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EXPO – CHARLES RAY
LA SÉLECTION DU MOIS
1 Expo
CHARLES RAY
Charles Ray, The New Beetle, 2006 © Joshua White
Immenses à tout point de vue, les sculptures de Charles Ray prennent d’assaut la Bourse de Commerce et le Centre Pompidou. Les figures géantes et hyperréalistes de cet artiste américain, né en 1953 à Chicago, ont surgi au mitan des années 1980 dans un paysage de l’art en plein bouleversement esthétique, célébrant le retour au réel après une décennie de conceptualisme austère. Après avoir tâté du body art et du minimalisme, non sans une certaine dose d’humour et de second degré, Charles Ray incorpore peu à peu des motifs figuratifs et des objets du quotidien dans ses œuvres abstraites. Fasciné par le moulage des corps, à commencer par le sien, il trouve bientôt dans la sculpture l’opportunité de tendre un miroir à ses contemporains, tel un Auguste Rodin des temps modernes qui se serait attelé à une satire de la société de consommation. Ses dernières répliques XXL d’hommes et de femmes, en tenue d’Ève ou sur leur trente et un, figées dans des postures faussement anodines, semblent embaumées dans du chrome. Leur présence frappe au premier abord par leur disproportion, faisant subitement douter de la réalité qui nous entoure. Dressées devant nous à la façon d’idoles antiques, elles perturbent d’emblée notre perception et nous subordonnent à leur attitude, simultanément banale et inquiétante. Une ultime trace de notre civilisation laissée aux peuplades futures ?
du 16 février au 6 juin à la Bourse de Commerce – Pinault Collection et du 16 février au 20 juin au Centre Pompidou
JULIEN BÉCOURT
2 Livre
MARY TOFT OU LA REINE DES LAPINS
L’écrivain américain Dexter Palmer se passionne pour une curieuse affaire d’accouchement de lapins qu’il a découverte durant ses études à Princeton. En 1726, un médecin du nom de John Howard est appelé au secours par Joshua Toft, brave tisserand de Godalming, dans le Surrey, pour qu’il s’occupe de sa femme, Mary, en couches. Le pauvre homme est d’autant plus secoué qu’il assure n’avoir pas touché son épouse depuis son précédent accouchement, quelque mois plus tôt. Intrigué, John Howard se rend au chevet de la parturiente, et croit défaillir quand tombe dans ses mains… une patte de lapin déchiquetée. Mary Toft vient de donner naissance à un lapin inachevé ! Une quinzaine d’autres suivront, à raison d’un tous les trois jours. Très vite, la nouvelle se répand dans le royaume, attirant à Godalming les médecins les plus renommés… Cette histoire hallucinante est authentique : Mary Toft a existé, même si le miracle des lapins, lui, est évidemment un canular. Dexter Palmer en tire un gros roman écrit à la mode humoristique et touffue du xviiie siècle, ère des cabinets de curiosités médicales et de la fascination pour les monstres. Au-delà du fait divers et de la reconstitution de l’Angleterre georgienne, ce canular vieux de trois siècles résonne curieusement avec notre époque, où les fake news pullulent et où les médecins les plus renommés ont une fâcheuse tendance à tomber de leur piédestal.
de Dexter Palmer, traduit de l’anglais (États-Unis) par Anne-Sylvie Homassel (Quai Voltaire, 448 p., 24 €)
BERNARD QUIRINY
3 Spectacle
RÉBECCA CHAILLON
© Marikel Lahana
Avec Carte Noire nommée Désir, la metteuse en scène Rébecca Chaillon questionne, à travers un voyage initiatique, la construction du désir chez les femmes noires face aux clichés racistes. Performeuse ardente, engagée et vorace, Rébecca Chaillon était cannibale dans Monstres d’amour (Je vais te donner une bonne raison de crier) en 2016, puis supportrice d’une équipe de foot féminine dans Où la chèvre est attachée, il faut qu’elle broute (2018). Après s’être appliquée à démonter la lesbophobie et le sexisme, Chaillon s’attaque dans sa dernière création, Carte Noire nommée Désir, aux stéréotypes racistes et pose cette question : comment construire son désir quand on est une femme noire, face à une myriade d’injonctions paradoxales ? Sur scène, huit interprètes – toutes des « personnes noires assignées femmes », comme le précise l’autrice dans sa note d’intention – traversent ces stéréotypes aliénants imprégnés de l’histoire coloniale du corps noir objectifié, exotisé et érotisé, qui persiste dans les imaginaires. À l’instar de l’aventureuse Alice de Lewis Caroll, elles tracent leur chemin dans un monde hostile qu’elles goûtent – grâce à un décor comestible – et ne cessent de se métamorphoser, pour devenir insaisissables. Autre particularité du spectacle : il réserve un espace en non-mixité, appelé « coco·n », pour les spectatrices noires. Une manière de questionner ce que l’on perçoit sur scène en fonction de la place qu’on occupe et de semer le trouble dans le dispositif de la représentation.
les 21 et 22 février au Carreau du Temple (2 h 15)
BELINDA MATHIEU