OCTOBRE 2010
85
CINÉMA CULTURE TECHNO
by
MŒBIUS RETOUR VERS LE FUTUR
OCTOBRE 2010
85
CINÉMA CULTURE TECHNO
by
YAHIMA
TORRES VÉNUS PHARE
Transfigurés Pour la première fois dans l’histoire de ce journal, vous avez le choix entre deux couvertures. L’une représente le dessinateur Jean Giraud, aka Mœbius, honoré cet automne par une vaste exposition à la Fondation Cartier ; l’autre célèbre Yahima Torres, nouvelle comédienne découverte par Abdellatif Kechiche, à l’affiche de son quatrième long métrage événement, Vénus noire. A priori, rien ne les rapproche. Adepte des brouillages d’identité, Giraud / Mœbius a fait de genres déconsidérés –western et science-fiction – le terrain d’expérimentations graphiques et narratives fulgurantes. Sans jamais se cantonner à la seule bande dessinée, son œuvre croise culture de masse d’après guerre et radicalité underground, volutes psychédéliques et blockbusters hollywoodiens. Bref, un parcours en parfait contraste avec celui de Yahima Torres, jeune immigrée d’origine cubaine, débutant sa carrière sous la direction du fer de lance du cinéma d’auteur hexagonal des années 2000, épris d’authenticité. Ceci étant dit, Kechiche a sans doute trouvé en son actrice, bloc de mystère et de sensualité, l’incarnation la plus probante de la métamorphose de son cinéma, qui, avec Vénus noire, aborde des continents nouveaux (l’Histoire avant le temps présent, le regard avant la parole), au moyen d’une mise en scène qui n’a jamais paru aussi musicale, alternant transe et silence. Mystère, métamorphose, transe : trois motifs au cœur des travaux de Mœbius, comme le souligne le titre de l’exposition de la Fondation Cartier, Transe-Forme. Bien sûr, il ne s’agit pas ici d’affirmer que l’actrice et le dessinateur sont les deux côtés d’un seul et même ruban (ce serait nier leur extrême singularité) ; mais plutôt de suggérer que leur art est suffisamment riche et protéiforme pour, au détour de l’actualité, se trouver des points d’attache – le pli d’une couverture, par exemple. _Auréliano Tonet
by
ÉDITEUR MK2 MULTIMÉDIA 55 RUE TRAVERSIÈRE_75012 PARIS 01 44 67 30 00 Directeur de la publication & directeur de la rédaction Elisha Karmitz (elisha.karmitz@mk2.com) Rédacteur en chef & chef de rubrique « culture » Auréliano Tonet (aureliano.tonet@mk2.com) Chef de rubrique « technologies » Étienne Rouillon (etienne.rouillon@mk2.com) Chefs de rubrique « cinéma » Clémentine Gallot (clementine.gallot@mk2.com) Juliette Reitzer (juliette.reitzer@mk2.com Direction artistique Marion Dorel (marion.dorel@mk2.com) Sarah Kahn (sarah.kahn@mk2.com) Design Sarah Kahn Secrétaire de rédaction Laurence Lemaire Stagiaires Stéphanie Alexe, Laura Tuillier Ont collaboré à ce numéro Ève Beauvallet, Renan Cros, Isabelle Danel, Pascale Dulon, Julien Dupuy, Caroline Eliacheff, Sylvain Fesson, Yann François, Joseph Ghosn, Jacky Goldberg, Florian Guignandon, Donald James, Olivier Joyard, Pamela Messi, Wilfried Paris, Laura Pertuy, Sophie Quetteville, Bernard Quiriny, Violaine Schütz, Raphaëlle Simon, Léo Soesanto, Bruno Verjus, Éric Vernay, Anne-Lou Vicente Photographies de couverture Nicolas Guerin (couverture Mœbius) Philippe Quaisse (couverture Yahima Torres) Illustrations Théo Gennitsakis, Dupuy & Berberian Publicité Responsable clientèle cinéma Stéphanie Laroque 01 44 67 30 13 (stephanie.laroque@mk2.com) Partenariats Amélie Leenhardt 01 44 67 30 04 (amelie.leenhardt@mk2.com)
© 2009 TROIS COULEURS issn 1633-2083 / dépôt légal quatrième trimestre 2006. Toute reproduction, même partielle, de textes, photos et illustrations publiés par MK2 est interdite sans l’accord de l’auteur et de l’éditeur. Magazine gratuit // Ne pas jeter sur la voie publique
SOMMAIRE # 85 3 ÉDITO 6 L’ŒIL DE… > Louis Garrel 10 SCÈNE CULTE > L’Esquive 12 PREVIEWS > Black Swan
15 LES NEWS 15 CLOSE-UP > Jesse Eisenberg 16 LE K > Biutiful 18 KLAP > En attendant Azraël 20 TÉLÉCOMMANDO > Boardwalk Empire 22 EVENT > Larry Clark 24 HOMMAGE > Claude Chabrol 28 L’HURLUBERLU > Adam McKay 30 PASSERELLES > Jean-Michel Basquiat 32 IN SITU > Mark Ronson 34 UNDERGROUND > Francis & the Lights 36 REGARDS CROISÉS > AaRON / Raphaël 38 LE NET EN MOINS FLOU > La géolocalisation 40 AVATAR > Move de Sony
43 LE GUIDE 44 SORTIES CINÉ 56 SORTIES EN VILLE 66 LA CHRONIQUE DE DUPUY & BERBERIAN
68 DOSSIERS 68 MŒBIUS À LA FONDATION CARTIER 78 BRUNE / BLONDE À LA CINEMATHÈQUE 82 YAHIMA TORRES // VÉNUS NOIRE 86 SOPHIE LETOURNEUR // LA VIE AU RANCH 90 RAOUL RUIZ // LES MYSTÈRES DE LISBONNE 92 GREGG ARAKI // KABOOM
97 LE BOUDOIR 98 DVD-THÈQUE > R.W. Fassbinder 100 CD-THÈQUE > Sufjan Stevens 102 BIBLIOTHÈQUE > Laura Kasischke 104 BD-THÈQUE > Charles Burns 106 SEX TAPE > Zack et Miri font un porno
VOUS SOUHAITEZ COMMUNIQUER DANS aPPELEZ-nOus ! 01 44 67 68 01
?
Š Philippe Quaisse/Pasco
7 L’œIL DE… /// LOUIS GARREL
éCHaPPéE BELLE S’il possède la grâce espiègle et désinvolte des acteurs de la Nouvelle Vague qu’il cite en modèles, LOUIS GARREL est aussi l’icône du cinéma d’auteur actuel. À 27 ans, le beau brun sort un moyen métrage, Petit Tailleur, élégante fuite amoureuse présentée à la dernière Quinzaine des réalisateurs, où un jeune artisan tombe sous le charme d’une insaisissable comédienne. Entre quête du bonheur et réflexion sur le poids de l’histoire, rencontre avec un metteur en scène romantique et engagé. _Propos recueillis par Juliette Reitzer
Q
uelle est la genèse du film ? Je voulais filmer albert, le tailleur, qui est le père d’un ami. Je savais qu’il était un survivant de la shoah, qu’il avait traversé de nombreux drames, et je le voyais tous les jours un peu plus gai d’être vivant. Je me suis dit qu’il incarnerait dans le film une partie de la mémoire du pays, puis j’ai construit autour de lui une histoire où une fille ferait souffrir un garçon. Cette référence au passé sous-tend tout le film. Pourquoi est-ce si important pour vous ? Quand on vit en france, il y a des matins où l’Histoire est asphyxiante. L’apprenti tailleur essaie de fuir la sienne en se jetant dans une relation amoureuse. Et Marie-Julie, le personnage féminin, est actrice, l’un des plus vieux métiers du monde. Du coup elle a aussi, peut-être, le désir d’échapper au poids du passé. Je voulais faire un éloge de la fuite et un film sur ces moments dans la vie où on se dit qu’on est un raté. Ce que j’ai toujours cherché au cinéma, c’est soit à vivre une vie que je ne vivrai jamais, soit à me purger de mes passions tristes. Le film est parcouru d’un vrai souffle littéraire : textes dits en voix off, vers de Yeats… Pourtant, je ne suis pas un grand lecteur. J’ai lu un peu Balzac, un peu flaubert… il y a d’ailleurs un passage de L’Éducation sentimentale dans le film : « Ça fait tellement longtemps que je t’attendais… » Mais tu pioches toujours partout. Plus que la littérature, je suis influencé par le théâtre. J’avais vu une mise en scène d’andré Engel,La Petite Catherine de Heilbronn de Kleist, une pièce romantique dans laquelle deux
OCTOBRE 2010
jeunes gens tombent amoureux dans leurs rêves. Je me suis dit : « Voilà un truc bien désuet que j’aimerais transposer dans une histoire du XXIe siècle. » La scène a disparu du montage final mais l’esprit demeure. Et la voix off, c’est à cause du film d’arnaud Desplechin, Comment je me suis disputé…, que tout le monde essaie d’imiter, et moi avec. La voix off réussit à transcender le film, à lui donner un contenu philosophique.au cinéma, tout est question de distance et la voix off est comme un guide qui vous renseignerait sur une chose que vous avez sous les yeux mais que vous n’aviez pas regardée. Malgré la déception amoureuse qu’il raconte,Petit Tailleur n’a rien d’un film sombre. Les jeunes gens du film ont la tristesse des vieilles âmes alors qu’ils ont très peu vécu, tandis que le personnage d’albert, qui a énormément souffert, continue à vivre joyeusement. L’idée était de faire un film assez doux. C’est mon créneau, j’aime bien arrondir les angles. J’essaie de fabriquer des objets qui diraient aux gens que le monde n’est pas si dégueulasse, pas si rugueux. Qu’il pourrait être un peu rond, féminin.Tolstoï a une théorie très belle sur l’art : il faut donner envie aux hommes d’aller vers le bien, montrer des héros meilleurs que nous-mêmes. C’est une des vertus du cinéma : vivre les choses par procuration, y compris la souffrance, et ainsi éviter de se faire du mal à soi-même, ou d’en faire aux autres. Votre film est nourri de l’influence de la Nouvelle Vague. Pourquoi cet attachement ? Dans les années 1950-60, il fallait reconstruire, peutêtre que la pulsion de vie était particulièrement puissante. On sent dans les films de la nouvelle Vague
WWW.MK2.COM
8 L’œIL DE… /// LOUIS GARREL
Léa Seydoux et Arthur Igual
« CE QUE J’AI TOUJOURS CHERCHÉ AU CINÉMA, C’EST SOIT À VIVRE UNE VIE QUE JE NE VIVRAI JAMAIS, SOIT À ME PURGER DE MES PASSIONS TRISTES. » une joie de vivre, une liberté. Petit Tailleur est un remake d’Antoine et Colette de françois Truffaut. Ce qui intéresse Truffaut, ce sont les rapports entre les filles et les garçons, et c’est la famille à laquelle j’ai envie d’appartenir. Et puis ce sont les films qui m’ont donné envie de vivre quand j’avais 14 ans, qui m’ont fait une promesse de joie. Quel directeur d’acteur êtes-vous ? il me semble qu’un acteur doit toujours chercher à avoir un regard extérieur sur la scène.albert, qui n’est pas acteur, n’avait pas le désir d’être bon ou mauvais, mais de bien raconter son histoire. il était très impliqué dans la recherche de la vérité. Quand je vois le résultat,je me dis que nous,les acteurs,devrions toujours avoir une raison profonde de jouer un rôle, y chercher une vérité. Comme chez Cassavetes : il n’y a aucun film où les acteurs sont aussi tendus, incarnés que dans les siens. Tous ont une idée précise de l’histoire qu’ils ont envie de raconter. La grande panique de l’acteur est de savoir s’il existe en dehors de son personnage, s’il va continuer à vivre, car ce métier a un vrai côté sacrificiel. Être acteur, c’est comme être député européen : il faut bien représenter. Vous filmez Paris en noir et blanc, avec beaucoup de tendresse. C’est difficile de filmer Paris, mais j’ai choisi le noir et blanc parce que j’essaie de créer un dépaysement. avec le noir et blanc, on recompose, l’imagination travaille. Ce que j’aime en tant que spectateur, c’est de re-désirer le monde. Le film a un côté conte, donc il fallait que tout soit décalé, qu’on n’ait aucune référence contemporaine. Comme disait Truffaut au sujet
de Vivement dimanche : « Je fais ce film en noir et blanc parce que la télé est en couleurs. » À l’heure du tout numérique, pourquoi tourner en pellicule ? J’ai vu une interview de renoir par rivette où il disait que le progrès technique peut tuer l’art : plus on copie la réalité, plus on tue l’expression artistique. Mais le dernier grand film français, La Graine et le mulet, est tourné en numérique alors… tout est relatif ! Quand on fait du théâtre, on essaie toujours de transposer la réalité, de la recréer en se l’appropriant. C’est naïf, mais je crois que la pellicule transpose un peu plus que le numérique. Dans cet entretien, renoir disait aussi que le jour où il y aurait des écrans tout autour de la salle, où le spectateur aurait la sensation de pouvoir toucher les arbres, alors il sortirait des cinémas pour aller directement se promener dans un bois… La pellicule donne un côté magique aux choses. C’est agréable d’aller avec ton petit film dans les laboratoires où ont été développés les plus grands. Quels sont vos projets ? Cet été, j’ai tourné dans le nouveau film de mon père, Un été brûlant, avec Monica Bellucci. Ensuite je vais jouer dans le nouveau Christophe Honoré,une comédie musicale, puis dans le prochain Xavier Dolan, Laurence Anyways. Et dans mes projets, il y a aussi d’essayer que les forces progressistes ne trouvent pas de raisons de se diviser quand les forces réactionnaires trouvent en deux secondes des raisons de s’unir.ne pas finir comme l’italie,où les jeunes gens sont à terre et se réfugient dans le cynisme. Voilà, fuir le cynisme, c’est mon grand projet.
Un film de Louis Garrel // Avec Arthur Igual, Léa Seydoux… // Distribution : MK2 Diffusion // France, 2010, 43 minutes // Sortie le 6 octobre
OCTOBRE 2010
WWW.MK2.COM
© D.R.
10 SCèNE CULTE /// L’ESQUIVE
T’as VU LE PITCH Dans une cité de la banlieue parisienne, Krimo tombe amoureux de Lydia. Tous deux ont 15 ans. La belle se découvre une passion pour le théâtre grâce à Marivaux et son Jeu de l’amour et du hasard, qu’ils étudient en cours de français.Très épris, Krimo peine à trouver les mots justes pour lui déclarer sa flamme. Lydia lui tend ici une perche tacite en l’invitant à une répétition en plein air, celle où elle exhibe son costume pour la première fois.
“
LYdIA : Toi frida tu kiffes, elle est belle ou pas ? FRIdA : Ouais, franchement, elle est belle, mais quand même, c’est pas une raison pour être en retard. LYdIA : Ouais mais, elle est belle, je te demande. Elle est belle ou pas ? FRIdA : Ouais, franchement, elle est belle. Eh mais, t’as traversé toute la cité sapée comme ça là ? Mais, hchouma, t’es folle, devant tout le monde. LYdIA : Quoi, je m’en fous moi des gens. Je suis plus dans mon personnage quand j’ai ma robe. C’est mieux comme ça qu’en jean. Je m’en fous, je les emmerde. C’est mieux pour jouer, vous trouvez pas que c’est mieux pour jouer ?
RAChId : Moi, mon costume il va être prêt soir-ce. LYdIA : Wesh, ça va être chébran si on a tous nos costumes. Ça va trop le faire. FRIdA : T’sais, on en a rien à branler des costumes. Ce qu’il faut c’est vivre les sentiments des personnages, faut que ça vienne de l’intérieur, faut ressentir l’esprit. faut pas voir l’apparence, faut voir ce qu’ils dégagent, t’as vu. Et les habits, franchement, on en a rien à foutre. C’est pas l’apparence qui compte. C’est le cœur, tu vois. RAChId : Ça dépend, sérieux, ça dépend. La dernière fois, on a vu une interview d’un acteur, et il a dit qu’il ressentait les sentiments de ses personnages que quand il avait mis ses chaussures. Tu vois comme quoi, ça dépend. FRIdA : Et tu vas assister à la répétition Krimo ? KRIMO : Ouais, je crois. FRIdA : Mais franchement, Lydia, t’aurais pu prévenir. T’aurais pu dire que tu le ramènes, wesh moi ça me gêne de jouer devant lui. LYdIA : C’est bon, c’est Krimo. arrête de faire comme si c’était je sais pas qui qu’on ramène. C’est pas le Président qu’on ramène, c’est Krimo.
”
Un film d’Abdellatif Kechiche // Scénario d’Abdellatif Kechiche et Ghalia Lacroix // France, 2006, 1h57 // DVD disponible chez Opening
OCTOBRE 2010
WWW.MK2.COM
12 PREVIEW
BLACK SwAN Venise aime voir Darren aronofsky disséquer le corps humain et ses métamorphoses à coups de gros plans en caméra portée. Deux ans après The Wrestler (Lion d’or), Black Swan, projeté en ouverture de la 67e Mostra, offre une plongée organique dans les angoisses de nina (natalie Portman),étoile montante du new York City Ballet. Obsédée par ses auditions pour Le Lac des cygnes, sa chair se transforme au fur et à mesure de son apprentissage de la sensualité, indispensable au personnage… Envoûtante en «cygne-garou schizophrène» (dixit aronofsky), natalie Portman entre avec grâce dans la course aux oscars, talonnée par sa rivale dans le film, Mila Kunis, déjà sacrée meilleur espoir à Venise.
© D.R.
_Pamela Messi Un film de Darren Aronofsky // Avec Nathalie Portman, Mila Kunis… Distribution : 20th Century Fox France // États-Unis, 2010, 1h43 Sortie le 2 mars 2011
13
LES
NEWS
SECOUEZ, AGITEZ, SAVOUREZ : L’ACTU CINÉ, CULTURE,TECHNO FRAÎCHEMENT PRESSÉE
CLOSE-UP
© Sony Pictures
La raideur pédante de JESSE EISENBERG le mènera loin : ce mois-ci dans les filets de David Fincher, pour The Social Network. Jesse Eisenberg, dont le regarde inexpressif nous nargue sur les écrans depuis plusieurs mois, est l’heureux élu d’un rôle most wanted : celui du fondateur tête à claques de facebook, le déplaisant et génial Mark Zuckerberg. La mine renfrognée, la diction hachée, ce new-Yorkais de 26 ans collectionne les rôles d’antihéros : ado intello prétentieux de Brooklyn dans Les Berkman se séparent, puis Adventureland et Zombieland, après quelques apparitions chez M. night shyamalan et Wes Craven dans sa jeunesse. Passées ses mimiques de jeune Juif névrosé, Eisenberg dévoile un jeu d’acteur moins lisible que son comparse canadien, l’angélique Michael Cera, qui occupe dans le cinéma indépendant américain, comme dans le cœur des jeunes filles, un créneau similaire. au festival de Deauville, avec Holy Rollers, il a sorti ses papillotes pour le rôle d’un juif orthodoxe dealer d’ecsta. Really. _Clémentine Gallot
16 NEWS /// POLÉMIQUE
K
LE
IL Y A CEUX QU’IL ÉNERVE ET CEUX QUI LE VÉNèRENT
© D.R.
Ça VA BARDEM Biutiful, sentimental ? Avec ce mélo social, ALEJANdRO GONZÁLES IÑÁRRItU est-il fidèle à lui-même, roublard et complaisant, ou connaît-il un retour en grâce ? _Par Clémentine Gallot (la question) et Yann François (la réponse)
LA QUEStION
LA RéPONSE
Vida de mierda que celle d’uxbal, marginal des basfonds de Barcelone. Biutiful (autocongratulation ?), porté par un Javier Bardem toujours vaillant et justement récompensé à Cannes, aurait bouleversifié la Croisette et prétendu un temps au titre de candidat à la Palme. alejandro gonzáles iñárritu, habitué des films racoleurs, grand bullshiteur devant l’éternel, avait touché le fond avec Babel, mélo mondialisé enflé et démago. Le cinéaste mexicain d’Amours chiennes et de 21 grammes nous replonge ici dans son cinéma de l’effondrement généralisé (dèche, cancer, sans-papiers) avec l’affolement et l’urgence qui le caractérisent. Quoique marqué par une sobriété bienvenue, cet essai espagnol de 2h17 traîne en longueur et reste larmoyant. À force d’éparpillement narratif, ce scénario poussif ne dilue-t-il pas la force du jeu de Bardem ?
Qui touche le fond ne peut que remonter. On pensait iñárritu condamné à jouer ad vitam aeternam l’infâme VrP du pathos cinématographique. avec Biutiful, les élans pompiers de mise en scène ne désemplissent pas. Mais le goût délirant du cinéaste pour les coïncidences d’événements se voit, lui, sacrément bridé. Le divorce d’avec guillermo arriaga, son scénariste de toujours, est-il un heureux hasard ? Exit le déterminisme, parfois ingénu, souvent douteux, qui empoisonnait ses précédentes purges. Bien que bancal, Biutiful offre un revirement louable : troquer les illuminations mondialistes (dont Babel fut le summum) contre la fascination pour un martyr solitaire, campé par l’immense Bardem. Véritable attraction du film, le comédien sauve l’entreprise du naufrage annoncé, en offrant une nuance inédite à un cinéaste en mal de rédemption.
Un film d’Alejandro Gonzáles Iñárritu // Avec Javier Bardem, Maricel Álvarez… Distributon : ARP Sélection // Espagne-Mexique, 2010, 2h17 // Sortie le 20 octobre
LA RÉPLIQUE
« YOU JUST FUCKED WITH THE WRONG MEXICAN ! » (MACHETE, EN SALLES LE 1 ER DÉCEMBRE)
OCTOBRE 2010
WWW.MK2.COM
© Richard Shroeder/Contour by Getty Images
18 NEWS /// KLAP ! /// ZOOM SUR UN TOURNAGE
CHauD DEVANT Après Persépolis, MARJANE SAtRAPI et VINCENt PARONNAUd remettent le couvert avec l’adaptation de Poulet aux prunes, rebaptisé En attendant Azraël pour le grand écran. Tournage aux petits oignons dans les célèbres studios Babelsberg à Berlin. _Par Laura Tuillier
uivez bien les instructions, la recette change un peu. aux personnages black & white de Persépolis, Marjane satrapi préfère cette fois la crème des acteurs en chair et en os. Prenez Mathieu amalric pour l’étrangeté souriante, ajoutez Chiara Mastroianni pour la douceur et Jamel Debbouze pour relever la sauce. n’oubliez pas isabella rossellini pour l’élégance et Maria de Medeiros pour le charmant minois. saupoudrez d’édouard Baer pour ne pas
S
finir d’étonner. Marjane satrapi, en chef quatre étoiles, ne laisse pas le choix de la matière première au hasard : sa bande dessinée avait remporté le Prix du meilleur album au festival d’angoulême en 2005. Poulet aux prunes aka En attendant Azraël raconte l’histoire d’un violoniste célèbre, nasser ali Khan (Mathieu amalric), inconsolable depuis que son violon a été brisé. nous sommes à Téhéran en 1958, le musicien décide de se laisser mourir au fond de sa chambre. Huit jours plus tard, c’est chose faite… épaulée du fidèle Vincent « Winschluss » Parronaud à la réalisation, la dessinatrice s’apprête à nous faire goûter aux épisodes les plus succulents de la longue vie du violoniste. Les studios Babelsberg, où ont notamment été tournés Nosferatu le vampire et Métropolis, se sont transformés depuis juillet en gigantesque cuisine. Ça chauffe aux fourneaux.
_Par S.A.
INDISCRETS DE TOURNAGE 1. Marina Hands incarnera une cavalière dans le prochain film de Patricia Mazuy. Lasse de dédier sa vie à des chevaux de course sans être récompensée, Gracieuse monte ceux de son propre élevage… Premier clap de Sport de filles fin septembre. 2. Paul Verhoeven ne retournera pas aux États-Unis dans l’immédiat. Après le remarquable Black Book (2006), il prépare un nouveau film dans son pays d’origine, les Pays-Bas. The Hidden Force retracera la chute de l’empire colonial hollandais sur 50 ans. 3. Steve McQueen retrouvera le comédien Michael Fassbender début 2011 pour Shame, le portrait d’un New-Yorkais qui ne maîtrise plus sa vie sexuelle. Venant du réalisateur de Hunger, on peut s’attendre à un compte-rendu acide de nos frustrations contemporaines.
Sortie prévue en mai 2011
LA TECHNIQUE
© Paramount Pictures
UN tRAVAIL dE SOURIS Pour le remake u.s. du Dîner de cons,The Dinner, ce sont les frères Charles, Edward et stephen Chiodo, fabricants de marionnettes à Hollywood depuis 30 ans, qui, assistés de trente artistes, ont confectionné, mis en scène et éclairé les dioramas de souris empaillées, censés être patiemment confectionnés par le personnage de steve Carell. ils ont façonné une centaine de souris miniatures, qu’ils ont rendues légèrement anthropomorphiques pour éviter un résultat trop rebutant : les membres des rongeurs, mais aussi leurs yeux et leurs doigts, ont été élargis, et on leur a même ajouté des épaules pour faciliter la création des costumes taillés sur mesure. _Julien Dupuy // The Dinner de Jay Roach, sortie le 10 novembre
OCTOBRE 2010
WWW.MK2.COM
19
© Home Box Office HBO
20 NEWS /// TÉLÉCOMMANDO
sOaPSOPRANO Parrainées par Martin Scorsese et Terence Winter, les noces de la télévision et du cinéma sont célébrées en grandes pompes dans la nouvelle série de HBO, Boardwalk Empire. _Par Olivier Joyard
P
our comprendre où en est arrivée la télévision aujourd’hui, en tout cas dans sa forme la plus aboutie que sont les séries, il fallait regarder HBO le 19 septembre dernier. Ce soir-là débutait Boardwalk Empire, création d’un ex des Soprano, Terence Winter, dont le pilote a été réalisé par Martin scorsese. il n’avait jamais travaillé pour le petit écran auparavant, mais n’a pas hésité un instant à mettre son nez dans cette série historique située au début des années 1920, pendant la Prohibition. un signe que l’écart autrefois abyssal entre télévision et cinéma se réduit toujours plus. Le dernier festival de Cannes avait d’ailleurs envisagé sélectionner ledit épisode, qui n’aurait pas fait tache au milieu du gratin des auteurs mondiaux, même s’il est difficile de parler de chef-d’œuvre : scorsese ne manque pas de style, mais on a parfois l’impression d’assister à une leçon d’école de cinéma un peu compassée. Tout n’est pas perdu pour autant car Boardwalk Empire reste une série – la première saison compte douze épisodes – qui a besoin d’autre chose que de l’œil d’un cinéaste, aussi mythique soit-il. De personnages, par exemple. Le destin d’Enoch Thompson (steve Buscemi) est de créer un empire depuis atlantic City pour régner sur l’amérique. On pense à lui comme à un ancêtre fantasmé de Tony soprano. On espère qu’il parviendra à nous émouvoir autant que lui au fil des années.
BUZZ TV
_Par O.J.
1. Showtime et Canal + s’affrontent à distance avec des séries consacrées aux Borgia (XVe et XVIe siècles). La chaîne câblée U.S. a casté Jeremy Irons dans le rôle principal et déjà tourné plusieurs épisodes. Canal, qui vient à peine de donner les premiers tours de manivelle à Prague, compte sur l’écriture acérée de Tom Fontana (Oz). Diffusions en 2011. 2. Quelques mois après la fin de Lost, son cocréateur J.J. Abrams a vendu à Fox une série à nouveau située sur une île. Cette fois, il s’agit d’Alcatraz, la célèbre prison de la baie de San Francisco. 3. Eastbound & Down saison 2 est diffusée sur HBO depuis le 26 septembre, toujours avec le duo Adam McKay/Will Ferrell à la production, et l’acteur Danny McBride. La série la plus drôle du moment ?
Boardwalk Empire sera diffusé sur Orange Cinéma Séries à partir du mois de décembre
LE CAMÉO
© NBC Universal
JOhN hAMM dANS 30 ROCK John Hamm, alias l’élégant et tourmenté Don Draper dans Mad Men, n’a pas seulement la gomina facile : il sait aussi envoyer des vannes. Déjà remarqué pour ses prestations amusantes dans l’émission mythique Saturday Night Live, le meilleur ami de Paul rudd (un acteur de la bande Judd apatow) est apparu à plusieurs reprises dans la sitcom de Tina fey, 30 Rock. Toujours aussi décoiffant, il va reprendre son rôle de voisin sexy accro à la pâtisserie dans un prochain épisode de la série, diffusé en direct sur nBC le 14 octobre. _O.J.
OCTOBRE 2010
WWW.MK2.COM
© Courtesy of the artist,Luhring Augustine, New York and Simon Lee Gallery, London
22 NEWS /// EVENT
Larry Clarck, Jack et Lynn Johnson, Oklahoma City, 1973
TEEn AMERICA De Kids à Wassup Rockers, le cinéma de LARRY CLARK est le miroir d’une adolescence américaine sulfureuse, à la dérive. Photographe dès les années 1960, il expose au MAMVP sa première rétrospective française : retour sur cinquante années d’obsession juvénile. _Par Juliette Reitzer
1971
: l’Amérique frémit en découvrant la monographie Tulsa, soit une trentaine de clichés noir et blanc où s’affiche, macabre et choquant, le quotidien d’une poignée de jeunes gens oubliés au fin fond de l’Oklahoma. Larry Clark, 28 ans, y dévoile la réalité d’une jeunesse droguée, obscène et violente, condamnée avant d’avoir vécu. série emblématique, Tulsa annonce les deux obsessions qui parcourront toute l’œuvre de l’artiste : questionner les dérives adolescentes certes, mais le faire en précurseur. « Son œuvre est nostalgique en même temps qu’extrêmement d’avant-garde », confirme sébastien gokalp, commissaire de l’exposition. Le photographe travaille par séries : Teenage Lust, Larry Clark 1992, punkPicasso… six au total sont ici exposées, suivant une organisation chronologique en quelque 200 clichés qui mettent au jour l’évolution d’un regard, de l’ardeur juvénile de Tulsa à la maturité apaisée à l’œuvre dans les tirages lumineux de la série Los Angeles 2003-2006, dédiée à l’acteur principal de Wassup Rockers, Jonathan Velasquez. Complétée par une rétrospective à la Cinémathèque française (où Larry Clark donnera une leçon de cinéma), l’exposition témoigne de l’immuable désarroi adolescent et du talent rare d’un artiste pour s’en saisir. Larry Clark, Kiss the Past Hello, du 8 octobre au 2 janvier au musée d’Art moderne de la Ville de Paris. Rétrospective Larry Clark à la Cinémathèque du 8 au 10 octobre
RENDEZ-VOUS
_Par J.R.
1. Affriolant : La Musardine édite Sade et le cinéma (par Jacques Zimmer), et l’auditorium du Louvre se penche sur le XVIIIe siècle et ses libertins avec, entre autres, des films de Jess Franco et d’Alexandre Volkoff. Le XVIIIe siècle à l’écran : libertins, libertés, jusqu’en février 2011 à l’Auditorium du Louvre
2. Hypnotique : David Lynch sonde les méandres du fantasme et de l’inconscient. Seront projetés, en sa présence, ses courts et longs métrages, ainsi que des documentaires sur son œuvre. Rétrospective David Lynch, du 13 octobre au 1er novembre à la Cinémathèque française
3. Stimulant : ce festival universitaire parrainé par Cédric Klapisch réunit hommes d’entreprises, intellectuels et cinéastes autour de 17 films, dont The Navigators de Ken Loach. Lumières sur le travail, du 11 au 15 octobre à l’université Paris-Ouest NanterreLa Défense
L’AFTER-SHOW
© Patrice Tourneboeuf
L’AMÉRIQUE OUVRE LE BAL au fond d’une impasse du 18e arrondissement, sommeillait une salle de bal, dans sa jeunesse « hôtel d’amour » et lieu de fiesta des immigrés italiens, délaissée à la fin des années folles. Depuis le 18 septembre, raymond Depardon et d’autres de l’agence Magnum ont investi les lieux. Espace dédié à la représentation du réel sous toutes ses formes (photo, cinéma, nouveaux médias), le BaL s’annonce comme « une zone franche » où faire swinguer le monde à l’abri du vacarme. Première danse : celle des Anonymes de l’Amérique sans nom : photographie et cinéma, jusqu’au 19 décembre. _L.T. Le BAL, 6 impasse de la Défense, 75018 Paris. www.le-bal.fr
OCTOBRE 2010
WWW.MK2.COM
23
24 NEWS /// HOMMAGE
Ca M a r a D E s Entre 1985 et 2003, Marin Karmitz produit douze succès de CLAUdE ChABROL, de Poulet au vinaigre à La Fleur du mal. Il revient pour nous sur leur collaboration, l’une des plus fécondes du cinéma français. _Par Raphaëlle Simon (avec Auréliano Tonet)
C
’est en 1962, sur le tournage des Sept Péchés capitaux, que Claude Chabrol et Marin Karmitz se rencontrent. Le film est réalisé collectivement par les cinéastes de la nouvelle Vague, dont Jacques Demy ou roger Vadim, qui goûtent chacun à un péché capital. Karmitz est alors l’assistant réalisateur de JeanLuc godard pour le sketch La Paresse. Chabrol, lui, réalise L’Avarice – et non La Gourmandise, comme on pourrait s’y attendre… La vraie rencontre, cependant, a lieu six ans plus tard : « On a fait 68 ensemble, tous les jours, sans se quitter, confie Marin. Par le jeu des mouvements de foule, Claude et moi nous
par une bande-annonce savoureuse, dans laquelle Chabrol révèle sa recette du poulet au vinaigre. La sauce prend, le film est un succès, Chabrol passe sous contrat avec MK2 : la collaboration durera vingt ans. À Karmitz le soin de trouver les costumes et les décors, que le cinéaste découvre souvent au moment du tournage. À Chabrol celui de faire grincer ses histoires de crimes et de folie : « Ses idées géniales de mise en scène jaillissaient à tout moment, parfois dès l’écriture du scénario, plus souvent en arrivant sur le plateau. Écrire lui était pénible, quand bien même il excellait dans ce domaine.En revanche, il adorait tourner. »
« ON A FAIT 68 ENSEMBLE, TOUS LES JOURS, SANS SE QUITTER. » retrouvions souvent en tête de manif, face aux gendarmes qui nous travaillaient au corps. » Les deux hommes se perdent ensuite de vue, pour mieux se retrouver, au début des années 1980. Marin Karmitz commence alors à connaître un certain succès en tant que producteur, consacré par de nombreux prix à Cannes. un beau jour, il reçoit le scénario de Poulet au vinaigre, que Chabrol n’arrive pas à faire produire : « À l’époque, Claude, à l’instar de Godard, Resnais ou Louis Malle, était en panne de producteur, même pour de la télé. » Le film se fait pour la moitié du budget moyen d’un long métrage, porté
OCTOBRE 2010
SUCCESS StORY Madame Bovary, La Cérémonie, Merci pour le chocolat : si la plupart des films de Chabrol produits par MK2 sont des succès critiques et populaires, Marin avoue un faible pour des œuvres plus confidentielles, comme Betty ou Rien ne va plus (« un magnifique autoportrait en creux »). « La réussite commerciale de ses films me permettait de produire tous les autres, notamment les films iraniens, souligne Karmitz. Chaque année, je lui donnais la liste des films que j’avais faits grâce à lui. Il a aidé le cinéma mondial. » Pourtant, celui que tout le monde pleure aujourd’hui
WWW.MK2.COM
© Jacques Prayer/GAMMA
HOMMAGE /// NEWS 25
Claude Chabrol et Marin Karmitz
n’a pas toujours été soutenu en france : peu récompensé, boudé par les subventions… La raison ? « Claude a toujours choqué. Allez trouver de l’argent pour produire une affaire de femmes, un film sur l’avortement pendant l’Occupation… » face à cette frilosité, le producteur se tourne fréquemment vers l’étranger, qui fournit une grosse part des budgets, loin de la caricature franchouillarde communément associée au réalisateur du Beau Serge. MASQUES autre cliché persistant : «Claude Chabrol, épingleur de la bourgeoisie ». Marin Karmitz voit dans ses films bien plus que cela : « C’était un caricaturiste à la Daumier, pas à la Charlie Hebdo. Ce n’est pas seulement de la caricature, c’est de la grande peinture. Il peignait avec un trait acéré des comportements humains universels, représentés dans la bourgeoisie. Mais ce sont les comportements qui priment, pas la bourgeoisie. C’est pour cela que son succès est mondial. » L’homme, tout comme ses films, est plus complexe qu’il n’y paraît. ne pas se prendre au sérieux était sa maxime, lui qui classait volontiers son film Folies bourgeoises au rang des trois pires navets de l’histoire du cinéma, et qui nous confiait, lorsque nous l’avions rencontré l’an dernier, pour la sortie de Bellamy : « Tout me fait rire, même me casser la gueule me fait rigoler. » Cette apparente légèreté dissimulait cependant une gravité certaine: « Derrière son image de bon vivant se cachaient des angoisses, des nostalgies, reprend le fondateur de MK2. Il aimait les gens, mais il a vécu reclus à Saumur puis au Croisic. Ce n’est pas un hasard s’il a fait un film qui s’appelle Masques… Il avait un regard très érudit, très lucide sur la vie. Je ne pensais pas que sa mort m’affecterait autant. »
OCTOBRE 2010
« LA RÉUSSITE DE SES FILMS ME PERMETTAIT DE PRODUIRE TOUS LES AUTRES, NOTAMMENT LES FILMS IRANIENS. IL A AIDÉ LE CINÉMA MONDIAL. »
WWW.MK2.COM
26 NEWS /// HOMMAGE
riEn nE VA PLUS Psychanalyste, écrivain, chroniqueuse sur France Culture, CAROLINE ELIAChEFF a coécrit trois scénarios avec et pour Claude Chabrol (La Cérémonie, Merci pour le chocolat, La Fleur du mal). À l’annonce de son décès, elle lui a adressé une lettre, dont voici un extrait.
«C
her Claude,
évidemment, je n’ai pas la certitude que ma missive te parviendra mais on a tellement parlé de toi depuis dimanche que j’ai eu envie de m’adresser directement à toi.Tu m’as si souvent affirmé que tu n’avais pas d’ego que j’ai fini par te croire.après tout, n’estce pas mon métier de prendre ce qu’on me dit au pied de la lettre? Eh bien, si tu as eu vent de tout ce qu’on a dit et écrit à ton propos ces derniers jours, ton absence d’ego a dû t’être utile. Toi qui t’amusais à lancer des rumeurs improbables et estimais avoir réussi quand ladite rumeur te revenait, tu as pu constater que celle que tu avais patiemment forgée, d’un gourmet bon vivant, ironique et tendre, t’est revenue. il faut dire que ce masque t’allait à ravir. Pour rapetisser ton ego, tu lui as infligé publiquement quelques claques bien senties. En déclarant toi-même que certains de tes films étaient « des merdes », les critiques ne pouvaient aller plus loin. il ne t’aura pas échappé que, voulant te rendre hommage comme il sied quand on passe de l’autre côté du miroir,certains ne se sont pas gênés pour reprendre tes propos et affirmer que ta postérité est loin d’être assurée. Hélas, dès qu’on parle de postérité, quoi qu’on en dise, on est à peu près sûr de se tromper. Tu as aussi la réputation d’être drôle et là, ce n’est pas un masque. Pour moi, un homme n’est pas drôle parce qu’il sait animer des soirées entre copains ou des émissions de télévision, mais s’il continue, au fil des années, même en se répétant, à faire rire sa femme. Michel serrault partageait avec toi cet immense privilège. J’ai eu la chance de travailler
OCTOBRE 2010
non pas avec toi mais pour toi. Car, je crois que ce que tu as le plus apprécié, c’est que nous partagions l’horreur des séances dites « de travail ». Comme tu es toi-même un excellent scénariste mais que tu trouves l’écriture fastidieuse, tu demandes simplement qu’on t’épargne cet effort. il me semble que Paul gégauff, ton vieux complice, est le seul scénariste avec qui tu as à proprement parler collaboré mais est-ce que vous ne faisiez pas autre chose que de travailler? Est-ce que tu sais que certains acteurs s’inquiétaient parce que tu ne les dirigeais pas ? À partir du moment où tu les avais choisis, ils n’avaient plus qu’à faire leur métier.Peu t’ont déçu,preuve que tu ne te trompais pas, mais seuls ceux qui arrivaient à te surprendre assuraient leur longévité. isabelle Huppert y excellait. Car quand tu me disais « je n'ai pas d’ego », ce n’est pas « ego » qu’il fallait retenir mais « je n’ai pas ». isabelle, par son talent et parce qu’elle est une femme, t’a offert ce que tu savais que tu n’avais pas. J’imagine que tu jubiles quand on dit de toi que tu es le cinéaste d’une bourgeoisie que tu serais censé exécrer.Tu as si bien réussi à cacher ton jeu ! Peu de gens décèlent à quel point ton œuvre est autobiographique; pas au sens où tu te prendrais pour objet mais au sens où en posant de mille façons différentes la question de savoir d’où vient le mal, tu es allé audelà de toi-même. Est-ce que tu aurais apprécié cette phrase de Montaigne, « tous les jours vont à la mort,le dernier y arrive»? nul ne le saura,non parce que ce dernier jour est arrivé mais parce que si tu ne l’avais pas apprécié, tu aurais eu la délicatesse de n’en rien dire. il n’y a pas de formule pour terminer cette lettre. C’est triste. C’est tout. »
WWW.MK2.COM
© 2010 Sony Pictures Releasing France
28 NEWS /// L’HURLUBERLU
Eva Mendes, Adam McKay et Will Ferrell sur le tournage de Very Bad Cops
gOOD POTES Very Bad Cops est la quatrième mouture du tandem comique AdAM MCKAY-wILL FERRELL, fondateurs du site Funny Or Die, pour qui la comédie se conçoit d’abord collectivement. _Par Clémentine Gallot
A
lors que l’on s’interroge sur l’épuisement du genre (cf. les récents Be Bad et American Trip),Very Bad Cops continue de faire rire, c’est toujours ça. Cette parodie de buddy movie avec Will ferrell et Mark Wahlberg en duo mal assorti se moque gentiment de deux flics new-yorkais déphasés. avec ce polar dévirilisé,adam McKay poursuit une étude sur la masculinité américaine amorcée avec Présentateur vedette : la légende de Ron Burgundy (2004), Ricky Bobby : roi du circuit (2005) et Frangins malgré eux (2008), dont les ressorts opposent foirades et volonté de puissance, geeks et dudes. Le cinéaste et producteur de 42 ans affiche un parcours exemplaire : formé au stand-up à Chicago au sein de deux troupes fameuses (Second City et The Upright Citizens Brigade), McKay fait ses armes en écrivant pour l’émission Saturday Night Live. De cette formation, il a hérité un goût pour l’improvisation, la méthode inaugurée par « l’école de Chicago » étant devenue depuis un passage obligé pour les acteurs – ferrell y compris. Le miracle de la mayonnaise McKay-ferrell s’explique en partie par des faits : même sens de l’humour, même âge, des parents divorcés. « Will vient de la tradition du canular, il surjoue le fait d’être acteur », explique McKay, ajoutant que la plupart de leurs films parodient moins la télé que le
OCTOBRE 2010
cinéma. «Nous n’avons pas besoin de nous censurer, la beauté de la comédie, c’est qu’on nous laisse faire tout ce qu’on veut tant que le rire y est. Et s’il y a autant de blagues à la minute,c’est que nous y prenons un plaisir certain.» Comme le montre la bande de Judd apatow (qui a d’ailleurs produit Présentateur vedette), la comédie américaine se façonne par association, s’incarne grâce à des complices : le tandem McKay-ferrell pratique ainsi l’écriture collective, à deux tout d’abord, puis avec une tablée de scénaristes, stimulés par le microcosme de Los angeles,«une communauté de comédiens et amis ». se marrer entre pros exige en effet davantage que de faire rire un public imaginaire. si ces films n’ont guère trouvé preneurs en france, l’œuvre du duo nous est parvenue par le biais d’internet.En 2007, ils montent funnyOrDie.com « pour s’amuser et diffuser des formats courts » : le site de sketchs explose et devient une plateforme pour les jeunes comiques. après un remake de Hansel et Gretel façon Evil Dead, McKay produira bientôt la première comédie américaine entièrement en espagnol, avec Will ferrell en ranchero mexicain. Olé. Very Bad Cops // Un film d’Adam McKay // Avec Will Ferrell, Mark Walhberg… // Distribution : Sony Pictures // États-Unis, 2010, 1h47 Sortie le 27 octobre www.funnyordie.com
WWW.MK2.COM
30 NEWS /// PASSERELLES
sOLEiL NOIR Plus de vingt ans après sa disparition, Jean-Michel Basquiat est doublement célébré cet automne : le musée d’Art moderne de la Ville de Paris lui consacre une importante exposition rétrospective, tandis qu’un documentaire, The Radiant Child, revient sur sa trajectoire unique dans l’histoire de la peinture. Entretien avec la réalisatrice de cet émouvant portrait filmé, tAMRA dAVIS. _Propos recueillis par Auréliano Tonet
V
ous avez fait le choix d’un montage très alerte,au diapason du parcours de Jean-Michel Basquiat, en mouvement constant.Comment avez-vous dosé l’équilibre entre approche biographique et analyse de son œuvre ? De son vivant, les médias se focalisaient sur sa forte personnalité, au détriment de sa peinture. Ça le peinait beaucoup. Je voulais interroger son travail en profondeur, parler de racisme, de musique, de poésie. J’ai interviewé Jean-Michel, qui devait être au sommet de sa gloire, à Los angeles. J’étudiais alors le cinéma, et travaillais à mi-temps dans une galerie. il avait 24 ans, moi 23, nous étions proches.À cet entretien d’une heure environ, j’ai greffé des photos et des images en super 8, tournées dans les années 1980 : des scènes en extérieur, son appartement, son atelier. Peu de vidéos de lui subsistent car, après une interview traumatisante, il a refusé d’être filmé. On le voit dans mon film : lorsqu’il commence à parler, il est très nerveux. Pourquoi avoir attendu si longtemps avant d’utiliser ces images ? après sa disparition, j’ai tout mis de côté. À ce mo-
ment-là, en tirer un film aurait été trop douloureux. Je ne voulais pas trahir sa mémoire. Et puis, il y a six ou sept ans, il y a eu une grande exposition au Moca de Los angeles. J’ai montré aux conservateurs un montage de vingt minutes et pris conscience de la rareté du matériau. Peu après, le producteur David Koh m’a demandé d’en faire un film. L’autorisation du père de Jean-Michel était indispensable. il m’a accordé sa confiance, parce que je n’avais jusquelà pas cherché à exploiter cet entretien. Dès qu’il a signé les papiers, j’ai commencé à tourner de nouvelles interviews : proches de Jean-Michel, critiques d’art, peintres, musiciens, etc. Qu’est-ce qui, selon vous, fait la spécificité de Basquiat ? son art vibre de la même secousse, de la même modernité qui a déstabilisé la musique dans les années 1980 : à la manière des précurseurs du hiphop, qu’il écoutait beaucoup, Jean-Michel pratiquait le sampling dans ses tableaux. Quand il entrait dans une pièce, on ne pouvait s’empêcher de le regarder. il était très émotif, plein de vie, comme un enfant.D’ailleurs,ses peintures préférées étaient celles d’enfants. il irradiait.
Un film de Tamra Davis // Documentaire // Distribution : Pretty Pictures // États-Unis, 2009, 1h29 // Sortie le 13 octobre Exposition Basquiat, du 15 octobre au 30 janvier au Musée d’Art Moderne de la Ville de Paris, 11 avenue du Président-Wilson, 75016 Paris
OCTOBRE 2010
WWW.MK2.COM
Š Alexei Hay
Record Collection de Mark Ronson & The Business Intl. (Columbia/Sony Music)
IN SITU /// NEWS 33
MarK DE FABRI QUE Mais si, vous connaissez MARK RONSON. Au moins ses chansons. Sur son établi, il a assemblé les classiques instantanés d’Amy Winehouse ou Lily Allen. En 2007, le Britannique sort de sa boîte Quality Street le bonbon Version et ses digressions cuivrées qui fondent sous le tympan. Sans tambour ni trompette, Mark rançonne encore les ondes avec Record Collection, deuxième album collector, avec des chansons rien qu’à lui. Nous l’avons intercepté en pleine répet’ : London calling.
«
_Par Étienne Rouillon
Ce que l’on voulait retrouver avec la chanson Circuit Breaker, c’était un thème à la Jean-Michel Jarre et son Oxygène iV. Tu sais ça fait “ ti-talatatou-tala-ta”. Attends – deux secondes – je reviens.» Pendant que Mark ronson abandonne le combiné pour arranger un truc avec ses musiciens dans leur local de répétition londonien (ils entament leur tournée deux jours plus tard), on jette un œil sur la tracklist. Quatorze échelons pour grimper jusqu’à la girouette en platine massif Record Collection. L’album pointe tous azimuts vers l’électro nippone et pionnière du Yellow Magic Orchestra, les pastilles hip-hop de Madlib, les mélodies ouvertes de Duran Duran,l’afrobeat nigérian.ronson glisse donc sa pièce dans le même jukebox que DangerMouse (gnarls Barkley) et Damon albarn (gorillaz) : groove synthèse et ludisme érudit. RONSON dE LA GLOIRE « Excuse-moi. On parlait de ? Ah oui, le “ ti-talata-toutala-ta”. On a un peu perdu ces leitmotivs très épurés de la musique électronique qui alliaient robots et romantisme. D’où ce thème très simple sur Circuit Breaker “ ta-ta /ta-ta”en deux tons. » Oui, celui qui regrette les missives d’un Vangelis, c’est bien le même qui est entré dans le carré scellé des producteursstars avec les tubes soul et jazzy (Rehab, Back to Black…) qui ont lancé amy Winehouse. Quand Timbaland bégayait sur des refrains côte Ouest, qu’usher assassinait les caisses claires avec des claps de mains, ronson trouvait ses propres tics de production : les sections de cuivres à la place des guitares, les fûts plutôt que la boîte à rythmes. il y a quatre ans, le Toxic de Britney spears passe à la moulinette sur un album de reprises. C’est Version, le ronson de la gloire. Las, on associe systématiquement sa trombine aux trombones. Dans la vidéo du
OCTOBRE 2010
single Just (reprise de radiohead), un personnage l’apostrophe : « Dis, pourquoi t’es pas foutu de faire tes propres chansons ? » Trente piges passées, l’exDJ new-yorkais sent que son disque raye : « C’est un peu devenu une blague : Mark et sa fanfare. Mais composer pour les autres, comme Amy, m’a donné confiance en mes capacités à écrire. Je ne savais pas encore à quoi ressemblerait mon album jusqu’à ce que je travaille sur celui de Duran Duran. » éPOPéE POP Déambulant sous la nef de la cathédrale new wave, Mark ronson musicien-producteur-chanteur monte son propre temple avec pour arcboutants des claviers eighties et pour murs porteurs une section rythmique à la rigueur hip-hop, éclairés par des vitraux aux motifs impressionnistes, transformant une simple balade en vélo en épopée pop (splendide The Bike Song). « Je me suis fait un nom en tant que DJ, un boulot qui te condamne à te focaliser sur les beats. Sur cet album, j’ai enfin été à même de travailler les émotions. Prends somebody to Love Me dont je suis très fier, soit dit en passant [il se la joue pas, elle est vraiment chouette cette chanson, ndlr]. Il y a cette basse punk-funk : “pou-pou-poum-poupoum-pim”. Elle soutient une batterie afrobeat. Ce décalage crée une émotion, un sentiment qui ne peut naître quand tu dois écrire pour les autres et que tu es tenté de te dire : “ Voyons ce qui marche en ce moment”. Ce frottement m’a rappelé le choix du reggae sur Do You really Want to Hurt Me de Culture Club. Du coup, on a proposé à Boy George de chanter la chanson. » une reprise se cache pourtant sur l’album. Dans le refrain de l’épatant Bang Bang Bang, on trouve Alouette, gentille alouette. « Je te passe la chanteuse, c’était son idée. Hey Amanda ! Y a un Français qui a une question. »
WWW.MK2.COM
34 NEWS /// UNDERGROUND
© D.R.
THE PELVIS Showman convulsif, FRANCIS StARLItE a parié qu’il pouvait se passer de l’industrie du disque pour sortir son premier album, It’ll Be Better, et que son funk stylisé prendrait possession de ton corps. Gagné. _Par Sylvain Fesson
omme MGMT, francis « farewell » starlite fut étudiant à Wesleyan, dans le Connecticut (« J’ai dormi deux mois sur le toit de la salle de concert, face aux étoiles, réveillé chaque matin par le chœur de l’université »), mais en quitte les bancs au bout d’un an pour se consacrer à la musique. Comme MgMT, il réside à Brooklyn, mais pratique un r’n’b minimaliste et sophistiqué, pulsé par deux batteurs et une armée de boîtes à rythmes, à mille lieux de la pop psyché locale. Comme MgMT, il a signé chez Cantora records, mais s’est déclaré parallèlement en tant que société commerciale pour attirer des investisseurs. En 2008, bingo : Jake Lodwick de The normative Music Company voit en lui une popstar-née, et lui fait don de 100 000 dollars. Morceaux de choix d’une discographie qui compte deux E.P et un LP paru cet été, la seule vue des vidéoclips de The Top et Darling, It’s All Right devrait rassurer le bienveillant mécène : avec son swing tendu comme un string entre Prince et springsteen, son charisme compulsif (coupe à la spirou, teint nosferatien, déhanché jacksonnien) et ses mises en scène conceptuelles en noir et blanc, francis y illustre on ne peut mieux cette « brève épilepsie » dont Paul Valéry disait qu’elle est « ce que l’homme a de plus précieux ».
COPIER COLLER
_Par A.T.
>> Paonne fatale, Alice Lewis déploie un premier album chamarré, No One Knows We’re Here, carnaval de couleurs (r’n’b, folk, électro) qu’harmonise son doux ramage.
C
It’ll Be Better de Francis and the Lights (Cantora Records, uniquement sur iTunes)
>> La plume de la Parisienne se marie avec bonheur à celle, tout aussi panachée, de Cibelle, néotropicaliste brésilienne dont les assortiments ne cessent d’étonner, et de charmer.
LE MYSPACE CHARTS DE LA RÉDACTION _Par A.T. ÓLÖF ARNALdS – Innundir Skinni www.myspace.com/olofarnalds sorte de Joanna newsom arctique, de Vashti Bunyan islandaise, c’est-à-dire de Björk pastorale, Ólöf serpente parmi les herbes folks, qu’elle tresse en délicats motifs rustiques. dA BRASILIANS – About You www.myspace.com/dabrasilians faux Brésiliens mais vrais amateurs de sable fin, ces Parisiens sortent enfin leur premier LP, concentré de popsongs chorales et vintage, à faire pâlir tout garçon de plage digne de ce nom. ShUGO tOKUMARU – Rum Hee www.myspace.com/shugotokumaru au moment où l’homme-orchestre sufjan stevens refait surface, son alter ego nippon joue la surenchère pop : carrousels mélodiques, carillons, gambades vocales, joie.
OCTOBRE 2010
WWW.MK2.COM
© Peter Lindbergh/Emi France
Birds in the Storm d’AaRON (Cinq 7, album disponible depuis le 4 octobre), le 15 décembre au Casino de Paris, dès 20h30, 31 € Pacific 231 de Raphaël (EMI, album disponible depuis le 27 septembre), les 26 et 27 novembre à l’Olympia, dès 20h, 38 €
REGARDS CROISÉS /// NEWS 37
LEs rOis DE L’ÉVASION Délaissant les rives faciles de leurs débuts (la B.O. midinette de Je vais bien ne t’en fais pas, en 2007), Simon et Olivier, les deux versants d’AaRON, ramènent de terres lointaines un deuxième album inspiré : Birds in the Storm. Après son vagabondage en Caravane, auréolé d’un franc succès populaire, RAPhAËL poursuit son errance. Amoureux du bitume, il quitte son cadre urbain pour Pacific 231, septième album aventureux, en quête de déambulations inédites. Nous avons croisé leurs chemins. _Par Stéphanie Alexe
C
hanteurs de charme un peu malgré eux, les deux aarOn abordent sereinement leur flirt avec le succès: «Quand tout d’un coup il n’y a plus de mur,que l’énergie circule, c’est un vrai cadeau», confie simon. Cependant, loin des ballades un peu sommaires qui ont fait leur gloire, les mélodies de Birds in the Storm suivent des pistes inusitées, dans la lignée new wave de Depeche Mode. Comme habité d’une étrange langueur, le duo dévoile un second album profond, plus retors que le premier. un vague à l’âme constant, insubmersible, tiraille également raphaël, pour qui le chemin fût plus sinueux, parsemé de doutes et d’un désir de dérobade : « Au début, lorsque je montais sur scène, c’était un truc de copains. Ensuite, il y a eu ces énormes succès. Parfois, j’étais mal à l’aise, je picolais pas mal. Il y avait des moments merveilleux, mais j’étais un peu perdu. Maintenant, je suis sobre comme un chameau. C’est une expérience très violente, la scène. » Tandis qu’aarOn refuse catégoriquement de rester en place, raphaël se rêve fugueur d’un quotidien oppressant : « Je pense de temps en temps à disparaître, mais je ne le ferai pas. Je me sens bien dans la ville, dans le béton. Paris chaque jour m’influence. J’ai l’impression que je comprends bien ses codes, ses secrets. » tANGENtES Birds in the Storm d’aarOn invite à prendre la tangente. Les morceaux sèment le trouble, déstabilisent. À une rythmique martiale se greffent chœurs et guitares, par un effet d’empilement graduel. « On travaille beaucoup à l’instinct. Cet album est un reflet du précédent, qui était plus nocturne : ici, il y a l’obsession de la route qui défile. C’est plus transpirant, plus organique et épicurien. Les morceaux ont jailli très rapidement », explique simon. selon
OCTOBRE 2010
raphaël, « à chaque disque, il faut essayer de faire exploser sa manière de travailler.Tu tâtonnes, tu bricoles, tu ne sais jamais vraiment comment ça va marcher». Pour ce septième album enlevé, aux arrangements bashunguiens en diable (cordes lunaires, cuivres free, pincements country), il a choisi de collaborer avec deux pointures de la chanson nomade in France, Dick annegarn et gérard «voyage en solitaire» Manset. De sa voix blanche et nette, raphaël révèle : « La route de Cormack McCarthy est le fil conducteur de trois chansons. Il y a aussi le film de Chris Marker, La Jetée. Dans l’ensemble, l’album découle d’une idée un peu déprimée du futur : les humains mangeront des humains et ils seront tous irradiés. » tANGIBLES L’évasion, tangible ou imaginaire, s’accomplit d’autant plus sereinement qu’elle s’appuie sur un socle solide. simon et Olivier s’accordent parfaitement, se tirent vers le haut lorsque le bât blesse. Malgré sa « solitude implacable », telle qu’il la qualifie dans un éclat de rire, raphaël avoue avoir « besoin de bienveillance, d’une relation tendre» avec ses musiciens : «Quand on se retrouve en studio, on est comme une bande de gosses. C’est très ludique. » au fond, cette relative indépendance lui sied. il la justifie en convoquant ses maîtres : « Il y a peu de groupes qui ont exploré des pistes aussi diverses et éclatées que des musiciens solos comme David Bowie ou Alain Bashung. » Prendre le large, c’est aussi s’ouvrir à de nouveaux horizons. Cette année, simon, le chanteur franco-américain d’aarOn, jouait un séducteur glacial dans Tout ce qui brille de géraldine nakache. raphaël a également franchi le pont pour Claude Lelouch. il lui prête son visage diaphane pour Ces amours-là. une halte éphémère avant de filer droit devant.
WWW.MK2.COM
© Theo Gennitsakis
38 NEWS /// LE NET EN MOINS FLOU
géO LOCK « Devine d’où je t’appelle ? », c’est fini. Avec Facebook Places, la géolocalisation arrive en ville et verrouille le web sur votre pâté de maison.
STATUTS QUOTES SÉLECTION DES MEILLEURS STATUTS DU MOIS
_Par Étienne Rouillon
A
vec l’avènement des applications sur plateformes nomades type iPhone ou iPad, l’internet a lu son faire part de décès dans la presse technophile depuis quelques numéros : exit la promesse de l’internaute explorateur pour qui le web ouvrait une fenêtre sur le monde ; le pendant mobile du net la referme sur votre environnement circonscrit. google en frissonne, nous n’allons plus à l’information, elle vient à nous sous une forme qui nous ressemble, en fonction de nos goûts et de notre situation géographique. C’est le principe Le site vous permet d’annoncer où qui pousse facebook vous vous trouvez en temps réel. à développer Facebook Places, une application attendue cet automne en Europe, inspirée de Foursquare, un site qui vous permet d’annoncer où vous vous trouvez en temps réel. au-delà des habituels débats sur la fin de l’hétéronymat numérique (abandon du pseudonyme pour une identité immuable) et l’adhésion à la surveillance par les little brothers, Places est exemplaire d’un glissement dans notre accès à l’information digitalisée : de la navigation investigatrice à la prescription passive. Oui, on vient peut-être tout simplement de réinventer la télé.
HTML5
acronyme.
Christophe : Dans le code Delarue, t’as le droit de franchir la ligne blanche. Johanna : Veiller tard dans le but d’apercevoir Thierry Henry dans le public de la finale de l’U.S. Open, et l’apercevoir. Daria : Ce qui se passe à Vegas finit sur Twitter. Thomas : « Afficher mon sexe sur mon profil » dans les options Facebook. J’hésite à cliquer. Fred : Nietzsche pute Nietzsche soumise. Xavier périt à Paris. Fred : Lapsus, mais j’avale pas.
MOT @ MOT _Par E.R.
(Abréviation de l’anglais Hypertext Markup Langage, langage informatique permettant de traduire des données sous forme de pages web) 1.Développée par l’organisme W3C, la dernière version du HTML permet notamment d’afficher des informations numériques malgré une syntaxe impropre ou incompréhensible. «Le nouveau Internet Explorer 9 intègre le HTML5 pour une navigation plus riche.» 2.Par extension, discours à la logique incompréhensible. «Je sais pas toi, mais quand Brice parle de CD-Roms, pour moi c’est du HTML5.»
OCTOBRE 2010
WWW.MK2.COM
40 NEWS /// AVATARS
Remuer ludique pendant le bouclage, c’est jouer son CDI jusqu’au game over. En douce du rédac rêche, on a déballé le PlayStation Move, nouvelle vague du jeu qui se bouge. _Par Étienne Rouillon
P
arti pour une partie, retrouver les bénis Wii-Wii qui ont quitté la sacristie nintendo pour brûler au bougeoir de sony. Joueur en pays cinéphile teste – amant – la bête en cours, lauréate parce qu’elle le vaut bien.
De la pétanque au ping-pong, le contrôleur en forme de cornet glacé plombe Mario le plombier, console herculéenne oblige. Dans l’open space, je gesticule comme un poulet et ça pourrait tourner au vinaigre. Le red’ chef me dévisage par la fenêtre : « Chabrol » aux lèvres. fais pas le beau, serge, tu t’es fais cramer innocent aux mains sales de manette, le jour où toute la rédaction se gouache en noir policier. Plaisir. L’ivresse du pouvoir quand on imprime un smash dans une balle virtuelle, avec pour seule contrainte la peur d’avoir l’air un peu tarte en saint-guy des écrans. Peur d’agrafer le chevelu de la secrétaire de rédaction, emporté par un revers à la nadal. Merci pour ces chocottes-là. Sports Champions et PlayStation Move (Sony, sur Playstation 3)
D.R.
PiXELLaMi APPLIS MOBILES
_Par E.R.
dRAGON dICtAtION répondant à la voix de son maître, cette application permet de dicter un texte pour l’envoyer par sMs, mail ou le poster sur les réseaux sociaux. assez puissant, le moteur de reconnaissance vocale ne pardonne pas le chewing-gum ou la clope au bec. Plateforme : iPhone, iPad et iPod touch // Prix : gratuit
MIRROR’S EdGE réussite inexplicablement boudée par les joueurs PC, le jeu de parkour est ici adapté dans une forme simplifiée mais pas simpliste. Mirror’s Edge compense une durée de vie succincte par une réalisation léchée et une rejouabilité addictive. Plateforme : iPhone, iPad et iPod Touch // Prix : 3,99 €
R-tYPE Pfiu… Toujours aussi ardu depuis ses heures glorieuses sur les bornes d’arcade des années 1980, le cauchemar spatial vous tiendra en haleine des nuits blanches entières. Hardcore comme un maroilles au petit dèje. Bon courage. Plateforme : iPhone, iPad et iPod Touch // Prix : 1,59 €
LE JEU _Par E.R MATAMORE VIVANT Dead Rising 2 tient autant d’Un dîner presque parfait que de Secret Story. Le premier pour sa science de la viande hachée et des semelles farcies à la cervelle, le second pour les hordes décérébrées qui peuplent votre écran. revendiquant jusqu’à 6 500 zombies titubant de concert, ce défouloir d’excellente facture chatouille le concours Lépine avec ses mototronçonneuse, batte à clous, pistolet à eau-extincteur… De quoi faire passer Shaun of the Dead ou Zombieland pour de ternes bluettes. Vous en rêviez ? Dead Rising en fait une savoureuse pâtée pour chats. Dead Rising 2 (Capcom, sur PC, PS3, X360)
OCTOBRE 2010
WWW.MK2.COM
LE
GUIDE CALENDRIER MALIN POUR AVENTURIER URBAIN
DU MERCREDI 6 OCTOBRE AU MARDI 9 NOVEMBRE « SOUS L’ENTITÉ DISNEY, IL Y AVAIT DES HOMMES, AMBITIEUX, AVEC DE FORTS EGO, MAIS DES HOMMES AVANT TOUT. » DOn HaHn
P.46
SORTIES EN SALLES SORtIE LE 6 OCtOBRE 44 Vous allez rencontrer un bel et sombre inconnu de Woody allen 46 Entre nos mains de Mariana Otero 47 Waking Sleeping Beauty de Don Hahn SORtIE LE 13 OCtOBRE 48 The Social Network de David fincher SORtIE LE 27 OCtOBRE 49 Vénus noire d’abdellatif Kechiche LES AUtRES SORtIES 50 Moi, moche et méchant ; Tout va bien, the Kids are Alright ; Donnant, donnant ; Captifs ; Les Rêves dansants ; Illégal ; Au fond des bois ; Elle s’appelait Sarah ; Les Petits Mouchoirs ; Picture Me ; Divorce à la finlandaise ; Paranormal Activity 2 ; Nostalgie de la lumière ; Il reste du jambon ? ; Le Royaume de Ga’Hoole ; The American ; Fair Game ; Des filles en noir ; Silent Souls - Le Dernier Voyage de Tanya ; La Princesse de Montpensier
P.46
54 LES éVéNEMENtS MK2 Mon premier festival Carte blanche à Bertrand Belin
SORTIES EN VILLE 56 CONCERtS Jonathan Richman à la Boule Noire L’oreille de… Lisa Li-lund
58 CLUBBING Rosa Bonheur et Le Pavillon du Lac aux ButtesChaumont Les nuits de… Wagner
60 EXPOS Saâdane Afif à Beaubourg Le cabinet de curiosités : Cutlog
62 SPECtACLES Le cabaret new burlesque à la Ferme du Buisson Le spectacle vivant non identifié : Forced Entertainment à Beaubourg
64 REStOS
P.60 OCTOBRE 2010
Yves Camdeborde au Comptoir Le palais de… M-Jo
66 LA ChRONIQUE dE dUPUY & BERBERIAN WWW.MK2.COM
44 CINÉMA
SORTIE LE
06/10
Vous allez rencontrer un bel et sombre inconnu 3 RAISONS D’ALLER VOIR LE FILM 1… Pour le casting, étincelant : Anthony Hopkins, Gemma Jones et Naomi Watts, ainsi qu’une révélation, Lucy Punch. 2… Pour l’inspiration inaltérée de Woody Allen qui, à 75 ans, ne cesse de rajeunir. 3… Pour la photographie de Vilmos Zsigmond (Voyage au bout de l’enfer), qui offre à Londres un écrin doré.
JEU DE LA MORT ET DU HASARD Un film de Woody Allen // Avec Anthony Hopkins, Naomi Watts… // Distribution : Warner Bros. // États-Unis-Grande-Bretagne, 2010, 1h38
Les illusions, comme le cinéma de wOOdY ALLEN, agissent parfois mieux que les remèdes. La preuve avec Vous allez rencontrer un bel et sombre inconnu, une comédie cruelle portée par un casting étincelant. _Par Éric Verna
Londres, toujours. La nouvelle escapade de Woody allen dans la pluvieuse capitale anglaise, après Match Point, Scoop et Le Rêve de Cassandre, revêt cette fois le teint outrageusement hâlé aux u.V. d’alfie (anthony Hopkins). rompu au jogging, le vieil homme est tellement paniqué par l’idée de mourir qu’il brise un mariage de quarante ans pour fréquenter une séduisante blonde volage, qui pourrait être sa fille. Désespérée, Helena, son épouse, noie sa détresse dans le scotch et les conseils d’une diseuse de bonne aventure. Ce qui arrange bien sally (naomi Watts), qui préfère voir sa mère dupée mais heureuse que le contraire. Elle-même est confrontée à la crise d’inspiration de son mari, roy, un romancier incapable de confirmer son premier succès. Leur couple s’effiloche à mesure que sally tombe sous le charme de son patron galeriste (antonio Banderas), tandis que roy est envoûté par la charmante jeune femme de l’immeuble d’en face. OCTOBRE 2010
Le film, comme son titre à double sens – le bel et sombre inconnu désigne moins l’amour que la mort –, manie l’ironie et l’ambivalence avec un raffinement tout british. guidée par une voix-off goguenarde, qui cite shakespeare d’emblée pour introduire un récit gorgé « de bruit et de fureur, et qui ne signifie rien », cette comédie douce-amère est traversée par les obsessions de Woody allen : la mort, le hasard, l’imposture. En moraliste doté d’autodérision, le réalisateur moque à la fois la fourberie des charlatans et le ridicule de ceux qui se laissent berner par leurs propres illusions (alfie, savoureux alter ego d’un Woody qui refuse de vieillir). selon un mouvement jazzy en forme de carrousel de raison et de sentiments, serti de travellings aussi onctueux que la photographie du grand Vilmos Zsigmond, le cinéaste épingle avec humour (noir) le papillonnement de ses personnages, dérisoires.
WWW.MK2.COM
46 CINÉMA
SORTIE LE
06/10
Entre nos mains 3 RAISONS D’ALLER VOIR LE FILM 1… Pour sa proximité avec le cinéma militant des Lip, L’imagination au pouvoir ou de Louise-Michel. 2… Pour la justesse de son regard sur le prolétariat féminin. 3… Pour la dernière scène, gonflée, belle et bouleversante, que nous vous laissons découvrir…
TOUS ENSEMBLE Un film de Mariana Otero // Documentaire // Distribution : Diaphana // France, 2010, 1h28
Comment filme-t-on une utopie? En y croyant autant que les protagonistes, dans un documentaire engagé et engageant. _Par Isabelle Danel
Entre les mains qui apparaissent au premier plan, une pièce de tissu ; dessus, le pied-de-biche et l’aiguille d’une machine à coudre. nous sommes près d’Orléans, dans une usine de lingerie en faillite. Le projet des cinquante salariés de starissima est d’en reprendre les rênes et de créer une scop, une coopérative où chaque personne, quelle que soit sa part d’actions, aurait une voix. Ce n’est encore qu’un rêve au moment où le film commence, mais il pourrait bien devenir réalité. Le patron reste le grand absent du documentaire : on en parle, on ne le voit jamais. Mais on rencontre les cadres, les employés et les ouvriers, on les regarde, on les écoute. Que faire devant la mort annoncée de son outil de travail ? se battre, disent-ils. Disent-elles. Car ce sont surtout des femmes, qui, pour certaines, pointent là depuis leur plus jeune âge. Bien sûr, rien ne va de soi : chacun doit donner son accord écrit et un mois de OCTOBRE 2010
salaire brut pour commencer. « Il faut croire jusqu’au dernier souffle », sourit l’une ; « On n’est pas assez calées pour savoir les avantages et les inconvénients, constate l’autre. Faut être dans le système, nous, on n’est qu’ouvrières. » C’est cette utopie en marche que Mariana Otero filme en toute simplicité. Des salles de réunion aux ateliers de confection, des bureaux aux entrepôts, elle pose sa caméra, souvent en plan large. faisant feu de tout bois et cinéma de tout frémissement, elle laisse le champ libre aux échanges, et au labeur quotidien qui continue malgré tout. au fil des jours, se dessinent des personnalités fortes, la parole circule et des liens nouveaux se créent entre des gens qui jusque-là se disaient juste bonjour, bonsoir… «Pourquoi choisir la Scop? Parce que c’est nous, quoi… C’est nous quand même…» Et ce «nous» sonne comme une première victoire. Entre nos mains est un polar social à suspense, qui dégage une humanité forte et lance un message encourageant. WWW.MK2.COM
47 CINÉMA
SORTIE LE
06/10
Waking Sleeping Beauty 3 RAISONS D’ALLER VOIR LE FILM 1… Pour reconnaître le visage poupin de Tim Burton parmi le staff des dessinateurs. 2… Pour le léger pincement au cœur nostalgique devant les extraits de Rox et Rouky. 3… Pour le montage et la voix off un brin désuets : une reconstitution ton sur ton.
JUNGLE FEVER Un film de Don Hahn // Documentaire // Distribution : Walt Disney France // États-Unis, 2009, 1h26. Séance spéciale mardi 12 octobre à 20h au MK2 Hautefeuille
Avec Waking Sleeping Beauty, le producteur et réalisateur dON hAhN livre un documentaire pénétrant sur le virage amorcé par les studios Disney, vacillants, dans la fournaise des années 1980. _Par Stéphanie Alexe
En 1984, après une série d’échecs, les studios Disney touchent le fond du gouffre. Dans ce climat incertain, quatre des plus grands succès de l’histoire de l’animation voient le jour : La Belle et la bête, La Petite Sirène, Aladdin et Le Roi Lion. Le documentaire de Don Hahn, producteur desdits films, lève le voile sur cette volte-face. fort d’images d’archives tournées par John Lasseter (actuel PDg de Pixar), Hahn sort de l’ombre une meute de lions aux crocs acérés. Pour régner en maître, une seule loi : celle de la jungle. Le neveu vieillissant de Walt Disney, roy, lâche la bride. sur le quivive, deux félins téméraires, le futur patron de DreamWorks, Jeffrey Katzenberg, et Michael Eisner, au sommet du cheptel Disney de 1984 à 2005, se sautent à la gorge. L’importance de l’enjeu justifie la violence des échanges : tous les jalons du cinéma d’animation d’aujourd’hui – le numérique offre ses premières promesses – sont posés à cette époque charnière. L’issue du combat révèle trois mastodontes plutôt qu’un : Disney, Pixar et DreamWorks.
OCTOBRE 2010
dON hAhN Quand l’idée du documentaire a-t-elle germé en vous ? Lorsque je travaillais au sein des studios, l’idée d’en tirer un film ne m’a jamais effleuré. Aujourd’hui, vingt ans ont passé, les gens commencent à oublier. Certains ont disparu. C’était le moment ou jamais de replonger au cœur de ces années extraordinaires. Y avait-il la volonté d’insuffler un air de Dallas chez Disney ? Sous l’entité Disney, il y avait des hommes, ambitieux, avec de forts ego, mais des hommes avant tout. Nous étions très fiers d’appartenir à cette écurie. Mon but était de raconter leur histoire sous-jacente et de mettre en avant cette dimension humaine. D’où viennent les images d’archives que vous utilisez dans le documentaire ? Je savais que des images tournées par John Lasseter existaient, je suis allé les chercher. Nous avons téléphoné aux dessinateurs. Nous avons soulevé chaque pierre. Ce fut une véritable chasse au trésor pour finalement réunir ces 250 heures de rushes.
WWW.MK2.COM
48 CINÉMA
SORTIE LE
13/10
The Social Network 3 RAISONS D’ALLER VOIR LE FILM 1… Parce que les détails de la success story et des procès intentés à Facebook sont parfois mal connus. 2… Pour le jeune Andrew Garfield, remplaçant de Tobey Maguire dans le prochain Spider-Man. 3… Pour le retour au présent de David Fincher après sa fresque spatio-temporelle rabougrie, Benjamin Button.
LES AFFINITÉS ÉLECTIVES Un film de David Fincher // Avec Jesse Eisenberg, Andrew Garfield... // Distribution : Sony Pictures // États-Unis, 2010, 2h
Avec The Social Network, dAVId FINChER dramatise la naissance de Facebook dans une chronique technophile fluide et finement ciselée. _Par Clémentine Gallot
La scène d’ouverture en forme de joute verbale en dit long sur le terrain discursif qu’occupe ce film choral, conçu sous la houlette d’aaron sorkin. Le dialoguiste à la mitrailleuse substituait déjà la parole à l’action chez les communicants de la série The West Wing. Difficile de l’ignorer, The Social Network retrace l’élaboration de facebook, depuis les rangs d’Harvard jusqu’à la silicon Valley (2003-2005). Ce récit compact reprend la trame développée dans la biographie de Ben Mezrich (The Accidental Billionaires), restée non-officielle, le principal intéressé ayant refusé d’y prendre la parole. il serait vain de déduire de l’exposé de Mezrich le film de David fincher. Celui-ci multiplie au contraire les points de vue, alternant la perspective de l’antihéros, Mark Zuckerberg le jeune PDg de facebook, geek coincé et sans amis, et de ses détracteurs, Eduardo saverin le cofondateur du site, et deux jumeaux nantis, qui lui réclament des millions pour plagiat. La revanche
OCTOBRE 2010
pulsionnelle apparaît à l’origine de la création du réseau en ligne, alors que facebook s’imposera par la suite comme le grand lubrifiant social que l’on sait. sans l’ampleur de Zodiac, la plus accomplie des productions fincher, mais fort de son storytelling accrocheur, The Social Network navigue dans une tragédie romaine à laquelle se superpose l’ossature d’un film de procès, bâti sur des dépositions. styliste chevronné (Fight Club), le cinéaste américain adopte ici un rythme qui colle à son sujet glissant, épousant la vitesse d’exécution, l’accélération technologique. Les échos du tournage dessinent un autoportrait en creux de fincher en control freak obsessionnel, double déformé de son personnage. au bout du compte, cette variation biographique ne décode rien de l’énigme Zuckerberg. Mal ajusté à sa génération, celui qui, pourtant, la définit, s’évanouit dans les méandres de ce college movie désenchanté.
WWW.MK2.COM
49 CINÉMA
SORTIE LE
27/10
Vénus noire 3 RAISONS D’ALLER VOIR LE FILM 1… Pour voir Kechiche, chroniqueur acéré de la France contemporaine, se confronter à un épisode tragique de l’histoire de l’humanité. 2… Pour l’intelligence du propos et de la mise en scène, jamais voyeuriste. 3… Pour la performance de Yahima Torres, qui rejoint les grandes actrices du cinéma de Kechiche
TRANSFORMISME Un film d’Abdellatif Kechiche // Avec Yahima Torres, Andre Jacobs… // Distribution : MK2 Diffusion // France, 2009, 2h39
Déjouant les attentes de son cinéma, ABdELLAtIF KEChIChE transforme le destin romanesque de la « Vénus hottentote » en une fresque quotidienne sur l’horreur du spectacle. _Par Renan Cros
Film historique tourné en numérique, avec un casting international, Vénus noire est un pari osé dans le cinéma français contemporain. si on le savait capable du meilleur, on n’attendait peut-être pas de la part du réalisateur de L’Esquive un film aussi dur et cru. En racontant l’histoire de saartjie Baartman, phénomène de foire au XiXe siècle, martyre de la science et aujourd’hui devenue un symbole pour l’afrique du sud, Kechiche confronte son cinéma à l’horreur grimaçante du spectacle, non loin d’Elephant Man (Lynch) ou d’Une étoile est née (Cukor). fresque terrifiante sur un corps meurtri, Vénus noire surprend par les audaces et la cruauté de son propos. À rebours de ses précédents longs métrages, où les récits s’arrachaient du quotidien pour tendre vers le romanesque, Kechiche détourne la trajectoire romanesque de son héroïne au profit d’une forme plus quotidienne, mieux à même de raconter son calvaire. Lors de longues scènes de spectacles, la caméra de Kechiche s’at-
OCTOBRE 2010
tarde sur ces regards qui, des tavernes londoniennes à l’amphithéâtre du Pr Cuvier, de la solennité du tribunal au grotesque des soirées libertines, viennent se rassurer sur leur propre humanité. Pourtant, c’est bien dans le regard de saartjie que se niche celle du film. Encore une fois, Kechiche offre à une jeune actrice un rôle marquant, à la mesure de son talent.Yahima Torres donne à cette Vénus hors norme une douceur et une opacité mystérieuses. Mutique au milieu du chaos (comme l’adolescent de L’Esquive ou le père de La Graine et le mulet), elle hante les plans de son corps lourd et sensuel. Déjouant le voyeurisme de son sujet, le film redonne à saartjie toute sa complexité et sa dignité. Par le biais d’une mise en scène très musicale, oscillant entre transe et effroi, Kechiche dépasse le simple plaidoyer humaniste pour raconter avec tact et intelligence le destin d’une artiste que l’on n’a pas su regarder.
WWW.MK2.COM
50 CINÉMA
AGENDA SORTIES CINÉ 06/10 _Par J.R., I.D., S.A. et L.T.
SORTIES DU
MOI MOChE Et MéChANt de Pierre Coffin et Chris Renaud Avec les voix de Steve Carell, Jason Segel… Universal, États-Unis, 1h35
Vous allez adorer détester gru, un sale bonhomme prêt à voler la lune pour conserver son titre de « plus grand vilain de tous les temps »… Cruellement drôle et délicieusement insolent, ce petit bijou a été entièrement réalisé au sein du studio français Macguff.
tOUt VA BIEN, thE KIdS ARE ALRIGht de Lisa Cholodenko Avec Annette Bening, Julianne Moore… UGC, États-Unis, 1h46
Deux ados, conçus par leurs mères homos grâce à un don de sperme, décident de retrouver leur père biologique… Crise de la quarantaine, routine sexuelle, émancipation adolescente et homoparentalité, ce parfait feel good movie aborde les sujets graves avec humour et légèreté.
CAPtIFS de Yann Gozlan Avec Zoé Félix, Arié Elmaleh… Bac, France, 1h24
au terme d’une mission dans les Balkans, Carole et deux collègues médecins sont enlevés par un mystérieux gang. Emprisonnés dans les bois, ils découvrent les terribles intentions de leurs ravisseurs. un film d’épouvante qui ne fait pas dans la nuance.
13/10
SORTIES DU
LES RÊVES dANSANtS d’Anne Linsel et Rainer Hoffmann Documentaire Jour2fête, Allemagne, 1h29
En 2008, Pina Bausch crée Kontakthof avec des adolescents de plus de 14 ans : ses interprètes sont lycéens et n’ont jamais dansé. spectacle fascinant que celui de ces jeunes gens pudiques et maladroits confrontés par la danse à l’ambigüité des rapports hommes-femmes.
ILLéGAL d’Olivier Masset-Depasse Avec Anne Coesens, Esse Lawson… Haut et Court, Belgique-Luxembourg-France, 1h35
Tania et son fils, ivan, vivent illégalement en Belgique. Par crainte d’une arrestation, ils parlent en français plutôt qu’en russe. Leur vie bascule le jour du treizième anniversaire d’ivan... une plongée crue et poignante au cœur des centres de rétention de sans-papiers.
AU FONd dES BOIS de Benoît Jacquot Avec Isild Le Besco, Mathieu Simonet… Les Films du Losange, France, 1h 42
1865, dans un village du sud de la france, un étrange vagabond viole la fille de son hôte et s’enfuit avec elle. Quel lien unit Timothée et Joséphine ? Pourquoi ne se sauve-t-elle pas ? Est-elle possédée ou amoureuse ? D’après un fait divers réel.
dONNANt, dONNANt
ELLE S’APPELAIt SARAh
d’Isabelle Mergault Avec Daniel Auteuil, Sabine Azéma… Gaumont, France, 1h40
de Gilles Paquet-Brenner Avec Kristin Scott Thomas, Mélusine Mayance… UGC, France, 1h51
Criminel en cavale victime de troubles du langage, Constant atterrit sur la péniche de sylvia. La jeune pianiste lui propose un marché : il devra tuer la mère adoptive de sylvia pour que tous deux gagnent leur liberté.
Et AUSSI CEttE SEMAINE : LE PEtIt tAILLEUR de Louis garrel (lire l’entretien p. 6) ENtRE NOS MAINS de Mariana Otero (lire la critique p. 46) VOUS ALLEZ RENCONtRER UN BEL Et SOMBRE INCONNU de Woody allen (lire la critique p. 44) wAKING SLEEPING BEAUtY de Don Hahn (lire la critique p. 47) KABOOM de gregg araki (lire l’entretien p. 92)
OCTOBRE 2010
Journaliste américaine travaillant à Paris, Julia enquête sur les arrestations du Vel’d’Hiv quand son destin croise celui de sarah, une fillette arrêtée en 1942… Classique et lacrymal, le film questionne la conscience de chacun face au devoir de mémoire. Et AUSSI CEttE SEMAINE : JEAN-MIChEL BASQUIAt - thE RAdIANt ChILd (lire l’entretien p. 30) thE SOCIAL NEtwORK de David fincher (lire le portrait p.15 et la critique p.48)
WWW.MK2.COM
SORTIES DU
20/10
LES PEtItS MOUChOIRS de Guillaume Canet Avec François Cluzet, Marion Cotillard… Europacorp, France, 2h 25
Les vacances d’une bande de copains au Cap ferret, assombries par l’absence de l’un d’eux, hospitalisé à Paris. Petits arrangements avec la vie, blagues, rosé et rituels… Canet mêle malice et mélo dans un film générationnel, avec des acteurs au taquet.
PICtURE ME d’Ole Schell et Sara Ziff Documentaire Eurozoom, États-Unis, 1h22
Être mannequin, ce n’est pas si facile. Lorsque sa petite amie sara devient top, Ole décide de filmer les dessous chics du plus beau métier du monde. Mais de new York à Milan en passant par Paris, le vol en première s’avère moins planant que prévu.
dIVORCE À LA FINLANdAISE de Mika Kaurismäki Avec Anna Easteden, Elina Knihtilä… Kanibal, Finlande, 1h42
Juhani et Tuula décident de divorcer dans les règles de l’art – comprendre sans remous ni crises d’hystérie. Bien entendu, ça ne se passe pas exactement comme prévu. une comédie acide sur la fin du couple et… la vente du mobilier.
PARANORMAL ACtIVItY 2 de Tod Williams Avec Kathie Featherston… Paramount, États-Unis
gros mystère autour du nouveau Tod Williams, trois ans après le premier opus. La bande-annonce fait froid dans le dos : une chambre d’enfant, un berger allemand, l’image se brouille, la vidéo est brusquement coupée…
Et AUSSI CEttE SEMAINE : BIUtIFUL d’alejandro gonzález iñárritu (lire la critique p.16)
OCTOBRE 2010
WWW.MK2.COM
52 CINÉMA
AGENDA SORTIES CINÉ 27/10 _ Par S.A., C.D., C.G. et J.R.
SORTIES DU
thE AMERICAN d’Anton Corbijn Avec George Clooney, Thekla Reuten… Mars, États-Unis, 1h43
La nouvelle mission de Zack, tueur à gages de haute volée, l’attire dans un village pittoresque d’italie. Pour la première fois, Zack fait une entorse à ses principes et baisse la garde... Le réalisateur de Control attise habilement le feu sous la glace.
IL REStE dU JAMBON ? d’Anne Depetrini Avec Ramzy Bedia, Anne Marivin… Gaumont, France, 1h30
Justine Lacroix, pimpante journaliste, est cantonnée à la rubrique faits divers. suite à un reportage qui tourne mal, elle rencontre un séduisant médecin d’origine algérienne. Le couple ramzy-Depetrini concocte une comédie savoureuse, qui se joue des clichés.
LE ROYAUME dE GA’hOOLE de Zack Snyder Avec Emilie de Ravin, Helen Mirren… Warner, France-États-Unis, 1h30
Jeune chouette intrépide, soren met tout en œuvre pour libérer les gardiens, ces chouettes légendaires qui veillent sur leurs semblables du haut d’un arbre magique niché au milieu de l’océan, capturées par leurs pires ennemis, les Purs.
NOStALGIE dE LA LUMIÈRE de Patricio Guzman Documentaire Pyramide, Espagne-Chili, 1h30
Désert d’atacama, 3000 mètres d’altitude, tombée de la nuit. une foule d’astronomes s’apprête à plonger dans les étoiles. Mais à terre, la grande Histoire continue de se jouer… Proche de Chris Marker, l’auteur radiographie avec force l’après-Pinochet.
SORTIES DU
03/11 FAIR GAME de Doug Liman Avec Naomi Watts, Sean Penn… UGC Distribution, États-Unis, 1h46
L’histoire vraie de Valerie Palme, agent de la C.i.a. chargée de la non-prolifération d’armes en irak. une plongée au cœur des plus hautes sphères de l’état et dans l’intimité d’un couple ordinaire broyé par les rouages politiques de l’après 11-septembre : glaçant et réussi.
LA PRINCESSE dE MONtPENSIER de Bertrand Tavernier Avec Mélanie Thierry, Grégoire Leprince-Ringuet… StudioCanal, France, 2h10
La france du XVie siècle, déchirée par la guerre civile. La jeune Marie, mariée contre son gré, renonce à son amour d’enfance et devient le centre d’intérêt de tous les hommes qui l’approchent. un drame assez sage sur l’amour fou, d’après Madame de Lafayette
dES FILLES EN NOIR de Jean-Paul Civeyrac Avec Élise Lhomeau, Léa Tissier… Les Films du Losange, France, 1h25
Deux lycéennes annihilées par le mal-être assouvissent leur quête d’absolu dans une fascination macabre pour le suicide. Du marasme de leur relation vampirique subsiste un espoir : la passion de l’une d’elles pour la musique.Triste jeunesse dans un triste monde.
LE dERNIER VOYAGE dE tANYA d’Alexei Fedorchenko Avec Igor Sergeyev, Viktor Sukhorukov… Memento, Russie, 1h12
Le dernier voyage est celui d’une morte, accompagnée vers sa sépulture par son mari et un ami, selon les rites immémoriaux d’une tribu russe en train de disparaître, les Mérias. Cette ode poétique à la vie et à l’amour est un ovni sidérant.
Et AUSSI CEttE SEMAINE : VERY BAd COPS d’adam McKay (lire le portrait p. 28) VéNUS NOIRE d’abdellatif Kechiche (lire la critique p. 49 et le portrait p. 82)
OCTOBRE 2010
WWW.MK2.COM
54 CINÉMA
LES ÉVÉNEMENTS BASTILLE
BIBLIOTHÈQUE
HAUTEFEUILLE
ODÉON
QUAI DE LOIRE
BEAUBOURG
GAMBETTA
NATION
PARNASSE
QUAI DE SEINE
CINÉMA
PASSERELLES
FLASH-BACKS & PREVIEWS
LE DIALOGUE DES DISCIPLINES
MARdI 12 OCtOBRE - 20h30 / SOIRéE BREF Carte blanche au 25e festival européen du film court de Brest avec Ménage de Pierre salvadori, Kill the Day de Lynne ramsay, Smafuglar (Les Moineaux) de runar runarsson, Nue de Catherine Bernstein, Universal Spring d’anna Karasinska et Le Signaleur de Benoît Mariage.
JEUdI 7 OCtOBRE – 19h30 / LECtURE / CosmoZ de Claro. avec les éditions actes sud, rencontre-lecture avec l’auteur, suivie de la projection du Magicien d’Oz de Victor fleming, à 21h.
MARdI 12 OCtOBRE - 20h / Waking Sleeping Beauty de don hahn. Projection du documentaire événement sur l’histoire des studios d’animation Disney de 1984 à 1994, suivie d’une discussion entre le public et Jean-françois Camilleri, président de The Walt Disney Company france. Le film sort le 6 octobre en exclusivité au MK2 Hautefeuille. LUNdI 25 et MARdI 26 OCtOBRE – 21h / RdV dES dOCS / Le fond de l’air est rouge de Chris Marker. De Che guevara à rudi Dutscheke, de Lénine à Mao, Chris Marker propose une lecture de l’Histoire à travers un enchaînement d’images dont le sens peu à peu se dévoile. Le film sera projeté en deux parties, en présence de Luc Moullet (le 25) et Laurence Conan (le 26).
CYCLES LES ShAdES. Carte blanche au quintet, avec les films Ghostbuster d’i. reitman, I’m not There de T. Haynes, Down by Law de J. Jarmush et Young and Innocent d’a. Hitchcock. En matinée, les 9, 10, 16 et 17 octobre EN PLEINE NAtURE Tropical Malady de a. Weerasethakul, Last Days de g. Van sant, Le Nouveau Monde de T. Malick, Grizzly Man de W. Herzog, La Femme des sables de H. Teshigahara, The Shooting de M. Hellman, La Forêt de Mogari de n. Kawase, La Forêt d’émeraude de J. Boorman. Jusqu’au 31 octobre, les samedis et dimanches à partir de 10h30. ROMA ÆtERNA Amen de Costa-gavras, Le Ventre de l’architecte de P. greenaway, Fellini Roma de f. fellini, Il Divo de P. sorrentino, Il Sorpasso de D. risi, Gladiator de r. scott, Affreux, sales et méchants de E. scola et Nigth on Earth de J. Jarmusch. À partir du 6 novembre, les samedis et dimanches à partir de 10h30.
JUNIOR MERCREdI 3 NOVEMBRE / 10h30 / LECtURES POUR LES 3-5 ANS. Ce mois-ci, nous irons à la pêche ! inscription gratuite au préalable à la librairie ou par téléphone (01 44 52 50 70) auprès de Mélanie et sophie.
LUNdI 18 OCtOBRE – 20h30 / CARtE BLANChE À BERtRANd BELIN. Miniconcert suivi de la projection de Dernier Maquis de rabah ameur-Zaïmeche, choisi et présenté par le musicien. JEUdI 21 OCtOBRE – 19h30 / LECtURE / Open Space de Patrick Bouvet. avec la collection Extraction des éditions Joca seria, rencontre-lecture avec l’auteur suivie de la projection de THX 1138 de george Lucas, à 21h. VENdREdI 22 OCtOBRE - 19h30 / RENCONtRE / Pierre Znamensky. avec les éditions du rouergue, rencontre autour de l’ouvrage Sous les plis du drapeau rouge (photos de guy gallice). Objet symbolique du communisme, le drapeau rouge a donné lieu à des expressions artistiques remarquables, de Chagall à Malevitch en passant par rodchenko… SAMEdI 23 OCtOBRE - 11h30 / CINé-Bd / La Mort de Staline, tome 1 de Fabien Nury et thierry Robin. Dans cet album éblouissant, les auteurs dressent le portrait d’une dictature plongée dans la folie pendant les deux jours qui suivirent l’attaque cérébrale de staline. film à définir. 25 tickets de dédicace distribués au moment de l’achat de votre place de cinéma. JEUdI 28 OCtOBRE – 19h30 / SOIRéE ZéRO dE CONdUItE / Mer fantastique. avec les éditions attila, autour de La Barque de nuit de gilbert Dupé, La Chose dans les algues de William Hodgson (Terre De Brume), Les Robinsons de la mer de Maurice Champagne, Romantisme des mers imaginaires de Pierre Mac Orlan (arléa) et En remorquant Jehovah de James Morrow (au Diable Vauvert). insc. au 01 44 52 50 70. JEUdI 4 NOVEMBRE - 19h30 / LECtURE / Les Invisibles. avec les éditions de l’atelier, rencontre-lecture avec l’écrivain et cinéaste gérard Mordillat et le photographe Joël Peyrou, suivie de la projection du film Y aura-t-il de la neige à Noël ? de sandrine Veysset, à 21h.
T o u t e l a p r o g r a m m a t i o n s u r m k2 . c o m OCTOBRE 2010
WWW.MK2.COM
UVREZ DÉCO ÉMA IN C LE DANS N E M T AUTRE K2 ! M LLES LES SA
FOCUS CARtE BLANChE À BERtRANd BELIN À l’occasion de la sortie de son ÊlÊgant troisième album, Hypernuit (Cinq7), le MK2 Quai de seine reçoit Bertrand Belin pour une programmation au diapason de l’homme, empreinte d’une poÊsie à double tranchant. Le 18 octobre, pour la soirÊe d’ouverture, le musicien donnera un concert acoustique suivi de la projection de Dernier Maquis, en prÊsence du rÊalisateur rabah ameur-Zaïmeche. L’Êpure sera la pierre angulaire d’un cycle tournÊ vers des cinÊastes qui dissimulent une œuvre sensible sous un habit d’humilitÊ. Trois autres rÊalisateurs ayant nourri l’œuvre de Bertrand Belin complÊteront la sÊlection. On pourra notamment (re)dÊcouvrir Le Dernier des Fous de Laurent achard, un film d’une noirceur intacte, sobre et sans apparat. Le Canadien guy Maddin, rÊcemment cÊlÊbrÊ à Beaubourg, insufflera une tonalitÊ plus onirique avec The Saddest Music in the World. Le deuxième film de la jeune rÊalisatrice amÊricaine Kelly reichardt, Old Joy, bouclera le cycle : le dÊnuement en guise de dÊnouement. _S.A.
Carte Blanche à Bertrand Belin, le 18 octobre à 20h30, ainsi que les 23 et 24 octobre et 6 et 7 novembre en matinÊe au MK2 Quai de Seine. Plus d’infos sur mk2.com
PREMIERS ÊCLAtS Pendant les vacances de la Toussaint aura lieu la sixième Êdition de Mon Premier festival, organisÊ par la Mairie de Paris et dÊdiÊ aux cinÊphiles en herbe. PlacÊ sous le parrainage de la jolie fÊe Marina foïs, le festival aura cette annÊe pour thème les Êclats de rire. au MK2 Quai de seine ainsi que dans neuf autres salles de la capitale, les petits vont pouvoir regarder en s’amusant. avant-premières, cinÊ-concerts, hommage à Louis de funès et fenêtres sur le cinÊma britannique, il y en aura pour tous les goÝts et pour tous les âges. L’occasion de dÊcouvrir Jacques Tati (Mon oncle), Laurel et Hardy ou encore les films de Blake Edwards (La Panthère rose, The Party). Et si le jeune public se sent l’âme artiste, il pourra mettre la main à la pâte lors d’ateliers cinÊma. Des vacances animÊes en perspective‌ _L.T.
Mon Premier Festival, du 27 octobre au 2 novembre. À partir de 2 ans, minitarif de 4 ₏ la sÊance. Plus d’infos sur www.monpremierfestival.org
OCTOBRE 2010
WWW.MK2.COM
Š Gustavo Minas/LatinContent/Getty Images
CONCERTS
56 SORTIES EN VILLE
JOJO À GOGO Jonathan Richman, modern crooner Entre one-man show poÊtique et juke-box rock’n’roll, l’un des fondateurs du punk-rock new-yorkais, le polyglotte et lunaire JONAthAN RIChMAN, passe chanter ses classiques et nous enchanter. Rendez-vous à Jonathan. _Par Wilfried Paris
S’il y a un concert annuel à ne pas manquer, c’est bien celui de Jonathan richman, bientôt soixante ans, mais à jamais enfantin, depuis son Êmerveillement pour le Velvet underground, dont il reprendra les suites de trois accords avec ses Modern Lovers (produits dès 1972 par John Cale) le faisant parrain du punk-rock, avant une carrière solo singulière et prolifique de fou (lÊger) chantant et dansant ses ballades acoustiques et sentimentales, tendres ou tristes, jamais vraiment naïves. Tel Harpo Marx jouant pour la lune, guitare nylon coincÊe sous le coude, pour mieux la prendre soudain par la main et la transformer en partenaire de petits pas de danse, chorÊgraphies dÊlicatement clownesques, de dÊhanchements minimalistes comme des haïkus, reproduisant succinctement les contorsions sexuelles des plus belles incarnations pop (Elvis, Michael), Jonathan richman sur scène est autant un corps qu’une voix, rocailleuse avec l’âge, mouvante selon les personnages, changeante selon les paysages : de l’anglais natif à l’espagnol langoureux, en
OCTOBRE 2010
passant par l’italien chantant ou le français maladroit, pour une reprise toujours attendue d’un J’aime Paris au mois de mai, solaire, aÊrienne, ravissante. Jojo ravit fans et profanes en faisant de ses concerts des performances poÊtiques oÚ ses standards (Roadrunnner, I Was Dancing in the Lesbian Bar, Egyptian Reggae) sont dÊcousus en petits soli de guitare, digressions complices, Êchanges amusÊs avec son accompagnateur fidèle, Tommy Larkins, à la batterie sommaire. Le public rit et chante en chœur, fait ses requêtes, toujours acceptÊes, rappelle trois fois le troubadour qui finalement salue comme un concertiste, la main sur le cœur, avant de revenir l’annÊe suivante, pour le même concert ou presque, un enchantement renouvelÊ, une parenthèse enchantÊe. Tout le monde aime Jojo. Le 13 octobre à La Boule Noire, dès 19h30, 23 ₏
WWW.MK2.COM
D.R.
L’OREILLE DE‌ LISA LI-LUND
ZOMBIE ZOMBIE JOUE JOHN CARPENTER Ă€ LA FONDATION AGNĂˆS B. ÂŤ Quand les deux Zombie Zombie s’approprient la musique de mes films d’horreur prĂŠfĂŠrĂŠs, c’est tout en justesse, les thèmes restent les mĂŞmes, les intentions sont prĂŠservĂŠes, ils ne changent pas des morceaux dĂŠjĂ si bien pensĂŠs. ils y apportent simplement leur jeu, leurs machines et leur feu. La dernière fois qu’ils ont prĂŠsentĂŠ l’album, j’en suis ressortie couverte de bleus et la voix cassĂŠe. n’y voyez aucune flatterie. Je suis fan, Ă mort. Oops, j’oubliais, le concert est “privĂŠâ€?‌ Âť _Propos recueillis par W.P.
Le 14 octobre à la Fondation Agnès B, soirÊe privÊe. 1992 de The Big Crunch Theory et Zombie Zombie plays John Carpenter (Versatile/Module, albums dÊjà disponibles)
AGENDA CONCERTS
_Par W.P.
1 GRINdERMAN Voodoo-punk ou blues du bayou brÝlant, le flamboyant nick Cave et ses nouvelles mauvaises graines (dont Warren Ellis à la guitare pyromane) devraient mettre le feu à la CitÊ de la Musique. Hot. Le 26 octobre à la CitÊ de la musique, dès 20h, 45 ₏
2 BIG BOI sans son pote andrÊ 3000 mais aurÊolÊ de la sortie d’un des meilleurs albums hip-hop de 2010 (Sir Lucious Left Foot:The Son of Chico Dusty, chez Def Jam), l’alter du duo Outkast vient dropper un vrai live avec un vrai band, entre P-funk et g-funk, Dirty south et hip-hop hydraulique. The game. Le 5 novembre à l’ÉlysÊe-Montmartre, dès 18h30, 39,90 ₏
3 YOUNG MAN Ce jeune homme est passÊ de la musique de chambre (garageBand et Youtube) à un E.P. en bonne et due forme (Boy), jolie copie presque conforme des cÊlÊbrations primitives d’animal Collective, ses maÎtres dÊjà anciens. Le 6 novembre à La Boule Noire, dès 20h, 22 ₏
4 GORILLAZ Le combo pop-plastique de Damon albarn passe du virtuel animÊ à la rÊalitÊ augmentÊe d’invitÊs prestigieux (Bobby Womack, De La soul, Kano, le syrian national symphony Orchestra, entre autres), pour deux soirÊes au sommet. Les 22 et 23 novembre au ZÊnith, dès 18h30, 61,50 ₏
OCTOBRE 2010
Š Zouzou Auzou
CLUBBING
58 SORTIES EN VILLE
Rosa Bonheur
L’ÉTÉ INDIE Rosa Bonheur et le Pavillon du Lac Pour prolonger l’ÊtÊ, le parc des Buttes-Chaumont offre une alternative chaleureuse au clubbing industriel ou aux boÎtes sÊlectes des beaux quartiers avec la guinguette du ROSA BONhEUR et le PAVILLON dU LAC, qui rÊussissent à donner à Paris des airs de Sud. _Par Violaine Schßtz
Ce fut l’un des secrets clubbing les mieux gardÊs de Paris, à son ouverture il y a deux ans, avant de devenir un trÊsor de plus en plus partagÊ. Quand la nuit tombe et que les portes du jardin des ButtesChaumont se ferment, on peut encore y entrer en se prÊsentant aux grandes grilles situÊes près de la station de mÊtro Botzaris, et en prononçant les mots rosa Bonheur  au portier. un nom aux intonations communistes (on pense à rosa Luxembourg) qui s’expliquent par le dessein social qui a animÊ la crÊation de cette guinguette. C’est Christophe Vix-gras, prÊsident de l’association Technopol, Michelle Cassaro (dite Mimi) et Zouzou, deux ex du Pulp, qui ont reconverti une vieille gargote nÊe avec le parc et dÊlabrÊe en  cafÊ, restaurant et lieu de vie pour tous. L’idÊe venait de la Ville de Paris qui souhaitait un endroit ouvert à un large public. On peut ainsi savourer charcuterie et lÊgumes bio ou danser sur des tubes pas Êlitistes pour un sou. On vient pour faire la fête avec les autres et se mÊlanger ou, dans la journÊe, pour des expos, concerts ou tournois de pÊtanque. OCTOBRE 2010
faisant Êcho au succès de ce nouveau clubbing dÊcomplexÊ, un petit nouveau a fait surface en juin dernier, le Pavillon du Lac, tenu par Patricia Laloum et MÊziane azaïche (Cabaret sauvage, ZÊphyr). si l’attente y est un peu longue et l’addition un brin ÊlevÊe, l’endroit bÊnÊficie d’un cadre unique : il est l’un des six pavillons napolÊon iii datant de l’inauguration du parc des Buttes-Chaumont en 1867. Longtemps très couru, le lieu avait fini par pÊricliter et Êtait à l’abandon depuis quinze ans. aujourd’hui, on profite à nouveau de ses verrières avec immersion au milieu des feuillages des arbres, qui surplombent le lac, pour voir un concert ou se laisser croire que Paris est une fête, un bal, une cabane au fond du jardin. Rosa Bonheur, toute l’annÊe, du mercredi au dimanche de midi à minuit Le Pavillon du Lac, toute l’annÊe, du mardi au samedi de 9h à minuit, le dimanche de 9h à 22h
WWW.MK2.COM
Š RaphaeĚˆl Neal
LES NUITS DE‌ WAGNER
 En attendant ma prochaine prestation en live à Paris dans le magnifique thÊâtre Le Trianon avec goldfrapp, une fête dans un autre thÊâtre, car tous les clubs en sont un [Wagner prÊpare une thèse à la Sorbonne sur l’histoire des night-clubs, ndlr] : le social Club, pour la nouvelle soirÊe de lancement du Grab Bag E.P. de deBonton. Des disques, de la nuditÊ et un dancefloor oscillant entre le glacial et le brÝlant. Ce sont les contrastes qui font la musique, et la musique qui fait la nuit‌ ça, l’alcool, la fille et les copains.  _Propos recueillis par V.S.
DJ set le 13 octobre au Social Club, avec Dye, Rikslyd et deBonton, dès 23h, 5 ₏ avec compilation gratuite
AGENDA CLUBBING
_Par V.S.
1 LA NUIt FAtALE La tendance est au burlesque, y compris dans le clubbing. La nuit fatale du Paris Burlesque festival à la Bellevilloise propose du punk et du garage, des numÊros de Kitten de Ville, Miss glitter Painkiller, Cherry Lyly Darling‌ ainsi qu’un live des sulfureux rikkha. Le 9 octobre à la Bellevilloise, de 22h à 6h, 13,70 ₏
2 APÊRO VINtAGE dE BORdEAUX La formule qui a enivrÊ les amateurs des trois premières Êditions des aVB : un bar branchÊ, des concerts (ce soir-là de l’indie rock de goÝt servie par Oh! Tiger Mountain et franz is Dead), des selectors et surtout le verre de (très bon) vin à 2 ₏. Le 12 octobre à l’Entrepôt, dès 19h, entrÊe libre
3 PROJEt 1051 nous en parlions il y a quelques mois dans ces pages, Le Batofar se jette dans le bain numÊrique avec une soirÊe mêlant rap (La Caution, Cuizinier, Orgasmic, Phon.O) et art du VJing (le collectif berlinois Transforma). Transgenre et prometteur. Le 15 octobre au Batofar, dès 23h, 11,60 ₏
4 FELA dAY tRIBUtE tO FELA ANIKULAPO KUtI alors que la pop ne jure que par l’afrobeat, quelques jeunes pousses et d’anciens compagnons de route rendent hommage au maÎtre du genre fela Kuti. ses tubes seront repris par des artistes aux noms aussi dÊlicieusement exotiques que shakara, Dele sosimi ou Kiala. Le 16 octobre à la Machine, dès 22h, 28 ₏
OCTOBRE 2010
Š Centre Pompidou, G. Meguerditchian
EXPOS
60 SORTIES EN VILLE
FRĂˆRES D’ART Saâdane Afif Ă Beaubourg Le laurĂŠat 2009 du prix Marcel Duchamp propose son Anthologie de l’humour noir dans l’Espace 315 du Centre Pompidou. Un rite initiatique aux airs de rite funèbre‌ _Par Anne-Lou Vicente
Mardi 14 septembre 2010, 19h. Le lieu est comble. Difficile de se frayer un chemin parmi la foule venue vernir l’exposition de saâdane afif, laurÊat du prestigieux prix Marcel Duchamp, dÊcernÊ chaque annÊe à un artiste français pendant la fiac. adepte de la vanitÊ, l’artiste a fait fabriquer un cercueil de deux mètres de long reprenant la forme du Centre Pompidou, trônant au centre de l’Espace 315. autour de cet objet Êtrange conçu par un artisan ghanÊen, plusieurs bornes cylindriques en fonte d’aluminium constituent des rÊpliques du mobilier urbain en pierre qui entoure la piazza du Centre Pompidou, ainsi mise en abÎme. La dimension de place publique prit toute son ampleur lorsque, le soir du vernissage, deux acteurs, l’un francophone et l’autre anglophone, montèrent à tour de rôle sur ces bornes pour dÊclamer les quinze textes – en rÊalitÊ des paroles de chansons – que saâdane afif commanda à quinze personnalitÊs diffÊrentes – artistes, Êcrivains et critiques d’art –, une pratique rÊcurrente dans l’œuvre d’afif qui se plaÎt à brouiller la notion d’auteur et à saper l’univocitÊ de l’œuvre.
OCTOBRE 2010
Lisibles – sur fond noir Êvidemment – sur les murs qui encadrent ce dÊcor à la fois urbain et thÊâtral, ils forment une Anthologie de l’humour noir, clin d’œil à andrÊ Breton, figure du dadaïsme et du surrÊalisme, avant-gardes auxquelles prit d’ailleurs part un certain Marcel Duchamp. C’est au Centre Pompidou qu’à l’âge de douze ans, saâdane afif dÊcouvrit l’art.  À l’Êpoque, tout le projet des architectes Rogers et Piano fonctionnait à plein, c’Êtait très ouvert , se souvient l’artiste, un brin nostalgique d’un temps oÚ la libertÊ d’expression Êtait au centre. aussi, à l’occasion de son entrÊe au temple , remet-il la/les parole(s) au cœur de cette piazza symbolique oÚ l’on circule avec l’espoir que de brillantes utopies – artistiques, sociales, politiques – soient encore de ce monde.
Anthologie de l’humour noir, jusqu’au 3 janvier au Centre Pompidou, Espace 315, tous les jours sauf mardi de 11h à 21h
WWW.MK2.COM
D.R.
LE CABINET DE CURIOSITÉS
CUTLOG nÊe l’an dernier, Cutlog est l’une des plus jeunes foires d’art contemporain qui, à l’instar de ses consœurs slick, show Off ou encore la petite dernière access & Paradox, profitent de l’aura de la vÊtÊrante foire internationale d’art contemporain (fiac) pour appâter les collectionneurs. Pour sa part, elle a Êlu domicile dans le lieu atypique qu’est la Bourse du commerce, et mise sur la crÊation Êmergente en prÊsentant une trentaine de galeries venues d’Europe, mais aussi du Japon ou des Êtats-unis. _A.-L.V.
Du 21 au 24 octobre Ă la Bourse du commerce de Paris, www.cutlog.org
AGENDA EXPOS
_Par A.-L.V.
VINCENt GANIVEt Cultivant l’esthÊtique du chantier, les sculptures de Vincent ganivet reposent sur une dialectique combinant construction et effondrement. La prÊcaritÊ des architectures qu’il conçoit à partir de matÊriaux bruts les renvoie à leur potentialitÊ de ruine. Jusqu’au 11 dÊcembre à La MarÊchalerie, 5 avenue de Sceaux, 78000 Versailles
ĂŠRUdItION CONCRĂˆtE 3 Troisième et dernier volet du cycle d’expositions Érudition concrète de guillaume DĂŠsanges, Les Vigiles, les menteurs, les rĂŞveurs rĂŠunit des Ĺ“uvres qui observent le monde et son histoire pour mieux les donner Ă voir et/ou les dĂŠplacer. Jusqu’au 16 novembre au Plateau, place Hannah-Arendt, 75019 Paris
JULIEN BAEtE repÊrÊ au dernier salon de Montrouge, Julien Baete revient en force et nous embarque dans le nouvel espace du Commissariat avec L’Arabie Saoudite quitte l’Opep, un titre en forme d’intox aussi dÊroutant que prometteur. Jusqu’au 23 octobre au Commissariat, 113 boulevard Richard-Lenoir, 75011 Paris
OCTOBRE 2010
Š Ted Dottavio
SPECTACLES
62 SORTIES EN VILLE
GIRL POWER Le cabaret new burlesque Après la promo d’enfer que leur a assurĂŠe le film de Mathieu Amalric, les wonder women de TournĂŠe dĂŠbarquent en rĂŠgion parisienne et popularisent le genre new burlesque. _Par Ăˆve Beauvallet
Les showgirls du film TournÊe en live sans Mathieu Amalric, sans sa coolitude ÊtudiÊe, sa barbe irritante et sa french touch auteuriste ? Ça marche encore ?  Ça marche surtout! diront ceux qui, du film, ont plutôt retenu les filles. ils seront sans doute ravis de voir les dÊcomplexÊes Mimi Le Meaux, Kitten on the Keys, roky roulette, Dirty Martini, Julie atlas Muz et Evie Lovelle dÊbarquer en os, et en surtout en chair, à la ferme du Buisson pour un cabaret 100% new burlesque (amalric, cependant, ne sera pas loin, avec des bouts du film qui furent coupÊs au montage). session de rattrapage pour ceux qui roupillaient au moment de la sortie de TournÊe : le new burlesque, jusqu’alors plus connu outre-atlantique, c’est en quelque sorte les battements de cils ÊnamourÊs de Dita Von Teese, mais en plus punk, plus trash, plus gros, bref plus underground. soit une forme de show qui vire parfois au strip-tease, assurÊ par des femmes (et quelques
OCTOBRE 2010
hommes) non photoshopÊes, qui prÊfèrent l’exubÊrance kitsch au prêt-à -exciter habituel. Pourquoi new ? Parce qu’avant que ces numÊros s’offrent une seconde jeunesse à partir des annÊes 1980, il y eut un burlesque tout court, et même une reine du genre nommÊe Valeska gert, danseuse culottÊe en diable qui dÊgommait les mœurs dans le Berlin des annÊes 1920. Depuis, l’effeuillage burlesque, en dÊsamorçant la question du dÊsir, est devenu le terrain de jeu du fÊminisme postsoixante-huitard. au programme, collages d’influences bariolÊes, de Jessica rabbit à la foire du Trône, en passant par les girls des saloons et les icônes rockabilly.
Le cabaret new burlesque invite Mathieu Amalric Le 16 octobre à la Ferme du Buisson, dans le cadre du festival Temps d’images, www.tempsdimages.eu Et du 27 dÊcembre au 15 janvier au thÊâtre de la CitÊ Internationale, www.theatredelacite.com
WWW.MK2.COM
Š Hugo Glendinning
LE SPECTACLE VIVANT NON IDENTIFIÉ
THE THRILL OF IT ALL Vous voulez vous affranchir des ressorts attendus du spectacle ? foncez sur la dernière crÊation de forced Entertainment. Depuis 20 ans, à la pointe de l’avant-garde, ce collectif britannique dÊgoupille le grand divertissement et en pervertit les mÊcanismes. si le visage et les costumes des performers s’offraient jusque-là les artifices les plus outranciers, leurs voix Êtaient toujours restÊes authentiques. Ce temps est rÊvolu : distorsion et exagÊration des voix poussent ici l’aliÊnation de l’individu aux frontières de la comÊdie musicale et du film d’angoisse. _E.B.
Du 6 au 9 octobre au Centre Pompidou, dans le cadre du Festival d’Automne à Paris, www.festivalautomne.com
AGENDA SPECTACLES
_Par E.B.
1 ShAKE thAt dEVIL ! Pour l’ouverture de saison du nouveau rÊseau CDC i le-de-france, carte blanche à ÊtÊ donnÊe au très douÊ alban richard qui a imaginÊ pour l’occasion une soirÊe noire : fantômes shakespeariens, thÊâtre nô, meurtres et sang façon Dickinson‌ Le tout, le temps d’une balade en bus. Les 8 et 9 octobre au Regard du cygne, www.leregarducygne.com
2 BOXE, BOXE De la boxe chahutÊe par le hip-hop, donnÊe sur du ravel, Debussy ou Philippe glass, c’est en bref ce que propose la dernière crÊation du chorÊgraphe Mourad Merzouki et de sa compagnie, Käfig. soit un jeu de jambes offensif entre ring et plateau, duel et duo. sans esquiver la virtuositÊ. Du 12 au 16 octobre à la maison des Arts de CrÊteil, www.maccreteil.com
3 ChRIStIAN LARtILLOt : dANSEURS, PORtRAIt Et MOUVEMENt Les Êtoiles et premiers danseurs de l’OpÊra national de Paris ont posÊ devant l’objectif du photographe Christian Lartillot. Le choix du costume et de l’action Êtait libre. Dommage pour certains, mais pas pour nicolas Le riche qui, sortant de la po se obligÊe, se laisse saisir en pleine course, torse nu et en pantalon de ville. Ça vaut le coup d’œil. Du 19 octobre au 20 novembre à la Gallery S. Bensimon, 111 rue de Turenne, 75003 Paris
OCTOBRE 2010
Š Bruno Verjus
RESTOS
64 SORTIES EN VILLE
FOODFATHER Yves Camdeborde au Comptoir Balade germanopratine au fil d’une cuisine de suavitÊs : YVES CAMdEBORdE, incontournable chef du restaurant Le Comptoir, en leçon de convivialitÊ et d’hÊdonisme. _Par Bruno Verjus (www.foodintelligence.blogspot.com)
Depuis sa terrasse d’osier et de verre, Le Comptoir tutoie l’hôtel relais saint-germain, tandis qu’alentour les façades font de l’œil à ce havre de mets. La chaude lumière de sa salle à manger brille comme un falot dans la nuit. nombreux, les clients papillonnent et s’agglutinent ici dans l’espoir de dÊcrocher, à toute heure, une table en terrasse ou, mieux encore, un dÎner. Yves Camdeborde possède la faconde des jours heureux. La bonhomie majestueuse de ceux qui font bon.  Tout ce que j’ai toujours cuisinÊ dans la vie, c’est ce que j’avais envie de manger.  Voilà pour l’âme ! C’est au ritz, puis au Crillon à Paris, que naÎt la passion d’Yves Camdeborde pour le mÊtier, grâce à son  père spirituel , le chef Christian Constant. En 1992, lorsqu’il achète La RÊgalade avec sa femme Claudine, il rêve d’un restaurant oÚ manger se conjugue avec  qualitÊ, quantitÊ et bien boire . Pour cela, il invente le menu-carte, dÊsormais recette à succès. avec Le Comptoir, il inaugure la brasserie-bistrot contem-
OCTOBRE 2010
poraine. L’on y dÊvore à toute heure une carte canaille ou sage. L’aide prÊcieuse des producteurs sÊlectionnÊs par Terroirs d’avenir offre, en saison, les beaux lÊgumes d’i le-de-france – cresson de MÊrÊville, asperge d’argenteuil ou pissenlit de Montmagny. La charcuterie arrive en direct de la rue gachet à Pau, oÚ le frère d’Yves, Philippe, façonne terrines, boudins et saucisses. Le raffinement des plats, comme la soupe glacÊe de betterave et œufs de poisson volant, n’a d’Êgal que sa gourmandise.  La cuisine, c’est seulement 30 % de la rÊussite d’un restaurant, 50 % c’est le service. L’ambiance fait le reste , aime à rÊpÊter Yves Camdeborde. au Comptoir, le plaisir abandonne toute idÊe de pourcentage et rÊveille l’appÊtit. ThÊophile gautier rôde : Moi le matin ce qui m’Êveille, c’est que je rêve que j’ai faim. 
Le Comptoir, 9 carrefour de l’OdÊon, 75006 Paris. TÊl. 01 43 29 12 05
WWW.MK2.COM
Š Claire Cuinier
LE PALAIS DE‌ M-JO
LA JAVA Je n’habite plus à Paris mais lorsque j’y reviens, je file dans le 20e, je dÎne bon et pas cher dans un des restos vietnamiens de Belleville et je m’installe à la Java, bar et salle de concerts oÚ il fait bon se restaurer de nourritures moins terrestres mais tout aussi savoureuses : concerts intimistes, soirÊes plus ÊpicÊes façon clubbing, il y en a pour tous les goÝts. Les patrons sont adorables et chaque premier jeudi du mois, les artistes du label Les Disques Bien montent sur scène dans une ambiance chaleureuse et dÊcontractÊe. un bien bon dessert !  _Propos recueillis par L.T.
La Java, 105 rue du Faubourg-du-Temple, 75010 Paris. TĂŠl. 01 42 02 20 52 Mes propriĂŠtĂŠs de M-Jo (Les Disques Bien, album disponible le 28 octobre). M-JO en concert le 4 novembre Ă la Java
OĂ™ MANGER APRĂˆS‌ _Par B.V.
AU FONd dES BOIS au Grand Pan, pour retrouver la vĂŠritable nature des choses. ici, les produits sont traitĂŠs avec grand respect et la nourriture foisonne dans les assiettes. goĂťts naturels et saveurs enjouĂŠes, ne restons pas de bois ! Le Grand Pan, 20 rue Rozenwald, 75015 Paris. TĂŠl. 01 42 50 02 50
LES PEtItS MOUChOIRS au cafÊ comptoir Aux Deux Amis, pour s’y retrouver en bande de copains et dÊvorer à belles dents l’amitiÊ et quelques tapas, comme cet exceptionnel jambon ibÊrique de salamanque et amandes à peine grillÊes, autour de vins nature. Aux Deux Amis, 45 rue Oberkampf, 75011 Paris. TÊl. 01 58 30 38 13
thE SOCIAL NEtwORK Chez Playtime, pour se retrouver entres amis. ici, le design 50s et 60s nous rÊvèle une rÊalitÊ gourmande. Le menu du midi à 17 ₏ reste une affaire, à l’instar de ses frais rouleaux de printemps ou crousti-fondants aux travers de porc, qui feront buzzer les geeks. Playtime, 5 rue des Petits-Hôtels, 75010 Paris. TÊl. 01 44 79 03 98
OCTOBRE 2010
66 LA ChRONIQUE DE
Š Nicolas Guerin
MœBIUS MANO A MANO
Dessinateur prolifique, Jean Giraud, alias MœBIUS, est un peu plus qu’un monstre sacré : en mutation constante, son œuvre bicéphale concilie western et science-fiction, bande dessinée et cinéma, grand public et underground. Tandis qu’il investit la Fondation Cartier à l’occasion de l’exposition Transe-Forme, et que CinéCinéma lui consacre un cycle rétrospectif, l’artiste nous a reçus chez lui, évoquant ses envies et ses cheminements, où l’organique le dispute au spirituel, la maîtrise à l’improvisation. _Propos recueillis par Joseph Ghosn (www.gqmagazine.fr) et Auréliano Tonet
70 MĹ’BIUS
 ENFANT, J’AVAIS DEUX MAISONS, DEUX FAMILLES, ISSUES DE DEUX CLASSES SOCIALES DIFFÉRENTES. J’AI TOUJOURS LOUCHÉ. 
V
ous êtes nÊ à Nogent-sur-Marne. Nous sommes ici dans votre atelier, à Montrouge. Qu’est-ce qui sÊpare ces deux lieux ? J’ai grandi à fontenay-sous-Bois, mais j’ai pas mal circulÊ. Dans le sud de la france, le centre, à Tahiti, à L.a. En fait, depuis tout jeune, mon endroit d’adoption, c’est Montparnasse, la Coupole. Dans les annÊes 1960, je descendais en bagnole y retrouver ma bande de copains. C’Êtait bien moins calme qu’aujourd’hui.
À quel âge commencez-vous à dessiner ? À 15 ans, j’ai vendu ma première histoire dans un journal. Je suis allÊ l’acheter, puis j’ai dit à la bonne femme qui Êtait là en train de tricoter :  Regardez, c’est moi qui ai fait ça !  C’Êtait une sorte d’avatar de Lucky Luke, un western. Le gars qui dirigeait le journal m’a dit : Toi, n’essaie pas de faire de la bande dessinÊe rÊaliste, ton truc, c’est l’humour. il a fini par avoir raison parce que j’ai publiÊ rÊcemment ma première BD d’humour, qui s’appelle Inside Mœbius. il a fallu que je me rode. C’est un vrai mystère, l’humour. Dans ma nouvelle BD, Arzak T1, une histoire de science-fiction rÊaliste, il y a plein de sourires en coin, au dÊtour d’une page, d’une case. C’est de l’humour clandestin, de contrebande. Pourquoi, jeune dessinateur, vous tournez-vous spontanÊment vers le western ? Tous les gamins qui avaient 7-8 ans au moment de la LibÊration, comme moi, ont vu dÊbarquer les westerns, les sÊries B. Quand j’Êtais à l’Êcole, mes cahiers de brouillon Êtaient emplis de petits dessins : bottes, mÊchants, cavalcades, j’Êtais un vrai fÊtichiste
OCTOBRE 2010
du western. Plus tard, j’ai creusÊ le contexte politique, civilisationnel du western. Des questions restÊes sans rÊponse : pourquoi le western rÊsiste-t-il en france alors qu’il a disparu partout ailleurs ? C’est presque la synthèse entre le village d’astÊrix et la conquête de l’Ouest. Êtiez-vous dÊjà lecteur de science-fiction ? Enfant, j’ai lu Les Pionniers de l’espÊrance de façon frontale, sans mettre de nom dessus. Je ne savais pas qu’il s’agissait de science-fiction. La sf est devenue quelque chose d’important pour moi à partir du moment oÚ j’ai vu Planète interdite et oÚ j’ai lu La Faune de l’espace, un roman de Van Vogt qui m’a bouleversÊ. Vous avez ÊtudiÊ l’art tout en ayant pour projet de devenir dessinateur de Bd‌ J’Êtudiais dans une Êcole afin de perfectionner mon dessin. J’y apprenais la tradition plastique occidentale, très rigoureuse, d’après modèle. Mon projet Êtait de constituer un rÊservoir d’images que je pourrais utiliser pour mes dessins d’imagination. D’un côtÊ, l’apprentissage d’une expression contemplative, rÊflÊchie ; de l’autre, le fantasme enfantin de la recrÊation d’un monde, hâtive et narrative. J’ai toujours avancÊ sur deux pieds. Mon père et ma mère Êtaient sÊparÊs : j’avais deux maisons, deux familles, issues de deux classes sociales diffÊrentes. L’univers graphique que j’ai dÊcouvert dans la bibliothèque de mes grands-parents Êtait assez classique : des livres aux couvertures rouges, dorÊes, le grand Larousse illustrÊ de 1903‌ Tout ça m’impressionnait, même si ça n’avait rien à voir avec les BD que je lisais parallèlement avec mes potes. J’ai toujours louchÊ.
WWW.MK2.COM
Š Mœbius Production
Planche extraite de Box Office
dans quelles conditions naÎt la sÊrie Blueberry, que vous signez sous votre vrai nom, Jean Giraud ? Tout s’est mis en place par juxtapositions. À mon retour de l’armÊe, j’ai commencÊ à collaborer à des magazines comme Pilote ou Hara-Kiri, sortes de transpositions françaises de la très transgressive revue amÊricaine MAD, l’une de mes grandes sources d’inspiration. J’ai rencontrÊ les bonnes personnes au bon moment. Et puis la sociÊtÊ française Êtait en pleine transformation, avec l’expansion de l’universitÊ et la rÊvolution plastique qu’a ÊtÊ la nouvelle Vague, dont j’Êtais très fÊru. dans ses premières incarnations, Blueberry prend les traits de Jean-Paul Belmondo‌ Belmondo incarnait quelque chose dans lequel je me reconnaissais : une agilitÊ très fÊline, dÊcontractÊe, amÊricaine, un charme gouailleur et sinueux, au service de films d’avant-garde. L’antithèse d’un Delon. C’est pour cela que je l’ai choisi comme avatar. Je m’en suis ÊloignÊ par la suite, même si, en fin de compte, c’est toujours le même personnage que l’on voit. il n’a pas forcÊment les mêmes cheveux, ni la même moustache, mais il reste en lui un module de base, qui est le paraphe de l’auteur. Chaque dessinateur travaille à partir d’un archÊtype, d’une expression graphologique de luimême, un peu comme une signature. au fil des albums, Blueberry est complètement reconnaissable, même lorsqu’il devient Clint Eastwood ou Charles Bronson. À quel moment dÊcidez-vous de recourir au pseudonyme Mœbius? Lorsque j’ai commencÊ à travailler pour Hara-Kiri, je ne voulais pas signer Jean giraud. Je trouvais que ça ne faisait pas moderne. J’Êtais en train de lire une histoire oÚ il Êtait question de l’anneau de Mœbius : ça sonnait bien, j’en ai fait mon pseudo, sans me douter que j’allais le trimballer toute ma vie et que ce nom avait un certain nombre de connotations mathÊmatiques et topologiques qui collaient bien avec mon projet – l’idÊe de faire des bandes tendues, par exemple. Avec le recul, on a l’impression que Mœbius est vraiment nÊ avec MÊtal Hurlant, une revue que vous crÊez en 1974 avec Jean-Pierre dionnet, Philippe druillet et Bernard Farkas. Oui, pendant dix ans, en marge de Blueberry, j’ai dÊveloppÊ clan-
OCTOBRE 2010
dEStIN ANIMÊ Si l’œuvre de Mœbius influence beaucoup d’auteurs, dont Hayao Miyazaki qui compulse frÊquemment Arzak lorsqu’il rÊalise Nausicaä de la vallÊe du vent, il est lui-même fan de dessins animÊs, Miyazaki et Katsuhiro Ôtomo en tête. C’est aux côtÊs de RenÊ Laloux, qui avait remportÊ un beau succès avec La Planète sauvage, que Mœbius fait ses premiers pas dans l’animation. Pour Les MaÎtres du temps, d’après un roman de Stefan Wul, il conçoit la totalitÊ du story-board et des designs. Bien que Mœbius n’ait jamais cachÊ sa frustration face aux contraintes du mÊdia et au manque d’argent de la production, ce film reste l’une de ses incursions les plus accomplies dans le cinÊma. Ses projets suivants seront moins satisfaisants : avec Ôtomo, il adapte le chefd’œuvre de Winsor McCay, Little Nemo, mais le rÊsultat trop fade ne lui convient pas. Ridley Scott tente ensuite de produire Starwatcher, adaptation très libre d’Arzak et premier long mÊtrage en images de synthèse prÊvu pour être rÊalisÊ en France, mais le projet est annulÊ en pleine production. Enfin, à l’aube des annÊes 2000, Sony lui propose d’adapter sa bande dessinÊe Le Garage hermÊtique‌ avant de couper les fonds. _J.D.
WWW.MK2.COM
72 MĹ’BIUS
Š Mœbius Production
 MES QUELQUES DESSINS POUR aLiEn M’ONT PLUS APPORTÉ, EN TERMES DE RENOMMÉE, QUE L’ÉQUIVALENT DE QUINZE ALBUMS.  hOLLY GOd Lorsqu’il visite pour la première fois les studios Disney en 1980, Mœbius dÊcouvre avec stupeur qu’il possède un nombre incalculable de fans à Hollywood. C’est donc très logiquement que les grosses productions amÊricaines feront appel à ses talents. En 1982, il contribue à l’un des projets les plus importants de sa carrière, en dessinant tous les costumes des personnages de Tron. Plus tard, il collabore à l’adaptation des MaÎtres de l’univers et rÊussit le tour de force de rendre crÊdible le costume de Musclor. Peu après, il rencontre George Lucas à l’occasion de Willow. Si ses magnifiques designs, notamment pour une sÊquence coupÊe faisant intervenir un gigantesque monstre marin, ne sont pas utilisÊs, il noue en revanche des liens très forts avec Lucas, avec qui il apprÊcie particulièrement de parler peinture. Enfin, à la même Êpoque, James Cameron lui demande en catastrophe de l’aider à donner forme aux extraterrestres sous-marins d’Abyss. Mais ses incroyables crÊatures, jugÊes trop Êtranges, sont abandonnÊes au profit de monstres plus humanoïdes. _J.D.
OCTOBRE 2010
destinement toute une stylistique et un vocabulaire mœbusien, dans le cadre d’illustrations de livres de science-fiction qui avaient un public spÊcialisÊ, très limitÊ mais très fidèle. Jusqu’au jour oÚ j’ai fait une histoire qui s’appelle La DÊviation. J’Êtais arrivÊ à un point de rupture. Je n’arrivais plus à supporter la compromission permanente qui Êtait la substance même du journal Pilote, ses barrières, ses codes moraux, visant à protÊger le public enfantin. Mes amis et moi avons alors ÊprouvÊ la nÊcessitÊ de crÊer notre propre revue, un magazine d’humour et de sf, très engagÊ esthÊtiquement et socialement : MÊtal Hurlant. L’engagement de tout casser, dans la mesure de nos moyens. L’opÊration s’est faite de façon prÊcaire et improvisÊe, sans un rond, au casse-pipe. À l’Êpoque, il y avait peu de très bons dessinateurs. Mes modèles se situaient davantage du côtÊ de la littÊrature de science-fiction, isaac asimov, Philip K. Dick, ou du côtÊ du jazz : John Coltrane, lorsqu’il accompagne Miles Davis, il joue de manière très structurÊe, mais sur ses disques solo, il se laisse glisser dans une espèce de fleuve non-humain, spirituel et sauvage, free. Blueberry a ÊtÊ mon Êcole graphique, j’y ai appris tout le B.a. Ba du mÊtier, mais à un moment donnÊ, j’ai eu envie de transgresser ce savoir-faire. Dessiner, comme dans Arzak par exemple, des tours, des pointes, des bâtons, toute une suite de formes phalliques, dans une sorte de laisser-aller graphique, un peu comme en vaudou : le gars fait des moulinets avec son couteau, mais jamais personne n’est blessÊ. À peu près à la même Êpoque, vous commencez à collaborer pour le cinÊma : Dune, Alien, Les MaÎtres du temps, Tron, Willow‌ Mes quelques dessins pour Alien m’ont plus apportÊ, en termes de renommÊe, que l’Êquivalent de quinze albums. alejandro Jodorowsky, Dan O’Bannon et moi avions travaillÊ sur l’adaptation de Dune pour le cinÊma, un projet qui s’est effondrÊ au bout d’un an. Dan s’est retrouvÊ sans rien, du jour au lendemain. Pendant des mois, il a vomi tout ce qu’il ingurgitait. il s’est inspirÊ de cette mauvaise passe pour Êcrire avec ronald shusett le scÊnario d’Alien, qui est tombÊ entre les mains de ridley scott. Dan a acceptÊ que ridley le rÊalise, à condition que tous ceux qui avaient travaillÊ sur Dune, dont moi, puissent se joindre à l’Êquipe. grâce au gÊnie de cet artiste sismographe qu’est ridley scott, Alien a ÊtÊ un carton, et Hollywood, dès lors, a plusieurs fois fait appel à moi, d’autant que MÊtal Hurlant Êtait à l’Êpoque très prisÊ des dÊcorateurs de cinÊma amÊricains. si Willow ou Les MaÎtres du temps m’ont quelque
WWW.MK2.COM
MĹ’BIUS 73
Š Mœbius Production
Exposition Mœbius-Transe-Forme, du 12 octobre au 13 mars à la Fondation Cartier pour l’art contemporain, 261 boulevard Raspail, 75014 Paris.
Arzak T1 de MĹ“bius (GlĂŠnat / MĹ“bius Productions, album disponible depuis le 15 septembre) Dessin prĂŠparatoire pour Arzak, 1975
peu dÊçu à leur sortie, je suis très fier que mon nom figure au gÊnÊrique du premier film en images de synthèse de l’histoire, Tron. Est-ce que le fait d’avoir un pied dans le monde du cinÊma a influÊ sur votre manière de faire de la bande dessinÊe ? Ça joue sur l’image personnelle. il doit certainement y avoir des passerelles entre l’estime de soi et la façon dont on s’attaque à une histoire, le temps, l’Ênergie qu’on y met. Le cinÊma dispose d’une quantitÊ de stimuli sensoriels (dialogues, image, musique, etc.) assez Êcrasante. La bande dessinÊe, elle, s’introduit d’une façon plus lente, plus douce, mais elle colle aux os. Pourquoi reprendre aujourd’hui la sÊrie Arzak, plus de trente ans après ? J’arrive à une fin de carrière, une fin de vie. Lancer un nouveau personnage, je n’en ai pas vraiment envie. reprendre Blueberry Êtait un trop gros morceau ; le Major venait de faire l’objet du Chasseur dÊprime; quant à mes autres sÊries (L’Incal, Stel et Atan), elles sont à peu près closes. ridley scott et moi avions le projet d’adapter Arzak au cinÊma. Ça ne s’est pas fait, mais ça m’a donnÊ envie de retravailler cette sÊrie. J’en ai repris l’univers, et j’y ai injectÊ de la vie. C’est peut-être cela, la mÊmoire des formes. Le thème de la mÊtamorphose est au centre de l’exposition que vous consacre la Fondation Cartier‌ C’est le fil rouge de mon œuvre, dès mes dÊbuts. Des jeunes femmes qui se transforment en vieilles, en monstres, des hommes qui se transforment en femmes, etc. 40 Days dans le dÊsert B est peut-être l’album qui illustre avec le plus d’acuitÊ ce motif. il n’est pas question de me laisser bloquer par la reprÊsentation, ni par l’abstraction, ni par quoi que ce soit. J’ai ÊtÊ très impressionnÊ par le texte qu’avait Êcrit Dubuffet sur l’art Brut. La peinture obsessionnelle de Picasso, Dalà ou Magritte m’a beaucoup marquÊ, Êgalement. se laisser dÊriver, au sens sexuel mais aussi pictural. atteindre une sorte d’Êquilibre du ressenti. Depuis MÊtal Hurlant, je n’ai pas peur de chercher l’extase. En ce sens, robert Crumb a ÊtÊ un Êveilleur pour moi. ses BD m’ont appris le don d’organes. Montrer ses fesses, montrer ses couilles, sans perdre un seul instant le respect du lecteur. J’aime beaucoup les Beatles pour cette raison, aussi : sauter les barrières non pour fuir mais pour voir ce qu’il y a derrière, aborder l’inconnu de façon digne et respectueuse. L’art doit être paranoïaque.
OCTOBRE 2010
ARZAK RhAPSOdY Si Arzak a dÊjà inspirÊ une portion du film omnibus MÊtal Hurlant puis fait l’objet d’un projet d’adaptation avec Starwatcher, c’est surtout grâce au culot du jeune producteur Alexandre Brillant que cette bande dessinÊe culte (qui ressort aujourd’hui dans une version dialoguÊe chez GlÊnat et Mœbius Productions) prend enfin vie. Sans ambition dÊplacÊe, cette adaptation a l’intelligence de laisser à Mœbius un contrôle quasi total sur son œuvre : en plus de crÊer les dialogues (ou plutôt, les monologues) et la trame scÊnaristique des 14 Êpisodes, il exÊcute pour chacun d’entre eux de 60 à 80 dessins sous Photoshop. Ses œuvres sont ensuite exportÊes chez Millimages, qui se charge de les animer en Flash. En plus d’Êviter tout intermÊdiaire susceptible de dÊnaturer le trait de Mœbius, l’animation Flash, dont les mouvements minimalistes peuvent rebuter, retranscrit à merveille le rythme contemplatif de la bande dessinÊe. Cette minisÊrie, jadis diffusÊe sur France 2 et aujourd’hui disponible en DVD, est mine de rien l’adaptation audiovisuelle la plus fidèle à Mœbius sortie à ce jour. _J.D.
WWW.MK2.COM
© Mœbius, 2010 Portrait & Cie
MĹ’BIUS 75
G I R A U D S C O P E En marge de l’exposition Transe-Forme à la Fondation Cartier, la chaÎne CinÊCinÊma programme à partir du 14 octobre Mœbius et ses avatars, un cycle de films en hommage à Jean Giraud, alias Mœbius. Collaborations fameuses (Alien, Les MaÎtres du temps) ou avortÊes (Dune), portraits obliques (MÊtamœbius) ou groupÊs (Les MaÎtres de la mÊtamorphose), regards sur une œuvre protÊiforme, gorgÊe de cinÊma. _Par Julien Dupuy // Images tirÊes du film MÊtamœbius
MÊtAMœBIUS / GIRAUd-MœBIUS, MÊtAMORPhOSES À l’opposÊ de l’hagiographie formatÊe, le docu-portrait de Damian Pettigrew lance une profusion de pistes pour aborder les innombrables facettes de Jean giraud. fatalement, ce traitement chaotique est parfois frustrant, mais il offre quelques sÊquences particulièrement rÊjouissantes, qu’un documentaire plus classique n’aurait sans doute jamais pu capturer. intime de Pettigrew (auteur de documentaires rÊfÊrence sur fellini, ionesco ou Balthus), Mœbius n’hÊsite pas à se rÊvÊler sous sa candeur poÊtique la plus touchante, comme lorsqu’il revient sur les lieux de son enfance, ou quand il dÊcrit avec son style si particulier les consÊquences d’une tempête sur son jardin. Cette simplicitÊ dÊcalÊe offre Êgalement quelques instants Êtonnants, dont un bref mais hilarant soliloque sur l’onanisme. Lorsque Pettigrew se risque à fictionnaliser son portrait, le rÊsultat est moins probant, même si MÊtamœbius nous permet d’assister à un duel au sommet Êtonnant, animÊ par Jean-Pierre Dionnet, et qui voit s’affronter un Jean giraud bonhomme et un Mœbius irascible. Quelques secondes surrÊalistes, plus Êdifiantes que la plus fouillÊe des analyses. LES MAÎtRES dE LA MÊtAMORPhOSE fidèle aux ambitions de son titre, Les MaÎtres de la mÊtamorphose aborde ce processus abondamment
OCTOBRE 2010
explorĂŠ par Jean giraud au cours de son Ĺ“uvre. face Ă l’ampleur du sujet, le documentaire se positionne comme une introduction très littĂŠraire (les enjeux plastiques ne sont, par contre, jamais rĂŠellement traitĂŠs), replaçant le motif de la mĂŠtamorphose dans une perspective historique et posant les principales thĂŠmatiques induites par ce sujet. Les pistes de rĂŠflexion, copieuses et frĂŠquemment captivantes, se succèdent au fil d’entretiens de critiques, universitaires et essayistes, jusqu’à la dernière section du documentaire, presque exclusivement consacrĂŠe Ă Jean giraud. L’amateur y dĂŠnichera notamment des interventions pertinentes de Jan Kounen, qui souligne Ă juste titre le parallèle passionnant entre cette Ĺ“uvre bicĂŠphale et son obsession de la mĂŠtamorphose, tout en rappelant l’influence de MĹ“bius sur ses contemporains. ALIEN, LE hUItIĂˆME PASSAGER un simple coup d’œil aux magnifiques story-boards dessinĂŠs par ridley scott suffit pour comprendre Ă quel point MĹ“bius a influencĂŠ le rĂŠalisateur. Et si ce film d’anticipation horrifique a tant marquĂŠ, c’est aussi parce qu’il est parvenu Ă assimiler en un ensemble harmonieux des courants artistiques aussi divers que les crĂŠations biomĂŠcaniques du suisse Hans ruedi giger, l’art prospectif du dessinateur industriel ron Cobb, et bien entendu les BD de la revue MĂŠtal Hurlant. Prestigieux reprĂŠsentant de cette
WWW.MK2.COM
Š 2010, Portrait & Cie
Š 2010, Portrait & Cie
76 MĹ’BIUS
MÉTAMŒBIUS / GIRAUD-MŒBIUS, MÉTAMORPHOSES Un film de Damian Pettigrew Avec Jean Giraud, Jean-Pierre Dionnet‌ France, 2010, 1h10 > Diffusion jeudi 14 octobre à 19h20 sur CinÊCinÊma
dernière – dont il est l’un des cofondateurs –, Mœbius est embauchÊ par scott pour crÊer les costumes des spationautes, apportant deux idÊes qui leur confèrent un look inÊdit : des portions d’armures de samouraïs et des rembourrages de tenues de base-ball. Les annÊes suivantes, ridley scott cherche sans relâche l’occasion de collaborer avec Mœbius, l’invitant, sans succès, à travailler sur Blade Runner puis sur Legend. Les deux hommes se retrouveront finalement plus de dix ans après, à l’occasion du projet de film Starwatcher.
LES MAÎTRES DE LA MÉTAMORPHOSE Un film de François Freynet Avec David Cronenberg, Serge Toubiana‌ France, 2010, 52 min. > Diffusion lundi 1er novembre à 19h40 sur CinÊCinÊma
LE RUBAN dE MœBIUS avec Les MaÎtres du temps, Le Ruban de Mœbius est probablement le film sur lequel Jean giraud a ÊtÊ le plus impliquÊ, du moins au cours de la prÊproduction. Le projet prend sa source au sein du groupe sony, pour lequel Mœbius a crÊÊ, à la fin des annÊes 1990, les superbes fresques murales du complexe de divertissement Metreon à san francisco. sony et frank foster, l’un des fondateurs de la compagnie d’effets spÊciaux sony Pictures imageworks, proposent à Mœbius de crÊer un long mÊtrage en images de synthèse, qui sera confectionnÊ au sein d’une nouvelle sociÊtÊ hongkongaise. Enthousiaste, Mœbius Êcrit un synopsis qui sera ensuite remaniÊ par Jim Cox et Paul gertz, et rÊalise plus de 300 designs et story-boards. Mais avec ses petits six millions de dollars (dix à vingt fois moins qu’une production Pixar), Le Ruban de Mœbius connaÎt une gestation douloureuse. PrÊvu pour sortir en exclusivitÊ dans les salles françaises en 2003, il n’est finalement diffusÊ qu’en vidÊo en 2005, après que sa production a ÊtÊ dÊlocalisÊe en Chine continentale.
ALIEN, LE HUITIĂˆME PASSAGER Un film de Ridley Scott Avec Sigourney Weaver, Tom Skerritt‌ États-Unis-Grande-Bretagne, 1979, 1h52 > Diffusion lundi 1er novembre Ă 20h40 sur CinĂŠCinĂŠma
LE RUBAN DE MŒBIUS Un film d’animation de Glenn Chaika Avec les voix de Mark Hamill, Michael Dorn‌ États-Unis-Chine, 2005, 1h30 > Diffusion lundi 1er novembre à 22h35 sur CinÊCinÊma
OCTOBRE 2010
BLUEBERRY, L’EXPĂŠRIENCE SECRĂˆtE MĹ“bius a ĂŠtĂŠ une source d’inspiration majeure pour tout un pan de la jeune gĂŠnĂŠration de cinĂŠastes français des annĂŠes 1990, Ă l’imaginaire nourri par la lecture de MĂŠtal Hurlant, dont Mathieu Kassovitz, qui adapte l’une de ses histoires avec Cauchemar blanc, ou Luc Besson, qui l’embauche pour travailler sur le design de son Cinquième ÉlĂŠment. Mais c’est certainement Jan Kounen qui rend le plus bel hommage Ă l’œuvre de MĹ“bius, avec Blueberry, un film qu’il parvient Ă sauver de deux dĂŠcennies de development hell. sous-titrĂŠ L’ExpĂŠrience secrète, le western prend l’audacieux pari de faire le pont entre le versant plus rĂŠaliste de l’auteur, en adaptant plutĂ´t fidèlement les aventures du cow-boy initialement publiĂŠes dans le magazine Pilote, et son versant mystique lors d’un
WWW.MK2.COM
Š 2010, Portrait & Cie
Š 2010, Portrait & Cie
MĹ’BIUS 77
final hallucinatoire digne de ses planches les plus psychÊdÊliques. Mœbius, qui fait un petit camÊo dans le film, ne cache pas sa satisfaction devant le rÊsultat final :  Le film sort le western du passÊ, en dÊcouvrant de nouveaux territoires de l’imaginaire.  CAUChEMAR BLANC alors que Mœbius dÊploie ses dÊlires graphiques dans les pages de MÊtal Hurlant, son penchant plus rÊaliste refait brièvement surface avec Cauchemar blanc, conte social dans lequel l’expÊdition d’une bande de racistes tourne à l’horreur. Lorsqu’il s’attelle à son adaptation, le jeune Mathieu Kassovitz vient de se faire refuser une dizaine de projets par le CnC, malgrÊ le succès de son premier court mÊtrage, Fierrot le pou. Le cinÊaste dÊbutant s’arrache donc à cette sÊrie noire avec ce film dont les droits sont gracieusement offerts par Mœbius qui dira plus tard combien il apprÊcie le rÊsultat. Kassovitz, lui, garde un très mauvais souvenir du tournage : il gèle à pierre fendre sur le plateau, et des vents à plus de 100 km/h emportent une partie des dÊcors. reste qu’il se dÊgage de son film une ambiance extrêmement lourde, et que l’image noir et blanc et certaines idÊes de rÊalisation (dont un très beau plan sÊquence d’ouverture) annoncent l’ÊlÊgante mise en scène de La Haine. Cauchemar blanc est disponible dans le recueil Le Bandard fou aux Humanoïdes associÊs.
BLUEBERRY, L’EXPÉRIENCE SECRĂˆTE Un film de Jan Kounen Avec Vincent Cassel, Juliette Lewis‌ France-Grande-Bretagne-Mexique, 2003, 2h04 > Diffusion mardi 2 novembre Ă 20h40 sur CinĂŠCinĂŠma
CAUCHEMAR BLANC Un film de Mathieu Kassovitz Avec Yvan Attal, Jean-Pierre Darroussin‌ France, 1991, 10 min. > Diffusion mardi 2 novembre à 22h40 sur CinÊCinÊma
DUNE Un film de David Lynch Avec Kyle MacLachlan, Sean Young‌ États-Unis, 1984, 2h17 > Diffusion mercredi 3 novembre à 20h40 sur CinÊCinÊma
dUNE avant de devenir une ĂŠnorme production De Laurentiis portĂŠe tant bien que mal par David Lynch, Dune fut l’un des projets les plus attendus des fans d’anticipation cinĂŠmatographique. au milieu des annĂŠes 1970, le cinĂŠaste et futur scĂŠnariste de L’Incal, alejandro Jodorowsky, se lance dans une adaptation Ă très gros budget de la saga d’anticipation de frank Herbert, sur laquelle MĹ“bius travaille comme un forcenĂŠ, rĂŠalisant la quasi-totalitĂŠ du story-board et des dizaines de designs. ĂŠpaulĂŠ par les peintres H.r. giger et Chris foss, il en est quasiment le corĂŠalisateur, accompagnant Jodorowsky Ă Los angeles pour dĂŠbaucher Douglas Trumbull qui a supervisĂŠ les effets spĂŠciaux de 2001, l’odyssĂŠe de l’espace. Jodorowsky demande ĂŠgalement aux Pink floyd de crĂŠer la musique du film et parvient mĂŞme Ă faire signer salvador DalĂ, censĂŠ incarner l’empereur shaddam iV Corrino. Mais après plusieurs mois de travail intensif, le projet est arrĂŞtĂŠ faute de moyens et les droits sont rachetĂŠs par De Laurentiis qui ne gardera rien, ou presque, de la version de Jodorowsky/MĹ“bius.
OCTOBRE 2010
WWW.MK2.COM
Sans titre (Paravent), 1976, Edouard Boubat, SAIF 2010
BRUNE/BLONDE 79
B/B BOMBEs Fière dualitÊ dans laquelle se sont (pro)jetÊs les cinÊastes de tous horizons, le binôme chromatique Brune/Blonde parade dans l’exposition du même nom, bonne Êlève de cette rentrÊe à la CinÊmathèque française, dont elle investit les salons du 6 octobre au 16 janvier. _Par Laura Pertuy
S
ous les nÊons d’un couloir sordide, la syncope d’une chevelure nomade vient cueillir notre œil immÊdiatement captif. Le balancement pugnace des cheveux de shu Qi, dÊlicieuse barmaid taïwanaise promise à des ÊvÊnements relativement sombres, ouvre Millenium Mambo (Hou Hsiao- hsien) et annonce l’importance du motif capillaire dans le film. C’est l’image de cette jeune femme vue de dos, se retournant parfois pour provoquer cinÊaste et spectateur, que l’on retrouve en fil rouge tout au long de la visite.
ChIGNON VERtIGINEUX Le magnÊtisme Êvident entre pellicule (cinÊmatographique !) et cheveu fÊminin n’a pas ÊchappÊ à alain Bergala, commissaire de l’exposition et professeur à la femis, qui a minutieusement collectÊ des sÊquences relatives à cet ÊlÊment de dÊsir. Brune/ Blonde se propose d’engager une rÊflexion sur la thÊmatique de la chevelure au cinÊma. Quels en sont les codes ? Que dit le chignon vertigineux de Tippi Hedren dans Les Oiseaux ? Que penser de la rÊsurgence du glamour à travers des icônes latines comme PenÊlope Cruz ? Des questions posÊes au travers d’extraits de films souvent bien connus du public, mais aussi de sÊquences plus confidentielles oÚ l’on a plaisir à dÊcouvrir l’utilisation du cadre et de la lumière pour accompagner – parfois même engendrer – la structure narrative. Dans cette exposition scÊnographiÊe par nathalie Crinière, on pÊnètre d’abord un salon cossu oÚ nous est prÊsentÊ le mythe qui enlace brunes et blondes depuis les premières heures du cinÊma – la blonde virginale et bienveillante face à la brune tentatrice – avec, en Êcho aux images filmiques, une sÊlection d’œuvres d’art. Cette interaction autour de la chevelure rythme le parcours conçu par Bergala, qui l’a voulu linÊaire, comme pour raconter une histoire . non content d’associer des rÊfÊrences venues de toutes les Êpo-
OCTOBRE 2010
ques, il dÊtourne le spectre simplement esthÊtique de sa thÊmatique pour aborder, par exemple, l’enjeu mÊtanarcissique de l’actrice qui se peigne devant sa coiffeuse, avec comme seule autre prÊsence que la sienne celle, dÊterminante, du cinÊaste faisant parler son dÊsir à travers coupes, couleurs, mouvements et abstractions du cheveu. ChORÊGRAPhIE CAPILLAIRE une obsession capillaire d’oÚ se dÊtachent certains rÊalisateurs, comme ce grand fÊtichiste de la chevelure fÊminine qu’est Buùuel. Dans Cet obscur objet du dÊsir, apogÊe de son travail sur le cheveu comme objet de tentation et frustration, sa sublime Conchita ne cesse ainsi de se promettre à un homme puis de s’en dÊtacher dans une chorÊgraphie capillaire des plus significative. Le cheveu, mÊtaphore du dÊsir masculin, obsession de cinÊastes qui en ont fait un ÊlÊment pivot de leur œuvre. On pense aussi Êvidemment aux chignons spirales d’Hitchcock, marqueurs tout aussi esthÊtiques que narratifs de son cinÊma, repris plus tard par David Lynch qui s’amusera ÊlÊgamment des codes apposÊs aux brunes et blondes pour les dÊjouer (Mulholland Drive, Lost Highway). Brune/Blonde n’oublie pas de nous faire partager l’Êmulation actuelle, en proposant au visiteur un espace entier dÊdiÊ à l’art contemporain ainsi qu’une installation faramineuse de l’artiste britannique alice anderson, dont la chevelure rousse dÊvale la paroi de la CinÊmathèque depuis son donjon. raiponce, le personnage des frères grimm aux nattes libÊratrices, n’est plus très loin et fera d’ailleurs l’objet du nouveau dessin animÊ des studios Disney, annoncÊ pour noÍl. Enfin, la grande originalitÊ de l’exposition rÊside dans le projet engendrÊ par alain Bergala, qui a demandÊ à six rÊalisateurs de diffÊrentes nationalitÊs de rÊaliser un court mÊtrage de six minutes autour de la chevelure fÊminine :  Pour moi, la crÊation que peut engendrer une exposition est une
WWW.MK2.COM
80 BRUNE/BLONDE
Š UGC Distribution
ON PENSE AUX CHIGNONS SPIRALES D’HITCHCOCK, MARQUEURS TOUT AUSSI ESTHÉTIQUES QUE NARRATIFS DE SON CINÉMA. MONtAGNES ROUSSES La blonde ou la rousse ? La jeune dÊbutante rondelette à la chevelure peroxydÊe (Kim Novak) ou la riche sanguine un peu fanÊe (Rita Hayworth) ? Si, entre la glace et le feu, Frank Sinatra hÊsite dans Pal Joey, le journaliste Êcrivain StÊphane Rose, dans son premier livre Pourvu qu’elle soit rousse (L’Archipel), a fait son choix : rouquine rime avec coquine. D’Anaïs à Élodie, passage en revue des touffes de feu car, selon Rose,  c’est au foutre et à la sueur qu’il faut peindre la rousseur , antithèse abrasive de la fade normalitÊ châtaine. Dans le cinÊma français des annÊes 1970-80, la rousse est nunuche et frigide mais sympathique car toujours partante, et n’a pas de nom ou alors elle a du caractère, ce sont Marlène Jobert ou Isabelle Huppert. Aujourd’hui, tandis que Romain Gavras dans Notre jour viendra Êpouse la geste provo (halte à la persÊcution des roux !), Gregg Araki, toujours aussi subversif dans son queer et explosif Kaboom, compose avec sa rousse une Lilith Ênigmatique, un personnage terrifiant. _D.J.
Pourvu qu’elle soit rousse de StÊphane Rose (L’Archipel) Kaboom de Gregg Araki (lire l’interview page 24)
vraie question. Le plus souvent, on y rassemble des œuvres qui repartent ensuite vers leur lieu d’origine, alors qu’ici je dÊsirais susciter une rÊelle production.  Le visiteur, fort d’une dÊambulation riche en rÊflexion, donnÊes historiques et rÊfÊrences artistiques, est donc invitÊ à dÊcouvrir le cheveu pensÊ par abbas Kiarostami (iran), isild Le Besco (france), Pablo Trapero (argentine), Yousry nasrallah (Liban), nobuhiro suwa (Japon) et abderrahmane sissako (Mali). LIGNES dE FUItE alors que shu Qi nous regarde une dernière fois derrière la cascade de ses cheveux d’Êbène, on s’interroge sur la pÊrennitÊ des codes de la chevelure au cinÊma. après l’avènement de la blonde hollywoodienne incarnÊe successivement par Veronica Lake, Marlene Dietrich et Marylin Monroe puis l’enthousiasme rÊservÊ aux brunes chez almodóvar, que reste-t-il de la symbolique capillaire? À l’heure oÚ toute parcelle du corps fÊminin s’avère fÊtiche, oÚ la brune peut côtoyer des blondeurs irrÊelles et vice versa, on assiste à un travail qui tient beaucoup de la nostalgie avec les personnages fÊminins de françois Ozon, comme figÊs dans des Êpoques oÚ la brune Êtait encore tromperesse (fanny ardant dans 8 femmes) ou ceux de Wong Kar-wai, qui recrÊe l’esthÊtique des grands mÊlodrames cantonais à l’aide de parures et coiffures fabuleuses. selon Bergala, James gray incarnerait le cinÊaste actuel le plus en proie aux considÊrations esthÊtiques et scÊnaristiques dictÊes par la chevelure : la modernitÊ avec laquelle est retravaillÊ le duo brune-blonde dans Two Lovers dit bien toute l’importance d’une rÊflexion sur les rôles attribuÊs à ces deux entitÊs tantôt duelles, charnelles ou complices. Pas tout à fait repu ? L’exposition se poursuit sur la toile oÚ l’on retrouve des entretiens inÊdits de Bertrand Bonello, Bernard Plossu et alain Bergala ainsi que  des lignes de fuite relatives aux œuvres et extraits que l’exposition n’avait pas le temps d’agencer , prÊcise ce dernier. sous l’apparente trivialitÊ de son sujet, une dÊcouverte bien peu capillotractÊe. Brune/Blonde, une exposition arts et cinÊma, du 6 octobre au 16 janvier à la CinÊmathèque française, 51 rue de Bercy, 75012 Paris Du 6 au 30 octobre dans le rÊseau MK2, 1 place de cinÊ achetÊe/1 entrÊe à l'exposition Brune/Blonde offerte. Exposition d'affiches des collections de la CinÊmathèque française autour de la thÊmatique Brune/Blonde au MK2 Bibliothèque du 6 au 30 octobre
OCTOBRE 2010
WWW.MK2.COM
Š Philippe Quaisse/Pasco
YAHIMA TORRES 83
BÊTE DE sCènE Au premier regard, Abdellatif Kechiche a choisi l’explosive YAhIMA tORRES pour incarner sa VÊnus noire, une jeune Africaine qui se rêvait artiste et devint le jouet d’EuropÊens aux fantasmes pervers. Un rôle violent, bouleversant, qu’elle endosse avec assurance. Portrait d’une dÊbutante qui a trouvÊ sa voie. _Par Pamela Messi
Y
ahima Torres a vu le jour une première fois à Cuba, un 14 juin. un mercredi 8 septembre, sur une autre Île, on a assistÊ à l’Êclosion d’une actrice. C’Êtait à Venise, sur les terres du gÊnie cinÊphage et polyglotte Marco Mßller, directeur artistique de la Mostra depuis 2004. On la rencontre juste avant la première de VÊnus noire, le nouveau Kechiche dont elle est l’interprète principale. Le premier jour du reste de sa vie, en somme. Dans les jardins du très
– dÊçue de n’avoir pas pu observer plus tôt ses parties gÊnitales hypertrophiÊes – avant d’être exposÊe au musÊe de l’Homme jusqu’en 1976. un personnage historique, devenu le symbole politique de l’oppression du peuple noir (la france et l’afrique du sud se sont ÊcharpÊes pendant près de dix ans avant que Paris n’accepte de restituer le corps à la ville du Cap), et sur lequel repose toute la crÊdibilitÊ du film.
 ABDEL N’EST PAS LE GENRE À ABORDER UNE FILLE DANS LA RUE EN LUI FAISANT LE COUP DU RÉALISATEUR QUI CHERCHE UNE FILLE POUR JOUER DANS SON FILM.  chic hôtel Quattro fontane, on attend donc la  rÊvÊlation , forcÊment curieux de dÊcouvrir la nouvelle muse d’abdellatif Kechiche. Celle qui, après sara forestier et Hafsia Herzi, est venue confirmer ce dont on se doutait : le rÊalisateur dispose d’un sixième et même d’un septième sens. non seulement il flaire les comÊdiennes talentueuses sous leurs frusques de dÊbutantes, mais il sait les diriger comme personne. sous son aile, Yahima Torres interprète de manière parfaitement convaincante saartjie Baartman, cette jeune sud-africaine exhibÊe en Europe comme un animal de foire, la  VÊnus hottentote  dont la dÊpouille fut dissÊquÊe en 1815 par l’acadÊmie des sciences
OCTOBRE 2010
LĂŠGĂˆREtĂŠ D’abord, un ĂŠclat de rire. Puis Yahima Torres entre dans notre champ de vision. solaire, explosive. Ă€ des annĂŠes lumières de la femme-objet introvertie dĂŠcouverte dans le film. On reconnaĂŽt en revanche la puissance fĂŠline et la grâce maladroite des mouvements, terriblement fĂŠminins. Et on imagine sans mal l’effet que le tout produisit sur le rĂŠalisateur cinq ans plus tĂ´t lorsque, assis Ă la terrasse d’un cafĂŠ de Belleville, il vit passer sa dĂŠesse callipyge. ÂŤ Il m’a dit avoir ĂŠtĂŠ saisi par ma prĂŠsence, raconte Yahima. Enfin, c’est son assistante qui m’a interpellĂŠe car Abdel n’est pas le genre Ă aborder une fille dans la rue en lui fai-
WWW.MK2.COM
84 YAHIMA TORRES
 ATTENTION À NE PAS CONSIDÉRER L’ÉTRANGER QUI VIENT VERS NOUS COMME UN ÊTRE DIFFÉRENT.  aBDELLaTif KECHiCHE sant le coup du rÊalisateur qui cherche une fille pour jouer dans son film.  À l’Êpoque, Kechiche est en pleine prÊparation de La Graine et le mulet, mais il a dÊjà l’idÊe de porter à l’Êcran l’histoire de saartjie Baartman. Quant à Yahima, elle vient de quitter La Havane pour Paris et donne des cours d’espagnol en attendant mieux. Entre eux, les choses en restent là , jusqu’à une nouvelle rencontre, toujours par hasard, en 2008. Le projet  Black Venus  en est cette fois au casting et Yahima est recrutÊe sans grand suspens : aucune actrice ne ressemble plus qu’elle à saartjie. Mais ses rondeurs naturelles ne suffiront pas à endosser le rôle de la jeune femme. Durant les neuf mois qui prÊcèdent le tournage, Yahima prend treize kilos, suit des cours d’afrikaans, mais aussi de thÊâtre, de danse, de chant et de violon. Elle apprend à camoufler son accent cubain et à gÊrer sa respiration  avec le ventre, pour donner à Saartjie une voix plus grave, presque caverneuse. au dernier moment, elle se rase la tête. Canon de beautÊ peu commun, elle en garde un excellent souvenir :  Peu importe la transformation physique ; pour un tel rôle j’Êtais prête à tout.  SINCÊRItÊ saartjie, Yahima en parle presque comme d’une amie qu’elle  respecte infiniment . Là oÚ Kechiche entretient un mystère volontairement dÊrangeant – sur les motivations rÊelles de saartjie, sur sa relation avec Caezar, l’homme pour qui elle travaille –, l’actrice ne veut voir qu’une artiste douÊe et gÊnÊreuse. Une femme moderne qui a quittÊ l’Afrique pour l’Europe, seule, à une Êpoque oÚ cela ne se faisait pas et après avoir vÊcu la pire des douleurs pour une femme : perdre ses enfants . La dimension politique du film ? Elle n’y pense pas. Comme tout le
monde à Venise, elle a entendu le rÊalisateur dresser un parallèle sans Êquivoque entre son film, une histoire  de classe, de mÊpris et de prÊjugÊs , et les expulsions de roms en france.  En ce moment les mots sont libÊrÊs sur le racisme et la xÊnophobie. J’ai voulu rappeler un passÊ pas si lointain ni très glorieux pour nous Français, et dire : attention à ne pas considÊrer l’Êtranger qui vient vers nous comme un être diffÊrent , avait lancÊ Kechiche au cours d’une confÊrence de presse à l’atmosphère tendue. On avait alors senti le rÊalisateur parvenu à un tournant dans sa carrière, engageant son rÊcit et ses peintures de l’exclusion sociale hors des frontières de l’hexagone, après avoir conclu ce qui constitue, avec du recul, une trilogie naturaliste sur l’identitÊ française (La Faute à Voltaire, L’Esquive, La Graine et le mulet). FRAGILItÊ À ce sujet, Yahima ne veut rien dire. Tout juste concède-t-elle :  Je sais ce que c’est que de quitter son pays dans l’espoir d’amÊliorer sa vie.  Elle qui s’est sentie  bien accueillie par la France  raconte la descente aux enfers de son personnage – foire aux monstres, salons libertins, bordel puis trottoir – avec un dÊtachement candide en complet contraste avec la profondeur de son jeu. On la sent à la fois sincèrement touchÊe et totalement extÊrieure. une lÊgèretÊ qu’elle assume et qui fait sa force, selon abdel Kechiche, qui y a vu l’opportunitÊ de pousser l’actrice  loin dans l’Êmotion, sans qu’elle en soit meurtrie . grâce à lui, une jeune femme a trouvÊ sa voie. DÊsormais Yahima ne veut plus qu’une chose : jouer. Pas forcÊment un personnage aussi puissant, rÊflÊchit-elle. Quoique‌ Je crois que c’est ce qui me plaÎt, au fond, dans ce mÊtier. 
Lire la critique de VĂŠnus noire page 49
OCTOBRE 2010
WWW.MK2.COM
Š Shellac
LA VIE AU RANCH 87
LETOURNEUR,
EN ÉCLAIREUR SOPhIE LEtOURNEUR : retenez bien ce nom. Cette jeune rÊalisatrice de 32 ans sort ce moisci son premier long mÊtrage, La Vie au ranch, mais elle s’est dÊjà taillÊ une belle rÊputation parmi les cinÊphiles avertis et devrait sans tarder se faire connaÎtre auprès d’un plus large public. Fait exceptionnel, ses deux prÊcÊdents moyens mÊtrages et son court sont sortis en salles. Beaucoup avaient alors notÊ la singularitÊ et la cohÊrence de l’ensemble, parvenant à rÊ-Êclairer un territoire aussi balisÊ que la captation des premiers Êmois adolescents. _Par Jacky Goldberg UtOPIES MAdE IN FRANCE
Des hommes et des dieux, Happy Few, La Vie au ranch. Trois films français qui n’ont rien à voir en surface et pourtant traitent d’une même obsession : l’autarcie communautaire comme choix de vie. Ermitage monacal chez Xavier Beauvois, hÊdonisme sexuel chez Antony Cordier, promiscuitÊ exclusive de l’amitiÊ chez Sophie Letourneur : à chaque fois, le retrait dans la bulle se dessine comme un idÊal possible. Au point de prophÊtiser, comme Les Cahiers du cinÊma, une nouvelle tendance française à troquer le rÊalisme contre l’utopie de la caverne ? Dans son dossier de rentrÊe consacrÊ au cinÊma hexagonal, la revue distribue bons (Beauvois) et mauvais (Cordier) points aux films qui rempliraient correctement (ou pas) le cahier des charges d’une nouvelle politique d’auteur. Sensibles, parfois naïfs, souvent bouleversants, ces trois films sondent avant tout le romanesque de leur sujet plutôt que son aspect polÊmique. La dissertation aurait-elle fait mieux que le conte ? Le dÊbat reste ouvert. _Yann François
OCTOBRE 2010
N
ous rencontrons Sophie Letourneur à la mi-septembre au Festival de Contis, dans les Landes, oÚ elle est venue prÊsenter son film, après un triomphe à Belfort, rotterdam et Cannes (section acid, destinÊe aux films indÊpendants). ici, dans un dÊcor presque trop idyllique (soleil couchant, couleurs de l’ÊtÊ indien, chien qui court sur le sable), elle commence par nous avouer son incapacitÊ à puiser ses sujets ailleurs que dans sa propre vie :  La base de mon matÊriel d’Êcriture a toujours ÊtÊ, pour l’instant, des documents personnels : lettres, carnets intimes, conversations enregistrÊes au dictaphone. Et je choisis des acteurs qui pourraient vivre ou ressentir des choses du même ordre. C’est ce point de jonction, entre eux et moi, qui m’intÊresse.  après avoir, dans deux moyens mÊtrages, cartographiÊ les sentiments des 11-12 ans (Manue Bolonaise en 2006) et des 14-15 ans (Roc et Canyon en 2007), sophie Letourneur pousse un peu plus loin son exploration, s’intÊressant cette fois aux jeunes filles de 20 ans. nourri d’expÊriences personnelles, donc, ce long mÊtrage suit une heure et demie durant les aventures, si l’on peut dire, d’un groupe de chicks insÊparables, de soirÊes arrosÊes en matinÊes embrumÊes, de bons copains chahutÊs en beaux garçons fantasmÊs, de la promiscuitÊ du  ranch  (c’est ainsi qu’elles surnomment leur colloc) aux immenses plateaux auvergnats oÚ leur amitiÊ est mise à l’Êpreuve, jusqu’au dÊnouement, poignant, à Berlin. dISCOURS dE LA MÊthOdE En escaladant la dune, sophie Letourneur nous explique longuement sa mÊthode de travail, testÊe lors de ses Êtudes aux arts-DÊco oÚ elle se passionnait pour le son, et ÊprouvÊe sur ses prÊcÊdents films. après des mois de recherche, cette socratienne sexy ( J’adore rÊvÊler à mes acteurs des choses qu’ils auraient pu ressentir ou qu’ils vont vivre, mais dont ils n’ont pas forcÊment conscience ) a ainsi castÊ un groupe, un vrai groupe d’amis – dont fait partie, pour l’anec-
WWW.MK2.COM
88 LA VIE AU RANCH
ÂŤ J’ADORE RÉVÉLER Ă€ MES ACTEURS DES CHOSES QU’ILS AURAIENT PU RESSENTIR OU QU’ILS VONT VIVRE, MAIS DONT ILS N’ONT PAS FORCÉMENT CONSCIENCE. Âť dote, Benjamin siksou de Nouvelle Star. Elle les a ensuite mis en situation et a enregistrĂŠ leurs discussions. Puis elle a montĂŠ cette pâte verbale sur Pro Tools, comme une composition musicale, aux rythmes et sonoritĂŠs ultraprĂŠcises, brouillon sonore du film Ă venir qu’elle a refait jouer, une fois sur le dĂŠcor, Ă ses comĂŠdiens. au mot près. Et voilĂ comment, sur des tournages oĂš chacun trouve aisĂŠment sa place, elle obtient un tel naturel, sans une once d’improvisation. CONtRE LA CINĂŠPhILIE, tOUt CONtRE s’il ne faisait que dresser le portrait d’une gĂŠnĂŠration, Ă la manière de La vie ne me fait pas peur de noĂŠmie Lvovsky au dĂŠbut des annĂŠes 1990, La Vie au ranch serait dĂŠjĂ une grande rĂŠussite ; mais sophie Letourneur ne s’en contente pas. ĂŠclate ainsi Ă chaque plan une force thĂŠorique et une intelligence de mise en scène, une volontĂŠ de reprendre les choses lĂ oĂš quelques grands maĂŽtres (pour faire vite, rohmer, rozier, Eustache) les ont laissĂŠes, sans jamais, pour autant, s’en laisser conter. aussi, quand on lui ĂŠvoque ces noms, elle botte rapidement en touche : ÂŤ Ça ne me dĂŠplaĂŽt pas qu’on me compare avec ces gens, bien au contraire, mais je ne cherche pas Ă faire un cinĂŠma cinĂŠphile, de citation ; d’ailleurs je ne vais presque plus au cinĂŠma, par manque de temps. Je choisis la vie. Âť On repense alors aux prĂŠdications de Louis skorecki (ancien critique Ă LibĂŠration et auteur de la trilogie Les CinĂŠphiles), qui attribue Ă la trop grande vĂŠnĂŠration des anciens la lourdeur du cinĂŠma contemporain, et dont on croit, paradoxalement, trouver la trace dans une des scènes les plus drĂ´les de La Vie au ranch. Deux types assis Ă la terrasse d’un cafĂŠ y discutent, de la plus pĂŠdante des façons, du dernier Hong sang-soo, jusqu’à l’arrivĂŠe Ă leur table d’une jeune fille qui, cherchant Ă
OCTOBRE 2010
s’insÊrer dans la conversation, Êvoque une prochaine nuit Wong Kar-wai au Champo, mais se fait sèchement rembarrer :  Ouais, ouais, ils en font tous les six mois.  La charge, gentiment moqueuse, contre ce que skorecki appelle la nouvelle cinÊphilie est bien là , mais sophie, elle nous le jure mordicus, ne l’a  pas fait exprès. C’est juste une scène à laquelle j’ai assistÊ cent fois . Dont acte. PAROLES, PAROLES, PAROLES si l’on Êvoque la filiation rohmÊrienne, c’est surtout parce que les mots occupent le centre de ses films. Le centre, mais aussi les bords, les dÊbords ; tout, absolument tout, de la première à la dernière seconde de La Vie au ranch, gÊnÊriques inclus, est envahi par la parole. une parole infra, comme dÊtachÊe des contingences de scÊnario, larsen sculptÊ qui agit comme une mÊlodie noisy et rapproche le film des (tout à fait confortables) rivages expÊrimentaux, plutôt que des ports de plaisance naturalistes.  J’ai une peur panique, maladive, du vide. Or les mots remplissent l’espace. Parler tout le temps a quelque chose de rÊconfortant, mais peut très vite devenir aliÊnant.  ainsi, bien plus qu’un portrait ethnographique sur la jeunesse dorÊe parisienne, fausse piste ÊvacuÊe immÊdiatement ( La bourgeoisie ne me fascine pas. Je n’en suis pas issue, l’esprit du film ne s’y inscrit pas et si les gens que je filme n’ont pas de problèmes d’argent, ils ne sont pas non plus spÊcialement riches. ), La Vie au ranch est un beau film sur la mÊcanique de groupe, avec le verbe comme lubrifiant, et la surchauffe, c’est-à -dire la rupture, comme triste horizon. après cette bucolique promenade sur la plage, le moment de se sÊparer arrive hÊlas pour nous aussi. Et maintenant qu'il faut partir, on a cent mille choses à se dire, qui tiennent trop à coeur pour si peu de temps.
WWW.MK2.COM
Š Alfana Films
LES MYSTĂˆRES DE LISBONNE 91
NOVELA VaguE C’est à une traversÊe vertigineuse de l’Europe que nous convie RAOUL RUIZ avec Les Mystères de Lisbonne : une sÊrie de tableaux aux cadres larges et majestueux, qui vogue, quatre heures durant, entre la novela d’auteur et la fresque balzacienne. Peintre sur pellicule, Ruiz conjugue magie du romanesque et du picaresque, souffle pictural et musical. _Par Donald James
C
’est peut-ĂŞtre le vingtième film que Raoul Ruiz, prolifique cinĂŠaste d’origine chilienne, rĂŠalise au Portugal, mais c’est son premier film en portugais. ÂŤ La question de la langue dans un film comme le mien, qui est très parlĂŠ, est importante. Le portugais me trouble. C’est une langue flottante qui n’a pas besoin d’attaquer un point, elle n’a pas besoin d’être claire ou explicite. Âť Cette adaptation de l’œuvre du mĂŞme nom de Camilo Castelo Branco, auteur lusitanien du XiXe siècle, ĂŠvoque d’autres grands romans de la mĂŞme pĂŠriode : Les Mystères de Paris d’Eugène sue ou la ComĂŠdie humaine de Balzac, dont ruiz avait transposĂŠ pour le grand ĂŠcran La Maison Nucingen en 2008. ÂŤ Ce qui m’a attirĂŠ dans le livre de Castelo Branco, c’est l’idĂŠe du fleuve. On a un personnage, on s’intĂŠresse Ă lui, et puis il s’Êloigne et lorsqu’on l’a oubliĂŠ, il revient. Si je veux ĂŞtre mĂŠchant avec moi-mĂŞme, je dirais que Les Mystères de Lisbonne est une novela condensĂŠe. Âť film fleuve de quatre heures trente tournĂŠ en plusieurs langues (portugais, français, italien), grande production (des palais pour dĂŠcors, pas moins de quarante-neuf rĂ´les importants, une centaine d’acteurs dont, pour la partie française, LĂŠa seydoux, Clotilde Hesme et le fidèle Melvil Poupaud), Les Mystères de Lisbonne sera diffusĂŠ sous la forme d’une sĂŠrie tĂŠlĂŠ, plus longue (six heures) et avec plus de personnages. ÂŤ Ce n’est pas du tout le mĂŞme film. Je prĂŠfère celui de cinĂŠma car il est moins dĂŠlibĂŠrĂŠ. Dans la sĂŠrie tĂŠlĂŠ, on perd tout l’aspect contemplatif. Mais contemplation ne veut pas dire qu’il ne se passe rien ; on peut contempler une bataille. Âť L’hYPOthĂˆSE dU tABLEAU VOLĂŠ Tout commence avec la voix de Pedro da silva, orphelin ĂŠlevĂŠ par un prĂŞtre. il promet de nous racon-
OCTOBRE 2010
ter l’histoire de ses souffrances, or de la guerre ou des souffrances, on ne verra pratiquement rien. Les Mystères de Lisbonne traque les secrets d’hommes et de femmes picaresques. Tous ont plusieurs noms, changent d’identitÊ, montrent plusieurs facettes: don juan ou moine, pirate ou mondain, bonne devenue aristo, marquis clochard‌ Outre le jeune Pedro da silva, le père Dinis, son protecteur, occupe Êgalement une place de premier ordre. Dinis est le personnage prÊfÊrÊ de Castelo Branco. Il a Êcrit un autre livre qui s’appelle Le Livre noir du père Dinis, c’est le prochain film que je vais faire. Je voulais que ce personnage demeure trouble.  ruiz cultive l’ambiguïtÊ, travaille le gouffre de l’indÊcidable et, comme à son habitude, provoque de subtils effets de miroir à partir d’amples et fluides mouvements de camÊra. Toute l’Êmotion cinÊmatographique vient du vertige de l’accumulation d’ÊlÊments, d’ÊvÊnements. Et en même temps, il y a une atmosphère relativement paisible dans le film. Parfois les personnages s’entretuent, mais c’est avec calme. Ils s’insultent et les jours passent. De ce point de vue, on peut dire que c’est un film sur le temps, oÚ les ÊvÊnements, aussi graves soient-ils, sont un peu comme un paysage. On spÊcule sur des tableaux qui ont provoquÊ un scandale, mais dans le tableau il n’y a rien de scandaleux.  Ce flamboyant rÊcit baroque d’une aristocratie toujours en reprÊsentation s’entend à plusieurs niveaux et rÊsonne avec notre prÊsent, notre Êpoque, tourmentÊe mais flirtant avec l’insouciance, jouant de la contrariÊtÊ. sommes-nous pères ou fils, orphelins ou brigands? ressem-blons-nous au père Dinis ou à Pedro da silva, fatiguÊs d’être nous-mêmes, pire, malades, condamnÊs, incapable de nous sauver? Le mystère demeure. Un film de Raoul Ruiz // Avec Adriano Luz, Maria João Bastos‌ // Distribution : Alfama // Portugal, 2010, 4h26 // Sortie le 20 octobre
WWW.MK2.COM
92 KABOOM
ARAKI riT Après Mysterious Skin et Smiley Face, GREGG ARAKI renoue avec ses premières amours: dans Kaboom, le cinÊaste amÊricain rend hommage à ses teen movies hypersexuels et apocalyptiques des annÊes 1990 (Totally F***ed up, The Doom Generation, Nowhere). Non sans humour, il en profite pour mettre à jour son esthÊtique maniÊriste ultrarÊfÊrencÊe, de David Lynch à John Waters. Rencontre. _Propos recueillis par ClÊmentine Gallot et Juliette Reitzer
S
ur un campus amÊricain, l’existence de smith et de ses amis est tout entière tournÊe vers les plaisirs de la chair. Mais une nuit, sous l’emprise d’un space-cake, le jeune homme assiste au meurtre d’une rousse mystÊrieuse qui hante ses rêves‌ Les tons criards, outranciers, vestiges d’une autre Êpoque, n’ont rien ici d’un rabâchage paresseux : explosion sensuelle et sensorielle, Kaboom rÊvèle au contraire chez le cinÊaste une maturitÊ nouvelle, grâce notamment à l’utilisation du numÊrique. Entre fantasmes sexuels et dÊlires oniriques, le rÊsultat est un pur concentrÊ de plaisir, jouissif et pourtant terriblement maÎtrisÊ. L’adolescence est au cœur du film. Vous êtes particulièrement attentif ici aux angoisses qu’engendre cette pÊriode de la vie. Kaboom est-il, selon vous, un teen movie existentiel ? Je ne voulais pas revenir en arrière, après ma teen apocalypse trilogy, mais je voulais faire un film sur cette pÊriode de la vie oÚ tout est incertain, lorsque l’on a 19 ou 20 ans. C’est une pÊriode de questionnements : qui suis-je, à quoi va ressembler mon avenir, quel est le but de mon existence ? Je pense qu’aujourd’hui je pose un regard mature sur un sujet immature. J’ai quinze ans de plus qu’à l’Êpoque de The Doom Generation, et je ne pourrais pas refaire le même film car j’ai beaucoup changÊ depuis. De la même manière, je n’aurais pas pu faire Kaboom à cette Êpoque. Tourner Mysterious Skin (2004) et Happy Face (2007) m’a aidÊ à grandir, à poser un regard diffÊrent sur mes personnages. Vous avez choisi de tourner dans un campus moderne, presque clinique, qui semble rÊpondre à la solitude des personnages. Est-ce pour cette raison que vous avez choisi de passer au numÊrique?
OCTOBRE 2010
Je voulais en effet crÊer un monde aseptisÊ, minimaliste, mais aussi avoir ce rendu lÊchÊ, cette beautÊ visuelle : tout cela s’est fait grâce à la lumière et au cadrage. Je voulais que chaque plan soit magnifique. Kaboom est mon premier film tournÊ en numÊrique haute dÊfinition : c’Êtait très excitant car travailler en numÊrique offre un incroyable contrôle sur la couleur et la texture de l’image. Pour Smiley Face, qui a ÊtÊ tournÊ en 35 mm, il y avait beaucoup d’effets spÊciaux et le procÊdÊ pour passer de la pellicule au digital Êtait vraiment fatiguant techniquement et coÝtait très cher. J’adore tourner en pellicule et je le referais si j’avais un gros budget, mais pour Kaboom le numÊrique s’est avÊrÊ très libÊrateur. Quel Êtait votre budget pour ce film ? Je ne peux pas vous donner de chiffre exact mais le budget Êtait très faible. Je voulais être totalement libre : quand on fait un film avec un gros budget, on s’inquiète forcÊment de ne pas pouvoir faire ceci ou cela, on ne peut pas être trop bizarre ou trop fou. Le but de ce film Êtait prÊcisÊment d’être aussi libre et fou que possible. il n’y avait pas non plus la pression d’engager telle ou telle star. J’adore l’idÊe de dÊcouvrir de nouveaux visages, de jeunes acteurs inconnus : c’est vraiment excitant pour un metteur en scène, et c’est l’une des joies de ce film. Le rendu visuel est particulièrement important dans vos films. Comment le travaillez-vous ? Tout est très prÊcis, contrôlÊ. Je fais partie de ces cinÊastes qui cherchent à avoir un contrôle esthÊtique maximal sur leur film, sans doute parce que, comme le personnage de smith, j’ai fait une Êcole de cinÊma. Je m’inscris dans cette tradition d’auteurs qui ont forgÊ au fil du temps une vision du monde très spÊcifique, crÊative. Je ne me sens pas
WWW.MK2.COM
Š Marianne Williams
94 KABOOM
Š Marianne Williams
 JE VEUX QUE L’ON SENTE QUE TOUT EST ORGANISÉ ET ORCHESTRÉ, QUE QUELQU’UN TIRE LES FICELLES, COMME CHEZ HITCHCOCK.  BOURREAU dEKKER De passage à Paris, Gregg Araki a entraÎnÊ son acteur Thomas Dekker, beau brun mÊtrosexuel aux yeux lagon, faire des jaloux à la soirÊe gay du Rosa Bonheur, aux ButtesChaumont. BiberonnÊ à Lynch et Kubrick, Dekker s’improvise enfant acteur chez John Carpenter dans LeVillage des damnÊs, avant de jouer les jolis cœurs à la tÊlÊ (Heroes ou Terminator : les chroniques de Sarah Connor) et de taper, à 22 ans, dans l’œil de son idole, Araki.  C’est rare de jouer un personnage qui aime les garçons et les filles , explique celui qui a retrouvÊ dans Kaboom la libertÊ sexuelle de son adolescence.  C’est juste un corps...  : on l’avait compris, Thomas n’a aucun problème avec la nuditÊ. À Hollywood, les puritains lui dÊconseillent pourtant le rôle :  Gregg n’est pas autant respectÊ aux États-Unis qu’en France. J’ai vu beaucoup de lui dans le personnage de Smith.  CinÊaste (Whore en 2008, vision dÊsabusÊe de la jeunesse hollywoodienne), chanteur, il vient de tourner pour HBO, dÊteste L.A. mais  adooore  Paris, son  endroit prÊfÊrÊ au monde . Avant de partir, il nous montre d’ailleurs un tatouage en français : Le monde tourne. Notre tête aussi. _C.G. et J.R.
OCTOBRE 2010
du tout proche du courant du cinÊma vÊritÊ, du faux documentaire, ça ne m’intÊresse pas. Quand je fais un film, je veux que l’on sente que tout est organisÊ et orchestrÊ, que quelqu’un tire les ficelles, comme chez Hitchcock. Pour moi, le cinÊma ne capture pas la rÊalitÊ, il la transforme, la recrÊe. d’ailleurs, Kaboom brouille en permanence les pistes entre rêve et rÊalitÊ‌ De tous mes films, celui-ci est le plus irrÊel, le plus onirique. Le film dÊbute sur un rêve. Même les parties qui ne sont pas rêvÊes par le personnage ressemblent à des songes, comme dans la scène oÚ smith est possÊdÊ par une sorcière : cela ressemble vraiment à un cauchemar. À de nombreux moments, la frontière entre rêve et rÊalitÊ est très mince, comme chez David Lynch. Cette ambivalence m’intÊresse beaucoup. dans Kaboom comme dans vos prÊcÊdents films, le sexe tient une place de premier plan. Pourquoi filmez-vous tant l’intimitÊ de vos personnages ? Dans The Doom Generation, il y a une scène de rupture dans les toilettes... Ces moments très privÊs m’intÊressent beaucoup car ce sont les instants oÚ votre vraie nature se rÊvèle, que le public ne voit gÊnÊralement pas : en gros, cela se passe dans la chambre ou dans les toilettes ! L’amÊrique est très hypocrite en ce qui concerne la sexualitÊ. La plupart des films n’utilisent le sexe que pour titiller, exciter le spectateur. Ce n’est pas du tout ce qui m’intÊresse. J’utilise le sexe pour observer les interactions humaines : que se passe t-il rÊellement entre les personnages à ce moment-là ? L’une de mes scènes prÊfÊrÊes de Kaboom est celle oÚ London donne une leçon de sexe oral à rex : c’est un moment très privÊ, que rex ne raconterait sans doute même pas à son meilleur ami. Voilà ce qui me fascine. Un film de Gregg Araki // Avec Thomas Dekker, Haley Bennett ... // Distribution : Wild Bunch // États-Unis, 2010, 1h26 // Sortie le 6 octobre
WWW.MK2.COM
LE
BOUDOIR
97
ÉBATS, DÉBATS, CABAS : LA CULTURE DE CHAMBRE A TROUVÉ SON ANTRE
« CHARLES BURNS EMPRUNTE À WILLIAM BURROUGHS SES MÉTHODES DE COLLAGE LITTÉRAIRE, DE RENCONTRES HASARDEUSES ENTRE DES BOUTS ÉPARS DE RÉCITS OU D’IMAGES. »
© Charles Burns & Cornélius
P.104
DVD-THÈQUE
La réalité virtuelle vue par RAINER wERNER FASSBINdER
CD-THÈQUE SUFJAN StEVENS, extra-terrestre
98/99 100/101
BIBLIOTHÈQUE
102/103
BD-THÈQUE
104/105
L’Apocalypse selon LAURA KASISChKE
Les mixtions impossibles de ChARLES BURNS
OCTOBRE 2010
WWW.MK2.COM
Š WDR - RWFF. Tous droits rÊservÊs
98 LE BOUDOIR /// dVd-thĂˆQUE
sOCiÊTÊ ÉCRANS ALLEMAGNE, ANNÉE 2.0 Dans le tÊlÊfilm Le Monde sur le fil, RAINER wERNER FASSBINdER s’aventure sur le terrain de la science-fiction et de la rÊalitÊ virtuelle sans jamais renier ses motifs favoris : politique, stylisation et romantisme. _Par LÊo Soesanto
Un homme entre dans une cabine tÊlÊphonique et abuse comme ici des reflets tordus pour signifier passe dans un autre monde, le vrai – le sien Êtant que ses personnages s’accordent toujours mal avec une rÊalitÊ simulÊe par un ordinateur. La scène ne se l’image qu’ils devaient renvoyer à la sociÊtÊ. L’idÊe est passe pas dans Matrix mais dans Le Monde sur le fil, ici littÊrale, emballÊe avec sa grammaire usuelle (posenfin à nouveau visible après sa première tures tenant de la gestuelle thÊâtrale comdiffusion en prime time sur la chaÎne WDr me d’un mannequin en vitrine, personnages en 1973. un pitch de science-fiction, c’est voyeurs, cadres carcÊraux) pour souligner la surprise livrÊe par un cinÊaste dont on l’artificialitÊ de ce monde. fassbinder aimait pensait tout connaÎtre. L’enfant terrible du comparer sa filmographie balzacienne à cinÊma allemand d’après guerre, à l’aise une maison ; il crÊe un monde entier sous dans le mÊlo comme dans la peinture cloche. il y brasse ses obsessions – oppresimpitoyable de la rfa et de ses errements. sion, contrôle de la sociÊtÊ –, lui qui estimait fassbinder joue la carte sf façon cÊrÊbrale, que son pays n’avait fait que passer du une scène d’action (la seule dans toute son nazisme à une dictature plus subtilement œuvre) pour trois heures et demie de cogisoft. Midinette, fassbinder n’oublie pas le Le Monde sur le fil de tations et de paranoïa, lorsque le hÊros Rainer Werner Fassbinder romantisme et nous sert avec perversion le dÊcouvre que s’il n’existe pas, il faudrait l’in- (Carlotta, DVD disponible couple le plus tragique qui soit : il est virtuel, le 6 octobre) venter. On est moins chez les Wachowski elle est rÊelle. riche, visuellement Êtourdisque chez le godard d’Alphaville, citÊ avec ses impers sant, racÊ, joueur et anxiogène, Le Monde sur le fil est de film noir et le camÊo d’Eddie Constantine. aussi d’une totale actualitÊ. Comme dans Inception, les mondes imaginaires semblent exiger le port du Le Monde sur le fil est surtout fascinant car le style de costume-cravate impeccable. avant Avatar, L’Autre fassbinder coule de source dans cet univers glacial Monde, Chatroom ou The Social Network, fassbinder d’ordinateurs, collision entre Kraftwerk et le cabaret anticipait le vertige existentiel des identitÊs virtuelles. dÊcadent de l’allemagne de Weimar. rÊputÊ à tort Et cÊlÊbrait dÊjà , avant son chef-d’œuvre tÊlÊvisÊ Berlin pour être aussi engageant qu’un Êpisode de Derrick, Alexanderplatz et les sÊries amÊricaines contemposon cinÊma à la coquetterie distanciÊe aime les miroirs, raines, les noces rÊussies du grand et petit Êcran.
OCTOBRE 2010
WWW.MK2.COM
99
LES AUTRES SORTIES WILD WILD EAST
BREATHLESS de Yank Ik-june (Potemkine) sang-hoon est un recouvreur de dettes brutal, ÊlevÊ par un père qui lui a appris la violence pour seul langage. sa rencontre avec Yeon-hee, une lycÊenne maltraitÊe par son frère, va le pousser à bout, jusqu’à la chute. Yang ik-june, rÊalisateur, producteur et acteur principal de Breathless, rejoint Park Chan-wook (Old Boy), Bong Joon-ho (Mother) ou encore na Hong-jin (The Chaser) dans la famille des cinÊastes qui rÊinventent le thriller depuis le far East. TorturÊ, cruel, mÊtaphysique, hantÊ par des parents qui n’ont laissÊ que fureur et dÊsolation derrière eux, le cinÊma sud-corÊen frappe toujours plus fort. avec ce premier film, Yang ik-june montre qu’il est loin d’être un fils indigne. _L.T.
LA TRAVERSÉE QUATRE FILMS de Lisandro Alonso (Agnès B DVD / Potemkine)
Le pÊriple aux côtÊs de Lisandro alonso, nÊ à Buenos aires en 1975, dÊbute avec La Libertad (2001), plongÊe brute dans le quotidien de Misael, jeune bÝcheron solitaire reclus dans la pampa. DÊlestÊ de procÊdÊs narratifs factices, alonso laisse la force mystÊrieuse de son cinÊma Êclore et s’Êtirer au cours de longs plans-sÊquences silencieux. La rivière, omniprÊsente, accompagne la trajectoire de Vargas, taulard fraÎchement libÊrÊ qui part en quête de sa fille dans Los Muertos (2004), tandis que Liverpool (2008) Êpouse la destinÊe d’un marin dÊbarquÊ en Terre de feu. Derrière les paysages luxuriants et le visage impassible des personnages, le dÊsastre – la crise Êconomique – a dÊjà eu lieu. _S.A.
LE COUP dE CœUR dU VENdEUR LE CHAT NOIR d’Edgar G. Ulmer (Sidonis) Dans la collection Les immortels de l’horreur, l’Êditeur sidonis publie en DVD plusieurs classiques du genre, parmi lesquels Le Chat noir. rÊalisÊ aux Êtatsunis en 1934 par Edgar g. ulmer, cette adaptation d’Edgar allan Poe est portÊe par l’interprÊtation de deux monstres sacrÊs du genre : Bela Lugosi et Boris Karloff. Mais c’est surtout la mise en scène, l’utilisation du noir et blanc, des ombres et des lumières, qui confèrent au film cette atmosphère si particulière. Car ulmer, d’origine autrichienne, ancien assistant de Murnau, continuera durant sa carrière amÊricaine à inscrire son œuvre dans la pure tradition du cinÊma expressionniste allemand. _Florian Guignandon, vendeur à la boutique du MK2 Quai de Loire
OCTOBRE 2010
Š Marzuki Stevens
100 LE BOUDOIR /// Cd-thĂˆQUE
L’EXTra-TERRESTRE COUPS D’ÉPÉE DANS LE BEAU SUFJAN StEVENS, petit ange ÊvangÊlique de la pop-folk amÊricaine, troque ses symphonies humanistes pour un Êlectrochoc apocalyptique et schizophrÊnique, l’extra (-vagant, ordinaire, -terrestre) The Age of Adz. Robots après tout? _Par Wilfried Paris
De Sufjan Stevens, chanteur-auteur-compositeur de du rêve amÊricain, la pÊriclitation d’une sociÊtÊ portÊe 35 ans, multi-instrumentiste surdouÊ (banjo, guitare, par l’industrie automobile se signalant dans les couacs piano, batterie, hautbois, cor anglais‌), graphiste de de trompettes et de soudains cahots Êlectroniques. talent (un Master of fine arts à la new school de new York), on connaissait le projet patriote, mÊgalomane, avec l’inattendu The Age of Adz, inspirÊ par l’œuvre et pharaonique de consacrer un album à chaque apocalyptique du peintre noir-amÊricain et schizoÊtat d’amÊrique, ambition finalement rÊduite aux seuls phrène Prophet Royal Robertson (1930-1997), sufjan Michigan (2003) et Illinoise (2005), ce dernier ayant stevens semble prolonger ces questionnements dÊsmarquÊ l’Êcriture pop moderne, en morenchantÊs de manière plus dramatique, sur ceaux de bravoure folk et orchestraux, des arrangements Êlectroniques baroques, contant l’histoire de l’illinois (du serial killer oÚ les thèmes angoissÊs (amour, sexe, John Wayne gacy à l’Exposition universelle mort, maladie, anxiÊtÊ et suicide) sont illusde 1893) en autant de questionnements trÊs par une ingÊnierie chaotique, à la fois introspectifs, à la dÊsarmante sincÊritÊ. un mÊcanique et organique, tellurique et futualbum Êlectronique de belle facture (Enjoy riste. Poussant la dÊpersonnalisation à l’exYour Rabbit), un autre de ballades folks trême en filtrant sa voix dans des delays et chrÊtiennes (Seven Swans), quelques comun auto-Tune final qui ravirait Daft Punk ou The Age of Adz de Sufjan Stevens (Asthmatic pilations de Christmas songs enlevÊes, et Kanye West, sufjan semble ici accoucher Kitty/Differ-ant) rien ne semblait impossible à ce beau jeune de son golem, ou du grand robot destruchomme, douÊ par les meilleures fÊes de tous les talents. teur du film de robert Wise, The Day The Earth Stood L’annÊe dernière, sufjan surprenait son monde avec Still, annonciateur d’un Jugement dernier technoloThe BQE, un projet  multimÊdia  (film, symphonie, BD, gique. Et si une rÊconciliation entre l’homme et la techdissertation, photos, graphisme, film en 3D) ayant pour nique n’est pas impossible (Impossible Soul, dernier sujet la Brooklyn-Queens Expressway, petit bout d’autitre Êpique, de plus de vingt minutes), sufjan, ici, n’est toroute new-yorkaise dÊlabrÊ, glorifiÊ par cette œuvre pas venu en paix, mais semble bien vouloir nous rapsynesthÊsique en une boucle entropique oÚ l’ÊlÊgie peler le sens de son prÊnom (d’origine arabe) :  venu romantique le disputait à une rÊflexion amère sur la fin avec une ÊpÊe ‌
OCTOBRE 2010
WWW.MK2.COM
LES AUTRES SORTIES L’ARC-EN-CIEL INNERSPEAKER de Tame Impala (Modular Records / Discograph) InnerSpeaker mÊriterait qu’un glorieux ÊtÊ indien accompagne sa sortie automnale : l’Êblouissante dream pop de ces australiens, ouvrant pour MgMT et dont l’album a ÊtÊ mixÊ (mÊlangÊ) par Dave fridmann (Mercury rev, flaming Lips), Êclaire cette rentrÊe de mille feux multicolores, en d’intenses cavalcades vintage (guitares granuleuses, basses ronflantes, snares ÊcrasÊes), oÚ les harmonies extatiques s’enchevêtrent en Êchos suspendus, ponts (arcs-en-ciel) entre Beatles, spacemen 3 et illumination psychÊdÊlique. Panoramix. _W.P.
BACK IN (DIRTY) BUSINESS SEX WITH AN X The Vaselines (Sub Pop) adulĂŠ par Kurt Cobain et rĂŠveillĂŠ par une gĂŠnĂŠration nostalgique (Vivian girls, Dum Dum girls – le premier et seul album des Vaselines, en 1989, s’intitulait Dum Dum), le duo ĂŠcossais twee-pop fait son come-back sous les auspices du plaisir, et remet les points sur les i, enlevant un X aux frigos The XX, rappelant aux hipsters ce qu’Êtaient vraiment les annĂŠes 1980 : ÂŤ What do you know ? You weren’t there. It wasn’t all Duran Duran. I hate the 80s ‘cause the 80s were shit.Âť Trois accords garage, deux voix mĂŞlĂŠes, les amants d’hier bandent et mouillent encore. Let’s do it again. _W.P.
LE COUP DE KORT KORT – INVARIABLE HEARTACHE de Kurt Wagner & Cortney Tidwell (City Slang/PIAS) ÊchappÊ de son soyeux country-club (le big-band nashvillien Lambchop), Kurt Wagner joue les escort boys de luxe pour l’accorte Cortney Tidwell. sur des arrangements satinÊs, la paire ravive la galante et ÊlÊgante tradition du duo country telle que formulÊe, jadis, par June Carter et Johnny Cash, ou, plus rÊcemment, Zooey Deschanel et M. Ward. CôtÊ mâle, le crÊpitement d’un timbre placide et charmeur ; côtÊ femelle, des modulations vocales dont les inflexions Êvoquent la vertigineuse Dolly Parton (la sobriÊtÊ en plus) ; et à l’intersection des deux, des chansons divinement bien Êcrites (A Special Day, Penetration), à faire chavirer les Kort. _A.T.
OCTOBRE 2010
Š Mathieu Bourgois
102 102 LE LEBOUDOIR BOUDOIR /// /// Bd-thĂˆQUE BIBLIOthĂˆQUE
MaD MEN L’APOCALYPSE SELON LAURA KASISChKE Dans une AmÊrique en pleine apocalypse, une famille recomposÊe se soude peu à peu : un conte dramatique et inclassable de l’excellente LAURA KASISChKE. _Par Bernard Quiriny
Fine observatrice de la middle class amÊricaine et mère. Ce morceau de comÊdie dramatique formait des drames que cachent les riches suburbs, Laura dÊjà à lui seul un excellent roman, pathÊtique et traKasischke mêle cette fois Êcroulement de la sociÊtÊ gicomique, mais Laura Kasischke lui donne une autre amÊricaine et chronique familiale, qui en forme tour à dimension grâce à un facteur inattendu : la zoonose tour le reflet puis le contrepoint. Tout commence com- hÊmorragique ou  grippe de Phoenix , un virus qui me dans une comÊdie hollywoodienne : provoque une hÊcatombe dans toute l’amÊJiselle, hôtesse de l’air, tombe sous le charrique, dÊsorganisant la vie sociale et transme du commandant Mark Dorn, veuf sublime formant le pays en nation pestifÊrÊe. Potentielet père idÊal dont toutes les femmes sont lement contaminÊ, Mark est retenu en quaamoureuses. Par miracle, il la trouve à son rantaine en Europe : voilà Jiselle en tête-à goÝt : ils se marient, elle dÊmissionne et tête avec une famille qui ne l’aime pas, emmÊnage dans sa coquette maison pour dans un climat de prÊapocalypse que la veiller sur ses enfants pendant qu’il sillonne romancière distille avec un sens consommÊ le monde aux commandes de son Boeing. du suspense, voire du fantastique‌ De ce Le conte de fÊes commence alors à se dÊsscÊnario ingÊnieux et classique (les relations agrÊger : non seulement la maison est trufqui se transforment sous l’effet de la nÊcesEn un monde parfait de fÊe de souvenirs de la première femme de Laura Kasischke (Christian sitÊ, le contexte dramatique qui rÊvèle les uns Bourgois, roman) Mark, mais ses deux filles s’ingÊnient avec aux autres et les aide à s’accepter), Laura cruautÊ à faire sentir à Jiselle son statut d’Êtrangère. Kasischke tire l’un de ses meilleurs romans : outre qu’on il n’est jamais là , elle n’a pas d’amis et sa nouvelle vie s’attache instantanÊment à Jiselle et qu’on souffre avec dans sa ville-dortoir à cent kilomètres de Chicago l’en- elle de l’injustice matrimoniale, l’habile superposition nuie à mourir. C’est donc ça, le mariage parfait ? de la chronique familiale (trouvera-t-elle sa place auprès des enfants?) et de la quasi-science-fiction (l’amÊrique Chronique d’un Êchec conjugal, la première moitiÊ sombrera-t-elle dans un nouveau Moyen Âge ?) produ livre raconte la dÊsillusion de Jiselle et les humilia- duit un composÊ original et captivant, oÚ l’Êcrouletions qu’elle subit de la part de ses belles-filles – seul ment du monde sauve paradoxalement les personsam, le petit dernier, l’accepte comme une nouvelle nages d’eux-mêmes et de leurs conflits. un bijou.
OCTOBRE 2010
WWW.MK2.COM
103
LES AUTRES SORTIES LA ChRONIQUE NOSTALGIQUE FRANCE 80 de GaÍlle Bantegnie (Gallimard, Coll. L’Arbalète, roman) ici, Claire Berthelot, 13 ans, issue d’une famille de la classe moyenne qui vient d’emmÊnager dans un pavillon neuf de la banlieue nantaise. Là , Patrick Cheneau, 26 ans, technico-commercial beau gosse qui roule en fuego et vit en couple avec une coiffeuse. Ce sont les deux antihÊros ordinaires qu’a choisis gaÍlle Bantegnie pour cette peinture de la france moyenne des annÊes 1980, avec ses codes culturels (Billie Jean de Michael Jackson), ses marques fÊtiches (les raider, le jus de pomme Valisac‌) et ses mythes collectifs. un premier roman  social  original et captivant, qui joue avec une nostalgie distanciÊe sur l’imaginaire d’une Êpoque. Les trentenaires d’aujourd’hui comprendront. _B.Q.
LE ROMAN hISTORIQUE PARLE-LEUR DE BATAILLES, DE ROIS ET D’ÉLÉPHANTS de Mathias Enard (Actes Sud, roman)
après l’Ênorme Zone qui lui avait valu le Prix du livre inter, Mathias Enard revient à un format plus modeste dans ce bref roman historique au titre dÊmesurÊ, rÊcit de l’expÊdition à Constantinople que fait Michel-ange en 1506 pour dessiner un pont, projet que le sultan vient de retirer à LÊonard de Vinci‌ au fil de brefs chapitres à l’Êcriture sobre et ÊlÊgante, Enard dÊvoile les coulisses du pouvoir byzantin, les rapports de force entre l’artiste et le pape, son dÊpaysement dans cet Orient plein de couleurs et de mystères, et l’avancÊe laborieuse de son pont sur la Corne d’Or. On glisse sans y prendre garde dans l’univers original et capiteux de ce texte, que sa concision n’empêche pas d’être riche. _B.Q.
LE COUP dE CĹ“UR dE LA LIBRAIRE ENLĂˆVEMENT AVEC RANÇON d’Yves Ravey (Les Éditions de Minuit, roman)
il Êtait une fois deux frères, Max et Jerry, perdus de vue depuis vingt ans et qui ne se retrouvent que pour mieux enlever, moyennant rançon, samantha, la fille de salomon Pourcelot, patron d’une entreprise d’emboutissage oÚ officie Max en tant que comptable. roman noir, intrigue ÊpurÊe, Êcriture très affinÊe, ravey au meilleur de son style, extirpant ses personnages d’un huis clos familial, sur fond de paysage ouatÊ de neige, dans un enchaÎnement de plans très visuels qui n’ont rien à envier au cinÊma. Yves ravey signe là un superbe thriller, à sa manière, oÚ art de l’ellipse et profondeur psychologique se fondent avec brio. _Pascale Dulon, libraire au MK2 Bibliothèque
OCTOBRE 2010
Š Charles Burns & CornÊlius
104 104 LE LEBOUDOIR BOUDOIR /// /// Bd-thĂˆQUE Bd-thĂˆQUE
DOPE EN STOCK LES MIXTIONS IMPOSSIBLES DE ChARLES BURNS Avec Toxic, premier Êpisode d’un rÊcit au long court, entremêlant souvenirs (HergÊ, Burroughs) et niveaux de rÊalitÊ, ChARLES BURNS signe un album saillant, d’une mÊlancolie addictive. _Par Joseph Ghosn (www.gqmagazine.fr)
Les premières amours ne meurent jamais, elles ne font que se transformer, devenir autre chose. Toxic pourrait bien être une variation sur ce thème : premier amour de bande dessinÊe, premier amour d’adolescence, premier amour littÊraire. Ouverture virevoltante d’un nouveau cycle narratif, dÊcoupÊ en plusieurs parties, Toxic survient cinq ans après la fin de la sÊrie Black Hole, qui aura pris dix ans à Charles Burns, à raison d’un Êpisode par an, puis d’un recueil d’ensemble formant un des plus beaux romans graphiques jamais lus. Black Hole parlait dÊjà d’adolescence et d’amours. il Êtait empli des souvenirs de l’auteur, restituÊs dans un contexte mi-rÊaToxic de liste, mi-fantastique, avec des corps d’ados Charles Burns (CornÊlius) qui muent à cause d’une maladie sexuellement transmissible. La maladie est encore au cœur du rÊcit de Toxic, mais elle est plus mÊlancolique que physique. Le personnage qui en est affectÊ a l’air Êtrangement perdu, les yeux vitreux, des poches sous le regard, comme s’il avait trop pleurÊ. son Êtat de malade, couchÊ sur un lit oÚ s’entassent toutes sortes de fÊtiches, est l’axe central du livre, dÊroulant un rÊcit dÊstructurÊ, qui s’agence en forme de collage de souvenirs et de fantasmes. Burns, qui a lu HergÊ très tôt, s’est souvenu de ce premier coup de foudre, OCTOBRE 2010
et a parsemÊ son livre de rÊfÊrences à Tintin (ici rêvÊ avec une houppette noire corbeau). il s’est aussi souvenu de son adolescence au milieu de la scène punk californienne des annÊes 1970. il s’est enfin souvenu de l’un de ses auteurs prÊfÊrÊs, William Burroughs, auquel il emprunte les mÊthodes de collage littÊraire, de rencontres hasardeuses entre des bouts Êpars de rÊcits ou d’images, formant à l’arrivÊe un ensemble Êtrangement cohÊrent. C’est ainsi que dans Toxic on reconnaÎt des images furtives empruntÊes à Black Hole. Ce qui donne à ce prÊcÊdent livre un autre sens, une autre mesure. Mais pas besoin de lire Black Hole pour adorer Toxic. Bien au contraire:l’histoire narrÊe ici est d’une force presque supÊrieure, naviguant entre plusieurs niveaux de rÊalitÊ, plusieurs interprÊtations possibles. Hommage serrÊ au format des bandes dessinÊes d’HergÊ, dont il reprend jusqu’au dos toilÊ et à la pagination resserrÊe, Toxic est le livre le plus abouti de son auteur, qui le voit malmener ses obsessions, ses souvenirs et ses envies pour en tirer quelque chose de neuf, de saillant. Toxic ne se lit pas, il se relit plusieurs fois d’affilÊe, comme on reprendrait inlassablement d’une drogue, sans jamais comprendre pleinement ce qui nous attire en elle.
WWW.MK2.COM
105
LES AUTRES SORTIES L’ODYSSÉE DE SURVIE
APOCALYPSE NERD de Peter Bagge (Vertige Graphic) L’heure de gloire de Peter Bagge se situe dans les annÊes 1990, lorsqu’il chroniquait les annÊes grunge et sa ville, seattle, dans des rÊcits drôles et personnels. Apocalypse Nerd met en scène un fantasme, celui d’une odyssÊe de survie, après une attaque nuclÊaire. Bagge y reprend à son compte les grandes lignes des films postapocalyptiques des seventies, histoire de voir jusqu’oÚ il peut mener ses personnages dans leur quête pour subsister dans un monde devenu trop sauvage pour eux. _Jo.Gh.
LA ChRONIQUE ADOLESCENTE GIRLS DON’T CRY de Nine Antico (GlÊnat) après deux beaux livres (Le GoÝt du paradis et Coney Island Baby) et quelques fanzines gracieux, nine antico livre ici une sÊrie de confessions de jeunes filles, revenant sur un de ses thèmes implicites, la sexualitÊ des adolescentes. Mais elle le fait en adoptant un point de vue lÊger, rapide, fugace, pour construire son livre le plus accessible et le plus fÊminin, le plus pop aussi. Très dÊlectable. _Jo.Gh.
L’ALBUM JEUNESSE ADIEU CHAUSSETTE de Benjamin Chaud (Éditions HÊlium) Benjamin Chaud, après la fÊe Coquillette et Pomelo, nous offre un nouveau personnage : un petit garçon qui pour le moment n’a pour meilleur ami que son lapin buffle prÊnommÊ Chaussette. Pas terrible comme compagnon de jeu ! nul en foot, nul à la bagarre. alors notre petit bonhomme dÊcide d’abandonner Chaussette en pleine forêt. Mais est-il vraiment prêt à grandir ? À abandonner son doudou ? L’histoire nous le dira‌ Comme toujours avec Benjamin Chaud, un rÊcit tout en tendresse, mille dÊtails dans les dessins de la forêt, des scènes plus intimistes, une atmosphère graphique singulière. Et on le dira encore haut et fort : cette poÊsie-là , on adore. _Sophie Quetteville, libraire au MK2 Quai de Loire
OCTOBRE 2010
106 106 SEX TAPE /// L’INSTANT ÉROTIQUE
Š Wild Side
POrn TO BE ALIVE
CinÊaste chevronnÊ (Clerks, Dogma), Kevin smith livre en pâture l’Êtalon seth rogen (Zack) et la pouliche Elisabeth Banks (Miri), tous deux issus de l’Êcurie apatow. Copains comme cochons depuis le bac à sable, jamais Zack et Miri ne coucheront. unis dans la disette affective, ils partagent loyer, eau et ÊlectricitÊ. Tandis que Miri tente de rester fourmi, Zack s’assume cigale. Les affaires se corsent lorsque le mâle de la paire dÊpense ses derniers deniers dans un outil de pointe pour soulager son membre inutilisÊ. Le malheur s’abat alors sur la maisonnÊe. Pour rÊtablir le courant salutaire, Zack a une idÊe de gÊnie : Zack et Miri feront un porno. Mais le porno tombe à l’eau : Zack et Miri sont amoureux. _S.A. // Zack et Miri font un porno de Kevin Smith // Sortie en DVD le 5 octobre chez Wild Side VidÊo