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SPECTACLES – SIX METTEUSES EN SCÈNE ENGAGÉES
CULTURE
Dans le sillage de la vague #MeeToo, les questionnements féministes se multiplient sur les scènes, à travers la performance, la danse, le cirque, l’art de la marionnette ou le théâtre. Porté par une poignée de chorégraphes et de metteuses en scène engagées, ce mouvement convoque corps et textes comme des outils d’émancipation pour dénoncer les discriminations et questionner les normes genrées. À l’heure où les femmes sont encore trop minoritaires sur les scènes, on dresse les portraits de SIX FEMMES PUISSA six artistes déterminées à faire voler en éclat le patriarcat.
TERESA VITTUCC I
Performeuse sensuelle, c’est par le corps que Teresa Vittucci fait éclater l’héritage misogyne judéo-chrétien. Aussi drôles que conceptuelles, ses pièces montrent une myriade de stéréotypes sexistes pour mieux les éventrer. La trentenaire autrichienne au regard azur hypnotisant était tantôt camgirl s’amusant devant un chat en direct dans All Eyes on (2017), explorant avec dérision l’exhibitionnisme digital, puis devenait Vierge Marie qui faisait éclater le mythe de la virginité en convoquant les clichés de la mère et de la putain dans Hate Me, Tender (2018). Avec sa dernière pièce, Doom (2021), la danseuse dissèque les figures d’Ève et de Pandore sous un angle queer et féministe, complexe Spectacles et multiple. Une manière de transcender les stéréotypes féminins qui colonisent l’imaginaire collectif. ÉNARD
M
CHAILLON RÉBECCA
Du jonglage aux pièces visuellement percutantes, Phia Ménard s’est imposée en plus de vingt ans dans le paysage du spectacle vivant grâce à une patte irrévérencieuse et à son goût pour le symbolisme. Cette quinqua, à l’allure douce mais qui impressionne sur scène, tisse une critique du système patriarcal et capitaliste en convoquant danse, performance et cirque. Dans Saison sèche (2018), elle mêle esthétiques pop et païenne pour s’attaquer à la violence qui force les corps à rentrer dans le moule des normes de genre.
À travers sa monumentale Trilogie des contes immoraux (pour Europe), la metteuse en scène se mue en guerrière punk pour monter une énorme maison en carton, puis imagine l’érection d’une tour colossale échafaudée par des esclaves. Un marathon vertigineux de trois heures qui devient le théâtre de luttes philosophiques dans un monde occidental qui s’écroule.
Les rapports de domination surgissent dans les corps avec Gisèle Vienne. Cette quadra franco-autrichienne dévoile, depuis le Adepte d’une dramaturgie début des années 2000, une esthétique plurielle où se rencontrent vidéo, magnétique qui mêle théâtre, arts visuels, chorégraphie et création sonore, Julie Bérès danse et marionnette. Elle se plaît à déployer une déploie depuis une vingtaine d’années une esthétique atmosphère visuelle et sonore soignée pour mettre qu’elle qualifie elle-même de sensorielle, onirique et en avant des sujets pesants, souvent emprunts de violence, subjective. Après s’être intéressée à la place des seniors dans comme dans Showroomdummies, où les corps se muaient la société et aux nouvelles modalités du monde du travail, elle en poupées manipulables. Cette année, elle signe L’Étang, une s’attaque à la question du genre dans un diptyque impétueux. La pièce hypnotique, adaptée d’une œuvre de jeunesse de l’écrivain première partie, Désobéir (2017), met à jour les questionnements suisse-allemand Robert Walser. Adèle Haenel y incarne un et craintes de jeunes femmes issues de l’immigration. Elle déploie la enfant qui feint le suicide pour attirer l’attention d’une mère même écriture textuelle ciselée – avec des danseurs professionnels, maltraitante. À travers leurs postures et attitudes, les actrices, cette fois – dans La Tendresse (2021), deuxième volet qui confronte comme engluées sur scène, incarnent avec subtilité les des discours intimes de jeunes hommes sur la virilité et leur perception rapports de domination, dans lesquels apparaissent de la masculinité. Deux pièces fougueuses à la danse explosive qui en filigranes violences intrafamiliales et poids portent les réflexions post#MeToo et mettent à bas les clichés. de l’inceste.
Intense et vorace, cette performeuse picarde d’origine martiniquaise déploie des pièces subversives aux accents burlesques qui mettent à mal les canons de beauté féminins. La trentenaire y exhibe son corps imposant, qu’elle enduit souvent de peinture ou d’autres liquides et qui devient un espace de résistance. La lutte contre le sexisme et les LGBTQ-phobies traverse ses pièces, à l’instar d’Où la chèvre est attachée, il faut qu’elle broute (2018), dans laquelle elle combat avec un humour cinglant les normes du foot, main dans la main avec l’équipe de footballeuses Les Dégommeuses. En 2021, sa pièce afro-féministe carnavalesque et jouissive Carte Noire nommée Désir sonnait comme un manifeste émancipateur des femmes afro-descendantes, porté PJULIE BÉRÈ S HIA par une légèreté salutaire. GISÈLE VIENNE
ANTES
Le défilé hommage à Alber Elbaz Exposition Palais Galliera 05.03—10.07. 2022
Danseuse et poétesse, cette native de Chicago aborde le BRYANA FRITZ féminisme avec subversion et étrangeté. Avec Submission Submission, cette ancienne étudiante des P.A.R.T.S. – célèbre école de danse contemporaine belge – faisait cohabiter hagiographie (la vie des saints), féminisme et chorégraphies digitales. Devant un écran géant sur lequel elle fait danser les fenêtres et les dossiers du bureau Apple, elle revisite la vie de saintes martyres telles que Hildegarde de Bingen et Jeanne d’Arc sous un prisme sensuel et érotique. Puis avec le fantasmagorique Knight-Night (2021), main dans la main avec son acolyte danseur Thibault Lac, elle restitue la version de Don Quichotte de l’Américaine Kathy Acker – dans laquelle l’héroïne est une femme qui vient de vivre un avortement – pour transformer ce récit de chevalerie en un manifeste féministe.
• L’Étang de Gisèle Vienne, du 10 au 15 mai au Théâtre des Amandiers (Nanterre) • Désobéir de Julie Bérès, du 31 mai au 4 juin à la Grande Halle de la Villette • La Tendresse de Julie Bérès, jusqu’au 22 mai au Théâtre des Bouffes-du-Nord • Où la chèvre est attachée, il faut qu’elle broute de Rébecca Chaillon, jusqu’au 20 mai au Théâtre 13 • Carte Noire nommée Désir de Rébecca Chaillon, en décembre au Nouveau Théâtre de Montreuil
Love Brings Love
* L’amour appelle l’amour #expolovebringslove
BELINDA MATHIEU
© LÉON PROST. ENSEMBLE THEBE MAGUGU, CHAPEAU EN COLLABORATION AVEC CRYSTAL BIRCH — CONCEPTION GRAPHIQUE : OFICINA
SHOPPING CULTURE
livre
BD
CD
vinyle
jeux vidéo SOCIAL KALEIDOSCOPE DE BORIS MAURUSSANE
© D. R.
Aux côtés de Dorian Pimpernel, Mehdi Zannad ou Athanase Granson, le Parisien Boris Maurussane ravive les symphonies adolescentes des années 1960 (chœurs Beach Boys, suavité Zombies) et la pop de Canterbury (Robert Wyatt, Caravan) sur un premier album de pop baroque, sinueuse et progressive, aux réminiscences moins nostalgiques que proustiennes. Savoureux. • W. P. > (WeWant2Wecord/Hot Puma) ANTOLOGIA VOL. 1 D’ÁFRICA NEGRA
De 1970 à 1990, África Negra a été un groupe mythique de l’un des plus petits pays d’Afrique, Sao Tomé-etPrincipe. Son mélange endiablé de rythmes puxa et rumba, basses bondissantes, riffs de guitares wah-wah et gracieuses harmonies vocales a offert au collectif un rayonnement international, dont cette anthologie offre un témoignage trépidant. • W. P. > (Les Disques Bongo Joe) NORCO
Dans une Louisiane futuriste et défigurée par la misère sociale, une jeune femme rentre chez elle, après la mort de sa mère, pour tenter de comprendre ce qui lui est arrivé… Portrait halluciné d’une Amérique hantée par ses démons néolibéraux, ce point ’n’ click minimaliste aux accents southern gothic nous a bouleversés par la puissance sèche de son écriture. • Y. F. > (PC | Raw Fury) HOUND DOG DE NICOLAS PEGON
Un chien, du jour au lendemain, débarque dans l’appartement miteux d’Alexandre, marginal un peu paumé… Partant de là, Nicolas Pegon déroule un récit aux accents de roman noir et de polar qui laisse, aux détours des pages, un sentiment de fin du monde. Le ton comme le dessin sont crépusculaires, amollis par une lourdeur digne de Twin Peaks. Une réussite. • A. G. > (Denoël Graphic, 204 p., 24,90 €)
WE’VE BEEN GOING ABOUT THIS ALL WRONG DE S. VAN ETTEN
Sur un cinquième album de lamentation autant que de consolation, la chanteuse américaine Sharon Van Etten évoque les bouleversements de l’existence (pandémie, maternité, séparation) dans leurs aspects à la fois terrifiants et transformateurs. Une méditation épique (puissance vocale, nappes synthétiques, beats lourds) et d’époque (noire, saturée, traversée d’éclairs). • W. P. > (Jagjaguwar) LES BIENHEUREUSES DE MARCEL RUIJTERS
Nombreux sont ceux qui ont vu dans l’art médiéval les prémices du neuvième art. Depuis son surprenant Inferno, Ruijters ne cesse de jouer avec ces correspondances. En partant des vies de saintes, toutes plus humoristiques et fantastiques les unes que les autres, l’auteur néerlandais sublime autant la bande dessinée que l’art, ancien, de l’enluminure. • A. G. > (The Hoochie Coochie, 112 p., 24 €) PHARMAKON D’OLIVIER BRUNEAU
Un tireur d’élite employé par une société privée protège une raffinerie dans un pays d’Orient. Pour être performant, il suit un traitement expérimental contre le sommeil… Une novella efficace et spectaculaire sur la guerre et l’homme chimiquement amélioré, entre American Sniper et Side Effects, par l’auteur du très remarqué Dirty Sexy Valley. • B. Q. > (Le Tripode, 128 p., 15 €) WEIRD WEST
Revisiter le western à la lueur du fantastique (on y affronte autant des desperados que des loups-garous) et du jeu de rôle, le pari des créateurs de Weird West était ambitieux. Mais, derrière sa modestie de façade, ce jeu indé cache une impressionnante horlogerie narrative qui s’adapte sans cesse à nos choix et nous laisse maître de notre destin. • Y. F. > (PC, PS4, One | Devolver Digital)
L’AMÉRIQUE ENTRE NOUS D’AUDE SEIGNE
Un jeune couple entame un voyage aux États-Unis, lui pour photographier la nature, elle pour interviewer des stars. Elle pense à son ami-amant, resté en France. L’Amérique l’aidera-t-elle à choisir ?… Un roman contemplatif sur le thème du couple et du polyamour, dans lequel les tourments de la narratrice évoluent en même temps que les paysages américains. • B. Q. > (Zoé, 240 p., 17 €) LE GRAND JABADAO DE JEAN-LUC COATALEM
© D. R.
Imaginez : vous êtes marchand d’art, et deux Bretons vous apprennent qu’ils possèdent un Gauguin non répertorié. Une toile érotique, proche de L’Origine du monde, tout en chair dénudée… Arnaque ou aubaine ? Coatalem mijote une comédie artisticopolicière arrosée de chouchen, qui tire son titre d’une danse bretonne traditionnelle. Kenavo. • B. Q. > (Le Dilettante, 192 p., 17 €) GHOSTWIRE. TOKYO
Une invasion de fantômes s’abat sur Tokyo. Pour ne rien arranger, un spectre s’est niché dans l’esprit de notre jeune héros, Akito Izuki, et le somme de l’aider à repousser les envahisseurs… À mi-chemin entre épouvante et first-person shooter, Ghostwire. Tokyo nous réserve une balade tokyoïte des plus incongrues, mais diablement prenante. • Y. F. > (PC, PS5 | Bethesda Softworks) LA MARTYRE DE BASTON
Avec ses titres (« Flash », « Saphir », « Zodiac », « Pacha ») qui font référence à des boîtes de nuit du Finistère Nord (d’où le quatuor est originaire), La Martyre met sous la lumière – noire, forcément – l’ennui et la violence sourde des campagnes et des populations déclassées. Motorik hypnotique, coldwave lancinante, uppercuts post-punk, Baston crache son crachin. • W. P. > (Howlin’ Bananas)