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SÉRIE – DOPESICK

LE GUIDE DES SORTIES PLATEFORMES

© Disney+ DOPESICK

SÉRIE

La minisérie de Danny Strong (cocréateur de la série Empire et… interprète de Jonathan dans Buffy contre les vampires !) retrace l’apparition et les conséquences, depuis les années 1990, d’une épidémie nord-américaine, celle des opiacés, nourrie par les antidouleurs surpuissants créés par Big Pharma.

En 1995, alors que l’un de ses brevets est sur le point d’expirer, l’entreprise pharmaceutique américaine Purdue Pharma, fondée un siècle plus tôt, dégaine une arme de destruction massive déguisée en médicament « miracle ». L’OxyContin (dénomination commerciale de l’oxycodone), antalgique surpuissant de la famille des opioïdes, inonde alors le marché états-unien avec la promesse de soulager tous types de douleur. Pour convaincre des médecins et un public méfiants – les opioïdes peuvent rendre rapidement dépendants –, la famille Sackler, qui détient l’entreprise, accumule les campagnes de communication, déploie une flotte de commerciaux surmotivés à l’argumentaire bien rodé quoique mensonger, multiplie les séminaires tous frais payés animés par des experts grassement rémunérés et cible en priorité les zones rurales où les emplois pénibles abondent, comme les douleurs chroniques.

Dopesick, adaptée d’un livre enquête de la journaliste (ici coscénariste) Beth Macy sorti en 2018, raconte la fabrication de ce que l’on appelle aujourd’hui la « crise des opiacés » – un demi-million de morts par overdose aux États-Unis ces vingt dernières années et deux millions de personnes accros dans tout le pays. En huit épisodes, la minisérie remonte aux racines du mal et démêle la pelote des facilitateurs : ambition insatiable des Sackler, laxisme de la justice, collusion avec la FDA (Food and Drug Administration, qui autorise et encadre la commercialisation des médicaments aux États-Unis), complicité des médecins et des hôpitaux, financement des associations prétendument indépendantes de lutte contre la douleur… Les sauts dans le temps (une tendance sérielle dont on commence sérieusement à se lasser) et le récit choral, dopé par un casting trois étoiles, permettent d’attaquer le sujet sous tous les angles, de faire résonner les vécus et de créer l’empathie. Michael Keaton incarne un médecin d’une bourgade minière de

Virginie qui voit sa communauté défigurée par l’antalgique qu’on l’a convaincu de prescrire ; Michael Stuhlbarg est Richard Sackler, génie du mal derrière l’OxyContin et messie antidouleur autoproclamé, qui soulage sa conscience en prônant la responsabilité individuelle de « junkies » face aux consommateurs « légitimes » ; Peter Sarsgaard et Will Poulter jouent deux flics déterminés à faire tomber Purdue Pharma, aidés par Rosario Dawson, agente de la D.E.A. (Drug Enforcement Administration, l’agence chargée de lutter contre le trafic de drogue) ; et Kaitlyn Dever (nommée aux Golden Globes pour la bouleversante série Unbelievable), jeune lesbienne qui rêve d’ailleurs, voit sa vie bouleversée par le médicament après un accident dans la mine où elle travaille.

L’enchevêtrement de facteurs socioéconomiques favorables à l’adoption massive des opiacés, dans certaines zones rurales et pauvres, fait écho, en négatif, à l’avidité sans limite et à l’obscène indifférence de Purdue Pharma, philanthrope des élites et avatar d’un capitalisme totalement décomplexé. Si les deux premiers épisodes ont la main un peu lourde sur la B.O. (Johnny Cash pour souligner l’Amérique profonde, Mazzy Star dans les scènes romantiques, de l’opéra italien pour illustrer l’opulence des Sackler…) et si la réalisation s’éparpille (on a connu Barry Levinson plus en forme), la suite se montre convaincante, et Dopesick, pleine d’espoir malgré la noirceur du sujet, a le bon goût de ne jamais sombrer dans le misérabilisme.

le 12 novembre sur Disney+

NORA BOUAZZOUNI

L’AMOUR FLOU

SÉRIE

© Philippe Mazzoni – Canal+

© Philippe Mazzoni – Canal+ Comment refaire sa vie sans défaire sa famille ? Romane Bohringer et Philippe Rebbot explorent une séparation pas comme les autres dans L’Amour flou, réjouissant exercice d’autofiction adapté de leur film sorti en 2018.

À l’opposé de Scènes de la vie conjugale de Bergman ou de sa récente réécriture sérielle par Hagai Levi, L’Amour flou ne propose pas l’autopsie d’une séparation, mais plutôt la dissection, en direct, d’une relation joyeuse mais compliquée entre adultes consentants, anciens amants mais toujours parents, qui refusent le conformisme d’une rupture forcément douloureuse et définitive. Romane Bohringer et Philippe Rebbot, ex à la ville comme à l’écran et coscénaristes, montrent qu’une autre voie est possible : se quitter sans se séparer, par le biais d’un « sépartement » aménagé à Montreuil où chacun dispose de son espace privé et de sa propre entrée, pour vivre ensemble mais séparés par les chambres de leur progéniture. Car au registre des normes socialo-sentimentales, si la cohabitation s’impose au couple pour valider sa stabilité, une fois la séparation consommée, hommes et femmes sont sommés de « déshabiter » pour mieux refaire leur vie.

Refaire sa vie, c’est justement ce qu’explore la série, sans tomber dans un optimisme béat sur ce mode de vie alternatif, au contraire. Dans la tempête de l’après-couple, où l’autre se fait tantôt phare tantôt brisant, les rancœurs ne se sont pas évaporées avec la rupture et les mesquineries n’ont pas disparu avec cet arrangement post-conjugal à la sauce soixante-huitarde. L’Amour flou n’est pas un manuel de l’après-couple heureux et sans angoisses, mais décortique les difficultés à refaire sa vie et à réagencer ses relations lorsque l’on a 48 ou 56 ans, deux enfants, des parents vieillissants dont on doit s’occuper, des problèmes d’argent, d’alcoolisme, et une jalousie dont on n’arrive pas à se débarrasser, même lorsque l’on n’aime plus l’autre comme avant.

Romane, actrice sur le déclin, en plein doute sur son sex-appeal et son hygiène de vie, tance le double standard qui pèse sur les femmes en matière d’apparence. Et lorsqu’elle tombe follement amoureuse de Patrick Pourtois (Éric Caravaca), c’est son identité de mère qui lui met des bâtons dans les roues : comment être à la fois une bonne mère et une bonne amoureuse ? Comment lui faire de la place ? Philippe, lui, fan de Brel et du Che, toujours un peu perché, tente de tromper son oisiveté en s’engageant brièvement en politique (pour draguer Clémentine Autain) ou en montant un spectacle musical.

Faussement foutraque et pleine de fantaisie, intime sans tomber dans l’exhibitionnisme, la série n’esquive pas pour autant l’autocritique et se pose, sans s’imposer, comme un plaidoyer joyeux pour l’expérimentation.

dès le 8 novembre sur Canal+

NORA BOUAZZOUNI

Se quitter sans se séparer, par le biais d’un « sépartement » où chacun dispose de sa propre entrée.

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