et collectent ainsi les premières images en 3D de ces bêtes sauvages. T. Z. de Ben Stassen (1h26) Distribution : StudioCanal Sortie le 16 avril

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> UNE PROMESSE

En 1912, en Allemagne, le secrétaire particulier d’un riche industriel tombe amoureux de l’épouse de ce dernier. Patrice Leconte s’entoure d’acteurs anglo-saxons (dont Richard Madden, le Robb Stark de Game of Thrones) pour adapter Le Voyage dans le passé de Stephen Zweig. J. R. de Patrice Leconte (1h38) Distribution : Mars Sortie le 16 avril


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Les Chèvres de ma mère

PAR T. Z.

Documentaire qui dérive parfois vers le film de famille, le projet de Sophie Audier n’en est pas moins pertinent. La cinéaste a filmé sa mère, qui depuis quarante ans produit, en autonomie, du fromage de chèvre dans les gorges du Verdon, alors qu’elle tente de passer le flambeau à une jeune diplômée d’une école d’agriculture. Une rivalité larvée s’installe entre les deux femmes… La réalisatrice dissèque pudiquement les raisons de leur insatisfaction, moins liées à leurs personnalités qu’au système. de Sophie Audier Documentaire Distribution : Jour2fête Durée : 1h40 Sortie le 16 avril

Girafada

PAR CAMILLE BRUNEL

Au zoo de Qalqilya, le dernier zoo de Palestine, le vétérinaire, Yacine, élève seul son fils Ziad. Quand une girafe se laisse dépérir après la mort de son compagnon dans un bombardement nocturne, père et fils s’associent à une journaliste française et partent en quête d’un nouveau partenaire pour leur pensionnaire au long cou. Mais le problème, c’est que

les girafes les plus proches se trouvent en Israël… Ce premier film téméraire aurait sans doute gagné à se délester d’une partie de sa charge politique qui se révèle parfois envahissante. de Rani Massalha avec Saleh Bakri, Laure de Clermont-Tonnerre… Distribution : Pyramide Durée : 1h25 Sortie le 23 avril

Après la nuit Par L. T.

Sombra aime vivre la nuit. Dans Reboleira, le quartier créole de Lisbonne, cela veut dire frayer avec les caïds locaux et tremper dans des trafics qui n’apportent que complications. Pour son premier long métrage, sélectionné à la Quinzaine des réalisateurs, Basil da Cunha fait le pari d’un film nocturne qui navigue entre chronique sur le vif du ghetto et embardées lyriques parfois naïves, mais qui donnent lieu à des séquences saisissantes et donnent à voir un Lisbonne transfiguré.

> Je m’appelle Hmmm…

Une fillette, devenue la proie sexuelle de son père, profite d’une classe de mer pour fuguer, le temps d’un road trip poétique et arty, avec un routier endeuillé. Agnès Troublé (la créatrice de la marque agnès b.) signe un premier long métrage inégal mais ambitieux. J. R. d’Agnès Troublé (2h01) Distribution : A3 Sortie le 23 avril

> UNE RENCONTRE

À l’occasion de la sortie de son nouveau livre, Elsa (Sophie Marceau) rencontre Pierre (François Cluzet). L’alchimie est immédiate. Mais Pierre est un homme marié et heureux. Que faire de cette attraction, alors que chacun voit bien où cela va mener ? T. Z. de Lisa Azuelos (1h21) Distribution : Pathé Sortie le 23 avril

> UN VOYAGE

Daniel et Mona, mariés avec un enfant, s’aiment comme au premier jour. Mais Mona (Anna Mouglalis) est gravement malade. Le couple décide de passer un week-end à Lausanne. Dès le moment de dire au revoir à leur fils, ils débordent de tristesse. T. Z. de Samuel Benchetrit (1h27) Distribution : Épicentre Films Sortie le 23 avril

de Basil da Cunha avec Pedro Ferreira, João Veiga… Distribution : Capricci Films Durée : 1h35 Sortie le 23 avril

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La Ligne de partage des eaux PAR L. T.

Que cache ce titre énigmatique ? Un documentaire sur la ruralité, champ d’exploration cher à Dominique Marchais, qui signait déjà en 2009 Le Temps des grâces. Ici, la ligne de partage des eaux désigne un espace dans le bassin-versant de la Loire. Un espace qui fourmille de problèmes à résoudre, d’initiatives locales, d’histoires personnelles et de trajectoires collectives, que Dominique Marchais, dont l’attachement au pays motive l’envie de comprendre ce qu’il s’y passe, arpente avec pugnacité. de Dominique Marchais Documentaire Distribution : Les Films du Losange Durée : 1h48 Sortie le 23 avril

Noor PAR T. Z.

States of Grace PAR TIMÉ ZOPPÉ

States of Grace s’ouvre sur une anecdote personnelle racontée par Mason, jeune éducateur dans un foyer pour adolescents en difficulté, à son nouveau collègue Nate. Alors qu’il poursuivait un ado en fuite, Mason n’a pas pu s’empêcher de se faire dessus. Une histoire en apparence des plus triviales, digne de figurer dans un film comme American Pie, mais qui se révèle parfaitement sérieuse et édifiante. La manière dont Mason se livre sans y être forcé prend les devants sur la honte qu’il éprouverait si son secret était découvert malgré lui ; elle a presque valeur de manifeste, puisque tout l’enjeu du film réside dans l’attitude adoptée face à ce qui traumatise. Grace (Brie

Larson, déjà incroyable de densité dans la série United States of Tara), véritable héroïne de cette histoire, est également en charge du centre, et partage par ailleurs la vie de Mason. Elle semble mener sa barque la tête haute, mais a peut-être justement trop l’allure de quelqu’un qui se persuade qu’elle doit s’assumer et s’occuper des autres sans réciproque. Le ballet des arrivées et des départs des jeunes dans le centre est l’occasion pour elle de rencontrer Jayden sur laquelle elle se met à projeter ses plus grandes peurs… Un film libérateur et lumineux.

Au Pakistan, la communauté des Khusras est constituée de person­nes transgenres MtF (nés hom­mes, ils vivent en tant que femmes) qui gagnent leur vie en se produisant dans des spectacles de danse. Noor a longtemps été l’un d’eux. Mais après avoir vécu une histoire d’amour avec une femme de la communauté, il décide de redevenir un homme, ce qui ne manque pas d’engendrer tensions et ostracisme… Noor interprète son propre rôle et dévoile progressivement, au fil du film, les épisodes les plus douloureux de son histoire.

de Destin Cretton avec Brie Larson, John Gallagher Jr… Distribution : Version Originale / Condor Durée : 1h36 Sortie le 23 avril

de Ça la Zencirci et Guillaume Giovanetti avec Noor, Uzma Ali… Distribution : Zootrope Films Durée : 1h18 Sortie le 23 avril

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Night Moves Grand prix au festival de Deauville, Night Moves, qui entremêle thriller et étude sur l’activisme écologique, confirme Kelly Reichardt (La Dernière Piste) comme l’une des grandes cinéastes de sa génération. PAR LAURA TUILLIER

Night Moves, suivant le programme de son magnifique titre, s’avance sombre et masqué. Au début du film, une fille et deux garçons se retrouvent près d’une baraque, ils examinent l’état d’un bateau à moteur, ils ont l’air tendus et déterminés, ils sont avares de paroles. Toute la première partie du film s’attache à suivre minutieusement, avec un souci presque documentaire, la préparation d’un acte terroriste qui vise à faire exploser un barrage. En marge d’une coopérative biologique qui privilégie les aménagements de surface, Josh (Jesse Eisenberg, parfait en activiste taciturne) a opté pour la manière forte. Le groupe (complété par Dakota Fanning et Peter Sarsgaard) semble avancer vers la réalisation d’une entreprise qui le dépasse, idéal collectif qui suppose, pour aboutir, de mettre de côté affect et relations personnelles. Coupé en son milieu par une

> 24 JOURS : LA VÉRITÉ SUR L’AFFAIRE ILAN HALIMI

Le réalisateur Alexandre Arcady revient sur l’affaire du gang des barbares (le rapt et l’assassinat, après de nombreux sévices, d’un jeune Juif, Ilan Halimi) en se basant sur le récit des événements faits par la mère de la victime, incarnée par Zabou Breitman. T. Z. d’Alexandre Arcady (1h50) Distribution : Paradis Films Sortie le 30 avril

remarquable séquence nocturne sur l’eau impassible du fleuve, le film explose en même temps que le barrage : constat presque mélancolique d’un échec de l’extrémisme, qui s’accompagne d’une plongée dans les affres de la dépression et de la paranoïa. Le film se métamorphose alors en polar noir profond qui atomise le groupe et laisse chacun seul avec son engagement… Kelly Reichardt, dont la mise en scène s’organise avec une précision et une lucidité tranchantes, préserve de bout en bout la fascinante ambiguïté qui se niche dans le cœur de son héros, Josh, lorsque celui-ci doit prendre le parti de vivre dans un monde qu’il exècre et qui l’a rendu fou. de Kelly Reichardt avec Jesse Eisenberg, Dakota Fanning… Distribution : Ad Vitam Durée : 1h47 Sortie le 23 avril

> LE DERNIER DIAMANT

Sept ans après Le Serpent, le réalisateur Éric Barbier retrouve Yvan Attal pour un autre thriller sous tension. Un cambrioleur participe au vol d’un diamant mis aux enchères, le Florentin, en séduisant une experte diamantaire pour qui la vente de la pierre revêt un enjeu considérable. T. Z. d’Éric Barbier (1h48) Distribution : Océan Films Sortie le 30 avril

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> THE AMAZING SPIDER-MAN : LE DESTIN D’UN HÉROS

Peter Parker revient sous les traits d’Andrew Garfield, plus cool et pop que quand il était joué par Tobey Maguire. Ce volet est particulièrement attendu pour la prestation de Jamie Foxx en Electro, méchant qui fait des étincelles au côté du Rhino (Paul Giamatti). É. R. de Marc Webb Distribution : Sony Pictures Sortie le 30 avril


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Dans la cour PAR LOUIS SÉGUIN

Dans la cour, il y a un jeune footballeur prématurément retraité qui passe sa journée à sniffer et à faucher des vélos ; un vieil aveugle à qui l’on lit le journal ; un maniaque de l’ordre qui veille au respect des règles de la copropriété… Mais il y a surtout Mathilde, jeune retraitée

hyper­active que guette la démence (elle est persuadée que l’immeuble va s’effondrer), et Antoine, musicien épuisé et mélancolique, tout juste embauché comme concierge. Pierre Salvadori, habitué des personnages cabossés, fait rencontrer ces deux-là, entre lesquels va se nouer une amitié improbable.

Improbable comme le couple de comédiens formé pour l’occasion : Catherine Deneuve et Gustave Kervern (tout droit venu de son Groland adoptif). L’amitié de ce duo creuse son sillon dans leur solitude respective, et le concierge ne peut s’empêcher de recueillir et de choyer la folie de son amie. Car voici la belle idée de Dans la cour : faire du mutique et ursin Antoine, depuis son rez-dechaussée, et alors même qu’il est traversé de failles, la fondation de cette petite société. Grâce à lui, les faiblesses de chacun des habitants s’associent pour, malgré tout, faire tenir l’immeuble debout.   de Pierre Salvadori avec Catherine Deneuve, Gustave Kervern… Distribution : Wild Bunch Durée : 1h37 Sortie le 23 avril

PAR LAURA TUILLIER

Présenté en clôture de la Semaine de la critique à Cannes, 3x3D est un triptyque qui se propose d’explorer les possibilités plastiques de la 3D. À cette occasion, nous avions rencontré Peter Greenaway, qui signe le segment Just in Time, visite fantomatique et drôle de la ville de Guimarães. Voilà ce qu’il nous confiait : « J’avais vu les films en 3D de Spielberg ou de Scorsese, mais je ne voyais pas en quoi la 3D changeait la grammaire du film, sa conception. Il me semblait que c’était difficile de se situer au-delà de l’effet de surprise. Un peu comme lorsque les spectateurs des films des frères Lumière levaient les pieds lorsqu’ ils voyaient des vagues à l’écran : ce sont des choses qui marchent seulement une ou deux fois. Mais

je pense que c’est important, pour un réalisateur, de comprendre la technologie, et je suis fasciné par la révolution numérique. Mon film est rempli de petits jeux visuels, je mets tout dedans. Je veux jouer avec le spectateur, lui montrer toutes les possibilités de la 3D. Je m’amuse aussi avec le texte et les images. Pour moi, les films

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sont le plus souvent basés sur du texte – un scénario – et non sur des images. Or, j’ai une formation de peintre, pour moi les images passent avant tout. » de Jean-Luc Godard, Peter Greenaway et Edgar Pêra Expérimental Distribution : Urban Durée : 1h10 Sortie le 30 avril


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Conversation animée avec Noam Chomsky

> ALI A LES YEUX BLEUS

Nader est né et vit à Rome, mais ses parents sont égyptiens. Ces derniers lui interdisent de fréquenter une jeune Italienne, car ils veulent qu’il épouse une musulmane… Cette fable sociale italienne est inspirée de la vie de son acteur principal. T. Z. de Claudio Giovannesi (1h39) Distribution : Bellissima Films Sortie le 30 avril

Deux cerveaux brillants autour d’une table. Le réalisateur Michel Gondry pose des questions au linguiste Noam Chomsky. Mais quand Chomsky répond, c’est coton à comprendre. Alors Gondry décide d’éclaircir son propos en utilisant l’animation. PAR ÉTIENNE ROUILLON

La fascination que le spectateur peut avoir pour cet entretien dessiné prend sa source dans la capacité, apparemment illimitée, de Michel Gondry à rendre accessible des concepts pour le moins abstraits, qu’ils soient sociologiques, politiques ou grammaticaux. Le réalisateur de L’Écume des jours a brillamment trouvé un nouveau boulot, après avoir été clipeur génial durant les années 1990 et 2000 (IAM, Daft Punk, Björk…) : devenir un immense vulgarisateur des savoirs, avec la pédagogie malicieuse d’un Hubert Reeves et la bidouille captivante de Jamy dans l’émission télévisée C’est pas sorcier. Tandis qu’il planchait sur le blockbuster The Green Hornet (2011), il a décidé d’interviewer un professeur du Massachusetts Institute of Technology (MIT) et de faire de cet entretien un documentaire animé qu’il dessinerait tout seul. Ce prof, c’est Noam Chomsky, dont

les travaux sur le langage ont fait date dans l’histoire des sciences. Activiste et militant, c’est aussi une figure de référence pour de nombreux courants de la gauche américaine. Le film est parfois hyper­a rdu : on y parle grammaire générative, capital cognitif, mais aussi deuil et dégoût des monda­ nités. Le nœud de la rencontre, c’est la question de la structuration du langage, sa possible part d’universel, le jeu entre acquis et inné. Gondry part alors en quête de son Graal, la clé de voûte qui charpente son style d’artisan des effets spéciaux : qu’est-ce qui fait que notre œil identifie et nomme ce qui l’entoure, comment truquer cet échange pour faire naître des images oniriques ? Chomsky peut-il seulement apporter une réponse ? À voir. de Michel Gondry Documentaire Distribution : Shellac Durée : 1h28 Sortie le 30 avril

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> BARBECUE

Alors qu’il a toujours fait attention à tout, Antoine (Lambert Wilson) est victime d’un infarctus le jour de ses 50 ans. Il prend dès lors conscience qu’il s’est toujours retenu, aussi bien concernant la nourriture qu’envers ses proches, et il devient odieux. T. Z. d’Éric Lavaine (1h38) Distribution : StudioCanal Sortie le 30 avril

> Enfants des nuages : la Dernière Colonie Emmené par l’acteur espagnol Javier Bardem, très investi, ce documentaire raconte l’interminable lutte du peuple sahraoui, initialement nomade, pour retrouver son indépendance au Sahara occidental. Récit d’un imbroglio politique international. T. Z. d’Álvaro Longoria (1h21) Distribution : Chapeau Melon Sortie le 30 avril


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Last Days of Summer Adaptation d’un roman de Joyce Meynard, Long week-end, le nouveau film de Jason Reitman (Juno, In the Air…) célèbre un face-à-face brûlant entre Kate Winslet et son geôlier au grand cœur, Josh Brolin. PAR LAURA TUILLIER

Après quelques films très ancrés dans le contemporain, Jason Reitman choisit un décor aux couleurs un peu fanées : la fin des années 1980, dans un coin perdu du Nord-Est des États-Unis. Dans ce cadre bucolique vivent, isolés, Adele et son fils Henry, préado sensible et attentionné. La bonne idée du film, qui était aussi celle du roman de Joyce Meynard, est de raconter l’histoire du point de vue de Henry, à hauteur de ses émois d’adolescent. La première partie, sans doute la plus réussie, s’attache ainsi à la chronique du quotidien d’Adele et de Henry qui forment un couple fusionnel et désaxé. La fin de l’idylle s’annonce en la personne d’un prisonnier en cavale (interprété avec retenue par Josh Brolin) qui séquestre la mère et son fils, mais s’avère rapidement être un brave garçon venu remettre un peu d’ordre et de joie au foyer. Si le film prend alors des allures

de thriller, c’est un thriller sans bad guy ni violence, ce qui donne au film une douceur étrange (portée par Kate Winslet, comme toujours impeccable), mais également une dose de sensiblerie élevée, dont les flash-back à répétition sont l’exemple le plus maladroit. Le huis clos, puisque les trois personnages se retrouvent piégés dans la maison d’Adele, permet à Jason Reitman de se concentrer sur le ressenti de ses personnages, à mesure qu’un nouvel équilibre se crée, qu’une famille se construit. C’est sur ce versant mélancolique, puisque la famille est d’emblée maudite et vouée à l’atomisation, que Last Days of Summer parvient à trouver son point d’ancrage. de Jason Reitman avec Kate Winslet, Josh Brolin… Distribution : Paramount Pictures Durée : 1h51 Sortie le 30 avril

Qu’est ce qui vous a séduit dans Long week-end, le roman de Joyce Meynard ?

Ma productrice me l’a donné tout en me mettant en garde : a priori, ce n’était pas du tout mon genre de sujet, mais elle sentait que je pouvais aimer. Et, en effet, cette histoire d’amour sans justification m’a beaucoup plu. J’ai adapté le livre facilement, en quelques mois, car j’ai choisi de rester très près de l’histoire originale.

L’histoire est racontée du point de vue du jeune garçon, ce qui donne des choses intéressantes.

Oui, c’est très bien décrit dans le livre. Pour moi, une des scènes clés est celle au cours de laquelle le jeune ado fixe le soutien-gorge de sa camarade. Je me souviens très bien avoir éprouvé ce genre de sensation bizarre à son âge. J’avais besoin d’un acteur qui sache très bien observer, que son regard soit toujours en mouvement, en éveil.

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La reconstitution de la fin des années 1980, qui se situe dans un passé très proche, s’est-elle avérée difficile ?

Oui, c’était dur. Cela nous a demandé un travail minutieux. Nous avons décidé de traiter les années 1980, qui sont plutôt vues comme une période un peu grotesque, avec la nostalgie que l’on accorde d’habitude aux années 1950 ou 1960. L’atmosphère du film Stand by Me a été une de nos influences.

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3 questions à Jason Reitman PROPOS RECUEILLIS PAR L. t.


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Pas son genre On avait quitté Lucas Belvaux sur une rupture amoureuse dans les rues brumeuses du Havre : dans 38 témoins, son dernier film, un couple se disloquait lentement suite à l’assassinat d’une jeune fille sous ses fenêtres. On retrouve le cinéaste belge au cœur d’une autre petite ville de province, Arras, dans un registre apparemment plus frivole. Pas son genre raconte l’improbable relation senti­ mentale entre un professeur de philosophie, parisien et bourgeois (l’excellent Loïc Corbery, de la Comédie-Française) et une pétillante coiffeuse, provinciale et mère célibataire (la toujours impeccable Émilie Dequenne, blonde platine pour l’occasion). Clément aime Kant, porte

des couleurs sombres et doute de tout, et surtout de l’amour ; Jennifer lit Anna Gavalda, se pomponne pour des karaokés entre copines et considère la vie avec légèreté et optimisme. Mais le plus sage des deux n’est pas forcément celui que l’on croit. D’abord volontiers archétypaux, nos deux héros se révèlent l’un à l’autre au fil de dialogues ciselés qui jouent à plein sur le choc des cultures (Proust vs Jennifer Aniston). Sous l’œil toujours bienveillant de Belvaux, les rapports du couple se teintent de nuances plus sombres, jusqu’à l’émouvant renversement final. de Lucas Belvaux avec Émilie Dequenne, Loïc Corbery… Distribution : Diaphana Durée : 1h51 Sortie le 30 avril

© deblokada

PAR JULIETTE REITZER

Les Femmes de Višegrad PAR T. Z.

L’Aust ralien ne Ky m passe ses vacances d’été en BosnieHerzégovine. Son séjour idylli­ que se termine par une nuit d’insomnie à l’hôtel Vilina Vlas, à Višegrad. Revenue en Australie, elle découvre que l’établissement a été le lieu d’atroces crimes pendant la guerre, en 1992. Des centaines de femmes y ont été violées et torturées. Après le conflit, l’hôtel a simplement été rouvert aux touristes, et tout le monde a préféré oublier. Mais pour Kym, c’est intolérable. Récit poignant de son enquête clandestine. de Jasmila Žbani avec Kym Vercoe, Pamela Rabe… Distribution : Happiness Durée : 1h13 Sortie le 30 avril

Joe PAR C. B.

© agat films & cie 2013

Après Mud, retour dans le quotidien moite du sud des États-Unis pour Tye Sheridan qui incarne ici un ado maltraité par son père (fulgurant Gary Poulter, acteur amateur mort après le tournage) et recueilli par Joe, ex-taulard (Nicolas Cage). Au cœur d’un symbolisme animal prononcé, la star est une panthère (en cage, forcément) harcelée par les chiens, omniprésents. On y découvre ainsi la clé du cool selon David Gordon Green, qui fait dire à Joe : « Il faut prendre l’air triste, et sourire en même temps. » de David Gordon Green avec Nicolas Cage, Tye Sheridan… Distribution : Wild Side Films / Le Pacte Durée : 1h57 Sortie le 30 avril

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Le Loup de Wall Street Après les gangs de mafieux à l’ancienne, Scorsese plonge dans l’univers de loubards plus contemporains : les financiers magouilleurs et leurs tonnes de billets verts qui s’empilent, fragiles comme châteaux de cartes. PAR LAURA TUILLIER

Jordan Belfort existe bel et bien. Il a été trader milliardaire dans les années 1990, a été inculpé pour escroquerie, s’en est sorti, ne s’est pas repenti, et explique aujourd’hui à des assemblées médusées comment vendre tout et n’importe quoi. Pourtant, Belfort est tout entier refondu par Scorsese qui, en s’associant à Leonardo DiCaprio, choisit de faire le portrait de son acteur. À cet égard, la première partie du film – l’apprentissage du métier d’escroc par Belfort –, est un numéro de stand-up en surchauffe qui laisse à DiCaprio l’ivresse de jouer jusqu’à épuisement avec corps et voix et d’inventer un nouveau personnage d’aliéné dont la joie terrifie. Ce portrait, qui laisse deviner la complicité qui lie le cinéaste à son acteur, est toutefois féroce : contrairement aux mafieux, pour lesquels l’empathie de Scorsese était palpable, les financiers sont regardés comme

des guignols, d’étranges animaux qui règnent sur un monde sans queue ni tête dont, à la limite, c’est l’absurdité qui grise. Alors que la mafia était liée à un pays et à une histoire, ce trafic dématérialisé ne doit rien à personne et envahit le monde sans y puiser de racines : n’importe qui aurait pu devenir Jordan Belfort, et c’est une triste victoire que celle de n’importe qui sur tout le monde. Par son emballement continu, par sa débauche de moyens et d’effets, par l’unique contrechamp sur la vie « réelle », Scorsese décode cet état monstrueux du monde, tout prêt à renaître des cendres d’une humanité en déshérence. de Martin Scorsese avec Leonardo DiCaprio, Jonah Hill… Édition : Metropolitan FilmExport Durée : 2h59 Sortie le 25 avril

LES SORTIES DVD

> LE SECRET DERRIÈRE LA PORTE de Fritz Lang (Carlotta)

Mariés sur un coup de tête, Celia et Mark s’installent à New York. Elle découvre une pièce mystérieuse qu’il voudrait lui cacher. Chef-d’œuvre en noir et blanc tourné en plein milieu de la période américaine de Fritz Lang, Le Secret derrière la porte (1948) met en scène le versant trouble et effrayant de la passion amoureuse. L. T.

> CIRQUE EN RÉVOLTE

> VIOLENCE À PARK ROW

Sorti en 1952, ce film méconnu d’Elia Kazan suit les persécutions d’un cirque tchécoslovaque par le régime communiste d’après-guerre. Sa ressortie en DVD permet de s’émerveiller devant l’efficacité du réalisateur, mais interroge par son propos – la même année, Kazan dénonçait des communistes durant le Maccarthysme. T. Z.

En 1952, Samuel Fuller s’aventure vers le film d’époque : à la fin du xixe siècle, dans le quartier new-yorkais de Park Row, berceau du journalisme moderne aux États-Unis, Mitchell fonde The Globe. Il devra affronter la fureur de la propriétaire du Star, qui ne respecte aucune règle. Vitesse et humour sont au rendez-vous, comme d’habitude chez Fuller. L. T.

d’Elia Kazan (ESC Conseils)

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de Samuel Fuller (ESC Conseils)



cultures KIDS

MUSIQUE

LIVRES / BD

SÉRIES

SPECTACLES

Zoo de Vincennes réouverture

Inauguré en 1934, fermé en 2008, le zoo de Vincennes, ou parc zoologique de Paris, rouvre ses portes le 12 avril, après des travaux colossaux. Parmi ses résidents, le jaguar noir Aramis. Il était jusque-là hébergé à la ménagerie du Jardin des Plantes. Nous avons assisté à son transfert. PAR JULIETTE REITZER

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Ce n’est pas un chat, c’est un gros félin, qui reste un animal dangereux », sermonne patiemment Mathieu Dorval, chef soigneur adjoint de la ménagerie du Jardin des Plantes. Les quelques journalistes réunis de bonne heure, en ce matin du 6 mars, auraient tôt fait de l’oublier. Aramis, jaguar mâle de couleur noire, fait les cent pas dans sa loge, l’enclos intérieur où il passe la nuit. Ce matin, exceptionnellement, la porte métallique qui lui permet d’accéder à son enclos extérieur reste close. Il toise les journalistes, grimpe sur des troncs pour atteindre l’endroit où la baie vitrée qui le sépare de nous laisse place à des barreaux. Il nous renifle. Mathieu Dorval nous a expliqué le programme de la matinée. Le jaguar sera anesthésié à l’aide d’un fusil hypodermique, les vétérinaires en profiteront pour lui faire une batterie de tests (tension, poids, rythme cardiaque…), avant de le mettre dans sa cage de transport ; le tout dans un temps limité, puisque l’anesthésie dure une heure environ. On attendra qu’Aramis se réveille pour emporter sa cage au tout nouveau zoo de Vincennes, en camion. Rapidement, les équipes de la ménagerie et celles du

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CONCERT Acid Arab le 26 avril à La Machine du Moulin Rouge p. 80

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DANSE D’après une histoire vraie du 9 au 11 avril au Théâtre de la Ville p. 86


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MUSIQUE

Les Nouvelles (Més)aventures d’Harold Lloyd : la chronique d’Élise, cinq ans p. 74 JEUX VIDÉO

FOOD

JEU VIDEO

Titanfall est bien parti pour devenir la référence du FPS p. 92 DESIGN

présente

© étienne rouillon

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ARTS

Rencontre avec Miossec pour la sortie de Ici-bas, ici même p. 76

Aramis dans sa loge, à la ménagerie du Jardin des Plantes

L’inauguration officielle du zoo de Vincennes, le 2 juin 1934

zoo affluent dans la fauverie. L’ambiance est chaleureuse mais tendue. « C’est toujours stressant d’endormir un animal », souffle Cyrielle. La jeune soigneuse s’est occupée d’Aramis depuis l’arrivée du jaguar à la ménagerie, en octobre 2012 – il était auparavant au zoo de Varsovie, en Pologne, où il est né en 2009. Elle est visiblement émue. « C’était un grand bonheur de travailler avec lui. Il aime beaucoup le poisson, il est très réceptif quand on cache de la viande dans son enclos. C’est un peu le félin idéal. C’est un mélange de tristesse et de joie de le voir partir, parce qu’il sera plus à l’aise à Vincennes. »

En contournant le Grand Rocher, construction en treillis métalliques enduits de béton qui culmine à 65 mètres de haut, ils louent l’ingéniosité de l’architecte, Charles Letrosne. Ce dernier s’est inspiré du révolutionnaire zoo de Hambourg, imaginé par Carl Hagenbeck en 1907. La particularité du lieu, c’est que les animaux ne sont pas derrière des barreaux : ils sont installés dans des enclos ouverts, sur des plateaux ou dans des enrochements, séparés de la foule par des fossés. Le succès est immédiat : dès la première année, le zoo de Vincennes attire cinq millions de visiteurs. Achille Urbain, son directeur jusqu’en 1946, n’hésite pas à aller chercher lui-même des animaux sauvages (lions, autruches, éléphants, antilopes…) dans les colonies, notamment au Tchad et au Cameroun. C’est un zoo d’un autre âge, entièrement tourné vers le plaisir des badauds, avides d’exotisme. Mais au début des années 1980, les infrastructures, vieilles de cinquante ans, commencent à se détériorer. On ferme le Grand Rocher, avant de le rénover à la fin des années 1990.

Des cages sans barreaux

Plus qu’une rénovation, l’enjeu, à Vincennes, a été de construire un nouveau zoo, bien loin de la version initiale du lieu, inaugurée en grande pompe le 2 juin 1934 par le président de la République, Albert Lebrun. Ce jour-là, les officiels se pressent en nombre, en costumes trois-pièces et chapeaux haut de forme.

le PARCOURS PARISIEN du mois

VIDÉO « Bill Viola » jusqu’au 21 juillet au Grand Palais p. 88

FOOD La Scène 33, avenue George-V Paris VIIIe p. 94

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comédie musicale Into the Woods du 1 er au 12 avril au Théâtre du Châtelet p. 104


© étienne rouillon

© f-g grandin mnhn

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Le vétérinaire Norin Chaï et le chef soigneur adjoint Mathieu Dorval immobilisent les mâchoires d’Aramis, anesthésié, avant de l’examiner

Une partie du nouvel enclos d’Aramis, au zoo de Vincennes

Le reste du parc montre de sérieux signes d’usure, le public se fait moins nombreux. Au cours de la décennie 2000, le Muséum national d’histoire naturelle, dont dépend le zoo, prend des mesures conservatoires pour raison de sécurité. Des installations sont fermées, les animaux sont progressivement transférés vers d’autres parcs, jusqu’à la fermeture totale des lieux en novembre 2008.

« Le bien-être animal est au cœur du projet du zoo. »

Lime à ongles et « push-rino »

Les travaux ont duré trois ans, pour un coût de 167 millions d’euros, financés à hauteur de 157 millions par un partenariat public/privé entre la société Chrysalis et l’État, et de 10 millions par le Muséum. À l’exception de l’iconique Grand Rocher, qui s’enrichit d’un vivarium dans son sous-sol, les quinze hectares du zoo ont été entièrement repensés. Pour Thomas Grenon, directeur général du Muséum national d’histoire naturelle, « le bien-être animal est au cœur du projet », raison pour laquelle le zoo n’accueillera ni ours ni éléphant, des mammifères trop gros pour ses infrastructures. Les architectes de l’agence Bernard Tschumi ont travaillé en étroite collaboration avec les équipes du parc – zoologues, vétérinaires, éthologues (spécialistes des comportements animaliers). Ils ont par exemple choisi un béton abrasif pour le sol de l’enclos des coquettes girafes, pour son effet lime à ongles, et inventé un dispositif de contention au nom fleuri, le « push rhino », qui permet de peser les rhinocéros et de les soigner en les maintenant dans un sas hydraulique. Finies les grandes allées rectilignes et les regroupements d’animaux par espèces : le visiteur emprunte un parcours sinueux sur quatre kilomètres à travers cinq biozones, chacune reconstituant la faune et la flore d’une région du globe : Patagonie, Sahel-Soudan (la plus vaste, elle s’étend sur plus de quatre hectares), Europe, Guyane et Madagascar. On y traverse notamment une immense serre tropi­ cale en verre et une grande volière sous filets qui accueille des oiseaux en vol libre. Arrivés progressivement depuis décembre dernier, mille animaux de cent quatre-vingts espèces différentes sont installés

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Thomas Grenon

à Vincennes. Aucun n’a été prélevé dans la nature : ils sont issus de plans d’élevage concerté entre zoos, et certains reptiles et oiseaux proviennent de saisies des douanes. Il a fallu acheminer des zèbres depuis Moscou, accueillir un puma du Chili, récupérer les babouins à Édimbourg, réceptionner la meute des cinq loups ibériques venue des Pays-Bas… Dans sa loge de la ménagerie du Jardin des Plantes, le jaguar Aramis a grogné un bon coup quand la fléchette-seringue l’a piqué. Il dort à présent profondément. Avant d’entrer dans l’enclos du dangereux félin, le vétérinaire de la ménagerie, Norin Chaï, a pris soin de vérifier l’inconscience de l’animal en l’asticotant du bout d’un manche à balai. Soigneurs et vétérinaires entrent dans la loge, s’affairent en silence. Aramis a droit à son premier check-up complet. Verdict, au bout d’une heure : il pèse quatre-vingt-neuf kilos et pète la forme. Les équipes soufflent, plaisantent, visiblement soulagées. Reste à installer le jaguar endormi dans une solide cage de transport, et à attendre qu’il se réveille. Ensuite, direction le parking en sous-sol. Cyrielle, la jeune soigneuse, essuie une larme. À Vincennes, une autre équipe, impatiente, s’apprête à accueillir le beau jaguar noir… Trois semaines plus tard, au téléphone, la directrice du zoo de Vincennes, Sophie Ferreira Le Morvan, nous donne des nouvelles d’Aramis : « Il s’est super bien acclimaté. Il est resté un peu plus d’une semaine dans sa loge intérieure, puis on l’a sorti petit à petit dans son enclos d’isolement [lieu de transition entre la loge intérieure et l’enclos extérieur, ndlr]. Maintenant, il sort librement. On l’a même vu plonger une patte dans la cascade de son enclos. » Bonne pêche. Parc Zoologique de Paris, au croisement de l’avenue Daumesnil et de la route de ceinture du Lac-Daumesnil, Paris XIIe

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Les Nouvelles (Més)aventures d’Harold Lloyd

l’avis du grand

Presque un siècle après leur réalisation, les pitreries de Harold Lloyd n’ont rien perdu de leur efficacité. La preuve : c’est avec d’immenses éclats de rire qu’Élise a suivi les tribulations de « l’homme aux lunettes d’écaille ». Propos recueillis par Julien Dupuy

Le petit papier « Ce film ressemble un peu au Kid, parce que c’est en noir et blanc, que les gens ont la même tête et que personne ne parle ; mais je m’en fiche, car des fois, à la place des images, il y a des écritures qui disent ce qui se passe et que les grands me lisent. Dans le film, il y a toujours les mêmes personnages : une femme jolie qui a beaucoup de détails sur sa robe, et un garçon qui a des lunettes – mais on ne connaît pas son nom, car il ne parle pas. Alors, moi, je l’appelle “notre héros”, parce qu’il sauve un petit peu les gens. Il arrive plein d’aventures à notre héros. Il va chez des pirates, et ils n’arrêtent pas de se taper avec des rames ; mais ça ne sert à rien,

d’ Élise, cinq ans car personne ne gagne jamais. Ensuite, il a un tout petit chien très rigolo avec un os, même si je sais pas pourquoi ça m’a fait rire. J’adore l’histoire avec le voisin, surtout quand ils construisent le poulailler, parce que notre héros est coquin, il n’arrête pas de faire des bêtises. Et l’histoire quand il est maître nageur est très bien aussi… ils ont des maillots de bain bizarres, parce que le film est très vieux. Il doit dater de l’époque de mon pépé et de ma mamie. » Les Nouvelles (Més)aventures d’Harold Lloyd de Hal Roach, Alf Goulding, Harold Lloyd et Frank Terry Distribution : Carlotta Films Durée : 48mn Dès 5 ans Sortie le 9 avril

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avril 2014

Si on les débarrasse de leur glacis de classique intouchable, ces quatre courts métrages de Harold Lloyd, qui ressortent aujourd’hui dans une belle restauration, s’imposent comme de purs blockbusters des années 1920 : une succession souvent hystérique de gags et de péripéties, un héros rassembleur représentant dignement la classe moyenne américaine, et même quelques détails racoleurs, comme cet érotisme suranné qui consiste à dévoiler les mollets rebondis d’un équipage de femmes pirates affriolantes. Loin de rendre le divertissement trivial, c’est aussi le caractère très calculé de l’œuvre de Harold Lloyd qui lui garantit de traverser le temps sans encombre : encore aujourd’hui, il est difficile de résister à ce divertissement d’une générosité et d’une inventivité telle qu’il en deviendrait épuisant. J. D.


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cultures MUSIQUE

Miossec ROCK

Christophe Miossec, chanteur à boire, baiser, brûler, devenu sobre (mis au sec, on ose le jeu de mot) et presque vieux sage, sort un nouvel album, Ici-bas, ici même, apaisé mais pas moins brûlant, entre protest et love songs. Entretien cafés/cigarettes électroniques.

© alban grosdidier

PAR WILFRIED PARIS

« Ce n’est pas vraiment un métier, c’est une enveloppe. On devient chanteur, on devient une curiosité, une caricature. » 78

avril 2014


Les bonnes chansons sont de très mauvaises poésies. Je n’ai aucune volonté de faire de la poésie. Une chanson, ça ne se lit pas, ça ne s’adresse qu’à l’oreille. » Christophe Miossec, aux premiers albums de peu de mots (Boire, Baiser, Brûle), mais qui claquaient comme des mots d’ordre incandescents, mottos qui l’ont longtemps défini, n’en revient toujours pas de son métier de chanteur. « Ce n’est pas vraiment un métier, c’est une enveloppe. On devient chanteur, on devient une curiosité, une caricature. C’est très drôle comme vie. Mais c’est un métier plus généreux qu’on ne le croit. On donne aux gens, et ils disposent. Souvent, le chanteur essaie de rentrer en contact avec l’espèce humaine par le biais de la chanson, pour communiquer. » Généreux en entretien, cet ancien journaliste de Ouest France, puis « nègre » pour Gallimard ou rédacteur d’annonces pour TF1, conçoit son métier de chanteur comme « politique, dans le sens premier du terme : le chanteur fait partie de la vie de la cité. Sans forcément donner des mots d’ordre, on indique une direction, on émet un point de vue, au sein d’une agora. » Sur son nouvel album, enregistré avec Albin de la Simone et Jean-Baptiste Brunhes dans sa « cabane » près de Brest, Miossec use (et abuse ?) du pronom personnel indéfini « on » pour chanter au nom du collectif, donner la parole à une communauté indistincte, entre le « je » de la subjectivité, le « nous » du couple et le « on », donc, du groupe : chansons sur l’ultramoderne solitude (« On s’égare, on se parsème / On ne sait plus à qui dire je t’aime… » [Qui nous aime]) ou sur le bégaiement de l’histoire (« On verra bientôt si on sait marcher au pas / On regarde la mer monter, jusqu’à où on ne sait pas / On est quand même mouillés… » [Ce qui nous atteint]). Tout baigne

Si l’album se clôt par l’ambivalente expression « Tout baigne » (Des touristes), répétée ad nauseam sur une chorale un brin anxiogène, on n’oublie pas que Miossec s’est sinon « mouillé » du moins impliqué et engagé politiquement dans la vie de son village de Locmaria-Plouzané en se présentant sur une liste électorale aux municipales de 2008, expérience qu’il n’a pas souhaité renouveler cette année. « La liste avait perdu de dix-neuf voix, ce qui est très peu pour une commune de 4 800 habitants. Du coup, j’en ai conclu que c’était de ma faute. Je faisais un peu trop figure d’épouvantail. À l’échelle locale, faire partie d’une municipalité permet de mettre les mains

dans le moteur, de participer vraiment à la vie de la cité, mais aujourd’hui, la politique est un métier de professionnels : il faut avoir fait Sciences Po, l’ENA, avoir des parents derrière. C’est une caste. Pierre Bérégovoy ou Philippe Séguin étaient fils d’ouvriers. Aujourd’hui, on n’a plus qu’Aurélie Filippetti dans le même cas, et s’il y a un remaniement, il y a de fortes chances qu’elle saute. C’est fabuleux, cette capacité des socialistes à tuer ce qu’il reste de prolétaire en eux. » Du coup, Miossec s’implique autrement, en coorganisant, par exemple, chaque année l’anniversaire du Vauban, la mythique salle de concert brestoise, avec ses amis (Dominic Sonic, Lætitia Sheriff, Yann Tiersen…), et s’il n’est pas allé récupérer sa médaille de chevalier des Arts et des Lettres en 2012 (« Maman aurait bien aimé, mais bon… Je n’ai rien demandé. C’est Sarkozy, à la fin de son mandat, qui distribuait les médailles à droite à gauche, avant les élections. On est une tripatouillée à l’avoir reçue. Certains sont allés la chercher. Moi pas. »), il a, en revanche, accueilli avec bonheur la Victoire de la musique de la meilleure chanson 2014 décernée à 20 ans, écrite pour Johnny Halliday : « Un vrai hold-up : Stromae avait deux chansons en lice, et comme c’était un vote du public, les votes en sa faveur se sont divisés, ce qui nous a permis de gagner. Le public de Johnny s’est approprié cette chanson : il reprend les paroles du début à la fin du morceau. Être parolier, c’est être au service de l’interprète. Avec Johnny, la dimension orale est essentielle, c’est un vrai plaisir. » La main droite qui « trémole »

Ici-bas, ici même est un album apaisé, acoustique, parfois lumineux, mais qui a autant d’énergie qu’un disque « rock ». « La définition du mot “rock” ne veut plus rien dire. Les grosses guitares, le mec qui appuie sur ses effets, et la main droite qui “trémole”, c’est impressionnant, ça fait du bruit, mais Camarón de la Isla est bien plus rock ; idem pour Astor Piazzola : en concert, ça claque, c’est du rock. Il s’agit de tension. Les attributs traditionnels du rock ne font plus de mal à une mouche. » Entre chansons d’amour épistolaires et constat inquiet d’un monde qui s’obscurcit, le Brestois pose à sa manière (chant presque parlé, tessiture limitée) ses mots et ses maux sur l’époque, avec plus d’espoir que de résignation, et avec cette croyance salvatrice : « On peut encore se raccrocher à la poésie. » (On vient à peine de commencer.) Accrochez-vous. Ici-bas, ici même de Miossec ([PIAS]) Sortie le 14 avril

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cultures MUSIQUE

sélection Par Michaël Patin

© alessandro simonetti

GIRL

ROCK INDÉ

EMA Par Éric Vernay

Pas encore remise du tourbillon qui s’est emparé de la blogosphère suite au succès de son premier disque solo en 2011, EMA se réinvente avec brio, entre efficacité noisy-pop, références cyberpunk et parano 2.0. « J’avais besoin de m’isoler, confie EMA. Je suis anonyme à Portland, et ça me plaît. » Trois ans après Past Life Martyred Saints, disque sur lequel Erika M. Anderson disait « fuck » à la Californie, la grande Américaine aux faux airs de Pink punk essaie toujours de digérer son récent statut de néo-prêtresse rock indé héritière de Hole ou de PJ Harvey. « C’était un sentiment bizarre d’avoir toutes ces informations sur moi disponibles sur Internet. Je n’étais pas habituée, je n’avais personne à qui en parler, je me suis sentie aliénée. » Cette inquiétude au sein d’un présent digitalisé plane sur The Future’s Void. Lectrice de romans cyberpunk, EMA cite d’ailleurs le pape du genre, William Gibson, sur deux morceaux. « Dans le livre Neuromancien, que j’ai relu pendant la tournée du disque précédent, un des personnages est une intelligence artificielle. Il y a aussi Lady 3Jane, un clone, qui n’a pas de libre arbitre, parce qu’il est juste le produit d’informations faites chair. Mon esprit cherchait justement une métaphore pour comprendre ce que je vivais. » Musicalement, ce vertige de la transparence globalisée et du devenir cyborg se traduit par un usage rugueux, organique – en bref : un usage humain – d’éléments électroniques. « J’étais en colère, je voulais un album hargneux. Tout l’album s’est agrégé autour du son discordant et des basses menaçantes du single Satellites. » Ronces synthétiques au milieu desquelles la voix écorchée d’EMA se fraie un passage pop, divinement accidenté. The Future’s Void d’EMA (City Slang/[PIAS]) Sortie le 7 avril

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avril 2014

Siam Roads

de Pharrell Williams (Columbia)

de Limousine (Ekleroschok)

Inner City Beat!

The Soul of the Hour

Avec le retour du printemps, un réflexe quasi pavlovien veut que l’on parte en quête de plaisirs simples et euphorisants. Précédé du hit programmatique Happy, le nouvel album solo de Pharrell Williams tombe sous le sens. Célébré comme le messie dix ans après avoir changé la face de la pop, du rap et du R’n’B, le quadra à l’étrange chapeau incarne comme personne l’adolescence éternelle. Résumé médiocre de ses obsessions (deux bonnes chansons), G I R L passera difficilement la saison.

de divers artistes (Soul Jazz)

Trop de soleil et de badinerie peuvent faire oublier les besoins essentiels de la chair. Pensez donc à emporter en pique-nique l’extraordinaire compilation Inner City Beat! du label Soul Jazz. Sous-titrée « Detective Themes, Spy Music and Imaginary Thrillers », elle regroupe vingt-quatre thèmes de séries B anglaises des années 1960 et 1970, aussi explosifs et colorés que les classiques de John Barry (mais qui sont l’œuvre d’obscures artisants de studio tels que Syd Dale ou David Lindup). Avis aux amateurs de polars.

La glorieuse renaissance des éléments pourra aussi donner à l’esclave urbain des envies de ficher le camp. Il portera alors son attention sur le troisième opus des Parisiens de Limousine. Enregistré en Thaïlande dans la région de l’Isaan, Siam Roads noue un dialogue fascinant entre la pop, instrumentale, minimale et planante, de ces jazzmen de formation, et les sonorités rares de l’orgue à bouche ou du xylophone thaï. Fermez les yeux, vous sirotez un whisky sous le soleil couchant d’Ubon Ratchathani.

de Gallon Drunk (Clouds Hill/ Differ-ant)

Ne pas exclure enfin la possibilité d’un printemps pourri, après cet hiver anormalement clément. On se repliera alors sur cette merveille de rock orageux et anthracite signée Gallon Drunk, peut-être le sommet d’une discographie impeccable commencée en 1992. Fantasme americana de déserts et de marécages électriques puisée aux sources du Gun Club et de Birthday Party, la musique des Londoniens transpire de passion pour le blues et le bruit. Les beaux jours ont du souci à se faire.



cultures MUSIQUE

© flavien prioreau

agenda

Acid house orientale

Acid Arab Par Etaïnn Zwer

Les DJs Guido Minisky et Hervé Carvalho invitent l’Orient sur le dancefloor : le 26 avril prochain, à La Machine du Moulin Rouge, le duo pimentera la soirée Barbi(e)turix avec un méchant set d’acid house orientale. Fans du DJ stambouliote Baris K et de la Bendaly Family, ces habitués de la nuit parisienne ont affûté leurs productions techn-o-rientales Chez Moune, avant d’officialiser leur envie en 2012 au festival tunisien Pop in Djerba. Acid Arab, « c’est la rencontre de deux musiques des ghettos » : l’acid house, née dans ceux de Chicago, et la musique orientale, « puisque d’une certaine manière, le MoyenOrient, c’est le ghetto de l’Occident ». Entre darboukas et synthétiseur TB303, froideur acid et charme oriental, « même sauvagerie, même transe », pour un trip doublement hypnotique et « collectif ». Le duo a signé en 2013 sur le label de DJ Gilb’R, Versatile, deux EP et un premier album, Collections, aux featurings excitants : Crackboy et son remix tubesque du Shift Al Mani d’Omar Souleyman, I:Cube, l’ovni Rikslyd, le roi du re-edit Pilooski, le musicien kurde Adnan Mohamed, les Habibeats du Professor Genius… La vague Acid Arab déferle, et sous le credo « meeting, sharing, loving », la paire délivre des shows bouillants, adoubés de Paris à Tel Aviv. As du live, jonglant entre la sortie vinyle de leur maxi en avril et un nouvel EP en incubation, les boyz in the oud, proches de la scène clubbing lesbienne depuis les années Pulp, fêteront les « dix années d’activisme culturel » du crew Barbi(e)turix. Aux côtés de vingt DJs dont les divines Peaches, Chloé et Caroline France (Kap Bambino), Acid Arab devrait rhabiller cette Wet For Me collector à la mode turkish delight. Cheers ! donc, au son des youyous. Acid Arab, le 26 avril à La Machine du Moulin Rouge

Par E. Z.

Le 15 avril

Le 5 mai

DILLON Entre pop noire et electronica fragile, la jeune Brésilienne signée sur le label d’Ellen Allien, BPitch Control, livre son second opus, le sublime ovni lo-fi The Unknown. Au festival Clap Your Hands, elle invite son piano intimiste et ses émotions éraillées pour une soirée vibrante. Hypnotique.

Damon Albarn Blur, Gorillaz, The Good, the Bad & the Queen : vingt ans de carrière, et le génial touche-à-tout anglais s’offre enfin un essai solo, Everyday Robots, bijou folk-soul joliment étayé (Brian Eno, Bat for Lashes), qu’il dévoilera, entre tubes revus et faces B inédites, lors de cette date unique à Paris.

Le 26 avril

Le 6 mai

Correspondant Le label de la DJ française Jennifer Cardini célèbre sa seconde compilation, croisant techno rétro-futuriste calibrée pour le dancefloor et ambiances cinématographiques sombres, petits nouveaux (Paresse) et habitués, dont Kasper Bjørke, Sexy Lazer et Andre Bratten, conviés à cette alléchante release party.

Sharon Jones & The Dap Kings La diva soul et sa troupe ravivent les folles heures de la Motown avec le groove vintage de Give The People What They Want, cinquième opus élégamment puissant au long duquel se bousculent ballades lascives, rythm’n’blues rauque et funk débridé (sur Retreat !) et parfait préambule d’une prestation capiteuse et incandescente.

Le 28 avril

Du 7 au 10 mai

Metronomy Après le parfait The English Riviera (2011), le groupe du néo-Parisien Joseph Mount, toujours aussi doué pour la pop électrique, signe un Love Letters plus bricolé, plus introspectif. Fantaisie cuivrée, songwriting accrocheur et mélancolie dansante : la formule magique, livrée dans un show rétro malicieux. Addictif.

Marvellous island FESTIVAL Deuxième saison pour le festival electro au décor idyllique, boosté par ses trois scènes et par une affiche monstre : Solomun et son label Diynamic, le duo Kollektiv Turmstrasse, M.A.N.D.Y., Fritz Kalkbrenner, Viken Arman, Britta Arnold, Audiofly, sans compter les invités surprise.

au Café de la Danse

au Rex Club

au Zénith

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avril 2014

à L’Alhambra

à L’Olympia

sur l’île de la Porte-Jaune



cultures LIVRES / BD

L’Univers de carton vraie-fausse encyclopédie

Phoebus K. Dank, vous connaissez ? Non, et c’est normal : cet écrivain de science-fiction est une invention de Christopher Miller, qui lui consacre une vraie-fausse encyclopédie. Génial. Par Bernard Quiriny

Pour sa comédie Jean-Philippe, Laurent Tuel avait imaginé un monde dans lequel Johnny Hallyday n’existait pas, au grand dam de Fabrice (Luchini), son principal admirateur… Le même principe est à l’œuvre dans L’Univers de carton : dans ce roman de Christopher Miller, Philip K. Dick n’existe pas ; ou plutôt, il est une invention d’un auteur imaginaire, Phoebus K. Dank, obèse polygraphe et excentrique né à Hemlock, Californie, auteur d’innombrables romans prisés des amateurs de science-fiction, quoique regardés par la plupart des critiques comme des bizarreries de seconde zone. Heureusement, Dank a un fan : Bill Boswell, prof de lettres, qui décide de lui consacrer une encyclo­pédie. Hélas, en vertu des dernières volontés de Dank, Boswell doit collaborer sur ce projet avec Owen Hirt, poète cinglé qui a eu avec l’auteur une relation d’amour/haine et qui s’échine dans ses notices à le présenter comme un raté… Le résultat, un pavé de six cents pages bourré de niveaux de lectures, d’escaliers, de gags et de mises en abyme : au premier degré, L’Univers de carton se dévore comme une bio de Phoebus K. Dank, avec

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son enfance torturée, ses phobies, ses inventions farfelues ; au deuxième degré, c’est une bibliographie imaginaire, avec des dizaines de sujets de récits, tous excellents (du moins quand ils sont dépourvus d’extra­terrestres), ce qui en fait un véritable réservoir de littérature fantastique potentielle ; au troisième degré, c’est un thriller psychologique, puisque le livre est supposément écrit à quatre mains par Boswell et Hirt, chacun commentant l’autre en corrigeant les contrevérités ; quant au quatrième degré, la foultitude de récits de Dank sur le thème des doubles et de la dissociation mentale vous mettra la puce à l’oreille… Très drôle, terriblement astucieuse, cette ode à la littérature de genre est en même temps un bijou de métafiction avant-gardiste et un bel hommage au grand Dick. Signalons que c’est aussi la centième traduction de Claro, qui, pour fêter ça, s’offre une fournée de notes de son cru, rajoutant une couche au feu d’artifice. Champagne. L’Univers de carton de Christopher Miller Traduit de l’anglais (américain) par Claro (Le Cherche midi) Disponible

avril 2014


sélection Par B. Q.

L’ironie du sort

de Didier da Silva (L’Arbre vengeur)

En 1924, deux jeunes Américains en tuent gratuitement un troisième. Dix-huit ans plus tard, Hitchcock s’inspire de ce meurtre dans La Corde, avec John Dall. Lequel, l’année suivante, joue dans le premier film de Nicholas Ray. Qui lui-même, etc. Didier da Silva sautille à travers l’histoire et l’espace dans ce récit maraboutde-ficelle virtuose et déroutant qui rappelle un peu Europeana de Patrik Ouředník. Un bel exercice de style, habité par l’obsession des coïncidences et par le sentiment de la fuite du temps.

Chansons d’amour et de pluie

de Sergi Pàmies

(Jacqueline Chambon)

Sergi Pàmies excelle dans la microfiction, des nouvelles très courtes au ton décontracté et mélancolique. Il continue ici dans ce registre en mêlant inventions pures et broderies imaginaires à partir de ses souvenirs personnels, notamment l’histoire de ses parents, opposants dans l’Espagne franquiste. Avec toujours cette élégance pudique qui lui fait tout voiler derrière des personnages distanciés, « pour que personne ne dise que les écrivains parlent toujours d’eux-mêmes ».

Ingrédients pour une vie de passions formidables

Pierre Herbart, l’orgueil du dépouillement

(Métailié)

(Grasset)

de Luis Sepúlveda

À côté du Sepúlveda romancier, voici le chroniqueur, à travers une série de textes brefs qui mélangent souvenirs personnels, anecdotes et réflexions. Se dessine ainsi l’autoportrait d’un défenseur des ouvriers et des sans-grade, scandalisé par la falsification des mots utilisés par le pouvoir. Dans un registre plus humoristique, on retiendra aussi le récit d’un périple en avion kafkaïen sur Iberia, qui devrait vous vacciner à vie contre l’envie de voyager sur un vol de ladite compagnie.

de Jean-Luc Moreau On a un peu oublié Pierre Herbart (1903-1974), romancier, résistant, personnage de l’entre-deux-guerres, auteur de textes décapants contre le colonialisme, un temps communiste puis dessalé, comme jadis André Gide, par la bêtise monstrueuse qu’il voit à l’œuvre en U.R.S.S. Jean-Luc Moreau, déjà auteur d’une bio de Beauvoir, le remet en lumière dans ce gros livre méticuleux et informé, véritable traversée du siècle, en insistant sur ses talents de styliste.


cultures LIVRES / BD

bande dessinée

Passions Par Stéphane Beaujean

sélection par s. b.

La Malédiction de Rascar Capac

de Hergé et Philippe Gaudin (Casterman)

Les romanciers Georges et Louis partagent le même atelier. Louis se trouve régulièrement frappé d’une idée de génie, qu’il égrène en une infinité de variations. Qui n’ose pas le contredire ? Georges, bien évidem­ment. Ainsi va la vie et la dynamique qui anime le couple de héros de Goossens. À chaque album, un thème à explorer. Et après un génial opus sur la religion, Louis s’attaque au grand mystère de la passion. Quoi de mieux, en effet, que l’amour comme moteur d’inspiration ? Entre un remake déviant des Bidochon façon Autant en emporte le vent, une romance exotique hollywoodienne dans la savane, quelques promenades dans les ruelles de Paris à la recherche de relations tarifées, les idées ne manquent pas pour se réapproprier des images d’Épinal de l’amour et les tourner en ridicule. Pourtant, la passion se plie beaucoup moins facilement que le fait religieux à l’absurde de Goossens. Pas grave, même en petite forme, comme ici, il reste le plus grand humoriste de la bande dessinée, avec sa plume faussement flegmatique qui oscille entre absurde et lyrisme. Les dernières pages de Passions, vraiment très drôles, déconstruisent le langage de l’homme sexuellement excité par le corps de la femme avec un humour d’une élégance rare. Sans oublier ces pages, au dialogue tellement naturel qu’elles en deviennent hilarantes, dans lesquelles Louis quémande à sa vieille maman bienveillante quelques billets pour couvrir de bijoux la prostituée dont il est amoureux. Passions ne restera certes pas comme le meilleur livre de Goossens, mais il postule à coup sûr au titre de la bande dessinée la plus drôle de l’année. Passions de Goossens (Fluide Glacial) Disponible

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avril 2014

Fran

de Jim Woodring (L’Association)

Mêmes les non-tintinophiles avertis seront hypnotisés par la qualité des documents rassemblés en regard des demi-planches des Sept Boules de cristal, l’un des meilleurs albums de Hergé. Présenté ici sous le format de publication originel dans le magazine Tintin, le récit s’offre à une plaisante relecture, mais permet surtout de comprendre un peu mieux comment s’articulait la création dans la tête de Hergé.

Jim Woodring continue l’exploration de son imaginaire psychédélique avec Fran. En apparence, les personnages amusent autant que les Looney Tunes de Warner ou que les Silly Symphonies de Disney. Sauf qu’ici, le vernis doux et sucré des rondeurs menace à tout moment de se craqueler pour laisser percer quelque chose de bien plus sombre et plus menaçant, un univers luxuriant dans lequel se plonger pour embrasser le malaise.

Captain America : Le rêve est mort

Bonten Taro sex & fury

Parmi tous les récits de Captain America disponibles, il convient de lire en priorité ceux qui sont scénarisés par Ed Brubaker. Notamment les intrigues du Soldat de l’hiver, reprises dans le film, et plus encore celles-ci, qui succèdent à la mort du Captain, symbole d’une nation dénaturée par la mise en place du Patriot Act. Une figure unique dans le monde des super-héros, qui revendique plus que jamais être le miroir métaphorique de l’idéal américain.

Les amateurs de tatouages ne manqueront pas cette anthologie des bandes dessinées de Bonten Tarō, tatoueur japonais qui s’est également adonné à quelques récits de genre, bourrés de clichés mais tellement séduisants. Femmes fatales et yakusas arpentent les nuits colorées de Tokyo, sous le regard médusé de leurs ennemis. Cette anthologie jouit d’un travail d’archives et de documents si rare qu’elle en devient indispensable.

d’Ed Brubaker (Panini Comics)

de Bonten Tar (Le Lézard noir)


cultures SÉRIES

Policier

The Fall

Ce polar en terre nord-irlandaise fait le procès des violences faites aux femmes via le portrait croisé d’un tueur en série et du flic lancé à ses trousses. Un réquisitoire glaçant. Par Guillaue Regourd

le caméo

Il est terrifiant, le tueur en série de The Fall. Des pervers qui s’introduisent chez d’innocentes jeunes femmes pour abuser d’elles, on en a vu d’autres. Mais aussi séduisants que Jamie Dornan, la future gueule d’amour du film Cinquante nuances de Grey, c’est assez rare. Rien de fortuit à ce que cette série britannique se soit choisie un croque-mitaine en apparence fréquentable (bonne situation, marié, deux enfants), un homme à même de les représenter tous dans la Belfast brutale, corrompue et misogyne qui sert ici de décor. Comme dans Top of the Lake l’an dernier, une femme se révoltera. Stella Gibson est une inspectrice surdiplômée qui arrive de Londres pour épauler ses homologues nord-irlandais. Gillian Anderson, qui depuis X-Files

s’est construit une jolie seconde carrière au Royaume-Uni, lui prête sa vénéneuse beauté. « Tu ne comprends pas l’effet que tu fais aux hommes », lui lance, pantelant, un collègue. Si, mais ce qu’elle n’accepte pas, c’est qu’on s’en serve pour la discréditer professionnellement ; et pire encore, pour justifier les sévices infligés à des femmes comme elle. Son enquête et l’itinéraire sanglant du tueur sont présentés en parallèle. Fascinant jeu du chat et de la souris qui ne se prive pas, par le montage, de montrer une Gibson aussi méthodique et déterminée que le personnage de Dornan. Car le plus grand préda­teur dans cette histoire n’est peutêtre pas celui que l’on croit. Saison 1 sur 13ème Rue

Siberia Un jeu télé type Koh-Lanta dérape : une série de phénomènes étranges se produit, et, bientôt, l’enjeu devient la survie. Variation assez futée autour de Lost, intégrant de manière encore plus assumée sa filiation avec la télé-réalité et ses confessions face caméra de candidats, cette petite production se révèle étonnamment divertissante.

Saison 1 sur MCM, à partir du 7 avril

Il flotte comme un parfum de reformation de l’équipe d’Inception sur le plateau de Peaky Blinders. La série de gangsters emmenée par Cillian Murphy accueillera en saison 2 un autre fidèle des films de Christopher Nolan, Tom Hardy. On ignore quel rôle tiendra le nouveau venu dans ce Boardwalk Empire british à la mise en scène stylée. Allié, ou adversaire de Murphy, qui y incarne un mafieux intraitable et opiomane dans le Birmingham de 1919 ? Quelle que soit la réponse, on a hâte de voir les deux comédiens se partager la vedette. Une fois de plus. G. R.

Par G. R.

d.r.

d.r.

sélection

© mark cuthbert / uk press via getty images

© fall productions ltd mmxii

Tom Hardy dans Peaky Blinders

The Red Road Un gosse de riche a disparu aux abords d’une réserve indienne du New Jersey. Le flic chargé de l’enquête se heurte à l’hostilité des locaux. Notamment celle d’un type louche joué par le costaud Jason Momoa (Game of Thrones, Conan). Le pilote de cette série, réalisé par James Gray, donne assez peu de clés sur la suite des festivités.

Saison 1 sur Sundance TV, à partir du 24 avril

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Séries Mania Le festival parisien consacré aux séries fête ses 5 ans. Une quarantaine de fictions seront présentées lors de projections publiques gratuites. Au-delà des contingents américain, britannique et français, il faudra surveiller les productions venues d’Australie, de Scandinavie et d’Israël, rarement décevantes. Du 22 au 30 avril au Forum des images


cultures SPECTACLES

© marc domage

agenda Par È. B.

Danse

Du 2 au 9 avril

Christian Rizzo

Festival Hors-Série Loin de l’orthodoxie du théâtre et de la danse, Hors-Série programme quelques jeunes artistes internationaux aux desseins aussi insolites qu’amusants. À l’instar de Pieter et Jakob Ampe, deux frères qui se servent du plateau pour tenter une réconciliation après leurs conflits passés. Et triper sur la notion de gémellité.

Par Ève Beauvallet

au Théâtre de la Bastille

jusqu’au 12 avril

D’après une histoire vraie, du 9 au 11 avril au Théâtre de la Ville

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au Théâtre de la Ville

Du 29 avril au 31 mai

Peter Brook Référence incontournable pour des générations d’artistes, auteur d’un théâtre brut tissé d’influences pluriculturelles, le metteur en scène Peter Brook, 89 ans aujourd’hui, crée The Valley of Astonishment, une mise en scène inspirée du poème persan de Farid al-Din Attar La Conférence des oiseaux. au Théâtre des Bouffes du Nord

avril 2014

Nicolas Maury & Lætitia Dosch Les jeunes acteurs Nicolas Maury et Lætitia Dosch, qu’on a respectivement pu admirer au cinéma dans Les Rencontres d’après minuit de Yann Gonzalez et La Bataille de Solférino de Justine Triet, sont aussi des performers à suivre, si l’on en croit la Ménagerie de verre, repère de la scène expérimentale. à la Ménagerie de verre

Du 28 avril au 2 mai

Faustin Linyekula « Je ne sais pas comment avancer, parce que je ne veux plus raconter des misères », confie Faustin Linyekula. Il semble pourtant que ce chorégraphe renommé

© thierry depagne

Jusqu’au 6 juin

© m.griffon

Le chorégraphe s’y attendait-il ? Connu pour sa danse minimaliste, ses plateaux contemplatifs et ses concepts plastiques (un ballet de vêtements sur cintres, par exemple), il avait jusqu’alors reçu un bon accueil critique, mais peinait encore à enthousiasmer un large public. Et voici que lors du dernier Festival d’Avignon, sa chorégraphie D’après une histoire vraie déclenche l’amour inconditionnel et quasi unanime des spectateurs. Certains s’extasient sur l’énergie « archaïco-rock » et « folklorico-­ minimaliste » de la pièce… D’autres cherchent à féliciter, à leur sortie, quelques-uns des huit danseurs (une troupe exclusivement masculine) qui, fédérés par leurs cheveux bruns méditerranéens et leurs barbes de bûcherons, semblent constituer une même famille… Cet engouement soudain n’a rien d’inexplicable. En optant pour davantage de dépense physique et d’écriture de groupe, l’univers fantomatique (souvent très beau) de Rizzo a indéniablement gagné en chaleur. Ensuite, D’après une histoire vraie, composée de réminiscences folkloriques et de rythmes rock (mélanges subtils de headbanging, le hochement de tête des concerts de metal, et de danses traditionnelles), tombe pile dans l’air du temps : elle porte cet esprit de tribalisme (cher au sociologue Michel Maffesoli) que l’on retrouve à différents niveaux de la société. Mais c’est aussi le discours sur le sacré et sur la communauté proposé en sourdine qui explique sans doute un tel attachement à la pièce : en soignant la façon dont ces hommes se lient, se délient et s’allient, en les montrant unis dans une transe douce, en convoquant l’image d’un groupe masculin puissant mais spirituel, bienveillant, non belliqueux, le chorégraphe semble proposer le fantasme consolatoire d’une communauté apaisée.

ait trouvé dans sa nouvelle création, Drums and Digging, des moyens renouvelés pour raconter l’histoire du Congo, où il a choisi d’implanter ses studios.

Luc Bondy On parlait de sa mise en scène de Tartuffe, présentée à Vienne en version allemande en 2013, comme d’une rencontre improbable entre Balzac et Lubitsch. Pas de raisons pour que sa recréation à Paris, avec casting trois étoiles (ses acteurs fétiches Clotilde Hesme et Micha Lescot sont à l’affiche) soit moins alléchante.

aux Ateliers Berthier – Théâtre de l’Odéon


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cultures ARTS

vidéo

Bill Viola Après avoir été célébré au MoMA, à la National Gallery et au Guggenheim, le pionnier de l’art vidéo, Bill Viola, investit le Grand Palais de ses traumatismes heureux. Une lumineuse rétrospective, pourtant plongée dans le noir.

photo : kira perov

Par Léa Chauvel-Lévy

Bill Viola, Going Forth By Day (détail), 2002, « First Light » (panneau 5)

C’est un trauma heureux qui aurait structuré en grande partie son œuvre vidéo, commencée à la fin des années 1970. À 6 ans, Bill Viola a en effet échappé à la noyade. Sauvé in extremis, il en garde un souvenir d’une plénitude inégalée – bleu profond de l’eau percée par un puits de lumière. Cette impression d’immersion ne quittera pas le visiteur, plongé comme en apnée, au long des vingt vidéos présentées, dans un bain d’images à la portée éminemment symbolique. Ce n’est pas se livrer à une interprétation sauvage que de mettre en lien ce jour où l’artiste a frôlé la mort avec ses films imbibés d’eau et nimbés d’une lumière quasi sacrée. De The Reflecting Pool (1979), plongeon dans une piscine, jusqu’à The Dreamers (2013), corps immergés et en extase, ses vidéos suivent un fil conducteur personnel et autobiographique. La rétrospective a lieu dans le noir, comme pour mieux nous immerger dans cette antichambre des obsessions intimes de Bill Viola. Celles du passage de la vie à la mort, notamment, qu’il pense tranquillement, en homme zen profondément marqué par la philosophie orientale.

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Avec sa femme, Kira Perov, qui a contribué à la scénographie de l’exposition au Grand Palais, ils sont allés en Inde et au Japon et ont croisé la route du dalaï-lama. De cette passion pour la méditation profonde, les vidéos de Viola gardent une unité de temps long, comme pour mettre sur pause le flux constant de nos vies ahuries : Fire Birth montre une naissance, The Path se penche sur notre passage sur Terre, The Deluge s’intéresse à la mort, et First Light filme une renaissance. Le cycle de la vie, chez cet Américain maître du slow art, n’a rien de violent. Ses images respirent la confiance, et leur montage veille à libérer un souffle de vie comme dans Four Hands (2001), polyptique assez peu montré dans lequel quatre paires de mains de différentes générations cohabitent avec douceur et émotion. Volontairement non chronologique, le parcours retrace la carrière d’un artiste dont les chimères semblent apaisées, du liquide amniotique jusqu’au Styx. au Grand Palais, jusqu’au 21 juillet

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agenda PAR ANNE-LOU VICENTE

du 11 avril au 22 juin

et de la domination blanche, elle incarne aujourd’hui le renouveau multiethnique de la société sud-africaine.

© estefania peñafiel loaiza courtesy galerie alain gutharc

au Bal

jusqu’au 11 mai

Estefania Peñafiel Loaiza, sismographies 2. entrenerfs (détail), 2013 ESTEFANIA PEÑAFIEL LOAIZA Développant une œuvre sensible oscillant entre le visible et l’invisible, l’artiste équatorienne conçoit une installation spécifique qui évoque le passé de la Manufacture des œillets, ancienne usine qui abrite aujourd’hui le Crédac, jadis habitée par le rythme et les bruits du travail mécanique, le cycle du temps et de la lumière. au Crédac (Ivry-sur-Seine)

© magnum photos

jusqu’au 20 avril

ASTRALIS Pascal Pique réunit les œuvres de douze artistes (Vidya Gastaldon, Basserode, Damien Deroubaix, Art Orienté Objet, etc.) sur le thème de l’Astral : une invitation au voyage vers l’ailleurs, ponctué de mystérieuses et troublantes visions, aux confins de la conscience et de la perception. à l’espace culturel Louis Vuitton

jusqu’au 11 mai

FLORIAN PUGNAIRE ET DAVID RAFFINI Invité à produire une œuvre spécifique pour le patio, le duo, dont les vidéos et installations témoignent d’un goût prononcé pour la mise en tension des matériaux, propose « Le Coefficient de Poisson », renvoyant à une contraction de la matière perpendiculairement à la direction de l’effort appliqué. à La Maison rouge

jusqu’au 13 juillet

Michael Subotzky & Patrick Waterhouse, Ponte City, 2008-2013 MIKHAEL SUBOTZKY ET PATRICK WATERHOUSE Fruit d’une enquête menée pendant cinq ans, l’exposition montre un ensemble d’éléments documentant quatre décennies d’histoire de la tour Ponte City. Symbole de la prospérité de Johannesburg au temps de l’apartheid

ESTHER FERRER Rassemblant installations, vidéos et photographies, l’exposition « Face B. Image / Autoportrait » retrace la pratique de l’autoportrait depuis les années 1970 par Esther Ferrer. Pionnière de l’art action et de la performance, l’artiste met son propre corps en scène et à l’épreuve avec une radicalité qui n’exclut pas la dérision. au Mac/Val (Vitry-sur-Seine)


cultures ARTS

EXPOSITION

Indiens des Plaines Depuis son ouverture en 2006, le musée du quai Branly se place comme un précieux explorateur des arts dits « premiers ». Fidèle à sa mission, il se propose, jusqu’au 20 juillet, de nous faire découvrir l’histoire et les cultures des Indiens des Grandes Plaines d’Amérique du Nord.

© service nelson-atkins museum of art/joshua ferdinand — collection sandra spang

PAR TIMÉ ZOPPÉ

Chemise de guerre cheyenne, 1960

Les Indiens des Plaines sont peut-être à la fois les plus connus et les plus méconnus des Amérindiens. Omniprésent dans les premiers westerns, le « PeauRouge » est un personnage dont nous avons une image monolithique. Mais au-delà de cette représentation souvent clivée et elliptique se cachent plusieurs tribus aux cultures, à l’histoire et aux rites bien différents. C’est cette diversité que se propose d’explorer l’exposition « Indiens des Plaines » en mettant en scène les œuvres et objets produits par les Cheyennes, les Sioux, les Pieds-Noirs, les Comanches et les Pawnees. Couvrant la période charnière qui court du xvie au xxe siècle, mais aussi la période contemporaine, le travail du commissaire Gaylord Torrence documente les traditions ainsi que les changements provoqués par le processus de colonisation opéré dans la région des Grandes Plaines à partir de 1540. S’ajoute à l’exposition un cycle de films pensé par le critique et historien du cinéma Michel Ciment, qui analyse les évolutions dans la représentation de ces Indiens à l’écran. Depuis les balbutiements du

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cinéma avec D. W. Griffith jusqu’au récent Jimmy P. d’Arnaud Desplechin, en passant par les classiques (La Captive aux yeux clairs de Howard Hawks, La Prisonnière du désert de John Ford…) et les westerns crépusculaires des années 1970 (Little Big Man d’Arthur Penn…), les codes et les stéréotypes dont on a affublé les indigènes sont passés au crible. Une rétrospective qui permet aussi d’étudier la manière dont une communauté s’est peu à peu réapproprié un champ cinématographique qui, dans la plupart des cas jusqu’ici, la représentait sans jamais qu’elle n’ait eu son mot à dire. La décennie 1980 a en effet vu se développer des projets cinématographiques étudiant les représentations des Indiens au cours du temps (le documentaire Images of Indians de Phil Lucas) et a enfin fait émerger des réalisateurs Amérindiens (The Great Spirit Within the Hole de Chris Spotted Eagle). Une riche rétrospective en accès libre. du 8 avril au 20 juillet au musée du quai Branly (cycle de cinéma du 12 au 27 avril)

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cultures JEUX VIDÉO

TIR EN VUE SUBJECTIVE

Titanfall Les cadors du FPS ont de quoi trembler. Sommet de démesure, Titanfall prétend réécrire les règles du genre. Porté par une efficacité infaillible, il se peut très bien qu’il y parvienne. Par Yann François

Sur le marché toujours plus coté du blockbuster multi­joueur, l’innovation a été peu à peu muselée par l’exigence de rentabilité astronomique. Nouveau challenger dans l’arène, Titanfall a de quoi faire enfin bouger les lignes, à commencer par un pedigree d’exception. Bébé des créateurs de Call of Duty, lesquels se sont fait déposséder de leur poule aux œufs d’or par leur éditeur il y a quelques années, Titanfall sonne comme une vengeance bien méritée. Le pitch est pourtant des plus classiques : une guerre futuriste qui voit deux factions s’opposer à coups de soldats d’élite et de robots géants (les Titans) dans d’immenses arènes labyrinthiques. Titanfall a beau livrer bataille sur des terrains vidéoludiques rebattus – FPS, simulation de mecha, « parkour » (équipés d’un réacteur dorsal, les soldats peuvent cabrioler et ricocher sur les murs à l’envie) – il se distingue par sa façon de jongler avec ces concepts pour en tirer une quintessence inattendue, créant au passage un nouveau

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genre de jeu protéiforme capable d’étonner les vétérans comme de séduire les curieux. Sa prise en main est si instinctive qu’il ne faut que quelques instants d’adaptation aux néophytes et aux joueurs confirmés pour se jeter à corps perdu dans cet immense barnum pyrotechnique. De cette efficacité jouissive naît un spectacle ahurissant qui ne laissera personne indifférent. Combo parfait entre accessibilité et profondeur tactique, Titanfall est sûrement le modèle qui donne le plus de sens au terme « next-gen » : une nouvelle génération de jeu en ligne qui cherche moins à épater par son niveau de performance graphique qu’à se faire la synthèse de plusieurs divertissements populaires. S’il ne fait jamais dans la dentelle et s’il sent fort la tôle de robot carbonisé, l’exercice montre une telle sophistication qu’il renvoie toute concurrence à l’âge de pierre. Titanfall (EA/X360, Xbox One, PC)

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sélection par Y. F.

South Park : Le Bâton de la Vérité (Ubisoft/PS3, X360, PC)

Une adaptation réussie de South Park relevait déjà de la gageure. Mais y parvenir en couplant son univers à celui d’un jeu de rôle, cela tient carrément de l’exploit. Les fans retrouveront même dans cette association la hargne subversive de la série. Ce jeu prend surtout un malin plaisir à donner un bon coup de latte dans les codes sacrés du RPG, sans pour autant se vautrer dans la parodie de bas étage. Un doublé gagnant qui risque de faire date.

NaissanceE

(Limasse Five/PC)

NaissanceE ne réclame de vous qu’une seule chose : trouver votre chemin dans l’obscurité. Dans la peau d’une jeune femme cherchant à s’échapper d’un complexe futuriste et méandreux, le joueur traverse, à tâtons, des décors immenses et ésotériques balayés de lumières intermittentes. Entre rêve éveillé et course d’orientation, NaissanceE est une expérience de perception déroutante au cours de laquelle la pénombre et l’aveuglement deviennent les révélateurs de nos sens.

Dark Souls II

(Namco Bandai/ PS3, X360, PC)

Le jeu le plus méchant au monde revient hanter nos âmes. Plus impitoyable que jamais, Dark Souls II est d’une incroyable âpreté. Chaque combat est une épreuve de longue haleine qui réclame de maintes fois chuter pour mieux se relever. Vous qui entrez ici, laissez toute espérance à la porte ; Dark Souls II n’est pas là pour vous ménager. L’expérience a beau être cruelle, elle incarne aujourd’hui la classe suprême du jeu de rôle japonais.

Out There

(Mi-Clos Studio/Android, iOS)

Aux commandes de son vaisseau perdu dans l’espace, le joueur doit atteindre l’autre extrémité de la galaxie en gérant ses ressources et ses arrêts sur les planètes qu’il croise. Il suffit de peu à cette variante spatiale du « livre dont vous êtes le héros » pour rendre son aventure captivante. Une ébauche de carte stellaire, une vue en coupe de son vaisseau, une infinité de choix et de variables, et le voyage devient chronophage. Grâce à Out There, le cosmos n’a jamais semblé aussi foisonnant de possibles.


cultures FOOD

Palace aux jeunes grandes maisons

La bistronomie a investi Paris. Vingt ans que ça dure, le pli est pris. Mais une révolution plus feutrée se joue aujourd’hui, dans des maisons dont on n’ose plus pousser la porte. Dans les palaces, de jeunes chefs « déringardisent » le luxe à la française. Alors, osez. Par Stéphane Méjanès

d.r.

d.r.

DANS L’OMBRE

Le marbre, elle assume. La cuisine ouverte, aussi. Stéphanie Le Quellec, 30 ans, se met en Scène. L’étoile, fraîchement décrochée, c’est son Molière à elle. Chef exécutif du restaurant gastronomique de l’hôtel Prince de Galles, la gagnante de la saison 2 de l’émission de télé-réalité culinaire Top Chef a eu un an pour tout penser avant l’ouverture effective, en mai 2013. Aucun détail ne lui a échappé, de la décoration aux arts de la table, en passant par le mobilier. Mais c’est pour partager sa cuisine qu’elle est venue, au-delà des clichés de la télé et des pesanteurs des grandes maisons. Cette mère de deux garçons, au mari cuisinier, n’a qu’un moteur : le travail bien fait. Elle résume cela en une

formule : « J’aime aller à l’essentiel, je veux que ma cuisine soit lisible. » Au déjeuner (65 €), avant que le printemps n’arrive, on pouvait se régaler de quenelles de volailles au velouté d’artichauts et de truffes, d’un agneau ibérique avec épinards et gratin de pommes de terre, et d’un chocolat au lait, banane et chantilly. Sur le papier, on est presque à la maison. La différence, ce sont les cuissons diaboliques, les condiments malicieux et le talent incroyable du chef pâtissier, Yann Couvreur, 30 ans lui aussi, qui font la différence. Cette cuisinière-là est conçue pour durer. La Scène 33, avenue George-V – Paris viiie Tél. : 01 53 23 77 77 www.princedegallesparis.com

ça, c’est Paris ! RAPHAEL Les étoiles l’ont oubliée, mais Amandine Chaignot, 34 ans, s’en soucie comme d’une guigne. Après des études de pharmacie, elle a viré sa cuti, a choisi cuisine, avec passion et mesure. Au Raphael, elle sert un impeccable menu déjeuner à base d’œufs, d’asperges et de comté, ou de pintade et de pommes de terre. C’est juste et pas si cher (63 € avec un verre de vin et un café). 17, avenue Kléber – Paris XVIe Tél. : 01 53 64 32 00 www.raphael-hotel.com

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Le Diane 46, avenue George-V Paris viiie Tél. : 09 70 80 91 11 www.lucienbarriere.com

Par S. M.

MEURICE À 36 ans, Christophe Saintagne n’en finit pas d’étonner. Passé du Plaza Athénée au Meurice, fidèle à son mentor, Alain Ducasse, il poursuit sa quête de l’essence de la cuisine, quand le produit se suffit à lui-même, noble ou pas. Il y a du caviar, mais aussi de la betterave ; du homard, mais aux topinambours. Trois étoiles, c’est la juste récompense. 228, rue de Rivoli – Paris Ier Tél. : 01 44 58 10 55 www.dorchestercollection.com

Christophe Schmitt Le chef des cuisines du Fouquet’s Barrière, c’est Jean-Yves Leuranguer. Mais ce vénérable meilleur ouvrier de France a vite compris que Christophe Schmitt, son poulain, en avait sous le sabot. À 30 ans, celui-ci a la confiance du patron. L’étoile du Diane, le restaurant gastronomique de l’hôtel, lui doit beaucoup. Sourire malicieux, œil pétillant, il envoie une langoustine simplement poêlée au poivre de Sichuan vert avec une purée légère et quelques granny-smith, ou un homard qui fricote avec une betterave. Les codes du luxe sont dynamités. S. M.

SAINT JAMES PARIS Cet hôtel particulier, construit à la fin du xixe siècle par la veuve du président Thiers, a longtemps été l’une des adresses les plus secrètes de Paris. Club privé, il est désormais ouvert aux non-membres qui peuvent venir goûter la cuisine de Virginie Basselot, 34 ans. Dressages aériens, assiettes sensibles, en parfaite adéquation avec un lieu unique, récemment étoilé. 43, avenue Bugeaud – Paris XVIe Tél. : 01 44 05 81 81 www.saint-james-paris.com


d.r.

cultures DESIGN

Tolix MOBILIER

PAR OSCAR DUBOŸ

Malgré quelques revers de fortune, l’éditeur de la célèbre chaise A a trouvé le moyen de prolonger son histoire 100 % française avec un nouveau modèle de siège promis au même brillant destin : la T14. Quatre-vingts ans que la société française Tolix travaille le métal à Autun, en Bour­gogne, refusant de céder aux sirènes de la délocalisation. C’est ici, déjà, qu’en 1933, Xavier Pauchard décida d’utiliser son savoir-faire d’artisan chaudronnier pour réaliser une collection de mobilier en métal, dont une chaise empilable qui allait connaître un succès fulgurant. Nom de code ? A, sobrement. Avant de devenir une icône du design exposée dans les musées, la chaise A trônait fièrement à bord du paquebot Normandie. Aujourd’hui, elle vous fait encore de l’œil, chez vos amis ou aux terrasses des cafés. Elle a pourtant bien failli ne plus être fabriquée, après que la société a mis la clé sous la porte, en 2004. C’était sans compter sur l’obstination de la directrice financière de Tolix, Chantal Andriot (trente ans de boîte au compteur), qui six mois plus tard, avec l’aide d’une poignée de salariés, a repris l’entreprise et s’est attelée à lui donner un second souffle. Et quel souffle ! Aujourd’hui, la chaise A est déclinée en cinquante-et-un coloris, avec accoudoirs ou en version tabouret. Et elle a désormais une petite cousine : la chaise T14, dessinée par Patrick Norguet. Dans l’usine Tolix flambant neuve, le designer a pu profiter du talent de quatre-vingts personnes capables de manier une tôle extrêmement fine mais néanmoins résistante pour créer assise et dossier en une seule pièce, sans soudure. Une prouesse rare. www.tolix.fr


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© typographie : metropolis 1920 josip kelava, composition : jérémie leroy


LES BONS PLANS DE TIME OUT PARIS Même si grandeur ne rime pas forcément avec froideur, il est certain que l’exiguïté de ces quelques microbars parisiens contribue à leur convivialité. La proximité engage des discussions impromptues, l’étroitesse donne une impression de cocooning… Sans compter que ces lieux sont souvent sans prise de tête, tenus par un personnel sympathique proposant des tarifs tout petits, eux aussi. Alors, que vous ayez envie de tranquillité, ou que vous ayez en tête de passer une soirée mouvementée, voyez les choses en petit : sortez dans un microbar. Parce qu’après tout, il n’y a pas que la taille qui compte.

CHEZ CAMILLE Ce bar haut perché sur la butte Montmartre est à deux pas d’une place pleine de charme bordée de vieux arbres. Ici, une équipe jeune, conviviale et toujours de bonne humeur vous proposera des consos à prix très raisonnables, à siroter sur l’une des rares tables ou en terrasse l’été.

LE ZELDA Cachée entre le canal Saint-Martin et Belleville, cette antre intimiste offre une ambiance qui reste zen grâce à de jolies lumières tamisées et à un fond musical bien choisi – et très varié. Mais c’est plus encore pour ses cocktails de qualité et originaux que l’on y reviendra.

8, rue Ravignan – Paris XVIIIe

PAR CAMILLE GRIFFOULIÈRES ET LORRAINE GRANGETTE

6, rue Bichat – Paris Xe

LE PETIT MONACO Ce bar n’a de monégasque que le nom, puisque c’est le moins cher du quartier (2,50 € le demi). À peine plus large qu’un couloir, il dispose d’une paire de tables, de tabourets devant un zinc à l’ancienne et d’une microterrasse qui se déploie sur le trottoir en été.

LE PIMENT CAFÉ On vient dans ce microbar en plein Marais pour commander des pichets de ti-punch (50 cl à 23 €) qui pourraient contenter un régiment, ou pour profiter de sa généreuse happy hour. Le Piment Café est un lieu sans prétention, et c’est pour ça qu’on l’aime.

UDO BAR Dans ce petit troquet du quartier animé d’Oberkampf flotte une sympathique atmosphère berlinoise. On y mange des Currywurst, on y boit des bières importées, du Jägermeister et des cocktails Moscow Mule sur fond de musique electro minimale.

LE ZÉRO ZÉRO L’être humain est hautement compressible : si vous en doutez, faites-en l’expérience au Zéro Zéro. La raison du succès de ce minibar réside dans la présence de DJs pointus, de cocktails aussi bons que peu chers et d’une déco typée underground.

LE LITTLE Le Little est situé à deux pas de la place de la République. Chaleureux, grâce à l’omniprésence du bois et à ses murs patinés, il propose des boissons à des tarifs abordables, sur un fond sonore discret à l’heure de l’apéro, qui vire clubbing plus tard dans la soirée.

LE PALOMA De ce bar de la rue Jean-Pierre Timbaud, on aime l’ambiance sympa, les lumières tamisées et le papier-peint des murs. Mi-branché mi-populaire, un peu vintage, avec de la bonne musique, plutôt rock et electro, le Paloma a trouvé la recette qui gagne.

LE VIEUX COMPTOIR DU CAP HORN Ce petit bar chilien du Marais tranche avec les devantures guindées des alentours. On y retrouve la chaleur de l’Amérique du Sud : convivialité des serveurs, musique latino et carte de cocktails exotiques mais bon marché.

LES IDIOTS Ce minuscule bar sur le boulevard Ménilmontant est difficile à trouver. Mais l’essayer, c’est l’adopter. Avec son joli cadre vintage, son équipe relax, ses consos et plats à petits prix et son ambiance conviviale, il attire une clientelle d’habitués tout sauf idiots.

28, rue de Picardie – Paris IIIe

4, avenue de la République Paris XIe

15, rue de Sévigné – Paris IVe

74, rue Jean-Pierre Timbaud Paris XIe

4, rue Neuve-Popincourt – Paris XIe

8, rue de Birague Paris IVe

89, rue Amelot – Paris XIe

115, boulevard de Ménilmontant Paris XIe

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LE FILM DU MOIS PAR TIME OUT PARIS

Nebraska

Réalisateur habile et discret, Alexander Payne revient avec Nebraska, une comédie mélancolique reprenant avec adresse les thèmes qui traversent son œuvre : l’âge adulte face au vieillissement, la fuite en avant et l’infinie beauté des folies douces. PAR ALEXANDRE PROUVÈZE

C’est un road movie en noir et blanc dont le héros est un vieillard irascible qui perd la boule. Et pourtant, il s’agit bien d’une comédie. Douce-amère, certes, mais parfois délicieusement drôle, avançant par petites touches d’ironie bien senties, parfois à la limite de l’humour noir, notamment lors d’une jolie série de blagues sur les dentiers. Dans son nouveau long métrage, Alexander Payne mêle ainsi assez finement les atmosphères de deux de ses précédents films, Sideways (2004) et Monsieur Schmidt (2002). Rappelant la prestation de Jack Nicholson dans ce dernier film, Bruce Dern (Prix d’interprétation masculine au dernier Festival de Cannes) incarne ici Woody Grant, un retraité acariâtre convaincu qu’il a gagné au loto. Suivant la lubie de son père contre l’avis du reste de sa famille, son fils David (Will

Forte), trentenaire loser qui semble tout droit sorti d’un film de Hal Hartley, va l’accompagner à travers le Midwest à la recherche de ce magot fictif. Entre le récent Philomena de Stephen Frears, le souvenir des Fraises sauvages de Bergman et The Color Wheel d’Alex Ross Perry, Nebraska parvient à tirer son épingle du jeu par sa tonalité touchante et juste, ne masquant rien de la lâcheté ou de la médiocrité de ses protagonistes ; ce qui, paradoxalement, ne les rend que plus émouvants. Laissez-vous donc embarquer dans cette virée familiale et absurde sur fond de guitare folk : elle vaut largement le détour. d’Alexander Payne (lire aussi p. 46) avec Will Forte, Bruce Dern... Distribution : Diaphana Durée : 2h Sortie le 2 avril

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L’EXPO DU MOIS PAR TIME OUT PARIS

top 5 du mois

Des hommes, des mondes

par time out paris

1. Resto Si vous aimez le bon vin, le beau fromage et les pâtes parfaitement cuisinées, Come a casa, minuscule cantine de quartier, est faite pour vous ! On salue le talent de la chef Flavia Frederici et de son partenaire Gianluca Tamorri, deux Italiens qui travaillent essentiellement avec des producteurs toscans. 2. Expo Paris, ses tsunamis de touristes, son Salon de l’agriculture et ses plages artificielles bricolées avec de la sueur et du bitume. Grand témoin de la vie ordinaire, Martin Parr dresse un portrait sans fard de la ville lumière, au fil d’une soixantaine de photos exposées à la M.E.P. « Martin Parr : Paris », jusqu’au 25 mai à la Maison européenne de la photographie

3. Concert Avec sa bouille de gringalet à lunettes (entre Buddy Holly et Roy Orbison), Nick Waterhouse impose son élégance toute naturelle et nous déroule une soul délicieusement vintage où s’entremêlent cuivres ronflants, claquements de doigts et jolis chœurs.

© rebecca fanuele, courtesy galerie suzanne tarasiève

Come a casa 7, rue Pache - Paris XIe

« Des. » Article indéfini. Aussi indéfini que les flux culturels qui traversent notre xxie siècle. « Des hommes, des mondes. » Des croyances qui s’entremêlent. Hybride, l’univers sur lequel se penchent les artistes réunis au Collège des Bernardins ressemble à un improbable cocktail de religions et de folklores, qui voit des mecs en jean se balader avec des masques africains (Romain Bernini) pendant que des poupées vaudou se parent de cristal, de bananes en plastique et de pédales de vélo (Pascale Marthine Tayou). Dans l’ancien monastère cistercien, chaque Romain Bernini, Bientôt un pouvoir, 2013 œuvre regarde dans la même direction – c’est-à-dire vers partout et nulle part à la fois. Du serpent de la Genèse au chant des immigrés, des dizaines de visions de notre ère mondialisée se dressent parmi les voûtes gothiques, traînant derrière elles les lourdes casseroles du colonialisme. Un voyage intelligent et éclaté au fil duquel les cultures s’empilent et s’assemblent ; comme une partie de Tetris qui tracerait son chemin au hasard, sans Dieu ni maître. au Collège des Bernardins, jusqu’au 15 juin, du lundi au samedi, de 10h à 18h, dimanche et jours fériés de 14h à 18h, http://www.timeout.fr/paris/arts-expositions

Nick Waterhouse, le 8 avril au Trabendo

4. Bar Un peu à l’écart du tumulte de Ménilmontant, les Trois 8 propose désormais de délicieuses bières artisanales et une sélection de vins bio sur fond de rock qui défouraille et de restauration à la bonne franquette...

spectacle

5. Shopping Des carnets cachetés de forme géométrique, des lettres de l’alphabet à combiner, des cartes postales inspirées par l’origami ou des note bags gigantesques pour porter le tout jusqu’à son bureau : graphiques et épurés, les produits Papier Tigre captent habilement l’air du temps. Papier Tigre – 5, rue des Filles-du-Calvaire – Paris IIIe

© marc domage

Les Trois 8 11, rue Victor-Letalle – Paris XXe

> D’après une histoire vraie En 2004, à Istanbul, le chorégraphe Christian Rizzo assiste à un spectacle : sur scène, un groupe d’hommes surgit et exécute une danse traditionnelle,

puissante et frénétique, avant de disparaître aussi vite qu’il était apparu. Une tornade qui restera dans sa mémoire jusqu’aux prémices de ce spectacle, en 2013. D’après une histoire vraie est né du souvenir de cette performance effrénée, du tourbillon et du vide laissé après lui. Sur scène, Rizzo convie huit danseurs, un groupe à la fois solide et modulable, pour une chorégraphie qui mêle folklore et modernité, répétitions et contrepoints. Les corps s’essaiment puis se retrouvent, battent du pied, se tiennent, s’épaulent, se regardent, se jaugent, se libèrent et s’apprivoisent. Derrière cet essaim bleu-gris, deux batteries cadencent le pas à un rythme furieux. Et c’est proche d’un état de transe que le spectateur se trouve happé par l’intensité du groupe. au Théâtre de la Ville, du 9 au 11 avril http://www.timeout.fr/paris/theatre-spectacle

retrouvez toutes ces adresses sur www.timeout.fr 102

avril 2014


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pré se nte

comédie musicale

© thomas amouroux

> into the woods

© emily dennison

Créée en 1987 à Broadway, Into the Woods est une comédie musicale composée par le maître Stephen Sondheim (notamment parolier de West Side Story et compositeur de Sweeney Todd, le Diabolique Barbier de Fleet Street). Mis en scène par Lee Blakeley, ce conte sylvestre provoque la rencontre de héros célèbres : le Petit Chaperon rouge, Cendrillon, Raiponce… Tous se croisent au détour d’un bois. Pas sûr que le dénouement soit aussi léger et heureux que dans les dessins animés de notre enfance… T. Z. au Théâtre du Châtelet du 1 er au 12 avril

FOLK

Liz Green PAR TIMÉ ZOPPÉ

est cette note ? Et existe-t-elle seulement en anglais ?” » Mais Liz Green est surtout une conteuse, et, malgré ce rejet temporaire des mots, c’est bien le verbe qui a inspiré Haul Away! « Durant ma très courte expérience à la fac, j’ai découvert un livre de Margaret Atwood, L’Odyssée de Pénélope, qui raconte l’Odyssée de Homère du point de vue de la femme d’Ulysse. C’est l’une de mes inspirations. J’ai imaginé toutes les chansons de l’album comme de petites îles au milieu de la mer Noire. » Tombée tardivement dans la musique, elle ignorait les similitudes de sa voix avec celle de Karen Dalton, légende de la scène folk des années 1960. Liz Green a composé Haul Away! au piano, parce qu’il lui semblait qu’elle avait exploré toutes les possibilités de la guitare. « Je dois apprendre un nouvel instrument pour le prochain album… Le tuba ? » Haul Away! de Liz Green ([PIAS]) Sortie le 14 avril

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avril 2014

© sabine burger

Deux ans après O, Devotion!, Liz Green sort son deuxième album, Haul Away! Outre l’engouement certain de l’Anglaise pour les points d’exclamation, l’album confirme un ancrage dans une tradition folk à l’ancienne, loin de certaines musiques actuelles beaucoup plus produites. La chanteuse explique : « C’est surtout dû au fait que l’on enregistre sur un huit pistes, parce que c’est tout ce qu’on a. C’est très old school, et ça oblige vraiment à alléger les morceaux. Je trouve que ça leur donne une dimension plus personnelle. » Cela n’empêche pas la richesse de son style, nourri d’influences diverses comme la musique klezmer qui semblent surgir au détour de chaque chanson. « J’ai beaucoup écouté de musique instrumentale entre les deux disques. J’en ai eu marre des mots. Outre le klezmer, un ami m’a fait découvrir le groupe Le Mystère des voix bulgares, que j’ai trouvé fantastique. Je me disais : “Mais quelle

pop rock > anna aaron

Ne pas se fier à son petit minois tranquille : la musique de la Suissesse Anna Aaron n’est pas apaisée. Son deuxième album, Neuro, oscille entre une pop profonde et un rock noir et fiévreux, sa plus grande influence étant très certainement PJ Harvey (Sutekina, Neurohunger) avec qui elle partage une énergie délicate qu’elle sait rendre incendiaire. Pour ce disque, la Bâloise revendique l’inspiration d’un livre culte, Neuromancien, de William Gibson. Le mélange des classiques donne un bon cru. T. Z. Neuro d’Anna Aaron (Discograph) Disponible


© nara, washington

Vue générale du Pentagone

Exposition

Architecture en uniforme Par Oscar Duboÿ

La Cité de l’architecture & du patrimoine revient sur la Seconde Guerre mondiale pour lever le voile sur des acteurs insoupçonnés du conflit : les architectes. Quand on évoque l’architecture moderne et ses grands maîtres, on passe en général très vite sur les périodes de guerre. Une lacune aujourd’hui comblée par l’exposition « Architecture en uniforme : projeter et construire pour la Seconde Guerre mondiale ». Comme tous les corps de métier, les architectes furent mis à contribution lors du conflit, pour le pire, mais aussi pour le meilleur. Stratèges lorsqu’il s’est agi d’établir un plan de défense, inventeurs quand il est question de penser des systèmes de préfabrication à même d’héberger un soldat dans ses déplacements, les Auguste Perret, Albert Kahn ou Richard Buckminster Fuller ont joué un rôle indéniable dans la bataille. Sans parler de la production industrielle grandissante, qui a nécessité la conception de nouvelles cités ouvrières – on en voit ici l’exemple américain avec Richard Neutra. D’autres, comme Ludwig Mies van der Rohe, tenteront d’entrevoir un futur sous les décombres, avant même que le conflit ne s’achève. Le temps de la reconstruction, qui est aussi celui de la commémoration, parsème de monuments les paysages. Et déjà se pose la question du recyclage. Comment considérer les conséquences de la guerre, comment assumer cet héritage ? Les architectes se sont aussi chargés de cela, ce qui confirme leur rôle important mais méconnu, enfin mis en lumière avec cette exposition. du 24 avril au 8 septembre à la Cité de l’architecture & du patrimoine


LES SALLES BASTILLE

BEAUBOURG

BIBLIOTHÈQUE

GAMBETTA

GRAND PALAIS

HAUTEFEUILLE

NATION

ODÉON

PARNASSE

QUAI DE LOIRE QUAI DE SEINE

agenda MK2 HAUTEFEUILLE

Du 5 au 19 avril Cycle Alexander Payne

Samedis et dimanches matin MK2 HAUTEFEUILLE

© shellac ; denis dugas d.r. ; rda / bca

Les 7 et 28 avril et le 5 mai à 18h Conférences philosophiques de Charles Pépin

Ci-contre : Conversation animée avec Noam Chomsky de Michel Gondry. Ci-dessus, de haut en bas : la série d’animation Gribouille et le film Un homme d’exception de Ron Howard

Sujets : « De quoi avons-nous peur ? » ; « La vie n’est-elle que croissance ? » ; « Qu’est-ce qu’aimer ? » MK2 beaubourg

Le 10 avril à 20h30 Carte blanche à Kazak Productions MK2 HAUTEFEUILLE

TROIS COULEURS PRÉSENTE

Cinéma-club PAR OLLIVIER POURRIOL

Trois Couleurs lance son cinéma-club avec Ollivier Pourriol. Avant la projection d’un film en avant-première, le philosophe en décompose l’ADN en convoquant des extraits d’autres œuvres. Deuxième édition ce 28 avril avec Conversation animée avec Noam Chomsky de Michel Gondry. Résumé de ce que l’on se racontera. – J’aime bien Gondry. D’habitude je comprends tout. Mais Chomsky, jamais rien compris. Je me demande bien ce qu’ils peuvent avoir à se dire, ces deux-là. Ça donne quoi, cette conversation ? C’est en anglais ? – Oui, et justement, Gondry parle tellement mal anglais que lui tu le comprends, mais du coup, c’est Chomsky qui a du mal à comprendre Gondry. Chomsky, lui, parle tellement bien que Gondry a du mal à le comprendre. Il décide pourtant de dessiner ce que Chomsky dit, alors qu’il sait ne pas tout comprendre. – Et nous, on y comprend quelque chose ? – Ça m’a fait penser à Un homme d’exception, dans lequel tu vois les lois de la nature à travers les yeux d’un génie… – J’aime bien l’idée qu’on puisse voir les idées. – Tu te souviens de Gribouille ? C’était à la télé, un dessin s’animait, une ligne devenait un personnage, un monde naissait à partir de rien, et disparaissait aussitôt. – C’est aussi marrant que Gribouille ? – Gondry parle de ses incompétences, et en fait quelque chose. C’est la source de sa créativité. Quand il comprend mal, il invente un sens nouveau. C’est marrant, une erreur, quand tu n’es pas à l’école. Le monde devient rigolo. – Chomsky, rigolo ? Rien que pour ça, je vais aller voir ! – Et même si tu ne comprends rien, tu verras : c’est beau… Conversation animée avec Noam Chomsky de Michel Gondry au MK2 Bibliothèque, le 28 avril à 20h

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avril 2014

Le 15 avril à 14h Metropolitan Opera

Retransmission en différé de La Bohème de Puccini MK2 bibliothèque

Le 15 avril à 20h30 Avant-première

Dans la cour de Pierre Salvadori, en présence de l’équipe MK2 HAUTEFEUILLE

À partir du 20 avril Cycle Xavier Dolan

Samedis et dimanches matin  MK2 HAUTEFEUILLE

Le 22 avril à 20h Soirée Premiers Pas

Avec des courts métrages d’Alain Resnais, Marina de Van, Çağla Zencirci et Guillaume Giovanetti, Michel Spinosa et Pierre Salvadori MK2 HAUTEFEUILLE

Le 6 mai à 14h Metropolitan Opera

Retransmission en différé de Così fan tutte de Mozart MK2 beaubourg

Le 6 mai à 20h Avant-première

Sarah préfère la course de Chloé Robichaud, en présence de l’équipe MK2 bibliothèque

Le 7 mai à 18h Soirée Peter Brook

Projection de Moderato cantabile en présence de Peter Brook, suivie d’une séance de signatures au Store


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