TROISCOULEURS #175 - hiver 2019-2020

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N 175

O

HIVER 19/20 GRATUIT

LE FUTUR DU CINÉMA


Démarrez l’an Sublime LIBÉRATION

Une pure beauté LES INROCKUPTIBLES

Un ravissement PREMIÈRE

Époustouflant lE FIGARO

Une merveille SLATE

Un chef d’oeuvre TRANSFUGE


nnée en beauté SÉJOUR DANS LES MONTS FUCHUN Un film de

©CARACTÈRES

GU XIAOGANG


FIN AOÛT PRÉSENTE

NIELS

SCHNEIDER

ADÈLE

EXARCHOPOULOS

Festival de Venise 2019 Orizzonti

© PHOTOS : THIERRY VALLETOUX / FIN AOÛT PRODUCTIONS

PRIX DU SCÉNARIO

Revenir Un film de JESSICA PALUD

PATRICK D’ASSUMÇAO - HÉLÈNE VINCENT - FRANCK FALISE - JONATHAN COUZINIÉ - ROMAN COUSTÈRE-HACHEZ

LE 29 JANVIER


É D I TO En

cette fin d’année, qui marque aussi celle d’une décennie, plutôt que d’apporter notre pierre à l’édifice déjà imposant des tops et des bilans des années écoulées, on a choisi de braquer notre viseur sur le futur. De quoi seront faites les années 2020 ? Et après ? On a d’abord procédé méthodiquement, en posant des questions. Recherches, lectures, interviews d’experts, sollicitation de nos journalistes et de nos collaborateurs… À l’arrivée, une poignée d’articles qui font le jeu de la prospection pour imaginer l’avenir du septième art : y aura-t-il des films réalisés par des intelligences artificielles ? l’écologie va-t-elle gagner le cœur des films ? comment la parité entre les femmes et les hommes derrière la caméra peut-elle révolutionner les représentations ? les stars vont-elles disparaître ? Puis, pour aller plus loin dans l’imaginaire, est venue l’idée de solliciter des cinéastes que nous aimons et dont nous suivons de près le travail, avec là encore une question : comment voyez-vous l’avenir du cinéma ? De Richard Linklater à Danielle Arbid, de Hafsia Herzi à Bruce LaBruce, ils sont huit à nous avoir répondu, toujours de façon surprenante, inattendue, inventive. Dans ce petit jeu de divination et de projection, une affirmation s’est alors enfin imposée : entre les mains des artistes, l’avenir du cinéma sera forcément radieux. • JULIETTE REITZER


APRÈS

THE LUNCHBOX

LE

PHOTOGRAPHE UN FILM DE

CREATION : JEFF

RITESH BATRA

AU CINÉMA LE 22 JANVIER

en partenariat avec


POPCORN

P. 16 RÈGLE DE TROIS : BERTRAND TAVERNIER • P. 18 SCÈNE CULTE : MILLENNIUM ACTRESS • P. 24 FLASH-BACK : SIXIÈME SENS

BOBINES

P. 30 EN COUVERTURE : LE CINÉMA DU FUTUR • P. 46 ENTRETIEN : VALÉRIE DONZELLI • P. 60 PORTFOLIO : DEREK JARMAN

ZOOM ZOOM

P. 74 HISTOIRE D’UN REGARD • P. 76 MERVEILLES À MONTFERMEIL P. 78 UN VRAI BONHOMME • P. 80 JOJO RABBIT

COUL’ KIDS

P. 98 INTERVIEW : LAURENT SCIAMMA P. 100 LA CRITIQUE DE LÉONORE : LES ENFANTS DU TEMPS

OFF

P. 102 LES JEUX DE SIMULATION • P. 106 EXPOS : KIKI SMITH P. 112 CONCERTS : MARIA VIOLENZA

ÉDITEUR MK2 AGENCY — 55, RUE TRAVERSIÈRE, PARIS XIIe — TÉL. 01 44 67 30 00 DIRECTEUR DE LA PUBLICATION : ELISHA.KARMITZ@MK2.COM | RÉDACTRICE EN CHEF : JULIETTE.REITZER@MK2.COM RÉDACTRICE EN CHEF ADJOINTE : TIME.ZOPPE@MK2.COM | RÉDACTEURS : QUENTIN.GROSSET@MK2.COM, JOSEPHINE.LEROY@MK2.COM GRAPHISTE : JÉRÉMIE LEROY | SECRÉTAIRE DE RÉDACTION : VINCENT TARRIÈRE | STAGIAIRES : DAVID EZAN, EMILIO MESLET ONT COLLABORÉ À CE NUMÉRO : LÉA ANDRÉ-SARREAU, JULIEN BÉCOURT, LILY BLOOM, CHARLES BOSSON, CAMILLE BRUNEL, JULIEN DUPUY, MARIE FANTOZZI, YANN FRANÇOIS, ADRIEN GENOUDET, ERWAN HIGUINEN, CORENTIN LÊ, DAMIEN LEBLANC, GRÉGORY LEDERGUE, OLIVIER MARLAS, BELINDA MATHIEU, ALINE MAYARD, STÉPHANE MÉJANÈS, THOMAS MESSIAS, JÉRÔME MOMCILOVIC, WILFRIED PARIS, MICHAËL PATIN, LAURA PERTUY, PERRINE QUENNESSON, BERNARD QUIRINY, GAUTIER ROOS, CÉCILE ROSEVAIGUE, ANNE-LOU VICENTE, ETAÏNN ZWER & LÉONORE, ANNA ET CÉSAR PHOTOGRAPHES : JULIEN LIÉNARD, PALOMA PINEDA, JAMES WESTON | ILLUSTRATEURS : @THE_REAL_THEORY, JERRY CAN, PABLO COTS, SAMUEL ECKERT, ÉMILIE GLEASON, ANNA WANDA GOGUSEY, PABLO GRAND MOURCEL | PUBLICITÉ | DIRECTRICE COMMERCIALE : STEPHANIE.LAROQUE@MK2.COM | RESPONSABLE MÉDIAS : CAROLINE.DESROCHES@MK2.COM ASSISTANTE RÉGIE, CINÉMA ET MARQUES : MANON.LEFEUVRE@MK2.COM | RESPONSABLE CULTURE, MÉDIAS ET PARTENARIATS : ALISON.POUZERGUES@MK2.COM ASSISTANTE CULTURE, MÉDIAS ET PARTENARIATS : CLAIRE.DEFRANCE@MK2.COM ILLUSTRATION DE COUVERTURE : KLARENS MALLUTA POUR TROISCOULEURS TROISCOULEURS EST DISTRIBUÉ DANS LE RÉSEAU LE CRIEUR CONTACT@LECRIEURPARIS.COM © 2018 TROISCOULEURS — ISSN 1633-2083 / DÉPÔT LÉGAL QUATRIÈME TRIMESTRE 2006 — TOUTE REPRODUCTION, MÊME PARTIELLE, DE TEXTES, PHOTOS ET ILLUSTRATIONS PUBLIÉS PAR MK2 AGENCY EST INTERDITE SANS L’ACCORD DE L’AUTEUR ET DE L’ÉDITEUR. — MAGAZINE GRATUIT. NE PAS JETER SUR LA VOIE PUBLIQUE.


INFOS GRAPHIQUES

DANS UNE GALAXIE LOINTAINE… Pour

la sortie de L’Ascension de Skywalker (le 18 décembre), on décortique le mythe Star Wars qui squatte nos écrans depuis plus de quarante ans. Retour sur la saga en six anecdotes. • EMILIO MESLET — ILLUSTRATION : JERRY CAN

Le mot « ewok » n’est jamais prononcé dans la saga. Il a fallu attendre le générique de fin du Retour du Jedi (1983) pour connaître le nom de cette espèce à la bouille d’ours en peluche.

1999

Selon la légende, rapportée dans le livre Famous Spaceships of Fact and Fantasy. And how to model them (1979), George Lucas a imaginé le design du Faucon Millenium à partir d’un hamburger. Samuel L. Jackson, interprète du Jedi Mace Windu, a affirmé dans l’émission Late Night with Seth Meyers avoir fait graver les initiales BMF (pour bad mother fucker) sur son sabre laser violet. Une référence à son rôle culte dans Pulp Fiction.

Maître Yoda n’a pas le même nombre d’orteils selon les films. Il a trois doigts de pied dans La Menace fantôme (1999), et quatre dans La revanche des Sith (2005). Mais bancal jamais il n’est.

2005

852 000 000 000 000 C’est, en dollars, la somme qu’il faudrait pour construire une station spatiale Étoile de la mort, selon une étude réalisée par des étudiants américains en 2012. Soit 13 000 fois le produit intérieur brut mondial de l’époque.

Les princes Harry et William ont fait un caméo dans Les Derniers Jedi (2017), endossant des costumes de stormtroopers aux côtés de John Boyega, qui a révélé l’histoire dans les colonnes du Hollywood Reporter. Mais la scène a été coupée au montage…

ÉMOPITCH CHARLIE’S ANGELS (SORTIE LE 25 DÉCEMBRE) 8


3B PRODUCTIONS BUNBUKU PRÉSENTENT

ET

CATHERINE

M.I MOVIES

DENEUVE

JULIETTE

BINOCHE UN FILM DE

KORE-EDA HIROKAZU

L A V É R I T É 25 DÉCEMBRE

ETHAN

HAWKE


FAIS TA B. A .

À chaque jour ou presque, sa bonne action cinéphile. Grâce à nos conseils, enjolivez le quotidien de ces personnes qui font de votre vie un vrai film (à sketchs). POUR VOTRE COLLÈGUE, UN CRITIQUE D’ART EN PLEINE CRISE EXISTENTIELLE Trente ans maintenant qu’il prend la plume pour dézinguer ou ovationner des œuvres. Mais plus les années passent, plus il doute de lui. Lecture idéale, cet essai très intéressant du critique de cinéma français Alain Riou (par ailleurs cinéaste) qui, à travers ses souvenirs, expose avec franchise les limites et la complexité de ce métier qui attise parfois l’hostilité.

: « Instants critiques » d’Alain Riou (Hémisphères, 224 p.)

POUR VOTRE COUSIN FANTASQUE QUI CONNAÎT UNE PETITE BAISSE DE RÉGIME Avec son air distrait et ses pantalons raccourcis, il ressemble à une réincarnation du célèbre Monsieur Hulot, alter ego du génial réalisateur et acteur Jacques Tati (1907-1982). Pour Noël, réveillez son âme de fanfaron avec cette intégrale en cinq volumes contenant l’intégralité des scénarios de Tati, des entretiens, des croquis, des photographies ou encore un mémoire autobiographique inédit.

: « L’Intégrale Jacques Tati (édition limité) » (Taschen, 1 136 p.)

POUR CETTE PROF DE JAPONAIS QUE VOUS CROISEZ EN MANIF Entre deux corrections, elle descend dans la rue pour défendre toutes les causes féministes. C’est lors d’une manif que vous avez sympathisé. Invitez-la à découvrir, à travers ce coffret de huit magnifiques films (Les Amants crucifiés, Une femme dont on parle…), l’œuvre du cinéaste japonais Kenji Mizoguchi (1898-1956), qui s’est aventuré dans beaucoup de genres pour tirer de délicats portraits d’héroïnes meurtries.

: « Kenji Mizoguchi en 8 films », coffret DVD/ Blu-ray (Capricci)

POUR ALBERTO, VOTRE AMI ITALIEN RENCONTRÉ EN ERASMUS

© D. R.

Il vous a familiarisé(e) avec la cuisson al dente et vous a initié(e) à l’italo-disco. En attendant de le retrouver lors de vos prochaines vacances estivales, parlez-lui du très cool festival en ligne ArteKino, défricheur de talents du ciné européen – dix films (souvent des premiers) venus de dix nations sont comme tous les ans en compétition et accessibles dans quarante-cinq pays. De quoi vous inspirer pour la prochaine destination. Selfie d’Agostino Ferrente

: « ArteKino Festival », jusqu’au 31 décembre, www.artekinofestival.com

POUR VOTRE VOISINE MÉLOMANE QUI ADORE CHANTONNER DANS L’IMMEUBLE Remarquant votre tristesse post-rupture, elle a composé une chanson sur votre abruti(e) d’ex. En plus d’aller voir Notre dame de Valérie Donzelli (lire p. 46), parlez-lui de ce livre signé par notre collaborateur Thomas Messias et le journaliste Quentin Mével. Avec une belle intro et une suite d’entretiens, ils reviennent sur l’inventivité de la cinéaste, fine analyste des sentiments amoureux.

: « Valérie Donzelli. Le tourbillon de la vie » de Thomas Messias et Quentin Mével (Playlist Society, 128 p.)

• JOSÉPHINE LEROY 10


EVERYBODY ON DESK présente

MARTHE

KELLER

UN FILM DE

LAURA

SMET

LÉA

DRUCKER

THIERRY

GODARD

LOUIS-DO DE LENCQUESAING

LE 25 DÉCEMBRE

LOUIS-DO

DE LENCQUESAING


LA CONSULTATION

© UNIVERSAL PICTURES

ont été incarnés par des hommes blancs, comme John Wayne dans Le Conquérant ou Mickey Rooney dans Diamants sur canapé. Par ailleurs, les hommes asiatiques étaient forcément l’ennemi, puisque Hollywood est né en plein sentiment anti-asiatique [apparu à la fin du xixe siècle, période de popularisation de la raciologie et d’intensification de l’immigration asiatique, et qui ne s’est calmé qu’après la Seconde Guerre mondiale, ndlr]. Ils étaient représentés comme fourbes dès les années 1940, puisque les Japonais avaient bombardé Pearl Harbor par surprise, puis comme des hommes faibles après la Seconde Guerre mondiale, puisque le Japon avait été vaincu par les États-Unis. C’est dans ce contexte qu’apparaît le « geek asiatique », un personnage qui sert les Blancs, et le « professeur d’arts martiaux », qui rappelle l’Asiatique guerrier. Ce sont toujours des personnages périphériques, sauf dans les films d’arts martiaux, mais les personnages interprétés par Bruce Lee ou Jet Li n’ont ni personnalité, ni famille, ni émotion. Quand cette représentation a-t-elle commencé à changer ? Depuis les années 2000, les personnages asiatiques émergent dans le paysage audiovisuel, et c’est une bonne chose, même si les clichés ont la dent dure. Je pense à Jin dans la série Lost (2004-2010) : l’acteur américain d’origine sud-coréenne Daniel Dae Kim a dû prendre un faux accent pour ce rôle, et son personnage sortait avec une femme asiatique ; comme s’il fallait garder des traces de son étrangeté – sous-entendu, les Asiatiques restent entre eux, ils ne sont pas comme nous. Puis les personnages sont devenus plus complexes, comme Glenn dans The Walking Dead ou Louis dans Fresh Off the Boat. Henry Golding marque un virage. C’est le premier love interest asiatique, écrit pour faire rêver les filles. Mais il faut noter qu’il est presque blanc. Métis, il a les marqueurs de masculinité blanche : musclé, grand, les traits « blancs » – à part les yeux. La prochaine étape, c’est un love interest qui ne perpétue pas la masculinité hégémonique. Je pense par exemple à John Cho [vu dans la série Selfie ou dans le film Searching, ndlr]. Comment expliquez-vous ce changement ? Il y a d’une part le travail des militants. Les deuxièmes générations d’Asio-Américains ont porté ces réflexions. L’émergence des pays asiatiques a joué pour beaucoup aussi. Les mangas japonais, la K-pop coréenne, ont rendu cool ce qui était asiatique. Et puis, il y a les gens derrière la caméra et les stylos. Beaucoup des films qui sortent des clichés

© MARIE ROUGE

LE NOUVEAU BEAU GOSSE DE HOLLYWOOD L’AVIS DE GRACE LY, ROMANCIÈRE ET COCRÉATRICE DU PODCAST KIFFE TA RACE

Dans Last Christmas de Paul Feig, LA comédie romantique de Noël (sortie le 27 novembre), Emilia Clarke tombe amoureuse de Henry Golding, acteur britannico-malaisien qui faisait déjà tourner les têtes dans Crazy Rich Asians (2018). Pour Grace Ly, c’est un moment historique : pour la première fois, un homme asiatique est vu comme l’acteur sexy du moment. Historiquement, les hommes asiatiques ont été très mal traités par Hollywood. Pourquoi un tel acharnement ? Les hommes asiatiques ont d’abord été victimes de whitewashing, c’est-à-dire qu’ils

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LA CONSULTATION

« Les personnages asiatiques émergent dans le paysage audiovisuel, même si les clichés ont la dent dure. » sont adaptés d’ouvrages d’auteurs d’origine asiatique, comme Crazy Rich Asians [adapté du livre éponyme du Singapourien Kevin Kwan, ndlr] ou la série Fresh Off the Boat [adapté des écrits de l’Américain d’origine taïwanaise Eddie Huang, ndlr], ou sont écrits par des Asio-Américains, comme le film Netflix Always Be My Maybe [écrit par Ali Wong, Randall Park et Michael Golamco, ndlr]. Et en France, c’est pour bientôt ? En France, les rares personnages asiatiques sont caricaturaux, comme dans Le Grand Bain où tout le monde semble comprendre le personnage bâclé d’Avanish (joué par l’acteur franco-tamoul Balasingham Thamilchelvan)

alors qu’il ne parle pas un mot de français. Frédéric Chau [connu pour son rôle dans Qu’est-ce qu’on a fait au bon Dieu ?, ndlr] est un des rares visages qu’on connaît aujourd’hui. Quand je l’ai rencontré, j’ai réalisé qu’on l’avait enlaidi, qu’on lui avait donné des rôles d’hommes dont on ne tombait pas amoureuse, alors qu’il est beau ! Il a fallu qu’il écrive le film Made in China [réalisé par Julien Abraham et sorti en juin dernier, ndlr] pour avoir un rôle de beau gosse. Il faut que la France se voie telle qu’elle est, qu’elle voit sa richesse.

• PROPOS RECUEILLIS PAR ALINE MAYARD

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JAN


CHAUD BIZ

POPCORN

QUOI DE NEUF, CÉSAR ?

Les

qui permettra d’établir une liste de films portant ce label dans chacune des cinq catégories techniques récompensées aux César. Par exemple, les techniciennes et techniciens votants affiliés au métier de directeur de la photographie labelliseront dix films pour la qualité de leur photographie. Cette expertise servira ainsi d’indicateur à l’ensemble des votants lors du premier tour du scrutin, celui qui mène aux nominations. De son côté, le fameux César du public, qui ressemblait plus à un César du box-office, va lui aussi subir un petit lifting. Lancé en 2018, ce prix récompensait le long métrage qui avait fait le plus d’entrées sur l’année écoulée (et ne résultait donc pas d’un vote). À partir de cette édition 2020, ce sont les membres de l’académie qui désigneront le lauréat parmi les cinq films arrivés en tête du box-office. Un bon moyen de concilier goût du public et réflexion critique de la part de la profession. Et de créer un peu plus de suspens : tremble Qu’est-ce qu’on a encore fait au bon Dieu ?, rien n’est gagné pour toi avec tes 6,7 millions de spectateurs ! La Vie scolaire et Nous finirons ensemble sont à tes trousses. Des changements bienvenus à découvrir le 28 février prochain. • PERRINE QUENNESSON ILLUSTRATION : ÉMILIE GLEASON

années se suivent mais ne se ressemblent pas toujours aux César. 2020 apporte son lot de nouveautés, pour plus de précision artistique. Les César, ce n’est pas qu’une cérémonie de trois heures ponctuée de gags plus ou moins réussis, de discours plus ou moins longs et émouvants ou de tenues plus ou moins spectaculaires. Ce n’est pas non plus seulement l’occasion, pour les cinéphiles passionnés, de se réunir une fois par an le temps d’une soirée arrosée pleine de pronostics et de débats enflammés sur l’année écoulée au cinéma. C’est avant tout la célébration du septième art hexagonal par la profession, pour la profession. Et pour mettre en avant ce travail, l’académie des César procède cette année à deux ajustements majeurs. D’abord, du côté des prix techniques, comme il n’est pas toujours évident, pour les presque 4 700 membres de l’académie, d’être parfaitement au fait de l’ensemble des métiers du cinéma, du costume à l’image en passant par le son ou le montage, celle-ci vient de créer les « labels techniques ». Les techniciens qui participent au vote pourront effectuer une sélection (jusqu’à dix films) uniquement dans leur branche de métiers, ce

Le César du public, qui ressemblait plus à un César du box-office, va lui aussi subir un petit lifting.

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Du grand cinéma, absolument partout. Un thriller haletant. Superbe film noir. Puissant et virtuose. Dynamite le film de genre. Une vitalité explosive. Notre palme d’or. Un choc.

© 2019 HE LI CHEN GUANG INTERNATIONAL CULTURE MEDIA CO., LTD.,

©DESIGN. E.DOROT GREEN RAY FILMS (SHANGHAI) CO., LTD., MEMENTO FILMS PRODUCTION, ARTE FRANCE CINÉMA. ALL RIGHTS RESERVED.

MEMENTO FILMS PRODUCTION PRÉSENTE

UN FILM DE DIAO YINAN

25 DÉCEMBRE


RÈGLE DE TROIS

© INSTITUT LUMIÈRE – PHOTO JEAN-LUC MÈGE

BERTRAND TAVERNIER

Cinéaste cinéphile par excellence, il réédite pour la troisième fois depuis 1993 Amis américains, son livre d’entretiens avec les grands auteurs de Hollywood, agrémenté d’une préface écrite avec Thierry Frémaux. Pour l’occasion, il s’est livré sur sa passion dévorante.

Pouvez-vous vous décrire en 3 personnages de films ? Le héros de Je sais où je vais de Michael Powell et Emeric Pressburger, parce qu’il est à la recherche de ses racines. Le commandant Dellaplane, interprété par Philippe Noiret, dans mon film La vie et rien d’autre, parce qu’il lutte pour la préservation de la mémoire. La panthère Bagheera dans Le Livre de la jungle, parce qu’elle défend la paix dans la jungle – mais je triche parce qu’il s’agit surtout du livre, les films n’ont pas la même poésie. 3 films américains que vous embarqueriez sur une île déserte ? Il n’y a pas de courant sur une île déserte, donc il n’y aurait aucune possibilité de les voir. Tout ce qui compte, dans ce cas-là, c’est d’avoir sa femme avec soi. 3 cinéastes américains avec qui vous aimeriez discuter ? J’aimerais rencontrer Bennett Miller [Le Stratège, Foxcatcher, ndlr] et Aaron Sorkin, qui n’a fait qu’un film,

Le Grand Jeu, mais dont le talent de scénariste a joué un rôle très important à Hollywood. Et, pour en citer un dernier, disons Alexander Payne [The Descendants, Downsizing, ndlr]. 3 leçons de vie apprises au cinéma ? La recette de la sauce tomate aux boulettes et aux saucisses dans Le Parrain : une leçon absolue. La réplique « Ne vous excusez pas, c’est un signe de faiblesse » du capitaine Brittles, interprété par John Wayne, dans La Charge héroïque. Et le mal que peut causer un mensonge dans Madame de… de Max Ophüls. Ce sont des choses qu’on n’oublie pas. L’actrice ou l’acteur qui vous faisait fantasmer à 13 ans ? J’avais une grande passion pour Gary Cooper. Et je trouvais Janet Leigh et Mireille Balin incroyablement sexy. 3 road movies qui vous donnent envie de prendre la route ? Rien ne me donne envie de

prendre la route. Je déteste la voiture, on a mal aux jambes. Je préfère les films qui se passent dans des trains, comme L’Énigme du Chicago Express ou Berlin Express. Certains westerns, comme La Prisonnière du désert, sont de grands films d’itinérance. C’est tout de suite plus intéressant avec des chariots ou des chevaux qu’avec des voitures. 3 grands livres sur le cinéma à nous conseiller ? J’aime beaucoup les mémoires de cinéastes. Celles de Michael Powell, Une vie dans le cinéma. Tomes 1 et 2, sont, avec celles d’André de Toth, Fragments. Portraits de l’intérieur, ce que j’ai lu de plus extraordinaire dans le genre. J’aimerais aussi citer le livre de Patrick McGilligan Alfred Hitchcock. Une vie d’ombres et de lumière. Ce sont tous des livres publiés dans la collection Institut Lumière / Actes Sud que je dirige avec Thierry Frémaux.

• PROPOS RECUEILLIS PAR

DAVID EZAN

— : « Amis américains. Entretiens avec les grands auteurs d’Hollywood » de Bertrand Tavernier (Institut Lumière / Actes Sud, 1 008 p.)

— 16


LES FILMS EN VRAC ET LA BELLE KINOISE PRÉSENTENT

Dans les rues de Kinshasa, l’Art est une urgence.

SYSTEME K UN FILM DE

RENAUD BARRET

MUSIQUE PAR

KOKOKO !

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JAN


SCÈNE CULTE

MILLENNIUM ACTRESS (2001)

POPCORN

« Je ne fais que penser à vous. »

Un

bien réel se produit et le sort de son hypnose de spectateur. Ce n’est pas la première fois qu’on assiste à un tel glissement « méta », mais rarement la frontière entre niveaux de représentation aura paru si poreuse. On apprendra bientôt que ce cinéphile s’appelle Genya Tachibana, qu’il est journaliste, et qu’il s’apprête à rencontrer son actrice préférée, Chiyoko Fujiwara, ex-star du grand écran, retraitée depuis son rôle de cosmonaute. Satoshi Kon vient de nous livrer le manuel de Millennium Actress, qui ne cessera plus de basculer, d’un plan à l’autre, des images du présent à celles du passé, et des souvenirs de l’actrice à ceux de ses films. Un parti pris que seule l’animation pouvait rendre aussi fluide (le grain et l’usure de la pellicule n’existent plus, créant une continuité parfaite entre la réalité et la fiction, le vécu et l’illusion), et qui fait la splendeur de cette déclaration d’amour au cinéma… tournée sans caméra. • MICHAËL PATIN

ciel étoilé sur lequel se découpe lentement une planète. Une plateforme spatiale qui s’ouvre telle une corolle. Un vaisseau majestueux sur sa rampe de lancement. Ce n’est pas un hasard si les premiers plans de Millennium Actress évoquent 2001 : l’odyssée de l’espace. D’abord parce que Satoshi Kon, comme Stanley Kubrick, choisit de perturber nos sens pour faire passer ses réflexions philosophiques (sur la mort, l’amour, la mémoire). Mais aussi parce que ce deuxième long métrage (après Perfect Blue en 1997) parle avant tout du cinéma, de son obsession et de son influence. Sur le ponton de la navette, on assiste aux adieux d’une cosmonaute à un homme qui cherche à la retenir. « Ne partez pas ! Je vous en prie ! lance-t-il en vain. Je ne fais que penser à vous. » Simultanément, un homme plus âgé, les yeux rivés à sa télévision sur laquelle défilent les images du compte à rebours, prononce cette dernière réplique. On comprend qu’il s’agit d’un film dans le film, dont il connaît les dialogues par cœur. Et tandis que, sur l’écran, les vibrations de la fusée ébranlent la plateforme spatiale, un tremblement de terre

— : de Satoshi Kon, ressortie en version restaurée le 18 décembre

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PENÉLOPE ÉDGAR GAEL GARCÍA ANA DE LEONARDO WAGNER CRUZ RAMÍREZ BERNAL ARMAS SBARAGLIA MOURA RT FEATURES et CG CINÉMA INTERNATIONAL présentent

© RT FEATURES - CG CINEMA INTERNATIONAL - NOSTROMO PICTURES SL - WASP NETWORK AIE - SCOPE PICTURES - FRANCE 2 CINEMA - ORANGE STUDIO - MEMENTO FILMS PRODUCTION

FESTIVAL DE VENISE SÉLECTION OFFICIELLE

TRAÎTRES OU HÉROS ? UN FILM DE

OLIVIER ASSAYAS

25 JANVIER DÉCEMBRE LE 29 2020


TROIS IMAGES

LES EFFARÉS Dans The Lighthouse de Robert Eggers, deux hommes luttent pour garder la raison dans un phare traversé de présences fantomatiques. Du cauchemar expressionniste au théâtre d’ombres, quand la tour de lumière se change en lanterne magique.

© D. R.

en pleine nature dans le phare de Cape Forchu en NouvelleÉcosse (Canada), The Lighthouse frappe par son noir et blanc spectral, rugueux et hyper contrasté. Le réalisateur Robert Eggers a choisi d’utiliser une pellicule vintage introduite par Kodak en 1959, la Double-X 5222, tout en suréclairant le décor et les acteurs. Et le résultat est une expérience cinétique fascinante dans laquelle les visages burinés et torturés de Willem Dafoe et Robert Pattinson ont l’air pétrifiés dans la pierre. En 1929, Jean Grémillon a 29 ans et il fait partie d’une nouvelle génération de cinéastes qui utilisent pleinement les ressources expressives du septième art. Au crépuscule du cinéma muet, il filme Gardiens de phare sur la lande bretonne. On voit ici les deux gardiens à table, à l’intérieur du phare. Le père a bon appétit, mais le regard de son fils erre dans le vide. Il faut savoir que celui-ci vient d’être mordu par un chien enragé et qu’il a commencé sa lente descente vers la démence. Et leurs ombres projetées aux murs rappellent les origines de la projection cinématographique. Contemporain de Grémillon, Jean Epstein a réalisé certains des films les plus importants du cinéma muet (Cœur fidèle, 1923 ; La Chute de la maison Usher, 1928). Son dernier film, Les Feux de la mer (1948), est une commande de l’O.N.U. pour présenter les phares à travers le monde. L’histoire du jeune Victor, qui découvre son métier de gardien auprès d’un aîné, est un prétexte pour documenter la vie des hommes de la mer, et Epstein fait du phare de la Jument un laboratoire pour déchaîner les puissances d’expression du cinéma. • CHARLES BOSSON

— : « The Lighthouse » de Robert Eggers, Universal Pictures (1 h 49),

© D. R.

POPCORN

Tourné

sortie le 18 décembre

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NOUVELLE CRÉATION ORIGINALE EN CE MOMENT SUR ¢

La collection documentaire HOBBIES propose d’explorer 8 passions à travers 8 portraits signés par de jeunes réalisateurs.

SEULEMENT SUR


LE TEST PSYNÉPHILE

QUELLE CRISE DE FOI(E) T’ATTEND EN 2020 ?

Dans quel état d’esprit abordes-tu les fêtes de fin d’année ?

On t’a traîné(e) à la messe de minuit… Tu dessines des zizis géants sur ton missel.

La mentalité de base d’un flic irlandais, méfiant et grincheux.

Tu pries pour un miracle en louchant sur le vin du curé.

La détermination molle d’un voyou désabusé.

POPCORN

L’affolement d’une quadragénaire survoltée. Dans la rue, il t’arrive souvent de…

Tu es tellement en colère que tu as du sang qui sort de partout. Cher petit Papa Noël…

Gifler des inconnus sans raison particulière.

Je sais que t’es une arnaque. File-moi mon fric !

Te sentir comme un poisson dans le désert.

Je voudrais… la fin du règne du patriarcat.

Marcher comme Charlize Theron dans la pub « J’adore » de Dior.

Faites que je ne sois pas enceinte de mon ex-mari !

LA phrase qui déclenche à coup sûr les hostilités lors du repas de Noël…

Aux urgences, la nuit du réveillon, tu attends ton tour avec…

« Tu es sexy, mais tu es pénible. »

Un chien qui a des dents en or.

« Qui a tué Bambi ? »

Le sosie alcoolisé de Nicole Kidman.

« Qui va découper la dinde ? »

Un couple étrangement synchronisé.

SI TU AS UN MAXIMUM DE : L’INDIGESTION ABSURDE ET SUBITE Noël approche et tu es affreusement stressé(e) : tu te sens boudiné(e) dans ta tenue en tartan, tu vas devoir cacher à tes parents que ton ex chevelu dort encore sur ton canapé… Alors tu bois trop vite, tu te gaves de petits fours, et puis, avant même de passer à table : malaise. Tu seras content(e) de suivre les aventures d’une femme dont la vie est plus en vrac que la tienne. Elle s’appelle Maud Crayon, et c’est l’héroïne de Notre dame, le dernier film de Valérie Donzelli (sortie le 18 décembre).

L’INTOX ALIMENTAIRE RÉGLO On part à l’étranger, on se croit invincible et, bam !… intox alimentaire fulgurante. C’est un peu ce qui arrive au voleur dans Le Miracle du saint inconnu (sortie le 1er janvier). Il a la mauvaise surprise de découvrir que l’endroit où il avait enterré son magot est devenu un lieu de pèlerinage. Avec cette fable absurde, Alaa Eddine Aljem s’amuse à faire le portrait d’un petit village marocain en pleine crise de crédulité. Sous ses airs de comédie légère à la Kaurismäki se cache un film doucement sulfureux.

LE TRUC QUI PÈSE SUR L’ESTOMAC Ça commence comme une vague nausée, et puis arrive un moment où quelqu’un doit parler. Tu es bien d’accord avec Gretchen Carlson, que joue Nicole Kidman dans Scandale de Jay Roach (sortie le 22 janvier). Son courage a réussi à faire tomber Roger Ailes, le patron de Fox News, pour des faits de harcèlement sexuel, et toi, ça va te libérer de ton mal lancinant. Le film est brillamment interprété par un trio de choc et t’évitera quelques années de séances chez le naturopathe.

• LILY BLOOM — ILLUSTRATION : PABLO GRAND MOURCEL 22


42 KM FILM, LES FILMS DU WORSO & KOMPLIZEN FILM PRÉSENTENT

« Un film noir rythmé par Iggy Pop » Le Figaro

« Une farce policière à l’humour déjanté délicieux » JDD « Formidable » Libération

UN FILM DE CORNELIU PORUMBOIU

©Photos / Vlad Cioplea - Crédits non contractuels

VLAD IVANOV CATRINEL MARLON

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FLASH-BACK

SIXIÈME SENS

Vingt ans après son triomphe en salles, Sixième sens reste étroitement associé à son twist final, dont le secret fut miraculeusement gardé. Un exploit qui semble impossible à rééditer aujourd’hui.

Plus

gros succès de la carrière de Bruce Willis, autant en France (7,8 millions d’entrées) que dans le monde, le troisième film de M. Night Shyamalan bénéficia d’un bouche-à-oreille exceptionnel. « Sixième sens, c’est d’abord un scénario qui, de l’avis de tous les gens qui l’eurent entre les mains à Hollywood, était une poule aux œufs d’or », confie David Honnorat, journaliste qui a participé à l’ouvrage collectif Contes de l’au-delà. Le cinéma de M. Night Shyamalan (Vendémiaire, 2015). « La grande force du film reste sa surprise finale et la façon dont elle est amenée. » Narrant l’histoire d’un psychologue (Bruce Willis) qui vient en aide à un jeune garçon perturbé par la vision de fantômes (Haley Joel Osment), Sixième sens offrait en effet un ingénieux twist. « Comme dans d’autres films de 1999 tels qu’American Beauty, on suit la crise existentielle d’un homme blanc dans l’Amérique de la fin du xxe siècle. On croit donc que Shyamalan nous raconte les soucis d’un personnage avec son mariage, mais la fin révèle qu’il n’a en fait aucun problème de couple. Si le héros est choqué de

découvrir sa propre mort, il comprend en même temps que son épouse [Olivia Williams, ndlr] l’aime encore. C’est un twist très positif, naïf et anachronique, au vu des twists plus sombres de l’époque comme celui de Fight Club. » La parfaite préservation du secret final semble également tenir du miracle. Sixième sens sortit ainsi en France le 5 janvier 2000, cinq mois après les États-Unis, sans que la fin ne fût dévoilée à personne. « Internet n’était pas aussi développé qu’aujourd’hui, et il n’y avait pas cette psychose du spoiler, renforcée par les séries et les réseaux sociaux. Le public a spontanément protégé la fin. » La tonalité de la conclusion expliquerait aussi le phénomène de société. « Le marketing avait mis en avant l’aspect “film d’horreur avec un enfant”, mais c’était un contre-pied, car Sixième sens nous apprend lentement à surmonter nos peurs, comme toute l’œuvre de Shyamalan. L’apaisement final permettait de recommander le film même aux personnes qui n’aiment pas le cinéma horrifique. » • DAMIEN LEBLANC ILLUSTRATION : ANNA WANDA GOGUSEY

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” LE FILM LE PLUS IMPORTANT DE L’ANNÉE. À VOIR ABSOLUMENT. ” WE LIVE ENTERTAINMENT

” LA LOI DU SILENCE DÉGOMMÉE AVEC BRIO PAR UN FORMIDABLE TRIO ” LE PARISIEN

LE 22 JANVIER AU CINÉMA


LE NOUVEAU

POPCORN

BENJAMIN VOISIN

La

malice au coin des lèvres, il sert de sa belle jeunesse deux pépites de cette nouvelle décennie. Dans Un vrai bonhomme de Benjamin Parent (lire p. 78), son défunt personnage conseille son frère en perdition. « J’ai voulu me surprendre, balancer instinctivement l’émotion qui me venait sans la polir, après avoir travaillé le regard sur moi avec rigueur dans La Dernière Vie de Simon de Léo Karmann. » Dans cet autre premier film (qui sort le 5 février), il campe un orphelin qui emprunte le visage d’un disparu. L’occasion, pour Benjamin Voisin, l’allure poète avec sa cape et sa chevelure broussailleuse, de convoquer un imaginaire nourri par son amour de la littérature. « Je fuis les horaires de bureau

et cherche le jeu en tout. Le cinéma parvient à me faire passer quatorze heures de suite sur huit mots : c’est bien qu’on tient là quelque chose », confie cet ancien du cours Florent. Xavier Giannoli et François Ozon viennent de lui confier des rôles d’envergure (respectivement dans Comédie Humaine et Été 84), raccord avec son envie de tout jouer tant que jamais rien ne se répète. • LAURA PERTUY PHOTOGRAPHIE : JAMES WESTON

— : « Un vrai bonhomme » de Benjamin Parent,

Ad Vitam (1 h 28), sortie le 8 janvier

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Film(S) & Vito Films présentent

Ramzy Bedia

Emmanuelle Béart

Jeanne Balibar

Mathieu Amalric Anthony Bajon Jean-Quentin Chatelain François Chattot Alassane Diong Valérie Dréville Florence Loiret Caille Mounir Margoum Denis Mpunga Bulle Ogier Marlène Saldana avec la participation de

illustration Pierre-Julien Fieux

Frank Castorf & Philippe Katerine

Merveilles à Montfermeil un film de

Jeanne Balibar

Le 8 janvier 2020


LE NOUVEAU

POPCORN

SANDOR FUNTEK

On

dit de lui qu’il a une gueule ; fière allure, yeux perçants, sa silhouette juvénile dissimule pourtant un franc-parler explosif. Sandor Funtek nous rejoint dans un bar du XVIIIe arrondissement, son quartier de cœur, où il vit depuis seize ans. « Il y a une effervescence ici. Des groupes de potes de tous les milieux se forment. » À 29 ans, ce Franco-Hongrois s’est fait tout seul. Après des petits rôles au cinéma (La Vie d’Adèle, Dheepan), sa rencontre avec Hamé et Ekoué (du groupe La Rumeur) change la donne. Ses « grands frères » le font jouer dans Les Derniers Parisiens, puis lui font rencontrer Sarah Marx, dont ils produisent et coscénarisent le film K Contraire. Force tranquille, il y incarne

un ex-taulard en voie de réinsertion qui doit composer avec sa mère dépressive. « Pour ce tournage, il fallait être tout terrain. » Passionné de boxe, le comédien « joue sa peau » sur le ring comme sur les plateaux. Avec cet esprit guerrier, on ne s’étonnera pas de le voir prochainement sous les traits de Kool Shen dans Suprêmes, biopic sur les débuts de NTM. • DAVID EZAN PHOTOGRAPHIE : PALOMA PINEDA

— : « K Contraire » de Sarah Marx,

Les Valseurs (1 h 23), sortie le 22 janvier

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DU RIRE, DE L’ÉMOTION, LA

BELLE SURPRISE DE CE DÉBUT D’ANNÉE ! ISABELLE

CARRE

THOMAS

GUY

BENJAMIN

VOISIN

LAURENT

LUCAS

UN FILM DE BENJAMIN

PARENT

SCÉNARIO BENJAMIN

Photo : Stéphanie Branchu • Design : Benjamin Seznec / TROÏKA

D’APRÈS UNE IDÉE ORIGINALE DE BENJAMIN

PARENT ET THÉO COURTIAL PARENT VICTOR RODENBACH ET TRISTAN SCHULMANN

AU CINÉMA LE 8 JANVIER


BOBINES

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LE FUTUR DU CINÉMA • DOSSIER COORDONNÉ PAR JULIETTE REITZER – ILLUSTRATIONS : @THE_REAL_THEORY

DES FILMS RÉALISÉS PAR DES I. A.

pour créer ex nihilo des œuvres picturales ou des films, la question des films réalisés par des programmes proches de l’intelligence artificielle pourrait s’imposer comme l’une des grandes problématiques de la prochaine décennie. Outre l’expérience concluante menée en 2016 par le réalisateur Oscar Sharp et le chercheur Ross Goodwin – ils ont créé Benjamin, un programme capable d’écrire un scénario de film de façon autonome, qui a signé les courts métrages Sunspring (2016) et It’s No Game (2017) –, la réponse se trouve peut-être déjà au sein de ces films que l’on qualifie de « génératifs ». Ceux-ci suivent des règles définies en amont (souvent un programme informatique), pour évoluer ensuite plus librement, changeant également d’un visionnage à l’autre. Avec Le Quinte Alpi (2017), le cinéaste expérimental Jacques Perconte a par exemple filmé les hauteurs des Alpes pour constituer un film à durée infinie dont les rushs, mis en boucle, s’articulent selon des paramètres de compression vidéo donnant à voir des formes colorées et pixélisées en perpétuelle mutation. De quoi augurer, pourquoi pas, des pièces génératives dans lesquelles le montage des images et du son pourrait être laissé au bon vouloir de la machine. • CORENTIN LÊ

Si la question de l’intelligence artificielle se pose en premier lieu dans notre quotidien ou dans le monde du travail, ce sera bientôt au tour de l’art et du cinéma d’y faire face. Dans Her de Spike Jonze et dans Chappie de Neill Blomkamp, sortis en 2014 et 2015, des intelligences artificielles accèdent peu à peu à une forme d’humanité en passant par l’art et la représentation. Dans le premier, une application d’assistance personnalisée type Siri fait apparaître sur le téléphone de son utilisateur un petit dessin érotique. Dans le second, un robot humanoïde peint une nature morte sur une toile. Coordination absolue de la fiction et de la réalité : c’est en 2014 que Google développe le projet DeepDream, un programme ayant la capacité de transformer automatiquement la moindre image en une vision sous psychotrope, jusqu’à s’approcher de l’art psychédélique et surréaliste. Si DeepDream n’a pas été conçu

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BOBINES

À l’heure du passage à 2020, plutôt que de tirer des bilans, on se projette. On a voulu imaginer ce que pourrait devenir le cinéma à un moment où revient souvent l’idée de sa prétendue disparition. Révolutions technologiques et écologiques, enjeux de parité et de diversité, nouveaux récits futuristes… Sans boule de cristal, mais avec l’impatience de savoir ce qui nous attend, on a demandé à des experts et à huit cinéastes de prédire l’avenir du grand écran.


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LA NATURE AU CŒUR DES FILMS Intérêt grandissant des spectateurs pour les thématiques écologiques d’un côté, progrès des effets spéciaux de l’autre : plus vivaces que jamais, faune et flore vont gagner le cœur des films et renouveler les récits. Les succès récents, en France, de films traitant à des niveaux très variés de sujets liés à la nature, d’Au nom de la terre d’Édouard Bergeon, sur les évolutions dramatiques du monde agricole (presque 2 millions d’entrées), jusqu’au Roi lion de Jon Favreau et ses quelque 10 millions d’entrées, le

prouvent : les spectateurs ont envie qu’on leur parle de la terre, des animaux, et plus largement de notre planète – gageons que les quatre prochains volets d’Avatar de James Cameron, prévus d’ici 2027, creuseront encore davantage ce sillon. Un intérêt grandissant qui coïncide avec l’évolution des technologies qui permettent de créer des forêts entières et de les peupler d’animaux numériques bluffants de réalisme (sans les maltraiter). Morgane Baudin, consultante en écoproduction audiovisuelle, pense que le cinéma, formidable outil de communication, peut se saisir de cet intérêt grandissant pour le devenir de la planète afin de jouer à l’avenir un rôle dans la transition écologique. Comment ? Tout simplement en montrant l’exemple. C’est dans cette optique qu’elle a cofondé la société de placement de produits à impact écologique et solidaire Pixetik, incitant les productions à choisir des produits écoresponsables comme accessoires de jeu pour les personnages de leurs films. En voyant, par exemple, une scène de fête

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LE FUTUR DU CINÉMA

Le cinéma peut jouer un rôle dans la transition écologique. monde « véritablement respectueux des êtres humains et de la nature », a déjà rassemblé les signatures de deux cent cinquante personnalités du monde de la culture. De son côté, l’agence anglaise spécialisée dans la stratégie de développement durable Futerra a imaginé un planet test sur le modèle du test de Bechdel. Un outil rudimentaire qui permet de savoir si un scénario est sur la bonne voie en observant trois critères : est-ce que la nature est représentée ? Est-ce que les comportements néfastes pour l’environnement sont désignés comme tels ? Est-ce qu’un des personnages fait au moins un geste en faveur de l’environnement ? Peut-être que, vu du futur – qui fourmillera de films sur des histoires de polyamour entre écovillageois dans la forêt que Paris sera redevenu –, ce test paraîtra complètement ridicule. • CAMILLE BRUNEL & TIMÉ ZOPPÉ

LE FUTUR VU PAR… BRUCE LABRUCE « Ceci est une image de mon prochain film, Saint-Narcisse, sur des siamois séparés à la naissance qui sont recollés à la vingtaine. Variation libre sur le mythe de Narcisse, le film traite de thèmes comme la fluidité des identités, la masturbation, le twincest [inceste entre jumeaux ou jumelles, ndlr] et l’intersection entre extase religieuse et sexuelle. Malgré ces sujets lourds, il est romantique et plein d’espoir. Les tabous doivent continuer à être remis en cause et brisés au cinéma comme dans la “vie réelle”, une expression qui devient de moins en moins pertinente. Le cinéma a toujours été

un plaisir basé sur le narcissisme, le spectateur contemplant un écran qui lui renvoie sa propre image. Cependant, si nous voulons survivre, le narcissisme toxique d’aujourd’hui doit pouvoir se transmuer en un narcissisme transformateur et salvateur. C’est à partir de là que nous pourrons rêver d’un avenir radieux. »

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BOBINES

dans laquelle des jeunes boivent dans des gobelets réutilisables avec des pailles en inox, les spectateurs l’intègrent comme un comportement naturel. « Les solutions pour un monde plus durable existent, il s’agit surtout de les représenter pour les normaliser plus rapidement. » Mais l’enjeu le plus intéressant est sans doute celui de la créativité : comment les problématiques écologiques vont-elles nourrir l’imaginaire des scénaristes et des cinéastes de demain ? Pour l’instant, la tendance est plutôt aux scénarios catastrophe (apocalypse, effondrement et autres cataclysmes naturels), mais si on proposait des futurs désirables ? Ces nouveaux récits, qui montreraient d’autres possibles, voire un monde à venir où l’écologie aurait « gagné », sont l’un des enjeux majeurs du cinéma de demain. « Un film comme Au nom de la terre est essentiel en ce qu’il dénonce très bien les problèmes, mais on se demande ensuite quelles sont les alternatives à ce mode d’agriculture. La fiction aussi a le pouvoir d’imaginer des solutions, comme le fait, par exemple, Princesse Mononoké de Hayao Miyazaki, qui évoque ce que serait une vie en communion avec la nature. Il y a encore trop peu d’exemples », insiste Morgane Baudin. En attendant, des initiatives voient le jour : lancée en mai dernier à Cannes par le collectif On est prêt et le coréalisateur du documentaire Demain Cyril Dion, une tribune intitulée « Résister et créer », tirant la sonnette d’alarme et appelant à la réinvention des récits pour voir naître un


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DES TOURNAGES EN STUDIOS VERTS En phase avec la prise de conscience écologique et la nécessité de consommer et de produire autrement pour éviter la catastrophe à venir, le cinéma va devoir repenser son mode de fabrication. En 2011, on apprenait que le secteur audiovisuel émettait, en France, environ 1 million de tonnes équivalent CO2 par an dans l’atmosphère, dont approximativement le quart était lié aux tournages. Le collectif Ecoprod (réunissant le CNC, TF1, France Télévisions…), qui avait commandé cette

étude, a depuis développé des outils pour sensibiliser les sociétés de production à l’impact carbone de leurs tournages (calculateur d’émission de CO2, guide pratique, formations). La société Secoya propose de suivre des tournages au cas par cas pour réduire leur coût écologique, et donc aussi économique (en optimisant notamment les transports et le matériel). L’incitation financière est aussi un levier puissant pour susciter l’action écolo, utilisé par certaines régions en Europe – l’Île-de-France offre, par exemple, un « écobonus » allant jusqu’à 100 000 euros par film –, même si aucune obligation (comme des seuils d’émission à ne pas dépasser) n’est pour l’instant établie. Pour que les tournages réussissent leur transition, « il faut aussi imaginer des solutions moins consommatrices des ressources qui vont bientôt manquer, ajoute Morgane Baudin, conseillère indépendante en écoproduction. Repenser

« Il faut repenser la façon dont on fait les films, notamment en limitant les déplacements. » MORGANE BAUDIN 34


LE FUTUR DU CINÉMA LE FUTUR VU PAR… THIERRY DE PERETTI Lutte jeunesse est un assemblage d’entretiens de jeunes hommes, menés au moment du casting pour le rôle principal de son avant dernier long, Une vie violente (2017), et qui dresse en creux le portrait d’une jeunesse corse contemporaine. Selon le même principe, L’Avenir c’est toi, à peine amorcé, est constitué d’entretiens de jeunes femmes en Corse aujourd’hui, venues passer le casting pour le personnage principal féminin d’À son image, adaptation du roman de Jérôme Ferrari (Actes Sud, 2018). Le tournage est prévu pour 2021. L’Avenir, c’est toi (Projet en cours 2021)

Lutte jeunesse (2017)

la façon dont on fait les films, notamment en limitant les déplacements. » Pourquoi pas en tournant, par exemple, dans des studios écoresponsables, installés dans des bâtiments à consommation passive qui fonctionneraient à l’énergie verte (panneaux solaires, voire technologie carburant à l’hydrogène) et pourvus de matériel et de consommables recyclables ? Les films seraient tournés sur fonds verts, avec des décors incrustés numériquement, et dans des backlots (des décors permanents en extérieur). Mais pour réduire drastiquement l’impact carbone du cinéma, il faut en réalité revoir toute sa chaîne, jusqu’à sa diffusion. Alors que la réflexion est en cours pour diminuer le bilan carbone des salles (ce qui risque de prendre du temps, car le coût des aménagements est important), il pourrait sembler a priori plus écolo d’arrêter de se déplacer pour regarder les films chez soi. Sauf qu’un rapport de l’association The Shift Project (un think tank qui réfléchit à une économie libérée de la contrainte carbone) publié en juillet dernier a montré l’impact démentiel du streaming sur l’environnement : l’ensemble des vidéos en ligne dans le monde émet 300 millions de tonnes de CO2 par an, soit 1 % du total annuel mondial. Dans le documentaire Side by Side de Christopher Kenneally, les sœurs Wachowski parient que les films seront bientôt visionnés collectivement au sein de mondes virtuels dans lesquels se réuniront nos avatars. Avec les studios de tournage et les salles de ciné, c’est donc aussi les data centers qu’il va falloir rendre sobres. • TIMÉ ZOPPÉ

UN CINÉMA QUI RESSEMBLE À SON PUBLIC Le collectif 50/50 – dont la devise est « sur nos plateaux comme dans la vie » – tente d’imposer plus de diversité au sein du cinéma français, sur les tournages comme dans les films. Le collectif a mis en place une « bible 50/50 », pensée comme un « Linkedln de la diversité », comme l’explique Julie Billy, productrice chez Haut et Court et cofondatrice dudit collectif, qui permet aux personnes issues de minorités de s’enregistrer pour favoriser leur recrutement sur les tournages. Mais aussi une charte pour l’inclusion. « Nous nous sommes inspirés de l’inclusion rider américain [disposition contractuelle permettant aux acteurs d’exiger un certain niveau de diversité sur un tournage, ndlr] pour la rédiger, sauf que la discrimination positive est interdite chez nous. » Contrairement à la clause américaine, qui impose des pourcentages précis de représentations et prévoit des malus, la charte française ne peut être qu’incitative. Comme notre législation n’autorise pas la collecte de données statistiques ethniques, considérées comme discriminatoires, la charte parle par exemple plutôt de « déclaration de ressenti de la diversité » sur les plateaux de la part des équipes. « En la signant, la profession a prouvé son désir d’engagement personnel et citoyen », témoigne Billy. Une affaire à surveiller de près pour que le cinéma de demain soit réellement universel, débarrassé de l’entre-soi et de l’essentialisme. • LÉA ANDRÉ-SARREAU 35


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LE RÈGNE DU CINÉMA D’ANIMATION La frontière séparant films d’animation numériques et films en prise de vue réelle est sur le point d’être abolie. Jusqu’à présent, le cinéma de trucage hérité de Georges Méliès s’est développé en marge d’une tradition dite « réaliste », proche de la vision des frères Lumière, dans laquelle le réel laisserait son empreinte sur la pellicule. Ces deux histoires parallèles s’apprêtent à fusionner grâce aux progrès réalisés dans le domaine des effets spéciaux numériques. La différence entre le trucage et l’enregistrement de la réalité, entre le cinéma d’animation et celui en prise de vue réelle, devient effectivement de moins en moins perceptible. Osons la prospection : dans les années à venir, il sera impossible de reconnaître une image composée sur ordinateur d’une prise de vue capturée dans des conditions réelles. La sortie récente du Roi lion de Jon Favreau, outre la confusion entre animation et remake live action suscitée par le photoréalisme du film, l’a bien montré : seul le premier plan a été tourné en Afrique, sans différence notable. Si le reste des décors a été constitué sur ordinateur, le tournage n’a pour autant pas été exclu de l’équation. Le chef opérateur et ses assistants ont tenu la caméra comme dans n’importe quel autre film, mais celle-ci, plutôt que de filer dans la savane à la poursuite d’un lionceau en chair et en os, déambulait au sein d’un espace numérique en réalité virtuelle, comme dans un jeu en VR. Pour donner toujours plus de liberté à la création, ces nouvelles modalités de tournage offrent une profondeur inédite aux films d’animation, que les cinéastes peuvent investir et ajuster à leurs désirs au même titre (si ce n’est plus) que lors d’un tournage avec des acteurs et des décors

Dans les années à venir, il sera impossible de reconnaître une image composée sur ordinateur d’une prise de vue réelle. véritables. Pierre Buffin, cofondateur de la société superstar mondiale des effets spéciaux Buf Compagnie (à l’origine notamment de l’effet bullet time de Matrix), confirmait dans une interview pour la revue Usbek & Rica : « Bientôt, on n’aura plus besoin de tourner. On fera de la saisie. Les acteurs viendront sur une scène de théâtre. Tout sera capté, et, à partir de ces données, on changera les mouvements de caméra, la lumière. On enverra des binômes pour capter des paysages, des cathédrales. » Si cette jonction entre cinéma d’animation et prise de vue réelle marque un changement radical dans notre rapport aux images, remettant sur le tapis la question de la vérité et de la crédulité (images réelles, virtuelles, ou bien les deux ?), elle nous permet avant tout de revenir à une définition originelle du septième art comme la simple projection d’images animées, quel que soit leur mode de création. Avis donc aux cinéastes en devenir : le cinéma de demain sera plus animé que jamais. • CORENTIN LÊ

LE FUTUR VU PAR… PHILIPPE FAUCON Le cinéma du futur ne pourra pas se regarder sur un téléphone portable (mais un téléphone portable peut avoir plein d’autres utilités : appeler pour parler de l’émotion qu’on a eue à voir un film, etc.).

Le cinéma du futur ne sera pas un produit d’appel pour vendre des bonbons ou du popcorn (c’est pour ça qu’il est recommandé par tous les diététiciens).

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Le cinéma du futur laissera quelque chose de profond chez le spectateur (à la différence de ce que l’on voit sur les écrans que l’on a oublié dès le lendemain).


ALI’N PRODUCTIONS ET LES FILMS DU NOUVEAU MONDE PRÉSENTENT

“UNE ODE AUX FEMMES DANS LE MAROC CONTEMPORAIN” THE NEW YORK TIMES

“UNE FRESQUE VIBRANTE ET INTIME ” VANITY FAIR

“UNE ŒUVRE POIGNANTE ” TÉLÉRAMA

LUBNA AZABAL

NISRIN ERRADI

UN FILM DE

Design : Benjamin Seznec / TROÏKA

MARYAM TOUZANI

AU CINÉMA LE 5 FÉVRIER


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DES FILMS DONT VOUS ÊTES LE HÉROS

Dans un rapprochement de plus en plus net avec le jeu vidéo, le cinéma tend vers plus d’interactions entre le spectateur et l’œuvre projetée. Fin 2018, l’épisode Bandersnatch de la série dystopique Black Mirror sort sur Netflix. Pouvant s’étaler sur cinq heures, il propose une narration interactive sur un ado brillant qui veut adapter un « livre dont vous êtes le héros » en jeu vidéo. Sur son écran, le spectateur se voit régulièrement proposer plusieurs options pouvant influencer le déroulement du récit-noyau (il lui suffit de cliquer sur celui de son choix) : Stefan devrait-il manger des céréales Frosties ou Sugar Puffs ? prendre son médicament ou le jeter dans les toilettes ? S’il tourne vite en rond, l’exercice, qui s’inscrit dans la lignée de la littérature d’anticipation (George Orwell, Aldous Huxley…), est intéressant parce qu’il bouleverse l’un des rares éléments qui n’a pas changé d’un pouce depuis l’invention du cinématographe : la passivité du spectateur, assis immobile face à l’écran. Dans la même idée, plusieurs webdocumentaires et fictions interactives ont émergé ces dernières années sur la Toile. Citons l’exemple français Wei Or Die (2015) de Simon Bouisson, une fiction captivante qui invite l’internaute à faire sa propre enquête sur le meurtre d’un lycéen. Les images filmées sur smartphones, appareils photos ou caméras de surveillance avant le meurtre sont disposées sur une timeline qui affiche tout en temps réel.

Le spectateur se voit proposer plusieurs options pouvant influencer le récit.

On peut ainsi laisser classiquement filer le film sur 45 minutes ou prendre l’enquête à bras-le-corps en cliquant sur les images de nos choix afin de reconstituer l’histoire. Jusqu’ici cantonnées à la sphère domestique et à un usage individuel, ces expériences interactives atteindront bientôt les salles de cinéma. « S’il y a une vraie tendance à suivre, c’est ça », prédit Nathanaël Karmitz, directeur général de mk2, société éditrice de TROISCOULEURS. « Les studios américains misent beaucoup sur une nouvelle technologie, développée par la société suisse CtrlMovie. » Le Français Alexandre Aja (Piranha 3D, 2010) l’utilisera par exemple pour un film, produit par Steven Spielberg, qui nous fera évoluer dans une maison hantée. Les spectateurs seront invités à télécharger sur leur téléphone une application qui enregistrera leurs votes pour guider en direct, pendant la séance, les personnages. L’expérience rappelle celle de Francis Ford Coppola pour son projet Distant Vision, un film en live cinema (tourné, monté et diffusé en direct) sur lequel

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LE FUTUR DU CINÉMA

« Je pense que le cinéma dans le futur va garder sa forme, à savoir une salle, un écran, des fauteuils, le noir et un public. Pour moi, toutes les innovations technologiques, 3D, 4D, réalité virtuelle, ce sont d’autres manières de profiter d’un spectacle. L’extraordinaire force du cinéma en tant que médium, c’est qu’il n’a pas bougé depuis sa création. Pour le futur, c’est ce qui va faire sa singularité. Je ne pense pas qu’il soit vieux et figé, il y a une incroyable vivacité dans le renouvellement des cinématographies. Je vois vraiment les films comme des expériences de mise en scène, avec un côté organique, charnel. Personnellement, j’ai envie de creuser le film de genre, à partir duquel on peut réinventer des formes, et le faire de manière assez extrême. Et mon but, c’est que mes films continuent d’être vus au cinéma, car je les pense pour ce médium. »

il a travaillé entre 2015 et 2016. Interrogé en mars dernier par le magazine Rolling Stones à propos du cinéma de demain, le réalisateur du Parrain s’est vanté de pouvoir lire l’avenir avant d’évoquer son livre, Live Cinema and Its Technique, issu de cette expérience résolument hybride. Mais pour imaginer à quoi ressemblera l’expérience du spectateur de demain, on peut aussi s’inspirer des films de science-fiction. Et si, comme le héros

de Blade Runner 2049 (Denis Villeneuve, 2017) qui fait apparaître l’hologramme de la femme de ses rêves dans son salon pour interagir avec elle, l’avenir nous permettait de convoquer les personnages d’un film pour les voir jouer une scène où bon nous semble ? On pourrait ainsi interagir avec nos idoles en cuisinant un pot-au-feu. • JOSÉPHINE LEROY

LE FUTUR VU PAR… HAFSIA HERZI « Toutes les trois semaines, il y a de nouvelles caméras qui sortent, et elles sont de plus en plus surprenantes. Aujourd’hui, on peut avoir des caméras cachées dans des stylos, alors demain !… Avec les effets spéciaux, on fera des trucs incroyables, on peut imaginer des travellings vus du ciel en voitures volantes. Bon, je suis contre les robots chef op ou acteurs, parce qu’il faut que les gens puissent travailler… Mon prochain long métrage, Bonnes mères, je prévois de le tourner au printemps à Marseille, parce que j’aime les couleurs de la ville à cette période. Je suis une adepte des lumières naturelles, ça porte plus d’émotion. Or je pense qu’à l’avenir on pourra tout filmer sans s’inquiéter des sur ou sous-expositions – on peut déjà compter sur le seul éclairage d’une bougie ou d’un briquet. J’aime cette souplesse et je suis impatiente de la voir évoluer. »

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BOBINES

LE FUTUR VU PAR… CORALIE FARGEAT


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50 % DE RÉALISATRICES Il y aura bientôt plus de femmes derrière les caméras, promesse réjouissante d’un renouvellement des imaginaires et des représentations. Les récentes accusations d’Adèle Haenel contre Christophe Ruggia (qu’il dément), son appel à une prise de conscience collective concernant les violences faites aux femmes dans le milieu du cinéma, ont ouvert un débat dans l’espace public. En ne pointant pas simplement du doigt son agresseur, mais en remettant en cause la responsabilité de tout un système inégalitaire et oppressif (« Les monstres, ça n’existe pas. C’est notre société. C’est nous, nos amis, nos pères. C’est ça qu’on doit regarder », a-t-elle déclaré dans un live de Mediapart le 4 novembre dernier), l’actrice a fait résonner

Viser la parité, c’est s’assurer que les récits des femmes feront bouger le regard que l’on porte sur elles. cette idée : viser la parité, c’est rendre la parole des femmes audible, s’assurer que leurs récits feront bouger le regard que l’on porte sur elles. S’il veut se traduire à l’écran, ce combat doit commencer sur les plateaux de tournage – rappelons que le cinéma est aujourd’hui une industrie majoritairement masculine, qui compte seulement 23 % de réalisatrices, cantonnées à des budgets moyens inférieurs de 36 % à ceux des films réalisés par des hommes (selon l’étude « La parité derrière la caméra »

LE FUTUR VU PAR… RICHARD LINKLATER « Je ne crois pas que le cinéma changera autant que les gens se l’imaginent. On fantasme sur l’idée que la réalité virtuelle est l’avenir du cinéma parce qu’on peut désormais faire un film avec James Dean et Marilyn Monroe en recréant des images d’eux, mais ça ne remplacera jamais le rapport privilégié qu’a un réalisateur avec son acteur. Je ne nie pas l’utilité des nouvelles technologies, mais l’essence du cinéma, c’est de raconter des histoires, et la technologie n’est là que pour nous y aider. Martin Scorsese a utilisé le de-aging [procédé visant à rajeunir un personnage en lissant ses traits par ordinateur, ndlr] pour les personnages de The Irishman [dont Robert De Niro, ndlr], mais même sans ça je suis persuadé qu’il aurait trouvé un moyen de raconter son histoire. »

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LE FUTUR DU CINÉMA du Collectif 50/50) et gagnant 42,3 % de moins que leurs homologues masculins (dixit l’étude du CNC « La place des femmes dans l’industrie cinématographique et audiovisuelle », publiée en mars 2019). Comment atteindre l’égalité ? Parmi les initiatives qui vont faire bouger les choses, on peut citer l’instauration, en janvier 2019, d’un bonus du CNC (égal à 15 % du soutien accordé à un film par cet organisme) appliqué si l’équipe compte au moins autant de femmes que d’hommes dans les principaux postes d’encadrement – 29 longs métrages en ont déjà profité. Imaginer un monde où les femmes seraient autant derrière la caméra que les hommes, c’est imaginer un cinéma qui ne soit plus dominé par le male gaze – d’après le concept de Laura Mulvey selon lequel le regard masculin hétérosexuel est hégémonique dans notre culture visuelle –, mais dans lequel un female gaze, entendu comme un contre-pouvoir libérateur et inclusif, pourrait émerger. Virginie Despentes a résumé mieux que personne cette révolution en marche dans le podcast Les couilles sur la table, en septembre dernier : « Si Kechiche veut faire un film ultra macho sur sa libido, moi je trouve ça génial. Mon problème, c’est pourquoi il n’y a pas l’équivalent, en face, d’un “Kechiche meuf” ? » On prédit aussi l’avènement d’un « Tarantino meuf », d’un « Michael Bay meuf » et d’un « James Cameron meuf » dans les années à venir. • LÉA ANDRÉ-SARREAU

LE FUTUR VU PAR… DANIELLE ARBID

« LE CINÉMA ACCOMPLIRA CE QUE LE CAPITALISME AVEC UNE INLASSABLE APPLICATION ESSAIE DE TUER : NOTRE DÉSIR DE TRANSFORMER NOTRE VIE RÉELLE EN MYTHE, NOTRE QUOTIDIEN EN RÊVES, ET NOS RÊVES EN RÉALITÉ… » DANIELLE ARBID, PASSION SIMPLE, 2020 ADAPTATION DU ROMAN D’ANNIE ERNAUX AVEC LAETITIA DOSCH ET SERGEI POLUNIN

DE NOUVEAUX FUTURS

classique de la SF, qui travaille plutôt notre relation avec la nature », ou encore Les Testaments de Margaret Atwood qui, par opposition à son désormais classique La Servante écarlate (transposé en série télévisée) dans lequel elle décrivait une dystopie atroce, rappelle avec cette suite que « quand un système politique est bête et dangereux, il finit par s’écrouler sur lui-même ». Si les questions d’écologie dominent sans surprise la scène postapocalyptique de la SF contemporaine dans des scénarios d’effondrement, quelle sera donc la prochaine étape ? Fogel innove déjà dans son livre en brouillant la traditionnelle partition utopie-dystopie. À ce propos, l’auteur Norbert Merjagnan (Les Tours de Samarante) confiait en 2018 à la revue Usbek et Rica réfléchir avec l’écrivain Alain Damasio à de nouvelles catégories plus poreuses tout en invoquant le besoin de sortir d’une science-fiction forcément alarmiste : « Dans les sciences cognitives, de plus en plus de recherches montrent que l’humain est fait pour le lien social », se justifiait-il. L’optimisme, l’avenir de la SF ? • QUENTIN GROSSET

Comment les auteurs et cinéastes de science-fiction de demain vont-ils réinventer un imaginaire du futur balisé ? Pour Benjamin Fogel, auteur du roman virtuose La Transparence selon Irina imaginant une société de 2058 dans laquelle les données personnelles de chacun sont accessibles publiquement, le champ des possibles est encore large. « Il suffit de modifier un petit paramètre du monde actuel pour créer un futur complètement différent. » L’auteur cite d’ailleurs plusieurs œuvres qui ont marqué l’année 2019 par leur faculté à inventer de nouveaux récits de science-fiction : par exemple Les Furtifs d’Alain Damasio, « un contre-pied à l’hybridation entre l’homme et la machine, 41


EN COUVERTURE

BOBINES

LA FIN DES STARS ? Hologrammes de vedettes décédées, personnages entièrement créés numériquement, deepfakes… à mesure que la technologie progresse, les acteurs semblent de moins en moins sacralisés – ou est-ce le contraire ? Terry Notary, Andy Serkis : ces acteurs sont des superstars du cinéma hollywoodien ; et pourtant, leur visage est pour ainsi dire inconnu du public. C’est qu’ils ont interprété leurs plus grands rôles en capture de mouvements, prêtant leur gestuelle et leurs expressions faciales à des créatures façonnées numériquement : le chimpanzé Rocket dans les trois volets de La Planète des singes ou King Kong dans Kong. Skull Island pour le premier ; Gollum dans la trilogie du Seigneur des anneaux ou encore le capitaine Haddock dans le Tintin de Steven Spielberg pour le second. Ces idoles de l’ombre le montrent bien : au contact des progrès technologiques, le statut des stars est en train de changer. Jusqu’où ? On peut aujourd’hui facilement rajeunir ou vieillir numériquement le visage d’un acteur, et même le ressusciter, à l’image des hologrammes et doubles numériques d’acteurs décédés – Marilyn Monroe dans Blade Runner 2049, Peter Cushing dans Rogue One, et bientôt James Dean, ressuscité (avec l’accord de sa famille) à partir d’image d’archives dans un film prévu pour 2020, Finding Jack. Les stars sont mortes, vive les stars ? Pour le sociologue Gabriel Sergé, « les nouvelles technologies prolongent les techniques plus traditionnelles de construction de la postérité, comme les écrits biographiques, les rétrospectives, les expositions. Elles contribuent ainsi à la sacralisation de la vedette. » Ce qui se joue ici, c’est aussi le fantasme d’éternité du cinéma, qui depuis ses débuts fige (vole ?) le visage des acteurs.

LE FUTUR VU PAR… VIRGIL VERNIER

« UN DRAGON ARC-EN-CIEL QUI DÉVORE LE MONDE. »

Ce qui se joue, c’est aussi le fantasme d’éternité du cinéma, qui depuis ses débuts fige (vole ?) le visage des acteurs. Et après ? On peut supposer que la tendance va se poursuivre, on peut aussi parier sur l’émergence de stars du cinéma entièrement virtuelles – une récente étude menée par HypeAuditor a révélé que les influenceurs virtuels d’Instagram (comme lilmiquela et son 1,8 million d’abonnés) suscitent beaucoup plus d’engagement que leurs homologues de chair et de sang, particulièrement auprès des 18-24 ans. On peut aussi supposer que les technologies vont continuer à se démocratiser, comme en témoigne le succès de l’application chinoise Zao, lancée en août 2019, qui permet de « coller » le visage d’un acteur sur le sien (et inversement) selon la technique du deepfake, avec un réalisme troublant – voir la vidéo fascinante du youtubeur Ctrl Shift Face qui remplace le visage de Robert De Niro par celui d’Al Pacino dans Taxi Driver. Pour Gabriel Sergé, « le deepfake ne me paraît pas annoncer le déclin des stars. Je pense qu’il conduit surtout à se méfier plus encore des images, celles-ci pouvant faire l’objet de manipulations qu’on ne peut plus déceler à l’œil nu. Cette défiance n’est pas nouvelle, mais elle ne fait que croître. » Plus que de la disparition des stars, qui devraient continuer de se démultiplier et d’étendre leur influence, c’est peut-être de cette défiance du public à l’égard des images dont il faudra à l’avenir se préoccuper. • JULIETTE REITZER & LÉA ANDRÉ-SARREAU

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Une comédie romantique délirante à la Tarantino

crédits non contractuels

Hollywood Reporter

LE 1ER JANVIER journal japonais オヴニー・パリの新聞

www.ovninavi.com


BOBINES

MOTS CROISÉS

MARINS PÉCHEURS Avec The Lighthouse, film en noir et blanc fou et formellement hypnotique, l’Américain Robert Eggers (The Witch, 2015) signe un conte l’histoire de deux gardiens de phare (un jeune novice taciturne, joué par Robert Pattinson, et un vieux loup de mer alcoolique, incarné par Willem Dafoe) qui succombent à la démence dans la Nouvelle-Angleterre de la fin du xixe siècle. Oscillant entre le tragique et le trivial, le film convoque la littérature fantastique anglophone de l’époque et la mythologie grecque. On a voulu faire réagir le cinéaste à quelques citations qui font rejaillir tout un imaginaire marin. • JOSÉPHINE LEROY — PHOTOGRAPHIE : PALOMA PINEDA 44


ROBERT EGGERS Neptune. Poe était un anglophile. On le sent quand il décrit ces phares à l’architecture cylindrique, typiquement anglais et écossais. Des espaces confinés dans lesquels on peut facilement devenir fou. Avec Jarin Blaschke [chef opérateur du film, ndlr], on en a visité pas mal et on a vécu des expériences troublantes. Parfois, en s’approchant de la lumière, on était comme hypnotisés. C’était important qu’on construise nous-mêmes ces décors, en particulier le phare. L’intérieur faisait deux mètres et demi de large. C’était minuscule. Mais comme c’est nous qui l’avons bâti, on a pu bouger des murs et placer la caméra là où on voulait. »

Quant à moi, je suis tourmenté par un éternel désir pour les choses éloignées. J’aime naviguer sur des mers interdites et fouler du pied les terres aux côtes barbares. Moby Dick de Herman Melville « Tous mes films, en incluant mes courts métrages, se passent dans des coins isolés. Ça doit venir de mon amour pour Shining de Stanley Kubrick. J’ai dû le regarder mille fois. Les films d’Ingmar Bergman aussi. La deuxième phrase fait vraiment écho à ce que j’ai vécu avec ce film. Je me suis senti en danger, et c’était très galvanisant. »

Tout l’océan du grand Neptune suffira-t-il à laver ce sang de ma main ? Non ! C’est plutôt ma main qui donnerait son incarnat aux vagues innombrables, en faisant de l’eau verte un flot rouge.

Tu devras attendre un long espace de temps / Avant de revenir à la lumière ; un chien ailé / De Zeus, un aigle imbibé de sang, taillera voracement / Dans ta chair de grands lambeaux de viande, / Sans être invité, il viendra participer à ce festin, / Il se repaîtra de ton foie noir.

Macbeth de William Shakespeare

Prométhée enchaîné d’Eschyle « J’ai lu ce livre plus jeune. Il y a effectivement des images très prométhéennes dans le film, avec ces mouettes qui tournent au-dessus d’hommes en perdition [dans le mythe antique, Prométhée vole le feu sacré de l’Olympe pour l’offrir aux humains. Puni par les dieux, il est attaché à un rocher et y subit un cruel rituel : chaque jour, un aigle vient dévorer son foie, qui se reforme pendant la nuit, ndlr]. Plus spécialement une scène, à la fin. C’est drôle, parce que j’avais l’impression de l’avoir complètement inventée, mais, en lisant ça, on dirait que j’ai tout puisé là-dedans. L’idée d’un monde à mi-chemin entre les hommes et les dieux, entre un Prométhée et un Poséidon, m’intéresse beaucoup. »

Tout ce que nous voyons […] n’est-il qu’un rêve dans un rêve ? « Un rêve dans un rêve », Contes inédits d’Edgar Allan Poe « Quand j’étais en plein dans mes recherches, j’ai appris qu’il existait un texte d’Edgar Poe intitulé The Lighthouse [Le Phare en français, dernier texte de l’écrivain américain, inachevé, ndlr]. Dans la nouvelle, un gardien de phare s’isole du reste de l’humanité avec son chien,

« Je me sens très à l’aise dans le monde de l’anglais élisabéthain [la langue anglaise pratiquée principalement pendant la Renaissance, et notamment dans les œuvres du théâtre élisabéthain, ndlr]. J’ai essayé de recréer ce monde shakespearien et miltonien [adjectif tiré du nom du poète anglais John Milton, ayant écrit de nombreux textes épiques au xviie siècle comme Le Paradis perdu, ndlr]. »

Si vous continuez à boire du rhum comme vous le faites, le monde sera bientôt débarrassé d’un triste chenapan !… L’Île au trésor de Robert Louis Stevenson

« Le film est chargé en alcool, qui devient le catalyseur de toute l’énergie érotique et la violence contenues. Ça permet au récit d’avoir un côté prosaïque. Je me suis bien amusé à écrire le personnage de Thomas Wake [joué par Willem Dafoe, ndlr]. Peut-être même un peu trop : on a dû couper des dialogues, parce que Robert [Pattinson, ndlr] avait des fous rires. »

— : « The Lighthouse » de Robert Eggers, Universal Pictures (1 h 49), sortie le 18 décembre

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INTERVIEW

BOBINES

DAME DE CŒUR

Dans Notre dame, la cinéaste (La guerre est déclarée, Marguerite et Julien) campe le premier rôle – celui de Maud Crayon, une quadra enjouée qui gère de front un projet faramineux de réaménagement du parvis de Notre-Dame de Paris, des enfants en bas âge, un ex perplexe et un nouvel amoureux. Sautillant sans entrave du burlesque au fantastique, de la comédie musicale à la satire et à la romance, ce film joueur, libéré de tous les carcans, arrive à point pour réenchanter Paris et le cinéma français. 46


VALÉRIE DONZELLI

C’est plus que ça, je ferme une boucle, un cycle de dix ans de films. Mon premier long métrage, La Reine des pommes, est sorti en 2009, et j’avais envie de rejouer le premier rôle dans un film, mais cette fois en complexifiant l’histoire et la mise en scène. C’est mon cinquième film, et je crois que j’ai peut-être plus confiance en moi. L’héroïne de Notre dame gagne un concours d’architecture et se retrouve à la tête d’un budget de 121 millions d’euros ; puis, finalement, bing ! il n’y a plus rien. J’ai eu moi-même un parcours particulier dans le cinéma ; j’ai fait La guerre est déclarée, qui a été un succès qui m’a totalement dépassée, et puis après j’ai fait Marguerite et Julien, qui a été un échec qui m’a aussi dépassée. J’avais besoin de parler de tout ça ; de la vie d’une femme quadragénaire… et puis d’enfoncer un peu le clou de la comédie, et des films que j’aime, qui ne sont pas collés à une réalité, qui ne sont pas naturalistes, qui s’autorisent des choses. On est peu habitués à autant de fantaisie dans le cinéma français, à part chez des cinéastes comme Pierre Étaix ou Jacques Tati. Vous vous situez dans quel héritage ? J’aurais peur que ce soit prétentieux, mais mes inspirations ce sont évidemment les films de Jacques Tati, Buster Keaton, Charlie Chaplin, François Truffaut, Jacques Demy, Woody Allen… Après, j’adore Alfred Hitchcock aussi, mais je ne pense pas avoir cette maîtrise de mise en scène. Je suis plus dans quelque chose d’artisanal. Comment naît le comique dans votre cinéma ? Ça commence par l’écriture ; les dialogues, les situations… Puis ça s’accentue par la mise en scène. Pour Notre dame, l’idée était vraiment de faire une comédie pure. Le film a été pensé comme une bande dessinée, il est très découpé, avec des gags vraiment burlesques. Vous êtes drôle dans la vie ? Je suis plutôt quelqu’un de joyeux, oui. Je ne suis pas l’exemple de la fille drôle dans les films mais sinistre dans la vie – il paraît que Louis de Funès n’était pas drôle du tout dans la vie. Je suis plutôt de bonne humeur, je suis contente de vivre. J’adore me lever le matin, commencer une nouvelle journée… Je veux vivre le plus longtemps possible.

Parmi les éléments burlesques, il y a notamment ces gifles que les personnages se prennent de la part d’inconnus, en pleine rue… Ça m’est arrivé il y a longtemps. C’était à 5 heures du matin sur les Grands Boulevards. Un mec m’a foutu une énorme baffe et j’ai fait un tour sur moi-même. Mais j’étais accompagnée d’une sorte de Bacchus [dans Notre dame, c’est le prénom de l’amour de jeunesse de Maud Crayon, qui ressurgit dans sa vie, ndlr] qui est allé les sermonner, et ils se sont excusés ! J’étais bluffée. Après j’ai fait un enfant avec cet homme. J’avais besoin, je pense, de réutiliser ça. Quand on fait des films, c’est un mélange de choses qu’on invente, de choses qui nous sont arrivées et puis de choses inconscientes qui resurgissent. La claque, c’est de la comédie en soi. Dans mon film, ça arrive de nulle part, c’est vraiment pour symboliser la tension qui règne. D’un coup, n’importe qui peut s’en prendre une. J’ai l’impression que, parmi tous vos films, c’est celui qui est le plus tourné vers son époque, les crises qu’elle traverse. Vous aviez envie d’adresser cela plus directement ? Je crois que tous mes films soulèvent des questions politiques ; en tout cas, on situe socialement les personnages. Là, j’avais envie de me réconcilier moi-même avec ma ville, qui a été très malmenée depuis 2015 avec les attentats. J’avais besoin de redonner à Paris sa noblesse en montrant ses plus beaux quartiers, les plus touristiques. Et en même temps, je voulais montrer sa violence. Je trouve que, depuis 2015, le climat a changé. Il y a aussi les problèmes de logement… La ville devient inaccessible pour la classe moyenne ; il ne reste plus que les gens très riches ou très pauvres. Maud, c’est la classe moyenne. Elle est architecte, mais elle n’a pas les moyens de prendre une nounou, donc elle mène tout de front. Si son ex est tout le temps chez elle, c’est aussi parce qu’il n’a pas les moyens d’avoir un appart pour accueillir leurs enfants. C’est

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Valérie Donzelli et Pierre Deladonchamps

BOBINES

Avec ce nouveau film, très libre, vous passez un cap ?


INTERVIEW tout ça qui est raconté dans le film, toute la complexité de vivre à Paris aujourd’hui.

BOBINES

Dès l’ouverture, le film est ponctué d’extraits radiophoniques qui, si on y prête attention, sont souvent savoureux. On a beaucoup ri à les écrire. Il y a un truc dont je suis très fière. Quand on a rencontré Anne Hidalgo pour lui parler du projet – on voulait tourner à l’intérieur de l’Hôtel de Ville, il fallait donc son accord –, elle m’a notamment parlé des appartements de fonction du maire de Paris. Je lui ai demandé ce qu’il y avait dedans, elle m’a répondu « rien », que c’est là où habitait Jacques Chirac à l’époque. 1 500 m² en tout ! Je suis rentrée chez moi et j’ai ajouté dans le scénario une brève radio dans laquelle il est dit que la maire de Paris décide d’accueillir les femmes et enfants de réfugiés dans les appartements de fonction. Après avoir lu le scénario, elle m’a dit : « Je vous ai piqué une idée : je vais ouvrir les appartements de fonction pour accueillir des migrants ! » Et elle l’a fait ! Elle était consciente qu’elle servirait de modèle à votre personnage de maire (jouée par Isabelle Candelier) ? Oui. Surtout, elle nous a donné les clefs de l’Hôtel de Ville ; dans le film, le bureau de la maire est vraiment celui d’Anne Hidalgo ! J’ai juste ajouté le portrait d’elle fait par un peintre que j’adore qui s’appelle Arthur Aillaud. Mais sinon, c’est sa déco. Pourquoi la question de l’art dans la ville – la pyramide du Louvre, les colonnes de Buren – vous intéresse-t-elle ? Avant le cinéma, j’ai fait des études d’architecture. Je trouve ça passionnant,

Isabelle Candelier et Philippe Katerine

le mélange entre le passé et le présent, qui de toute façon sera vite du passé… Ce qui m’intéressait, c’était aussi de dire qu’un échec ce n’est pas une vérité en soi. Avec le temps, on accepte des choses qu’on n’accepte pas au moment présent. Quand le chantier des colonnes de Buren a été arrêté, les gens venaient et donnaient leur avis, trouvaient ça immonde – je me souviens de mon père qui disait : « Mais qu’est-ce que c’est moche, ces trucs ! » Moi, je trouvais ça hyper beau, je ne comprenais pas. Mon premier court métrage, Il fait beau dans la plus belle ville du monde, je l’ai situé dans la cour d’honneur

Valérie Donzelli et Bouli Lanners

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VALÉRIE DONZELLI

du Palais-Royal, là où sont installées les colonnes de Buren. Je me suis inspirée aussi du concours de l’Opéra Bastille qu’avait fait Mitterrand. Il voulait démocratiser l’architecture et il avait donc lancé ce concours universel pour n’importe quel diplômé d’architecture. Il était persuadé d’avoir choisi le projet d’un grand nom, et en fait c’était un Urugayen pas du tout connu [Carlos Ott, ndlr]. Donc tout le monde a flippé, on lui a mis toute une équipe sur le dos, des ingénieurs structure, des architectes plus expérimentés, il n’a pas su maintenir son cap, le projet a été complètement déformé et il a fait un objet raté qui ne restera jamais dans l’histoire de l’architecture. Ensuite je trouvais que Notre-Dame de Paris était vraiment le meilleur endroit où imaginer greffer de la modernité et que ça fasse polémique. Bien sûr, au moment où on écrivait le film, on ne savait pas ce qui allait se passer. Comment avez-vous vécu l’incendie ? J’étais effondrée, d’abord parce que, quand on tourne dans un monument, on crée un lien privilégié avec, on a un peu l’impression qu’il nous appartient. Je suis allée voir tout de suite à vélo, j’ai eu peur qu’on ne puisse pas éteindre le feu, les flammes étaient impressionnantes. J’ai pensé que Notre-Dame allait disparaître, je ne me suis couchée que quand on a su que les flammes étaient maîtrisées. Mais j’étais aussi très embêtée pour mon film !

Vous en étiez où du film ? Vous avez modifié des choses suite à l’incendie ? J’avais fini le montage image. Ensuite, rapidement, on a appris qu’il y avait un appel d’offres lancé pour reconstruire la flèche, avec des premières polémiques sur est-ce qu’il faut faire de l’ancien ou du moderne… C’était l’horreur, j’ai fini par ne plus rien vouloir savoir sur cette histoire, ça m’angoissait trop. Je n’ai rien changé au film. J’ai hésité sur le titre, j’avais très peur qu’on puisse penser que je suis opportuniste. Mais changer le titre, ça aurait été comme changer le prénom de mes enfants ; impossible. Le projet s’est toujours appelé Notre dame, avec un d minuscule, parce que Maud Crayon, c’est la dame de tout le monde. Votre cinéphilie s’est construite comment ? Petite, le cinéma était présent chez vous ? Non, pas du tout. Moi, j’habitais en grande banlieue, donc le cinéma c’était pas évident. Le premier film que j’ai vu au cinéma, c’était E.T., au centre commercial Belle Épine [dans le Val-de-Marne, ndlr]. J’avais 7 ans et je m’en rappellerai toute ma vie. Je me souviens de la couleur des fauteuils, de tout. C’était ma première émotion, la première fois que je pleurais au cinéma. C’est un chef-d’œuvre absolu, je pense que c’est le film que j’ai le plus vu. C’est vraiment mon film préféré. Pourquoi ? Parce que c’est un film qui connecte directement avec l’enfance. D’ailleurs,

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BOBINES

« La claque, c’est de la comédie en soi. Dans mon film, n’importe qui peut s’en prendre une. »


INTERVIEW

BOBINES

« J’avais envie de me réconcilier avec ma ville, malmenée depuis 2015 avec les attentats. » j’ai réalisé il n’y a pas longtemps que E.T. est un enfant. Je ne l’avais pas compris quand j’étais petite, parce qu’il a une tête de vieux. Mais en fait, c’est un enfant qui a fait une connerie, qui s’est perdu, c’est pour ça qu’ils se comprennent avec Elliott. C’est magnifique. C’est parce que vous n’êtes pas une « vraie » Parisienne que vous filmez Paris comme une ville rêvée ? Oui, c’était mon rêve d’habiter à Paris. D’ailleurs, c’est pour ça que j’ai choisi des études d’architecture, parce que je ne pouvais les faire qu’à Paris. Je suis venue à Paris pour ça, et aussi parce que j’étais amoureuse d’un Parisien. Je suis arrivée à 19 ans, j’habitais rue de la Tour dans une chambre de bonne au 7 e étage, et j’étais la plus heureuse du monde. Dans une scène, Maud Crayon, effondrée par l’échec de son projet architectural, entend à la radio une féministe évoquer son cas ; excédée, elle coupe le son. Pourquoi cette réaction ? Ce que dit exactement la personne à la radio, c’est : « Le problème qui concerne Maud Crayon concerne toutes les femmes. Nous sommes dirigés par des petits bureaucrates en cravate qui, quand ils ne sont pas condamnés pour abus sexuels, se vengent en écrasant les femmes qui réussissent. » Il faut savoir que le film, je l’ai écrit en 2016 et 2017, avant #MeToo, avant Adèle Haenel. C’est vrai qu’aujourd’hui on m’en parle beaucoup de

cette phrase, on me demande où je me situe dans le féminisme, et je comprends qu’on peut ne pas très bien l’interpréter, ce qui m’embarrasse un peu. En gros, Maud Crayon ne veut pas qu’on réduise son échec au fait qu’elle est une femme. Pour moi, le film était justement tellement féministe que je pouvais me permettre de nuancer. Par exemple, à un moment, la fille de Maud Crayon lui demande : « Pourquoi c’est les femmes qui font tout ? » Cette question, ma fille me l’a posée, et je n’ai pas su quoi lui répondre ! Je pense qu’il faut à la fois éduquer les hommes à remettre en question les clichés sur la virilité, mais aussi changer les modèles qu’on propose aux petites filles. Parfois, je me rends compte que je dis à ma fille [elle a une fille et deux garçons, ndlr] : « Rebecca, viens m’aider ! » C’est complètement absurde. Et elle me voit faire – je suis une femme, et le fait est que je fais tout chez moi. Mon petit garçon, le dernier, met la table, débarrasse, fait le ménage, et il a autant de poupées que de voitures. Mais c’est tout un système qu’il faut réussir à bousculer. • PROPOS RECUEILLIS PAR JULIETTE REITZER PHOTOGRAPHIE : JULIEN LIÉNARD

— : « Notre dame » de Valérie Donzelli

Ad Vitam (1 h 30), sortie le 18 décembre

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aron c s e l il G e d che à la recher

NUIT2CHINE. pHoTos ©foNdaTIoN gIllEs CaroN

arCHIpEl 33 présENTE

Écrit par Produit Par

denis Freyd

agnès Bruckert Hélène louvart (a.F.c.) karine aulnette Martin sadoux, raPHaël girardot, natHalie vidal Mila Preli doMinique Massa Juliette sol yaël vidan cédric ettouati arcHiPel 33 centre national du cinéMa et de l’iMage aniMée diaPHana Mk2 FilMs la Fondation gilles caron Fonds d’aide à l’innovation audiovisuelle du centre national du cinéMa et de l’iMage aniMée Mk2 FilMs distriBution diaPHana Montage

directrice de Production

en association avec

Mariana otero en collaboration avec JÉrôMe tonnerre

et

iMage

assistante réalisatrice

en Partenariat avec

son

directeur de Post-Production

une Production

décors

avec la ParticiPation du

ce FilM a BénéFicié du

ventes internationales

le 29 Janvier au cinÉMa /diaphana

@diaphana diaphana.fr

Musique originale


PORTRAIT

BOBINES

EN FAMILLE

En deux rôles forts, elle a imposé son charisme hallucinant : dans The Young Lady de William Oldroyd (2017) et dans Midsommar d’Ari Aster (2019), Florence Pugh campe des héroïnes pugnaces et résilientes. L’Anglaise de 23 ans, qui partage l’affiche avec Saoirse Ronan dans Les Filles du docteur March de Greta Gerwig (sortie le 1er janvier) et avec Scarlett Johansson dans Black Widow de Cate Shortland (le 29 avril), a toujours su bien s’entourer. 52


FLORENCE PUGH la bouche tordue de désespoir, avec ses larmes et sa couronne de fleurs : c’est ainsi, sur l’affiche de Midsommar d’Ari Aster, que le visage poupon de Florence Pugh a marqué notre été. Cette image en tête, on est un peu surpris en découvrant son ton léger et ses élans chaleureux au téléphone quand elle nous appelle depuis Oxford, la ville anglaise où elle est née – elle est maintenant installée à Londres, mais voyage beaucoup pour sa carrière, qui a décollé en flèche. Si elle s’est fait connaître par des rôles de grandes torturées, elle n’est certainement pas allée puiser dans son enfance pour les composer. « J’ai vécu avec mes parents et mes deux sœurs en Andalousie jusqu’à mes 6 ans, lance-telle de sa belle voix grave. Je me souviens de la sensation de monter dans les arbres, de me jeter dans la mer, de courir dans le sable… On peut dire que c’était une enfance merveilleuse. » De retour en Angleterre, elle commence le théâtre et se passionne pour les accents, encouragée – comme son frère, Toby Sebastien, qui joue la comédie

qui semblent davantage faire écho à sa personnalité. Quand on lui parle de son rôle d’ado qui se lance dans le catch avec son frère dans Une famille sur le ring (sorti en V.O.D. cette année en France), elle n’invoque qu’une source d’inspiration. « J’ai passé mon enfance à me battre avec mon frère et à le mordre. Il a huit ans de plus que moi. Faire ce film m’a comblée de joie, j’ai enfin pu gagner symboliquement contre lui », exulte-t-elle. On l’imagine tout aussi proche du tempérament de son personnage dans le vibrant et tourbillonnant Les Filles du docteur March de Greta Gerwig. Elle y est l’enjouée et secrètement sensible Amy, qui provoque sans arrêt sa sœur Jo (Saoirse Ronan) et leur prétendant Laurie (Timothée Chalamet). À voir ses rôles de femmes fortes et les réalisatrices et actrices qui l’entourent depuis le début de sa carrière (Laura Dern et Meryl Streep sont du film de Gerwig), on se dit que Florence Pugh pourrait bien être la figure de proue d’une nouvelle génération d’actrices fières et libres, qui ont pris pour argent comptant tout ce qui avait

Florence Pugh pourrait bien être la figure de proue d’une nouvelle génération d’actrices fières et libres. et chante – par des parents très versés dans l’art. À 17 ans, elle décroche son premier rôle dans le drame The Falling de Carol Morley (2014) et se fait remarquer par la critique avec ce personnage de rebelle influente étouffée par les conventions dans un lycée pour filles. Mais c’est son deuxième film, The Young Lady (2017), qui fait éclater son talent au grand jour. Elle y crève littéralement l’écran, en jeune femme à qui un mariage forcé et une séquestration ont fait perdre toute pitié, dans l’Angleterre rurale du xix e siècle. « C’est très noir, mais il faut s’imaginer ce que c’était que d’être une femme à cette époque. Pour moi, elle est sa propre sauveuse, même si elle en passe par le meurtre. »

CHEFFE DE MEUTE

Du haut de son mètre soixante-deux, elle a tenu cette année sur ses solides épaules le rôle de l’héroïne qui perd tout puis se relève dans le sidérant film d’horreur ensoleillé Midsommar, qui explore finement les notions d’amour et de toxicité dans les communautés – familiale, amicale et spirituelle. Elle excelle tout autant dans deux autres films récents, plus lumineux,

été promis à la précédente. « J’ai débarqué dans l’industrie du ciné il y a seulement six ans. Je ne sais pas si c’est parce que j’ai fait les bonnes rencontres, mais pour moi ça n’a pas été horrible. Hollywood a encore du chemin à faire, mais la parole circule enfin. Cela dit, il ne faut pas que la discussion s’arrête aux femmes. Certains de mes amis acteurs ne sont pas pris pour des rôles parce qu’ils ne sont pas beaux et musclés, il y a des injonctions pour eux aussi. » Sur son Instagram, on trouve quelques photos glamour sur des tapis rouges, mais surtout des selfies d’elle grimaçante. « J’ai toujours été comme ça, je viens d’une famille bruyante, où tout le monde chante, danse et rigole fort. L’image artificielle, ça m’angoisse. » Après la promo du blockbuster Black Widow, elle vise simplement les vacances. En famille, évidemment. • TIMÉ ZOPPÉ

— : « Les Filles du docteur March » de Greta Gerwig, Sony Pictures (2 h 15), sortie le 1er janvier

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BOBINES

Seule,


BOBINES

INTERVIEW

DU CŒUR À L’OUVRAGE

À 88 ans, il vient de publier Ateliers, un livre dans lequel il narre avec passion et malice des morceaux de sa vie ahurissante. Jean-Claude Carrière, romancier, dramaturge et coscénariste de Luis Buñuel, Jonathan Glazer, Pierre Étaix ou encore Volker Schlöndorff, nous a ouvert les portes de son hôtel particulier à Pigalle. Un endroit aussi chargé d’histoire que lui, idéal pour revenir sur la carrière sans pareille de cet inépuisable et sémillant créateur. 54


Au

sud de Pigalle se niche une cour à la végétation luxuriante, havre de paix protégé de l’agitation des rues commerçantes alentour. Pas étonnant qu’on y trouve la maison de Jean-Claude Carrière, lui qui a besoin de tranquillité pour écrire. Pour écrire, mais pas pour vivre : à peine nous a-t-il accueillies, s’excusant de ne plus être véloce à cause de son arthrose, qu’il est déjà en train de crapahuter dans toutes les pièces pour trouver l’endroit où notre photographe pourrait tirer son portrait – et aussi, on le devine, pour le plaisir de nous raconter des histoires. Sa demeure ? Une ancienne maison close qui a abrité, au dernier étage, l’atelier de Toulouse-Lautrec. Sur le palier, Carrière s’arrête, prend la pose : « Jeanloup Sieff est venu un jour, il a pris une unique photo de moi ici, et il est reparti. Elle était bonne. » Les souvenirs remontent de partout : dans l’entrée, son portrait en bleu, peint par son ami Julian Schnabel ; dans le salon, celui, majestueux, de son épouse, la femme de lettres iranienne Nahal Tajadod ; le petit carlin qui s’agite entre nos pieds est prénommé Angie, en hommage à sa grande amie Angie Dickinson (actrice dans Pulsions de Brian De Palma, 1981) ; dans le vaste escalier d’architecte, au centre, il repense à son amitié avec Robert Doisneau, qui l’y a tant photographié ; dans son bureau au sous-sol, une photo légendaire : lui, Luis Buñuel, George Cukor, Alfred Hitchcock, William Wyler, Billy Wilder, entre autres… (« Aujourd’hui, l’original vaut une fortune. Jamais ces gens ne s’étaient tous réunis, c’était l’Olympe ! ») ; un vestibule dont les murs sont recouverts de masques et de peintures mexicains le lance sur ses innombrables voyages avec Buñuel. Un intérieur à l’image de Jean-Claude Carrière : foisonnant, généreux, qui attise la curiosité sans jamais se départir d’un humour et d’une joie de vivre hors du commun. Vous n’êtes pas fatigué ? Ah ! mais dès que vous serez partie, je serai au boulot ! J’adore ça. Quand je suis malade, grippé, fatigué, je me mets devant l’ordinateur et ça y est, je vais mieux. Comment avez-vous découvert le cinéma, enfant ? Je suis de l’origine la plus modeste possible, la toute petite paysannerie qui ne peut plus vivre aujourd’hui. Quand j’avais 8 ou 9 ans, mes parents m’ont emmené voir un film de Marcel Pagnol près de mon village de l’Hérault. J’ai été fasciné de découvrir des images en mouvement. Chez moi, il n’y avait pas une image et pas un livre,

et j’ai finalement passé ma vie dedans… Pendant la guerre, grâce à mon institutrice, j’ai décroché une bourse qui a permis de me mettre dans un collège religieux. On avait le cinéma tous les dimanches, que des films français et allemands. J’ai vu ceux de Fritz Lang, ça a été un choc. J’ai revu Metropolis dix fois par la suite. En avril 1945, mes parents ont dû venir gérer un café à Montreuil-sous-Bois ; la guerre se terminait le mois suivant. Tout le cinéma américain a débarqué. C’était aussi l’année des Enfants du paradis – on le connaissait par cœur –, et je me suis tout de suite inscrit à la Cinémathèque. Vous avez réalisé quelques courts métrages, mais jamais de long. Pourquoi ? Parce qu’au moment où vous devenez metteur en scène de cinéma, vous ne pouvez plus rien faire d’autre. Ni écrire de livres – vous ne serez pas considéré comme un écrivain –, ni de pièces de théâtre, ni de chansons. Bon, j’ai tout de même coréalisé un court métrage qui a eu l’Oscar en 1962, Heureux anniversaire, avec Pierre Étaix – à l’époque, je ne savais même pas ce qu’était un Oscar. À 20 ans, j’étais normalien, tout me destinait à l’enseignement. Vers 25 ans, ma vie a été coupée : vingt-neuf mois de service militaire, la moitié en Algérie. Au moment où on a la plus grande vitalité… Je suis revenu, j’avais presque 30 ans. C’est avec Étaix que j’ai redémarré. Vous avez commencé le cinéma dans un registre comique burlesque avec Étaix et Jacques Tati. Ça vous a manqué par la suite, cette forme d’humour ? Oui, je la garde au cœur. Les années 1920 du cinéma américain, le slapstick, c’est peut-être ce qu’il y a de plus beau dans l’histoire du cinéma. Étrangement, cette décennie correspond exactement au Surréalisme. Après la guerre de 1914-1918, il y avait un bouleversement du monde, quelque chose de commun. Après la Seconde Guerre mondiale, André Breton pleurait en se demandant « Comment peut-on encore scandaliser après Auschwitz ? » C’est allé tellement loin que toute espèce de provocation estudiantine paraissait ridicule, à côté. Dans votre livre, vous revenez sur le contexte de la création. Des voyages partout, des lieux mystérieux et isolés, de longues promenades… À quel point le cadre compte dans votre écriture ? Beaucoup. La solitude, ne pas être distrait par des visiteurs… J’ai toujours écrit

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BOBINES

JEAN-CLAUDE CARRIÈRE


© RUE DES ARCHIVES AGIP

INTERVIEW

BOBINES

Gérard Oury, Michèle Morgan, (non identifié), Jean-Pierre Cassel, Jean-Claude Carrière et Pierre Mondy à la première du Tambour (1979) de Volker Schlöndorff

comme ça : avec Étaix, avec Buñuel, même avec Shakespeare ! On n’était toujours que tous les deux. Quand je « travaillais » avec Shakespeare, je commençais à 7 heures du matin, et il venait s’asseoir à côté de moi pendant deux heures. Je faisais comme s’il me faisait des remarques. Pour certains scénarios, comme ceux du Charme discret de la bourgeoisie de Buñuel (1972) ou de la pièce Le Mahabharata, adaptée de la gigantesque épopée indienne et mise en scène par Peter Brook (1985), votre travail s’est étalé sur plusieurs années. Vous ne vous êtes jamais découragé ? Pour Le Mahabharata, une nuit, à 5 heures du matin, Peter m’a tendu la main et m’a dit : « Ça prendra le temps que ça prendra, mais on le fera. » Ça a pris onze ans. Personne d’autre au monde ne l’avait fait, même pas les Indiens. C’était la chose la plus difficile de ma vie, plus que Shakespeare. J’essayais de pénétrer une autre pensée par les mots. Heureusement, j’ai toujours été un gros bosseur. Vous avez coécrit des films comme Belle de jour (1967) et Cet obscur objet du désir (1977) de Luis Buñuel ou Max mon amour de Nagisa Ōshima (1986) avec d’autres hommes alors qu’ils sont centrés sur les désirs de femmes. Comment avez-vous procédé pour bâtir un regard juste ? Je doute que les désirs des hommes et des femmes soient différents, il y a beaucoup plus de ressemblances qu’on ne le croit. Mais pour Belle de jour, étant deux hommes, on pensait ne pas pouvoir imaginer les désirs sexuels masochistes féminins de l’héroïne ; c’eut été tricher. On a beaucoup enquêté, aussi bien dans des bordels de Madrid que chez les lectrices du journal Marie France. Toutes les rêveries sexuelles de Séverine nous ont été racontées par des femmes.

« Je viens d’écrire un scénario avec Louis Garrel qui porte sur l’écologie, mais personne n’en veut. »

Vous aviez écrit une ébauche de scénario avec Buñuel sur des terroristes menaçant de faire sauter le Louvre s’il ne se produisait pas un « renversement du monde ». Comment vous imagineriez cette histoire, aujourd’hui ? Certainement qu’il y aurait des personnages de 12 ou 13 ans qui diraient à leurs parents : « Vous, vous avez 40 ans, 50 ans, votre vie est faite. Mais quelle vie vous allez nous laisser ? » J’ai été un écologiste de la première heure, avec René Dumont, en 1962-1963. J’ai défilé, j’ai protesté, j’ai écrit. Tout le monde s’en foutait : on était dans le progrès, les années fric, le confort… Encore aujourd’hui : je viens d’écrire un scénario avec Louis Garrel qui porte précisément sur l’écologie, mais personne n’en veut. Ça gêne, ça dérange… Il me semble que l’un des enjeux de votre livre, c’est la recherche de l’image que vous aimeriez qu’on retienne de vous. Vous l’avez trouvée ? Non, je ne cherche pas vraiment ça. On travaille pour faire du bon boulot, en pensant aux gens qui vont aller voir l’œuvre, en espérant qu’ils l’aimeront. Au cours de ma carrière j’ai rencontré plutôt des gens bien, consciencieux, sachant qu’ils s’adressent à un public, donc qu’ils ont une influence. Maintenant, on pense beaucoup plus au succès – est-ce que ça va marcher ou pas ? En général, quand on travaille pour sa statue, elle se brise vite.

• PROPOS RECUEILLIS PAR TIMÉ ZOPPÉ PHOTOGRAPHIE : PALOMA PINEDA

— : « Ateliers » de Jean-Claude Carrière

(Odile Jacob, 448 p.)

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MICROSCOPE

LE CIERGE ET LE VOILE

Comme le diable, le cinéma se loge dans les détails. Geste inattendu d’un acteur, couleur d’un décor, drapé d’une jupe sous l’effet du vent : chaque mois, de film en film, nous partons en quête de ces événements minuscules qui sont autant de brèches où s’engouffre l’émotion du spectateur. Ce mois-ci : un cierge penché dans Mes petites amoureuses (Jean Eustache, 1974).

BOBINES

Les

communiants sont rangés comme des pions, sur l’allée centrale qui les mène à l’hostie. Les cierges immenses et fins sont rangés dans les mains droites ; les flammes dansent au ras des têtes. Mais au bout du travelling un cierge penche, et la diagonale sape tout : la messe, les pleurs de l’orgue, la discipline blanche des aubes alignées et des croix de bois autour des cous. Le cierge oblique est celui de Daniel, le petit héros du film, et d’abord on jurerait que s’il penche, c’est sous l’effet du regard de l’enfant - comme s’il cherchait à fuir pour une autre main dans la rangée,

Au bout du travelling un cierge penche, et la diagonale sape tout. effrayé comme nous par ces yeux vides qui n’ont appris à voir que le malheur. Cela se passe juste avant ces mots de Daniel, au sujet de la communiante qui marche devant lui : « Je sentais mon sexe se durcir. Je me suis serré contre elle. » Si ces mots ont estomaqué tous les spectateurs du chefd’œuvre d’Eustache, ce n’est pas tant que le contexte les rend obscènes, c’est qu’ils ne sont ni d’enfant ni tout à fait d’adulte. Avec son corps de vieille dame filiforme, tordu sous le poids d’une vie qui désespère avant d’avoir été vécue, Daniel parle comme il regarde : devant toute chose l’œil et la voix constatent, et le constat finit d’égaliser un paysage où l’émotion ne fait aucune crête. Le

Daniel des Petites amoureuses est un enfant de Bresson abandonné dans un village de Pialat. Ici, dans l’église, le regard est bressonien mais la main, qui fait pencher le cierge, est à l’auteur de L’Enfance nue. Car si le cierge penche, c’est attiré par la fille et son voile blanc. Pas seulement parce que le cierge est aussi, par la voie d’une obscène métaphore, le petit Jésus de Daniel. Il l’est bel et bien, mais avant tout parce qu’au bout du cierge la flamme rêve d’embraser le voile, et avec lui la fille. Passer au feu la candeur insoutenable du voile blanc d’innocence, faire un bûcher de ce qui durcit le sexe : voilà ce qui passe par la tête d’un petit garçon, à l’endroit où se croisent la rancœur pour une mère sans amour (la blancheur du voile à incendier, c’est aussi celle du visage/cadavre de la mère, jouée par Ingrid Caven et présente à quelques bancs de l’enfant) et l’apprentissage brutal d’une virilité de « pauvre type ». C’est Pialat qui dit « pauvre type », forcément de passage ici, dans un second rôle. Des pauvres types que les femmes fascinent (au cinéma du coin : Ava Gardner en Pandora) et qui, ne sachant que faire de la fascination, la retournent en agression : quand Daniel se presse contre la communiante, c’est d’un même geste pour la toucher et la salir. Une poignée de scènes plus loin, il en visera une autre, en plein visage, avec un pistolet à bouchon. Plus loin encore, Daniel croise un lanceur de couteau à l’abord d’un cirque, avise son sandwich, puis il dit : « Oh ! le morceau de viande ! » et bien sûr on ne pense pas au rosbif qui dégouline entre les deux tranches de pain, et Daniel non plus même s’il l’ignore, quand le type dégaine son couteau pour finir de l’impressionner. C’est la même chose que vise le cierge pyromane, la même malédiction, jurant sur les joues roses de l’enfant : malédiction d’homme qui, du morceau de viande soudain durci entre ses jambes, ne sait pas faire autre chose qu’un couteau. • JÉRÔME MOMCILOVIC

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BOBINES

MICROSCOPE

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BOBINES

PORTFOLIO

CHROMA

C’est

l’un des cinéastes britanniques les plus importants, et pourtant il reste méconnu en France. Pourfendeur virulent du thatchérisme et engagé très tôt dans la lutte contre le sida (il fut l’une des premières personnalités anglaises à révéler sa séropositivité), Derek Jarman (1942-1994) a accompagné le mouvement punk (Jubilee, 1978) et a signé des relectures queer des mythes religieux (Sebastiane, 1976, intégralement tourné en latin) ou de l’histoire anglaise (Edward II, 1992) qui paraissent aujourd’hui toujours aussi enragées et envoûtantes. Artisan d’une œuvre composite (il a signé des décors pour l’outrancier Ken Russell, a réalisé des clips de The Smiths ou de Pet Shop Boys, a écrit Chroma, un livre sur les couleurs), il montre un goût pour l’artifice et la théâtralité qui se retrouve dans ses peintures. Très rarement montrées, celles-ci font l’objet d’une exposition à l’Irish Museum of Modern Art de Dublin. On a demandé à Didier Roth-Bettoni, spécialiste de son œuvre et auteur de Sebastiane ou Saint Jarman, cinéaste queer et martyr (ErosOnyx), de les découvrir, et de les commenter. • QUENTIN GROSSET

From the Watford Advertiser 1960, with my self-portrait painted 1959

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COURTESY OF KEITH COLLINS WILL TRUST AND AMANDA WILKINSON GALLERY, LONDON

BOBINES

DEREK JARMAN

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PRIVATE COLLECTION

BOBINES

PORTFOLIO

Self-portrait, 1959, huile sur toile, 76,2 x 63,5 cm « Je trouve qu’on sent une vraie volonté dans cet autoportrait que Derek Jarman a réalisé autour de ses 18 ans. À l’époque, il se destine à des études d’art, malgré les réticences de son père, officier de la Royal Air Force. Dans ce tableau, il y a une sensualité très forte, une vraie affirmation de soi et déjà une façon de jouer sur les contrastes. Même s’il n’a pas encore trouvé son mode d’expression, on n’est pas dans les registres uniques du figuratif ou du naturalisme. C’est émouvant de voir le travail d’un créateur en herbe. »

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ARTS COUNCIL COLLECTION

DEREK JARMAN

Landscape with a Blue Pool, 1967, huile sur toile, 151,8 x 202,6 cm « Ses premières peintures sont asexuées. Le corps en est absent, au profit de formes géométriques, d’aplats de couleur… Il va falloir attendre les années 1970, pendant lesquelles il s’emparera du cinéma, pour que l’homoérotisme arrive. En Grande-Bretagne, l’homosexualité est un délit puni par la loi jusqu’en 1967. Ce n’est pas facile pour un jeune homme d’affirmer son désir. Sa rencontre avec l’excessif Ken Russell, pour qui il va concevoir des décors [notamment pour Les Diables, 1971, ndlr] sera peut-être le déclencheur d’un tournant dans son esthétique. »

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COURTESY OF KEITH COLLINS WILL TRUST AND AMANDA WILKINSON GALLERY, LONDON

BOBINES

PORTFOLIO

Sowers and Reapers, 1987, huile et techniques mixtes sur toile, 35,6 x 30,5 cm « Après avoir appris sa séropositivité, Jarman se retire souvent dans son cottage acquis en 1986 à Dungeness dans le Kent, entre une centrale nucléaire et la mer. Sur la plage, il collecte des objets perdus dont il fait à la fois un jardin et des tableaux constitués de bric et de broc comme celui-ci. Les graines rappellent ce jardin, son œuvre ultime poussant dans un lieu improbable et désolé. Il incarne la permanence de la vie malgré la mort au travail. Aujourd’hui, il est visité à la fois par les fans de Jarman et par les amateurs de jardinage. »

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DEREK JARMAN

ARTS COUNCIL COLLECTION, SOUTHBANK CENTRE.

Morphine, 1992, huile sur photocopie sur toile, 251,5 x 179 cm

COURTESY OF KEITH COLLINS WILL TRUST AND AMANDA WILKINSON GALLERY, LONDON

Fuck Me Blind, 1993, huile sur toile, 251 x 179 cm « Ce sont deux tableaux des années 1990 : il a déjà du mal à tenir un pinceau et à visualiser les couleurs, car il commence à perdre la vue d’un œil. C’est la période des slogans paintings où il joue sur des aplats de couleur et sur des dénonciations de la manière dont les malades du sida sont traités et du libéralisme ambiant. Il y a une dimension très « actupienne » – même si Act Up n’existait pas en Angleterre, il y avait l’asso OutRage! –, dans le sens où sa culture militante travaille beaucoup sur le visuel pour interpeller les pouvoirs publics. »

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PHOTO LIAM DANIEL COURTESY & (C) BASIL

PORTFOLIO

Ombre de Derek Jarman devant un photogramme de Blue (1993) « Comme dans ses premières peintures, le corps est absent de cet ultime film de Jarman, qui figure juste un écran bleu. Et, en même temps, il est omniprésent. À travers les voix off de ses amis, qui lisent des extraits de ses journaux intimes ou des poèmes, il fait ressentir le corps tel que le vit un malade du sida. C’est une vision de lui perdant la vue : on est rarement mis dans cette position en tant que spectateur. Ces voix semblent l’invoquer alors qu’il est encore là. Cette dimension mystique, très angerienne [du nom du cinéaste américain Kenneth Anger, ndlr] est une part importante de toute son œuvre. »

:

— «  Derek Jarman PROTEST!  »,

jusqu’au 23 février au Irish Museum of Modern Art (Dublin)

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« INTIME ET HABITÉ… UN CINÉASTE AU SOMMET DE SON ART ! » « LA BALADE SAUVAGE DE DEUX ENFANTS PERDUS… BEAU, OSÉ ET PASSIONNÉ ! » « ÂPRE ET INTENSE… L’AMOUR QUI FAIT MAL ! » SO FILM

POSITIF

PREMIÈRE

L’amour. Ou rien.

ADORATION THOMAS GIORIA BENOÎT POELVOORDE FANTINE HARDUIN Panique, The Jokers Films, Savage Film en coproduction avec One Eyed presentent un film de Fabrice du Welz AVEC THOMAS GIORIA, FANTINE HARDUIN, BENOÎT POELVOORDE, ANAËL SNOEK, GWENDOLYN GOURVENEC, PETER VAN DEN BEGIN ET CHARLOTTE VANDERMEERSCH SCÉNARIO DE FABRICE DU WELZ, ROMAIN PROTAT ET VINCENT TAVIER MUSIQUE VINCENT CAHAY ASSISTANT REALISATION FREDDY VERHOEVEN DIRECTEUR ARTISTIQUE EMMANUEL DE MEULEMEESTER PHOTOGRAPHIE MANU DACOSSE SON LUDO VAN PACHTERBEKE, FRED MEERT, EMMANUEL DE BOISSIEU MONTAGE ANNE-LAURE GUEGAN COSTUMES CHRISTOPHE PIDRE ET FLORENCE SCHOLTES MAQUILLAGE JILL WERTZ DIRECTEUR DE PRODUCTION LUDOVIC DELBECQ PRODUIT PAR VINCENT TAVIER, MANUEL CHICHE, VIOLAINE BARBAROUX ET BART VAN LANGENDONCK COPRODUIT PAR FABRICE DU WELZ, PHILIPPE LOGIE, ARLETTE ZYLBERBERG ET GENEVIÈVE LEMAL PRODUIT AVEC L’AIDE DU CENTRE DU CINÉMA ET DE L’AUDIOVISUEL DE LA FÉDÉRATION WALLONIE-BRUXELLES ET DE VOO, DE EURIMAGES, DE WALLIMAGE ( LA WALLONIE) , DE LA RÉGION DE BRUXELLES-CAPITALE DU FONDS AUDIOVISUEL FLAMAND ( VAF) , DU TA X SHELTER, DU GOUVERNEMENT FéDéRAL BELGE VIA SCOPE INVEST, EN COPRODUCTION AVEC BET V, RTBF (Télévision belge ) , SCOPE AVEC LA PARTICIPATION DE CINÉ+ ET DE OCS DISTRIBUTION THE JOKERS FILMS ET IMAGINE VENTES INTERNATIONALES MEMENTO FILMS INTERNATIONAL

LE 22 JANVIER AU CINÉMA

IL LUS T R AT ION L AUR EN T DUR IEUX

Un film de FABRICE DU WELZ


à ne pas manquer

Cycles

jusqu’au 5 janvier 2020

Mille et Une Nuits 8 janvier → 2 février 2020

Dans la tête de Paul Schrader 5 février → 29 mars 2020

Lisboa

Festivals

13 → 22 mars 2020

Cinéma du réel 22 → 26 avril 2020

Un drôle de festival Jeune public

Rendez‑vous

chaque mardi

chaque mercredi et dimanche

Soirées 100% doc

CinéKids

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Drôle de rencontre

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Offre de Noël Profitez de 10 mois de cinéma avec la carte Forum Illimité pour

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valable jusqu’au 5 janvier 2020

Design graphique : ABM Studio – Visuel : Valse avec Bachir / Barbarella / L’Étrange Créature du lac noir © Collection Christophel

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18 DÉC. The Lighthouse de Robert Eggers, Universal Pictures (1 h 49), pages 20 et 44

Notre dame de Valérie Donzelli, Ad Vitam (1 h 30), page 46

Star Wars L’ascension de Skywalker de J. J. Abrams, Walt Disney (2 h 22)

Charlie’s Angels d’Elizabeth Banks, Sony Pictures (1 h 59)

Vic le Viking d’Éric Cazes, SND (1 h 21)

Jésus de Hiroshi Okuyama, Eurozoom (1 h 16)

25 DÉC.

1er JANV.

Après la nuit de Marius Olteanu, Norte (1 h 50), page 82

Le Lac aux oies sauvages de Diao Yinan, Memento Films (1 h 50), page 84

Les Filles du docteur March de Greta Gerwig, Sony Pictures (2 h 15), page 52

Talking About Trees de Suhaib Gasmelbari, Météore Films (1 h 33), page 82

La Sainte Famille de Louis-Do de Lencquesaing, Pyramide (1 h 30), page 90

Séjour dans les monts Fuchun de Gu Xiaogang, ARP Sélection (2 h 30), page 84

Paroles de bandits de Jean Boiron-Lajous, Docks 66 / Ligne 7 (1 h 30), page 90

La Vérité de Hirokazu Kore-eda, Le Pacte (1 h 47), page 90

Ghost Tropic de Bas Devos, JHR Films (1 h 25), page 86

Au cœur du monde de Gabriel et Maurilio Martins, Survivance (2 h 02)

Benjamin de Simon Amstell, Outplay (1 h 25)

Cunningham d’Alla Kovgan, Sophie Dulac (1 h 28), page 90

Emma Peeters de Nicole Palo, CFA (1 h 27)

Cats de Tom Hooper, Universal Pictures (2 h)

Echo de Rúnar Rúnarsson, Jour2fête (1 h 19), page 90


First Love Le dernier yakuza de Takashi Miike, Haut et Court (1 h 48), page 92

Tommaso d’Abel Ferrara, Les Bookmakers / Capricci Films (1 h 55), page 86

Le Miracle du saint inconnu d’Alaa Eddine Aljem, Condor (1 h 40), page 92

L’Adieu (The Farewell) de Lulu Wang, SND (1 h 41), page 88

L’Art du mensonge de Bill Condon, Warner Bros. (1 h 50)

L’Autre de Charlotte Dauphin, Dean Medias (1 h 17), page 92

Swallow de Carlo Mirabella-Davis, UFO (1 h 34), page 88

Manhattan Lockdown de Brian Kirk, Metropolitan FilmExport (1 h 41)

Nina Wu de Midi Z, Épicentre Films (1 h 43), page 92

1917 de Sam Mendes, Universal Pictures (1 h 55), page 94

Play d’Anthony Marciano, Gaumont (1 h 48)

Les Siffleurs de Corneliu Porumboiu, Diaphana (1 h 38), page 92

Douze mille de Nadège Trebal, Shellac (1 h 51), page 94

Les Enfants du temps (Weathering With You) de Makoto Shinkai, Bac Films (1 h 53), page 100

Je ne rêve que de vous de Laurent Heynemann, Rezo Films (1 h 40), page 94

Un vrai bonhomme de Benjamin Parent, Ad Vitam (1 h 28), pages 26 et 78

L’Extraordinaire Voyage de Marona d’Anca Damian, Cinéma Public Films (1 h 32), page 101

Selfie Collectif, Apollo Films (1 h 47), page 94

Merveilles à Montfermeil de Jeanne Balibar, Les Films du Losange (1 h 49), page 76

La Sincérité de Charles Guérin Surville, Nour Films (1 h 23)

Systeme K de Renaud Barret, Le Pacte (1 h 34), page 94

8 JANV.

Underwater de William Eubank, Walt Disney (1 h 35)

15 JANV.


3 aventures de Brooke de Yuan Qing, Les Acacias (1 h 40)

Scandale de Jay Roach, Metropolitan FilmExport (1 h 54), page 95

Cuban Network d’Olivier Assayas, Memento Films (2 h 03), page 96

Marche avec les loups de Jean-Michel Bertrand, Gebeka Films (1 h 28)

Be Natural L’histoire inédite d’Alice Guy-Blache de Pamela B. Green, Mary-X (2 h 02)

Revenir de Jessica Palud, Pyramide (1 h 17), page 96

Je voudrais que quelqu’un m’attende quelque part d’Arnaud Viard, UGC (1 h 29)

Les Traducteurs de Régis Roinsard, Trésor Cinéma / Mars Films (1 h 45), page 96

K Contraire de Sarah Marx, Les Valseurs (1 h 23), page 28

Luciérnagas de Bani Khoshnoudi, Optimale (1 h 28)

Un jour si blanc de Hlynur Pálmason, Urban (1 h 49), page 96

Adoration de Fabrice Du Welz, Les Bookmakers / The Jokers (1 h 38), page 95

Qu’un sang impur… d’Abdel Raouf Dafri, Mars Films (1 h 49)

Un soir en Toscane de Jacek Borcuch, New Story (1 h 37), page 96

22 JANV.

La Llorona de Jayro Bustamante, ARP Sélection (1 h 37), page 95

29 JANV.

La Bataille géante de boules de neige 2 L’incroyable course de luge de Benoît Godbout et François Brisson, Alba Films (1 h 29)

Le Photographe de Ritesh Batra, Le Pacte (1 h 49), page 95

Histoire d’un regard À la recherche de Gilles Caron de Mariana Otero, Diaphana (1 h 33), page 74

Botero de Don Millar, Dean Medias (1 h 22)

Pygmalionnes de Quentin Delcourt, Alba Films (1 h 35), page 95

Jojo Rabbit de Taika Waititi, Walt Disney (1 h 48), page 80

Waves de Trey Edward Shults, Universal Pictures (2 h 15)


APRÈS YOUR NAME. DÉCOUVREZ LE NOUVEAU FILM DE MAKOTO SHINKAI

KOTARO DAIGO NANA MORI TSUBASA HONDA SAKURA KIRYU SEI HIRAIZMI YUKI KAJI CHIEKO BAISHO SHUN OGURI HISTOIRE ORIGINALE, SCÉNARIO, RÉALISATION MAKOTO SHINKAI MUSIQUE RADWIMPS CONCEPTION DES PERSONNAGES MASAYOSHI TANAKA DIRECTEUR DE L’ANIMATION ATSUSHI TAMURA DIRECTEUR ARTISTIQUE HIROSHI TAKIGUCHI CHEF OPÉRATEUR YUGA TOKUNO KENJI IMURA CHEF CG YOSHITAKA TAKEUCHI CAMÉRA RYOSUKE TSUDA ASSISTANT RÉALISATEUR YOKO MIKI SON HARU YAMADA EFFETS SONORES EIKO MORIKAWA PRODUCTION MINAMI ICHIKAWA NORITAKA KAWAGUCHI PLANNING GENKI KAWAMURA PRODUCTEUR DÉLÉGUÉ YOSHIHIRO FURUSAWA CO-PRODUCTEURS WAKANA OKAMURA KINUE ITO PRODUCTEUR MUSIQUE SAYOKO NARUKAWA PRODUCTION TOHO CO., LTD. / COMIX WAVE FILMS INC. / STORY INC. / KADOKAWA CORPORATION / EAST JAPAN MARKETING & COMMUNICATIONS, INC. / VOQUE TING CO., LTD. / LAWSON ENTERTAINMENT, INC. SOCIÉTÉ DE PRODUCTION STORY INC. COMIX WAVE FILMS INC. TOHO CO., LTD RELEASE © 2019 “WEATHERING WITH YOU” FILM PARTNERS

LE 8 JANVIER


ZOOM ZOOM

LES FILMS DU MOIS À LA LOUPE

HISTOIRE D’UN REGARD À LA RECHERCHE DE GILLES CARON La documentariste Mariana Otero, connue pour ses films sur la dynamique de groupe (Entre nos mains, L’Assemblée), s’est ici enfermée seule, dans l’obscurité d’une chambre noire, pour percer les secrets du regard de Gilles Caron, ce photoreporter de génie disparu en 1970 à l’âge de 30 ans. En exhumant son œuvre, la cinéaste établit un dialogue intime avec le photographe ; en résulte l’un des gestes de cinéma les plus saisissants de ces derniers mois.

Sur

l’une des planches-contacts innombrables qui recèlent les photographies de Gilles Caron, ses deux filles, Marjolaine et Clémentine, posent dans un jardin. Sur la prise de vue suivante, nous sommes déjà au Cambodge, en 1970, où il disparaîtra brutalement un 5 avril. Dans son premier long métrage, Histoire d’un secret (2003), Mariana Otero trouvait des dessins la représentant –­ elle et sa sœur, petites – réalisés par sa mère, la peintre Clotilde Vautier, quelque temps avant la disparition de celle-ci, en 1968. S’engouffrant dans la brèche vertigineuse qu’ouvre la connexion entre ces images, et de façon similaire à Histoire d’un secret, la cinéaste redonne vie à Gilles Caron à travers ses photographies. Elles deviennent les multiples indices d’une enquête poétique. Plus qu’un parcours mental, le film est habité par un corps : celui du photographe, invisible et pourtant si proche. Lorsqu’elle assemble les photos du jeune Daniel Cohn-Bendit que Caron a prises devant la Sorbonne en Mai 68, Mariana Otero accomplit déjà un petit miracle. Là, sous nos yeux, un morceau d’histoire prend vie. Plus encore, c’est la trajectoire du photographe,


FILMS

© JÉRÔME PRÉBOIS, ARCHIPEL 33

3 QUESTIONS À MARIANA OTERO

son œil qui sont ressuscités par le montage. On se surprend alors à s’émouvoir de ce jeu anodin. C’est parce qu’il cristallise ce qu’on appelle « la magie du cinéma » en tant qu’art du mouvement et révélateur de fantômes. Histoire d’un regard raconte justement ces fantômes ; celui de Gilles Caron, ceux des visages qu’il a photographiés, d’une jeune Irlandaise pendant l’éclatement de la guerre civile ou du corps rachitique d’un Nigérian lors d’une mission effectuée avec Raymond Depardon. En mêlant sa propre voix à celle de Gilles Caron, Mariana Otero se désolidarise du documentaire objectif – tout comme le photographe, par son regard, s’est désolidarisé du reportage. L’artifice (musique, bruitages, voix off) contribue de ce caractère purement romanesque où, en magicienne, la cinéaste sonde ce qui subsiste d’âme derrière ces images – fascinantes – de la guerre des Six Jours ou de la guerre du Viêt Nam. Car au fond, Histoire d’un regard n’est pas tant un film-hommage qu’un sublime exorcisme, clôturé par un dernier vertige : comment l’art de Gilles Caron aurait-il évolué sans sa disparition ? • DAVID EZAN

Comment mettre en mouvement des photographies ? C’était un vrai défi. Il a d’abord fallu que j’ordonne les photos de Gilles Caron pour comprendre son regard, comprendre pourquoi il passait d’une photo à l’autre. Sa manière de se mouvoir dans l’espace est très cinématographique, il y a quelque chose de documentaire dans la place qu’il accordait aux gens. J’ai compris le mouvement dans son travail, et j’ai senti que je pouvais redonner quelque chose de ce mouvement par le cinéma. Le montage joue un rôle très important. Comment avez-vous travaillé avec votre monteuse ? Je ne voulais pas quelque chose de systématique, donc chaque reportage est monté différemment. Avec ma monteuse, nous avons beaucoup travaillé sur le rythme des images. Nous nous sommes fixé deux règles : respecter le cadre de Gilles Caron, car c’est son regard ; et ne jamais illustrer une photo par le son. Le film a nécessité un lourd travail sonore, car j’ai voulu lui donner une dimension romanesque sans chercher à reconstituer le réel. Le film traduit bien le lien indéfectible qui vous unit à Gilles Caron. De quelle nature est-il ? J’ai passé six mois à analyser ses photos, j’avais l’impression d’être à ses côtés. Ce n’est pas un lien d’amitié, mais une compréhension, une intimité dans le travail. Quand je parle en voix off, je dis « tu » – je ne me voyais pas dire « il » après tout ce que j’avais vécu avec lui. J’ai d’ailleurs enregistré la voix off pendant le montage. C’est important, parce qu’elle garde quelque chose de l’émotion que j’avais à ce moment-là.

— : de Mariana Otero, Diaphana (1 h 33), sortie le 29 janvier

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MERVEILLES À MONTFERMEIL

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Avec

cette fable politique drôle et tendre sur le lien qui unit des habitants de Montfermeil et leur municipalité, Jeanne Balibar signe un premier long métrage enlevé et faussement naïf. Tous les chemins mènent apparemment à Montfermeil. Peu de temps après la sortie du fiévreux Les Misérables de Ladj Ly – qui ausculte les conflits entre la brigade anti-criminalité et des jeunes Montfermeillois et dans lequel elle apparaît brièvement dans le rôle d’une commissaire de police –, Jeanne Balibar tire à son tour le portrait de cette banlieue francilienne. Dans une tonalité très différente, elle imagine, à l’orée de la sacro-sainte « fête de la brioche », le quotidien chargé d’une équipe municipale menée par une nouvelle maire anticonformiste (désopilante Emmanuelle Béart) qui veut faire rayonner la ville en y montant une école, la Montfermeil Intensive School of Languages. Dans l’équipe, il y a notamment la romantique

Joëlle (incarnée par Balibar) en instance de divorce avec l’attachant Kamel (Ramzy Bedia). Autour de ce trio défile une tripotée de personnages loufoques mêlant acteurs professionnels (Bulle Ogier, Mathieu Amalric, Philippe Katerine…) et non professionnels dans une belle énergie chorale. Mais on aurait tort de réduire le film à son évidente fantaisie. Car en filmant délicatement et sans enrobage une population confrontée aux mutations d’un territoire faisant partie d’un projet du Grand Paris à mille lieues des préoccupations et des espoirs de celle-ci, en prêtant écoute à toutes les voix (celle de la novlangue entrepreneuriale comme les langues d’origine de familles issues de l’immigration), Balibar réalise une utopie à laquelle on adhère à fond. • JOSÉPHINE LEROY

— : de Jeanne Balibar,

Les Films du Losange (1 h 49), sortie le 8 janvier

3 QUESTIONS À JEANNE BALIBAR Qu’est-ce qui vous a incitée à inventer ce récit à Montfermeil plutôt qu’ailleurs ? Je suis attachée à cette ville qu’une amie m’a fait découvrir il y a des années. Depuis la mort tragique de Zyed Benna et Bouna Traoré et les incidents de 2005, on en garde une fausse image. Les gens sont laissés dans la misère, alors qu’il y a une incroyable richesse humaine.

Il y a dans le film une variation entre les couleurs pastel et pop. Pourquoi ce choix ? J’ai voulu faire une sorte de comédie musicale à la Jacques Demy, sauf qu’au lieu de réenchanter le réel par l’artifice on le réenchante en déplaçant le regard. Pas besoin, par exemple, de repeindre des portes en bleu et rose. Il suffisait de filmer une grue de chantier bleu tapant. 76

Comme dans certains shows anglo-saxons, vous transformez un milieu barbant en univers barré. J’ai fait ce lien après avoir fini l’écriture du film. Ça ne m’a pas étonnée. J’adore la série américaine Parks and Recreation et l’humour anglais des Monty Python. J’avais d’ailleurs demandé à Emmanuelle Béart de regarder en boucle leur sketch « The Ministry of Silly Walks ».


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FILMS

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UN VRAI BONHOMME

Le

premier long métrage de Benjamin Parent réinvente astucieusement le récit initiatique et engage une réflexion passionnante sur la masculinité par le biais du lien fraternel. C’est quoi, être un homme ? C’est la question qui se pose pour Tom, un garçon sensible qui s’apprête à faire sa rentrée dans un lycée provincial. En 2012, Benjamin Parent en avait déjà fait le cœur de son court métrage auréolé de prix (dont la Queer Palm), Ce n’est pas un film de cow-boys, qui déconstruisait la manière dont on oppose souvent virilité et homosexualité. Un vrai bonhomme poursuit donc ce travail en s’attaquant à la masculinité hégémonique à travers la relation qui lie Tom à son grand frère décédé, Léo, qui lui apparaît au quotidien. Tout l’enjeu du film réside dans ce rapport fantôme entre deux

frères – majestueux Thomas Guy et Benjamin Voisin (lire p. 26) –, ou plutôt deux modèles de masculinité, Léo incarnant ces préceptes virils dont Tom devra se défaire pour préserver son amitié avec le geek J.-B. comme pour séduire la jolie Clarisse, s’affranchissant enfin du regard des autres. À force de dialogues ciselés et de clichés déjoués, Benjamin Parent parvient à l’équilibre entre générosité et exigence, comique et tragique. D’une rare justesse, Un vrai bonhomme bouleverse, parce qu’il touche à une vérité profondément intime : celle de la difficulté d’être soi dans un monde ultra normé. • DAVID EZAN

— : de Benjamin Parent,

Ad Vitam (1 h 28), sortie le 8 janvier

3 QUESTIONS À BENJAMIN PARENT Considères-tu la construction masculine comme la base de ton travail ? Oui, cette question de l’homme que tu veux être revient sans cesse. On parle de sexisme, de harcèlement… Ces choses-là sont faites par des hommes, c’est un problème de construction de la masculinité. Mon but est de montrer quels nouveaux modèles d’hommes on peut voir au cinéma.

Comment t’es-tu approprié les références très américaines du film ? Pour le décor, je ne voulais pas imiter la banlieue américaine. Je voulais qu’on reste dans le monde dans lequel j’ai grandi. J’y ai inséré beaucoup de références aux comics, notamment Hulk. Je considère Un vrai bonhomme comme un film de super-héros, mais traité de façon très française. 78

Le film parle aussi de traumatisme et de deuil. Pourquoi cet ancrage sombre ? Ce que je veux raconter, c’est surtout le deuil d’une forme de masculinité. Mais c’est aussi un film sur le retour à la vie. La mère, jouée par Isabelle Carré, s’appelle Ariane, parce que c’est elle qu’il faut suivre. Elle est enceinte, elle avance. Les hommes sont des loques à côté.


“ Diablement malin comme un film des frères Coen ” cinema teaser

“ Du burlesque au milieu du désert ” 3 couleurs

“ Une belle découverte ” le monde

“ Bled Runner ” libération

“ Une belle fable qui évoque Kaurismäki et Suleiman ” Transfuge

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FILMS

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JOJO RABBIT

Dans

cette comédie osée, le cinéaste néo-zélandais Taika Waititi (Thor. Ragnarok, 2017) nous projette dans la tête et les fantasmes d’un enfant allemand enrôlé dans les Jeunesses hitlériennes et revisite, au passage, le film de guerre. À 10 ans, le très vif Jojo (joué par l’excellent Roman Griffin Davis) grandit dans l’Allemagne nazie aux côtés de sa mère, Rosie (Scarlett Johansson), alors que son père s’est volatilisé sans qu’il ait vraiment compris pourquoi. Sensible à la verve haineuse des jeunesses hitlériennes, le petit garçon s’invente un ami imaginaire, et pas n’importe lequel : un Adolf Hitler cartoonesque (campé par un drôlissime Taika Waititi, présent sur tous les fronts). Droit dans ses bottines, ses certitudes en prennent un coup quand il rencontre Elsa (la révélation Thomasin McKenzie), une jeune fille juive qu’il découvre cachée chez lui… Comment grandir dans l’enfer de la guerre ? C’est tout l’enjeu de ce récit audacieux, qui prend le parti d’observer

la violence délirante du monde à travers le regard d’un enfant se réfugiant dans la fiction, au son de hits des Beatles et de David Bowie chantés en allemand. Avec une minutie de mise en scène et un sens de l’absurde qui évoquent le cinéma de Wes Anderson, Taika Waititi place souvent sa caméra à hauteur d’enfant pour nous emporter dans cette proposition cinématographique qui tranche avec la tradition des films de guerre versant dans le drame pur. Sans frilosité, il prend à la lettre les théories et les discours hitlériens qui émaillent le film pour s’en moquer et en démontrer la profonde bêtise (comme dans cette séquence où des nazis tentent d’apprendre à prononcer correctement « Heil Hitler! »). Un pari risqué, mais réussi haut la main. • JOSÉPHINE LEROY

— : de Taika Waititi,

Walt Disney (1 h 48), sortie le 29 janvier

3 HISTOIRES D’ENFANTS EN GUERRE LE TAMBOUR de Volker Schlöndorff (1979) Écœuré par l’Allemagne dans laquelle il grandit, Oskar stoppe sa croissance. Face aux adultes aveugles et sourds, il joue du tambour et brise du verre en criant.

AU REVOIR LES ENFANTS de Louis Malle (1987) Pendant l’Occupation, Julien et Jean se lient d’amitié dans un pensionnat catholique provincial, avant que leur contagieuse insouciance ne se heurte à la réalité. 80

REQUIEM POUR UN MASSACRE d’Elem Klimov (1987) Ce film brut de décoffrage suit un enfant biélorusse qui semble vieillir prématurément au gré des atroces affrontements de l’opération Barbarossa dont il est témoin.


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PRÉSENTENT LA CASA DE PRODUCCIÓN UNE PRODUCTION LA CASA DE PRODUCCIÓN ET LES FILMS DU VOLCAN RÉALISÉECRITPARET JAYRO BUSTAMANTE SCÉNARIO JAYRO BUSTAMANTE ET LISANDRO SÁNCHEZ DIRECTEUR MARÍA MERCEDES COROY MARGARITA KÉNEFIC SABRINA DE LA HOZ JULIO DÍAZ MARÍA TELÓN AYLA-ELEA HURTADO ET JUAN PABLO OLYSLAGER IMAGE NICOLÁS WONG DÍAZ ARTISTIQUE SEBASTIÁN MUÑOZ COSTUMES SOFÍA LANTÁN ET BEATRÍZ LANTÁN MAQUILLAGE DIRECTEUR PRODUCTEURS ET COIFFURE AIKO SATO MONTAGE GUSTAVO MATHEU JAYRO BUSTAMANTE SON EDUARDO CÁCERES MUSIQUE PASCUAL REYES MUSICAL HERMINIO GUTIÉRREZ ASSOCIÉS ALEJANDRA COLOM DIDIER DEVERS SOPHIE JOOS HERMINIO GUTIÉRREZ PRODUCTEUR DÉLÉGUÉ GUSTAVO MATHEU PRODUCTEURS JAYRO BUSTAMANTE GUSTAVO MATHEU GEORGES RENAND MARINA PERALTA © COPYRIGHT LA CASA DE PRODUCCIÓN - LES FILMS DU VOLCAN 2019

22 JANVIER


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APRÈS LA NUIT

— : de Marius Olteanu, Norte (1 h 50), sortie le 18 décembre

ZOOM

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Au

bout de dix ans de mariage, le couple formé par Dana et Arthur se fissure. Manque d’intérêts et de désirs communs, difficulté de plus en plus criante à communiquer ; ils doivent se rendre à l’évidence : leur séparation est la meilleure solution… Avec ce premier long métrage ultra sensible, le Roumain Marius Olteanu sonde magnifiquement cette déchirure intime, en partie grâce à des choix formels forts. Divisé en chapitres, son film épouse à tour de rôle les points de vue des deux amants, dans les tribulations nocturnes révélatrices de ce que chacun cache à l’autre pour le préserver et garder intacts les souvenirs communs. Utilisant à bon escient un format rare (le « carré parfait »), le cinéaste nous fait ressentir la douleur de la séparation par ce manque d’espace et cette condensation. Avec un sens de la suggestion accompli, il aborde également des sujets sociaux (l’homophobie, la précarisation, l’ancrage des traditions…) qui dessinent en creux un portrait de la Roumanie contemporaine. Parmi les cinéastes de la « nouvelle vague » roumaine, Olteanu est l’un de ceux qu’on a le plus envie de suivre. • JOSÉPHINE LEROY

TALKING ABOUT TREES

— : de Suhaib Gasmelbari, Météore Films (1 h 33), sortie le 18 décembre

Au

Soudan, quatre vieux amis parodient la scène finale de Boulevard du crépuscule (1951), qui conte la résurrection d’une actrice déchue. Ibrahim, Suleiman, Manar et Altayeb sont des cinéastes à la carrière stoppée net par un Soudan qui les a abandonnés, et le cinéma tout entier avec eux. Mais, comme Norma Desmond, ils orchestrent un come-back : le leur, en retapant une vieille salle de cinéma, La Révolution – ça ne s’invente pas… Ce documentaire, entrecoupé d’images tirées de leurs œuvres de jeunesse qui laissent entrevoir les grands cinéastes qu’ils auraient pu devenir, est porté par l’espoir de ces vétérans en goguette prêts à en découdre avec la censure. Crépusculaire, le film contient la mélancolie d’un pays dont nos quatre amis sont les dépositaires ; Suhaib Gasmelbari (un Soudanais qui a étudié en France) l’a bien compris, tant il filme les ruines de La Révolution comme on filmerait celles du Titanic. La différence tient à ce que ces irréductibles, qui auraient pu couler avec le navire, s’en sont fait les flamboyants capitaines, gardiens de la mémoire du cinéma – et pour préserver celle-ci, quoi de plus beau que de lui consacrer un film ? • DAVID EZAN

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Au cinĂŠma le 15 janvier


FILMS

LE LAC AUX OIES SAUVAGES

— : de Diao Yinan,

Memento Films (1 h 50), sortie le 25 décembre

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Le

parvis d’une gare de banlieue la nuit, sous une pluie diluvienne. Un chef de gang en fuite est abordé par une « baigneuse », une prostituée exerçant autour des étendues d’eau. Elle lui demande du feu, avant de lui annoncer – conventions du film noir obligent – que la police a mis sa tête à prix. C’est le début d’une élégante cavale nocturne à travers Wuhan, capitale de la province du Hubei, pour ces deux fugitifs qui croiseront sur leur route la police et la pègre… Rentré bredouille de Cannes, le quatrième long métrage de Diao Yinan (Black Coal) avait tout pour convaincre les jurés. Trip formaliste presque entièrement nocturne, le film emprunte avec subtilité aux grands maîtres du genre (Fritz Lang, Orson Welles, Wong Kar-wai), mais progresse à un rythme qui lui est propre : la violence y est d’autant plus forte qu’elle surgit après de longues accalmies. Si le spectateur mal réveillé peut se perdre dans ce récit labyrinthique, il ne résistera pas à la mise en scène majestueuse : une chorégraphie sanglante surexposée aux néons qui consacre, un an après Un grand voyage vers la nuit de Bi Gan, un autre styliste hors pair. • GAUTIER ROOS

SÉJOUR DANS LES MONTS FUCHUN — : de Gu Xiaogang,

ARP Sélection (2 h 30), sortie le 1er janvier

Empruntant

son titre à un rouleau du xiv e siècle signé Huang Gongwang, l’un des maîtres de la peinture chinoise traditionnelle, ce premier film se vit comme une sublime errance au bord d’un fleuve. Résultat d’un tournage au long cours, cette fresque qui se déroule sur une année reflète la sensibilité de son jeune réalisateur, Gu Xiaogang, dont l’entourage constitue l’essentiel du casting, et qui a choisi sa ville natale (Fuyang) pour suivre des personnages issus d’une même famille. En privilégiant les ellipses et les variations de point de vue (sur l’éducation des enfants, par exemple), Xiaogang s’intéresse moins à l’intrigue qu’aux traces que le temps laisse sur les esprits, les corps et l’antre du capitalisme : la cité. Devant ce cadre urbain parfois très gris, on songe au pessimisme d’Edward Yang (Taipei Story, The Terrorizers). Mais ici, malgré les problèmes économiques, l’humeur semble plus douce. La beauté des saisons recouvre les angoisses, le moindre détail est magnifié. Comme si chaque flocon d’hiver ou chaque nage à la lueur de l’été frôlait délicatement le présent, avant qu’il ne s’éloigne. • OLIVIER MARLAS

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FILMS

GHOST TROPIC

— : de Bas Devos, JHR Films (1 h 25), sortie le 1er janvier

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Khadija

s’endort dans le dernier métro après une journée difficile. Se réveillant au terminus, cette travailleuse précaire va devoir traverser Bruxelles pour regagner son domicile, entre Anderlecht et Molenbeek, sans argent ni moyen de transport. Un long voyage dans la nuit, illuminé par les néons des commerces ouverts la nuit et des stations-service, que le réalisateur Bas Devos transforme en rêverie désenchantée. La situation a beau être inédite, Khadija finit par se sentir chez elle dans cet univers peuplé d’êtres esseulés auxquels personne ne prête attention, vampires modernes vivant la nuit pour empocher un salaire médiocre ou échapper aux horreurs du jour. Toutes les rencontres ne donneront pas lieu à de grandes leçons de vie, et c’est heureux : Ghost Tropic permet simplement à son héroïne (fabuleuse Saadia Bentaïeb, quasiment de tous les plans) de rompre pour quelques heures avec la routine et l’indifférence auxquelles la société semble l’avoir irrémédiablement condamnée. Cet état d’optimisme éphémère donne lieu à de vrais instants de grâce, de ceux qui rendent certaines nuits blanches si mémorables. • THOMAS MESSIAS

TOMMASO

— : d’Abel Ferrara, Les Bookmakers / Capricci Films (1 h 55), sortie le 8 janvier

Ex-toxico,

Tommaso (Willem Dafoe), un artiste américain en panne d’inspiration, tente de se reconstruire avec son épouse (Cristina Chiriac) et sa petite fille à Rome. Entre des séances de méditation, ses rendez-vous hebdomadaires aux Alcooliques anonymes, les cours d’italien qu’il prend et ceux de théâtre qu’il donne, sa nouvelle vie est réglée comme du papier à musique. Mais, petit à petit, cet ordre bien orchestré vole en éclats… Deux ans après son très mineur Alive in France, le cinéaste américain Abel Ferrara nous revient avec un vertigineux et troublant exercice de dédoublement – beaucoup d’éléments du film, dont son propre passé d’alcoolique, sont autobiographiques – servi par le jeu tout en nervosité d’un Willem Dafoe décidément très bon dans les rôles d’écorchés. C’est que la première partie du film, d’une surprenante sobriété, distille par toutes petites touches les ingrédients d’une déflagration prochaine, dans une capitale italienne à la beauté figée d’une œuvre de la Renaissance, loin des tumultes de New York que le réalisateur a tant capturé. À travers ce jeu de miroirs brisés, c’est comme si Ferrara revigorait son propre cinéma. • JOSÉPHINE LEROY

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FILMS

L’ADIEU (THE FAREWELL)

— : de Lulu Wang, SND (1 h 41), sortie le 8 janvier

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Le

mensonge peut-il être une preuve d’amour ? Forte de cette interrogation, l’Américaine d’origine chinoise Lulu Wang tisse une comédie dramatique iconoclaste inspirée de sa propre histoire familiale. Billi (interprétée par la rappeuse Awkwafina), jeune Sino-Américaine vivant aux États-Unis, apprend que sa grand-mère est touchée par une maladie incurable, mais sa famille choisit de dissimuler la vérité à la malade, conformément à une tradition chinoise. Le mariage d’un petit-fils sert alors de prétexte pour que chacun vienne passer d’ultimes instants en Chine auprès de cette matriarche condamnée sans le savoir… Afin de transmettre les états d’âme d’une jeune héroïne tiraillée entre deux cultures et deux aspirations (dire ou ne pas dire la vérité), la réalisatrice a la bonne idée de mêler tragédie émotionnelle et moments comiques décomplexés. Si la partition musicale fait office de complainte sentimentale, une éclatante joie de vivre se manifeste paradoxalement au sein de la famille, manière de brouiller jusqu’au bout les frontières entre rires et larmes et entre réalité et fiction. • DAMIEN LEBLANC

SWALLOW

— : de Carlo Mirabella-Davis, UFO (1 h 34), sortie le 15 janvier

Nourri

par l’extraordinaire palette de jeu de Haley Bennett (vue notamment dans Kaboom de Gregg Araki, 2010), Swallow fait le récit glaçant d’une lente émancipation. Hunter est une maîtresse de maison dont l’apparence surannée et l’attitude docile trahissent la soumission envers son riche époux. Une fois enceinte, elle est sujette à un trouble compulsif, la maladie de Pica, qui la contraint à ingérer des objets non comestibles… Carlo Mirabella-Davis, dont c’est le premier film de fiction, pulvérise progressivement un cadre pourtant patiemment mis en place. Il passe de l’observation en plans fixes de formes carrées et lisses – la grande maison d’architecte aux vitres de verre, les tenues fifties sans le moindre pli – à celle d’objets aux contours irréguliers que son héroïne ingère, et à une mise en scène caméra à l’épaule, pour mieux crier la libération de celle-ci. La crasse s’installe progressivement sous l’ongle et accompagne l’éclosion d’une femme en pleine repossession de son être, revenant à une primitivité inhibée et à son propre désir dans l’Amérique du patriarcat. • LAURA PERTUY

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DÉcouvrez la face cachÉe D’une inDustrie

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FILMS PAROLES DE BANDITS

À la lisière de l’Italie, la vallée de la Roya est devenue une enclave où toujours plus de migrants, bloqués à Vintimille, risquent leur vie pour traverser les montagnes vers la France. Ce documentaire humaniste donne la parole aux habitants de la région, devenus des « bandits » parce qu’ils ont osé défier la loi pour venir en aide à ceux qui souffrent. • D. E .

— : de Jean Boiron-Lajous (Docks 66 / Ligne 7, 1 h 30),

sortie le 18 décembre

LA SAINTE FAMILLE

Anthropologue, Jean se retrouve du jour au lendemain ministre de la Famille. Une responsabilité difficile, surtout au moment où la sienne, très bourgeoise, part en vrille… Louis-Do de Lencquesaing signe un long métrage évoquant parfois L’Heure d’été d’Olivier Assayas, pour sa manière d’explorer la famille sur un plan à la fois intime et politique. • Q. G.

— : de Louis-Do de Lencquesaing (Pyramide, 1 h 30), sortie le 25 décembre

LA VÉRITÉ

Palme d’or 2018 avec Une affaire de famille, le Japonais Hirokazu Kore-eda réunit pour son nouveau film deux immenses actrices françaises (Catherine Deneuve et Juliette Binoche) dans des rôles de mère et fille cernées par les non-dits. D’une savoureuse mélancolie, cette flamboyante mise en abyme n’en conserve pas moins l’humour caustique du cinéaste. • D. E .

— : de Hirokazu Kore-eda (Le Pacte, 1 h 47), sortie le 25 décembre

ECHO

Dans ce récit à tiroirs à la mise en scène minimaliste, l’Islandais Rúnar Rúnarsson imagine de courtes histoires (une séance d’aquagym entre retraités dans un décor enneigé, une famille recomposée dont les membres se rencontrent) autour du thème des fêtes de Noël. En entrelaçant documentaire et fiction, il brosse le portrait sensible d’un pays aux multiples visages. • J. L .

— : de Rúnar Rúnarsson (Jour2fête, 1 h 19), sortie le 1er janvier

CUNNINGHAM

Retraçant la vie et l’œuvre du chorégraphe Merce Cunningham (1919-2009), ce documentaire en 3D nous plonge – littéralement – dans la dimension parallèle de cet artiste fantasque, proche des avant-gardes. Reproduites par les derniers danseurs de sa compagnie, ses chorégraphies aux décors hallucinants n’ont rien perdu de leur puissance d’évocation. • D. E .

— : d’Alla Kovgan (Sophie Dulac, 1 h 28), sortie le 1er janvier

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FILMS LE MIRACLE DU SAINT INCONNU

Dans le désert marocain, un truand planque son sac de billets sous terre avant d’être arrêté. À sa sortie de prison, il découvre qu’un mausolée est érigé sur son butin… Magnifiée par le sens du cadre de son auteur, cette fable emprunte sa poésie singulière à l’absurdité du quotidien des habitants d’un village dans lequel règne une atmosphère chimérique. • D. E .

— : d’Alaa Eddine Aljem (Condor, 1 h 40), sortie le 1er janvier

FIRST LOVE. LE DERNIER YAKUZA

Une call-girl toxicomane, un flic corrompu, un yakuza déterminé : à travers une poignée d’archétypes, Takashi Miike nous embarque dans une course-poursuite nocturne hallucinée, naviguant sans la moindre difficulté entre polar, rom com et comédie gore. Malgré ses audaces stylistiques, certainement le film le plus grand public de Miike ces dernières années. • G. R.

— : de Takashi Miike (Haut et Court, 1 h 48), sortie le 1er janvier

NINA WU

Tout juste installée à Taipei, Nina Wu, qui enchaînait jusqu’ici les déconvenues professionnelles, obtient un grand rôle dans un thriller d’espionnage. Mais la violence brutale du réalisateur à son encontre lui fait vivre un véritable cauchemar… Un film méta et horrifique dans lequel le Taïwanais Midi Z figure la psyché tourmentée d’une actrice harcelée. • Q. G.

— : de Midi Z (Épicentre Films, 1 h 43), sortie le 8 janvier

LES SIFFLEURS

Un ripou de Bucarest débarque aux Canaries pour y apprendre un code secret, un langage sifflé ancestral qui lui permettra de participer à une évasion. Mais l’intrigue policière intéresse moins Porumboiu (Le Trésor) que la relation de son héros à la femme fatale Gilda ; moins surtout que la musique, airs d’opéra et chants d’oiseaux, qui transcendent la bande-son. • C. B.

— : de Corneliu Porumboiu (Diaphana, 1 h 38), sortie le 8 janvier

L’AUTRE

Marie, danseuse à l’Opéra de Paris, pousse la porte de l’atelier de Paul, un photographe qui a fait le portrait de son père juste avant la mort de celui-ci. Elle entame une relation avec Paul, tout en s’isolant dans ses souvenirs… Par le biais d’une narration très mentale, la cinéaste livre une réflexion pertinente sur le deuil et sur l’art comme catharsis. • Q. G.

— : de Charlotte Dauphin (Dean Medias, 1 h 17), sortie le 8 janvier

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W I L L E M D A N S

U N

F I L M

D E

D A F O E

A B E L

F E R R A R A

" DA F O E E ST EXTRAORDINAIRE"

"LA FIÈVRE ET LA GRÂCE DE FERRA RA "

I N D I E WI R E

LIBÉRATIO N

PA R A N O Ï A . AUTO-DESTRUCTION. RÉDEMPTION.

EN SALLES LE 8 JANVIER


FILMS 1917

À travers un seul (faux) plan-séquence dans de tentaculaires tranchées, Sam Mendes suit deux jeunes soldats britanniques dans leur mission quasi suicidaire pour délivrer un message qui pourrait empêcher une attaque ennemie… Le récit d’action a beau aller à toute allure, c’est la dimension putride et mortifère du film qui nous capte et nous pétrifie. • Q. G.

— : de Sam Mendes (Universal Pictures, 1 h 55), sortie le 15 janvier

DOUZE MILLE

Pour sauver le couple qu’il forme avec Maroussia, Frank part chercher du travail. Quand l’argent gagné facilement lui fait perdre pied, il lui faut reconstruire son amour-propre annihilé : il danse alors sa colère et sa frustration au gré de scènes d’une folle poésie… Nadège Trebal dessine une odyssée fictionnelle jamais loin de Claire Denis, pour qui elle fut scénariste. • L. P.

— : de Nadège Trebal (Shellac, 1 h 51), sortie le 15 janvier

JE NE RÊVE QUE DE VOUS

Contant l’histoire d’amour qui lia Léon Blum à sa dernière épouse, Jeanne Reichenbach, avant la Seconde Guerre mondiale puis sous l’Occupation, ce drame historique aux contours un peu lisses vaut pour son casting, Hippolyte Girardot, Elsa Zylberstein et Émilie Dequenne en tête, et pour la singularité d’un point de vue féminin qui délaisse le spectaculaire. • D. E .

— : de Laurent Heynemann (Rezo Films, 1 h 40), sortie le 15 janvier

SELFIE

Qu’est-ce que la technologie a changé dans nos rapports humains ? Pastichant la série Black Mirror, cinq réalisateurs (Thomas Bidegain, Marc Fitoussi…) répondent dans ce film à sketchs inégal mais survolté, porté par l’humour machiavélique d’une Blanche Gardin en mère de famille obsédée par les vues de sa chaîne YouTube au détriment de ses enfants. • D. E .

— : Collectif (Apollo Films, 1 h 47), sortie le 15 janvier

SYSTÈME K

À Kinshasa, les artistes de rue livrent des performances zéro déchet, l’absence de budget les poussant à se transcender pour fabriquer des images fortes, politiques, impossibles à oublier. La conclusion du coréalisateur de Benda Bilili!, Renaud Barret, met du baume au cœur : c’est parfois de l’excès de contraintes que naissent les plus beaux gestes artistiques. • T. M.

— : de Renaud Barret (Le Pacte, 1 h 34), sortie le 15 janvier

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FILMS ADORATION

Après les rugueux Calvaire (2005) et Alleluia (2014), Fabrice Du Welz clôt sa trilogie des Ardennes par ce conte désenchanté dans lequel un jeune garçon tombe amoureux d’une patiente de l’hôpital psychiatrique où travaille sa mère. Au-delà de l’intensité des acteurs, Thomas Gioria et Fantine Harduin, le film brille par son onirisme diffus. • D. E .

— : de Fabrice Du Welz (Les Bookmakers / The Jokers (1 h 38), sortie le 22 janvier

LA LLORONA

Un ancien général, acquitté par la justice guatémaltèque malgré sa responsabilité dans le génocide des Indiens, est hanté par une pleureuse – un fantôme du folklore d’Amérique latine. Mêlant les codes du film d’épouvante à ceux du thriller politique, La Llorona est un huis clos aride au cœur d’une bâtisse familiale dont les murs semblent se resserrer en étau. • D. E .

— : de Jayro Bustamante (ARP Sélection, 1 h 37), sortie le 22 janvier

LE PHOTOGRAPHE

L’Indien Ritesh Batra, révélé par l’irrésistible The Lunchbox (2013), conte dans cette romance en forme de critique sociétale les manigances d’un photographe célibataire qui, pour faire face aux remarques de sa grand-mère, crée un faux couple avec une jeune femme. Sans mièvrerie, le cinéaste filme ce petit jeu des apparences avec une gracieuse pudeur. • D. E .

— : de Ritesh Batra (Le Pacte, 1 h 49), sortie le 22 janvier

PYGMALIONNES

Ce documentaire interroge des femmes fortes du cinéma français ; qu’elles soient actrices (Hafsia Herzi, Aïssa Maïga), réalisatrices (Nathalie Marchak), cheffes opératrices (Céline Bozon) ou exploitantes (Isabelle Gibbal-Hardy), elles se livrent à cœur ouvert sur la place qu’elles occupent dans une industrie encore formatée par le regard masculin. • D. E .

— : de Quentin Delcourt (Alba Films, 1 h 35), sortie le 22 janvier

SCANDALE

En 2016, des journalistes (jouées par Nicole Kidman, Margot Robbie et Charlize Theron) de la très conservatrice Fox News dénoncent leur PDG, Roger Aisles, pour harcèlement sexuel. Jay Roach dépeint patiemment à quel point ce prédateur, à l’instar de Harvey Weinstein, avait mis en place une incroyable organisation pour que ses victimes gardent le silence. • Q. G.

— : de Jay Roach (Metropolitan FilmExport, 1 h 54), sortie le 22 janvier

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FILMS CUBAN NETWORK

Olivier Assayas s’intéresse à un pan méconnu de l’histoire de l’île, lorsqu’au début des années 1990 des espions cubains installés à Miami infiltrèrent des groupuscules voulant faire tomber le régime de Fidel Castro. Ce récit haletant, couplé à un casting imposant (Penélope Cruz, Gael García Bernal…), n’empêche pas le cinéaste d’imposer son style intimiste. • Q. G.

— : d’Olivier Assayas (Memento Films, 2 h 03), sortie le 29 janvier

LES TRADUCTEURS

Neuf traducteurs sont isolés dans un bunker pour traduire le dernier best-seller d’un auteur reconnu, jusqu’à ce qu’un pirate divulgue les premières pages du livre sur Internet et demande une rançon… Avec son casting international et ses revirements narratifs à gogo, Les Traducteurs combine efficacité scénaristique et décors claustrophobiques. • D. E .

— : de Régis Roinsard (Trésor Cinéma / Mars Films (1 h 45),

sortie le 29 janvier

REVENIR

Quand la santé de sa mère décline, le taciturne Thomas (Niels Schneider) revient dans la ferme familiale. Après douze ans d’absence, il se confronte à la disparition de son frère, ainsi qu’à la compagne (Adèle Exarchopoulos) et au fils que celui-ci a laissés… Baigné dans la chaleur estivale, Revenir évoque sans forcer le trait le désespoir des paysans d’aujourd’hui. • T. M.

— : de Jessica Palud (Pyramide, 1 h 17), sortie le 29 janvier

UN JOUR SI BLANC

Après le prodigieusement singulier Winter Brothers (2018), le cinéaste islandais Hlynur Pálmason offre un récit d’apparence plus classique, mais traversé par des flots d’étrangeté et des pics de violence qui créent la sidération. Cette histoire d’un veuf obsédé par l’amant supposé de sa femme disparue rend palpable la façon dont le doute peut mener à la folie. • T. M.

— : de Hlynur Pálmason (Urban, 1 h 49), sortie le 29 janvier

UN SOIR EN TOSCANE

Maria Linde (Krystyna Janda) vit avec sa famille à Volterra, en Italie. Cette célèbre autrice juive polonaise, qui a été confrontée à l’antisémitisme, se sent à l’étroit dans cet endroit où le rejet des réfugiés par la population est prégnant. Elle refuse un prix délivré par la ville… Une réflexion dense sur l’engagement aujourd’hui infuse ce film. • Q. G.

— : de Jacek Borcuch (New Story, 1 h 37), sortie le 29 janvier

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NELLY KAFSKY présente

ELSA

HIPPOLYTE

ZYLBERSTEIN

CRÉATION

© PHOTOS DAVID KOSKAS - © MAZEL PRODUCTIONS. CRÉDITS NON CONTRACTUELS

GIRARDOT

ÉMILIE

DEQUENNE

UN FILM DE LAURENT HEYNEMANN AVEC LA PARTICIPATION DE

MATHILDA MAY GRÉGORI DERANGÈRE THOMAS CHABROL STÉPHANE BISSOT AVEC PHILIPPE TORRETON ET AVEC JÉRÔME DESCHAMPS SCÉNARIO ET DIALOGUES DE LIBREMENT ADAPTÉ DE L’OUVRAGE

LAURENT HEYNEMANN ET LUC BÉRAUD

JE VOUS PROMETS DE REVENIR DE DOMINIQUE MISSIKA © ÉDITIONS ROBERT LAFFONT

AU CINÉMA LE 15 JANVIER


COUL’ KIDS

LAURENT SCIAMMA HUMORISTE

Anna est en seconde et César, en première. Ils ont découvert Laurent Sciamma sur scène dans son one-man-show, Bonhomme. Le comédien ne cache pas son jeu : il est féministe, et super drôle !

L’INTERVIEW

As-tu toujours voulu être comédien ? J’ai commencé le théâtre au lycée. Après le bac, je me suis inscrit au conservatoire. J’avais seize heures de cours par semaine, c’était du sérieux ! Tu n’as jamais douté ? La comédie, c’était ma passion. Puis j’ai changé de voie, j’ai fait des études de graphisme, j’ai appris la photo… Mais la scène me manquait. Aujourd’hui je crée toujours des images, mais avec mes mots, avec mon jeu, et elles se déposent dans la tête du public. Ta sœur Céline Sciamma est réalisatrice. Vous montiez des spectacles quand vous étiez petits ? Grave ! Avec mes deux sœurs et mes cousins, on jouait des spectacles pendant les vacances et on se filmait. C’est touchant, parce que sur ces vidéos on se rend compte que Céline faisait déjà de la mise en scène. Tu as tout de suite pensé aborder le thème du féminisme dans ton spectacle ? Dès le début j’ai écrit des choses très intimes, mais aussi très politiques, sans vraiment savoir où j’allais. Je parlais de l’homophobie, du racisme, de la vie avec ma copine, de la virilité… Au moment de #MeToo, j’ai constaté qu’il y avait un grand déficit de parole masculine. Moi, ça me


D’ANNA, 15 ANS, ET CÉSAR, 16 ANS LE DÉBRIEF

faisait beaucoup réagir. Je me suis dit : « Voilà, ça, c’est ta place. » Mais pas comme un truc opportuniste ou comme un créneau à prendre ! Féministe, je le suis depuis longtemps, et c’est en prenant du recul que j’ai compris que c’était mon sujet depuis le début. Que penses-tu de l’affaire Polanski ? Tu vas aller voir son film J’accuse ? Moi, je n’arrive pas à faire la différence entre l’homme et l’artiste. Quand j’ai vu le documentaire où des victimes de Michael Jackson témoignent, je n’ai plus réussi à l’écouter, alors que j’étais un grand fan de Michael. Ce n’est pas une question de principe, il s’agit d’expérience : si je suis à une fête, danser me rend joyeux ; si l’on passe du Michel Jackson, ça va me rendre triste. C’est pareil avec Polanski : si je vais voir son film, je vais penser à ce qu’il a fait, donc je n’ai pas envie d’y aller. Je ne veux pas cautionner un système qui estime qu’il peut être financé, sélectionné dans des festivals, récompensé, et ainsi contribuer à une culture du déni.

Comment changer les choses ? Comme l’a dit Adèle Haenel [dans le cadre d’un « live » de Mediapart, ndlr], il faut déconstruire les récits. Par exemple, pour Michael Jackson, l’histoire qu’on nous a racontée était : « C’est un grand enfant, il a un parc d’attractions. Il aime les enfants car ce sont ses copains, et c’est pour ça qu’il dort avec eux. » Mais la vraie histoire, c’est que c’était un homme qui voulait dormir avec des enfants, et c’est pour ça qu’il a créé un parc d’attractions dans un désert. C’était un piège. As-tu des modèles ? Je suis un grand fan de Richard Pryor, un Afro-Américain qui faisait du stand-up dans les années 1970. C’était une énorme star, ce qui, à l’époque, était assez exceptionnel pour un humoriste noir. J’ai aussi beaucoup regardé Florence Foresti, Gad Elmaleh, Jamel Debbouze, Courtemanche. Serais-tu aussi sensible si tu avais eu deux grands frères ? C’est difficile à savoir. mais avoir deux grandes sœurs a eu une vraie influence sur mon développement. J’ai eu accès à beaucoup de choses grâce à elles, elles ont créé un écosystème autour de moi qui m’a permis de ne pas nier ou censurer ma sensibilité.

• PROPOS RECUEILLIS PAR ANNA ET CÉSAR (AVEC CÉCILE ROSEVAIGUE) — PHOTOGRAPHIE : JULIEN LIÉNARD — : « Bonhomme » de Laurent Sciamma, tous

les lundis au Café de la Gare

TOI AUSSI TU AS ENVIE DE RÉALISER UNE INTERVIEW ? DIS-NOUS QUI TU AIMERAIS RENCONTRER EN ÉCRIVANT À BONJOUR@TROISCOULEURS.FR

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COUL' KIDS

Anna : « Le spectacle était génial. J’ai aussi adoré l’ambiance, on se sentait bien ensemble dans cette salle. » César : « Laurent est passionné. Il a pris le temps de nous expliquer son travail et ses engagements. C’était intense. »


LA CRITIQUE DE LÉONORE, 9 ANS

COUL’ KIDS

LES ENFANTS DU TEMPS

« C’est l’histoire d’une fille du soleil qui fait venir le beau temps en priant. Elle rencontre à Tokyo un garçon qui ne doit pas aimer ses parents, parce qu’il ne veut plus rentrer chez lui. Et ils tombent amoureux. Dans la majorité des films, il y a des histoires d’amour parce que c’est très pratique, on peut les faire partout : sur les autoroutes, dans l’eau, etc. Et puis l’amour se passe quand même beaucoup dans la vraie vie. En y réfléchissant, je crois même que de l’amour, il y en a dans tous les films. Dans les histoires d’amour d’adultes, ils se marient et donc ils sont obligés de s’aimer. Mais dans Les Enfants du temps, ils sont trop jeunes pour se marier, donc ils ne sont pas obligés de rester ensemble, ils sont libres. Et ça, j’aime bien. En plus, les personnages disent des gros mots. C’est super, parce que ça donne du caractère. Mais attention : il ne faut pas que les enfants disent ces gros mots ! Par contre, quand je serai adolescente, quand j’aurai 11 ans quoi, je dirai des gros mots comme eux ! »

LE PETIT AVIS DU GRAND Curieux parcours que celui de Makoto Shinkai : révélé avec La Tour au-delà des nuages (2004), un film qui semblait l’imposer comme le digne héritier de Hayao Miyazaki, Shinkai s’est ensuite concentré sur des films plus intimistes comme The Garden of Words (2013), pour finalement devenir le nouveau champion du box-office japonais avec la romance fantastique Your Name. (2016). Dans la droite lignée de ce dernier film, Les Enfants du temps démontre que les obsessions de Shinkai demeurent intactes, entre difficulté de communiquer avec le sexe opposé et rapport entre l’intime et le cosmos. • JULIEN DUPUY

— : « Les Enfants du temps » de Makoto Shinkai, Bac Films (1 h 53), sortie le 8 janvier, dès 9 ans

COMPOSE LE MOT MYSTÈRE À PARTIR DES LETTRES DE COULEURS CACHÉES DANS LE TEXTE :

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TOUT DOUX LISTE LE KRAPOUKOFF LIVRE La forêt qui borde le village de Moules-sur-Mer est dite hantée. Une fillette et son frère vont braver leur peur pour s’y aventurer… Cette histoire de monstres fait vibrer les mots au rythme du trait incisif de son autrice. Ses dessins sortent du cadre et nous happent avec malice. • D. E .

: de Raphaëlle Barbanègre (Éditions Thierry Magnier), dès 4 ans

L’EXTRAORDINAIRE VOYAGE DE MARONA CINÉMA Marona, une chienne, est victime d’un accident. Elle se remémore les différents maîtres qu’elle a aimés… Le film, au-delà de sa prouesse visuelle (les couleurs intenses et le mouvement perpétuel produisent un effet proche du rêve), est surtout le récit d’une quête d’amour qui bouleverse par son lyrisme. • D. E .

: d’Anca Damian (Cinéma Public Films, 1 h 32), sortie le 8 janvier, dès 7 ans

NEIGE LIVRE Suivant les pas d’un renard égaré au cœur d’une forêt enneigée, cet objet en relief est un compromis idéal entre livre et animation. Minutieusement découpés, les arbres majestueux et les bêtes sauvages se déploient en pop-up au fil d’une intrigue pleine de grâce et de simplicité, à déplier au coin du feu. • D. E .

: d’Elena Selena (Gallimard Jeunesse), dès 4 ans

OCÉAN EN VOIE D’ILLUMINATION EXPO Ici, une pieuvre rougeoyante aux longs tentacules. Là, des orques qui bondissent hors de l’eau… Tous les soirs (sauf les 24 et 31 décembre), au Jardin des Plantes, les curieuses créatures qui peuplent les fonds marins brillent de mille feux et investissent, sous la forme d’impressionnantes sculptures luminescentes, les allées du parc et de sa ménagerie. • D. E .

: « Océan en voie d’illumination », jusqu’au 19 janvier au Jardin des Plantes, tout public


OFF

CECI N’EST PAS DU CINÉMA

AU TRAVAIL Vis ma vie de chauffeur routier, d’agriculteur, de conducteur de bus ou d’engins de chantier. Loin des univers imaginaires et du grand spectacle des blockbusters, les jeux de simulation s’attachent à reproduire dans les moindres détails des métiers et des situations proches du quotidien. Ce pourrait être aride, triste et ennuyeux, mais certains d’entre eux rencontrent pourtant un vrai succès d’année en année, à l’image du phénomène Farming Simulator. Un succès dont on aurait peut-être tort de s’étonner.

L’homme

veut un ticket. Trajet simple, tarif normal, 2,20 € s’il vous plaît. Et voilà votre monnaie : huit pièces de 2 €, une de 1 €, une de 50 centimes, une de 20 centimes et une de 10 centimes. Un coup d’œil dans le rétroviseur pour vérifier que tout le monde est monté et on referme les portes. Clignotant à gauche, retour sur la chaussée : en route pour le prochain arrêt. Le jeu s’appelle Bus Simulator 19, un titre si explicite qu’il se passerait presque de commentaire. Mais attention : ça ne rigole pas. Si, au volant de votre noble véhicule, vous dépassez la vitesse autorisée ou vous grillez un feu, les conséquences financières se feront vite sentir. Bienvenue dans le monde de la simulation. Au temps jadis (les années 1980-1990), c’était d’abord des activités spectaculaires que les concepteurs de jeux se plaisaient à reproduire. C’était l’âge d’or des simulateurs de vol, de Flight Simulator et des jeux de Sid Meier, Solo Flight, F-15 Strike Eagle, ou Silent Service pour les sous-marins. Mais les temps ont changé, et, aujourd’hui, des activités a priori moins glamour s’offrent à nous. La vie de chauffeur de bus, donc, ou de train, ou de camion. Celle d’agriculteur, aussi, avec Farming Simulator dont les différentes


versions se sont vendues à travers le monde à plus de 15 millions d’exemplaires.

PROPOSITION RADICALE

Farming Simulator 19

© FOCUS HOME INTERACTIVE

« En France, on estime le nombre d’agriculteurs à près de 500 000, souligne Bruno Giacobbé, fondateur du site simulagri.fr et spécialiste de la série. Avant Farming Simulator, aucun jeu ne représentait ce milieu. L’agriculture est un domaine riche de savoirs, de science, mais aussi de technologies. Aujourd’hui, les tracteurs ont des GPS avec de l’autoguidage, les pulvérisateurs sont capables de détecter une mauvaise herbe… Dans Farming Simulator,

on retrouve tout ce matériel dernier cri. Quoi de mieux pour les enfants, très souvent passionnés par le métier de papa ou de maman, que de lancer une partie pour recréer la ferme familiale et se faire la main ? » Même quand l’hérédité n’est pas de la partie, une bonne part de l’attrait de ces simulations réside dans leur manière de nous offrir un monde – et pas seulement des activités. Ce n’est pas un hasard si l’une des meilleures simulations ferroviaires a pour titre Train Sim World. L’objectif y est naturellement de conduire correctement son train, mais rien n’interdit d’aller s’asseoir sur un siège passager, d’explorer les wagons et les quais, ou même de descendre sur les rails. Ne pas croire que la transgression est réservée aux adeptes de GTA : dans Train Sim World ou dans Farming Simulator aussi on peut faire (un peu) n’importe quoi. L’enseignant et chercheur Mathieu Triclot, auteur de Philosophie des jeux vidéo, s’est penché sur le cas de ces simulations. « J’ai commencé par m’intéresser à Street Cleaning Simulator, un simulateur de motocrottes, dit-il. Ce qui était fascinant, c’était le caractère trivial de l’activité. D’autant plus que la ville était particulièrement propre. On aurait pu

Bus Simulator 18

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Bus Simulator 18

Le jeu s’appelle Bus Simulator 19, un titre si explicite qu’il se passerait presque de commentaire. Mais attention : ça ne rigole pas.

© ASTRAGON

© ASTRAGON

JEUX VIDÉO


© DOVETAIL GAMES

JEUX VIDÉO

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Train Sim World

imaginer un titre sublime où il aurait fallu se battre contre des montagnes d’immondices, mais, en réalité, il n’y avait quasiment rien à faire. Ça me paraissait une proposition ludique très radicale parce que le fun n’est pas mis en avant. C’est du travail “pour de faux”, mais qui conserve les propriétés du travail “pour de vrai”. Où réside le plaisir du jeu ? Dans Street Cleaning, quand on progresse, on peut ajouter des balais-brosses à la motocrotte. Et, cerise sur le gâteau, on peut les contrôler individuellement, chacun a sa propre touche ! C’est le rêve ! On est, il me semble, dans un plaisir qui est celui du modélisme, d’une maquette actionnable et immersive. »

JEUX D’ACTIONS

Le philosophe relativise aussi l’impression de banalité des univers simulés. « J’ai le souvenir qu’un écran de chargement d’Euro Truck Simulator demandait : “Qui n’a jamais rêvé de piloter un gros camion ?” Certes, ce n’est plus l’avion de chasse, mais c’est tout de même le gros véhicule ou l’engin de chantier qui fait rêver l’enfant en nous ! Il reste du désir à investir. » Comme avec les véhicules de

chantier du tout aussi fascinant Construction Simulator 2, c’est une version très technique des jeux d’imitation qui se déploie. Une version qui frappe, aussi, par son rapport au temps. Une moissonneuse-batteuse ou un bus, ce n’est pas un vaisseau intersidéral ou une Formule 1. Et pourtant, l’effet produit, quasi hypnotique, n’est pas si différent que l’on traverse tranquillement de nuit les États-Unis d’American Truck Simulator ou que l’on file sur les circuits futuristes de Wipeout. Lenteur et très grande vitesse, même combat. À côté des jeux dits d’action (nerveux, brutaux), ces simulations s’imposent comme des jeux d’actions au pluriel : d’actions multiples, précises et, à bien y réfléchir, pas nécessairement plus répétitives que celles du gros jeu moyen. D’ailleurs, l’ennui ne réside pas forcément là où on le croit. « Je trouve très ennuyeux certains FPS multijoueur où je me fais liquider en quelques secondes et dois attendre à ne rien faire en “mode spectateur”, avoue Bruno Giacobbé. Au moins, dans Farming Simulator, il y a toujours quelque chose à découvrir. » • ERWAN HIGUINEN

CHEZ KOJIMA AUSSI Une suite de livraisons à effectuer, à pied ou grâce à différents véhicules. Et si Death Stranding, le jeu de Hideo Kojima qui fut l’un des événements de la fin d’année, appartenait aussi à la grande famille des simulators ? « L’analogie fonctionne à plein, estime Mathieu Triclot. On pourrait dire qu’on retrouve exactement la même boucle de gameplay, entre le travailleur ubérisé et ses missions de livraison d’un côté, le déplacement lent et difficile de l’autre. On passe tellement de temps à patiner dans la bouillasse que ça pourrait ressembler à Spintires. On a les mêmes enjeux : comment vais-je traverser cette rivière sans y laisser toute ma cargaison ? D’ailleurs, il est dommage que la physique des véhicules soit si mauvaise dans Death Stranding, à tel point qu’elle rappelle plus celle de Street Cleaning Simulator. Mais le jeu de Kojima a une dimension de malaise absente des jeux de simulation classiques, qui n’ont pas de vocation critique ou réflexive. » • E. H.

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KIKI SMITH — : jusqu’au 9 février à la Monnaie de Paris

Kiki Smith, Sleeping, Wandering, Slumber, Looking About, Rest Upon, 2009-2019

© KIKI SMITH, COURTESY PACE GALLERY – COPYRIGHT MARTIN ARGYROGLO / MONNAIE DE PARIS

EXPOS

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Tout

en évitant le parcours chronologique et thématique, l’exposition propose une traversée de l’œuvre protéiforme de l’artiste américaine qui, depuis les années 1970, offre une relecture féministe des grands mythes fondateurs. Ce qui frappe peut-être le plus, c’est la diversité des matériaux et techniques employés par Kiki Smith, éminemment contemporaine dans sa faculté à incorporer à sa pratique plastique des savoir-faire artisanaux et à flirter avec les arts décoratifs : sculptures en bronze, en verre, en cire ou en papier mâché, tapisseries réalisées à partir de collages numérisés, gravures, photographies, etc. On est à mille lieues de la rigueur minimaliste de son père, le sculpteur Tony Smith. Une cohabitation qui va de pair avec les notions de porosité et d’hybridité à l’œuvre dans son univers, nourri par l’imaginaire populaire des mythes religieux et des récits cosmogoniques comme des contes pour enfants, peuplé d’organes, de corps, d’animaux, d’astres et de femmes. De la Vierge Marie à Geneviève, la sainte patronne de Paris, en passant par Dorothée du Magicien d’Oz, quelques femmes-loups et autres sorcières (sans oublier, en arrière-plan, sa mère et ses deux sœurs), une série de figures féminines est convoquée, réhabilitée, réinterprétée et remise au cœur d’une histoire et d’un système où se font écho le passé et le futur, et au sein duquel le corps constitue une interface entre le petit et l’infiniment grand. • ANNE-LOU VICENTE

De la Vierge Marie aux sorcières, une série de figures féminines est réhabilitée, réinterprétée.

URSULA VON RYDINGSVARD

BEN RUSSELL

Artiste allemande d’origine polonaise, Ursula von Rydingsvard a été transbahutée dans les camps toute son enfance avant de trouver refuge aux États-Unis en 1950. Avec ses sculptures monumentales taillées dans le cèdre, hautes de plus de cinq mètres, l’artiste fait feu de tout bois. Trônant verticalement dans le paysage, ces noueux totems organiques invoquent des forces naturelles, avec une splendeur et une puissance hors du temps. • JULIEN BÉCOURT

Cinéaste et artiste postcolonial, l’Américain Ben Russell s’attache, dans le sillage de Jean Rouch, à filmer des rituels et des traditions primitives qui persistent encore de nos jours. Ressuscitant la fonction magique du cinéma, il est parti dans neuf pays en quête d’une montagne, inspiré par l’écrivain René Daumal. En résulte cette installation audiovisuelle contemplative qui doit autant au road movie et au concert filmé qu’à un cérémonial initiatique. • J. B.

von Rydingsvard, jusqu’au 11 janvier

de Ben Russell, du 23 janvier au 5 avril

à la galerie Lelong & Co.

au Plateau

: « GDY ONA – When she » d’Ursula

: « La Montagne invisible »

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ART COMPRIMÉ

PETIT PALAIS JUSQU’AU 23 FÉVRIER 2020

Qui a volé les chiottes en or massif de Maurizio Cattelan ? Déplacée temporairement du musée Guggenheim de New York au palais de Blenheim (Grande-Bretagne) à l’occasion d’une exposition de l’artiste italien, America (c’est le nom de l’œuvre, estimée à 2,6 millions de dollars) a été dérobée dans la nuit du 13 au 14 septembre. Et n’a toujours pas été retrouvée. Une récompense de 100 000 livres est désormais offerte à toute personne apportant des informations décisives aux enquêteurs. Cattelan en a profité pour poser, nu, avec ses toilettes sous le bras, pour la campagne de publicité… d’une offre d’assurance dédiée aux collectionneurs d’art. • Dans les Pyrénées-Atlantiques, c’est la cathédrale d’Oloron-Sainte-Marie qui a vu son trésor disparaître (des pièces d’orfèvrerie et des vêtements liturgiques anciens) le 4 novembre vers 3 heures du matin, après une attaque à la voiture-bélier. • Escalader une pyramide est désormais passible d’un mois de prison minimum ou d’une amende pouvant aller jusqu’à 5 600 euros, a légiféré le gouvernement égyptien en novembre dernier. Le double, si c’est à poil (voir la photo virale, l’an dernier, du photographe danois Andreas Hvid, qui posait avec une jeune femme, nus, au sommet de la grande pyramide de Khéops). • Les « tulipes » de Jeff Koons, nouvellement installées derrière le Petit Palais à Paris, continuent de faire couler de l’encre. Le 7 novembre, un graffiti, effacé depuis, est mystérieusement apparu sur sa base de la statue : « 11 trous du c… » Qu’est-ce que ça peut bien vouloir dire ? • MARIE FANTOZZI ILLUSTRATION : PABLO GRAND MOURCEL

LUCA

GIORDANO Le triomphe de la peinture napoliaine

(1634-1705)

#LucaGiordano www.petitpalais.paris.fr Métro : Champs-Élysées Clemenceau

Luca Giordano, Ariane abandonnée, huile sur toile, Musée de Castelvecchio, Vérone, Italie © Verona, Museo di Castelvecchio, Archivio fotografico (foto Umberto Tomba, Verona)

Tous les mois, notre chroniqueuse vous offre un concentré des dernières réjouissances du monde de l’art.


SPECTACLES

CHAMBRE NOIRE — : d’Yngvild Aspeli – Plexus Polaire, jusqu’au 21 décembre au Monfort théâtre (1 h) © BENOÎT SCHUPP

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« L’artiste

Andy Warhol a été grièvement blessé par balles par une actrice dénommée Valerie Solanas », scande une voix sur scène. Qui était cette femme qui a tiré sur la figure du Pop art ? Inspirée du roman fantaisiste La Faculté des rêves de la Suédoise Sara Stridsberg, la metteuse en scène Yngvild Aspeli nous donne des éléments de réponse. Elle raconte le destin tourmenté de cette Américaine, féministe radicale très peu connue du grand public et autrice du manifeste S.C.U.M. (« Society for Cutting Up Men », soit la « Société pour tailler en pièces les hommes ») en 1967. On retrouve cette femme sur son lit de mort, puis on l’accompagne au fil des réminiscences d’épisodes de sa vie, la découvrant tour à tour diplômée de psychologie, prostituée et internée. Un portrait d’une femme violente, drôle et terriblement touchante, que l’on comprend inapte à la société. Cette quatrième création de la metteuse en scène et marionnettiste, qui a enthousiasmé la critique, tourne maintenant depuis 2017 à travers le monde. Ce théâtre hallucinatoire, décalé, étrange, envoûtant et pluridisciplinaire est hors du commun. Il articule le jeu d’actrice, l’art des marionnettes portées, à taille humaine, chères à la Norvégienne, un concert aux accents pop-rock, assuré par la percussionniste Ane Marthe Sørlien Holen, et des projections vidéo psychédéliques. On y est aspiré, comme dans un vortex vertigineux, dans lequel on aurait aimé flotter un peu plus longtemps. • BELINDA MATHIEU

Le portrait d’une femme violente, drôle et terriblement touchante.

LE CORPS DES SONGES Campé sur des chaussures à talon imitant les sabots d’un équidé, l’échine courbée, un individu à l’allure bestiale déambule sur le plateau. Cet homme c’est Nosfell, chanteur, compositeur et ici performeur étrange. Il fait résonner sa voix surnaturelle, envoûtante, dans la novlangue du pays fantasmagorique et onirique de Klokochazia, l’univers inventé dans son enfance et qu’il déploie avec grâce dans cette création. • B. M.

: de Nosfell, les 17 et 18 janvier au Centquatre (1 h)

TOUT LE MONDE NE PEUT PAS ÊTRE ORPHELIN « Personnellement, je n’ai jamais vraiment cru à la notion de famille », explique Jean-Christophe Meurisse. Le ton est donné. Dernière création de la bande déjantée et imprévisible des Chiens de Navarre, cette pièce nous transporte dans le cocon névrotique d’un repas de famille. Sept comédiens frénétiques nous surprennent à coups de jeu débridé encore une fois basé sur de l’improvisation. • B. M.

: de Jean-Christophe Meurisse,

du 9 au 18 janvier à la MC93 (Bobigny, 1 h 30)

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2 JUIN – 2 JUILLET

Licence entrepreneur de spectacles No 2-1049484, 3-1049505 • Visuel 2019 : Julia Bourdet / Marie Guirlet

CONCERTS BASILIQUE LÉGION D'HONNEUR

pré-locations : 01 48 13 06 07 www.festival-saint-denis.com


RESTOS

BOUILLON DE CULTURE

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© PIERRE LUCET PENATO

À l’origine, on y servait aux ouvriers du hochepot (pot-au-feu nordiste) avec son bouillon. Gargotes à prix doux, les bouillons repassent les plats grâce à de jeunes entrepreneurs qui connaissent leurs classiques. Bon et pas cher, que demande le peuple ?

LE PETIT BOUILLON PHARAMOND Benjamin Moréel est fier de faire visiter son Petit Bouillon Pharamond, trois étages d’un patrimoine resté dans son jus, classé aux monuments historiques, mais dans un état impeccable, banquettes de velours rouge, miroirs et boiseries incluses. Avec son associé, Christopher Préchez, ce restaurateur multiple (Café de Mars, Lefty, Little Georgette, John Weng et le POD) ne ménage pas sa peine pour redonner vie à cette institution des Halles, fondée en 1832 par le Normand Pierre Heutte. En restant fidèle aux grands classiques de la cuisine bourgeoise, le duo insuffle un renouveau grâce à un sourcing pointu et à des dressages appétissants. Le mini-camembert rôti au miel (6,90 €) vous fait de l’œil, le filet de hareng pomme à l’huile (4,40 €) scintille sous les lustres. Au deuxième étage, des salons privatisables peuvent accueillir les amoureux d’os à moelle (3,80 €) et d’œufs mimosa (1,90 €). Mais c’est côté plat que la magie opère le mieux. On pioche dans ses souvenirs pour comparer le bœuf bourguignon, coquillettes (10,20 €) ou le confit de canard, purée maison (12,20 €) avec celui de sa grand-mère. Eh bien, ces assiettes-là, généreuses et cuisinées en patience, n’ont pas du tout à rougir. Il y a même de quoi régaler les végétariens avec le potimarron rôti farci aux lentilles et champignons (9 €) qui cartonne. Un pichet de côtes-du-rhône à moins de 3 € pour faire couler la tarte Tatin, crème épaisse (4,50 €) et l’on repart content, sans s’être ruiné, pour affronter une modernité qui semble tout à coup un peu terne. • STÉPHANE MÉJANÈS

: 24, rue de la Grande-Truanderie, Paris Ier

BOUILLON PIGALLE

BOUILLON JULIEN

Pierre et Guillaume Moussié (Chez Jeannette, le Providence) ont été avec Christophe Joulie (Chartier) les premiers à réinventer le bouillon. Pari réussi dans cette maison de 300 places assises (banquettes en skaï rouge et nappes de papier grainé) qui fait virevolter soupe à l’oignon (3,80 €), hachis Parmentier (9,20 €) et île flottante (2,80 €), de midi à minuit. • S. M.

À la création, en 1906, la devise est : « Ici, tout est beau, bon, pas cher. » Rien n’a changé depuis la reprise par Jean-Noël Dron. Panneaux peints par Louis Trézel, bar en acajou signé Louis Majorelle, et surtout du roboratif à la carte : poireaux vinaigrette (3,40 €), tête de veau, sauce gribiche (11,40 €) et riz au lait, caramel au beurre salé (3,30 €). • S. M.

: 22, boulevard de Clichy, Paris XVIIIe

: 16, rue du Faubourg-Saint-Denis, Paris Xe

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CONCERTS

MARIA VIOLENZA — : le 26 janvier à La Machine du Moulin Rouge

© FRANCK ALIX

OFF

Sicilienne

de Palerme, Cristina n’a pas eu à s’inventer des histoires à dormir debout pour trouver son nom de scène. La violence de son île volcanique, lieu de naissance de la mafia et carrefour des convoitises depuis l’Antiquité (Byzantins, Grecs, Arabes, Allemands, Normands, Espagnols… tous y ont laissé des traces), Maria Violenza la mâche et la recrache dans sa musique de presque rien, compressant l’héritage assourdissant des cruautés en quelques origami de chair à vif et de métal rouillé qu’elle appelle ses chansons. Un synthé, une boîte à rythme, une guitare électrique, quelques boîtiers d’effets, il ne lui en faut pas plus pour couvrir le territoire du punk synthétique et de la cold-wave, et lui donner un air tout à fait inédit grâce à la somme des influences héritées et de ses propres expériences de nomade. Sa voix à la fois grave et enfantine, hypersensible et bagarreuse, ne cherche jamais la note juste, mais plutôt le sentiment profond, celui qui cicatrise mal et qu’elle partage par égoïsme, pour se sentir moins seule, à défaut de pouvoir, et sans doute de vouloir, en guérir pour de bon. Jonglant entre l’italien des jours de paresse et le français des souffles au cœur, l’anglais qui impose une distance mélancolique et le dialecte sicilien qui fonce dans le tas à pleine vapeur, elle reste toujours fidèle à ses humeurs changeantes comme à son éthique de sobriété. On la retrouvera à l’anniversaire de La Machine du Moulin Rouge, qui fête en janvier dix ans de défrichage et d’incitation à la débauche, en compagnie de quelques frères spirituels (Beak>, Abschaum, Vox Low), qui, comme elle, ne se sentent vivants que lorsqu’ils parviennent à transformer la violence en beauté. • MICHAËL PATIN

La violence de son île, Maria Violenza la mâche et la recrache dans sa musique de presque rien.

MARIKA HACKMAN

EDITH NYLON

Désarmante provocatrice, la jeune Anglaise rompt tout à fait avec l’indie-folk de ses débuts – acclamés – pour embrasser une pop électronique et électrique sur son dernier opus, l’époustouflant Any Human Friend. Entre synthés rétro, mélancolie ambient et beats motorik, elle raconte le désir queer sous toutes ses coutures, avec une vulgarité jouissive et une sensualité puissante. Promesse d’un live excitant, dont on espère qu’il durera « All Night ». • ETAÏNN ZWER

Reformation surprise pour l’impétueuse Mylène Khaski et son groupe de jeunes gens modernes. Quarante ans après avoir secoué le punk rock français – période cuir, pogo, Stinky Toys et Taxi Girl – en une carrière éclair et quatre disques, la bande ravive l’esprit des Clash et revisite ses hymnes d’alors, toujours aussi accrocheurs : « Femmes sous cellophane », « Johnny Johnny », « Tank », « Cinémascope », et le célèbre gimmick « Edith Nylon, c’est moi » . • E. Z .

: le 14 décembre au Point Éphémère

: le 17 janvier au Petit Bain

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Photo : Ben Zank

Spectacles vivants en réalité virtuelle

Réalités réinventées Danse et nouvelles technologies

Cie Gilles Jobin & Artanim • Adrien M & Claire B • Compagnie AOE / Esteban Fourmi et Aoi Nakamura

décembre 2019 – mars 2020 1 place du Trocadéro, Paris www.theatre-chaillot.fr


PLANS COUL’ À GAGNER

EMANUEL GAT SPECTACLE

— : « WORKS » du 8 au 11 janvier au Théâtre national © LAURENT PHILIPPE

de la danse de Chaillot

Joyeux

cadencée par une bande-son éclectique qui va de Jean-Sébastien Bach à Nina Simone, en passant par les compositions de Gat lui-même – qui a été formé comme musicien avant de devenir danseur. Au fil de la représentation, on découvre les personnalités et les sensibilités de chacun, ainsi que les liens qui les unissent entre eux. À l’opposé des ballets bien rangés aux corps standardisés, Gat déploie une célébration de la singularité de chaque danseuse et danseur, une déclaration d’amour à la vie et au plaisir de danser. • BELINDA MATHIEU

OFF

et plein d’humanité : voilà comment résumer le travail du chorégraphe israélien quinquagénaire, qui tient à mettre les interprètes au cœur de son processus créatif. En 2017, Emanuel Gat créait WORKS, une explosion virtuose et libre, qui fusionnait deux groupes de danseurs : le Ballet de Lyon et la Emanuel Gat Dance. Pour la reprise de cette pièce, il convie dix membres du second groupe qui saturent le plateau par leur énergie vitale quasi inépuisable. Gaie, pleine d’entrain, presque frénétique, la danse y est

VAMPIRES

Nosferatu. Fantôme de la nuit de Werner Herzog (1979)

EXPO

Du Nosferatu de F. W. Murnau jusqu’au phénomène Twilight, le mythe des suceurs de sang, s’il a pris racine dans la littérature, n’a cessé de vampiriser le cinéma, art vampirique par excellence. L’expo « Vampires. De Dracula à Buffy » explore les infinies déclinaisons de cette figure sulfureuse à travers moult extraits de films, affiches, photographies ou costumes. • D. E .

: jusqu’au 19 janvier à la Cinémathèque française

HELENA RUBINSTEIN

EXPO

Si l’on connaît la marque de cosmétiques qui porte son nom, on connaît moins l’histoire de Helena Rubinstein, et encore moins sa passion pour les arts africains et océaniens. À travers quelque soixante pièces de sa collection (masques, sculptures), l’expo révèle les goûts visionnaires d’une femme d’influence. • D. E .

: « Helena Rubinstein. La collection de Madame »,

jusqu’au 28 juin au musée du quai Branly – Jacques Chirac

COURS D’HISTOIRE DE L’ART

CONFÉRENCES

Toute l’année, Des Mots et Des Arts propose des cycles de cours dans les salles mk2 autour de différentes thématiques. En une heure, vous pouvez par exemple découvrir l’œuvre d’un cinéaste, percer les secrets d’une cité millénaire ou vous passionner pour la vie d’un grand artiste. Sur troiscouleurs.fr, vous pouvez gagner deux cartes offrant un accès illimité à ces onze cycles de conférences jusqu’en juin 2020. • D. E .

: programmation sur www.mk2.com

© D. R. ; LIPNITZKI, ROGER-VIOLLET

Helena Rubinstein, vers 1930

SUR TROISCOULEURS.FR/TAG/PLANS-COUL/



SONS

ROUGE GORGE — : « René » (Dokidoki)

OFF

Après

un premier album remarqué de ritournelles synth-pop (dont le mini-hit « Les Primevères des fossés »), Rouge Gorge revient avec René (entendre : « né à nouveau »), album de résilience, documentant en mélodies entêtantes la progressive reconstruction de son auteur. Il y a un peu plus d’un an, la maladie auto-immune dont le chanteur rennais Robin Poligné est atteint s’est aggravée. Parallèlement à sa rééducation, il a écrit ces nouvelles chansons, comme un témoignage sur le vif de sa lente remontée de la gravité (le coma) à la légèreté (de l’oiseau). « Allez-vous en, allez-vous en, je ne suis pas si malheureux que ça », chante-t-il dès le début de l’album, comme un avertissement aux auditeurs trop voyeurs – ou à qui la compassion donnerait trop bonne conscience. Chacun reconnaîtra ses propres montées et descentes (physiologiques, existentielles, amoureuses) dans ces airs aussi possiblement dramatiques qu’enjoués, sertis d’arpèges de Casio lancinants, de petites boîtes à rythmes exotica et de paroles ambivalentes dans lesquelles la

SI TON ALBUM ÉTAIT UN FILM ? « Ce serait Eternal Sunshine of the Spotless Mind de Michel Gondry, pour la quête de Joël qui s’accroche à ses souvenirs et à ses rêves afin de réparer son idylle perdue, engloutie par le processus qui efface sa petite amie de sa mémoire. Au milieu de cette esthétique

© MYRIAM TIRLER

lumière et l’obscurité vont sans cesse de pair. « Il n’y a pas que des jolies choses à vivre, et c’est tant mieux », chante-t-il ainsi, avec ironie, sur « Des jolies choses ». « Ce qui est beau dans cette renaissance, c’est l’expérience de sortie de l’amnésie, retrouver la mémoire et se rendre compte qu’on se rétablit physiquement non pas en partant de rien, comme avec un cerveau d’enfant, mais, étrangement, en retrouvant les choses que l’on sait. Tu sais que tu sais, et, ce que tu n’arrives plus à faire fonctionner, il faut le rejouer pour le retrouver. » Rouge Gorge rejoue ainsi le réapprentissage du geste (hésitant), du chant (abîmé), et de l’interaction sociale (compliquée) en huit chansons minimalistes et mélodieuses, cousinant avec la fragilité de Dominique A (et son « Courage des oiseaux », bien sûr) ou avec la légèreté dandy, dansante et synthétique des « jeunes gens modernes » (Taxi Girl, Elli & Jacno, Étienne Daho). Le Rennais a justement ouvert pour Étienne Daho aux dernières Transmusicales, et c’est comme une nouvelle étape dans son gracieux cheminement des abîmes aux étoiles. • WILFRIED PARIS

de carton collé et de bidouilles techniques, le film se construit en se déconstruisant, tout comme les souvenirs de Joël, qui, dans cet imbroglio de petites scènes bricolées entre ses perceptions, ses souvenirs et ses fantasmes, passe du rôle d’acteur à celui de spectateur. » ROUGE GORGE

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JUKE-BOX

16 JAN 01 FÉV 20

ANDY SHAUF

: « The Neon Skyline » (ANTI-)

En 2016, The Party a assis la réputation d’Andy Shauf, créateur de mélodies pop mariant simplicité de surface et complexité en profondeur. Après un passage prog avec son groupe Foxwarren, le Canadien est de retour avec ses ballades mémorables, suivant le fil narratif d’une soirée passée dans un bar. Entre Randy Newman et Joni Mitchell, fluidité pop et ambition littéraire, ces vignettes existentielles font de Shauf un formidable auteur-compositeur. • W. P.

MONT ANALOGUE : « Super Flumina Babylonis » (Kidderminster)

Tirant son nom du roman d’exploration occulte de René Daumal, et le titre de ce premier album d’un psaume évoquant l’exil à Babylone (psaume qui inspira aussi « Rivers of Babylon » au groupe jamaïcain The Melodians, popularisé ensuite par Boney M.), le duo français met en musique (électronique, ambient) sa vision d’un futur après l’effondrement. Entre science-fiction et new-age, Mont Analogue invente une mythologie musicale singulière, lancinante, onirique. • W. P.

PIERRE VASSILIU : « En voyages » (Born Bad)

Après une première compilation (Faces B, 2018) en forme de réhabilitation, Born Bad dévoile d’autres penchants musicaux du moustachu rigolard de « Qui c’est celui-là ? », reflets exotiques de ses nombreux voyages et des rencontres que ceux-ci occasionnèrent, de Rio à la Casamance. Solaire, aérien, fantaisiste, Vassiliu s’y révèle parolier trippé (pas loin parfois d’Areski & Brigitte Fontaine) et musicien sans frontières. • W. P. ILLUSTRATION : SAMUEL ECKERT

NICKEL MATHILDE DELAHAYE THÉÂTRE | CRÉATION


SÉRIES

SUCCESSION — : Saisons 1 et 2 sur OCS

© OCS

OFF

Alors

que l’offre télévisuelle n’a jamais été aussi vaste, les grandes séries se comptent sur les doigts d’une main. Sans tambour ni trompette, ultra bavarde et dépourvue de star, Succession sur HBO s’est imposée en deux saisons comme un indispensable de cette fin de décennie. La saga des Roy, richissimes magnats des médias new-yorkais se déchirant pour désigner l’héritier du patriarche Logan (Brian Cox), est un spectacle tout à fait fascinant, et le mérite en revient d’abord au créateur de la série, Jesse Armstrong. Cet auteur de comédie à qui l’on doit quelques sommets du rire grinçant à la télé britannique (Peep Show, Fresh Meat) n’épargne aucun de ses protagonistes, tous plus égocentriques les uns que les autres (mention spéciale à Tom, le gendre mi-arriviste

REVOIS

mi-ingénu), dans un jeu de massacre enlevé aux dialogues ciselés. Mais Succession ne se résume pas à une farce à la Veep que l’on aurait grossièrement brodée sur le canevas du Roi Lear. Armstrong relève au contraire fièrement le défi shakespearien en embrassant la dimension tragi-comique de ses protagonistes, notamment via le beau portrait du fils maudit Kendall (Jeremy Strong). La manière dont la série enferme ceux-ci dans des espaces privatisés (gratte-ciel dominant la Grosse Pomme, palaces, yacht familial) offre un aperçu sidérant de la déconnexion de ces monarques aux petits pieds avec le monde sur lequel ils règnent de fait. Depuis Mad Men et son inventaire édifiant des sixties, on n’avait pas vu série saisir avec autant d’acuité une époque. En l’occurrence, la nôtre. • GRÉGORY LEDERGUE

VOIS

PRÉVOIS

DICKINSON

PLATANE

VOLTAIRE, MIXTE

Au milieu des blockbusters alignés au lancement d’Apple TV+, la modeste Dickinson fait figure d’ovni. Centrée sur la jeunesse de la poétesse Emily Dickinson dans l’Amérique de 1840, cette drôle de fiction en costumes s’autorise des libertés enthousiasmantes sous la férule du cinéaste David Gordon Green, avec sa langue et sa bande-son hip-hop/electro estampillées 2019. Détonant. • G. L .

L’humour d’Éric Judor – mélange, unique en France, de non-sens à l’anglaise, d’humour malaisant et de caca prout –, on l’aime ou on le déteste. Six ans après la saison 2, le voilà de retour aux manettes de sa série Platane, et c’est toujours aussi débile, toujours aussi méchant, toujours aussi drôle. Flex (Hafid F. Benamar), le meilleur coloc du monde, nous avait cruellement manqué. • G. L .

Amazon a commandé ses premières séries françaises inédites, au tropisme sixties prononcé. Tout comme Operations Totems, la comédie dramatique Voltaire, Mixte prendra place pendant cette décennie pour raconter l’ouverture du lycée Voltaire à Paris à ses premières élèves de sexe féminin. La scénariste Marie Roussin (Les Bracelets rouges) sera aux commandes. • G. L .

: Saison 1 sur Apple TV+

: Saison 3 sur Canal+

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: Prochainement sur Amazon Prime Video



JEUX VIDÉO

OFF

DEATH STRANDING

Retour

— : Sony (PS4) —

triomphal pour le créateur de Metal Gear, le Japonais Hideo Kojima, qui bouscule les normes du jeu vidéo pour mieux redéfinir celui-ci. À la suite d’un mystérieux cataclysme, l’humanité (ou ce qu’il en reste) vit retranchée sous terre. Dehors, la pluie fait vieillir instantanément le moindre organisme qu’elle touche, ou fait apparaître des spectres invisibles qui cherchent à tuer le moindre insouciant. Au milieu de ce désert mortifère, Sam Porter Bridges, un livreur de marchandises, doit braver tous ces dangers pour faire son boulot. Sa mission : traverser les États-Unis pour approvisionner les diverses communautés de survivants et les convaincre de s’unifier pour reconstruire la nation. Comment ? En marchant pendant des heures, denrées sur le dos, quelle que soit la météo, quel que soit le relief. Death

PLANET ZOO Sous ses airs de jeu de gestion parfaitement huilé, Planet Zoo a surtout le bon goût de privilégier l’altruisme – il faut sans cesse veiller au bien-être des pensionnaires, dans l’optique de les relâcher dans la nature. Une ligne de conduite rafraîchissante. • Y. F.

: Frontier Dévelopment (PC)

Stranding ne ment pas sur son programme : il s’agit bien d’un simulateur de randonnée et de livraison (même si l’histoire connaît de nombreux rebonds) bercé de solitude dépressive, à travers des paysages désolés. Parfois, il arrive que l’on tombe, entre deux précipices, sur une échelle ou un pont qu’un autre joueur connecté a eu la bonté de laisser derrière lui. On pourrait craindre une routine. Mais non : parce qu’un seul caillou peut nous faire chuter et provoquer la perte de notre marchandise, chaque expédition devient un périple émotionnel hors norme. Death Stranding n’est pas qu’un concept radical. C’est aussi une histoire bouleversante et parfaitement maîtrisée, qui réussit une gageure inouïe : nous redonner foi face au pire, par le seul prisme de la marche hypnotique et de la solidarité entre joueurs. • YANN FRANÇOIS

STAR WARS JEDI. FALLEN ORDER Ce spin-off, dont l’histoire se situe en amont de la nouvelle trilogie, suit les péripéties aux quatre coins de la galaxie d’un jeune Jedi en cavale pour échapper à l’Empire. Les bons jeux basés sur la licence Star Wars sont rares : trépidant et exigeant, Fallen Order est de ceux-là. • Y. F.

: Electronic Arts (PC, PS4, One)

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THE WANDERER. FRANKENSTEIN’S CREATURE Cette relecture délaisse les récits enchâssés du livre pour se concentrer sur le seul destin de sa créature. Avec elle, nous découvrons le monde comme au premier jour, dans de sublimes tableaux qui prennent vie et couleurs à chacun de nos pas. • Y. F.

: La Belle Games (PC)


LA NUIT DES IDÉES EST PRÉSENTÉE PAR

Chaque mois, notre chroniqueur explore les mondes du jeu vidéo indépendant en donnant la parole à l’un de ses créateurs.

LA NUIT DES IDÉES Nous voici les cobayes d’une drôle d’expérience : au moyen d’un cube minuscule, il nous faut nous échapper d’une salle dont la sortie, en hauteur, est inaccessible. Seul indice, griffonné sur une feuille : « Perception is reality. » Miracle : le cube que l’on tient en main, regardé sous un autre angle, grandit jusqu’à devenir un promontoire suffisamment haut pour atteindre le rebord final… Débordant de trompe-l’œil et d’illusions d’optique en tous genres, Superliminal fait du puzzle un vrai poème métaphysique. On doit ce joli tour de passe-passe à Pillow Castle Games, un groupe d’anciens étudiants de Seattle qui a voulu transformer son projet de fin d’études en jeu à part entière. « On s’est lancés dans l’aventure indé avec une seule ambition, nous raconte son concepteur, Albert Shih, celle de créer des expériences qui n’appartiennent qu’au jeu vidéo. » Le but de Superliminal ? « Que chaque puzzle, quand vous en venez à bout, vous provoque un rire de surprise, et vous convainque d’une chose, qui peut servir de leçon de vie : “Ne crois pas forcément ce que tu vois.” » C’est vrai : pour sortir de ce labyrinthe mental, il faut abandonner toute forme de logique cartésienne et réinventer la réalité par notre seul regard. « La plupart des énigmes reposent sur des schémas de réflexion très classiques. On essaye de faire le contraire : on ne cherche pas à vous faire comprendre un problème, mais plutôt à ce que vous le regardiez autrement. Votre meilleure arme, c’est votre intuition. » • YANN FRANÇOIS

— : « Superliminal » (Pillow Castle Games | PC)

ÊTRE VIVANT

30 JANVIER 2020 lanuitdesidees.com #lanuitdesidees

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LIVRES

HISTOIRE DE LA PLUIE EN QUARANTE ÉPISODES Le

présent numéro de TROISCOULEURS court jusqu’à une période que nos ancêtres révolutionnaires, suivant le calendrier de Fabre d’Églantine, appelaient Pluviôse, du 20 janvier au 18 février. D’après eux, il pleut beaucoup en cette période. On pourrait objecter qu’il pleut davantage en novembre et en mars, mais peu importe : le moment semble idéal pour lire Histoire de la pluie en quarante épisodes de Jean-Louis Hue, promenade érudite et subjective qui convoque l’histoire, les sciences, les arts et les souvenirs, à la façon des essais de l’historien Alain Corbin, lui-même auteur d’une Histoire buissonnière de la pluie. Hue a retenu quarante angles d’attaque, par clin d’œil au Déluge, et ce n’est pas trop. La pluie est partout : dans la Bible, où elle lessive le monde ; dans la pensée indienne, influencée par la mousson et structurée autour des catégories du sec et de l’humide ; dans la poésie, où elle évoque le spleen et la griserie ; dans l’agriculture ; dans la peinture, du Pluie, vapeur et vitesse de William Turner au Rue de Paris, temps de pluie de Gustave Caillebotte. Même la mode est concernée, avec les vêtements de pluie type Mackintosh ou Barbour, sans parler des parapluies, accessoires indispensables dont la Mecque, à Londres, est la boutique James Smith & Sons, « la plus vieille boutique de parapluies d’Europe » – comptez environ 225 £ (262 €) pour un modèle classique, si solide qu’il « peut protéger de la pluie durant une vie entière ». L’auteur aurait été bien avisé

d’emporter un tel parapluie quand il est parti à pied sur le West Highland Way, un sentier de randonnée serpentant en Écosse, dans la région la plus humide de Grande-Bretagne. Trempé, fripé, épuisé, il a abandonné avant la fin ; un comble pour ce marcheur aguerri, accoutumé aux intempéries depuis son enfance normande. Car il pleut beaucoup en Normandie, d’où le

OFF

Le japonais possède, paraît-il, un mot pour chaque nuance de pluie. patois pour désigner l’averse – la birouée, la brouasse, la guilée – et la bruine – le crassinage, terme cité par Flaubert. Ce n’est rien cependant à côté du japonais qui possède, paraît-il, un mot pour chaque nuance de pluie. Ces aperçus culturels sont l’un des charmes de ce livre passionnant, épicé d’un humour discret. Son seul défaut est de n’être pas imprimé sur papier hydrofuge, pour être lu in situ. • BERNARD QUIRINY

— : « Histoire de la

pluie en quarante épisodes » de Jean-Louis Hue (Grasset, 300 p.)

L’ARTISTE

PARIS AUX CENT VISAGES UNE ANTHOLOGIE

Paris, 2001 : un tueur en série s’attaque à des artistes, dans des mises en scènes recherchées. L’inspecteur Heckmann enquête… Antonin Varenne a entièrement réécrit cette histoire, qui fut son premier roman. Efficace, avec quelques scènes choc du meilleur effet. • B. Q.

Mort en 1979, le romancier et critique de cinéma Jean-Louis Bory avait publié l’année précédente ce beau texte sur Paris, agrémenté de photos de Bernard Hermann. Pour cette réédition, les photos font place à de superbes illustrations signées Damien Chavanat. • B. Q.

(La Manufacture

(Les Éditions

: d’Edward Gorey

de livres, 280 p.)

du Pacifique, 70 p.)

(Le Tripode, 176 p.)

: d’Antonin Varenne

: de Jean-Louis Bory

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Sans lui, l’univers de Tim Burton ne serait pas le même : Edward Gorey, illustrateur et écrivain américain, reste un must en matière d’ambiance gothique et enfantine. Cette anthologie rassemble cinq livres, dont Les Enfants fichus, grinçant abécédaire à base de mouflets trépassés. • B. Q.


9 – 22 janvier 29 janvier – 8 février

Nasser Djemaï

création

Angélica Liddell

10 janvier – 9 février en alternance création

3 – 29 mars

Peter Handke – Alain Françon création

5 mars – 5 avril

Yasmina Reza


BD

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BLACK RIVER

Krak !

— : de Josh Simmons (Huber Éditions, 109 p.) —

On entre dans le livre avec ses personnages : en fracassant une porte. Dès les premières cases, Josh Simmons, auteur américain punk – bien trop méconnu en France –, plante un décor apocalyptique dans lequel une bande de filles errent entre survie, picole, baise et fuite en avant. Il faut laisser le feuilleté des pages s’inscrire au fond de l’œil et du corps, sentir le malaise s’installer au fil des planches et comprendre que, si Simmons dépeint un monde essoufflé et sans issue, il nous parle avant tout de notre propre brutalité. Plus le récit avance, plus la violence devient gore et insoutenable. Les corps s’étripent et s’éviscèrent, on tue et on viole en gros plan, pleine case, et la force combinée du dessin et de l’histoire prennent d’un coup un autre sens. Simmons ne nous met pas simplement en garde. Il nous dit que toutes ces images, nous les avons déjà vues ailleurs, hier, et que le futur proche, bien souvent, ressemble à s’y méprendre aux archives qui hantent encore notre mémoire. • ADRIEN GENOUDET 124


La Fabrique des idoles

EXPOSITION

du 20 novembre au 23 février

CITÉ DE LA MUSIQUE

P H I L H A R M O N I E D E PA R I S

Photo : For ever, 2014 © Pierre et Gilles 2019 • Licences E.S. n°1-1083294, E.S. n°1-1041550, n°2-1041546, n°3-1041547.


LES ACTUS mk2

LES LUNDIS PHILO CHEZ MK2

Les conférences ludiques de Charles Pépin, professeur agrégé de philosophie et coauteur, avec le dessinateur Jul, de la BD 50 nuances de Grecs (deux tomes parus chez Dargaud), prouvent chaque lundi que la philo peut être accessible à tous.

Quel est le principe de vos conférences ? L’idée est d’offrir au public une pensée en train de se dérouler tout en s’ouvrant à la vraie vie, aux sciences sociales et à la littérature. Il ne s’agit pas de faire de la philosophie académique, mais plutôt de proposer une rencontre. Il y a deux choses importantes : l’émotion et l’humour. J’essaie de tirer la conférence de philosophie vers quelque chose qui ressemble à un show où une complicité s’installe avec le public. Depuis la rentrée, en plus du mk2 Odéon, vous proposez une seconde conférence, au mk2 Bastille. Pourquoi ? Il n’y avait plus de places au mk2 Odéon ; trop de personnes devaient faire demi-tour. On a alors décidé de créer un autre rendez-vous, à l’heure du déjeuner, pour attirer des gens qui travaillent et qui veulent assister à une rencontre philosophique. Pourquoi avoir importé la philosophie dans un cinéma ? Le cinéma dit qu’on peut assumer une dimension de spectacle sans en avoir honte. La salle de cinéma, c’est aussi l’intimité, la chaleur, et réunir des personnes différentes. Je suis assez fier d’avoir créé ce mélange.

À quoi sert la philosophie dans la vie quotidienne ? À avoir une vie plus intense. Quand on vit et qu’on pense l’amour en même temps, on le vit plus intensément. Quand on pratique la philosophie, on a l’impression de rencontrer la vie de façon plus intime. Et puis ça rend moins bête, puisqu’on est moins accroché à ses préjugés et à son identité. Un de mes grands objectifs, c’est que les participants se disent : « Je suis plus complexe et plus multiple que ça. » Que dîtes-vous à ceux à qui la philosophie peut faire peur ? Tous les sujets que j’aborde ne font pas peur – « Qu’est-ce que rencontrer quelqu’un ? », « Peut-on aimer sans souffrir ? ». Je pense que, ma patte, c’est de parler simplement, avec des exemples concrets de la vie quotidienne, ce qui ne m’empêche pas de dire des choses complexes. Et surtout, je leur dis de venir. Soyez un peu audacieux ! • PROPOS RECUEILLIS PAR EMILIO MESLET

— : « Lundis philo de Charles Pépin », les lundis à 12 h 30 au mk2 Bastille (côté Beaumarchais) et à 18 h 30 au mk2 Odéon (côté St Germain)

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mk2 SUR SON 31 JUSQU’AU 31 DÉC.

MARDI 7 JANV.

CYCLE BOUT’CHOU Pour les enfants de 2 à 4 ans : Premiers pas dans la forêt.

1 HEURE, 1 ŒUVRE « Eugène Delacroix, La Liberté guidant le peuple. »

: mk2 Bibliothèque,

: mk2 Bastille

mk2 Gambetta, mk2 Bastille

(côté Beaumarchais)

(côté Beaumarchais)

à 11 h

et mk2 Quai de Seine les samedis et dimanches matin

JUSQU’AU 5 FÉV. CYCLE JUNIOR Pour les enfants à partir de 5 ans : Robin des Bois ; Bambi ; Alice au pays des merveilles ; Raiponce.

: mk2 Quai de Loire et mk2 Gambetta

LUNDI 6 JANV. 1 HEURE, 1 ŒUVRE « Francisco de Goya, El tres de mayo de 1808 en Madrid (1814). »

: mk2 Parnasse à 11 h 1 HEURE, 1 MUSÉE « Le Louvre. »

: mk2 Parnasse à 12 h 30 LUNDIS PHILO DE CHARLES PÉPIN « Suffit-il d’être un homme pour être digne ? » Avec Éric Fiat.

: mk2 Bastille (côté Beaumarchais) à 12 h 30,

: mk2 Beaubourg à 12 h 30

1 HEURE, 1 CINÉASTE « François Truffaut. » Séance suivie par la projection de La Peau douce, à réserver en complément de la conférence.

: mk2 Odéon (côté St Michel) à 20 h

JEUDI 9 JANV. 1 HEURE, 1 ARCHITECTE « Ieoh Ming Pei. »

: mk2 Bibliothèque à 12 h 30

ACID POP « Du simple commentaire au journal intime : pourquoi la voix off ? » Projection de Ne croyez surtout pas que je hurle de Frank Beauvais en présence du réalisateur et de Vincent Dieutre.

: mk2 Quai de Seine à 20 h

DÉJÀ DEMAIN Le meilleur du court métrage contemporain, en partenariat avec l’Agence du court métrage et en compagnie de jeunes réalisateurs qui seront les grands cinéastes de demain.

: mk2 Parnasse à 20 h

à 11 h

CULTISSIME ! Projection d’Annie Hall de Woody Allen. dans l’après-midi

LUNDI 13 JANV. 1 HEURE, 1 ŒUVRE « Édouard Manet, Olympia (1863). »

: mk2 Parnasse à 11 h

1 HEURE, 1 MUSÉE « Le musée d’Orsay. »

: mk2 Parnasse à 12 h 30

LUNDIS PHILO DE CHARLES PÉPIN « Une expérience de l’éternité est-elle possible ? »

: mk2 Bastille (côté Beaumarchais) à 12 h 30,

1 HEURE, 1 ARTISTE « Paul Gauguin. »

: mk2 Beaubourg à 20 h

SAMEDI 11 JANV. 1 HEURE, 1 FEMME D’INFLUENCE « Joséphine Baker. »

: mk2 Odéon (côté St Michel) à 11 h

mk2 Odéon (côté St Germain) à 18 h 30

: mk2 Odéon (côté St Germain)

: mk2 Gambetta 1 HEURE, 1 HISTOIRE DE PARIS « Le Paris de Napoléon. »

les samedis et dimanches matin

VENEZ PARCOURIR L’UNIVERS AVEC CHRISTOPHE GALFARD « Qu’est-ce que la théorie des cordes ? »

VENEZ PARCOURIR L’UNIVERS AVEC CHRISTOPHE GALFARD « Qu’est-ce que la théorie des cordes ? »

: mk2 Quai de Loire à 11 h

DIMANCHE 12 JANV. 1 HEURE, 1 CHORÉGRAPHE « Merce Cunningham. »

: mk2 Bastille

mk2 Odéon (côté St Germain) à 18 h 30

SCIENCES SOCIALES ET CINÉMA Projection de Bamako d’Abderrahmane Sissako, discuté par l’anthropologue Nadine Wanono.

: mk2 Bibliothèque à 19 h 45

1 HEURE, 1 CITÉ MILLÉNAIRE « La capitale du royaume de Saba : Marib (Yémen). »

: mk2 Grand Palais à 20 h

MARDI 14 JANV. 1 HEURE, 1 ŒUVRE « Roy Lichtenstein, Drowning Girl. »

: mk2 Bastille (côté Beaumarchais) à 11 h

(côté Fg St Antoine) à 11 h

1 HEURE, 1 HISTOIRE DE PARIS « Paris romantique. »

1 HEURE, 1 MYTHE EN FAMILLE « La création du monde : Gaïa, Ouranos, Chronos. »

: mk2 Beaubourg

: mk2 Quai de Loire à 11 h

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à 12 h 30


mk2 SUR SON 31 1 HEURE, 1 CINÉASTE « Jean-Luc Godard. » Séance suivie par la projection d’À bout de souffle, à réserver en complément de la conférence.

: mk2 Odéon (côté St Michel) à 20 h

JEUDI 16 JANV. 1 HEURE, 1 ARTISTE « Paul Cézanne. »

: mk2 Beaubourg à 20 h

SAMEDI 18 JANV. 1 HEURE, 1 FEMME D’INFLUENCE « Hannah Arendt. »

: mk2 Odéon (côté St Michel) à 11 h

CULTURE POP ET PSYCHIATRIE « Le trouble bipolaire : Mariah Carey et sa Happiness Therapy. »

: mk2 Beaubourg à 11 h

LA POUDRE REPLAY AVEC LAUREN BASTIDE « Nassira El Moaddem. » Écoute collective du podcast La Poudre suivie d’un échange avec l’invitée.

: mk2 Quai de Seine à 11 h

1 HEURE, 1 MUSÉE « Le Centre Pompidou. »

: mk2 Parnasse à 12 h 30

MARDI 21 JANV. 1 HEURE, 1 ŒUVRE « Auguste Rodin, Le Penseur. »

: mk2 Parnasse

à 11 h

à 12 h 30

1 HEURE, 1 HISTOIRE DE PARIS « Le Paris d’Haussmann. »

: mk2 Beaubourg

LUNDIS PHILO DE CHARLES PÉPIN « Notre cerveau : allié ou ennemi ? » Avec Albert Moukheiber.

à 12 h 30

: mk2 Bastille (côté

1 HEURE, 1 FILM « À bout de souffle de Jean-Luc Godard. » Séance suivie par la projection du Mépris, à réserver en complément de la conférence.

mk2 Odéon (côté St Germain)

: mk2 Odéon (côté St Michel)

1 HEURE, 1 ŒUVRE « Man Ray, Le Violon d’Ingres. »

Beaumarchais) à 12 h 30,

à 20 h

JEUDI 23 JANV. 1 HEURE, 1 ARTISTE « Vincent Van Gogh. »

: mk2 Beaubourg à 20 h

SAMEDI 25 JANV. 1 HEURE, 1 FEMME D’INFLUENCE « Coco Chanel. »

DIMANCHE 26 JANV.

: mk2 Gambetta dans l’après-midi

LUNDI 20 JANV. 1 HEURE, 1 ŒUVRE « Claude Monet, Impression, soleil levant (1872). »

: mk2 Parnasse à 11 h

à 11 h

(côté Beaumarchais)

1 HEURE, 1 MYTHE EN FAMILLE « Zeus et les Titans : la guerre pour le trône. »

CULTISSIME ! Projection de Forrest Gump de Robert Zemeckis.

: mk2 Parnasse

1 HEURE, 1 MUSÉE « La Gemäldegalerie de Berlin. »

: mk2 Odéon (côté St Michel)

à 11 h

1 HEURE, 1 ŒUVRE « Gustave Caillebotte, Les Raboteurs de parquet (1875). »

: mk2 Bastille

DIMANCHE 19 JANV.

: mk2 Quai de Loire

LUNDI 27 JANV.

à 11 h

1 HEURE, 1 MYTHE EN FAMILLE « Hadès et Perséphone : à la vie, à la mort ! »

: mk2 Quai de Loire à 11 h

à 18 h 30

MARDI 28 JANV. : mk2 Bastille (côté Beaumarchais) à 11 h

1 HEURE, 1 HISTOIRE DE PARIS « Les jardins parisiens. »

: mk2 Beaubourg à 12 h 30

1 HEURE, 1 CINÉASTE « Ingmar Bergman. » Séance suivie par la projection de Persona, à réserver en complément de la conférence.

: mk2 Odéon (côté St Michel) à 20 h

JEUDI 30 JANV. 1 HEURE, 1 ARTISTE « Auguste Rodin. »

: mk2 Beaubourg à 20 h

VOTRE CERVEAU VOUS JOUE DES TOURS AVEC ALBERT MOUKHEIBER « Réchauffement climatique : les sciences cognitives à la rescousse ? »

: mk2 Bibliothèque à 11 h

CULTISSIME ! Projection de Rocky de John G. Avildsen.

: mk2 Gambetta dans l’après-midi

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TÉMA! TÉMA! est un jeune collectif qui célèbre la culture du clip vidéo et questionne la porosité du genre audiovisuel en donnant la parole aux cinéastes et aux boîtes de production.

: mk2 Quai de Loire à 20 h


mk2 SUR SON 31 SAMEDI 1er FÉV.

LUNDI 3 FÉV.

1 HEURE, 1 FEMME D’INFLUENCE « Rose Valland. »

1 HEURE, 1 ŒUVRE « Edgar Degas, L’Absinthe (1875-1876). »

: mk2 Odéon (côté St Michel)

: mk2 Parnasse

à 11 h

à 11 h

LA POUDRE REPLAY AVEC LAUREN BASTIDE « Alice Diop » (à confirmer). Écoute collective du podcast La Poudre suivie d’un échange avec l’invitée.

1 HEURE, 1 MUSÉE « Les musées du Vatican. »

DÉJÀ DEMAIN Le meilleur du court métrage contemporain, en partenariat avec l’Agence du court métrage et en compagnie de jeunes réalisateurs qui seront les grands cinéastes de demain.

: mk2 Parnasse à 20 h

MARDI 4 FÉV.

: mk2 Parnasse à 12 h 30

1 HEURE, 1 ŒUVRE « Claude Monet, Les Nymphéas. »

: mk2 Quai de Seine

LUNDIS PHILO DE CHARLES PÉPIN « L’être a-t-il une raison d’être ? »

à 11 h

: mk2 Bastille (côté

Beaumarchais)

Beaumarchais) à 12 h 30,

à 11 h

DIMANCHE 2 FÉV.

: mk2 Bastille (côté

mk2 Odéon (côté St Germain)

1 HEURE, 1 HISTOIRE DE PARIS « Paris bohème. »

à 18 h 30

1 HEURE, 1 CHORÉGRAPHE « Carolyn Carlson. »

: mk2 Beaubourg

: mk2 Bastille

à 12 h 30

(côté Fg St Antoine)

© NOUR FILMS

à 11 h

1 HEURE, 1 MYTHE EN FAMILLE « Poséidon : régner sur les mers. »

: mk2 Quai de Loire

1 HEURE, 1 CINÉASTE « Orson Welles. »

: mk2 Odéon (côté St Michel) à 20 h

SCIENCES SOCIALES ET CINÉMA Projection d’In My Room d’Ulrich Köhler, discuté par l’historien Sylvain Piron.

à 11 h

© PYRAMIDE DISTRIBUTION

: mk2 Bibliothèque

© PARK CIRCUS

à 19 h 45

CULTISSIME ! Projection de Certains l’aiment chaud de Billy Wilder.

: mk2 Gambetta dans l’après-midi

ACID POP « Et si les superpouvoirs ne servaient à rien ? Le fantastique peut-il être un genre réaliste ? » Projection de L’Angle mort de Patrick-Mario Bernard et Pierre Trividic en présence des réalisateurs et de Laure Vermeersch.

: mk2 Quai de Seine

AVANT-PREMIÈRE DE TU MOURRAS À 20 ANS En présence du réalisateur Amjad Abu Alala.

: mk2 Beaubourg à 20 h

à 20 h

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