Trois Couleurs #61 – Avril 2008

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CINÉMA I CULTURE I TECHNOLOGIE

NUMÉRO 61 I AVRIL 2008





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CINÉMA 6_ 15_

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Tendances, Ciné fils, Regards croisés, Scène culte DOSSIER : 1968-2008 OÙ EST PASSÉE LA RÉVOLTE ? Interviews de L. Casta, O. Ducastel & J. Martineau autour du film Nés en 68 ; les 40 ans de la Quinzaine des Réalisateurs ; comment filmer la révolte ?, etc. PLEIN ÉCRAN : Bataille à Seattle de Stuart Townsend Les Seigneurs de la mer de Rob Stewart Shine a Light de Martin Scorsese LE GUIDE des sorties en salles

CULTURE 46_ 48_ 50_ 52_ 54_ 56_

DVD : La modernité du cinéma de Kijû Yoshida LIVRES : Art Spiegelman, dessinateur animé MUSIQUE : Jean-Louis Murat, troubadour insurgé LES BONS PLANS DE RADIO ART : Valérie Mréjen au Jeu de Paume PAR : Bernard Descamps

TECHNOLOGIE 58_ 60_ 62_ 64_ 66_

TRIBUNE LIBRE : Entretien avec Michel Serres RÉSEAUX : Comment endiguer la censure sur le web ? JEUX VIDÉO : La révolution, le joystick à la main VIDÉO À LA DEMANDE : Le Lauréat de Mike Nichols SCIENCE-FICTION : Le Taser MP3

ÉDITO + + + + + + + + + + + + + + + + + + + + + + + + + + + + + + + + + + + + + + + + + + + + + + + + + + + + + + + + + + + + + + + + + + + ++ + + + + + + + + + +

SOMMAIRE # 61

SOUS LES PAVÉS, L’HÉRITAGE « Ce n'est pas la révolte en elle-même qui est noble, mais ce qu'elle exige », écrivait Albert Camus. À l’heure où l’on fête les 40 ans de mai 68, nous ne voulions pas célébrer la révolte pour la beauté du geste, comme certains font de l’art pour l’art. Nous ne voulions pas d’un hommage obséquieux et nostalgique aux glorieux anciens, pas d’une «révolte de circonstance », exigée par le calendrier et l’air du temps. Si ce numéro évoque, en diagonale, l’esprit des évènements de mai, c’est au contraire pour en souligner l’actualité, la prégnance discrète mais vivace dans notre environnement le plus contemporain. Nés en 68, le beau film d’Olivier Ducastel et Jacques Martineau qui fait ce mois-ci notre couverture, ne dit pas autre chose : si 68 nous importe encore, c’est par sa pratique moderne, inventive et protéiforme de la révolte. Montrer que la révolte, aujourd’hui, est autant intime que politique, autant écologique que numérique, contradictoire peut-être, nécessaire toujours, voilà peut-être le plus bel héritage de mai 68. Comme le disaient alors certains slogans, le bleu restera gris tant qu'il n'aura pas été réinventé. _Auréliano TONET

ÉDITEUR MK2 MULTIMÉDIA / 55 RUE TRAVERSIÈRE_75012 PARIS / 01 44 67 30 00 DIRECTEUR DE LA PUBLICATION > Elisha KARMITZ I DIRECTEUR DE LA RÉDACTION > Elisha KARMITZ elisha.karmitz@mk2.com I RÉDACTEUR EN CHEF > Auréliano TONET aureliano.tonet@mk2.com / troiscouleurs@mk2.com RESPONSABLE CINÉMA > Sandrine MARQUES sandrine.marques@mk2.com I RESPONSABLE CULTURE > Auréliano TONET I RESPONSABLE TECHNOLOGIE > Étienne ROUILLON etienne.rouillon@mk2.com ONT PARTICIPÉ À CE NUMÉRO > Christophe ALIX, Elsa BADENELLI, Isabelle DANEL, Pascale DULON, Baptiste DUROSIER, Maïa GABILY, Roland JHEAN, Rémy KOLPA KOPOUL, Titiou LECOQ, Jérôme MOMCILOVIC, Ollivier POURRIOL, Sophie QUETTEVILLE, Léo SOESANTO, Antoine THIRION, Anne-Lou VICENTE I ILLUSTRATIONS > Thomas DAPON, DUPUY-BERBERIAN, Fabrice GUENIER, LABOMATIC TM, Fabrice MONTIGNIER DIRECTRICE ARTISTIQUE > Marion DOREL marion.dorel@mk2.com I MAQUETTE > Louise KLANG I IMPRESSION / PHOTOGRAVURE > FOT I PHOTOGRAPHIES > AGENCE VU’, ISABELLE NÈGRE, DR RESPONSABLE CLIENTÈLE CINÉMA > Laure-Aphiba KANGHA / 01 44 67 30 13 laure-aphiba.kangha@mk2.com I CHEF DE PUBLICITÉ > Solal MICENMACHER / 01 44 67 32 60 solal.micenmacher@mk2.com © 2008 TROIS COULEURS // issn 1633-2083 / dépôt légal quatrième trimestre 2006. Toute reproduction, même partielle, de textes, photos et illustrations publiés par MK2 est interdite sans l’accord de l’auteur et de l’éditeur. Tirage : 150 000 exemplaires // Magazine gratuit // Ne pas jeter sur la voie publique.


Décoder Cody

D’habitude, Hollywood débauche les jeunes talents. Aujourd’hui, c’est un jeune talent qui débauche Hollywood. Du strip au script, Diablo Cody vient de remporter l’Oscar. Au diable les conventions ! Une jeune femme tatouée fait dorénavant sa loi auprès des studios américains. Diablo Cody, de son vrai nom Brooke Busey, est passée avec succès de l’industrie du sexe à celle du cinéma. À 30 ans, la voici gratifiée de l’Oscar du meilleur scénario pour Juno, récent carton du cinéma indépendant américain, signé Jason Reitman. Mais avant de recevoir sa première statuette, la dure à cuire s’effeuillait dans les boîtes. Manière de rompre avec son éducation catholique et la classe moyenne de Chicago dont elle est issue. Sexuellement trop agressive (elle intimidait les clients par son franc-parler), elle abandonne le strip pour donner de la voix dans le téléphone rose, qu’elle finit par raccrocher définitivement. Elle passe alors à l’écriture numérique avec son blog intitulé The Pussy Ranch (« le ranch à chattes »), où elle documente son expérience de travailleuse du sexe. Un producteur la remarque et publie Candy Girl, sa sulfureuse autobiographie. Il la pousse aussi à écrire pour le cinéma. Succès que l’on connaît. Spielberg vient de lui confier l'écriture d'une nouvelle série, The United States of Tara, avec Toni Collette, tandis que la démone se démène en parallèle sur de bien drôles histoires de pom pom girl cannibale. Le diable au corps, comme on dit.

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TENDANCES

CALÉ

DÉCALÉ

RECALÉ

La Nouvelle Star

Joey Starr

Ringo Starr

Véritable OVNI du PAF, la Nouvelle Star et son jury galactique continuent d’éclipser l’académique concurrence. Quant à Julien Doré, lauréat 2007, la mise en orbite de son premier album est prévue pour juin. Scintillement garanti. 6 I TROIS COULEURS_WWW.MK2.COM_AVRIL 08

Auteur d’une prestation astronomique dans Passe Passe, le nouveau film de Tonie Marshall, l’homme au dentier d’argent reforme NTM, éblouissant météorite du hip-hop français. Pourvu que l’astre, cette fois, ne file pas trop vite…

L’étoile de l’ex-Beatle s’étiole de jour en jour : brouillé avec son producteur, fâché avec McCartney sur le dos des festivités de « Liverpool 2008 », thème de son médiocre nouvel album, le batteur a de quoi être abattu.



Sortis d’usine

À l’origine, le cinéma faisait la sortie des usines (La Sortie des usines Lumière). À partir des années 1960-1970, il stigmatise de l’intérieur les conditions de travail. Grèves et luttes syndicales provoquent des réactions en chaîne. Au début des années 1970, la contestation sociale et politique gronde à travers les « ciné-tracts ». Dans ce contexte, Louis Malle filme le travail à la chaîne dans l’usine Citroën de Rennes (Humain trop humain). Il s’attarde sur les visages, comme Marin Karmitz dans le percutant docu-fiction Coup pour coup, où des ouvrières d’une usine textile engagent une lutte acharnée contre le patronat. Toujours dans des ateliers de confection, Marie-France Collard enregistre les ravages de la mondialisation (Ouvrières du monde). Trente ans après les événements, que sont devenues les ouvrières en colère ? Face à la caméra de Marie-Anne Thunissen, les Femmes-machines de la Fabrique nationale d’armes d’Herstal reviennent sur leur combat pour l’égalité des salaires. Hervé Le Roux tente quant à lui de retrouver l’ouvrière insoumise de l’usine Wonder qui refusait en juin 1968 de réintégrer son poste (Reprise). Deux jeunes filles du Nord de la France claquent elles aussi la porte de l’usine dans La Vie rêvée des anges d’Érick Zonca. De l’activité à la vacance, les machines se taisent. Elles laissent des chômeurs désemparés (La Fermeture des usines Renault à Vilvorde de Jan Bucquoy) mais pas en panne de désirs (Ce Vieux Rêve qui bouge d’Alain Guiraudie). Après une vague massive de licenciements chez Michelin, les Paroles de Bibs (Lemaire-Darnaud) retentissent. Mais avant l’inéluctable, l’attente. Ariane Doublet (Les Sucriers de Colleville) et Claire Simon (Coûte que coûte) accompagnent dans la fermeture annoncée de leur entreprise des salariés angoissés et résignés. Visionnaire, Métropolis préfigure la déshumanisation industrielle. Mais Charlot ne se laisse pas démonter : il saccage une chaîne de montage dans Les Temps modernes. Une maladresse qui permet d’enrayer, comme les films, la mécanique du pire.

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CINÉ FILS

La bande originale

THE ROLLING STONES Shine a Light

(Polydor / Universal)

Depuis leur dernier grand tube (Start Me Up en 1981), les Stones sont devenus une sorte de gigantesque cirque ambulant, jouant à chaque tournée les mêmes numéros efficaces et rôdés. D’où l’intérêt de la démarche de Martin Scorsese, dont le documentaire vient bousculer cette mécanique bien huilée. Cadre intimiste, succession d’invités (Jack White, Buddy Guy…), pression des caméras : la pyrotechnie spectaculaire cède le pas à l’émotion, la musique reprend ses droits, renaissance d’autant mieux captée par cette BO qu’elle s’affranchit de la force des images glanées par Scorsese.

Le ciné livre

MICHEL CHION « Le Complexe de Cyrano » (Cahiers du cinéma / Essais)

Critique et enseignant de cinéma, Michel Chion s’est spécialisé dans l’analyse sonore des films, sous toutes ses formes (BO, bruitages…). Une connaissance qu’il applique ici aux dialogues du cinéma français, décortiqués à travers un angle étonnant : qu’il soit d’« auteur » ou populaire, notre cinéma entretient un rapport tout sauf neutre au langage. Littéraire ou folklorique, bavarde ou taiseuse, la langue y est toujours combattue par des « perdants au verbe haut ou perdants piteux, mais perdants avant tout sur le plan du langage », dont Cyrano reste l’inusable emblème.



REGARDS CROISÉS

Lennon vs Jagger

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ennon vs Jagger. Opposition binaire comme le rock, née il y a plus de 40 ans, lorsqu’il fallait choisir son camp : Rolling Stones ou Beatles. Considérés, à tort ou à raison, comme la « plume » et la « voix » de leur groupe respectif, Jagger et Lennon ont symbolisé l’envers et l’endroit de la transgression rock. Côté pile, les lèvres pulpeuses de Mick, dont les baisers ont frôlé la corruption, la pourriture, la mort – celle, par overdose, du guitariste Brian Jones ou celle, accidentelle, d’un fan lors du concert d’Altamont en 1969. Côté face, les lunettes rondes de John, lieu de visions psychédéliques et surréalistes, grossissant à la loupe les causes d’un engagement sincère (la paix au Viêt-nam, les droits des Noirs…), laissant transparaître la pureté d’un amour fusionnel avec Yoko Ono. Sulfureux, Jagger signe un pacte avec les forces obscures (Sympathy for the Devil, Paint It Black), quand son rival préfère le dialogue avec Dieu (God) et la promotion d’un utopisme drapé de blanc ou d’arc-en-ciel (Imagine). On le sait, la réalité fut moins schématique : toujours fidèle au « couple » qu’il forme avec Keith Richards, Jagger eut ses périodes hippies (She’s a Rainbow) et révoltées (Street Fighting Man). Quant à Lennon, il renoua, en 1973-74, lors du « lost week-end », avec sa jeunesse débauchée de blouson noir, infidèle et violent. L’antagonisme véritable se situe peut-être sur le terrain des images : bien plus que le Beatle, très pataud lors de ses apparitions au cinéma, Jagger est un comédien assuré, et assumé – voir ses prestations bluffantes chez Godard, Roeg ou Scorsese. Lennon, plus direct, s’avère en revanche un redoutable homme de télévision, dont il su détourner les codes à la manière d’un artiste contemporain, comme le montrent ses happenings pacifistes avec Yoko Ono. Cabotinage vs idolâtrie : là où Jagger s’est fossilisé dans un rôle de bête de stade aussi outrancière qu’inoffensive, l’icône Lennon a, elle, payé pour sa trop grande emprise sur le réel, fut-ce à travers le geste sordide d’un détraqué.

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Illustration : © Fabrice GUENIER

À l’affiche ce mois-ci de documentaires inégaux (Shine a Light, Les USA contre John Lennon, Chapter 27), John Lennon et Mick Jagger ont incarné deux visages opposés de la subversion rock : angélisme pacifique d’un côté, perversion maléfique de l’autre. Mais tout est-il vraiment blanc ou noir ?



SCÈNE CULTE Mourir à trente ans

Les illusions perdues LA PETITE HISTOIRE : Fils du cinéaste Pierre Goupil qui était membre de l’équipe Cousteau, Romain Goupil a filmé caméra au poing les frasques de sa bande de copains et, plus tard, ses années d’activisme. Il a agencé ses images pour en faire un témoignage rare sur la révolte de mai 68 et les événements qui l’ont suivie. Produit par Marin Karmitz, qui a présenté Jean-Luc Godard à Goupil, Mourir à trente ans a été filmé avec le reste de pellicule de Sauve qui peut (la vie), réalisé en 1979 par JLG. Ce bouleversant portrait d’une génération a remporté la Caméra d’or de la meilleure première œuvre au festival de Cannes en 1982.

LE PITCH : Michel Recanati disparaît subitement en mars 1978, en laissant papiers et argent à son domicile. Il était le meilleur ami de Romain Goupil, avec lequel il a milité au sein des Comités d’Actions Lycéens puis de la Ligue Communiste Révolutionnaire. En 1981, on apprend qu’il s’est suicidé, comme nombre de militants de l’époque. Goupil a fait ce film pour comprendre ce qui l’a mené à cette extrémité. Extrait du prologue. [En voix off, tandis que défilent trois cartons intitulés : « Anne-Sylvie », « Dominique », « Pierre-Louis ».]

Anne-Sylvie. Mourir à trente ans. Ce film, c’est un peu son histoire. Elle était grande, belle, brune. Étudiante, militante, elle s’occupait des lycéens. En 1966, c’est elle que j’ai rencontrée. C’est elle qui était chargée de suivre notre formation théorique et pratique. C’est d’elle dont j’étais secrètement amoureux et je crois bien que je n’étais pas le seul. Elle était grande, belle, brune. Elle est morte, elle s’est suicidée.

Dominique. Mourir à trente ans. Ce film, c’est un peu son histoire. J’étais devenu militant et ce fut le premier lycéen que je fis adhérer au lycée Condorcet. On était devenus inséparables. On préparait tous nos coups ensemble. Un jour, au retour d’un congrès, il est mort dans un accident. Pierre-Louis. Plus tard, j’étais devenu assistant dans le cinéma. Je remarquais Pierre-Louis, qui faisait le tour des productions comme coursier. C’était un ancien militant. J’ai tout fait pour qu’il rentre dans le cinéma. On a réussi. Il est devenu assistant-monteur. Puis, un soir, il s’est suicidé. [En voix off, sur les premières images du film.] Le 23 mars 1978, les parents de Michel m’avertissent qu’il avait disparu en laissant papiers et argent chez lui. Je frémissais. Michel, c’est toute mon histoire politique. C’est mon seul copain. Celui avec qui, depuis 1966, j’ai partagé le plus de moments de notre vie militante. Des années et des années de projets, de rêves, d’illusions. Des centaines de réunions, toutes les manifestations. Michel et moi, pendant toute cette période, nous n’étions qu’un.

Mourir à trente ans, scénario et film de Romain Goupil (1982, DVD disponible chez MK2 Éditions)

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Pages 6 à 12 réalisées par S.M. et Au.To.




1968-2008 : où est passée la révolte ? Prochainement dans les salles, Nés en 68, le nouveau film d’Olivier Ducastel et Jacques Martineau, en est l’illustration parfaite : ce qui importe, dans la célébration des 40 ans de mai 1968, est moins le retracé exact des évènements que leur héritage, pluriel et protéiforme. De la création de la Quinzaine des Réalisateurs à la lutte contre le sida, sans omettre les velléités présidentielles d’en « liquider l’esprit », c’est une infime partie de cet héritage qui sera ici évoquée. Insurrection marquante et, en un sens, exemplaire, mai 68 nous a conduit à réfléchir, plus largement, aux manières de filmer la révolte, questionnement philosophique auquel Nés en 68 apporte une réponse des plus convaincantes. _Dossier coordonné par Sandrine MARQUES et Auréliano TONET


INTERVIEW

NÉS EN 68

« À TRAVERS CE FILM, J’AI L’IMPRESSION D’AVOIR FAIT MON MAI 68 À MOI ! » 16 I TROIS COULEURS_WWW.MK2.COM_AVRIL 08


Laetitia Casta Indocile Nouvelle égérie d’Olivier Ducastel et de Jacques Martineau, Laetitia Casta porte les espoirs et les désillusions de la révolution sexuelle dans Nés en 68, leur prochain film, bientôt sur grand écran. Dans cette saga politique et amoureuse, elle est Catherine, une femme libérée qui va assumer jusqu’au bout ses choix de vie. Nous avons voulu interroger Laetitia Casta sur les aspects sensibles de son personnage et sur l’héritage de mai 68, au cœur de ce projet ambitieux.

Q

u’est-ce qui vous a donné envie de rejoindre l’univers de Ducastel et Martineau, et ce projet en particulier ? J’avais vu quelques uns de leurs films et ils leur ressemblent. Ce sont de vrais auteurs, sensibles, pudiques dans leurs sentiments et très à l’écoute des comédiens qu’ils aiment. Mais il ne suffit pas de s’apprécier mutuellement. Quand j’ai lu le scénario, je me suis demandé si j’avais envie d’être dans le film car le personnage que je devais interpréter réclamait une certaine liberté. C’était une composition très différente de ce que j’avais pu expérimenter auparavant au cinéma. Mais Olivier et Jacques étaient là, c’est pourquoi j’ai décidé d’y aller.

Votre personnage porte 40 ans de la vie d’un pays. Comment avez vous travaillé cet aspect ? Le film ne repose pas que sur mes épaules. Je ne me suis jamais sentie seule à jouer ce personnage. J’étais toujours entourée des autres jeunes comédiens, notamment dans le passage où nous vivons en communauté dans une ferme. Certains restent. D’autres

partent. C’était pareil sur le tournage. Il régnait un vrai esprit de troupe qu’amenaient les réalisateurs. Le film questionne l’héritage de 68. Que reste-t-il du militantisme ou de l’esprit de l’époque selon vous ? Il en reste beaucoup de choses, surtout pour les femmes qui peuvent parler et agir plus librement. Aujourd’hui, on vit dans une société où les utopies se sont consumées mais à l’époque cette liberté-là était possible. Tout était concevable. Pour

position. Je me posais des questions sur mes parents. À travers ce film, j’ai l’impression d’avoir fait mon mai 68 à moi ! Vous êtes née en mai 1978. De quelles causes vous sentez-vous le plus proche aujourd’hui ? Des droits et de la condition des femmes. Je regrette qu’elles ne soient pas plus unies actuellement, fédérées autour d’une cause commune. L’image de la femme est arrêtée. On est dans un moment

« ON EST DANS UN MOMENT TRÈS SUPERFICIEL, OÙ L’APPARENCE PHYSIQUE EST UN ENFERMEMENT. » préparer mon rôle, j’ai interrogé des personnes qui ont connu cette période et ce qu’elles ont vécu était vraiment fort. Après, je pense qu’il faut laisser un peu du féminisme exacerbé qui venait des États-Unis et qui ne me semble pas toujours juste. Même si en tant que femme, je me sens concernée par ce mouvement, porté par Simone de Beauvoir en France. Quand j’ai fait Nés en 68, j’avais besoin moi-même de trouver politiquement une

très consumériste, superficiel, où l’apparence physique est un enfermement. Je le sais d’autant plus que je viens du milieu de la mode et du mannequinat. Mon discours aura peut-être plus de poids quand j’aurai 50 ans et à ce moment-là, je serai peut-être entendue. Il s’agit pour les femmes de trouver leur place. Aujourd’hui, on paye peut-être un peu de cette liberté gagnée en 68. _Propos recueillis par Sandrine MARQUES

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Olivier Ducastel (à gauche) et Jacques Martineau (à droite).

Redoubler de vigilance Réalisateurs à l’univers très personnel, n’hésitant pas à évoquer avec légèreté des sujets graves (le sida dans Jeanne et le garçon formidable, l’abandon paternel dans Drôle de Félix), Olivier Ducastel et Jacques Martineau nous parlent de leur cinquième long métrage, Nés en 68. À travers un habile système d’écho, le film retrace 40 ans de luttes, mêlant l’intime au politique, le familial au national, en une séduisante fresque (dés)enchantée. és en 68 porte votre signature d’auteurs. Quelle était votre ambition sur ce projet ? Jacques Martineau_Nés en 68 renoue en effet avec des thèmes présents dans Jeanne et le garçon formidable. Mais on avait un levier pour remonter jusqu’aux années 1970 et proposer une réflexion sur la filiation du militantisme. On voulait aussi lutter contre l’idée qu’il y aurait eu, à la fin des années 1980, une « bof génération ». Je n’y crois pas vraiment. Il y a toujours eu des mouvements militants, des individus engagés ayant à coeur que les choses bougent. Encore aujourd’hui.

N

Que retenez-vous de mai 68, sur le plan politique et personnel ? J.M._En termes politiques, 68 a ouvert les portes d’une nouvelle façon de gérer sa liberté. C’est quelque chose d’essentiel qui reste. J’avais 5 ans au moment des faits, mais adolescent, je regardais les anciens soixante-huitards un peu comme des héros qui avaient accompli quelque chose d’incroyable. Avec ce projet, j’avais la volonté de me confronter non pas à la réalité de mai 68 mais au souvenir que j’en avais. Olivier Ducastel_J’avais 6 ans en 68 et le rapport qu’entretenaient mes parents aux événements me reste. Mon père était ouvrier, en grève plus ou moins forcée. Mai 68 est un héritage familial. Plus tard, je me souviens de grandes manifestations lycéennes à Rouen en 1978, auxquelles j’ai pris part. Même si je n’ai jamais milité ou appartenu à un syndicat, je me suis toujours senti concerné par la politique.

Pourquoi avez-vous tenu à utiliser le fameux discours de Nicolas Sarkozy (« il faut liquider l’héritage de mai 68 ») dans le film ? J.M._On a achevé l’écriture du film au moment de la campagne présidentielle de 2007. C’est là que Nicolas Sarkozy a sorti de son chapeau ce discours qui nous a tous fait bondir, à cause de sa rhétorique absurde et pleine de mauvaise foi. C’était une manière de ratisser la droite conservatrice et, incidemment, de nous donner le mot de la fin avec un événement encore proche dans les esprits de tous. O.D._Ce discours est d’une efficacité redoutable, tout en concision et raccourcis. Facile à démonter, pourtant. Il permet au spectateur de revisiter tout le film qu’il vient de voir. J.M._La campagne de 2007 a été tellement violente contre les anciens soixante-huitards qu’on ne pouvait

« NOUS VOULIONS PROPOSER UNE RÉFLEXION SUR LA FILIATION DU MILITANTISME. »

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pas laisser passer cela. Même si on a des choses à leur reprocher – on en veut à certains d’avoir retourné leurs vestes, de ne pas avoir tenu le flambeau plus longtemps, de s’être laissé glisser – au moins, ils l’ont fait et làdessus, je leur suis reconnaissant. _Propos recueillis par S.M. Retrouvez la version longue de l’interview en vidéo sur www.mk2.com/troiscouleurs



LES FORMES

DE LA RÉVOLTE

AU CINÉMA

Filmer la révolte Filmer la révolte, n’est-ce pas l’annihiler ? À l’occasion de la parution en avril de son livre Cinéphilo (Hachette Littératures), prolongement du cycle de conférences qu’il anime depuis trois ans au MK2 Bibliothèque, nous avons demandé à Ollivier Pourriol, agrégé de philosophie, de penser la question de la représentation de la révolte sur grand écran. a révolte est une matière instable. Telle la nitro, elle supporte mal transport et manipulation. Quelle forme prend-elle au cinéma, et peut-elle le faire sans se déformer, se dénaturer, disparaître ou pire, se trahir et s’inverser ? Le cinéma paraît pourtant apte à l’accueillir. Si la révolte est un mouvement, le film, comme dit Deleuze, est fait d’images-mouvements, d’images déjà prises dans un mouvement, qui s’enchaînent et nous entraînent. Mais ce mouvement est automatique, il se fait, justement, sans nous. La question pourrait se poser ainsi : peut-on automatiser la révolte sans l’annihiler ? Automatiser, c’est industrialiser. Le cinéma est par nature tourné vers la consommation de masse. Même Fight Club, violent pamphlet contre la société de consommation, est un produit hollywoodien. La révolte peut-elle survivre à son industrialisation? Une révolte n’a de portée que si elle emporte une foule. Mais au cinéma, la foule est disjointe : le film n’unifie son public qu’en l’atomisant, en exacerbant le sentiment de solitude. Tous ensemble, mais chacun dans son fauteuil. Solitude de masse, si l’on peut dire. Ultramoderne, non ? Le «cinéma révolté» risque toujours de transformer la révolte en spectacle, de se diluer dans ce qu’il dénonce, d’épuiser et d’inverser la révolte en lui donnant forme. L’industrie culturelle « se sert des figures légendaires d’asociaux et de criminels pour éradiquer les velléités de révolte et vider le tragique de toute signification. Les films d’auteurs sont l’alibi démocratique d’une industrie profilée selon les besoins de l’administration capitaliste ». (Nicole Brenez, TRAFIC, Qu’est-ce que le cinéma ?) Cette question de la forme a pris une intensité douloureuse

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après Auschwitz. Conséquence du « succès » du grand spectacle hitlérien, l’imagerie aryenne a tué toute possibilité de se révolter contre elle directement. Même le Dictateur de Chaplin, avec ses champs de blé « qui ondulent dans le vent», ne peut complètement lui échapper. «Lorsqu’on parle des choses extrêmes, de la mort atroce, on éprouve une sorte de honte à l’égard de la forme, comme si celle-ci faisait outrage à la souffrance en la réduisant impitoyablement à l’état d’un matériau mis à disposition. » (Theodor Adorno, Modèles critiques) Et en effet, le cinéma est un grand consommateur de révolte. Il la consomme et la consume. En lui donnant forme, il la domestique. Elle est sauvage, il la canalise et la rend commercialisable. La révolte au cinéma est toujours vendue d’avance. La question se pose dès lors ainsi : comment rester irrécupérable ? Mocky répond par son cinéma anarchiste, hors des canaux de production traditionnels. La révolte ne supporte pas le succès. Elle doit rester minoritaire. Guy Debord dénonce La Société du spectacle en lisant son propre livre d’une voix off monocorde, sur une succession d’images fixes. Toujours intéressante, jamais passionnante, sa révolte anti-spectacle a le mérite de la cohérence formelle mais se condamne au suicide perceptif. Et pourtant, il a raison. Quand le réel n’est plus que spectacle, le cinéma se doit, paradoxalement, de se révolter contre les images. Est-ce là se mordre la queue ou se purifier ? Dans Apocalypse Now, Coppola fait débarquer le spectacle hollywoodien dans le Viêt-nam en guerre. Montrer le spectacle pour le dénoncer revient à le perpétuer. Le spectacle est toujours plus fort. Les Walkyries de Wagner qui retentissent dans les hélicoptères américains lors de


la célèbre attaque du village vietnamien… retentissent aujourd’hui dans les engins américains qui bombardent l’Irak – citation, hommage et négation du crime, noyé dans la référence cinématographique. Si la guerre est devenue film, n’est-ce pas aussi à cause de tous les films nés de la révolte contre la guerre du Viêt-nam ? Se révolter contre la guerre devrait conduire à se révolter contre le film de guerre – contre le film tout court, car le cinéma esthétise inévitablement la guerre. La Ligne rouge de Terrence Malick tente d’échapper à ce piège : voix off creusant l’image, soldat-philosophe contemplatif… Seul défaut de ce film : sa beauté. Mais, au moment de (faire semblant de) mourir, l’acteur-soldat nous regarde dans les

ils régulièrement leur réapparition. Béla Tarr et ses longs plans-séquences rompt avec le cinéma hystérique hypermonté. Coppola utilise le noir et blanc et la mythologie grecque pour mettre en perspective les gangs modernes de Rusty James… Autrement dit, la révolte gagne à avancer masquée. Dès qu’elle s’annonce, elle se ridiculise. Elle n’a de sens que là où on ne l’attend pas. Soleil vert, Rollerball, films d’anticipation grand public, mais récits politiques. Spartacus de Kubrick et Gladiator de Ridley Scott, péplums, aux discours apparemment antagonistes : réalisme peu spectaculaire des combats de Spartacus contre grand spectacle de Gladiator. Le Spartacus de Kubrick est épargné par plus fort que lui ; le Maximus

«LA RÉVOLTE GAGNE À AVANCER MASQUÉE. DÈS QU’ELLE S’ANNONCE, ELLE SE RIDICULISE. » yeux, un bref instant. Ça n’a duré qu’un éclair, mais là… Là, ça nous regarde. Regard caméra qui brise la convention du cinéma. Malaise imprévisible, bientôt oublié, qu’on ne peut oublier… La Ligne rouge, plutôt que la révolte directe, cherche la grâce. Cette recherche est toujours formelle. À chaque époque ses nouveautés, vite datées. Les années 1960, peu après l’irruption du zoom, ont ainsi été frappées de « zoomite ». Le vocabulaire de la révolte devient dogme dès qu’il se généralise. Les révoltés sincères finissent parfois par se révolter contre leur propre révolte, pas pour sombrer dans le conformisme veule, mais pour échapper à ces contradictions et tenter l’aventure de la création. Ainsi des outils apparemment surannés font-

de Gladiator ne nous épargne aucune violence et reste toujours le plus fort… mais triomphe lui aussi en épargnant son camarade d’infortune puis en mourant. Pas la révolte : la grâce. Enfin, plus inattendu, Ratatouille pose la question de la « révolte de masse» de manière à la fois cohérente et spectaculaire : le cri démocratique du rat, révolté contre la médiocrité de sa tribu, qui veut prouver qu’il peut, lui aussi, faire de la grande cuisine. Ratatouille, victoire de la médiocrité ou démocratisation de la création ? Si la soupe qu’on nous sert est bonne, la question non plus n’est pas mauvaise.

_Ollivier POURRIOL

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LES 40 ANS DE LA

© La Quinzaine des Réalisateurs

QUINZAINE DES RÉALISATEURS

La Quinzaine, la quarantaine fringante 1968-2008 : nous fêtons cette année l’anniversaire de la Quinzaine des Réalisateurs, section parallèle défricheuse du festival de Cannes, et fille directe des évènements de mai. a Quinzaine des Réalisateurs a 40 ans. Elle est née à la faveur des turbulences de mai 68. Solidaires du mouvement de contestation ouvrier et étudiant, un groupe de cinéastes, dont Truffaut et Godard, provoque l’interruption du festival de Cannes. À l’origine de leur courroux, l'éviction d'Henri Langlois de la direction de la Cinémathèque Française. Ils obtiennent sa réintégration et fondent dans la foulée la Société des Réalisateurs de Films (SRF). La Quinzaine des Réalisateurs en découle directement. Elle se veut la vitrine de tous les cinémas du monde. Dès 1969, des auteurs majeurs comme Bertolucci, Oshima ou Glauber Rocha y sont découverts. Olivier Père, délégué général de la Quinzaine des Réalisateurs depuis 2004, nous confie vouloir perpétuer cet esprit défricheur : « Je voulais retrouver les racines et la singularité de la Quinzaine, ouvrir les portes à des cinéastes issus de modes de production et de création très originaux. La Quinzaine continue à être une tribune politique et esthétique. C’est un lieu de réflexion sur la distribution et la création cinématographiques, à l’heure des bouleversements des schémas traditionnels de narration. C’est ainsi que j’établis une passerelle entre les grands réalisateurs modernes à l’origine de la création de la Quinzaine et aujourd’hui.» La sélection 2008 va en tout état de cause tenir ses promesses, avec la présentation de la version restaurée du très rare Milestones de Robert Kramer. Une journée de festivités est également prévue le dimanche 19 mai 2008, date anniversaire de l’arrêt du festival de Cannes en 1968. À cette occasion, sera projeté le documentaire d’Olivier Jahan sur l’histoire de la Quinzaine (40x15, une production MK2 TV et France 4). Manière de revenir en beauté sur quarante années d’une épopée de cinéma.

L

« JE VOUS PARLE SOLIDARITÉ AVEC LES ÉTUDIANTS ET LES OUVRIERS ET VOUS ME PARLEZ TRAVELLING ET GROS PLANS. VOUS ÊTES DES CONS ! » JEAN-LUC GODARD

_S.M.

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en 1968 lors du festival de Cannes.


FILMOGRAPHIE

& BIBLIOGRAPHIE

Revoir un printemps Sous la forme de fictions ou d’images d’archives réappropriées, le cinéma est revenu plusieurs fois sur ce moment unique de la vie politique française. Désillusions, impasse, désenchantement : faut-il jeter les idéaux de mai 68 à la poubelle ? Tri sélectif. À MORT, LA MORT ! DE ROMAIN GOUPIL (1998) Que reste-t-il de la génération de mai 68 ? Entre malêtre, drogue et sida, elle s’est consumée. Mais malgré les disparitions de ses amis proches, le héros de ce film plein d’autodérision continue d’aimer éperdument la vie et les femmes. Un témoignage précieux en forme d’autoportrait.

LES AMANTS RÉGULIERS DE PHILIPPE GARREL (1997) Les jeunes héros révolutionnaires de Philippe Garrel ont la beauté ténébreuse de comètes à la trajectoire foudroyée. Où l’on meurt autant d’amour que pour la révolte. Après Le Vent de la nuit, qui évoquait mai 68 en filigrane, Philippe Garrel dresse de nouveau les barricades.

MAI 68

« Écrivez partout ! » Mai 68 fut une révolte contre l’ennui. En ce printemps 2008, on ne s’ennuiera guère, au vu de la floraison d’ouvrages célébrant les 40 ans des évènements. Les amateurs d’images se plongeront dans 1968, recueil de photographies prises cette année-là par Raymond Depardon (Points), mais aussi dans les 500 affiches de mai 68 regroupées par les éditions Aden, sans oublier la BD d’Alexandre Franc et Arnaud Bureau, Mai 68, Histoire d’un printemps (Berg). Les cinéphiles apprécieront l’excellente somme collective publiée par la Petite bibliothèque des Cahiers du cinéma, Cinéma 68, ainsi que l’essai de Sébastien Layerle, Par ailleurs le cinéma est une arme… : caméras en lutte en mai 68 (Nouveau Monde). Du côté des fictions, on signalera le recueil collectif Écrire mai 68 (Argol) et le roman-feuilleton d’Hervé Hamon, Demandons l’impossible (Panama). Enfin, deux essais iconoclastes : La pensée anti-68 : Essai sur une restauration intellectuelle de Serge Audier (La Découverte) et la réédition chez Allia des dialogues de La Dialectique peut-elle casser des briques ? de René Vienet, détournement fameux d’un film de kung-fu.

COFFRET DVD MAI 68 MK2 EDITIONS (2005) Mourir à trente ans (Romain Goupil), L’An O1 (Jacques Doillon) et Coup pour coup (Marin Karmitz) réunis dans un coffret incontournable. Goupil revient sur son passé militant à travers le souvenir d’un ami de lutte disparu. Doillon signe une fable utopiste, adaptée de la BD de Gébé, avec la complicité d’Alain Resnais et de Jean Rouch. Marin Karmitz documente quant à lui un bras de fer entre des ouvrières d’une usine textile et leur patron qu’elles finissent par séquestrer.

GRANDS SOIRS ET PETITS MATINS DE WILLIAM KLEIN (1978) En mai 68, William Klein filme les événements en plein Quartier Latin. Dix ans plus tard, il en tire une chronique sur le vif, agrémentée de commentaires plus distanciés.

LE FOND DE L’AIR EST ROUGE DE CHRIS MARKER (2007) Histoire de l’insurrection à travers le monde de 1967 à 2007. Un remarquable film d’analyse où prime la beauté du geste de l’insoumis. Achevé à l’origine en 1977, Chris Marker l’a révisé en 1997 (après la chute du Mur et l'éclatement de l'URSS), puis en 2007.

& Rencontre jeudi 22 mai, à 19h, à la librairie du MK2 Bibliothèque avec les auteurs du livre Écrire mai 68, suivie à 20h30 de la projection du film Coup pour coup de Marin Karmitz.

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PLEIN ÉCRAN Bataille à Seattle_Stuart TOWNSEND

EN 3 RÔLES

STUART TOWNSEND Wonderland (1999) de Michael Winterbottom. Mauvaise Passe (1999) de Michel Blanc. Il joue un escort boy. La Ligue des gentlemen extraordinaires (2003) de Stephen Norrington. Il est Dorian Gray.

La voie de la cons En 1999, des manifestations contre la tenue de la conférence de l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC) ont embrasé cinq jours durant la ville de Seattle. Stuart Townsend reconstitue les événements, à travers différents points de vue. Efficace, dans l’ensemble.

P

our sa première réalisation, l’acteur irlandais Stuart Townsend s’attelle à un sujet ambitieux : raconter les jours qui firent vaciller la toute puissante OMC. Prévu pour se dérouler de manière pacifique, le rassemblement de Seattle a rapidement tourné à l’émeute. Scènes de vandalisme, brutalités policières, mobilisation de la garde nationale et mise en place d’un couvre-feu traduisent le chaos qui a régné sur la ville, devenue emblématique de l’éveil altermondialiste planétaire. Townsend ouvre son film par une présentation de ses protagonistes (onze au total) : militants, policiers, simples citoyens, élus ou membres de l’OMC. Le panel est exhaustif, mais le refus de stigmatiser l’une ou l’autre des forces en présence (toutes victimes au fond d’enjeux qui les dépassent) souligne la relative faiblesse de l’écriture. Certains personnages manquent d’épaisseur, comme parfois les dialogues de relief. Assurément, le film aurait gagné à prendre davantage parti, même s’il se place d’évidence du côté des insurgés. Restent néanmoins une distribution intéressante (Woody Harrelson en tête, épaulé par l’inattendu André Benjamin du groupe de rap Outkast), et surtout des scènes d’émeutes hyper-réalistes qui emportent le morceau. Les mouvements de foule, filmés au grand angle ou en plans serrés dans la mêlée, alternent avec de vraies images d’archives. Ces moments restituent la beauté et la violence de l’insoumission. À Seattle, une victoire a été remportée à l’issue d’un bras de fer extrêmement brutal. Mais la lutte continue pour des militants bien décidés à renverser le Titan de l’économie mondiale. C’est à ces utopistes qu’est destiné ce premier film marquant de fiction jamais réalisé sur les événements. _Sandrine MARQUES

Un film de Stuart TOWNSEND Avec Charlize Theron, Susan Sarandon, André Benjamin… Distribution : Metropolitan FilmExport // États-Unis, 2007, 1h38

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SORTIE LE 7 MAI

EN 3 CONTESTATIONS

LE MOUVEMENT ALTERMONDIALISTE La libéralisation financière : selon les «alters», elle est la cause des crises récentes en Asie et en Argentine. Les producteurs d’OGM : ils sont vilipendés par José Bové, qu’a rencontré Stuart Townsend. L’industrie pharmaceutique : le coût prohibitif des traitements freine l’accès aux soins des pays pauvres.

cience

3 RAISONS D’ALLER VOIR CE FILM Pour Charlize Theron, la compagne du réalisateur, dans le rôle d’une femme enceinte, victime de violences policières. Pour Jennifer Carpenter et Michelle Rodriguez 02 que les amateurs de séries TV ont vu respectivement dans Dexter et Lost. 01

03 Pour les scènes de soulèvement contre les autorités, à couper le souffle.

3 QUESTIONS À STUART TOWNSEND Pourquoi vouloir évoquer les émeutes survenues à Seattle en 1999 pour votre premier film ? Parce que le public a oublié ces événements et que les médias à l’époque ont surtout retenu les violences au détriment des motivations des manifestants. D’un point de vue cinématographique, la matière est féconde : les couleurs, la créativité des militants, l’intensité des scènes d’émeute, le style documentaire avec lequel je pouvais jouer. C’était effectivement un pari risqué pour un premier film. À un niveau plus personnel, j’en avais assez des rôles qu’on me proposait. Je souhaitais faire un film grand public qui concilie à la fois narration et démarche éducative. Comment avez-vous pensé votre casting, très éclectique ? Je n’ai pas pu réunir les acteurs avec lesquels je souhaitais tourner et la production était à deux doigts de tout arrêter. J’ai fait la connaissance d’André Benjamin du groupe Outkast après l’un de ses concerts. L’énergie qu’il dégageait m’a séduit. Il incarne Django dans le film, un éternel optimiste à la bonne humeur communicative. Woody Harrelson est un activiste dans la vie et il s’attendait à ce que je lui propose d’interpréter un militant. Il a été surpris quand je lui ai confié le rôle d’un policier mais après la lecture du scénario, il s’est dit prêt à le faire. Il a été exceptionnel. Êtes-vous vous-même un militant ? Mon film est en soi une forme d’activisme. Je voulais faire autre chose que jouer dans des comédies romantiques et aborder des sujets qui me préoccupent. Je suis fasciné par la politique et la mondialisation. Je me demandais comment agir à mon échelle. Raconter des histoires, c’est ce que je sais faire même si j’ai été impliqué ponctuellement dans des causes qui me tiennent à cœur. _Propos recueillis par S.M. Retrouvez l’interview filmée sur www.mk2.com/troiscouleurs Avant-première du film courant avril au MK2 Bibliothèque en compagnie du réalisateur et de José Bové.

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PLEIN ÉCRAN Les Seigneurs de la mer_Rob STEWART

EN 3 DATES

ROB STEWART 1988 : à 9 ans, il tombe nez à nez avec son premier requin, lors d’une baignade. 1992 : il débute sa carrière de photographe de la vie sous-marine (il a 13 ans). 2001 : il abandonne la photographie et se consacre pendant quatre ans à la réalisation des Seigneurs de la mer.

Plongée en eaux Nouveau venu dans le cercle des documentaristes activistes, le Canadien Rob Stewart lance un pavé dans la mare avec Les Seigneurs de la mer. L’homme qui fait des câlins aux requins démontre que leur disparition pourrait bien amorcer la nôtre.

D

e son passé de photographe sousmarin, le jeune réalisateur de 29 ans a conservé une exigence esthétique qui sert au mieux ce manifeste écologique. Entre deux courses-poursuites avec la mafia taïwanaise ou les garde-côtes costaricains, Rob Stewart nous montre des images dont la beauté calme tranche avec l’image communément partagée du requin tueur. Le film s’ouvre sur un discours de mise en garde contre l’extinction d’une espèce animale malaimée, message peut-être un peu éculé. Captivé par cet homme qui plonge en palmes et tuba au milieu d’un banc de requins marteaux, le spectateur se fait doucement promener au fil des plongées. Mais Rob Stewart abandonne bien vite ce captatio benevolentiae et nous fait violemment sortir la tête de l’eau : qu’on ne s’y trompe pas, Les Seigneurs de la mer est un film sur les hommes. Un vieux loup de mer marxiste et dissident de Greenpeace, un président costaricain corrompu, des mafias asiatiques intimidantes… voilà la faune haute en couleurs qui gravite autour d’une bombe à retardement écologique. Dans la veine d’autres documentaires à thèse, Les Seigneurs de la mer n’hésite pas à tirer de grosses ficelles rhétoriques. Mais c’est pour mieux exprimer l’urgence sincère qui a animé Rob Stewart pendant quatre ans d’enquête. Plonger avec les requins pour sonder l’ineptie du rapport qu’entretient l’homme à la nature, c’est une surprise salutaire que partagent, au bout du périple, réalisateur et spectateur. _Étienne ROUILLON

Un documentaire de Rob STEWART Distribution : MK2 // Canada, 2006, 1h30

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SORTIE LE 9 AVRIL

EN 3 FILMS

LES REQUINS Les Dents de la mer : la petite station balnéaire d’Amity tremble face à un granguignolesque requin blanc. Peur bleue : Samuel Jackson montre les crocs face à des requins très vilains parce que génétiquement modifiés. Gang de requins : les créateurs de Shrek mettent en scène une mafia de squales qui n’a rien à envier aux Sopranos.

troubles

3 RAISONS D’ALLER VOIR CE FILM 01 Pour la manière dont le film démonte nos préjugés sur les requins. 02 Pour la beauté sous-marine d’images vues nulle part ailleurs. 03

Pour la rocambolesque course-poursuite navale avec les garde-côtes costaricains.

3 QUESTIONS DE ROB STEWART Pourquoi les requins sont-ils plus menacés que jamais aujourd’hui ? Il y a une forte demande d’ailerons de requin en Asie pour un plat de luxe appelé « soupe de requin ». L’aileron, symbole de prospérité, a un goût insipide et ne sert qu’à donner de la consistance à une soupe au bœuf. Cette soupe existe depuis des siècles mais elle est devenue très prisée depuis vingt ans. Les pêcheurs sortent les requins de l’eau, ne coupent que les nageoires et rejettent les corps dans l’océan où les requins meurent, vidés de leur sang. C’est comme tuer un éléphant pour son ivoire. Nous tuons ainsi 70 millions de requins chaque année. Il y a 90 % de requins de moins qu’il y a trente ans. Les requins ne sont pas protégés car le public ne sait pas qu’ils sont pêchés, mais aussi parce que les gens perçoivent les requins comme des prédateurs. En un an, les crocodiles ont tué autant d’hommes que les requins en 100 ans. Le crocodile est protégé, le requin non. Pourquoi les hommes sont-ils menacés à leur tour par cette disparition ? 70 % de l’oxygène que nous respirons vient de la vie océanique, c’est-à-dire de la chaîne alimentaire régie par les requins. Ils façonnaient déjà l’écosystème il y a 400 millions d’années. Les squales maintiennent l’écosystème qui nous permet de respirer. Si nous perdons les requins, nous perdons notre arrivée d’oxygène. Au fil de votre enquête, pourquoi vous être éloigné des fonds marins pour rejoindre les villes ? Au départ, je voulais faire un beau film sur les requins, sans hommes. Mais nous avons découvert que le Costa Rica est corrompu par des mafias asiatiques trafiquant des ailerons de requins à l’échelle industrielle. Les requins les plus redoutables ne se trouvent pas au fond des océans.

_Propos recueillis par E.R.

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PLEIN ÉCRAN Shine a Light_Martin SCORSESE

EN 3 CHANSONS

LES ROLLING STONES Satisfaction : en plein consumérisme sixties, trois riffs légendaires synthétisent la frustration ambiante. Sympathy for the Devil : chanson maléfique en diable, dont l'enregistrement fut capté par Godard dans One + One. Miss You : les Stones se vendent au disco, mais conservent leur charge sexy, teintée d'ironie camp.

Infiltré Fan absolu, Martin Scorsese filme les Rolling Stones en concert, dans le cadre très select du Beacon Theatre de New York : une captation luxueuse et vibrante de l'énergie du groupe aux 40 ans de carrière, entrecoupée de scènes de coulisse et d’images d’archive.

E

ntre Scorsese et les Rolling Stones, c'est une vieille histoire, qui remonte à Mean Streets (1973). La première apparition de Robert de Niro y était propulsée par Jumpin' Jack Flash et depuis, l'énergie jubilatoire, sexy et diabolique du groupe sera régulièrement invoquée dans les B.O. du catholique violent. La sublime chanson Gimme Shelter traverse ainsi trois de ses films (Les Affranchis, Casino, Les Infiltrés) comme un mauvais fétiche, signe d'un désastre annoncé pour ses personnages dès ses premières notes claudicantes. Voilà peut-être pourquoi Gimme Shelter est absent du tracklisting de Shine a Light : Scorsese ne veut pas porter malheur aux Stones. Le film ne sera donc pas… un Gimme Shelter bis – ce documentaire sur la tournée américaine des Stones en 1969, culminant avec le concert d'Altamont, où un spectateur fut tué. Il s'agit de la luxueuse captation d'un de leurs concerts à New York en 2006. Luxueuse par son casting (Christina Aguilera et Jack White des White Stripes montant sur scène, la famille Clinton interviewée, public VIP poli), mais aussi par la débauche de moyens mis à la disposition du réalisateur (16 caméras, une grue, un bataillon de prestigieux directeurs de la photographie…). Scorsese assure au groupe le meilleur écrin, mettant surtout en valeur un Mick Jagger qui possède, dévore la scène. Shine a Light n'est pas un testament, mais l'hommage vivant et vibrant d'un fan sincère – on y voit Scorsese concentré, anxieux avant le début du concert –, fasciné comme nous par l'invraisemblable longévité des Stones. _Leo SOESANTO

Un documentaire de Martin SCORSESE Avec Mick Jagger, Keith Richards, Charlie Watts, Ronnie Wood… Distribution : Wild Bunch // États-Unis, 2007, 2h02

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3 RAISONS D’ALLER VOIR CE FILM Pour retrouver les Rolling Stones 01 sur scène, toujours en forme et menés par un Mick Jagger déchaîné. 02

Pour ses 16 caméras, qui assurent que l'on ne perdra pas une miette du concert.

03 Parce que c'est un film de fan, et que la passion de Scorsese transparaît à chaque plan.


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LE GUIDE

DES SALLES

DU MERCREDI 9 AVRIL AU MARDI 13 MAI

Les Citronniers - Un film d’Eran Riklis

SOMMAIRE SORTIES DU 9 AVRIL 32_Lady Jane de Robert Guédiguian // Pénélope de Mark Palansky // Désengagement d’Amos Gitaï SORTIES DU 16 AVRIL 36_Sans arme, ni haine, ni violence de Jean-Paul Rouve // Passe Passe de Tonie Marshall // Ploy de Pen-ek Ratanaruang // Rome plutôt que vous de Tariq Teguia 38_In Memoria Di Me de Saverio Costanzo SORTIES DU 23 AVRIL 38_Jeux de dupes de Georges Clooney // Yumurta de Semih Kaplanoglu // Ulzhan de Volker Schlöndorff 40_Les Citronniers d’Eran Riklis SORTIES DU 30 AVRIL 40_Le Grand Alibi de Pascal Bonitzer // Deux Jours à tuer de Jean Becker // Ciao Stefano de Gianni Zanas SORTIES DU 7 MAI 42_Agnus Dei de Lucia Celdron // Gal de Miguel Courtois // J’aimerais partager le printemps avec quelqu’un de Joseph Morder LES ÉVÈNEMENTS MK2_44 > 45

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LE GUIDE_SORTIES DU 9 AVRIL

LADY JANE Un film de Robert GUÉDIGUIAN Avec Ariane Ascaride, Jean-Pierre Darroussin, Gérard Meylan, Jacques Boudet… Distribution : Diaphana // France, 2008, 1h42

Le quinzième film de Robert Guédiguian est un polar très noir dont le sous-titre dévoile le thème : « la vengeance appelle la vengeance». Un adolescent est enlevé contre rançon. Sa mère reprend contact avec deux amis qu’elle n’a pas revus depuis quinze ans. À l’époque, ils formaient un gang de voleurs au grand cœur qui redistribuaient leurs larcins en cadeaux aux habitants de l’Estaque… Lady Jane constitue à la fois un retour à la troupe et à Marseille après deux films qui s’en étaient éloignés – Le Promeneur du Champ de Mars (2005) et Le Voyage en Arménie (2006). Tous les codes du polar sont réunis, cascades et échanges de coups de feu compris, pour dresser le constat d’un monde où les valeurs transmises vont à l’encontre d’un rêve communautaire envolé. La scène où, de retour dans le quartier de leur enfance, Ariane Ascaride et Jean-Pierre Darroussin croisent Pascale Roberts, une ouvrière à la mémoire qui flanche, est symbolique de cet état des lieux, brutal, désespéré et sublime. _Isabelle DANEL

PÉNÉLOPE

DÉSENGAGEMENT

Un film de Mark PALANSKY Avec Christina Ricci, James MacAvoy, Catherine O’Hara, Richard E. Grant Distribution : ARP Sélection // Grande-Bretagne, États-Unis, 2006, 1h43

Un film d’Amos GITAÏ Avec Juliette Binoche, Liron Levo, Jeanne Moreau, Barbara Hendrix… Distribution : Ad Vitam // France, Israël, 2007, 1h55

Victime d’un mauvais sort, Pénélope naît avec un nez et des oreilles de cochon. L’affreux sortilège ne se brisera que si elle épouse un noble, mais, les prétendants se bousculant surtout pour échapper à cette vision inattendue, elle s’enfuit seule pour découvrir le monde. Casting de rêve pour ce conte de fées moderne : aux côtés de Christina Ricci, planquée derrière un opportun cache-nez, Reese Witherspoon (Walk the Line) interprète l’amie délurée, et James MacAvoy (Reviens-moi) un prince charmant possible. Le réalisateur de ce premier film avait signé The Same en 2001, court métrage avec Josh Hartnett diffusé dans le programme O1, en 2003.

Une femme et son demi-frère se retrouvent pour veiller le corps de leur père dans la maison familiale à Avignon, avant de partir ensemble pour la bande de Gaza, où l'armée israélienne s'apprête à évacuer les colons juifs. Le découpage du film en deux parties permet à Amos Gitaï de mettre en écho l'immobilisme d'une Europe sublime et mortifère (à l'image de la maison paternelle) et l'énergie d'un MoyenOrient déchiré mais vibrant d'émotions. Si le début du film joue brillamment des non-dits familiaux, la fin est plus appuyée pour démontrer que dans cette région l'histoire s'écrit au présent.

_Elsa BADENELLI NB : Nous n’avons pas pu voir ce film dans nos délais de parution.

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_Titiou LECOQ





LE GUIDE_SORTIES DU 16 AVRIL

SANS ARME, NI HAINE, NI VIOLENCE PASSE PASSE Un film de Jean-Paul ROUVE Avec Jean-Paul Rouve, Alice Taglioni, Gilles Lellouche… Distribution : Mars // France, 2007,1h28

Un film de Tonie MARSHALL Avec Nathalie Baye, Édouard Baer, Guy Marchand, Joey Starr… Distribution : Warner Bros. // France, 2007, 1h33

1976 : un petit photographe nommé Albert Spaggiari (J.-P. Rouve) réussit le casse du siècle en vidant le coffre de la Société Générale de Nice. 1981 : un journaliste (Gilles Lellouche) part en Amérique du Sud pour interviewer le braqueur en cavale. Le film raconte les quelques jours que dure la rencontre entre ces deux hommes que tout oppose. Malgré une tentative de réalisation originale, l'intrigue reste attendue. La véritable gageure pour Rouve est de n'avoir fait ni une comédie, ni un film d'action, ni un thriller psychologique mais, en empruntant quelques éléments à chaque genre, d'avoir tracé le portrait plutôt touchant d'un homme faible et vaniteux à la recherche désespérée du vedettariat.

Après avoir longtemps filmé des espaces clos et douillets (l’échoppe intimiste de Vénus beauté, le plateau télé de France Boutique), Tonie Marshall aère son cinéma avec ce road-movie improbable. Un magicien largué, fuyant son beau-frère brutal, prend en stop la maîtresse richissime d’un ministre véreux, pourchassée par la DST et la mafia sud-coréenne. S’ensuit un chassé-croisé rocambolesque entre Paris et Locarno, avec étapes à l’hôpital psychiatrique. Le casting farfelu et quelques douces incongruités portent cette fantaisie légère, à goûter en diagonale, les passages à vide alternant avec des tours et traversées plus originalement exécutés.

_T.L.

_Au.To.

PLOY

ROME PLUTÔT QUE VOUS

Un film de Pen-ek RATANARUANG Avec Lalita Panyopas, Pornwut Sarasin, Apinya Sakuljaroensuk… Distribution : Wild Side // France, 2007, 1h47

Un film de Tariq TEGUIA Avec : Samira Kaddour, Rachid Amrani, Ahmed Benaïssa… Distribution : Shellac // Algérie, France, Allemagne, 2006, 1h51

Un hôtel à Bangkok. La rencontre d'une jeune fille gracile avec un couple d'expatriés y révèle les difficultés de ce dernier. Ploy commence comme un très bon film d'hôtel, où jet-lag, décor chic mais toc et attente languissante sont savamment utilisés pour illustrer à la fois montée du désir et fissures d'un couple. Le cinéaste Pen-ek Ratanaruang, auteur du vaporeux Vagues invisibles, se perd ensuite dans quelques ficelles faciles, mais ses plans patients, érotiques et ses ruptures de ton (comédie musicale, thriller) dessinent un drame charnel, où le spectateur prend plaisir à se perdre. Une poignée d'acteurs non-professionnels et délicats donnent idéalement corps au film.

Grand prix du dernier festival de Belfort, road-movie minuscule, engourdi et inquiet, ce premier film de Tariq Teguia est d’une beauté formelle sidérante. Le récit s’installe dans le contexte de guerre larvée de l’Alger contemporain, sillonné par Zina et Kamel, deux jeunes algérois à la recherche d’un passeur qui leur fournira des faux passeports pour rejoindre l’Europe. Quête qui prend la forme d’une dernière errance dans ce décor qu’ils cherchent à fuir, visité comme un espace fantôme, léthargique, mais ceinturé par la menace continue de la violence. Un premier film aride et suspendu dont la maîtrise formelle impressionne durablement.

_L.S.

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_Jérôme MOMCILOVIC



LE GUIDE_SORTIES DU 16 DU 23 AVRIL

IN MEMORIA DI ME

JEUX DE DUPES

Un film de Saverio COSTANZO Avec : Christo Jivkov, Filippo Timi, Marco Baliani, Andre Hennicke… Distribution : Pierre Grise // Italie, 2007, 1h58

Un film de George CLOONEY Avec George Clooney, Renée Zellwegger, Jonathan Pryce… Distribution : Paramount // États-Unis, 2007, 1h54

Andrea, jeune homme brillant et séduisant, décide de tout quitter pour entrer au noviciat jésuite, antichambre de la prêtrise. « Que veux-tu devenir ? », lui demande le père supérieur. «Une personne», répond-il. De prières en lectures à voix haute, de séances d’autocritique en recueillement, Andrea s’interroge et observe le doute s’insinuer chez les plus convaincus. Si la mise en scène peine à nous faire ressentir les trajets intérieurs des personnages, elle restitue parfaitement l’atmosphère pesante du lieu. Le monastère entouré d’eau, constitué de longs couloirs, de réfectoires austères et de portes closes, symbolise à lui seul le mystère de la foi. _I.D.

En 1925, le fringant Dodge Connelly, vieille gloire du football américain, tente une combine pour redorer le blason de son équipe. Le troisième film de Clooney cinéaste est une très amusante récréation en forme de comédie screwball, mélange de romance, de guerre des sexes et de loufoquerie. Renée Zellwegger y est sa partenaire pétillante d'un ping-pong de dialogues spirituels. Faussement léger, Clooney dispense à merveille son charme rétro, mais glisse au détour d'un gag des piques sur la déontologie des médias (sujet de son Good Night, Good Luck). Et se lamente aussi sur la professionnalisation du sport, qui en tuerait le plaisir.

YUMURTA

ULZHAN

Un film de Semih KAPLANOGLU Avec Avec Nejat Isler, Saadet Isil Aksoy, Ufuk Bayraktar… Distribution : Les Acacias // Grèce, Turquie, 2007, 1h37

Un film de Volker SCHLÖNDORFF Avec Philippe Torreton, Ayanat Ksenbai, David Bennent… Distribution : Rezo Films // France, Allemagne, Kazakhstan, 1h45, 2007

Un poète turc revient dans son village natal après la mort de sa mère. Il doit y accomplir un rituel très important – le sacrifice d'une chèvre –, assisté de sa nièce. Yumurta (qui signifie « œuf » en turc) est le premier volet annoncé d'une trilogie « miel, lait, œuf ». Dépouillé jusqu'à l'austérité, tout en longs plans campagnards fixes et âpres, le film vise clairement la métaphysique, la contemplation. Lorsque le poète demande à sa nièce pourquoi le rituel importait à sa mère, elle répond qu'elle l'ignore. Le spectateur peut être parfois aussi perdu, ignorant lui-même ce que le cinéaste lui demande de contempler. _L.S.

Ravagé par un deuil impossible, un homme part sur les routes inhospitalières d'un Kazhakstan tiraillé entre le boum de son industrie pétrolifère et la disparition de cultures ancestrales. Son nomadisme désespéré le conduira jusqu'aux grandioses steppes d'Asie centrale, jusqu'à la rencontre avec Ulzhan, jeune femme à la beauté sauvage, et un truculent marchand qui échange des vivres contre des mots anciens. Le réalisateur du Tambour (Palme d'or 1979) retrouve une nouvelle fois J.-C. Carrière pour un film poétique et contemplatif. Il y a une grâce certaine et rafraîchissante dans le dépaysement qu'offre cet hymne au nomadisme et à l'oralité. _T.L.

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_L.S.



LE GUIDE_SORTIES DU 23 ET 30 AVRIL

LES CITRONNIERS

LE GRAND ALIBI

Un film d’Eran RIKLIS Avec Hiam Abbas, Rona Lipaz-Michael, Ali Suliman… Distribution : Océan Films // France, Allemagne, Israël, 2007, 1h46

Un film de Pascal BONITZER Avec Lambert Wilson, Valeria Bruni-Tedeschi, Miou-Miou, Pierre Arditi… Distribution : UGC // France, Italie, 2007, 1h33

Après La Fiancée syrienne, Eran Riklis poursuit sa réflexion sur la folie qui règne au Moyen-Orient en confrontant une veuve palestinienne, des arbres et un ministre israélien de la défense – une combinaison fatale. Le ministre emménage de l'autre côté du verger de Salma (Hiam Abbas) mais décide rapidement que ces arbres sont un refuge idéal pour les terroristes et que sa sécurité exige de les abattre. Salma, qui vit de la vente de ces citrons, va alors se pourvoir en justice. Si le résumé peut faire penser à une métaphore poétique de la situation de la région, Les Citronniers s’avère, en fin de compte, d'un réalisme et d'une cruauté dignes de Kafka.

Cluedo à la sauce auteur : Pascal Bonitzer délaisse partiellement l’inquiétante étrangeté qui faisait sa singularité, et signe un « wodunit » dans la tradition d’Hitchcock, à qui le titre de son film rend hommage. Qui a tué Pierre Collier, un séducteur notoire? Sa femme, sa maîtresse ou son amour humilié de jeunesse ? Énigmes, ellipses, absences, perte de mémoire jalonnent ce film à trous, émaillé de dialogues subtils et savoureux. Interprétant cette partition pour humains désaccordés, des comédiens exceptionnels. Parmi ceux-là, Miou-Miou en douce dingue qui horripile son mari passionné d’armes à feu. _S.M.

_T.L.

DEUX JOURS À TUER

CIAO STEFANO

Un film de Jean BECKER Avec Albert Dupontel, Marie-Josée Croze, Pierre Vaneck… Distribution : StudioCanal // France, 2008, 1h24

Un film de Gianni ZANAS Avec Anita Caprioli, Guiseppe Battiston, Valério Mastandrea, Caterina Murino… Distribution : Pyramide // Italie, 2007, 1h45

« Une belle baraque, un métier qui rapporte gros, rien qui dépasse… Moi j’appelle ça une vie de con ! » Antoine, du jour au lendemain, revend ses parts à son associé et quitte sa femme et ses enfants. Ça ressemble à une bonne grosse crise de la quarantaine… Adapté du roman de François d’Epenoux, le dernier film de Jean Becker, après Dialogue avec mon jardinier, suit à nouveau les pas d’un homme en plein changement de vie. Que l’on devine ou pas les motivations profondes du personnage, son parcours et les questions qu’il soulève maintiennent l’attention. Il faut dire qu’Albert Dupontel, mélange détonnant de mélancolie et de cruauté, est plus que parfait.

On a beau jouer du punk dans un groupe en vue, le blues peut vous rattraper par surprise. Stefano, la trentaine fragile, en fait les frais un beau jour. Entre lassitude et dépression latente, il décide de changer d’air. Direction la maison de son enfance où l’attend sa famille, elle aussi en crise. Son frère aîné, à la tête de la fabrique paternelle, est un gestionnaire calamiteux et un époux minable. Sa sœur a renoncé à ses études pour s’occuper de dauphins. Quant à sa mère, elle ne jure plus que par les stages de développement personnel. Une sympathique comédie qui doit beaucoup à ses interprètes attachants.

_I.D.

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_S.M. Retrouvez notre interview de Caterina Murino en vidéo sur www.mk2.com/troiscouleurs



LE GUIDE_SORTIES DU 7 MAI

AGNUS DEI Un documentaire de Lucia CELDRON Avec Carolina Fai, Marilu Marini… Distribution : Ad Vitam // Argentine, 2007, 1h45

Argentine, aujourd’hui : les fantômes de la dictature viennent hanter une famille, après l’enlèvement de son patriarche. Sa petite-fille est contactée par les ravisseurs, qui réclament une forte rançon. Elle décide de faire appel à sa mère, exilée en France et de retour au pays à l’occasion de cet événement tragique. Mais son attitude est ambivalente. Elle semble réticente à l’idée de sortir son père de ce mauvais pas. Le passé, qu’elle a tenté d’enfouir, se rappelle à elle avec douleur. Multipliant les flash-back, le film gagne en intensité au fur et à mesure que se dévoilent les traumatismes. Agnus Dei pose, à sa manière intense et retenue, la question du pardon et de l’oubli. _S.M.

GAL

J’AIMERAIS PARTAGER LE PRINTEMPS AVEC QUELQU’UN

Un film de Miguel COURTOIS Avec José Garcia, Natalia Verbeke… Distribution : EuropaCorp // France, Espagne, 2007, 1h50

Un film de Joseph MORDER Avec Stanislav Dorochenkov, Françoise Michaud… Distribution : Baba Yaga // France, 2007, 1h25

Deux journalistes lèvent le voile sur le GAL, « groupe antiterroriste de libération» composé de policiers espagnols, qui a assassiné sommairement une vingtaine de membres de l'ETA dans les années 1980. Miguel Courtois, qui avait déjà abordé la question de l'indépendantisme basque dans El Lobo, livre ici un bel exemple de « fiction de gauche » : un sujet polémique traité sous forme de thriller nerveux (caméra tremblante) et efficace (rebondissements, pressions en haut lieu). Après Clovis Cornillac dans Le Nouveau Protocole, c'est au tour de José Garcia de prêter sa barbe mal taillée à un personnage de croisé obsédé par la vérité.

À l'origine commandé par le Festival Pocket Films (qui met en avant des films tournés avec des téléphones portables), J'aimerais partager le printemps avec quelqu'un est la première oeuvre du genre distribuée dans les salles françaises. Le réalisateur Joseph Morder y poursuit la quête introspective qui l'occupe depuis trente ans et expérimente les possibilités visuelles offertes par ce nouvel outil. Mêlant autobiographie et fiction fantasmée, il saisit les détails de son environnement le plus anodin – jusqu'aux fleurs de son balcon – testant ainsi la capacité d'une caméra, quelle qu’elle soit, à transformer le quotidien en objet cinématographique.

_L.S.

_T.L.

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ÉVÉNEMENTS DES SALLES MK2

TOUS LES SAVOIRS CINÉ BD Un samedi matin par mois, en partenariat avec Dargaud, un auteur de bande dessinée présente un film de son choix en salle, puis dédicace ses ouvrages à la librairie. Emmanuel Guibert viendra présenter le tome 7 de Sardine de l’espace : Pizza Tomik. Avec un sens de l'humour débridé, cet album réjouira les enfants dès 9 ans. Projection du film Mes voisins les Yamada d’Isao Takahata, choisi et présenté par l'auteur. 25 tickets de dédicace distribués au moment de l'achat de votre place de cinéma. Au cinéma puis à la librairie du MK2 QUAI DE LOIRE_Samedi 5 avril à 11h30_Carte ILLIMITée acceptée.

FOCUS MK2 JUNIOR Pour sa nouvelle édition qui débute le 2 avril, intitulée « La rue et ses héros », MK2 junior vous propose des films animés et des personnages hauts en couleurs. Pour les plus jeunes : 1, 2, 3… Léon !, Petit à petit, Les Trois Brigands, Le Voyage à Panama, Max & Co. Pour les plus grands, leurs premiers films en version originale : Petits Héros et Ali Zaoua, Prince de la rue. Deux mois durant lesquels les films pourront être vus comme d’habitude pendant trois semaines, et cela dans trois salles du réseau MK2 junior. Jusqu’au 3 juin dans sept salles MK2.

LE RENDEZ-VOUS DES DOCS Le prochain Rendez-vous des docs proposera les films Beppie et Les Vacances du cinéaste de Johann Van Der Keuken. Le MK2 Quai de Loire accueillera à cette occasion Catherine Ermakoff, enseignante et critique de cinéma au sein de la revue Vertigo. Beppie a dix ans. Issue d’un milieu ouvrier, c’est une vraie gamine d’Amsterdam, drôle, pleine d’esprit. Spontanée, elle raconte pendant plusieurs mois ses aventures au cinéaste qui la suit dans sa vie quotidienne. Évocation de la vie, de la mort, de la télévision, de l’amour, de l’argent... Savoureux. Quant au film Les Vacances du cinéaste, il a volontairement été réalisé avec des moyens rudimentaires, ceux-là même avec lesquels le cinéaste a travaillé jusqu’en 1965 : une caméra Bolex à ressort qui ne permet que des plans d’une durée de 24 secondes, des bobines de deux minutes et demi, l’absence de son synchrone… « Cela produit un résultat parfois plus proche de la photographie que du cinéma », dit le réalisateur. À Tournebouix, un petit village dépeuplé de l’Aude où un vieux couple confie ses souvenirs d’un autre temps – la guerre, la maladie, la mort –, le cinéaste construit son film comme un recueil d’images autonomes, qui, réunies, composent son univers mental : le bonheur familial, des fragments de quelques-uns de ses films antérieurs, un hommage au saxophoniste Ben Webster, deux poèmes de Remco Campert et Lucebert, un portrait du cinéaste qui lui avait appris la photographie dès l’âge de douze ans, des événements politiques de l’actualité (la chute de la dictature des Colonels en Grèce, la révolte des paysans français)… MK2 QUAI DE LOIRE_Lundi 28 avril à 20h30_6,90 € et 5,60 € pour les adhérents de l'Association Documentaire sur Grand Ecran. Carte ILLIMITée acceptée.

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COURRIER INTERNATIONAL La prochaine séance des mardis de Courrier international présentera le film La Frontière infinie du cinéaste mexicain Juan Manuel Sepúvelda. Chaque année, des milliers de migrants d'Amérique centrale entrent clandestinement au Mexique, pour tenter de rejoindre les États-Unis. Certains se font attraper par la police, d’autres sont victimes des maras (gangs), d’autres encore sont tués ou mutilés sous les roues des trains qu’ils attrapent en marche. À chaque étape du voyage, les mots disent la volonté, l'espoir, la détresse. La projection sera suivie d’un débat en présence du réalisateur et animé par un journaliste de la rédaction de Courrier international. MK2 QUAI DE SEINE_Mardi 6 mai à 20h30_6,90 € ou 5,60 € sur présentation du dernier numéro de Courrier international.

CINÉ-PHILO : SAISON 3 La dernière séance de Ciné-philo, samedi 12 avril 2008 à 11h, aura pour thème «L’esprit de la révolte : le temps de la création». Retrouvez bientôt les horaires des séances de Ciné-philo pour préparer le bac sur www.mk2.com MK2 BIBLIOTHÈQUE_Samedi 12 avril à 11h.


RETROUVEZ TOUS LES ÉVÉNEMENTS SUR

RENCONTRES - LIBRAIRIES STÉPHANE ZAGDANSKI MK2 LIVRES et les éditions Gallimard vous invitent à rencontrer Stéphane Zagdanski à l’occasion de la parution de son nouveau livre Guy Debord ou la diffraction du temps. La rencontre sera suivie à 20h30 de la projection du film de Guy Debord In Girum Imus Nocte et Consumimur Igni (billets en vente avant la séance). MK2 QUAI DE LOIRE_Jeudi 24 avril à 19h à la librairie.

EMMANUEL ADELY MK2 LIVRES et les éditions du Seuil vous invitent à rencontrer Emmanuel Adely à l’occasion de la parution de son nouveau livre, Genèse. MK2 BIBLIOTHÈQUE_Samedi 26 avril à partir de 17h00.

PARTENARIATS COURT-MÉTRAGE SOIRÉE BREF La prochaine séance des Soirées Bref du MK2 Quai de Seine s’intitulera « Vues sur pères ». Père sévère, père blessé, père sexué, père absent… Reflets du temps ou de l’âge des capitaines ? Plusieurs films de la sélection 2008 du Festival de Clermont-Ferrand mettaient en scène des figures paternelles. La chronique naturaliste domine, mais comment s’en plaindre quand elle est habitée par des acteurs de la trempe d’un Jean-François Stévenin ou d’un Bernard Blancan ? Elle sait aussi se teinter de manière convaincante des couleurs du polar. Quant à Lorenzo Recio, dans une voie qui n’appartient qu’à lui, il confirme son goût pour la fable et le merveilleux. Si l’on a proposé ce point de vue sur ces films, on aurait tout aussi bien pu y voir des portraits de filles et de fils, plus ou moins décidés, plus ou moins perdus. L’un ne va pas sans l’autre. Au programme : Le Vacant de Julien Guetta, Tel père, telle fille de Sylvie Ballyot, Lisa de Lorenzo Recio, 664 km d’Arnaud Bigeard MK2 QUAI DE SEINE_Mardi 15 avril à 20h30.

CYCLES AU MK2 PARNASSE UN GENRE, LE WESTERN Des premières productions où se sont révélés les grands noms du cinéma (Ford, Hawks, Walsh…) aux plus récentes, le western est un genre qui n’a cessé d’évoluer. Depuis le 26 mars, le MK2 Parnasse retrace une partie de l’histoire de ce genre essentiel du cinéma en quelques films. Au programme, entre autres : La Charge fantastique, La Rivière rouge, L’Homme qui tua Liberty Valance, Impitoyable, Dead Man, Le Secret de Brockeback Mountain, L’Assassinat de Jesse James par le lâche Robert Ford...

QUARTIER LIBRE Le MK2 Bibliothèque accueille toutes les deux semaines l’association Quartier Libre de l’Université Paris VII Diderot pour une séance animée par un étudiant et un professeur. Au programme du prochain rendez-vous : 13 m2 de Barthelemy Grossman, projeté en présence du réalisateur. MK2 BIBLIOTHÈQUE_Jeudi 17 avril à 17h30.

DOCUMENTAIRE SUR GRAND ÉCRAN FESTIVAL DE NYON L’association Documentaire sur Grand Écran organise la reprise du festival de Nyon le mardi 6 mai au MK2 Quai de Loire. Le programme sera bientôt disponible. MK2 QUAI DE LOIRE_Mardi 6 mai, trois séances à 18h, 20h et 22h.

ODÉON THÉÂTRE DE L’EUROPE UN ÉTAT DE MARCHE ET DE PENSÉE À l’occasion du 40ème anniversaire des événements de mai 68, chaque semaine, de mai à juin, le MK2 Hautefeuille propose une programmation de films en matinée ou en soirée, en partenariat avec l’Odéon Théâtre de l’Europe. Au programme : À partir du 30 avril (le week-end en matinée) : Calle Santa Fe de Carmen Castillo Bataille dans le ciel de Carlos Reygadas Lundi 5 mai (séances à 20h et 22h) : The Take d'Avi Lewis et Naomi Klein À partir du 7 mai (le week-end en matinée) : Le Brahmane du Komintern de Vladimir Leon Vent d'Est du groupe Dziga Vertov À partir du 14 mai (le week-end en matinée) : On appelle ça le printemps d'Hervé Le Roux Ce Vieux Rêve qui bouge d'Alain Guiraudie MK2 HAUTEFEUILLE_À partir du 30 avril.

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DVD Kijû Yoshida, aux sources de la modernité cinématographique

Miroitements Le Centre Pompidou diffuse l’intégrale de son oeuvre, tandis que Carlotta réédite en deux coffrets DVD ses onze premiers films : l’occasion de découvrir le cinéma sensuel et désarticulé du Japonnais Kijû Yoshida, grand auteur à la modernité désarmante.

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uteur, Yoshida le fut délibérément dès C’est une femme qui en souffre, souvent. Yoshida, 1960, lorsqu’il exigea du studio Shochiku pas moins que Mizoguchi, prête une attention qu’il écrive lui-même le scénario de Bons exceptionnelle aux femmes et à leur position dans le à rien, un premier long métrage influencé Japon de l’après-guerre, à leur désir en pleine par À Bout de souffle. Même s’il travaillera à de libération sexuelle. Dans Histoire écrite sur l’eau, multiples adaptations (Kawabata, Stendhal, Brontë), une veuve oublie le décès de son mari dans les bras Yoshida restera toujours attaché au choix de ses d’un homme qu’elle n’aime pas, mais c’est dans une récits comme de ses acteurs, parmi lesquels sa relation incestueuse avec son fils que les souvenirs femme Mariko Okada, déjà présente chez Ozu ou ressurgissent. Dans Le Lac des femmes, une jeune Mikio Naruse. La narration s’est faite de plus en mariée subit le chantage d’un inconnu en possession plus disloquée et lacunaire jusqu’à Eros + Massacre de photos d’un adultère. Buter sur les conventions de en 1969, coup d’envoi d’une période radicale et la société japonaise est un conflit immédiatement insurrectionnelle. Après Coup d’état en 1973, il ne plastique. Les personnages sont confrontés à une tournera plus de fictions pendant treize ans, allant jusqu’à image – celle des femmes désirées, mais aussi la douter d’être encore cinéaste. Il est depuis revenu vers leur. Dès Le Sang séché en 1961, où un employé la fiction avec Promesse (1986) YOSHIDA LAISSE AU SPECTATEUR LA LIBERTÉ et plus récemment Femmes en miroir (2002). DE RECOLLER LES MORCEAUX D’UN MONDE MIS Il faut pour en arriver là ne transiger sur rien et n’avoir EN PIÈCES. aucune pitié pour soi. Il faut avoir courageusement menacé de licenciement tente de se suicider, et trouve mené des réflexions à leur terme, quitte à se trouver par ce geste malheureux la gloire : son geste, revolver dans une impasse – « dead end » affiche en 1970 le collé contre la tempe, s’affiche grossi mille fois en dernier carton de Purgatoire Eroïca. L’époque était photo publicitaire pour une compagnie d’assurance. à la révolution et aux expériences limites ; mais Portraits gigantesques ou vignettes, miroirs ou Yoshida, lorsqu’il tourne les 200 minutes d’Eros + bassins – Yoshida a toujours été conscient de la Massacre en 1969, ne fait au fond que pousser nécessité de penser l’écran comme une surface un cran plus loin des expérimentations entamées de distanciation, accrue par de multiples surcadrages depuis le début de la décennie. Il y a un style Yoshida, (fenêtres, poutres, grillages, shoji, surimpression comme il y eut un style Mizoguchi fait de travellings et d’une ville sur l’étreinte d’amants) et des points de de coulissements, comme il y eut un style Ozu fait de vue soulignant l’extériorité du spectateur (nombreux blocs et de boîtes dans lesquelles la caméra devient plans derrière l’oreille). Plus tard, avec Histoire objet de mobilier – Yoshida l’a longuement analysé écrite sur l’eau ou Le Lac des femmes, Yoshida dans le splendide Ozu ou l’anti-cinéma publié systématise une manière de filmer en plongées très chez Actes Sud. La manière de Yoshida n’est pas violentes, dunes et lacs devenant des surfaceshomogène : elle s’attache à désarticuler l’espace écran. Il a poussé très loin cette logique, jusqu’au et à trouer la narration. Lorsque le couple voué au blanc aveuglant ou au noir total – aussi loin que pire de La Source thermale d’Akitsu se retrouve sans Bergman avec Persona. Mais Yoshida n’a jamais cesse dans les mêmes lieux, des changements évacué la portée sociale et politique de ses films, d’axe permanents interdisent de raccorder une et c’est en allant au-delà de l’image qu’il entendait pièce à l’autre, ou un souvenir au présent. Dans adopter le point de vue de la femme, dans un pays la narration autant que dans la mise en scène, structuré par la figure masculine d’un empereur Yoshida multiplie les faux-raccords, les sautes, défait dans l’impasse d’un palais. _Antoine THIRION les ellipses, laissant au spectateur la liberté de Retrouvez sur www.mk2.com/troiscouleurs notre interview recoller les morceaux d’un monde mis en pièces.

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filmée de Kijû Yoshida.

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LA SÉLECTION par S.M. PARANOID PARK DE GUS VAN SANT MK2 Éditions

Un jeune skateur tue un vigile par accident et décide de garder le silence. Avec cette immersion hypersensible dans le monde de l’adolescence, Van Sant signe une splendeur en apesanteur, prix du 60ème anniversaire du festival de Cannes.

CONTROL D’ANTON CORBJIN La Fabrique de films

C’est à l’ombre du mythe qu’Anton Corbjin aborde la trajectoire fulgurante du groupe Joy Division et de son leader Ian Curtis, suicidé à l’âge de 23 ans. Un biopic épuré à la beauté plastique renversante. Sam Riley, dans le rôle du chanteur épileptique, est une révélation.

THIS IS ENGLAND DE SEAN MEADOWS MK2 Éditions Un gamin qui ne vibrait que pour la musique et les Doc Martens découvre le monde brutal des adultes au contact d’un skinhead, récemment relâché de prison. Une œuvre forte, dans la tradition du cinéma social anglais, sur la perte de l’innocence.

AU PAN COUPÉ DE GUY GILLES Éditions Montparnasse

Il est urgent de découvrir l’œuvre singulière de Guy Gilles, contemporain de Truffaut. Un coffret répare enfin l’injustice. Il réunit trois films dont le magnifique Au Pan coupé, qui vibre au souvenir d’un amour pour un jeune révolté.

LES AMOURS D’ASTRÉE ET DE CÉLADON D’ÉRIC ROHMER France Télévisions Distribution

Rohmer, au temps des druides, nous passionne pour les amours d’un couple séparé par une malédiction. Un film lumineux, tout en fraîcheur et sensualité joyeuse, soutenu par d'excellents interprètes.

ACTUALITÉ ZONE 1 Arthur Kirkland, avocat plein d’illusions, doit défendre un juge accusé de crime sexuel. Problème : il sait que le magistrat est coupable. Film inclassable, décapant et hélas peu connu, …And Justice For All (Justice pour tous en VF) évoque un M.A.S.H. version tribunal où il ne fait pas bon se retrouver sur le banc des accusés et encore moins dans la peau d’avocats au bord de la crise de nerfs. Al Pacino y est survolté – sa plaidoirie finale est un grand moment de cinéma –, et la mise en scène de Norman Jewison est à l’image de son acteur principal : nerveuse à souhait. À l’heure où triomphe la série Damages, en voici un peu l’ancêtre, tourné en 1979, référence obligée des fictions ayant pour cadre la justice et ses travers. _R.J.

Extraits des coffrets DVD Œuvres complètes vol. 1 et 2 de Kijû Yoshida (Carlotta).

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LIVRES Art Spiegelman, dessinateur animé

Art premier Breakdowns est mieux que la réédition du premier album d’Art Spiegelman, publié en 1977 : augmenté d’analyses et de souvenirs inédits, c’est une réflexion sur le temps, la narration, le dessin. Rencontre avec un maître insoumis de la BD.

A

vec un prénom pareil, Art Spiegelman ne par presque tout, de nos jours. L'Amérique ne fait pouvait décemment pas se contenter de pas bien son boulot. Ce pays a du sang criminel suivre la carrière de dentiste à laquelle sur les mains.» Il se désole du bilan de deux présidents ses parents le destinaient. À la place des issus de sa génération et dont les politiques ne lui caries et des couronnes, il a choisi de révolutionner ont guère semblé inspirées par les valeurs des la bande dessinée. Une ambition qui, comme le années 1970. S'il souhaite à tout prix que son pays montre Breakdowns, réédition de son premier évite une nouvelle administration républicaine, album publié en 1977, ne date pas d'hier, ni même « ce ne sera pas automatiquement au profit du des treize années qu'il consacra à Maus – somme gouvernement dont [il] rêve ». En définitive, les phénoménale inspirée des souvenirs de son père, valeurs des années 1960 et 1970 survivent selon lui survivant d'Auschwitz. Mais cette nouvelle version dans le world wide web qu'il perçoit comme le de Breakdowns est plus qu'une réactualisation d'une seul média de masse alternatif – « mais peut-être œuvre de jeunesse. Elle est l'occasion pour celui suis-je naïf », ajoute-t-il sagement. qui fut le seul auteur de BD jamais « pulitzarisé » Il dénonce également le puritanisme des dernières et qui fête cette année ses 60 ans de s'interroger années avec un sourire un brin provocant. «Si vous sur son parcours de dessinateur. Aux innovations êtes dans un taxi, vous demandez juste au conducteur graphiques qu'apportait déjà JE SUIS SCANDALISÉ PAR PRESQUE TOUT. l'œuvre originale s'ajoute en effet, en introduction et en conclusion, toute L'AMÉRIQUE A DU SANG CRIMINEL SUR LES une recherche sur le fonctionnement MAINS. ART SPIEGELMAN des souvenirs. Chaque séquence, aussi courte soit-elle, répond aux autres dans un de ne pas être saoul et de vous emmener où vous jeu d'infinis miroirs pour retranscrire les méandres vous voulez. Vous vous fichez pas mal de savoir s'il dont est tissée la mémoire individuelle. Par mise couche avec des garçons ou des filles. Je ne veux en abyme, ce principe de résonance trace le portrait pas qu'il se masturbe au volant, mais je ne suis de l'individu qui dessina la première version de pas franchement intéressé par sa vie sexuelle. » Breakdowns. Un jeune homme maigre et passionné Très marqué par les attaques du 11 septembre 2001, qui concevait son ouvrage comme un manifeste visuel : il affiche dans la foulée son désaccord avec les loin de se limiter à une fonction de divertissement, positions trop conformistes des grands médias y disait-il en substance, la bande dessinée est un américains et quitte le New Yorker pour se consacrer médium artistique qui, à l'instar de toute forme à Dans l'ombre des tours mortes, une BD mêlant esthétique, permet de partager des tourments son vécu personnel des attentats et une violente universels. Principe auquel Spiegelman est resté charge anti-Bush. Breakdowns pourrait donc marquer fidèle dans la partie la plus récente de l'album : un retour à un travail purement créatif. Pourtant, « Je n'ai pas choisi les souvenirs qui avaient un goût par son dynamitage des comics traditionnels, ses de madeleine mais les souvenirs auxquels pouvaient expérimentations, ses pastiches de grands peintres, s’identifier d'autres gens.» Soit, entre autres, le poids toutes choses qui mettent en question le regard, étouffant des traumas familiaux, les premiers émois il contient également une charge politique contre érotiques, la contre-culture des années 1970… la doxa dominante. « Il y a une profonde dimension Pour autant, il ne faut pas s’imaginer Art Spiegelman politique dans chaque élément de la vie. Y compris sous les traits d'un monument austère et pontifiant dans la manière dont chacun voit et ce qu'il voit. qui ressasserait continuellement le passé. Bien au Et ce que les uns peuvent faire voir aux autres. » contraire, barbe grisonnante et sourire charmant, il C'est sans doute cela qui fait la force de son œuvre : a gardé intacte sa capacité de révolte et d'étonnement, modifier par l'inventivité de son dessin notre appréhension surtout face à son propre pays. «Je suis scandalisé du monde.

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_Titiou LECOQ Retrouvez l'interview filmée d'Art Spiegelman sur www.mk2.com/troiscouleurs

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LA SÉLECTION par M.G., P.D. et S.Q. UN FEU AMICAL ABRAHAM YEHOSHUA Roman traduit de l’hébreu, Calmann-Lévy

Vieux couple toujours amoureux, Yaari et Daniella sont séparés sept jours. Il faut tout le talent de Yehoshua pour donner à voir en sept chapitres et deux voix ce fragile édifice qu'est une famille, tout en questionnant les déchirements intimes d'Israël.

ACCOUTUMANCE À LA NICOTINE, THANATIS VALTINOS Nouvelles traduites du grec, Finitude

Dans ces douze nouvelles écrites entre 1948 et nos jours, Valtinos nous plonge au cœur d’une Grèce meurtrie, à travers des portraits d’hommes et de femmes, vaincus la plupart du temps, dans une langue et une composition très personnelles.

GENÈSE, EMMANUEL ADELY Roman, Seuil

Genèse est un livre à deux entrées, Plateaux / Chronologie. C’est le creuset du réel et de la fiction, leur interdépendance, la possibilité du roman. C’est un commencement et un aboutissement, l’invention de soi, l’invention du monde.

PETIT COCHON ROSE MARCIN BRYKCZYNSKI Album jeunesse (à partir de 6 ans), Gallimard-Jeunesse

Un petit cochon rose aimerait bien être d’une autre couleur jusqu’à sa rencontre avec... le caméléon ! Un graphisme original au service d’une ode à l'acceptation de soi.

LE GOÛT DU PARADIS NINE ANTICO Bande dessinée, Ego comme X Illustratrice prometteuse, Nine raconte sa jeunesse en banlieue, entre ennui familial et amourettes drolatiques. Son dessin espiègle ravive avec ravissement la saveur des premières fois.

LE SITE www.arhv.lhivic.org

Planche extraite de Breakdowns d’Art Spiegelman (Casterman).

André Gunthert est chercheur et maître de conférences à l’École des Hautes Études en Sciences Sociales (EHESS). Spécialisé dans l’étude de l’image, il s’intéresse dans deux blogs passionnants à la question visuelle sur le web : vidéos-buzz, dérapages présidentiels, retouches sur Photoshop et toutes autres choses qui font l’ordinaire de l’Internet, grande toile dressée devant un spectateur parfois désabusé. Dans un langage simple, André Gunthert chronique d’un œil savant la maturation de ce nouveau média. Sans faire l’impasse sur l’accessoire, qui souvent se révèle essentiel. _B.D.

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MUSIQUE Jean-Louis Murat, troubadour insurgé

L’homme révolté Le nouvel album de Jean-Louis Murat, Tristan (Polydor), ressuscite avec bonheur la langue et les codes de l’amour courtois. En entretien, l’Auvergnat raconte, voix langoureuse mais verbe sec, son désarroi face à l’époque, Madonna, le féminisme et les sex-toys.

D

isque après disque, vous semblez toujours creuser le même sillon, un sillon qui ancre l’amour dans la terre et l’espace, qui le localise. En latin, le mot « lieu » (« locus ») désigne l’appareil génital féminin. Chanter, serait-ce cartographier le transport amoureux ? Je pense que Dieu est une femme, une femme folle, une femme triste, et l’univers un utérus, c’est-à-dire une manifestation de cette tristesse. J’ai un rapport au paysage quasi-sexué. Dans les nuages comme dans les formes terrestres, je cherche toujours des similitudes, des visages, des ventres, des mamelons, des entrecuisses. Ça fait un peu 3615 Freud, je sais...

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de femmes libérées, mais les femmes libérées n’ont pas besoin d’hommes comme nous. J’ai lu qu’il y a 4 millions de sex-toys en France. C’est très troublant. J’ai beaucoup de mal à imaginer que les filles aient des pulsions sexuelles. La femme libérée pour moi est une horreur, bizarrement. Je préfère penser à la femme en Dolorès, en Lilith, en Iseult, plutôt qu’en cette traînée de Madonna. Peut-être resterai-je toujours dans la légende de la femme. En un sens, je suis un homme préhistorique ; j’ai gravé en moi, gène par gène, au burin dans la pierre : « Sois prêt à te reproduire 24 heures sur 24. » C’est une pulsion, un ordre impératif qui m’est donné ; et le monde, tel qu’il est maintenant organisé, m’en donne un autre.

Votre nouvel album est inspiré de JE NE SUIS PAS DÉMOCRATE. JE SUIS l’histoire de Tristan et Iseult. D’où CONTRE LA DICTATURE DES IMBÉCILES. vient cet attrait ? Je passe toutes mes difficultés à être un homme, un papa, un mari, un amant, en métaphores sexuelles. Il y a 20 ans, vous composiez 89, deux siècles déjà. Pour moi, la façon la plus commode d’essayer de Pourriez-vous aujourd’hui écrire 68, 40 ans déjà ? trouver des réponses, c’est par la sensualité des Non. Mai 68, c’est zéro. J’ai une très bonne copine, paysages, des mots, des situations, des histoires. un peu plus âgée que moi, une des papesses du Ma grand-mère, une paysanne très roots, très féminisme, qui a vécu tout ce mai 68. Elle me dit : dure, lisait chaque jour le roman à l’eau de rose publié « Les mecs, ils voulaient juste venir tirer leur coup en feuilleton dans le journal La Montagne. C’était un gratos dans les dortoirs des filles, à Nanterre. Alors, moment sacré. J’ai toujours pensé que ces histoires- ils ont tout fait péter, uniquement à cause de ça. » là, que l’on retrouve depuis les troubadours jusqu’à Ça m’a toujours fasciné. Ils ont fait la révolution la Amour, gloire et beauté, étaient le bain naturel de la queue à la main. C’était donc ça.

Vous avez mis en musique Baudelaire, Béranger, Madame Deshoulières… Pourquoi ce constant voyage à travers les âges ? Dis-moi comment s’aiment les hommes et les femmes, et je te dirai quel type de civilisation tu es. Aimer, c’est une façon de faire la guerre, de faire la paix, de se préoccuper de choses spirituelles. Dans ce domaine, je suis assez vieux jeu. Vous n’aimez pas la façon dont s’aiment les hommes et les femmes aujourd’hui ? Nous vivons une période très intéressante. Le féminisme remet les choses à leur place, il nous fait tous tomber. Nous, les mecs, on est un peu perdus, parce que depuis la nuit des temps, on a surinvesti sur l’idée de femme. Je sais bien que ma créativité est le produit de ce surinvestissement. La libération des femmes va tellement loin que notre libido a besoin

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chanson populaire.

Révolte et révolution, c’est du pareil au même ? La révolte, c’est un problème individuel, d’ego. La révolution, ce sont des classes sociales qui s’affrontent. Il est très difficile de concilier les deux. Maïakovski, Madame Roland, Marina Tsvetaïeva : tous les grands révoltés sont broyés par la révolution. On vous sent davantage révolté que révolutionnaire... Bien sûr. Étymologiquement, la révolte est une volteface ; c’est quand même plus intéressant que de refaire un tour, parce que, littéralement, la révolution est un manège. Je n’ai plus peur de le dire : je ne suis pas démocrate, je suis contre la dictature des imbéciles. Mieux vaut un mouvement de révolte, strictement personnel, de soi à soi. Mai 68 a amené ça, en quelque sorte : on n’a plus aucun scrupule à être contradictoire. Nietzsche l’a bien expliqué, aussi. La vérité se trouve dans la somme de nos contradictions. _Propos receuillis par Au.To.


LA SÉLECTION par Au.To. MGMT« Oracular Spectacular » Columbia / Sony BMG

Duo juvénile basé à Brooklyn, managé par le divin producteur Dave Fridmann, MGMT ne ménage pas la pop ; il la déménage au contraire vers de féeriques contrées, où l’ingénuité se teinte d’un spleen débridé. Spectaculaire réussite.

ALBIN DE LA SIMONE « Bungalow ! » Cinq7 / Wagram Héritier oblique de Souchon, ce musicien aguerri chante l’appréhension du désastre et de l’aliénation, angoisses qu’enrobent mélodies sucrées, arrangements douillets et jeux de mots piquants. Son meilleur album.

JAMIE LIDELL «Jim» Warp / Discograph Ce Jim tonique célèbre la gymnastique synchronisée du corps et de l’esprit : sur un trampoline soul-funk ultra-sensuel, la voix de Jamie fait des galipettes dignes des plus grands sauteurs (Al Green, James Brown…). Lidell : idole.

ALAIN BASHUNG « Bleu pétrole » Barclay / Universal Très attendu, Bleu pétrole livre l’essence même de l’art de Bashung : science des espaces, textes sens dessus dessous, au carrefour du chanté-parlé, poussant le folk dans ses derniers retranchements motorisés.

GONZALES « Soft Power » Mercury / Universal Il fut amuseur marginal, rappeur, pianiste classique, arrangeur à succès (Feist, Birkin, Katerine...). Ici, Gonzales détourne avec douceur les codes du soft rock, infiltrant l’industrie pour en infléchir les lignes et en parasiter le cœur. Puissant.

LE SITE www.myspace.com/arltmusic Arlt. n’est pas la contraction des touches « Ctrl » et « Alt » de votre clavier, ni la réincarnation de l’écrivain argentin Roberto Arlt (quoique) ; c’est un duo précieux, composé de Sing Sing (voix spéléologique, riffs lancinants, mélodies libres, textes denses, rouflaquettes drues) et d’Éloïse Decazes (Suissesse médiéviste, chant supérieur, tour à tour pur, hanté et folâtre). De mars à juillet, Arlt. investit la scène du Zèbre de Belleville pour y jouer en première partie de pointures amies (JP Nataf, Holden, Bertrand Belin, Red, Le Coq). Aux confins du free jazz, du blues moyenâgeux et de la chanson surréaliste, la promesse d’une halte aussi _Au.To. reposante qu’haletante.

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LES BONS PLANS Kompilés par Rémy Kolpa Kopoul

Les bons plansde Dans le Paris bourgeonnant, un groupe unique, les Néo-Zélandais reggae soul de Fat Freddy’s Drop, plus trois voix noires aussi fulgurantes qu’intimistes : derrière Buika et son flamenco nuevo teinté d’Afrique, deux fleurs tout juste écloses, Lizz Wright, blues acoustique du Sud profond et Melissa Laveaux, Haïtienne grandie au Canada, folk créole épicé.

MÉLISSA LAVEAUX

LIZZ WRIGHT

BUIKA

DAVID WALTERS > MAGIC MIRRORS - LA DÉFENSE (CHORUS 92) > 10/04 Avec son premier disque solo, Awa, Walters, beau gosse des îles devenu Marseillais, s’est fait une place à part. C'est la prod’ de Gotan Project qui l'a pris en charge. Sur scène, il est carrément magnétique, chant créole élastique souvent autosamplé, guitare moelleuse et répertoire singulier. Un grand, pas seulement par la taille.

FRÈRES BELMONDO + DR L + JOHN SCOFIELD (BANLIEUES BLEUES) > SALLE J. BREL - GONESSE (93) > 15/04 Une grosse soirée de Banlieues Bleues avec une prog’ éclectique, d’abord les Frères Belmondo en sextet aventurier plus l’architecte platinesque, Doctor L, pour un hommage à... Grateful Dead, oui, l’acid rock de 60’s ! Puis le guitariste US John Scoffield (ex-compagnon de Miles Davis) en trio renforcé d’une section de cuivres.

MICKY GREEN + SÉBASTIEN TELLIER + COCOSUMA + MÉLISSA LAVEAUX + BALOJI (ESCALATOR) > LE PLAN RIS ORANGIS (91) > 10/04 AU 12/04 Trois soirs d’un évènement-tremplin, Escalator, véritable rampe de lancement, avec une programmation très Nova : notamment l’affriolante Australienne Micky Green, Sebastien «sex» Tellier, qui traite de l’affaire dans son dernier album et Melissa Laveaux, intrigante Haïtienne entre folk, pop et roots.

THINK TWICE + MOLECULE + R-WAN DE JAVA (NUIT ZÉBRÉE) > BELLEVILLOISE > 18/04 Une prog 100 % française avec Think Twice, une voix, une basse, un ordi. Puis Molecule, le collectif dub hexagonal qui monte. Enfin R-Wan, tête chercheuse de Java, avec son nouveau projet agité, en rotation sur Nova, Radio Cortex. Invits à retirer à la Radio dès le 14/04.

ALICE RUSSELL > CENTRE PAUL BAILLIART – MASSY (91) > 11/04 Alice Russell s'est fait connaître comme la sublime voix du Quantic Soul Orchestra. Avec son album My Favourite Letters, la blonde Anglaise s'est affirmée en digne héritière de la « blue eyed soul », la soul aux yeux bleus des 70’s. La voilà de retour avec un répertoire tonique. ANTIBALAS > CENTRE P. BAILLIART – MASSY (91) > 17/04 + E. M. B. - SANNOIS (95) > 20/04 + NEW MORNING > 29/04 Ils sont les actuels leaders (hors Nigéria) de la vague afrobeat. Les New-Yorkais d'Antibalas, une bonne douzaine sur scène, ont donné un coup de turbo à un genre musical peu endormi de nature. Textes cinglants sur l'Amerikkke du nouveau siècle et pulsation effrénée. HIP HOP, OLD & NEW SCHOOL LIZZ WRIGHT > NEW MORNING > 14/04 Elle en est déjà à son troisième album, mais The Orchard (Universal Jazz) devrait être celui de la renommée. La jeune chanteuse native de Georgie, épaulée par des musiciens du groupe pop Calexico, est une diva soul au timbre profond archi-émouvant, capable de «rhabiller» Led Zeppelin ou Ike Turner. La découverte du mois.

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JERRY DAMMERS SPATIAL AKA ORCH. : TRIBUTE TO SUN RÂ (BANLIEUES BLEUES) > MC 93 (BOBIGNY) > 18/04 En clôture de cette édition de « Banlieues Bleues » bien fournie, Jerry Dammers, l’homme au petit chapeau et au ska-dynamite qui faisait pogoter les britiches 80’s avec les Specials, est de retour pour un hommage très attendu au maître du jazz solaire, Sun Râ. Entreprise iconoclaste. CATHERINE RINGER CHANTE LES RITA MITSOUKO > LA CIGALE > LES 19 & 20/04 Elle ne pouvait pas longtemps rester au port : Catherine sans Fred reste Ringer et relit les Rita avec une énergie renouvelée et une poésie ressourcée. Mélange de tubes qu’on chantera fatalement avec elles et de perles exhumées d’un répertoire fourni qu’elle va nous rhabiller avec son cocktail de gouaille et de retenue. On l’aime !!! DJ FIRST MIKE + DJ NETIK + DJ KID CAPRI (NOCTURNE DE HIP-HOP PARTY) > CABARET SAUVAGE > 19/04 Concentration de voltigeurs des platines pour une hip-hop party atomique, avec des champions du genre, First Mike de Paris, Netik, l’hallucinant rennais et, venu des USA, Kid Capri. Old school et modern touch, ces DJs ont la platine chevillée au corps et le vinyle scotché aux paluches.


Radio Nova R-WAN (JAVA) RADIO CORTEX > GLAZ’ART > 23/04 Il avait avec Java, son groupe d’il y a 8 ans, réussi l’impossible mariage du hip-hop et du musette. Remember Pepette. Depuis, R-wan cherche, on l’a entendu avec le Jamaïcain Winston McAnuff, le voici de retour avec un nouveau projet toujours live, Radio Cortex, le même humour décapant et le verbe qui demeure explosif. FAT FREDDY’S DROP > ÉLYSÉE MONTMARTRE > 23/04 La claque fut aussi lourde en live que sur l'album, Based on a True Story, un reggae lascif et tranchant venu des antipodes, avec cuivres sanguins et le craquant Joe Dukie. Les Néo-Zélandais ont squatté Radio Nova pendant un an. On n'attendait plus que leur retour. Un haka pour Freddy !!! TIGRAN HAMASYAN > SUNSIDE > 25/04 AU 27/04 Il renouvelle l'art d'un Bill Evans, d'un Keith Jarrett voire d'un Brad Meldhau. En 2006, il a reçu le prix Thelonious Monk (le Nobel des nouveaux pianistes), décerné par Wayne Shorter, Stevie Wonder et Herbie Hancock. Le jeune Arménien est un surdoué du piano et un conquérant culotté.

ROY AYERS & UBIQUITY + SLY JOHNSON > NEW MORNING > 30/04 Les années passent et Ayers reste un conquérant du groove, derrière son vibraphone. Cultissime chez les DJs, ultrasamplé dans le hip-hop, le soul-jazzman est aussi fringant que dans les années 1970 & 1980, sa période Ubiquity. Le gentleman Ayers nous rend sa visite bi-annuelle. En ouverture, le beatboxer acrobate Sly Johnson, du Saian Supa Crew. BUIKA > LA CIGALE > 5/05 L'incroyable chanteuse afro-hispanique Buika, dont Mi niña Lola a tourné en boucle sur Nova, revient à Paris ! D'origine équato-guinéenne et grandie à Majorque, Buika, peau noire, tempérament farouche et voix de braise, a littéralement envoûté l'Espagne et revient pour la quatrième fois de la saison à Paris avec un disque qui navigue entre flamenco puro, jazz ibérique voire soul à l'ancienne.


ART Valérie Mréjen au Jeu de Paume

Histoires vraies Du 15 avril au 15 juin, le Jeu de Paume présente une rétrospective de la vidéaste Valérie Mréjen, également écrivain. Micro-contes de la vie de tous les jours, ses œuvres, fictives ou documentaires, explorent l’humain à travers langage et parole, récit et discours.

C

’est sous la forme d’une tautologie topographique que Valérie Mréjen a choisi d’intituler sa rétrospective au Jeu de Paume : La Place de la Concorde. Un titre qui ne dit pas davantage de l’exposition à laquelle il renvoie que le lieu où celle-ci se trouve. Mais cela dit pourtant beaucoup du travail de cette artiste nourri des petits riens de la vie qui, mis bout à bout, finissent par la remplir. Nul effet spécial ou spectaculaire dans les œuvres de Valérie Mréjen. Histoires et dialogues y sont réduits à l’essentiel, et l’essentiel, si ce n’est pas rien, est banal, plat. Simple comme bonjour et bête comme chou, en somme. Et drôle, souvent. Que se cache-t-il derrière l’anecdote (Il a fait beau, 1999), le non-événement (Le Goûter, 2000), les formules toutes faites (Au revoir, merci, bonne journée, 1997), les mots employés à toutes les sauces (Sympa, 1998) ? On pressent là comme une tentative d’épuisement du langage, dont le degré zéro dévoile les vérités et les faux-semblants. À travers ses micro-récits filmiques, mais aussi ses écrits – Mon grandpère (1999), L’Agrume (2001), Eau sauvage (2004) –, Valérie Mréjen déclame une poésie sans fard du quotidien. Elle dresse, non sans (auto)dérision, l’inventaire de nos vies anodines, de nos enfantillages d’adultes. Dans ses dernières vidéos, L’ARTISTE DRESSE L’INVENTAIRE DE NOS Capri et Ils respirent, il est respectivement question VIE ANODINES, DE NOS ENFANTILLAGES d’une querelle d’amoureux D’ADULTES. au beau milieu d’un salon, et des pensées à voix off d’une série de personnages absorbés. Viennent s’ajouter à l’exposition trois autres pièces inédites : Hors saison, un diaporama commenté de cartes postales d’hôtels ; Je ne supporte pas, une liste de ce que les personnes interrogées ne peuvent supporter ; et Voilà c’est tout, une vidéo qui montre des lycéens répondant à un questionnaire sur leur vie, leur avenir, leurs sentiments. Hyperréalistes, les œuvres de Valérie Mréjen, pour la majorité fictionnelles, recèlent une portée sociologique qui les rapproche de Dieu (2004) ou Pork and Milk (2004), deux films ancrés dans le genre documentaire. Valérie Mréjen prépare actuellement un long métrage de fiction ainsi qu’un film documentaire : ces deux genres se nourrissent l’un l’autre dans son œuvre. Fiction et réalité se renvoient la balle comme dans une partie de Ping-Pong, titre du catalogue édité à l’occasion de l’exposition que l’artiste a voulu comme « une interview à ramifications multiples (…), une suite de paragraphes, de phrases, de réflexions, un peu comme la retranscription d'une discussion à plusieurs, sur des thèmes divers et variés…». Ping / Pong : deux onomatopées qui, tels le yin et le yang, s’opposent, s’emboîtent et se répondent, conditions d’un équilibre sans cesse remis en question.

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_Anne-Lou VICENTE La Place de la Concorde, Jeu de Paume // 1, place de la Concorde, 75008 Paris. M° Concorde. Mardi de 12h à 21h, mercredi à vendredi de 12h à 19h, samedi et dimanche de 10h à 19h. Tarifs: 6 € / 3 €. Projections à l’auditorium (La Défaite du rouge-gorge, Chamonix, Pork and Milk, Dieu).

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Pork and Milk - Israël / 2004 / 52' / 35 mm / couleur / son - Valérie


EXPOSITIONS par A.-L.V. PATTI SMITH 28 MARS - 22 JUIN Land 250 rassemble photographies, dessins et films réalisés depuis 1967 par la musicienne Patti Smith. L’occasion de découvrir l’univers poétique de l’égérie de la scène punk-rock new-yorkaise jusque dans la bibliothèque de la Fondation, personnalisée par l’artiste. Ne pas manquer, également, les « soirées nomades » programmées autour de l’événement. Fondation Cartier pour l’art contemporain // 261, boulevard Raspail, 75014 Paris.

JIM DINE 12 AVRIL - 28 MAI Pionnier du Pop Art, l’artiste américain Jim Dine présente un ensemble d’œuvres autour de la figure de Pinocchio : de grandes sculptures en bois peint côtoient une série de gravures colorées représentant les différents épisodes des aventures du célèbre pantin-enfant. Galerie Daniel Templon // 30, rue Beaubourg, 75003 Paris.

© ADAGP, Paris, 2008

GILLES BARBIER 21 MARS - 10 MAI Pour inaugurer sa nouvelle galerie, le producteur de cinéma Claude Berri, collectionneur d’art contemporain depuis les années 1970, invite l’artiste français Gilles Barbier. L’exposition Le cockpit, le vaisseau, ce que l’on voit depuis le hublot promet un voyage hors-norme… Espace Claude Berri // 4, passage Ste Avoye, 75003 Paris.

ÉLISABETH BALLET 4 AVRIL - 24 MAI Loin d’être une invitation à la paresse, Lazy Days propose au visiteur une exploration physique et mentale du dispositif sculptural selon Élisabeth Ballet. Attentive au processus créatif, l'artiste matérialise les idées et questionne la place de l’imaginaire comme prolongement de l’œuvre. Galerie Cent8 // 108, rue Vieille du Temple, 75003 Paris.

LE SITE

© ADAGP, Paris, 2008

www.exyzt.org Qui a dit que l’architecture n’était pas politique ? Certainement pas le collectif EXYZT, qui intervient dans l’espace urbain et réhabilite les « délaissés », parcelles en friche et autres terrains vagues. Leurs structures métalliques modulables, qui ont habillé le pavillon français à la dernière Biennale d’architecture de Venise, échafaudent des habitations alternatives et temporaires, aussi simples qu’efficaces. Architecture, musique, graphisme et vidéo sont au cœur de leurs projets, parmi lesquels figure le récent relookage du très trendy Social Club. _A.-L.V.

Mréjen - Photo Anat Safran

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PAR BERNARD DESCAMPS WWW.AGENCEVU.COM

SILENCES Bernard Descamps Filigranes Éditions, 88 pages, 30 € 50 photographies noir et blanc Texte de Jean-François Chaix et textes anciens des VIIIème et XVIème siècles. AGENCE VU 17, Bd Henri IV - 75004 Paris www.agencevu.com


SILENCES Lieux sacrés de l’Inde du Sud Bernard Descamps / Agence VU Le travail de Bernard Descamps consiste à rendre compte, de manière très personnelle, d’un lieu, d’un groupe de gens, ou des deux à la fois. Il y a eu ainsi, et pendant des années, l’Afrique avec la publication de livres : Sahara, Pygmées, l’esprit de la forêt, Le Don du fleuve – Poèmes peuls, Berbère… Ici, le photographe documente sa découverte des lieux sacrés de l’Inde du Sud, du Tamil Nadu et du Karnataka, anciens royaumes longtemps protégés des invasions et des métissages culturels. Les photographies s’imprègnent de ces lieux sacrés, de leurs pierres, de leur usure, des cinq éléments de l’hindouisme, de siècles de prières… Ces images sont des silences prélevés au temps. Des silences partagés avec des hommes et des femmes en prière, avec les divinités qui peuplent ces lieux.


TRIBUNE LIBRE Entretien avec Michel Serres : salir est-il le propre de l’h

Mal propre et bie Dans son passionnant dernier ouvrage, Le Mal propre (Éditions Le Pommier), le philosophe Michel Serres, professeur à Stanford, analyse la catastrophe écologique qui guette la planète à l’aune de deux concepts selon lui viscéralement liés : le sale et la propriété. Pour préserver notre «bien commun» (la planète, l’espèce, le beau…), il nous faut réprimer notre «mal propre», c’est-à-dire notre inclination animale à polluer pour s’approprier. Faire acte de « réserve », agir en « locataires », bâtir un nouveau « contrat naturel » : 40 ans après mai 68, tels sont, selon Michel Serres, les plus urgents des combats. Entretien.

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es motifs de révolte ont-ils changé depuis 1968 ? Mai 68 n’était ni une révolte ni une révolution, mais un état terminal. En 1900, en France, il y avait 70 % d’agriculteurs, il n’y en a plus que 2 % aujourd’hui. L’espérance de vie était de 40 ans, on passe à 80. Entre les années 1950-1960 et les années 1980, vous avez une cassure gigantesque que 1968 sanctionne, c’est tout.

Vous dites qu’avec les lunettes politiques ou économiques, on ne comprend rien à 1968, qu’il faut une approche anthropologique longue. « Cassure », c’est un terme de tectonique des plaques. C’est votre méthode, de croiser sciences dures et sciences humaines ? Regardez comment on étudie les problèmes d’environnement : avec la chimie, la physique du globe, la climatologie, toutes les sciences dures. On pose la question : « comment ? », jamais la question « pourquoi ? » Or, pourquoi polluons-nous ? Parce qu’on veut s’approprier. Là, je touche quelque chose de beaucoup plus profond, qui est l’intention de la pollution.

D’aussi loin que je sois, je vais voir Mac Donald’s. Or ce volume perceptif est un bien commun. La planète n’appartient à personne. Les publicitaires ont volé l’espace. La publicité, c’est le vol ! Les maillots des esclaves footballeurs sont couverts de publicité… Le coup de boule de Zidane était-il un geste de voyou, d’homme ou une révolte de Spartacus esclave ? Zinedine Zidane est un dieu, au sens de l’Antiquité. C’est Hercule, c’est Neptune, c’est Jupiter. Les dieux de l’Antiquité ont ceci de particulier qu’ils violent, volent, tuent... Il a montré qu’il était un dieu. Votre livre fait une équivalence étonnante : « locataire, libertaire »… La liberté, dès qu’elle est inscrite dans les murs, est morte. La liberté, c’est le geste sans arrêt repris et sans arrêt nouveau de reconquérir quelque chose qu’on n’a pas.

« QU'EST-CE QUE L'HUMAIN ? CELUI QUI DÉGAGE DE LA CONDUITE ANIMALE. »

68 était aussi une révolte contre la propriété, tant dans SE le champ intime, amoureux que social. Pourtant, l’amour libre ou l’autogestion ont globalement échoué… La propriété est toujours considérée comme une loi positive, et non naturelle. Or la propriété n’est pas une convention entre les hommes, à la Rousseau. Il n’y a qu’à regarder les tigres qui pissent aux limites de leur niche, pour défendre leurs frontières. Nous faisons pareil. Si je crache dans la salade, vous n’allez pas la manger. J’enracine le droit de propriété dans les usages des animaux. Qu’est-ce que l’humain? Celui qui à un certain moment se dégage de la conduite animale. Vous définissez le beau comme désapproprié. Pouvezvous préciser le rôle que vous assignez à l’artiste ? Le commandant de bateau qui dégaze en pleine mer n’a jamais vu la mer. S’il l’avait vue, il n’aurait pas pollué. Un publicitaire voulait mettre d’immenses panneaux sur le Mont Blanc. Il ne l’avait jamais regardé. Quand on regarde le Mont Blanc, on voit bien qu’il y a des dieux… Il faut revoir la question du droit de propriété. Dans le droit français, aujourd’hui, contre argent comptant vous allez être le propriétaire de ce mur et vous pourrez mettre Mac Donald’s dessus. C’est un mensonge gigantesque : ce n’est pas la surface du mur que vous achetez, mais tout le volume perceptif.

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Vous croyez aux solutions par l’individu ? Je crois qu’aujourd’hui le connectif remplace le collectif. Je crois à Mme Huard. Mme Huard est une bonne mère de famille belge, qui devant ses fourneaux a eu l’idée que les bagarres entre Flamands et Wallons étaient des conneries, et l’a mis sur son blog. En un mois, elle a eu 500 000 réponses. Le Premier ministre de l’époque, avec 35 ans de carrière, avait 600 000 voix. C’est l’hirondelle qui annonce le printemps. Une question à poser à vos lecteurs ? Plutôt une supplication : se dé-droguer de la société du spectacle. Il n’y a qu’une drogue aujourd’hui c’est : « Qui a gagné ? » La philosophie est la grande perdante du monde contemporain. Elle a une chance historique, c’est extraordinaire! Dès que vous voyez des philosophes qui gagnent, c’est mauvais signe... Je ne suis pas sûr que le mot révolte me concerne beaucoup. Parce que si vous allez contre quelque chose, vous allez le mimer. Saint Georges qui se bat contre le dragon, c’est un dragon. Ce n’est pas la révolte mais l’invention qui est intéressante. Se tourner vers autre chose… _Propos recueillis par Ollivier POURRIOL et Auréliano TONET Retrouvez la version longue de cet entretien sur www.mk2.com/troiscouleurs


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Photographie : © Isabelle NÈGRE

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RÉSEAUX Comment endiguer la censure sur le Net?

Accès de colères

Illustration : © Fabrice MONTIGNIER

La préparation des JO de Pékin en est l’illustration la plus récente : la censure sur le Net gagne du terrain. Comment empêcher les dictatures de filtrer l’accès à certaines pages web, jugées indésirables ? Des logiciels anti-censure commencent à voir le jour. Enquête.

I

ls seront plus de 10 000 à Pékin cet été pour couvrir les Jeux Olympiques de la nouvelle super-puissance du XXIème siècle. Plus de 10 000 journalistes dont la plupart n’ont qu’une vague idée de ce qu’est un réseau filtré. Ce n'est qu'en essayant de mettre à jour leur blog ou de consulter Wikipedia qu'ils prendront pleinement conscience d'une réalité quotidienne pour les millions d'internautes locaux : la liberté d'expression sur la Toile chinoise est une page qui n'existe pas. Erreur 404, circulez, y'a rien à voir. Cette fatalité d'un réseau de plus en plus cadenassé au fur et à mesure qu'il grossit, Ron Deibert n'en veut plus. À la tête du Citizen Lab de l'Université de Toronto, un des piliers de l'Open Net Initiative (ONI), qui défend la liberté d'expression en ligne partout dans le monde, il a mis au point avec son équipe EN 2008, UNE TRENTAINE DE PAYS FILTRERAIENT Psiphon, un système pour contourner L'ACCÈS À INTERNET, CONTRE QUATRE EN 2002. cette censure numérique. Prouesse technique de « hacktivistes » de génie ? Pas tout à fait. « Si Psiphon a trouvé la faille, c'est parce qu'il est bien plus qu'un logiciel, explique-t-il. Il s’agit d’un réseau social anti-censure qui permet de surfer librement, mais n'a pas besoin du réseau pour se diffuser. » En d’autres termes, il suffit à un internaute qui a la chance de pouvoir surfer sur une toile libre d'installer Psiphon sur son ordinateur (150 000 l'ont déjà fait) pour permettre à ceux qui n'ont pas cette chance de se connecter à distance. La démarche est aussi sécurisée qu'une transaction bancaire, sauf que l'adresse de la page web et le code d’accès se communiquent de gré à gré, par téléphone ou email, afin d'éviter tout repérage et filtrage du système. Un réseau de confiance oral, par bouche à oreille, pour faire la nique aux robots en ligne de Big Brother. Aussi

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_Christophe ALIX

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fiable et sûr qu'il est éclaté, puisqu'il existe potentiellement autant de psiphonautes que de familles ou cercles d'amis. Encore peu répandu – environ 100 000 utilisateurs selon les estimations –, Psiphon risque hélas d'intéresser de plus en plus d'internautes au fur et à mesure que se développe le world wide web. La police des réseaux n'est en effet pas un apanage chinois : selon le Citizen Lab, en 2008, une bonne trentaine de pays filtreraient plus ou moins l'accès à Internet, contre seulement quatre en 2000. La prise de conscience par de plus en plus d'États de la dangerosité potentielle du web pour la « stabilité » de leur régime les ont amenés à investir massivement dans une course aux armements aussi virtuels que liberticides. Leurs fournisseurs? La plupart du temps, des entreprises occidentales battant pavillon démocratique et remarquablement achalandées en « censuriciels » ou « censorware ». Un secteur en pleine expansion puisque selon l'institut d'études Gartner, ces programmes génèreront des ventes de deux milliards de dollars d'ici 2010, le double de 2002. « Il devient parfois presque impossible pour les usagers de savoir qu'ils sont filtrés », poursuit Ron Deibert. Pour lui, l'évolution de ces dernières années a totalement ruiné l'idée cyber-romantique selon laquelle l'Internet ne peut par nature être contrôlé. Au point que même s'il perdure des failles, le filtrage a souvent tendance à bloquer plus de contenus que ceux visés au départ. Alors que Psiphon travaille sur de nouvelles versions, plus allégées, de son réseau (dont une version sans logiciel et une version mobile), la répression en ligne ne cesse de s'intensifier, selon Reporters Sans Frontières. L'ONG estime qu'au moins 62 cyber-dissidents sont en prison dans le monde et que plus de 2600 sites, blogs ou forums ont été bloqués ou fermés sur la Toile l'an dernier. L’important, c’est de participer, dit le slogan olympique ; c’est bien là tout le problème.

PARTAGE DE VIDÉOS Le modèle Wikipedia s’applique désormais à... la vidéo. La plateforme Kaltura permet de réaliser des vidéos collaboratives, dont le montage est ouvert à tout un chacun. Impressionnant, quoique encore peu convaincant. www.kaltura.com

CHAMBRE À PART Les filles ont leur média collaboratif. Sur Ladies Room, sorte de Elle version 2.0, les « filles à la page » parlent fringues et garçons, dans des articles triés sur le volet par le comité de rédaction. www.ladiesroom.fr

STRATÉGIE PAYANTE Lancé à la mi-mars par plusieurs journalistes expérimentés, dont Edwy Plenel, Mediapart prend sa vitesse de croisière. Au programme : infos hiérarchisées, scoops et analyses fouillées, pour 9 euros par mois. www.mediapart.fr

CINÉPHILES À RETORDRE Un plan sur une main caressant un genou : de quel film s’agit-il ? Le Genou de Claire de Rohmer, bonne réponse ! Le groupe Name that film de Flickr propose des milliers de photosdevinettes de ce genre. www.flickr.com/groups/62585667@N00/pool

INCONSOLABLE The Game Console est un musée virtuel archivant 35 ans de consoles de jeux vidéo. Un fascinant voyage dans le temps et dans les méandres du design contemporain. www.thegameconsole.com

MOT @ MOT

FRAG

par B.D.

[frag] n.m.

(De l’argot « frag », cri poussé par les soldats américains au Viêt-nam lorsqu’ils lançaient une grenade à fragmentation. Expression popularisée par le jeu vidéo Doom, sorti en 1993) 1. Élimination d’un adversaire dans les jeux vidéo de tir à la première personne (dits «FPS», ou «à vue subjective»). Dénombrer le nombre de frags dans le cadre d’une partie en réseau permet d’établir un classement des joueurs. Un fraggeur sachant fragger doit savoir fragger sans son cyberchien (proverbe sud-coréen). 2. Par extension juridique, désigne tout fantasme ou projet de meurtre dont l’objectivisation reste cantonnée à la sphère numérique. Messieurs les jurés, il faut faire la différence entre un flagrant et un fragrant délit de meurtre.

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JEUX VIDÉO A Force More Powerful : la révolution, le joystick à la main

La révolte, un jeu Devenu média à part entière, le jeu vidéo sur PC s’est imposé comme outil pédagogique là où on ne l’attendait pas : l’insurrection politique. A Force More Powerful, sorti en 2006, continue d’enseigner les bases du soulèvement réussi. Pour un résultat mitigé.

Dans Global Conflicts : Palestine, un journaliste doit choisir sa position éditoriale face au conflit israélo-palestinien.

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olden boy ayant fait fortune à Wall Street, Peter Ackerman n’a pas à première vue le profil type des acteurs habituels qui animent cette page. À ceci près qu’il y a deux ans, Peter a donné un second souffle à ce que l’on nomme outre-Atlantique les « serious games », traduisible ici par « jeux vidéo pédagogiques pour les grands garçons ». Jusqu’ici développé par et pour des institutions telles que l’armée, les services hospitaliers ou les écoles aéronautiques, ce type de jeu sert à la formation professionnelle des employés. Pour apprendre à ses troupes à communiquer avec l’autochtone irakien, l’armée américaine a ainsi recours à Tactical Iraki, sorte de cours du soir en 3D développé par une entreprise spécialisée L’OBJECTIF EST DE PARVENIR À ÉDUQUER LES en communication et linguistique. Les serious games commencent cependant MASSES MANIFESTANTES PAR LE BIAIS DU JEU. à s’ouvrir au grand public, comme le prouve le constructeur Nintendo avec ses jeux de « développement cérébral » sur la DS. D’autres initiatives plus marginales permettent à de petites structures, voire à des particuliers, de faire du serious game un outil de communication politique. C’est le cas pour Peter Ackerman, fondateur du Centre International des Conflits Non-violents (ICNC), qui prône une théorie du renversement politique via le « conflit non-violent ». En 1994, il participe à la réalisation du documentaire vidéo A Force More Powerful (« une force plus puissante » en VF) qui sera montré dans le monde entier pour former des activistes réfractaires aux régimes castriste, iranien, irakien (du temps de Saddam Hussein), ou encore des opposants pacifistes au Hamas en Palestine. Ackerman décide alors de confier au studio BreakAway

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la transposition de AFMP en jeu vidéo. Vendu une petite trentaine d’euros au vulgum pecus, le jeu est distribué gratuitement en Europe de l’Est à une flopée de microorganisations qui font siffler les oreilles des gouvernements en place. L’objectif est de parvenir à éduquer par le biais du jeu les masses manifestantes, en les plaçant virtuellement dans des relations types : comment expliquer poliment à un CRS qu’il me tire les cheveux, libérer un étudiant syndiqué qui l’ouvrait un peu trop, etc. Le jeu vidéo a une portée pédagogique plus efficace, selon Ackerman, car il fait « comme si », par opposition à la vidéo qui n’exige qu’une attention passive. Perçu il y a encore peu comme le chantre bouffon de la tactique insurrectionnelle, le New-Yorkais a fini par convaincre son monde lorsqu’il s’est avéré que l’un de ses films avait joué un rôle majeur en Géorgie lors de la chute de Chevardnadze le 23 novembre 2003. Apprendre sur son ordinateur ce que l’on n’ose pas lire à la bibliothèque municipale, c’est le pari d’Ackerman. Très, sinon trop, pragmatique, le jeu a trouvé un public en Ukraine et en Biélorussie mais peine à s’étendre à l’Occident, démocratiquement plus assis. Premièrement, parce que AFMP est franchement moche et rigoureux (impossible de faire une partie de cinq minutes au boulot), mais aussi parce qu’il ne laisse aucune place à l’improvisation : tout ce qui est à l’écran doit pouvoir être reproduit dans la rue. On repassera pour des combats dantesques entre les elfes de la nuit tibétains et les orques rouges chinois. Dans la même veine, l’éditeur Serious Games Interactive s’interroge sur les modalités de la couverture médiatique du conflit israélo-palestinien. Sorti en juillet dernier, Global Conflicts : Palestine met le joueur dans la peau d’un jeune journaliste candide, parfois aussi niais qu’un Luke Skywalker mal dégrossi. Il s’agit ici d’apprendre à défendre une ligne éditoriale partiale ou neutre. Très crispant, ce genre de serious game n’a de ludique que le nom. _Étienne ROUILLON A Force More Powerful Disponible en anglais sur www.afmpgame.com Éditeur : BreakAway Games // Plateforme : PC

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d’enfant DARK SECTOR Wizz ! C’est à grand renfort de boomerangs charcuteurs que notre héros part à la recherche d’une arme secrète cachée par les Russes. Un très bon shopping musclé chez les Soviets. Disponible : 4 avril 2008 Éditeur : D3 Publisher // Plateforme : Playstation 3

MARIO KART WII Pouet Pouet ! C’est le grand retour au volant du plombier italien. Ce nouvel opus du plus convivial des jeux de voiture promet une motorisation soudaine des soirées mondaines. Disponible : 11 avril 2008 Éditeur : Nintendo // Plateforme : Wii

GRAND THEFT AUTO IV Boum ! Le jeu le plus attendu de l’année dynamite Big Apple à base de pépées armées, motos incendiées et trombines malmenées. LA simulation de crime, avec la frime en prime. Disponible : 29 avril 2008 Éditeur : Take 2 Interactive // Plateforme : Xbox 360 et Playstation 3

AQUARIUM BY DS Plouf ! Vous ne pensez à changer l’eau de votre poisson rouge que lorsqu’il flotte exsangue sur le dos ? Prenez de bonnes habitudes avec ce simulateur d’aquarium tout sauf transparent. Disponible : 25 avril 2008 Éditeur : Ertain // Plateforme : DS

DRACULA 3 Bouh ! Un homme d’Église triture ses méninges pour élucider une mort mystérieuse lorsqu’un souffle aux dents longues parcourt son échine... Une aventure raffinée qui sent le soufre. Disponible : 10 avril 2008 // Éditeur : Microïds // Plateforme : PC Par E.R.

LE SITE www.neo-legend.com Avouons-le : ce qui n’est pas pratique suscite bien souvent un engouement nostalgique et onéreux. Les fanas de solexs encrassés salueront l’initiative de l’équipe de Neo Legend, qui chine en Asie de vieilles bornes d’arcade et leur donne une nouvelle jeunesse. Le plaisir de s’offrir une borne de Space Invaders, c’est la revanche du préadolescent sur la machine qui avalait l’argent du pain au chocolat. Compter 1299 € et une crise de jalousie de sa moitié pour une borne arcade de 110 kg embarquant 1000 jeux. _E.R.

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LE LAURÉAT Mike Nichols Premier grand rôle de Dustin Hoffman, Le Lauréat est l’un des rares films à avoir su approcher l’essence de la pop.

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uarante ans après sa sortie, on regarde Le Lauréat comme on écoute une chanson pop, comme on se souviendrait du crépuscule de l’adolescence. La force du second film de Mike Nichols (Qui a peur de Virginia Woolf, Closer) va bien au-delà d’un – immense – succès d’époque, plus loin que les tabous rompus par le récit d’une passion entre un garçon fraîchement diplômé et une femme mariée, jalouse de sa propre fille. Et pourtant, on a envie de résumer cette force à quelques chansons, les Mrs Robinson et autres Sound of Silence chantés par Simon & Garfunkel, tant ici la jeunesse est saisie dans un mouvement étrange, anachronique, rétrospectif. La plus belle scène n’est pas celle où Anne Bancroft apparaît nue dans l’encadrement d’une porte face à un lauréat un peu flippé qui lui demande si elle cherche à le séduire. Pur cabotinage : Dustin Hoffmann n’avait alors que six ans de moins que sa belle partenaire, qui n’avait que huit ans de plus que Katharina Ross, sa fille à l’écran. Le plus beau, ce sont ces plans où le héros, nageant dans la piscine de ses parents équipé d’une lourde combinaison métallique, étouffe et regarde le barbecue adulte comme une saynète muette, comme s’il voyait le monde depuis un sous-marin. Manière surréaliste de cristalliser un écart, de transformer le trivial en étrange, le petit en monumental, un classique trio amoureux en portrait _Antoine THIRION d’une génération héroïque. ++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++

CYCLE SÉRIES B Porté aux nues par la critique et le public, Neil Marshall revient dans les salles cet avril avec Doomsday. L’occasion de vous concocter un cycle série B sur notre plateforme VOD. Nous commencerons les hostilités avec son excellent et désormais classique The Descent, pour nous attaquer ensuite à l’influence directe de Doomsday : le New York 1997 de Carpenter. Le reste ? Des à-côtés, des gourmandises, des classiques aussi ; tout pour se faire plaisir et se souvenir que la série B, c’est aussi du grand cinéma.

SOUTH MUSIC Mi-avril sort Shine a Light, choc frontal entre les Rolling Stones et un Martin Scorsese coutumier du genre (No Direction Home, The Last Waltz...). MK2 VOD accompagne l’événement à travers un cycle consacré aux documentaires musicaux. Au programme : du reggae (Made In Jamaica), du blues (Soul of Man de Wim Wenders), de la soul (Motown). De la vraie musique du Sud, idéale pour se préparer aux chaleurs des mois à venir.

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Retrouvez actuellement plus de 900 films sur www.mk2vod.com



SCIENCE-FICTION La chronique des objets de demain... Le Taser MP3

Hit machine Mi-janvier, lors du Consumer Electronics Show de Las Vegas : Taser, philanthrope leader de l’autodéfense, présente un modèle de pistolet électrique grand public, avec lecteur MP3 intégré. Le Taser C2 tombe aussitôt dans les mains de notre rédacteur… À vos casques. lvis Presley. Tenir une crosse attire les crasses. Flingue à la ceinture, casque vissé sur les oreilles, j’écoute Viva Las Vegas du King, un tube de circonstance. Mes doigts boudinés effleurent la gâchette et le coup part tout seul, droit dans le pot botoxé d’une belle plante d’accueil qui se transforme en un Presley pressé. Fatigué par le charivari high-tech, je le laisse me pousser en Cadillac rose entre les casinos.

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Michael Jackson. L’avenue est bloquée par un meeting opposant les deux porte-étendards du Parti Démocrate. Obama-Clinton, Clinton-Obama, le débat se morfond dans la barbe de mormons marmonnant. Je suis aussi affamé que la famille Kerviel autour d’un Monopoly, et le restaurant se trouve de l’autre côté de la foule. Hop, un tir bien ajusté et voilà qu’un oisif entreprend un moonwalk jusqu’à l’estrade. Mugissant au mégaphone l’ode réconciliatrice Black Or White, Bambi rabiboche les Démocrates, qui font de Michael leur héraut. La foule se disperse ; à table.

The Clash. Los Angeles est trop grand pour moi, j’ai le vertige américain et décide de rentrer au pays de Tocqueville. Je dégaine une dernière fois mon colt alcalin et, dans un dernier élan punk, shoote quatre hôtesses de l’air qui me ramènent d’un coup d’aile, rugissant l’hymne de Brixton : « I’m So Bored With the USA ». De retour en Gaule, je me demande qui a bien pu taser notre président tout en écoutant P.I.M.P. de 50 Cent. _E.R.

QUAND LA MUSIQUE ASSOME 50 000 volts sont déchargés sur votre derme au contact d’un Taser. De quoi provoquer un arrêt cardiaque, tuer le fœtus dans le ventre d’une femme enceinte, mais aussi faire tourner le lecteur MP3 d’un giga intégré dans le holster. Quant aux forces de l’ordre, gageons que, ainsi armées, elles feront un usage plus mélodieux du sifflet. 290 : c’est le nombre de personnes mortes après avoir étés touchées par un Taser depuis 2001, selon un rapport d’Amnesty International. 50 : c’est le nombre de tirs autorisés par la batterie avant de devoir repasser par la case rechargement. Soit le nombre moyen de têtes composant un troupeau de gnous.

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Illustration : © Thomas DAPON

Christophe Maé. Repu, je décide d’aller écouter les élucubrations franc-maçonnophobes d’une môme à Hollywood. Lecteur audio branché sur mon catalogue de musique popu-pop et franco-fraiche, je prends pour cible un vendeur de guimauve qui, du coup, mue en un Ben Harper hexagonal chevauchant une moto rutilante. Tout au long du trajet, il me chante inlassablement « On s’attache ». Je veux bien, mais pas la moindre ceinture sur ce deux-roues.




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