Trois Couleurs #85 – Octobre 2010

Page 1

OCTOBRE 2010

85

CINÉMA CULTURE TECHNO

by

MŒBIUS RETOUR VERS LE FUTUR


OCTOBRE 2010

85

CINÉMA CULTURE TECHNO

by

YAHIMA

TORRES VÉNUS PHARE



Transfigurés Pour la première fois dans l’histoire de ce journal, vous avez le choix entre deux couvertures. L’une représente le dessinateur Jean Giraud, aka Mœbius, honoré cet automne par une vaste exposition à la Fondation Cartier ; l’autre célèbre Yahima Torres, nouvelle comédienne découverte par Abdellatif Kechiche, à l’affiche de son quatrième long métrage événement, Vénus noire. A priori, rien ne les rapproche. Adepte des brouillages d’identité, Giraud / Mœbius a fait de genres déconsidérés –western et science-fiction – le terrain d’expérimentations graphiques et narratives fulgurantes. Sans jamais se cantonner à la seule bande dessinée, son œuvre croise culture de masse d’après guerre et radicalité underground, volutes psychédéliques et blockbusters hollywoodiens. Bref, un parcours en parfait contraste avec celui de Yahima Torres, jeune immigrée d’origine cubaine, débutant sa carrière sous la direction du fer de lance du cinéma d’auteur hexagonal des années 2000, épris d’authenticité. Ceci étant dit, Kechiche a sans doute trouvé en son actrice, bloc de mystère et de sensualité, l’incarnation la plus probante de la métamorphose de son cinéma, qui, avec Vénus noire, aborde des continents nouveaux (l’Histoire avant le temps présent, le regard avant la parole), au moyen d’une mise en scène qui n’a jamais paru aussi musicale, alternant transe et silence. Mystère, métamorphose, transe : trois motifs au cœur des travaux de Mœbius, comme le souligne le titre de l’exposition de la Fondation Cartier, Transe-Forme. Bien sûr, il ne s’agit pas ici d’affirmer que l’actrice et le dessinateur sont les deux côtés d’un seul et même ruban (ce serait nier leur extrême singularité) ; mais plutôt de suggérer que leur art est suffisamment riche et protéiforme pour, au détour de l’actualité, se trouver des points d’attache – le pli d’une couverture, par exemple. _Auréliano Tonet



by

ÉDITEUR MK2 MULTIMÉDIA 55 RUE TRAVERSIÈRE_75012 PARIS 01 44 67 30 00 Directeur de la publication & directeur de la rédaction Elisha Karmitz (elisha.karmitz@mk2.com) Rédacteur en chef & chef de rubrique « culture » Auréliano Tonet (aureliano.tonet@mk2.com) Chef de rubrique « technologies » Étienne Rouillon (etienne.rouillon@mk2.com) Chefs de rubrique « cinéma » Clémentine Gallot (clementine.gallot@mk2.com) Juliette Reitzer (juliette.reitzer@mk2.com Direction artistique Marion Dorel (marion.dorel@mk2.com) Sarah Kahn (sarah.kahn@mk2.com) Design Sarah Kahn Secrétaire de rédaction Laurence Lemaire Stagiaires Stéphanie Alexe, Laura Tuillier Ont collaboré à ce numéro Ève Beauvallet, Renan Cros, Isabelle Danel, Pascale Dulon, Julien Dupuy, Caroline Eliacheff, Sylvain Fesson, Yann François, Joseph Ghosn, Jacky Goldberg, Florian Guignandon, Donald James, Olivier Joyard, Pamela Messi, Wilfried Paris, Laura Pertuy, Sophie Quetteville, Bernard Quiriny, Violaine Schütz, Raphaëlle Simon, Léo Soesanto, Bruno Verjus, Éric Vernay, Anne-Lou Vicente Photographies de couverture Nicolas Guerin (couverture Mœbius) Philippe Quaisse (couverture Yahima Torres) Illustrations Théo Gennitsakis, Dupuy & Berberian Publicité Responsable clientèle cinéma Stéphanie Laroque 01 44 67 30 13 (stephanie.laroque@mk2.com) Partenariats Amélie Leenhardt 01 44 67 30 04 (amelie.leenhardt@mk2.com)

© 2009 TROIS COULEURS issn 1633-2083 / dépôt légal quatrième trimestre 2006. Toute reproduction, même partielle, de textes, photos et illustrations publiés par MK2 est interdite sans l’accord de l’auteur et de l’éditeur. Magazine gratuit // Ne pas jeter sur la voie publique

SOMMAIRE # 85 3 ÉDITO 6 L’ŒIL DE… > Louis Garrel 10 SCÈNE CULTE > L’Esquive 12 PREVIEWS > Black Swan

15 LES NEWS 15 CLOSE-UP > Jesse Eisenberg 16 LE K > Biutiful 18 KLAP > En attendant Azraël 20 TÉLÉCOMMANDO > Boardwalk Empire 22 EVENT > Larry Clark 24 HOMMAGE > Claude Chabrol 28 L’HURLUBERLU > Adam McKay 30 PASSERELLES > Jean-Michel Basquiat 32 IN SITU > Mark Ronson 34 UNDERGROUND > Francis & the Lights 36 REGARDS CROISÉS > AaRON / Raphaël 38 LE NET EN MOINS FLOU > La géolocalisation 40 AVATAR > Move de Sony

43 LE GUIDE 44 SORTIES CINÉ 56 SORTIES EN VILLE 66 LA CHRONIQUE DE DUPUY & BERBERIAN

68 DOSSIERS 68 MŒBIUS À LA FONDATION CARTIER 78 BRUNE / BLONDE À LA CINEMATHÈQUE 82 YAHIMA TORRES // VÉNUS NOIRE 86 SOPHIE LETOURNEUR // LA VIE AU RANCH 90 RAOUL RUIZ // LES MYSTÈRES DE LISBONNE 92 GREGG ARAKI // KABOOM

97 LE BOUDOIR 98 DVD-THÈQUE > R.W. Fassbinder 100 CD-THÈQUE > Sufjan Stevens 102 BIBLIOTHÈQUE > Laura Kasischke 104 BD-THÈQUE > Charles Burns 106 SEX TAPE > Zack et Miri font un porno

VOUS SOUHAITEZ COMMUNIQUER DANS aPPELEZ-nOus ! 01 44 67 68 01

?


Š Philippe Quaisse/Pasco


7 L’œIL DE… /// LOUIS GARREL

éCHaPPéE BELLE S’il possède la grâce espiègle et désinvolte des acteurs de la Nouvelle Vague qu’il cite en modèles, LOUIS GARREL est aussi l’icône du cinéma d’auteur actuel. À 27 ans, le beau brun sort un moyen métrage, Petit Tailleur, élégante fuite amoureuse présentée à la dernière Quinzaine des réalisateurs, où un jeune artisan tombe sous le charme d’une insaisissable comédienne. Entre quête du bonheur et réflexion sur le poids de l’histoire, rencontre avec un metteur en scène romantique et engagé. _Propos recueillis par Juliette Reitzer

Q

uelle est la genèse du film ? Je voulais filmer albert, le tailleur, qui est le père d’un ami. Je savais qu’il était un survivant de la shoah, qu’il avait traversé de nombreux drames, et je le voyais tous les jours un peu plus gai d’être vivant. Je me suis dit qu’il incarnerait dans le film une partie de la mémoire du pays, puis j’ai construit autour de lui une histoire où une fille ferait souffrir un garçon. Cette référence au passé sous-tend tout le film. Pourquoi est-ce si important pour vous ? Quand on vit en france, il y a des matins où l’Histoire est asphyxiante. L’apprenti tailleur essaie de fuir la sienne en se jetant dans une relation amoureuse. Et Marie-Julie, le personnage féminin, est actrice, l’un des plus vieux métiers du monde. Du coup elle a aussi, peut-être, le désir d’échapper au poids du passé. Je voulais faire un éloge de la fuite et un film sur ces moments dans la vie où on se dit qu’on est un raté. Ce que j’ai toujours cherché au cinéma, c’est soit à vivre une vie que je ne vivrai jamais, soit à me purger de mes passions tristes. Le film est parcouru d’un vrai souffle littéraire : textes dits en voix off, vers de Yeats… Pourtant, je ne suis pas un grand lecteur. J’ai lu un peu Balzac, un peu flaubert… il y a d’ailleurs un passage de L’Éducation sentimentale dans le film : « Ça fait tellement longtemps que je t’attendais… » Mais tu pioches toujours partout. Plus que la littérature, je suis influencé par le théâtre. J’avais vu une mise en scène d’andré Engel,La Petite Catherine de Heilbronn de Kleist, une pièce romantique dans laquelle deux

OCTOBRE 2010

jeunes gens tombent amoureux dans leurs rêves. Je me suis dit : « Voilà un truc bien désuet que j’aimerais transposer dans une histoire du XXIe siècle. » La scène a disparu du montage final mais l’esprit demeure. Et la voix off, c’est à cause du film d’arnaud Desplechin, Comment je me suis disputé…, que tout le monde essaie d’imiter, et moi avec. La voix off réussit à transcender le film, à lui donner un contenu philosophique.au cinéma, tout est question de distance et la voix off est comme un guide qui vous renseignerait sur une chose que vous avez sous les yeux mais que vous n’aviez pas regardée. Malgré la déception amoureuse qu’il raconte,Petit Tailleur n’a rien d’un film sombre. Les jeunes gens du film ont la tristesse des vieilles âmes alors qu’ils ont très peu vécu, tandis que le personnage d’albert, qui a énormément souffert, continue à vivre joyeusement. L’idée était de faire un film assez doux. C’est mon créneau, j’aime bien arrondir les angles. J’essaie de fabriquer des objets qui diraient aux gens que le monde n’est pas si dégueulasse, pas si rugueux. Qu’il pourrait être un peu rond, féminin.Tolstoï a une théorie très belle sur l’art : il faut donner envie aux hommes d’aller vers le bien, montrer des héros meilleurs que nous-mêmes. C’est une des vertus du cinéma : vivre les choses par procuration, y compris la souffrance, et ainsi éviter de se faire du mal à soi-même, ou d’en faire aux autres. Votre film est nourri de l’influence de la Nouvelle Vague. Pourquoi cet attachement ? Dans les années 1950-60, il fallait reconstruire, peutêtre que la pulsion de vie était particulièrement puissante. On sent dans les films de la nouvelle Vague

WWW.MK2.COM


8 L’œIL DE… /// LOUIS GARREL

Léa Seydoux et Arthur Igual

« CE QUE J’AI TOUJOURS CHERCHÉ AU CINÉMA, C’EST SOIT À VIVRE UNE VIE QUE JE NE VIVRAI JAMAIS, SOIT À ME PURGER DE MES PASSIONS TRISTES. » une joie de vivre, une liberté. Petit Tailleur est un remake d’Antoine et Colette de françois Truffaut. Ce qui intéresse Truffaut, ce sont les rapports entre les filles et les garçons, et c’est la famille à laquelle j’ai envie d’appartenir. Et puis ce sont les films qui m’ont donné envie de vivre quand j’avais 14 ans, qui m’ont fait une promesse de joie. Quel directeur d’acteur êtes-vous ? il me semble qu’un acteur doit toujours chercher à avoir un regard extérieur sur la scène.albert, qui n’est pas acteur, n’avait pas le désir d’être bon ou mauvais, mais de bien raconter son histoire. il était très impliqué dans la recherche de la vérité. Quand je vois le résultat,je me dis que nous,les acteurs,devrions toujours avoir une raison profonde de jouer un rôle, y chercher une vérité. Comme chez Cassavetes : il n’y a aucun film où les acteurs sont aussi tendus, incarnés que dans les siens. Tous ont une idée précise de l’histoire qu’ils ont envie de raconter. La grande panique de l’acteur est de savoir s’il existe en dehors de son personnage, s’il va continuer à vivre, car ce métier a un vrai côté sacrificiel. Être acteur, c’est comme être député européen : il faut bien représenter. Vous filmez Paris en noir et blanc, avec beaucoup de tendresse. C’est difficile de filmer Paris, mais j’ai choisi le noir et blanc parce que j’essaie de créer un dépaysement. avec le noir et blanc, on recompose, l’imagination travaille. Ce que j’aime en tant que spectateur, c’est de re-désirer le monde. Le film a un côté conte, donc il fallait que tout soit décalé, qu’on n’ait aucune référence contemporaine. Comme disait Truffaut au sujet

de Vivement dimanche : « Je fais ce film en noir et blanc parce que la télé est en couleurs. » À l’heure du tout numérique, pourquoi tourner en pellicule ? J’ai vu une interview de renoir par rivette où il disait que le progrès technique peut tuer l’art : plus on copie la réalité, plus on tue l’expression artistique. Mais le dernier grand film français, La Graine et le mulet, est tourné en numérique alors… tout est relatif ! Quand on fait du théâtre, on essaie toujours de transposer la réalité, de la recréer en se l’appropriant. C’est naïf, mais je crois que la pellicule transpose un peu plus que le numérique. Dans cet entretien, renoir disait aussi que le jour où il y aurait des écrans tout autour de la salle, où le spectateur aurait la sensation de pouvoir toucher les arbres, alors il sortirait des cinémas pour aller directement se promener dans un bois… La pellicule donne un côté magique aux choses. C’est agréable d’aller avec ton petit film dans les laboratoires où ont été développés les plus grands. Quels sont vos projets ? Cet été, j’ai tourné dans le nouveau film de mon père, Un été brûlant, avec Monica Bellucci. Ensuite je vais jouer dans le nouveau Christophe Honoré,une comédie musicale, puis dans le prochain Xavier Dolan, Laurence Anyways. Et dans mes projets, il y a aussi d’essayer que les forces progressistes ne trouvent pas de raisons de se diviser quand les forces réactionnaires trouvent en deux secondes des raisons de s’unir.ne pas finir comme l’italie,où les jeunes gens sont à terre et se réfugient dans le cynisme. Voilà, fuir le cynisme, c’est mon grand projet.

Un film de Louis Garrel // Avec Arthur Igual, Léa Seydoux… // Distribution : MK2 Diffusion // France, 2010, 43 minutes // Sortie le 6 octobre

OCTOBRE 2010

WWW.MK2.COM



© D.R.

10 SCèNE CULTE /// L’ESQUIVE

T’as VU LE PITCH Dans une cité de la banlieue parisienne, Krimo tombe amoureux de Lydia. Tous deux ont 15 ans. La belle se découvre une passion pour le théâtre grâce à Marivaux et son Jeu de l’amour et du hasard, qu’ils étudient en cours de français.Très épris, Krimo peine à trouver les mots justes pour lui déclarer sa flamme. Lydia lui tend ici une perche tacite en l’invitant à une répétition en plein air, celle où elle exhibe son costume pour la première fois.

LYdIA : Toi frida tu kiffes, elle est belle ou pas ? FRIdA : Ouais, franchement, elle est belle, mais quand même, c’est pas une raison pour être en retard. LYdIA : Ouais mais, elle est belle, je te demande. Elle est belle ou pas ? FRIdA : Ouais, franchement, elle est belle. Eh mais, t’as traversé toute la cité sapée comme ça là ? Mais, hchouma, t’es folle, devant tout le monde. LYdIA : Quoi, je m’en fous moi des gens. Je suis plus dans mon personnage quand j’ai ma robe. C’est mieux comme ça qu’en jean. Je m’en fous, je les emmerde. C’est mieux pour jouer, vous trouvez pas que c’est mieux pour jouer ?

RAChId : Moi, mon costume il va être prêt soir-ce. LYdIA : Wesh, ça va être chébran si on a tous nos costumes. Ça va trop le faire. FRIdA : T’sais, on en a rien à branler des costumes. Ce qu’il faut c’est vivre les sentiments des personnages, faut que ça vienne de l’intérieur, faut ressentir l’esprit. faut pas voir l’apparence, faut voir ce qu’ils dégagent, t’as vu. Et les habits, franchement, on en a rien à foutre. C’est pas l’apparence qui compte. C’est le cœur, tu vois. RAChId : Ça dépend, sérieux, ça dépend. La dernière fois, on a vu une interview d’un acteur, et il a dit qu’il ressentait les sentiments de ses personnages que quand il avait mis ses chaussures. Tu vois comme quoi, ça dépend. FRIdA : Et tu vas assister à la répétition Krimo ? KRIMO : Ouais, je crois. FRIdA : Mais franchement, Lydia, t’aurais pu prévenir. T’aurais pu dire que tu le ramènes, wesh moi ça me gêne de jouer devant lui. LYdIA : C’est bon, c’est Krimo. arrête de faire comme si c’était je sais pas qui qu’on ramène. C’est pas le Président qu’on ramène, c’est Krimo.

Un film d’Abdellatif Kechiche // Scénario d’Abdellatif Kechiche et Ghalia Lacroix // France, 2006, 1h57 // DVD disponible chez Opening

OCTOBRE 2010

WWW.MK2.COM



12 PREVIEW

BLACK SwAN Venise aime voir Darren aronofsky disséquer le corps humain et ses métamorphoses à coups de gros plans en caméra portée. Deux ans après The Wrestler (Lion d’or), Black Swan, projeté en ouverture de la 67e Mostra, offre une plongée organique dans les angoisses de nina (natalie Portman),étoile montante du new York City Ballet. Obsédée par ses auditions pour Le Lac des cygnes, sa chair se transforme au fur et à mesure de son apprentissage de la sensualité, indispensable au personnage… Envoûtante en «cygne-garou schizophrène» (dixit aronofsky), natalie Portman entre avec grâce dans la course aux oscars, talonnée par sa rivale dans le film, Mila Kunis, déjà sacrée meilleur espoir à Venise.

© D.R.

_Pamela Messi Un film de Darren Aronofsky // Avec Nathalie Portman, Mila Kunis… Distribution : 20th Century Fox France // États-Unis, 2010, 1h43 Sortie le 2 mars 2011


13



LES

NEWS

SECOUEZ, AGITEZ, SAVOUREZ : L’ACTU CINÉ, CULTURE,TECHNO FRAÎCHEMENT PRESSÉE

CLOSE-UP

© Sony Pictures

La raideur pédante de JESSE EISENBERG le mènera loin : ce mois-ci dans les filets de David Fincher, pour The Social Network. Jesse Eisenberg, dont le regarde inexpressif nous nargue sur les écrans depuis plusieurs mois, est l’heureux élu d’un rôle most wanted : celui du fondateur tête à claques de facebook, le déplaisant et génial Mark Zuckerberg. La mine renfrognée, la diction hachée, ce new-Yorkais de 26 ans collectionne les rôles d’antihéros : ado intello prétentieux de Brooklyn dans Les Berkman se séparent, puis Adventureland et Zombieland, après quelques apparitions chez M. night shyamalan et Wes Craven dans sa jeunesse. Passées ses mimiques de jeune Juif névrosé, Eisenberg dévoile un jeu d’acteur moins lisible que son comparse canadien, l’angélique Michael Cera, qui occupe dans le cinéma indépendant américain, comme dans le cœur des jeunes filles, un créneau similaire. au festival de Deauville, avec Holy Rollers, il a sorti ses papillotes pour le rôle d’un juif orthodoxe dealer d’ecsta. Really. _Clémentine Gallot


16 NEWS /// POLÉMIQUE

K

LE

IL Y A CEUX QU’IL ÉNERVE ET CEUX QUI LE VÉNèRENT

© D.R.

Ça VA BARDEM Biutiful, sentimental ? Avec ce mélo social, ALEJANdRO GONZÁLES IÑÁRRItU est-il fidèle à lui-même, roublard et complaisant, ou connaît-il un retour en grâce ? _Par Clémentine Gallot (la question) et Yann François (la réponse)

LA QUEStION

LA RéPONSE

Vida de mierda que celle d’uxbal, marginal des basfonds de Barcelone. Biutiful (autocongratulation ?), porté par un Javier Bardem toujours vaillant et justement récompensé à Cannes, aurait bouleversifié la Croisette et prétendu un temps au titre de candidat à la Palme. alejandro gonzáles iñárritu, habitué des films racoleurs, grand bullshiteur devant l’éternel, avait touché le fond avec Babel, mélo mondialisé enflé et démago. Le cinéaste mexicain d’Amours chiennes et de 21 grammes nous replonge ici dans son cinéma de l’effondrement généralisé (dèche, cancer, sans-papiers) avec l’affolement et l’urgence qui le caractérisent. Quoique marqué par une sobriété bienvenue, cet essai espagnol de 2h17 traîne en longueur et reste larmoyant. À force d’éparpillement narratif, ce scénario poussif ne dilue-t-il pas la force du jeu de Bardem ?

Qui touche le fond ne peut que remonter. On pensait iñárritu condamné à jouer ad vitam aeternam l’infâme VrP du pathos cinématographique. avec Biutiful, les élans pompiers de mise en scène ne désemplissent pas. Mais le goût délirant du cinéaste pour les coïncidences d’événements se voit, lui, sacrément bridé. Le divorce d’avec guillermo arriaga, son scénariste de toujours, est-il un heureux hasard ? Exit le déterminisme, parfois ingénu, souvent douteux, qui empoisonnait ses précédentes purges. Bien que bancal, Biutiful offre un revirement louable : troquer les illuminations mondialistes (dont Babel fut le summum) contre la fascination pour un martyr solitaire, campé par l’immense Bardem. Véritable attraction du film, le comédien sauve l’entreprise du naufrage annoncé, en offrant une nuance inédite à un cinéaste en mal de rédemption.

Un film d’Alejandro Gonzáles Iñárritu // Avec Javier Bardem, Maricel Álvarez… Distributon : ARP Sélection // Espagne-Mexique, 2010, 2h17 // Sortie le 20 octobre

LA RÉPLIQUE

« YOU JUST FUCKED WITH THE WRONG MEXICAN ! » (MACHETE, EN SALLES LE 1 ER DÉCEMBRE)

OCTOBRE 2010

WWW.MK2.COM



© Richard Shroeder/Contour by Getty Images

18 NEWS /// KLAP ! /// ZOOM SUR UN TOURNAGE

CHauD DEVANT Après Persépolis, MARJANE SAtRAPI et VINCENt PARONNAUd remettent le couvert avec l’adaptation de Poulet aux prunes, rebaptisé En attendant Azraël pour le grand écran. Tournage aux petits oignons dans les célèbres studios Babelsberg à Berlin. _Par Laura Tuillier

uivez bien les instructions, la recette change un peu. aux personnages black & white de Persépolis, Marjane satrapi préfère cette fois la crème des acteurs en chair et en os. Prenez Mathieu amalric pour l’étrangeté souriante, ajoutez Chiara Mastroianni pour la douceur et Jamel Debbouze pour relever la sauce. n’oubliez pas isabella rossellini pour l’élégance et Maria de Medeiros pour le charmant minois. saupoudrez d’édouard Baer pour ne pas

S

finir d’étonner. Marjane satrapi, en chef quatre étoiles, ne laisse pas le choix de la matière première au hasard : sa bande dessinée avait remporté le Prix du meilleur album au festival d’angoulême en 2005. Poulet aux prunes aka En attendant Azraël raconte l’histoire d’un violoniste célèbre, nasser ali Khan (Mathieu amalric), inconsolable depuis que son violon a été brisé. nous sommes à Téhéran en 1958, le musicien décide de se laisser mourir au fond de sa chambre. Huit jours plus tard, c’est chose faite… épaulée du fidèle Vincent « Winschluss » Parronaud à la réalisation, la dessinatrice s’apprête à nous faire goûter aux épisodes les plus succulents de la longue vie du violoniste. Les studios Babelsberg, où ont notamment été tournés Nosferatu le vampire et Métropolis, se sont transformés depuis juillet en gigantesque cuisine. Ça chauffe aux fourneaux.

_Par S.A.

INDISCRETS DE TOURNAGE 1. Marina Hands incarnera une cavalière dans le prochain film de Patricia Mazuy. Lasse de dédier sa vie à des chevaux de course sans être récompensée, Gracieuse monte ceux de son propre élevage… Premier clap de Sport de filles fin septembre. 2. Paul Verhoeven ne retournera pas aux États-Unis dans l’immédiat. Après le remarquable Black Book (2006), il prépare un nouveau film dans son pays d’origine, les Pays-Bas. The Hidden Force retracera la chute de l’empire colonial hollandais sur 50 ans. 3. Steve McQueen retrouvera le comédien Michael Fassbender début 2011 pour Shame, le portrait d’un New-Yorkais qui ne maîtrise plus sa vie sexuelle. Venant du réalisateur de Hunger, on peut s’attendre à un compte-rendu acide de nos frustrations contemporaines.

Sortie prévue en mai 2011

LA TECHNIQUE

© Paramount Pictures

UN tRAVAIL dE SOURIS Pour le remake u.s. du Dîner de cons,The Dinner, ce sont les frères Charles, Edward et stephen Chiodo, fabricants de marionnettes à Hollywood depuis 30 ans, qui, assistés de trente artistes, ont confectionné, mis en scène et éclairé les dioramas de souris empaillées, censés être patiemment confectionnés par le personnage de steve Carell. ils ont façonné une centaine de souris miniatures, qu’ils ont rendues légèrement anthropomorphiques pour éviter un résultat trop rebutant : les membres des rongeurs, mais aussi leurs yeux et leurs doigts, ont été élargis, et on leur a même ajouté des épaules pour faciliter la création des costumes taillés sur mesure. _Julien Dupuy // The Dinner de Jay Roach, sortie le 10 novembre

OCTOBRE 2010

WWW.MK2.COM


19


© Home Box Office HBO

20 NEWS /// TÉLÉCOMMANDO

sOaPSOPRANO Parrainées par Martin Scorsese et Terence Winter, les noces de la télévision et du cinéma sont célébrées en grandes pompes dans la nouvelle série de HBO, Boardwalk Empire. _Par Olivier Joyard

P

our comprendre où en est arrivée la télévision aujourd’hui, en tout cas dans sa forme la plus aboutie que sont les séries, il fallait regarder HBO le 19 septembre dernier. Ce soir-là débutait Boardwalk Empire, création d’un ex des Soprano, Terence Winter, dont le pilote a été réalisé par Martin scorsese. il n’avait jamais travaillé pour le petit écran auparavant, mais n’a pas hésité un instant à mettre son nez dans cette série historique située au début des années 1920, pendant la Prohibition. un signe que l’écart autrefois abyssal entre télévision et cinéma se réduit toujours plus. Le dernier festival de Cannes avait d’ailleurs envisagé sélectionner ledit épisode, qui n’aurait pas fait tache au milieu du gratin des auteurs mondiaux, même s’il est difficile de parler de chef-d’œuvre : scorsese ne manque pas de style, mais on a parfois l’impression d’assister à une leçon d’école de cinéma un peu compassée. Tout n’est pas perdu pour autant car Boardwalk Empire reste une série – la première saison compte douze épisodes – qui a besoin d’autre chose que de l’œil d’un cinéaste, aussi mythique soit-il. De personnages, par exemple. Le destin d’Enoch Thompson (steve Buscemi) est de créer un empire depuis atlantic City pour régner sur l’amérique. On pense à lui comme à un ancêtre fantasmé de Tony soprano. On espère qu’il parviendra à nous émouvoir autant que lui au fil des années.

BUZZ TV

_Par O.J.

1. Showtime et Canal + s’affrontent à distance avec des séries consacrées aux Borgia (XVe et XVIe siècles). La chaîne câblée U.S. a casté Jeremy Irons dans le rôle principal et déjà tourné plusieurs épisodes. Canal, qui vient à peine de donner les premiers tours de manivelle à Prague, compte sur l’écriture acérée de Tom Fontana (Oz). Diffusions en 2011. 2. Quelques mois après la fin de Lost, son cocréateur J.J. Abrams a vendu à Fox une série à nouveau située sur une île. Cette fois, il s’agit d’Alcatraz, la célèbre prison de la baie de San Francisco. 3. Eastbound & Down saison 2 est diffusée sur HBO depuis le 26 septembre, toujours avec le duo Adam McKay/Will Ferrell à la production, et l’acteur Danny McBride. La série la plus drôle du moment ?

Boardwalk Empire sera diffusé sur Orange Cinéma Séries à partir du mois de décembre

LE CAMÉO

© NBC Universal

JOhN hAMM dANS 30 ROCK John Hamm, alias l’élégant et tourmenté Don Draper dans Mad Men, n’a pas seulement la gomina facile : il sait aussi envoyer des vannes. Déjà remarqué pour ses prestations amusantes dans l’émission mythique Saturday Night Live, le meilleur ami de Paul rudd (un acteur de la bande Judd apatow) est apparu à plusieurs reprises dans la sitcom de Tina fey, 30 Rock. Toujours aussi décoiffant, il va reprendre son rôle de voisin sexy accro à la pâtisserie dans un prochain épisode de la série, diffusé en direct sur nBC le 14 octobre. _O.J.

OCTOBRE 2010

WWW.MK2.COM



© Courtesy of the artist,Luhring Augustine, New York and Simon Lee Gallery, London

22 NEWS /// EVENT

Larry Clarck, Jack et Lynn Johnson, Oklahoma City, 1973

TEEn AMERICA De Kids à Wassup Rockers, le cinéma de LARRY CLARK est le miroir d’une adolescence américaine sulfureuse, à la dérive. Photographe dès les années 1960, il expose au MAMVP sa première rétrospective française : retour sur cinquante années d’obsession juvénile. _Par Juliette Reitzer

1971

: l’Amérique frémit en découvrant la monographie Tulsa, soit une trentaine de clichés noir et blanc où s’affiche, macabre et choquant, le quotidien d’une poignée de jeunes gens oubliés au fin fond de l’Oklahoma. Larry Clark, 28 ans, y dévoile la réalité d’une jeunesse droguée, obscène et violente, condamnée avant d’avoir vécu. série emblématique, Tulsa annonce les deux obsessions qui parcourront toute l’œuvre de l’artiste : questionner les dérives adolescentes certes, mais le faire en précurseur. « Son œuvre est nostalgique en même temps qu’extrêmement d’avant-garde », confirme sébastien gokalp, commissaire de l’exposition. Le photographe travaille par séries : Teenage Lust, Larry Clark 1992, punkPicasso… six au total sont ici exposées, suivant une organisation chronologique en quelque 200 clichés qui mettent au jour l’évolution d’un regard, de l’ardeur juvénile de Tulsa à la maturité apaisée à l’œuvre dans les tirages lumineux de la série Los Angeles 2003-2006, dédiée à l’acteur principal de Wassup Rockers, Jonathan Velasquez. Complétée par une rétrospective à la Cinémathèque française (où Larry Clark donnera une leçon de cinéma), l’exposition témoigne de l’immuable désarroi adolescent et du talent rare d’un artiste pour s’en saisir. Larry Clark, Kiss the Past Hello, du 8 octobre au 2 janvier au musée d’Art moderne de la Ville de Paris. Rétrospective Larry Clark à la Cinémathèque du 8 au 10 octobre

RENDEZ-VOUS

_Par J.R.

1. Affriolant : La Musardine édite Sade et le cinéma (par Jacques Zimmer), et l’auditorium du Louvre se penche sur le XVIIIe siècle et ses libertins avec, entre autres, des films de Jess Franco et d’Alexandre Volkoff. Le XVIIIe siècle à l’écran : libertins, libertés, jusqu’en février 2011 à l’Auditorium du Louvre

2. Hypnotique : David Lynch sonde les méandres du fantasme et de l’inconscient. Seront projetés, en sa présence, ses courts et longs métrages, ainsi que des documentaires sur son œuvre. Rétrospective David Lynch, du 13 octobre au 1er novembre à la Cinémathèque française

3. Stimulant : ce festival universitaire parrainé par Cédric Klapisch réunit hommes d’entreprises, intellectuels et cinéastes autour de 17 films, dont The Navigators de Ken Loach. Lumières sur le travail, du 11 au 15 octobre à l’université Paris-Ouest NanterreLa Défense

L’AFTER-SHOW

© Patrice Tourneboeuf

L’AMÉRIQUE OUVRE LE BAL au fond d’une impasse du 18e arrondissement, sommeillait une salle de bal, dans sa jeunesse « hôtel d’amour » et lieu de fiesta des immigrés italiens, délaissée à la fin des années folles. Depuis le 18 septembre, raymond Depardon et d’autres de l’agence Magnum ont investi les lieux. Espace dédié à la représentation du réel sous toutes ses formes (photo, cinéma, nouveaux médias), le BaL s’annonce comme « une zone franche » où faire swinguer le monde à l’abri du vacarme. Première danse : celle des Anonymes de l’Amérique sans nom : photographie et cinéma, jusqu’au 19 décembre. _L.T. Le BAL, 6 impasse de la Défense, 75018 Paris. www.le-bal.fr

OCTOBRE 2010

WWW.MK2.COM


23


24 NEWS /// HOMMAGE

Ca M a r a D E s Entre 1985 et 2003, Marin Karmitz produit douze succès de CLAUdE ChABROL, de Poulet au vinaigre à La Fleur du mal. Il revient pour nous sur leur collaboration, l’une des plus fécondes du cinéma français. _Par Raphaëlle Simon (avec Auréliano Tonet)

C

’est en 1962, sur le tournage des Sept Péchés capitaux, que Claude Chabrol et Marin Karmitz se rencontrent. Le film est réalisé collectivement par les cinéastes de la nouvelle Vague, dont Jacques Demy ou roger Vadim, qui goûtent chacun à un péché capital. Karmitz est alors l’assistant réalisateur de JeanLuc godard pour le sketch La Paresse. Chabrol, lui, réalise L’Avarice – et non La Gourmandise, comme on pourrait s’y attendre… La vraie rencontre, cependant, a lieu six ans plus tard : « On a fait 68 ensemble, tous les jours, sans se quitter, confie Marin. Par le jeu des mouvements de foule, Claude et moi nous

par une bande-annonce savoureuse, dans laquelle Chabrol révèle sa recette du poulet au vinaigre. La sauce prend, le film est un succès, Chabrol passe sous contrat avec MK2 : la collaboration durera vingt ans. À Karmitz le soin de trouver les costumes et les décors, que le cinéaste découvre souvent au moment du tournage. À Chabrol celui de faire grincer ses histoires de crimes et de folie : « Ses idées géniales de mise en scène jaillissaient à tout moment, parfois dès l’écriture du scénario, plus souvent en arrivant sur le plateau. Écrire lui était pénible, quand bien même il excellait dans ce domaine.En revanche, il adorait tourner. »

« ON A FAIT 68 ENSEMBLE, TOUS LES JOURS, SANS SE QUITTER. » retrouvions souvent en tête de manif, face aux gendarmes qui nous travaillaient au corps. » Les deux hommes se perdent ensuite de vue, pour mieux se retrouver, au début des années 1980. Marin Karmitz commence alors à connaître un certain succès en tant que producteur, consacré par de nombreux prix à Cannes. un beau jour, il reçoit le scénario de Poulet au vinaigre, que Chabrol n’arrive pas à faire produire : « À l’époque, Claude, à l’instar de Godard, Resnais ou Louis Malle, était en panne de producteur, même pour de la télé. » Le film se fait pour la moitié du budget moyen d’un long métrage, porté

OCTOBRE 2010

SUCCESS StORY Madame Bovary, La Cérémonie, Merci pour le chocolat : si la plupart des films de Chabrol produits par MK2 sont des succès critiques et populaires, Marin avoue un faible pour des œuvres plus confidentielles, comme Betty ou Rien ne va plus (« un magnifique autoportrait en creux »). « La réussite commerciale de ses films me permettait de produire tous les autres, notamment les films iraniens, souligne Karmitz. Chaque année, je lui donnais la liste des films que j’avais faits grâce à lui. Il a aidé le cinéma mondial. » Pourtant, celui que tout le monde pleure aujourd’hui

WWW.MK2.COM


© Jacques Prayer/GAMMA

HOMMAGE /// NEWS 25

Claude Chabrol et Marin Karmitz

n’a pas toujours été soutenu en france : peu récompensé, boudé par les subventions… La raison ? « Claude a toujours choqué. Allez trouver de l’argent pour produire une affaire de femmes, un film sur l’avortement pendant l’Occupation… » face à cette frilosité, le producteur se tourne fréquemment vers l’étranger, qui fournit une grosse part des budgets, loin de la caricature franchouillarde communément associée au réalisateur du Beau Serge. MASQUES autre cliché persistant : «Claude Chabrol, épingleur de la bourgeoisie ». Marin Karmitz voit dans ses films bien plus que cela : « C’était un caricaturiste à la Daumier, pas à la Charlie Hebdo. Ce n’est pas seulement de la caricature, c’est de la grande peinture. Il peignait avec un trait acéré des comportements humains universels, représentés dans la bourgeoisie. Mais ce sont les comportements qui priment, pas la bourgeoisie. C’est pour cela que son succès est mondial. » L’homme, tout comme ses films, est plus complexe qu’il n’y paraît. ne pas se prendre au sérieux était sa maxime, lui qui classait volontiers son film Folies bourgeoises au rang des trois pires navets de l’histoire du cinéma, et qui nous confiait, lorsque nous l’avions rencontré l’an dernier, pour la sortie de Bellamy : « Tout me fait rire, même me casser la gueule me fait rigoler. » Cette apparente légèreté dissimulait cependant une gravité certaine: « Derrière son image de bon vivant se cachaient des angoisses, des nostalgies, reprend le fondateur de MK2. Il aimait les gens, mais il a vécu reclus à Saumur puis au Croisic. Ce n’est pas un hasard s’il a fait un film qui s’appelle Masques… Il avait un regard très érudit, très lucide sur la vie. Je ne pensais pas que sa mort m’affecterait autant. »

OCTOBRE 2010

« LA RÉUSSITE DE SES FILMS ME PERMETTAIT DE PRODUIRE TOUS LES AUTRES, NOTAMMENT LES FILMS IRANIENS. IL A AIDÉ LE CINÉMA MONDIAL. »

WWW.MK2.COM


26 NEWS /// HOMMAGE

riEn nE VA PLUS Psychanalyste, écrivain, chroniqueuse sur France Culture, CAROLINE ELIAChEFF a coécrit trois scénarios avec et pour Claude Chabrol (La Cérémonie, Merci pour le chocolat, La Fleur du mal). À l’annonce de son décès, elle lui a adressé une lettre, dont voici un extrait.

«C

her Claude,

évidemment, je n’ai pas la certitude que ma missive te parviendra mais on a tellement parlé de toi depuis dimanche que j’ai eu envie de m’adresser directement à toi.Tu m’as si souvent affirmé que tu n’avais pas d’ego que j’ai fini par te croire.après tout, n’estce pas mon métier de prendre ce qu’on me dit au pied de la lettre? Eh bien, si tu as eu vent de tout ce qu’on a dit et écrit à ton propos ces derniers jours, ton absence d’ego a dû t’être utile. Toi qui t’amusais à lancer des rumeurs improbables et estimais avoir réussi quand ladite rumeur te revenait, tu as pu constater que celle que tu avais patiemment forgée, d’un gourmet bon vivant, ironique et tendre, t’est revenue. il faut dire que ce masque t’allait à ravir. Pour rapetisser ton ego, tu lui as infligé publiquement quelques claques bien senties. En déclarant toi-même que certains de tes films étaient « des merdes », les critiques ne pouvaient aller plus loin. il ne t’aura pas échappé que, voulant te rendre hommage comme il sied quand on passe de l’autre côté du miroir,certains ne se sont pas gênés pour reprendre tes propos et affirmer que ta postérité est loin d’être assurée. Hélas, dès qu’on parle de postérité, quoi qu’on en dise, on est à peu près sûr de se tromper. Tu as aussi la réputation d’être drôle et là, ce n’est pas un masque. Pour moi, un homme n’est pas drôle parce qu’il sait animer des soirées entre copains ou des émissions de télévision, mais s’il continue, au fil des années, même en se répétant, à faire rire sa femme. Michel serrault partageait avec toi cet immense privilège. J’ai eu la chance de travailler

OCTOBRE 2010

non pas avec toi mais pour toi. Car, je crois que ce que tu as le plus apprécié, c’est que nous partagions l’horreur des séances dites « de travail ». Comme tu es toi-même un excellent scénariste mais que tu trouves l’écriture fastidieuse, tu demandes simplement qu’on t’épargne cet effort. il me semble que Paul gégauff, ton vieux complice, est le seul scénariste avec qui tu as à proprement parler collaboré mais est-ce que vous ne faisiez pas autre chose que de travailler? Est-ce que tu sais que certains acteurs s’inquiétaient parce que tu ne les dirigeais pas ? À partir du moment où tu les avais choisis, ils n’avaient plus qu’à faire leur métier.Peu t’ont déçu,preuve que tu ne te trompais pas, mais seuls ceux qui arrivaient à te surprendre assuraient leur longévité. isabelle Huppert y excellait. Car quand tu me disais « je n'ai pas d’ego », ce n’est pas « ego » qu’il fallait retenir mais « je n’ai pas ». isabelle, par son talent et parce qu’elle est une femme, t’a offert ce que tu savais que tu n’avais pas. J’imagine que tu jubiles quand on dit de toi que tu es le cinéaste d’une bourgeoisie que tu serais censé exécrer.Tu as si bien réussi à cacher ton jeu ! Peu de gens décèlent à quel point ton œuvre est autobiographique; pas au sens où tu te prendrais pour objet mais au sens où en posant de mille façons différentes la question de savoir d’où vient le mal, tu es allé audelà de toi-même. Est-ce que tu aurais apprécié cette phrase de Montaigne, « tous les jours vont à la mort,le dernier y arrive»? nul ne le saura,non parce que ce dernier jour est arrivé mais parce que si tu ne l’avais pas apprécié, tu aurais eu la délicatesse de n’en rien dire. il n’y a pas de formule pour terminer cette lettre. C’est triste. C’est tout. »

WWW.MK2.COM



© 2010 Sony Pictures Releasing France

28 NEWS /// L’HURLUBERLU

Eva Mendes, Adam McKay et Will Ferrell sur le tournage de Very Bad Cops

gOOD POTES Very Bad Cops est la quatrième mouture du tandem comique AdAM MCKAY-wILL FERRELL, fondateurs du site Funny Or Die, pour qui la comédie se conçoit d’abord collectivement. _Par Clémentine Gallot

A

lors que l’on s’interroge sur l’épuisement du genre (cf. les récents Be Bad et American Trip),Very Bad Cops continue de faire rire, c’est toujours ça. Cette parodie de buddy movie avec Will ferrell et Mark Wahlberg en duo mal assorti se moque gentiment de deux flics new-yorkais déphasés. avec ce polar dévirilisé,adam McKay poursuit une étude sur la masculinité américaine amorcée avec Présentateur vedette : la légende de Ron Burgundy (2004), Ricky Bobby : roi du circuit (2005) et Frangins malgré eux (2008), dont les ressorts opposent foirades et volonté de puissance, geeks et dudes. Le cinéaste et producteur de 42 ans affiche un parcours exemplaire : formé au stand-up à Chicago au sein de deux troupes fameuses (Second City et The Upright Citizens Brigade), McKay fait ses armes en écrivant pour l’émission Saturday Night Live. De cette formation, il a hérité un goût pour l’improvisation, la méthode inaugurée par « l’école de Chicago » étant devenue depuis un passage obligé pour les acteurs – ferrell y compris. Le miracle de la mayonnaise McKay-ferrell s’explique en partie par des faits : même sens de l’humour, même âge, des parents divorcés. « Will vient de la tradition du canular, il surjoue le fait d’être acteur », explique McKay, ajoutant que la plupart de leurs films parodient moins la télé que le

OCTOBRE 2010

cinéma. «Nous n’avons pas besoin de nous censurer, la beauté de la comédie, c’est qu’on nous laisse faire tout ce qu’on veut tant que le rire y est. Et s’il y a autant de blagues à la minute,c’est que nous y prenons un plaisir certain.» Comme le montre la bande de Judd apatow (qui a d’ailleurs produit Présentateur vedette), la comédie américaine se façonne par association, s’incarne grâce à des complices : le tandem McKay-ferrell pratique ainsi l’écriture collective, à deux tout d’abord, puis avec une tablée de scénaristes, stimulés par le microcosme de Los angeles,«une communauté de comédiens et amis ». se marrer entre pros exige en effet davantage que de faire rire un public imaginaire. si ces films n’ont guère trouvé preneurs en france, l’œuvre du duo nous est parvenue par le biais d’internet.En 2007, ils montent funnyOrDie.com « pour s’amuser et diffuser des formats courts » : le site de sketchs explose et devient une plateforme pour les jeunes comiques. après un remake de Hansel et Gretel façon Evil Dead, McKay produira bientôt la première comédie américaine entièrement en espagnol, avec Will ferrell en ranchero mexicain. Olé. Very Bad Cops // Un film d’Adam McKay // Avec Will Ferrell, Mark Walhberg… // Distribution : Sony Pictures // États-Unis, 2010, 1h47 Sortie le 27 octobre www.funnyordie.com

WWW.MK2.COM



30 NEWS /// PASSERELLES

sOLEiL NOIR Plus de vingt ans après sa disparition, Jean-Michel Basquiat est doublement célébré cet automne : le musée d’Art moderne de la Ville de Paris lui consacre une importante exposition rétrospective, tandis qu’un documentaire, The Radiant Child, revient sur sa trajectoire unique dans l’histoire de la peinture. Entretien avec la réalisatrice de cet émouvant portrait filmé, tAMRA dAVIS. _Propos recueillis par Auréliano Tonet

V

ous avez fait le choix d’un montage très alerte,au diapason du parcours de Jean-Michel Basquiat, en mouvement constant.Comment avez-vous dosé l’équilibre entre approche biographique et analyse de son œuvre ? De son vivant, les médias se focalisaient sur sa forte personnalité, au détriment de sa peinture. Ça le peinait beaucoup. Je voulais interroger son travail en profondeur, parler de racisme, de musique, de poésie. J’ai interviewé Jean-Michel, qui devait être au sommet de sa gloire, à Los angeles. J’étudiais alors le cinéma, et travaillais à mi-temps dans une galerie. il avait 24 ans, moi 23, nous étions proches.À cet entretien d’une heure environ, j’ai greffé des photos et des images en super 8, tournées dans les années 1980 : des scènes en extérieur, son appartement, son atelier. Peu de vidéos de lui subsistent car, après une interview traumatisante, il a refusé d’être filmé. On le voit dans mon film : lorsqu’il commence à parler, il est très nerveux. Pourquoi avoir attendu si longtemps avant d’utiliser ces images ? après sa disparition, j’ai tout mis de côté. À ce mo-

ment-là, en tirer un film aurait été trop douloureux. Je ne voulais pas trahir sa mémoire. Et puis, il y a six ou sept ans, il y a eu une grande exposition au Moca de Los angeles. J’ai montré aux conservateurs un montage de vingt minutes et pris conscience de la rareté du matériau. Peu après, le producteur David Koh m’a demandé d’en faire un film. L’autorisation du père de Jean-Michel était indispensable. il m’a accordé sa confiance, parce que je n’avais jusquelà pas cherché à exploiter cet entretien. Dès qu’il a signé les papiers, j’ai commencé à tourner de nouvelles interviews : proches de Jean-Michel, critiques d’art, peintres, musiciens, etc. Qu’est-ce qui, selon vous, fait la spécificité de Basquiat ? son art vibre de la même secousse, de la même modernité qui a déstabilisé la musique dans les années 1980 : à la manière des précurseurs du hiphop, qu’il écoutait beaucoup, Jean-Michel pratiquait le sampling dans ses tableaux. Quand il entrait dans une pièce, on ne pouvait s’empêcher de le regarder. il était très émotif, plein de vie, comme un enfant.D’ailleurs,ses peintures préférées étaient celles d’enfants. il irradiait.

Un film de Tamra Davis // Documentaire // Distribution : Pretty Pictures // États-Unis, 2009, 1h29 // Sortie le 13 octobre Exposition Basquiat, du 15 octobre au 30 janvier au Musée d’Art Moderne de la Ville de Paris, 11 avenue du Président-Wilson, 75016 Paris

OCTOBRE 2010

WWW.MK2.COM



Š Alexei Hay

Record Collection de Mark Ronson & The Business Intl. (Columbia/Sony Music)


IN SITU /// NEWS 33

MarK DE FABRI QUE Mais si, vous connaissez MARK RONSON. Au moins ses chansons. Sur son établi, il a assemblé les classiques instantanés d’Amy Winehouse ou Lily Allen. En 2007, le Britannique sort de sa boîte Quality Street le bonbon Version et ses digressions cuivrées qui fondent sous le tympan. Sans tambour ni trompette, Mark rançonne encore les ondes avec Record Collection, deuxième album collector, avec des chansons rien qu’à lui. Nous l’avons intercepté en pleine répet’ : London calling.

«

_Par Étienne Rouillon

Ce que l’on voulait retrouver avec la chanson Circuit Breaker, c’était un thème à la Jean-Michel Jarre et son Oxygène iV. Tu sais ça fait “ ti-talatatou-tala-ta”. Attends – deux secondes – je reviens.» Pendant que Mark ronson abandonne le combiné pour arranger un truc avec ses musiciens dans leur local de répétition londonien (ils entament leur tournée deux jours plus tard), on jette un œil sur la tracklist. Quatorze échelons pour grimper jusqu’à la girouette en platine massif Record Collection. L’album pointe tous azimuts vers l’électro nippone et pionnière du Yellow Magic Orchestra, les pastilles hip-hop de Madlib, les mélodies ouvertes de Duran Duran,l’afrobeat nigérian.ronson glisse donc sa pièce dans le même jukebox que DangerMouse (gnarls Barkley) et Damon albarn (gorillaz) : groove synthèse et ludisme érudit. RONSON dE LA GLOIRE « Excuse-moi. On parlait de ? Ah oui, le “ ti-talata-toutala-ta”. On a un peu perdu ces leitmotivs très épurés de la musique électronique qui alliaient robots et romantisme. D’où ce thème très simple sur Circuit Breaker “ ta-ta /ta-ta”en deux tons. » Oui, celui qui regrette les missives d’un Vangelis, c’est bien le même qui est entré dans le carré scellé des producteursstars avec les tubes soul et jazzy (Rehab, Back to Black…) qui ont lancé amy Winehouse. Quand Timbaland bégayait sur des refrains côte Ouest, qu’usher assassinait les caisses claires avec des claps de mains, ronson trouvait ses propres tics de production : les sections de cuivres à la place des guitares, les fûts plutôt que la boîte à rythmes. il y a quatre ans, le Toxic de Britney spears passe à la moulinette sur un album de reprises. C’est Version, le ronson de la gloire. Las, on associe systématiquement sa trombine aux trombones. Dans la vidéo du

OCTOBRE 2010

single Just (reprise de radiohead), un personnage l’apostrophe : « Dis, pourquoi t’es pas foutu de faire tes propres chansons ? » Trente piges passées, l’exDJ new-yorkais sent que son disque raye : « C’est un peu devenu une blague : Mark et sa fanfare. Mais composer pour les autres, comme Amy, m’a donné confiance en mes capacités à écrire. Je ne savais pas encore à quoi ressemblerait mon album jusqu’à ce que je travaille sur celui de Duran Duran. » éPOPéE POP Déambulant sous la nef de la cathédrale new wave, Mark ronson musicien-producteur-chanteur monte son propre temple avec pour arcboutants des claviers eighties et pour murs porteurs une section rythmique à la rigueur hip-hop, éclairés par des vitraux aux motifs impressionnistes, transformant une simple balade en vélo en épopée pop (splendide The Bike Song). « Je me suis fait un nom en tant que DJ, un boulot qui te condamne à te focaliser sur les beats. Sur cet album, j’ai enfin été à même de travailler les émotions. Prends somebody to Love Me dont je suis très fier, soit dit en passant [il se la joue pas, elle est vraiment chouette cette chanson, ndlr]. Il y a cette basse punk-funk : “pou-pou-poum-poupoum-pim”. Elle soutient une batterie afrobeat. Ce décalage crée une émotion, un sentiment qui ne peut naître quand tu dois écrire pour les autres et que tu es tenté de te dire : “ Voyons ce qui marche en ce moment”. Ce frottement m’a rappelé le choix du reggae sur Do You really Want to Hurt Me de Culture Club. Du coup, on a proposé à Boy George de chanter la chanson. » une reprise se cache pourtant sur l’album. Dans le refrain de l’épatant Bang Bang Bang, on trouve Alouette, gentille alouette. « Je te passe la chanteuse, c’était son idée. Hey Amanda ! Y a un Français qui a une question. »

WWW.MK2.COM


34 NEWS /// UNDERGROUND

© D.R.

THE PELVIS Showman convulsif, FRANCIS StARLItE a parié qu’il pouvait se passer de l’industrie du disque pour sortir son premier album, It’ll Be Better, et que son funk stylisé prendrait possession de ton corps. Gagné. _Par Sylvain Fesson

omme MGMT, francis « farewell » starlite fut étudiant à Wesleyan, dans le Connecticut (« J’ai dormi deux mois sur le toit de la salle de concert, face aux étoiles, réveillé chaque matin par le chœur de l’université »), mais en quitte les bancs au bout d’un an pour se consacrer à la musique. Comme MgMT, il réside à Brooklyn, mais pratique un r’n’b minimaliste et sophistiqué, pulsé par deux batteurs et une armée de boîtes à rythmes, à mille lieux de la pop psyché locale. Comme MgMT, il a signé chez Cantora records, mais s’est déclaré parallèlement en tant que société commerciale pour attirer des investisseurs. En 2008, bingo : Jake Lodwick de The normative Music Company voit en lui une popstar-née, et lui fait don de 100 000 dollars. Morceaux de choix d’une discographie qui compte deux E.P et un LP paru cet été, la seule vue des vidéoclips de The Top et Darling, It’s All Right devrait rassurer le bienveillant mécène : avec son swing tendu comme un string entre Prince et springsteen, son charisme compulsif (coupe à la spirou, teint nosferatien, déhanché jacksonnien) et ses mises en scène conceptuelles en noir et blanc, francis y illustre on ne peut mieux cette « brève épilepsie » dont Paul Valéry disait qu’elle est « ce que l’homme a de plus précieux ».

COPIER COLLER

_Par A.T.

>> Paonne fatale, Alice Lewis déploie un premier album chamarré, No One Knows We’re Here, carnaval de couleurs (r’n’b, folk, électro) qu’harmonise son doux ramage.

C

It’ll Be Better de Francis and the Lights (Cantora Records, uniquement sur iTunes)

>> La plume de la Parisienne se marie avec bonheur à celle, tout aussi panachée, de Cibelle, néotropicaliste brésilienne dont les assortiments ne cessent d’étonner, et de charmer.

LE MYSPACE CHARTS DE LA RÉDACTION _Par A.T. ÓLÖF ARNALdS – Innundir Skinni www.myspace.com/olofarnalds sorte de Joanna newsom arctique, de Vashti Bunyan islandaise, c’est-à-dire de Björk pastorale, Ólöf serpente parmi les herbes folks, qu’elle tresse en délicats motifs rustiques. dA BRASILIANS – About You www.myspace.com/dabrasilians faux Brésiliens mais vrais amateurs de sable fin, ces Parisiens sortent enfin leur premier LP, concentré de popsongs chorales et vintage, à faire pâlir tout garçon de plage digne de ce nom. ShUGO tOKUMARU – Rum Hee www.myspace.com/shugotokumaru au moment où l’homme-orchestre sufjan stevens refait surface, son alter ego nippon joue la surenchère pop : carrousels mélodiques, carillons, gambades vocales, joie.

OCTOBRE 2010

WWW.MK2.COM



© Peter Lindbergh/Emi France

Birds in the Storm d’AaRON (Cinq 7, album disponible depuis le 4 octobre), le 15 décembre au Casino de Paris, dès 20h30, 31 € Pacific 231 de Raphaël (EMI, album disponible depuis le 27 septembre), les 26 et 27 novembre à l’Olympia, dès 20h, 38 €


REGARDS CROISÉS /// NEWS 37

LEs rOis DE L’ÉVASION Délaissant les rives faciles de leurs débuts (la B.O. midinette de Je vais bien ne t’en fais pas, en 2007), Simon et Olivier, les deux versants d’AaRON, ramènent de terres lointaines un deuxième album inspiré : Birds in the Storm. Après son vagabondage en Caravane, auréolé d’un franc succès populaire, RAPhAËL poursuit son errance. Amoureux du bitume, il quitte son cadre urbain pour Pacific 231, septième album aventureux, en quête de déambulations inédites. Nous avons croisé leurs chemins. _Par Stéphanie Alexe

C

hanteurs de charme un peu malgré eux, les deux aarOn abordent sereinement leur flirt avec le succès: «Quand tout d’un coup il n’y a plus de mur,que l’énergie circule, c’est un vrai cadeau», confie simon. Cependant, loin des ballades un peu sommaires qui ont fait leur gloire, les mélodies de Birds in the Storm suivent des pistes inusitées, dans la lignée new wave de Depeche Mode. Comme habité d’une étrange langueur, le duo dévoile un second album profond, plus retors que le premier. un vague à l’âme constant, insubmersible, tiraille également raphaël, pour qui le chemin fût plus sinueux, parsemé de doutes et d’un désir de dérobade : « Au début, lorsque je montais sur scène, c’était un truc de copains. Ensuite, il y a eu ces énormes succès. Parfois, j’étais mal à l’aise, je picolais pas mal. Il y avait des moments merveilleux, mais j’étais un peu perdu. Maintenant, je suis sobre comme un chameau. C’est une expérience très violente, la scène. » Tandis qu’aarOn refuse catégoriquement de rester en place, raphaël se rêve fugueur d’un quotidien oppressant : « Je pense de temps en temps à disparaître, mais je ne le ferai pas. Je me sens bien dans la ville, dans le béton. Paris chaque jour m’influence. J’ai l’impression que je comprends bien ses codes, ses secrets. » tANGENtES Birds in the Storm d’aarOn invite à prendre la tangente. Les morceaux sèment le trouble, déstabilisent. À une rythmique martiale se greffent chœurs et guitares, par un effet d’empilement graduel. « On travaille beaucoup à l’instinct. Cet album est un reflet du précédent, qui était plus nocturne : ici, il y a l’obsession de la route qui défile. C’est plus transpirant, plus organique et épicurien. Les morceaux ont jailli très rapidement », explique simon. selon

OCTOBRE 2010

raphaël, « à chaque disque, il faut essayer de faire exploser sa manière de travailler.Tu tâtonnes, tu bricoles, tu ne sais jamais vraiment comment ça va marcher». Pour ce septième album enlevé, aux arrangements bashunguiens en diable (cordes lunaires, cuivres free, pincements country), il a choisi de collaborer avec deux pointures de la chanson nomade in France, Dick annegarn et gérard «voyage en solitaire» Manset. De sa voix blanche et nette, raphaël révèle : « La route de Cormack McCarthy est le fil conducteur de trois chansons. Il y a aussi le film de Chris Marker, La Jetée. Dans l’ensemble, l’album découle d’une idée un peu déprimée du futur : les humains mangeront des humains et ils seront tous irradiés. » tANGIBLES L’évasion, tangible ou imaginaire, s’accomplit d’autant plus sereinement qu’elle s’appuie sur un socle solide. simon et Olivier s’accordent parfaitement, se tirent vers le haut lorsque le bât blesse. Malgré sa « solitude implacable », telle qu’il la qualifie dans un éclat de rire, raphaël avoue avoir « besoin de bienveillance, d’une relation tendre» avec ses musiciens : «Quand on se retrouve en studio, on est comme une bande de gosses. C’est très ludique. » au fond, cette relative indépendance lui sied. il la justifie en convoquant ses maîtres : « Il y a peu de groupes qui ont exploré des pistes aussi diverses et éclatées que des musiciens solos comme David Bowie ou Alain Bashung. » Prendre le large, c’est aussi s’ouvrir à de nouveaux horizons. Cette année, simon, le chanteur franco-américain d’aarOn, jouait un séducteur glacial dans Tout ce qui brille de géraldine nakache. raphaël a également franchi le pont pour Claude Lelouch. il lui prête son visage diaphane pour Ces amours-là. une halte éphémère avant de filer droit devant.

WWW.MK2.COM


© Theo Gennitsakis

38 NEWS /// LE NET EN MOINS FLOU

géO LOCK « Devine d’où je t’appelle ? », c’est fini. Avec Facebook Places, la géolocalisation arrive en ville et verrouille le web sur votre pâté de maison.

STATUTS QUOTES SÉLECTION DES MEILLEURS STATUTS DU MOIS

_Par Étienne Rouillon

A

vec l’avènement des applications sur plateformes nomades type iPhone ou iPad, l’internet a lu son faire part de décès dans la presse technophile depuis quelques numéros : exit la promesse de l’internaute explorateur pour qui le web ouvrait une fenêtre sur le monde ; le pendant mobile du net la referme sur votre environnement circonscrit. google en frissonne, nous n’allons plus à l’information, elle vient à nous sous une forme qui nous ressemble, en fonction de nos goûts et de notre situation géographique. C’est le principe Le site vous permet d’annoncer où qui pousse facebook vous vous trouvez en temps réel. à développer Facebook Places, une application attendue cet automne en Europe, inspirée de Foursquare, un site qui vous permet d’annoncer où vous vous trouvez en temps réel. au-delà des habituels débats sur la fin de l’hétéronymat numérique (abandon du pseudonyme pour une identité immuable) et l’adhésion à la surveillance par les little brothers, Places est exemplaire d’un glissement dans notre accès à l’information digitalisée : de la navigation investigatrice à la prescription passive. Oui, on vient peut-être tout simplement de réinventer la télé.

HTML5

acronyme.

Christophe : Dans le code Delarue, t’as le droit de franchir la ligne blanche. Johanna : Veiller tard dans le but d’apercevoir Thierry Henry dans le public de la finale de l’U.S. Open, et l’apercevoir. Daria : Ce qui se passe à Vegas finit sur Twitter. Thomas : « Afficher mon sexe sur mon profil » dans les options Facebook. J’hésite à cliquer. Fred : Nietzsche pute Nietzsche soumise. Xavier périt à Paris. Fred : Lapsus, mais j’avale pas.

MOT @ MOT _Par E.R.

(Abréviation de l’anglais Hypertext Markup Langage, langage informatique permettant de traduire des données sous forme de pages web) 1.Développée par l’organisme W3C, la dernière version du HTML permet notamment d’afficher des informations numériques malgré une syntaxe impropre ou incompréhensible. «Le nouveau Internet Explorer 9 intègre le HTML5 pour une navigation plus riche.» 2.Par extension, discours à la logique incompréhensible. «Je sais pas toi, mais quand Brice parle de CD-Roms, pour moi c’est du HTML5.»

OCTOBRE 2010

WWW.MK2.COM



40 NEWS /// AVATARS

Remuer ludique pendant le bouclage, c’est jouer son CDI jusqu’au game over. En douce du rédac rêche, on a déballé le PlayStation Move, nouvelle vague du jeu qui se bouge. _Par Étienne Rouillon

P

arti pour une partie, retrouver les bénis Wii-Wii qui ont quitté la sacristie nintendo pour brûler au bougeoir de sony. Joueur en pays cinéphile teste – amant – la bête en cours, lauréate parce qu’elle le vaut bien.

De la pétanque au ping-pong, le contrôleur en forme de cornet glacé plombe Mario le plombier, console herculéenne oblige. Dans l’open space, je gesticule comme un poulet et ça pourrait tourner au vinaigre. Le red’ chef me dévisage par la fenêtre : « Chabrol » aux lèvres. fais pas le beau, serge, tu t’es fais cramer innocent aux mains sales de manette, le jour où toute la rédaction se gouache en noir policier. Plaisir. L’ivresse du pouvoir quand on imprime un smash dans une balle virtuelle, avec pour seule contrainte la peur d’avoir l’air un peu tarte en saint-guy des écrans. Peur d’agrafer le chevelu de la secrétaire de rédaction, emporté par un revers à la nadal. Merci pour ces chocottes-là. Sports Champions et PlayStation Move (Sony, sur Playstation 3)

D.R.

PiXELLaMi APPLIS MOBILES

_Par E.R.

dRAGON dICtAtION répondant à la voix de son maître, cette application permet de dicter un texte pour l’envoyer par sMs, mail ou le poster sur les réseaux sociaux. assez puissant, le moteur de reconnaissance vocale ne pardonne pas le chewing-gum ou la clope au bec. Plateforme : iPhone, iPad et iPod touch // Prix : gratuit

MIRROR’S EdGE réussite inexplicablement boudée par les joueurs PC, le jeu de parkour est ici adapté dans une forme simplifiée mais pas simpliste. Mirror’s Edge compense une durée de vie succincte par une réalisation léchée et une rejouabilité addictive. Plateforme : iPhone, iPad et iPod Touch // Prix : 3,99 €

R-tYPE Pfiu… Toujours aussi ardu depuis ses heures glorieuses sur les bornes d’arcade des années 1980, le cauchemar spatial vous tiendra en haleine des nuits blanches entières. Hardcore comme un maroilles au petit dèje. Bon courage. Plateforme : iPhone, iPad et iPod Touch // Prix : 1,59 €

LE JEU _Par E.R MATAMORE VIVANT Dead Rising 2 tient autant d’Un dîner presque parfait que de Secret Story. Le premier pour sa science de la viande hachée et des semelles farcies à la cervelle, le second pour les hordes décérébrées qui peuplent votre écran. revendiquant jusqu’à 6 500 zombies titubant de concert, ce défouloir d’excellente facture chatouille le concours Lépine avec ses mototronçonneuse, batte à clous, pistolet à eau-extincteur… De quoi faire passer Shaun of the Dead ou Zombieland pour de ternes bluettes. Vous en rêviez ? Dead Rising en fait une savoureuse pâtée pour chats. Dead Rising 2 (Capcom, sur PC, PS3, X360)

OCTOBRE 2010

WWW.MK2.COM




LE

GUIDE CALENDRIER MALIN POUR AVENTURIER URBAIN

DU MERCREDI 6 OCTOBRE AU MARDI 9 NOVEMBRE « SOUS L’ENTITÉ DISNEY, IL Y AVAIT DES HOMMES, AMBITIEUX, AVEC DE FORTS EGO, MAIS DES HOMMES AVANT TOUT. » DOn HaHn

P.46

SORTIES EN SALLES SORtIE LE 6 OCtOBRE 44 Vous allez rencontrer un bel et sombre inconnu de Woody allen 46 Entre nos mains de Mariana Otero 47 Waking Sleeping Beauty de Don Hahn SORtIE LE 13 OCtOBRE 48 The Social Network de David fincher SORtIE LE 27 OCtOBRE 49 Vénus noire d’abdellatif Kechiche LES AUtRES SORtIES 50 Moi, moche et méchant ; Tout va bien, the Kids are Alright ; Donnant, donnant ; Captifs ; Les Rêves dansants ; Illégal ; Au fond des bois ; Elle s’appelait Sarah ; Les Petits Mouchoirs ; Picture Me ; Divorce à la finlandaise ; Paranormal Activity 2 ; Nostalgie de la lumière ; Il reste du jambon ? ; Le Royaume de Ga’Hoole ; The American ; Fair Game ; Des filles en noir ; Silent Souls - Le Dernier Voyage de Tanya ; La Princesse de Montpensier

P.46

54 LES éVéNEMENtS MK2 Mon premier festival Carte blanche à Bertrand Belin

SORTIES EN VILLE 56 CONCERtS Jonathan Richman à la Boule Noire L’oreille de… Lisa Li-lund

58 CLUBBING Rosa Bonheur et Le Pavillon du Lac aux ButtesChaumont Les nuits de… Wagner

60 EXPOS Saâdane Afif à Beaubourg Le cabinet de curiosités : Cutlog

62 SPECtACLES Le cabaret new burlesque à la Ferme du Buisson Le spectacle vivant non identifié : Forced Entertainment à Beaubourg

64 REStOS

P.60 OCTOBRE 2010

Yves Camdeborde au Comptoir Le palais de… M-Jo

66 LA ChRONIQUE dE dUPUY & BERBERIAN WWW.MK2.COM


44 CINÉMA

SORTIE LE

06/10

Vous allez rencontrer un bel et sombre inconnu 3 RAISONS D’ALLER VOIR LE FILM 1… Pour le casting, étincelant : Anthony Hopkins, Gemma Jones et Naomi Watts, ainsi qu’une révélation, Lucy Punch. 2… Pour l’inspiration inaltérée de Woody Allen qui, à 75 ans, ne cesse de rajeunir. 3… Pour la photographie de Vilmos Zsigmond (Voyage au bout de l’enfer), qui offre à Londres un écrin doré.

JEU DE LA MORT ET DU HASARD Un film de Woody Allen // Avec Anthony Hopkins, Naomi Watts… // Distribution : Warner Bros. // États-Unis-Grande-Bretagne, 2010, 1h38

Les illusions, comme le cinéma de wOOdY ALLEN, agissent parfois mieux que les remèdes. La preuve avec Vous allez rencontrer un bel et sombre inconnu, une comédie cruelle portée par un casting étincelant. _Par Éric Verna

Londres, toujours. La nouvelle escapade de Woody allen dans la pluvieuse capitale anglaise, après Match Point, Scoop et Le Rêve de Cassandre, revêt cette fois le teint outrageusement hâlé aux u.V. d’alfie (anthony Hopkins). rompu au jogging, le vieil homme est tellement paniqué par l’idée de mourir qu’il brise un mariage de quarante ans pour fréquenter une séduisante blonde volage, qui pourrait être sa fille. Désespérée, Helena, son épouse, noie sa détresse dans le scotch et les conseils d’une diseuse de bonne aventure. Ce qui arrange bien sally (naomi Watts), qui préfère voir sa mère dupée mais heureuse que le contraire. Elle-même est confrontée à la crise d’inspiration de son mari, roy, un romancier incapable de confirmer son premier succès. Leur couple s’effiloche à mesure que sally tombe sous le charme de son patron galeriste (antonio Banderas), tandis que roy est envoûté par la charmante jeune femme de l’immeuble d’en face. OCTOBRE 2010

Le film, comme son titre à double sens – le bel et sombre inconnu désigne moins l’amour que la mort –, manie l’ironie et l’ambivalence avec un raffinement tout british. guidée par une voix-off goguenarde, qui cite shakespeare d’emblée pour introduire un récit gorgé « de bruit et de fureur, et qui ne signifie rien », cette comédie douce-amère est traversée par les obsessions de Woody allen : la mort, le hasard, l’imposture. En moraliste doté d’autodérision, le réalisateur moque à la fois la fourberie des charlatans et le ridicule de ceux qui se laissent berner par leurs propres illusions (alfie, savoureux alter ego d’un Woody qui refuse de vieillir). selon un mouvement jazzy en forme de carrousel de raison et de sentiments, serti de travellings aussi onctueux que la photographie du grand Vilmos Zsigmond, le cinéaste épingle avec humour (noir) le papillonnement de ses personnages, dérisoires.

WWW.MK2.COM



46 CINÉMA

SORTIE LE

06/10

Entre nos mains 3 RAISONS D’ALLER VOIR LE FILM 1… Pour sa proximité avec le cinéma militant des Lip, L’imagination au pouvoir ou de Louise-Michel. 2… Pour la justesse de son regard sur le prolétariat féminin. 3… Pour la dernière scène, gonflée, belle et bouleversante, que nous vous laissons découvrir…

TOUS ENSEMBLE Un film de Mariana Otero // Documentaire // Distribution : Diaphana // France, 2010, 1h28

Comment filme-t-on une utopie? En y croyant autant que les protagonistes, dans un documentaire engagé et engageant. _Par Isabelle Danel

Entre les mains qui apparaissent au premier plan, une pièce de tissu ; dessus, le pied-de-biche et l’aiguille d’une machine à coudre. nous sommes près d’Orléans, dans une usine de lingerie en faillite. Le projet des cinquante salariés de starissima est d’en reprendre les rênes et de créer une scop, une coopérative où chaque personne, quelle que soit sa part d’actions, aurait une voix. Ce n’est encore qu’un rêve au moment où le film commence, mais il pourrait bien devenir réalité. Le patron reste le grand absent du documentaire : on en parle, on ne le voit jamais. Mais on rencontre les cadres, les employés et les ouvriers, on les regarde, on les écoute. Que faire devant la mort annoncée de son outil de travail ? se battre, disent-ils. Disent-elles. Car ce sont surtout des femmes, qui, pour certaines, pointent là depuis leur plus jeune âge. Bien sûr, rien ne va de soi : chacun doit donner son accord écrit et un mois de OCTOBRE 2010

salaire brut pour commencer. « Il faut croire jusqu’au dernier souffle », sourit l’une ; « On n’est pas assez calées pour savoir les avantages et les inconvénients, constate l’autre. Faut être dans le système, nous, on n’est qu’ouvrières. » C’est cette utopie en marche que Mariana Otero filme en toute simplicité. Des salles de réunion aux ateliers de confection, des bureaux aux entrepôts, elle pose sa caméra, souvent en plan large. faisant feu de tout bois et cinéma de tout frémissement, elle laisse le champ libre aux échanges, et au labeur quotidien qui continue malgré tout. au fil des jours, se dessinent des personnalités fortes, la parole circule et des liens nouveaux se créent entre des gens qui jusque-là se disaient juste bonjour, bonsoir… «Pourquoi choisir la Scop? Parce que c’est nous, quoi… C’est nous quand même…» Et ce «nous» sonne comme une première victoire. Entre nos mains est un polar social à suspense, qui dégage une humanité forte et lance un message encourageant. WWW.MK2.COM


47 CINÉMA

SORTIE LE

06/10

Waking Sleeping Beauty 3 RAISONS D’ALLER VOIR LE FILM 1… Pour reconnaître le visage poupin de Tim Burton parmi le staff des dessinateurs. 2… Pour le léger pincement au cœur nostalgique devant les extraits de Rox et Rouky. 3… Pour le montage et la voix off un brin désuets : une reconstitution ton sur ton.

JUNGLE FEVER Un film de Don Hahn // Documentaire // Distribution : Walt Disney France // États-Unis, 2009, 1h26. Séance spéciale mardi 12 octobre à 20h au MK2 Hautefeuille

Avec Waking Sleeping Beauty, le producteur et réalisateur dON hAhN livre un documentaire pénétrant sur le virage amorcé par les studios Disney, vacillants, dans la fournaise des années 1980. _Par Stéphanie Alexe

En 1984, après une série d’échecs, les studios Disney touchent le fond du gouffre. Dans ce climat incertain, quatre des plus grands succès de l’histoire de l’animation voient le jour : La Belle et la bête, La Petite Sirène, Aladdin et Le Roi Lion. Le documentaire de Don Hahn, producteur desdits films, lève le voile sur cette volte-face. fort d’images d’archives tournées par John Lasseter (actuel PDg de Pixar), Hahn sort de l’ombre une meute de lions aux crocs acérés. Pour régner en maître, une seule loi : celle de la jungle. Le neveu vieillissant de Walt Disney, roy, lâche la bride. sur le quivive, deux félins téméraires, le futur patron de DreamWorks, Jeffrey Katzenberg, et Michael Eisner, au sommet du cheptel Disney de 1984 à 2005, se sautent à la gorge. L’importance de l’enjeu justifie la violence des échanges : tous les jalons du cinéma d’animation d’aujourd’hui – le numérique offre ses premières promesses – sont posés à cette époque charnière. L’issue du combat révèle trois mastodontes plutôt qu’un : Disney, Pixar et DreamWorks.

OCTOBRE 2010

dON hAhN Quand l’idée du documentaire a-t-elle germé en vous ? Lorsque je travaillais au sein des studios, l’idée d’en tirer un film ne m’a jamais effleuré. Aujourd’hui, vingt ans ont passé, les gens commencent à oublier. Certains ont disparu. C’était le moment ou jamais de replonger au cœur de ces années extraordinaires. Y avait-il la volonté d’insuffler un air de Dallas chez Disney ? Sous l’entité Disney, il y avait des hommes, ambitieux, avec de forts ego, mais des hommes avant tout. Nous étions très fiers d’appartenir à cette écurie. Mon but était de raconter leur histoire sous-jacente et de mettre en avant cette dimension humaine. D’où viennent les images d’archives que vous utilisez dans le documentaire ? Je savais que des images tournées par John Lasseter existaient, je suis allé les chercher. Nous avons téléphoné aux dessinateurs. Nous avons soulevé chaque pierre. Ce fut une véritable chasse au trésor pour finalement réunir ces 250 heures de rushes.

WWW.MK2.COM


48 CINÉMA

SORTIE LE

13/10

The Social Network 3 RAISONS D’ALLER VOIR LE FILM 1… Parce que les détails de la success story et des procès intentés à Facebook sont parfois mal connus. 2… Pour le jeune Andrew Garfield, remplaçant de Tobey Maguire dans le prochain Spider-Man. 3… Pour le retour au présent de David Fincher après sa fresque spatio-temporelle rabougrie, Benjamin Button.

LES AFFINITÉS ÉLECTIVES Un film de David Fincher // Avec Jesse Eisenberg, Andrew Garfield... // Distribution : Sony Pictures // États-Unis, 2010, 2h

Avec The Social Network, dAVId FINChER dramatise la naissance de Facebook dans une chronique technophile fluide et finement ciselée. _Par Clémentine Gallot

La scène d’ouverture en forme de joute verbale en dit long sur le terrain discursif qu’occupe ce film choral, conçu sous la houlette d’aaron sorkin. Le dialoguiste à la mitrailleuse substituait déjà la parole à l’action chez les communicants de la série The West Wing. Difficile de l’ignorer, The Social Network retrace l’élaboration de facebook, depuis les rangs d’Harvard jusqu’à la silicon Valley (2003-2005). Ce récit compact reprend la trame développée dans la biographie de Ben Mezrich (The Accidental Billionaires), restée non-officielle, le principal intéressé ayant refusé d’y prendre la parole. il serait vain de déduire de l’exposé de Mezrich le film de David fincher. Celui-ci multiplie au contraire les points de vue, alternant la perspective de l’antihéros, Mark Zuckerberg le jeune PDg de facebook, geek coincé et sans amis, et de ses détracteurs, Eduardo saverin le cofondateur du site, et deux jumeaux nantis, qui lui réclament des millions pour plagiat. La revanche

OCTOBRE 2010

pulsionnelle apparaît à l’origine de la création du réseau en ligne, alors que facebook s’imposera par la suite comme le grand lubrifiant social que l’on sait. sans l’ampleur de Zodiac, la plus accomplie des productions fincher, mais fort de son storytelling accrocheur, The Social Network navigue dans une tragédie romaine à laquelle se superpose l’ossature d’un film de procès, bâti sur des dépositions. styliste chevronné (Fight Club), le cinéaste américain adopte ici un rythme qui colle à son sujet glissant, épousant la vitesse d’exécution, l’accélération technologique. Les échos du tournage dessinent un autoportrait en creux de fincher en control freak obsessionnel, double déformé de son personnage. au bout du compte, cette variation biographique ne décode rien de l’énigme Zuckerberg. Mal ajusté à sa génération, celui qui, pourtant, la définit, s’évanouit dans les méandres de ce college movie désenchanté.

WWW.MK2.COM


49 CINÉMA

SORTIE LE

27/10

Vénus noire 3 RAISONS D’ALLER VOIR LE FILM 1… Pour voir Kechiche, chroniqueur acéré de la France contemporaine, se confronter à un épisode tragique de l’histoire de l’humanité. 2… Pour l’intelligence du propos et de la mise en scène, jamais voyeuriste. 3… Pour la performance de Yahima Torres, qui rejoint les grandes actrices du cinéma de Kechiche

TRANSFORMISME Un film d’Abdellatif Kechiche // Avec Yahima Torres, Andre Jacobs… // Distribution : MK2 Diffusion // France, 2009, 2h39

Déjouant les attentes de son cinéma, ABdELLAtIF KEChIChE transforme le destin romanesque de la « Vénus hottentote » en une fresque quotidienne sur l’horreur du spectacle. _Par Renan Cros

Film historique tourné en numérique, avec un casting international, Vénus noire est un pari osé dans le cinéma français contemporain. si on le savait capable du meilleur, on n’attendait peut-être pas de la part du réalisateur de L’Esquive un film aussi dur et cru. En racontant l’histoire de saartjie Baartman, phénomène de foire au XiXe siècle, martyre de la science et aujourd’hui devenue un symbole pour l’afrique du sud, Kechiche confronte son cinéma à l’horreur grimaçante du spectacle, non loin d’Elephant Man (Lynch) ou d’Une étoile est née (Cukor). fresque terrifiante sur un corps meurtri, Vénus noire surprend par les audaces et la cruauté de son propos. À rebours de ses précédents longs métrages, où les récits s’arrachaient du quotidien pour tendre vers le romanesque, Kechiche détourne la trajectoire romanesque de son héroïne au profit d’une forme plus quotidienne, mieux à même de raconter son calvaire. Lors de longues scènes de spectacles, la caméra de Kechiche s’at-

OCTOBRE 2010

tarde sur ces regards qui, des tavernes londoniennes à l’amphithéâtre du Pr Cuvier, de la solennité du tribunal au grotesque des soirées libertines, viennent se rassurer sur leur propre humanité. Pourtant, c’est bien dans le regard de saartjie que se niche celle du film. Encore une fois, Kechiche offre à une jeune actrice un rôle marquant, à la mesure de son talent.Yahima Torres donne à cette Vénus hors norme une douceur et une opacité mystérieuses. Mutique au milieu du chaos (comme l’adolescent de L’Esquive ou le père de La Graine et le mulet), elle hante les plans de son corps lourd et sensuel. Déjouant le voyeurisme de son sujet, le film redonne à saartjie toute sa complexité et sa dignité. Par le biais d’une mise en scène très musicale, oscillant entre transe et effroi, Kechiche dépasse le simple plaidoyer humaniste pour raconter avec tact et intelligence le destin d’une artiste que l’on n’a pas su regarder.

WWW.MK2.COM


50 CINÉMA

AGENDA SORTIES CINÉ 06/10 _Par J.R., I.D., S.A. et L.T.

SORTIES DU

MOI MOChE Et MéChANt de Pierre Coffin et Chris Renaud Avec les voix de Steve Carell, Jason Segel… Universal, États-Unis, 1h35

Vous allez adorer détester gru, un sale bonhomme prêt à voler la lune pour conserver son titre de « plus grand vilain de tous les temps »… Cruellement drôle et délicieusement insolent, ce petit bijou a été entièrement réalisé au sein du studio français Macguff.

tOUt VA BIEN, thE KIdS ARE ALRIGht de Lisa Cholodenko Avec Annette Bening, Julianne Moore… UGC, États-Unis, 1h46

Deux ados, conçus par leurs mères homos grâce à un don de sperme, décident de retrouver leur père biologique… Crise de la quarantaine, routine sexuelle, émancipation adolescente et homoparentalité, ce parfait feel good movie aborde les sujets graves avec humour et légèreté.

CAPtIFS de Yann Gozlan Avec Zoé Félix, Arié Elmaleh… Bac, France, 1h24

au terme d’une mission dans les Balkans, Carole et deux collègues médecins sont enlevés par un mystérieux gang. Emprisonnés dans les bois, ils découvrent les terribles intentions de leurs ravisseurs. un film d’épouvante qui ne fait pas dans la nuance.

13/10

SORTIES DU

LES RÊVES dANSANtS d’Anne Linsel et Rainer Hoffmann Documentaire Jour2fête, Allemagne, 1h29

En 2008, Pina Bausch crée Kontakthof avec des adolescents de plus de 14 ans : ses interprètes sont lycéens et n’ont jamais dansé. spectacle fascinant que celui de ces jeunes gens pudiques et maladroits confrontés par la danse à l’ambigüité des rapports hommes-femmes.

ILLéGAL d’Olivier Masset-Depasse Avec Anne Coesens, Esse Lawson… Haut et Court, Belgique-Luxembourg-France, 1h35

Tania et son fils, ivan, vivent illégalement en Belgique. Par crainte d’une arrestation, ils parlent en français plutôt qu’en russe. Leur vie bascule le jour du treizième anniversaire d’ivan... une plongée crue et poignante au cœur des centres de rétention de sans-papiers.

AU FONd dES BOIS de Benoît Jacquot Avec Isild Le Besco, Mathieu Simonet… Les Films du Losange, France, 1h 42

1865, dans un village du sud de la france, un étrange vagabond viole la fille de son hôte et s’enfuit avec elle. Quel lien unit Timothée et Joséphine ? Pourquoi ne se sauve-t-elle pas ? Est-elle possédée ou amoureuse ? D’après un fait divers réel.

dONNANt, dONNANt

ELLE S’APPELAIt SARAh

d’Isabelle Mergault Avec Daniel Auteuil, Sabine Azéma… Gaumont, France, 1h40

de Gilles Paquet-Brenner Avec Kristin Scott Thomas, Mélusine Mayance… UGC, France, 1h51

Criminel en cavale victime de troubles du langage, Constant atterrit sur la péniche de sylvia. La jeune pianiste lui propose un marché : il devra tuer la mère adoptive de sylvia pour que tous deux gagnent leur liberté.

Et AUSSI CEttE SEMAINE : LE PEtIt tAILLEUR de Louis garrel (lire l’entretien p. 6) ENtRE NOS MAINS de Mariana Otero (lire la critique p. 46) VOUS ALLEZ RENCONtRER UN BEL Et SOMBRE INCONNU de Woody allen (lire la critique p. 44) wAKING SLEEPING BEAUtY de Don Hahn (lire la critique p. 47) KABOOM de gregg araki (lire l’entretien p. 92)

OCTOBRE 2010

Journaliste américaine travaillant à Paris, Julia enquête sur les arrestations du Vel’d’Hiv quand son destin croise celui de sarah, une fillette arrêtée en 1942… Classique et lacrymal, le film questionne la conscience de chacun face au devoir de mémoire. Et AUSSI CEttE SEMAINE : JEAN-MIChEL BASQUIAt - thE RAdIANt ChILd (lire l’entretien p. 30) thE SOCIAL NEtwORK de David fincher (lire le portrait p.15 et la critique p.48)

WWW.MK2.COM


SORTIES DU

20/10

LES PEtItS MOUChOIRS de Guillaume Canet Avec François Cluzet, Marion Cotillard… Europacorp, France, 2h 25

Les vacances d’une bande de copains au Cap ferret, assombries par l’absence de l’un d’eux, hospitalisé à Paris. Petits arrangements avec la vie, blagues, rosé et rituels… Canet mêle malice et mélo dans un film générationnel, avec des acteurs au taquet.

PICtURE ME d’Ole Schell et Sara Ziff Documentaire Eurozoom, États-Unis, 1h22

Être mannequin, ce n’est pas si facile. Lorsque sa petite amie sara devient top, Ole décide de filmer les dessous chics du plus beau métier du monde. Mais de new York à Milan en passant par Paris, le vol en première s’avère moins planant que prévu.

dIVORCE À LA FINLANdAISE de Mika Kaurismäki Avec Anna Easteden, Elina Knihtilä… Kanibal, Finlande, 1h42

Juhani et Tuula décident de divorcer dans les règles de l’art – comprendre sans remous ni crises d’hystérie. Bien entendu, ça ne se passe pas exactement comme prévu. une comédie acide sur la fin du couple et… la vente du mobilier.

PARANORMAL ACtIVItY 2 de Tod Williams Avec Kathie Featherston… Paramount, États-Unis

gros mystère autour du nouveau Tod Williams, trois ans après le premier opus. La bande-annonce fait froid dans le dos : une chambre d’enfant, un berger allemand, l’image se brouille, la vidéo est brusquement coupée…

Et AUSSI CEttE SEMAINE : BIUtIFUL d’alejandro gonzález iñárritu (lire la critique p.16)

OCTOBRE 2010

WWW.MK2.COM


52 CINÉMA

AGENDA SORTIES CINÉ 27/10 _ Par S.A., C.D., C.G. et J.R.

SORTIES DU

thE AMERICAN d’Anton Corbijn Avec George Clooney, Thekla Reuten… Mars, États-Unis, 1h43

La nouvelle mission de Zack, tueur à gages de haute volée, l’attire dans un village pittoresque d’italie. Pour la première fois, Zack fait une entorse à ses principes et baisse la garde... Le réalisateur de Control attise habilement le feu sous la glace.

IL REStE dU JAMBON ? d’Anne Depetrini Avec Ramzy Bedia, Anne Marivin… Gaumont, France, 1h30

Justine Lacroix, pimpante journaliste, est cantonnée à la rubrique faits divers. suite à un reportage qui tourne mal, elle rencontre un séduisant médecin d’origine algérienne. Le couple ramzy-Depetrini concocte une comédie savoureuse, qui se joue des clichés.

LE ROYAUME dE GA’hOOLE de Zack Snyder Avec Emilie de Ravin, Helen Mirren… Warner, France-États-Unis, 1h30

Jeune chouette intrépide, soren met tout en œuvre pour libérer les gardiens, ces chouettes légendaires qui veillent sur leurs semblables du haut d’un arbre magique niché au milieu de l’océan, capturées par leurs pires ennemis, les Purs.

NOStALGIE dE LA LUMIÈRE de Patricio Guzman Documentaire Pyramide, Espagne-Chili, 1h30

Désert d’atacama, 3000 mètres d’altitude, tombée de la nuit. une foule d’astronomes s’apprête à plonger dans les étoiles. Mais à terre, la grande Histoire continue de se jouer… Proche de Chris Marker, l’auteur radiographie avec force l’après-Pinochet.

SORTIES DU

03/11 FAIR GAME de Doug Liman Avec Naomi Watts, Sean Penn… UGC Distribution, États-Unis, 1h46

L’histoire vraie de Valerie Palme, agent de la C.i.a. chargée de la non-prolifération d’armes en irak. une plongée au cœur des plus hautes sphères de l’état et dans l’intimité d’un couple ordinaire broyé par les rouages politiques de l’après 11-septembre : glaçant et réussi.

LA PRINCESSE dE MONtPENSIER de Bertrand Tavernier Avec Mélanie Thierry, Grégoire Leprince-Ringuet… StudioCanal, France, 2h10

La france du XVie siècle, déchirée par la guerre civile. La jeune Marie, mariée contre son gré, renonce à son amour d’enfance et devient le centre d’intérêt de tous les hommes qui l’approchent. un drame assez sage sur l’amour fou, d’après Madame de Lafayette

dES FILLES EN NOIR de Jean-Paul Civeyrac Avec Élise Lhomeau, Léa Tissier… Les Films du Losange, France, 1h25

Deux lycéennes annihilées par le mal-être assouvissent leur quête d’absolu dans une fascination macabre pour le suicide. Du marasme de leur relation vampirique subsiste un espoir : la passion de l’une d’elles pour la musique.Triste jeunesse dans un triste monde.

LE dERNIER VOYAGE dE tANYA d’Alexei Fedorchenko Avec Igor Sergeyev, Viktor Sukhorukov… Memento, Russie, 1h12

Le dernier voyage est celui d’une morte, accompagnée vers sa sépulture par son mari et un ami, selon les rites immémoriaux d’une tribu russe en train de disparaître, les Mérias. Cette ode poétique à la vie et à l’amour est un ovni sidérant.

Et AUSSI CEttE SEMAINE : VERY BAd COPS d’adam McKay (lire le portrait p. 28) VéNUS NOIRE d’abdellatif Kechiche (lire la critique p. 49 et le portrait p. 82)

OCTOBRE 2010

WWW.MK2.COM



54 CINÉMA

LES ÉVÉNEMENTS BASTILLE

BIBLIOTHÈQUE

HAUTEFEUILLE

ODÉON

QUAI DE LOIRE

BEAUBOURG

GAMBETTA

NATION

PARNASSE

QUAI DE SEINE

CINÉMA

PASSERELLES

FLASH-BACKS & PREVIEWS

LE DIALOGUE DES DISCIPLINES

MARdI 12 OCtOBRE - 20h30 / SOIRéE BREF Carte blanche au 25e festival européen du film court de Brest avec Ménage de Pierre salvadori, Kill the Day de Lynne ramsay, Smafuglar (Les Moineaux) de runar runarsson, Nue de Catherine Bernstein, Universal Spring d’anna Karasinska et Le Signaleur de Benoît Mariage.

JEUdI 7 OCtOBRE – 19h30 / LECtURE / CosmoZ de Claro. avec les éditions actes sud, rencontre-lecture avec l’auteur, suivie de la projection du Magicien d’Oz de Victor fleming, à 21h.

MARdI 12 OCtOBRE - 20h / Waking Sleeping Beauty de don hahn. Projection du documentaire événement sur l’histoire des studios d’animation Disney de 1984 à 1994, suivie d’une discussion entre le public et Jean-françois Camilleri, président de The Walt Disney Company france. Le film sort le 6 octobre en exclusivité au MK2 Hautefeuille. LUNdI 25 et MARdI 26 OCtOBRE – 21h / RdV dES dOCS / Le fond de l’air est rouge de Chris Marker. De Che guevara à rudi Dutscheke, de Lénine à Mao, Chris Marker propose une lecture de l’Histoire à travers un enchaînement d’images dont le sens peu à peu se dévoile. Le film sera projeté en deux parties, en présence de Luc Moullet (le 25) et Laurence Conan (le 26).

CYCLES LES ShAdES. Carte blanche au quintet, avec les films Ghostbuster d’i. reitman, I’m not There de T. Haynes, Down by Law de J. Jarmush et Young and Innocent d’a. Hitchcock. En matinée, les 9, 10, 16 et 17 octobre EN PLEINE NAtURE Tropical Malady de a. Weerasethakul, Last Days de g. Van sant, Le Nouveau Monde de T. Malick, Grizzly Man de W. Herzog, La Femme des sables de H. Teshigahara, The Shooting de M. Hellman, La Forêt de Mogari de n. Kawase, La Forêt d’émeraude de J. Boorman. Jusqu’au 31 octobre, les samedis et dimanches à partir de 10h30. ROMA ÆtERNA Amen de Costa-gavras, Le Ventre de l’architecte de P. greenaway, Fellini Roma de f. fellini, Il Divo de P. sorrentino, Il Sorpasso de D. risi, Gladiator de r. scott, Affreux, sales et méchants de E. scola et Nigth on Earth de J. Jarmusch. À partir du 6 novembre, les samedis et dimanches à partir de 10h30.

JUNIOR MERCREdI 3 NOVEMBRE / 10h30 / LECtURES POUR LES 3-5 ANS. Ce mois-ci, nous irons à la pêche ! inscription gratuite au préalable à la librairie ou par téléphone (01 44 52 50 70) auprès de Mélanie et sophie.

LUNdI 18 OCtOBRE – 20h30 / CARtE BLANChE À BERtRANd BELIN. Miniconcert suivi de la projection de Dernier Maquis de rabah ameur-Zaïmeche, choisi et présenté par le musicien. JEUdI 21 OCtOBRE – 19h30 / LECtURE / Open Space de Patrick Bouvet. avec la collection Extraction des éditions Joca seria, rencontre-lecture avec l’auteur suivie de la projection de THX 1138 de george Lucas, à 21h. VENdREdI 22 OCtOBRE - 19h30 / RENCONtRE / Pierre Znamensky. avec les éditions du rouergue, rencontre autour de l’ouvrage Sous les plis du drapeau rouge (photos de guy gallice). Objet symbolique du communisme, le drapeau rouge a donné lieu à des expressions artistiques remarquables, de Chagall à Malevitch en passant par rodchenko… SAMEdI 23 OCtOBRE - 11h30 / CINé-Bd / La Mort de Staline, tome 1 de Fabien Nury et thierry Robin. Dans cet album éblouissant, les auteurs dressent le portrait d’une dictature plongée dans la folie pendant les deux jours qui suivirent l’attaque cérébrale de staline. film à définir. 25 tickets de dédicace distribués au moment de l’achat de votre place de cinéma. JEUdI 28 OCtOBRE – 19h30 / SOIRéE ZéRO dE CONdUItE / Mer fantastique. avec les éditions attila, autour de La Barque de nuit de gilbert Dupé, La Chose dans les algues de William Hodgson (Terre De Brume), Les Robinsons de la mer de Maurice Champagne, Romantisme des mers imaginaires de Pierre Mac Orlan (arléa) et En remorquant Jehovah de James Morrow (au Diable Vauvert). insc. au 01 44 52 50 70. JEUdI 4 NOVEMBRE - 19h30 / LECtURE / Les Invisibles. avec les éditions de l’atelier, rencontre-lecture avec l’écrivain et cinéaste gérard Mordillat et le photographe Joël Peyrou, suivie de la projection du film Y aura-t-il de la neige à Noël ? de sandrine Veysset, à 21h.

T o u t e l a p r o g r a m m a t i o n s u r m k2 . c o m OCTOBRE 2010

WWW.MK2.COM


UVREZ DÉCO ÉMA IN C LE DANS N E M T AUTRE K2 ! M LLES LES SA

FOCUS CARtE BLANChE Ă€ BERtRANd BELIN Ă€ l’occasion de la sortie de son ĂŠlĂŠgant troisième album, Hypernuit (Cinq7), le MK2 Quai de seine reçoit Bertrand Belin pour une programmation au diapason de l’homme, empreinte d’une poĂŠsie Ă double tranchant. Le 18 octobre, pour la soirĂŠe d’ouverture, le musicien donnera un concert acoustique suivi de la projection de Dernier Maquis, en prĂŠsence du rĂŠalisateur rabah ameur-ZaĂŻmeche. L’Êpure sera la pierre angulaire d’un cycle tournĂŠ vers des cinĂŠastes qui dissimulent une Ĺ“uvre sensible sous un habit d’humilitĂŠ. Trois autres rĂŠalisateurs ayant nourri l’œuvre de Bertrand Belin complĂŠteront la sĂŠlection. On pourra notamment (re)dĂŠcouvrir Le Dernier des Fous de Laurent achard, un film d’une noirceur intacte, sobre et sans apparat. Le Canadien guy Maddin, rĂŠcemment cĂŠlĂŠbrĂŠ Ă Beaubourg, insufflera une tonalitĂŠ plus onirique avec The Saddest Music in the World. Le deuxième film de la jeune rĂŠalisatrice amĂŠricaine Kelly reichardt, Old Joy, bouclera le cycle : le dĂŠnuement en guise de dĂŠnouement. _S.A.

Carte Blanche à Bertrand Belin, le 18 octobre à 20h30, ainsi que les 23 et 24 octobre et 6 et 7 novembre en matinÊe au MK2 Quai de Seine. Plus d’infos sur mk2.com

PREMIERS ĂŠCLAtS Pendant les vacances de la Toussaint aura lieu la sixième ĂŠdition de Mon Premier festival, organisĂŠ par la Mairie de Paris et dĂŠdiĂŠ aux cinĂŠphiles en herbe. PlacĂŠ sous le parrainage de la jolie fĂŠe Marina foĂŻs, le festival aura cette annĂŠe pour thème les ĂŠclats de rire. au MK2 Quai de seine ainsi que dans neuf autres salles de la capitale, les petits vont pouvoir regarder en s’amusant. avant-premières, cinĂŠ-concerts, hommage Ă Louis de funès et fenĂŞtres sur le cinĂŠma britannique, il y en aura pour tous les goĂťts et pour tous les âges. L’occasion de dĂŠcouvrir Jacques Tati (Mon oncle), Laurel et Hardy ou encore les films de Blake Edwards (La Panthère rose, The Party). Et si le jeune public se sent l’âme artiste, il pourra mettre la main Ă la pâte lors d’ateliers cinĂŠma. Des vacances animĂŠes en perspective‌ _L.T.

Mon Premier Festival, du 27 octobre au 2 novembre. À partir de 2 ans, minitarif de 4 ₏ la sÊance. Plus d’infos sur www.monpremierfestival.org

OCTOBRE 2010

WWW.MK2.COM


Š Gustavo Minas/LatinContent/Getty Images

CONCERTS

56 SORTIES EN VILLE

JOJO À GOGO Jonathan Richman, modern crooner Entre one-man show poÊtique et juke-box rock’n’roll, l’un des fondateurs du punk-rock new-yorkais, le polyglotte et lunaire JONAthAN RIChMAN, passe chanter ses classiques et nous enchanter. Rendez-vous à Jonathan. _Par Wilfried Paris

S’il y a un concert annuel Ă ne pas manquer, c’est bien celui de Jonathan richman, bientĂ´t soixante ans, mais Ă jamais enfantin, depuis son ĂŠmerveillement pour le Velvet underground, dont il reprendra les suites de trois accords avec ses Modern Lovers (produits dès 1972 par John Cale) le faisant parrain du punk-rock, avant une carrière solo singulière et prolifique de fou (lĂŠger) chantant et dansant ses ballades acoustiques et sentimentales, tendres ou tristes, jamais vraiment naĂŻves. Tel Harpo Marx jouant pour la lune, guitare nylon coincĂŠe sous le coude, pour mieux la prendre soudain par la main et la transformer en partenaire de petits pas de danse, chorĂŠgraphies dĂŠlicatement clownesques, de dĂŠhanchements minimalistes comme des haĂŻkus, reproduisant succinctement les contorsions sexuelles des plus belles incarnations pop (Elvis, Michael), Jonathan richman sur scène est autant un corps qu’une voix, rocailleuse avec l’âge, mouvante selon les personnages, changeante selon les paysages : de l’anglais natif Ă l’espagnol langoureux, en

OCTOBRE 2010

passant par l’italien chantant ou le français maladroit, pour une reprise toujours attendue d’un J’aime Paris au mois de mai, solaire, aĂŠrienne, ravissante. Jojo ravit fans et profanes en faisant de ses concerts des performances poĂŠtiques oĂš ses standards (Roadrunnner, I Was Dancing in the Lesbian Bar, Egyptian Reggae) sont dĂŠcousus en petits soli de guitare, digressions complices, ĂŠchanges amusĂŠs avec son accompagnateur fidèle, Tommy Larkins, Ă la batterie sommaire. Le public rit et chante en chĹ“ur, fait ses requĂŞtes, toujours acceptĂŠes, rappelle trois fois le troubadour qui finalement salue comme un concertiste, la main sur le cĹ“ur, avant de revenir l’annĂŠe suivante, pour le mĂŞme concert ou presque, un enchantement renouvelĂŠ, une parenthèse enchantĂŠe. Tout le monde aime Jojo. Le 13 octobre Ă La Boule Noire, dès 19h30, 23 â‚Ź

WWW.MK2.COM


D.R.

L’OREILLE DE‌ LISA LI-LUND

ZOMBIE ZOMBIE JOUE JOHN CARPENTER Ă€ LA FONDATION AGNĂˆS B. ÂŤ Quand les deux Zombie Zombie s’approprient la musique de mes films d’horreur prĂŠfĂŠrĂŠs, c’est tout en justesse, les thèmes restent les mĂŞmes, les intentions sont prĂŠservĂŠes, ils ne changent pas des morceaux dĂŠjĂ si bien pensĂŠs. ils y apportent simplement leur jeu, leurs machines et leur feu. La dernière fois qu’ils ont prĂŠsentĂŠ l’album, j’en suis ressortie couverte de bleus et la voix cassĂŠe. n’y voyez aucune flatterie. Je suis fan, Ă mort. Oops, j’oubliais, le concert est “privĂŠâ€?‌ Âť _Propos recueillis par W.P.

Le 14 octobre à la Fondation Agnès B, soirÊe privÊe. 1992 de The Big Crunch Theory et Zombie Zombie plays John Carpenter (Versatile/Module, albums dÊjà disponibles)

AGENDA CONCERTS

_Par W.P.

1 GRINdERMAN Voodoo-punk ou blues du bayou brĂťlant, le flamboyant nick Cave et ses nouvelles mauvaises graines (dont Warren Ellis Ă la guitare pyromane) devraient mettre le feu Ă la CitĂŠ de la Musique. Hot. Le 26 octobre Ă la CitĂŠ de la musique, dès 20h, 45 â‚Ź

2 BIG BOI sans son pote andrĂŠ 3000 mais aurĂŠolĂŠ de la sortie d’un des meilleurs albums hip-hop de 2010 (Sir Lucious Left Foot:The Son of Chico Dusty, chez Def Jam), l’alter du duo Outkast vient dropper un vrai live avec un vrai band, entre P-funk et g-funk, Dirty south et hip-hop hydraulique. The game. Le 5 novembre Ă l’ÉlysĂŠe-Montmartre, dès 18h30, 39,90 â‚Ź

3 YOUNG MAN Ce jeune homme est passĂŠ de la musique de chambre (garageBand et Youtube) Ă un E.P. en bonne et due forme (Boy), jolie copie presque conforme des cĂŠlĂŠbrations primitives d’animal Collective, ses maĂŽtres dĂŠjĂ anciens. Le 6 novembre Ă La Boule Noire, dès 20h, 22 â‚Ź

4 GORILLAZ Le combo pop-plastique de Damon albarn passe du virtuel animĂŠ Ă la rĂŠalitĂŠ augmentĂŠe d’invitĂŠs prestigieux (Bobby Womack, De La soul, Kano, le syrian national symphony Orchestra, entre autres), pour deux soirĂŠes au sommet. Les 22 et 23 novembre au ZĂŠnith, dès 18h30, 61,50 â‚Ź

OCTOBRE 2010


Š Zouzou Auzou

CLUBBING

58 SORTIES EN VILLE

Rosa Bonheur

L’ÉTÉ INDIE Rosa Bonheur et le Pavillon du Lac Pour prolonger l’ÊtÊ, le parc des Buttes-Chaumont offre une alternative chaleureuse au clubbing industriel ou aux boÎtes sÊlectes des beaux quartiers avec la guinguette du ROSA BONhEUR et le PAVILLON dU LAC, qui rÊussissent à donner à Paris des airs de Sud. _Par Violaine Schßtz

Ce fut l’un des secrets clubbing les mieux gardĂŠs de Paris, Ă son ouverture il y a deux ans, avant de devenir un trĂŠsor de plus en plus partagĂŠ. Quand la nuit tombe et que les portes du jardin des ButtesChaumont se ferment, on peut encore y entrer en se prĂŠsentant aux grandes grilles situĂŠes près de la station de mĂŠtro Botzaris, et en prononçant les mots ÂŤrosa Bonheur Âť au portier. un nom aux intonations communistes (on pense Ă rosa Luxembourg) qui s’expliquent par le dessein social qui a animĂŠ la crĂŠation de cette guinguette. C’est Christophe Vix-gras, prĂŠsident de l’association Technopol, Michelle Cassaro (dite Mimi) et Zouzou, deux ex du Pulp, qui ont reconverti une vieille gargote nĂŠe avec le parc et dĂŠlabrĂŠe en ÂŤ cafĂŠ, restaurant et lieu de vie pour tousÂť. L’idĂŠe venait de la Ville de Paris qui souhaitait un endroit ouvert Ă un large public. On peut ainsi savourer charcuterie et lĂŠgumes bio ou danser sur des tubes pas ĂŠlitistes pour un sou. On vient pour faire la fĂŞte avec les autres et se mĂŠlanger ou, dans la journĂŠe, pour des expos, concerts ou tournois de pĂŠtanque. OCTOBRE 2010

faisant ĂŠcho au succès de ce nouveau clubbing dĂŠcomplexĂŠ, un petit nouveau a fait surface en juin dernier, le Pavillon du Lac, tenu par Patricia Laloum et MĂŠziane azaĂŻche (Cabaret sauvage, ZĂŠphyr). si l’attente y est un peu longue et l’addition un brin ĂŠlevĂŠe, l’endroit bĂŠnĂŠficie d’un cadre unique : il est l’un des six pavillons napolĂŠon iii datant de l’inauguration du parc des Buttes-Chaumont en 1867. Longtemps très couru, le lieu avait fini par pĂŠricliter et ĂŠtait Ă l’abandon depuis quinze ans. aujourd’hui, on profite Ă nouveau de ses verrières avec immersion au milieu des feuillages des arbres, qui surplombent le lac, pour voir un concert ou se laisser croire que Paris est une fĂŞte, un bal, une cabane au fond du jardin. Rosa Bonheur, toute l’annĂŠe, du mercredi au dimanche de midi Ă minuit Le Pavillon du Lac, toute l’annĂŠe, du mardi au samedi de 9h Ă minuit, le dimanche de 9h Ă 22h

WWW.MK2.COM


Š RaphaeĚˆl Neal

LES NUITS DE‌ WAGNER

ÂŤ En attendant ma prochaine prestation en live Ă Paris dans le magnifique thÊâtre Le Trianon avec goldfrapp, une fĂŞte dans un autre thÊâtre, car tous les clubs en sont un [Wagner prĂŠpare une thèse Ă la Sorbonne sur l’histoire des night-clubs, ndlr] : le social Club, pour la nouvelle soirĂŠe de lancement du Grab Bag E.P. de deBonton. Des disques, de la nuditĂŠ et un dancefloor oscillant entre le glacial et le brĂťlant. Ce sont les contrastes qui font la musique, et la musique qui fait la nuit‌ ça, l’alcool, la fille et les copains. Âť _Propos recueillis par V.S.

DJ set le 13 octobre au Social Club, avec Dye, Rikslyd et deBonton, dès 23h, 5 â‚Ź avec compilation gratuite

AGENDA CLUBBING

_Par V.S.

1 LA NUIt FAtALE La tendance est au burlesque, y compris dans le clubbing. La nuit fatale du Paris Burlesque festival à la Bellevilloise propose du punk et du garage, des numÊros de Kitten de Ville, Miss glitter Painkiller, Cherry Lyly Darling‌ ainsi qu’un live des sulfureux rikkha. Le 9 octobre à la Bellevilloise, de 22h à 6h, 13,70 ₏

2 APĂŠRO VINtAGE dE BORdEAUX La formule qui a enivrĂŠ les amateurs des trois premières ĂŠditions des aVB : un bar branchĂŠ, des concerts (ce soir-lĂ de l’indie rock de goĂťt servie par Oh! Tiger Mountain et franz is Dead), des selectors et surtout le verre de (très bon) vin Ă 2 â‚Ź. Le 12 octobre Ă l’EntrepĂ´t, dès 19h, entrĂŠe libre

3 PROJEt 1051 nous en parlions il y a quelques mois dans ces pages, Le Batofar se jette dans le bain numĂŠrique avec une soirĂŠe mĂŞlant rap (La Caution, Cuizinier, Orgasmic, Phon.O) et art du VJing (le collectif berlinois Transforma). Transgenre et prometteur. Le 15 octobre au Batofar, dès 23h, 11,60 â‚Ź

4 FELA dAY tRIBUtE tO FELA ANIKULAPO KUtI alors que la pop ne jure que par l’afrobeat, quelques jeunes pousses et d’anciens compagnons de route rendent hommage au maĂŽtre du genre fela Kuti. ses tubes seront repris par des artistes aux noms aussi dĂŠlicieusement exotiques que shakara, Dele sosimi ou Kiala. Le 16 octobre Ă la Machine, dès 22h, 28 â‚Ź

OCTOBRE 2010


Š Centre Pompidou, G. Meguerditchian

EXPOS

60 SORTIES EN VILLE

FRĂˆRES D’ART Saâdane Afif Ă Beaubourg Le laurĂŠat 2009 du prix Marcel Duchamp propose son Anthologie de l’humour noir dans l’Espace 315 du Centre Pompidou. Un rite initiatique aux airs de rite funèbre‌ _Par Anne-Lou Vicente

Mardi 14 septembre 2010, 19h. Le lieu est comble. Difficile de se frayer un chemin parmi la foule venue vernir l’exposition de saâdane afif, laurĂŠat du prestigieux prix Marcel Duchamp, dĂŠcernĂŠ chaque annĂŠe Ă un artiste français pendant la fiac. adepte de la vanitĂŠ, l’artiste a fait fabriquer un cercueil de deux mètres de long reprenant la forme du Centre Pompidou, trĂ´nant au centre de l’Espace 315. autour de cet objet ĂŠtrange conçu par un artisan ghanĂŠen, plusieurs bornes cylindriques en fonte d’aluminium constituent des rĂŠpliques du mobilier urbain en pierre qui entoure la piazza du Centre Pompidou, ainsi mise en abĂŽme. La dimension de place publique prit toute son ampleur lorsque, le soir du vernissage, deux acteurs, l’un francophone et l’autre anglophone, montèrent Ă tour de rĂ´le sur ces bornes pour dĂŠclamer les quinze textes – en rĂŠalitĂŠ des paroles de chansons – que saâdane afif commanda Ă quinze personnalitĂŠs diffĂŠrentes – artistes, ĂŠcrivains et critiques d’art –, une pratique rĂŠcurrente dans l’œuvre d’afif qui se plaĂŽt Ă brouiller la notion d’auteur et Ă saper l’univocitĂŠ de l’œuvre.

OCTOBRE 2010

Lisibles – sur fond noir ĂŠvidemment – sur les murs qui encadrent ce dĂŠcor Ă la fois urbain et thÊâtral, ils forment une Anthologie de l’humour noir, clin d’œil Ă andrĂŠ Breton, figure du dadaĂŻsme et du surrĂŠalisme, avant-gardes auxquelles prit d’ailleurs part un certain Marcel Duchamp. C’est au Centre Pompidou qu’à l’âge de douze ans, saâdane afif dĂŠcouvrit l’art. ÂŤ Ă€ l’Êpoque, tout le projet des architectes Rogers et Piano fonctionnait Ă plein, c’Êtait très ouvert Âť, se souvient l’artiste, un brin nostalgique d’un temps oĂš la libertĂŠ d’expression ĂŠtait au centre. aussi, Ă l’occasion de son entrĂŠe au ÂŤtemple Âť, remet-il la/les parole(s) au cĹ“ur de cette piazza symbolique oĂš l’on circule avec l’espoir que de brillantes utopies – artistiques, sociales, politiques – soient encore de ce monde.

Anthologie de l’humour noir, jusqu’au 3 janvier au Centre Pompidou, Espace 315, tous les jours sauf mardi de 11h à 21h

WWW.MK2.COM


D.R.

LE CABINET DE CURIOSITÉS

CUTLOG nĂŠe l’an dernier, Cutlog est l’une des plus jeunes foires d’art contemporain qui, Ă l’instar de ses consĹ“urs slick, show Off ou encore la petite dernière access & Paradox, profitent de l’aura de la vĂŠtĂŠrante foire internationale d’art contemporain (fiac) pour appâter les collectionneurs. Pour sa part, elle a ĂŠlu domicile dans le lieu atypique qu’est la Bourse du commerce, et mise sur la crĂŠation ĂŠmergente en prĂŠsentant une trentaine de galeries venues d’Europe, mais aussi du Japon ou des ĂŠtats-unis. _A.-L.V.

Du 21 au 24 octobre Ă la Bourse du commerce de Paris, www.cutlog.org

AGENDA EXPOS

_Par A.-L.V.

VINCENt GANIVEt Cultivant l’esthĂŠtique du chantier, les sculptures de Vincent ganivet reposent sur une dialectique combinant construction et effondrement. La prĂŠcaritĂŠ des architectures qu’il conçoit Ă partir de matĂŠriaux bruts les renvoie Ă leur potentialitĂŠ de ruine. Jusqu’au 11 dĂŠcembre Ă La MarĂŠchalerie, 5 avenue de Sceaux, 78000 Versailles

ĂŠRUdItION CONCRĂˆtE 3 Troisième et dernier volet du cycle d’expositions Érudition concrète de guillaume DĂŠsanges, Les Vigiles, les menteurs, les rĂŞveurs rĂŠunit des Ĺ“uvres qui observent le monde et son histoire pour mieux les donner Ă voir et/ou les dĂŠplacer. Jusqu’au 16 novembre au Plateau, place Hannah-Arendt, 75019 Paris

JULIEN BAEtE repÊrÊ au dernier salon de Montrouge, Julien Baete revient en force et nous embarque dans le nouvel espace du Commissariat avec L’Arabie Saoudite quitte l’Opep, un titre en forme d’intox aussi dÊroutant que prometteur. Jusqu’au 23 octobre au Commissariat, 113 boulevard Richard-Lenoir, 75011 Paris

OCTOBRE 2010


Š Ted Dottavio

SPECTACLES

62 SORTIES EN VILLE

GIRL POWER Le cabaret new burlesque Après la promo d’enfer que leur a assurĂŠe le film de Mathieu Amalric, les wonder women de TournĂŠe dĂŠbarquent en rĂŠgion parisienne et popularisent le genre new burlesque. _Par Ăˆve Beauvallet

Les showgirls du film TournÊe en live sans Mathieu Amalric, sans sa coolitude ÊtudiÊe, sa barbe irritante et sa french touch auteuriste ? Ça marche encore ?  Ça marche surtout! diront ceux qui, du film, ont plutôt retenu les filles. ils seront sans doute ravis de voir les dÊcomplexÊes Mimi Le Meaux, Kitten on the Keys, roky roulette, Dirty Martini, Julie atlas Muz et Evie Lovelle dÊbarquer en os, et en surtout en chair, à la ferme du Buisson pour un cabaret 100% new burlesque (amalric, cependant, ne sera pas loin, avec des bouts du film qui furent coupÊs au montage). session de rattrapage pour ceux qui roupillaient au moment de la sortie de TournÊe : le new burlesque, jusqu’alors plus connu outre-atlantique, c’est en quelque sorte les battements de cils ÊnamourÊs de Dita Von Teese, mais en plus punk, plus trash, plus gros, bref plus underground. soit une forme de show qui vire parfois au strip-tease, assurÊ par des femmes (et quelques

OCTOBRE 2010

hommes) non photoshopĂŠes, qui prĂŠfèrent l’exubĂŠrance kitsch au prĂŞt-Ă -exciter habituel. Pourquoi new ? Parce qu’avant que ces numĂŠros s’offrent une seconde jeunesse Ă partir des annĂŠes 1980, il y eut un burlesque tout court, et mĂŞme une reine du genre nommĂŠe Valeska gert, danseuse culottĂŠe en diable qui dĂŠgommait les mĹ“urs dans le Berlin des annĂŠes 1920. Depuis, l’effeuillage burlesque, en dĂŠsamorçant la question du dĂŠsir, est devenu le terrain de jeu du fĂŠminisme postsoixante-huitard. au programme, collages d’influences bariolĂŠes, de Jessica rabbit Ă la foire du TrĂ´ne, en passant par les girls des saloons et les icĂ´nes rockabilly.

Le cabaret new burlesque invite Mathieu Amalric Le 16 octobre Ă la Ferme du Buisson, dans le cadre du festival Temps d’images, www.tempsdimages.eu Et du 27 dĂŠcembre au 15 janvier au thÊâtre de la CitĂŠ Internationale, www.theatredelacite.com

WWW.MK2.COM


Š Hugo Glendinning

LE SPECTACLE VIVANT NON IDENTIFIÉ

THE THRILL OF IT ALL Vous voulez vous affranchir des ressorts attendus du spectacle ? foncez sur la dernière crĂŠation de forced Entertainment. Depuis 20 ans, Ă la pointe de l’avant-garde, ce collectif britannique dĂŠgoupille le grand divertissement et en pervertit les mĂŠcanismes. si le visage et les costumes des performers s’offraient jusque-lĂ les artifices les plus outranciers, leurs voix ĂŠtaient toujours restĂŠes authentiques. Ce temps est rĂŠvolu : distorsion et exagĂŠration des voix poussent ici l’aliĂŠnation de l’individu aux frontières de la comĂŠdie musicale et du film d’angoisse. _E.B.

Du 6 au 9 octobre au Centre Pompidou, dans le cadre du Festival d’Automne à Paris, www.festivalautomne.com

AGENDA SPECTACLES

_Par E.B.

1 ShAKE thAt dEVIL ! Pour l’ouverture de saison du nouveau rĂŠseau CDC i le-de-france, carte blanche Ă ĂŠtĂŠ donnĂŠe au très douĂŠ alban richard qui a imaginĂŠ pour l’occasion une soirĂŠe noire : fantĂ´mes shakespeariens, thÊâtre nĂ´, meurtres et sang façon Dickinson‌ Le tout, le temps d’une balade en bus. Les 8 et 9 octobre au Regard du cygne, www.leregarducygne.com

2 BOXE, BOXE De la boxe chahutĂŠe par le hip-hop, donnĂŠe sur du ravel, Debussy ou Philippe glass, c’est en bref ce que propose la dernière crĂŠation du chorĂŠgraphe Mourad Merzouki et de sa compagnie, Käfig. soit un jeu de jambes offensif entre ring et plateau, duel et duo. sans esquiver la virtuositĂŠ. Du 12 au 16 octobre Ă la maison des Arts de CrĂŠteil, www.maccreteil.com

3 ChRIStIAN LARtILLOt : dANSEURS, PORtRAIt Et MOUVEMENt Les Êtoiles et premiers danseurs de l’OpÊra national de Paris ont posÊ devant l’objectif du photographe Christian Lartillot. Le choix du costume et de l’action Êtait libre. Dommage pour certains, mais pas pour nicolas Le riche qui, sortant de la po se obligÊe, se laisse saisir en pleine course, torse nu et en pantalon de ville. Ça vaut le coup d’œil. Du 19 octobre au 20 novembre à la Gallery S. Bensimon, 111 rue de Turenne, 75003 Paris

OCTOBRE 2010


Š Bruno Verjus

RESTOS

64 SORTIES EN VILLE

FOODFATHER Yves Camdeborde au Comptoir Balade germanopratine au fil d’une cuisine de suavitĂŠs : YVES CAMdEBORdE, incontournable chef du restaurant Le Comptoir, en leçon de convivialitĂŠ et d’hĂŠdonisme. _Par Bruno Verjus (www.foodintelligence.blogspot.com)

Depuis sa terrasse d’osier et de verre, Le Comptoir tutoie l’hĂ´tel relais saint-germain, tandis qu’alentour les façades font de l’œil Ă ce havre de mets. La chaude lumière de sa salle Ă manger brille comme un falot dans la nuit. nombreux, les clients papillonnent et s’agglutinent ici dans l’espoir de dĂŠcrocher, Ă toute heure, une table en terrasse ou, mieux encore, un dĂŽner. Yves Camdeborde possède la faconde des jours heureux. La bonhomie majestueuse de ceux qui font bon. ÂŤ Tout ce que j’ai toujours cuisinĂŠ dans la vie, c’est ce que j’avais envie de manger. Âť VoilĂ pour l’âme ! C’est au ritz, puis au Crillon Ă Paris, que naĂŽt la passion d’Yves Camdeborde pour le mĂŠtier, grâce Ă son ÂŤ père spirituel Âť, le chef Christian Constant. En 1992, lorsqu’il achète La RĂŠgalade avec sa femme Claudine, il rĂŞve d’un restaurant oĂš manger se conjugue avec ÂŤ qualitĂŠ, quantitĂŠ et bien boire Âť. Pour cela, il invente le menu-carte, dĂŠsormais recette Ă succès. avec Le Comptoir, il inaugure la brasserie-bistrot contem-

OCTOBRE 2010

poraine. L’on y dĂŠvore Ă toute heure une carte canaille ou sage. L’aide prĂŠcieuse des producteurs sĂŠlectionnĂŠs par Terroirs d’avenir offre, en saison, les beaux lĂŠgumes d’i le-de-france – cresson de MĂŠrĂŠville, asperge d’argenteuil ou pissenlit de Montmagny. La charcuterie arrive en direct de la rue gachet Ă Pau, oĂš le frère d’Yves, Philippe, façonne terrines, boudins et saucisses. Le raffinement des plats, comme la soupe glacĂŠe de betterave et Ĺ“ufs de poisson volant, n’a d’Êgal que sa gourmandise. ÂŤ La cuisine, c’est seulement 30 % de la rĂŠussite d’un restaurant, 50 % c’est le service. L’ambiance fait le reste Âť, aime Ă rĂŠpĂŠter Yves Camdeborde. au Comptoir, le plaisir abandonne toute idĂŠe de pourcentage et rĂŠveille l’appĂŠtit. ThĂŠophile gautier rĂ´de : ÂŤMoi le matin ce qui m’Êveille, c’est que je rĂŞve que j’ai faim. Âť

Le Comptoir, 9 carrefour de l’OdÊon, 75006 Paris. TÊl. 01 43 29 12 05

WWW.MK2.COM


Š Claire Cuinier

LE PALAIS DE‌ M-JO

LA JAVA ÂŤJe n’habite plus Ă Paris mais lorsque j’y reviens, je file dans le 20e, je dĂŽne bon et pas cher dans un des restos vietnamiens de Belleville et je m’installe Ă la Java, bar et salle de concerts oĂš il fait bon se restaurer de nourritures moins terrestres mais tout aussi savoureuses : concerts intimistes, soirĂŠes plus ĂŠpicĂŠes façon clubbing, il y en a pour tous les goĂťts. Les patrons sont adorables et chaque premier jeudi du mois, les artistes du label Les Disques Bien montent sur scène dans une ambiance chaleureuse et dĂŠcontractĂŠe. un bien bon dessert ! Âť _Propos recueillis par L.T.

La Java, 105 rue du Faubourg-du-Temple, 75010 Paris. TĂŠl. 01 42 02 20 52 Mes propriĂŠtĂŠs de M-Jo (Les Disques Bien, album disponible le 28 octobre). M-JO en concert le 4 novembre Ă la Java

OĂ™ MANGER APRĂˆS‌ _Par B.V.

AU FONd dES BOIS au Grand Pan, pour retrouver la vĂŠritable nature des choses. ici, les produits sont traitĂŠs avec grand respect et la nourriture foisonne dans les assiettes. goĂťts naturels et saveurs enjouĂŠes, ne restons pas de bois ! Le Grand Pan, 20 rue Rozenwald, 75015 Paris. TĂŠl. 01 42 50 02 50

LES PEtItS MOUChOIRS au cafÊ comptoir Aux Deux Amis, pour s’y retrouver en bande de copains et dÊvorer à belles dents l’amitiÊ et quelques tapas, comme cet exceptionnel jambon ibÊrique de salamanque et amandes à peine grillÊes, autour de vins nature. Aux Deux Amis, 45 rue Oberkampf, 75011 Paris. TÊl. 01 58 30 38 13

thE SOCIAL NEtwORK Chez Playtime, pour se retrouver entres amis. ici, le design 50s et 60s nous rĂŠvèle une rĂŠalitĂŠ gourmande. Le menu du midi Ă 17 â‚Ź reste une affaire, Ă l’instar de ses frais rouleaux de printemps ou crousti-fondants aux travers de porc, qui feront buzzer les geeks. Playtime, 5 rue des Petits-HĂ´tels, 75010 Paris. TĂŠl. 01 44 79 03 98

OCTOBRE 2010


66 LA ChRONIQUE DE



Š Nicolas Guerin


MœBIUS MANO A MANO

Dessinateur prolifique, Jean Giraud, alias MœBIUS, est un peu plus qu’un monstre sacré : en mutation constante, son œuvre bicéphale concilie western et science-fiction, bande dessinée et cinéma, grand public et underground. Tandis qu’il investit la Fondation Cartier à l’occasion de l’exposition Transe-Forme, et que CinéCinéma lui consacre un cycle rétrospectif, l’artiste nous a reçus chez lui, évoquant ses envies et ses cheminements, où l’organique le dispute au spirituel, la maîtrise à l’improvisation. _Propos recueillis par Joseph Ghosn (www.gqmagazine.fr) et Auréliano Tonet


70 MĹ’BIUS

 ENFANT, J’AVAIS DEUX MAISONS, DEUX FAMILLES, ISSUES DE DEUX CLASSES SOCIALES DIFFÉRENTES. J’AI TOUJOURS LOUCHÉ. 

V

ous êtes nÊ à Nogent-sur-Marne. Nous sommes ici dans votre atelier, à Montrouge. Qu’est-ce qui sÊpare ces deux lieux ? J’ai grandi à fontenay-sous-Bois, mais j’ai pas mal circulÊ. Dans le sud de la france, le centre, à Tahiti, à L.a. En fait, depuis tout jeune, mon endroit d’adoption, c’est Montparnasse, la Coupole. Dans les annÊes 1960, je descendais en bagnole y retrouver ma bande de copains. C’Êtait bien moins calme qu’aujourd’hui.

Ă€ quel âge commencez-vous Ă dessiner ? Ă€ 15 ans, j’ai vendu ma première histoire dans un journal. Je suis allĂŠ l’acheter, puis j’ai dit Ă la bonne femme qui ĂŠtait lĂ en train de tricoter : ÂŤ Regardez, c’est moi qui ai fait ça ! Âť C’Êtait une sorte d’avatar de Lucky Luke, un western. Le gars qui dirigeait le journal m’a dit : ÂŤToi, n’essaie pas de faire de la bande dessinĂŠe rĂŠaliste, ton truc, c’est l’humour.Âť il a fini par avoir raison parce que j’ai publiĂŠ rĂŠcemment ma première BD d’humour, qui s’appelle Inside MĹ“bius. il a fallu que je me rode. C’est un vrai mystère, l’humour. Dans ma nouvelle BD, Arzak T1, une histoire de science-fiction rĂŠaliste, il y a plein de sourires en coin, au dĂŠtour d’une page, d’une case. C’est de l’humour clandestin, de contrebande. Pourquoi, jeune dessinateur, vous tournez-vous spontanĂŠment vers le western ? Tous les gamins qui avaient 7-8 ans au moment de la LibĂŠration, comme moi, ont vu dĂŠbarquer les westerns, les sĂŠries B. Quand j’Êtais Ă l’Êcole, mes cahiers de brouillon ĂŠtaient emplis de petits dessins : bottes, mĂŠchants, cavalcades, j’Êtais un vrai fĂŠtichiste

OCTOBRE 2010

du western. Plus tard, j’ai creusĂŠ le contexte politique, civilisationnel du western. Des questions restĂŠes sans rĂŠponse : pourquoi le western rĂŠsiste-t-il en france alors qu’il a disparu partout ailleurs ? C’est presque la synthèse entre le village d’astĂŠrix et la conquĂŞte de l’Ouest. ĂŠtiez-vous dĂŠjĂ lecteur de science-fiction ? Enfant, j’ai lu Les Pionniers de l’espĂŠrance de façon frontale, sans mettre de nom dessus. Je ne savais pas qu’il s’agissait de science-fiction. La sf est devenue quelque chose d’important pour moi Ă partir du moment oĂš j’ai vu Planète interdite et oĂš j’ai lu La Faune de l’espace, un roman de Van Vogt qui m’a bouleversĂŠ. Vous avez ĂŠtudiĂŠ l’art tout en ayant pour projet de devenir dessinateur de Bd‌ J’Êtudiais dans une ĂŠcole afin de perfectionner mon dessin. J’y apprenais la tradition plastique occidentale, très rigoureuse, d’après modèle. Mon projet ĂŠtait de constituer un rĂŠservoir d’images que je pourrais utiliser pour mes dessins d’imagination. D’un cĂ´tĂŠ, l’apprentissage d’une expression contemplative, rĂŠflĂŠchie ; de l’autre, le fantasme enfantin de la recrĂŠation d’un monde, hâtive et narrative. J’ai toujours avancĂŠ sur deux pieds. Mon père et ma mère ĂŠtaient sĂŠparĂŠs : j’avais deux maisons, deux familles, issues de deux classes sociales diffĂŠrentes. L’univers graphique que j’ai dĂŠcouvert dans la bibliothèque de mes grands-parents ĂŠtait assez classique : des livres aux couvertures rouges, dorĂŠes, le grand Larousse illustrĂŠ de 1903‌ Tout ça m’impressionnait, mĂŞme si ça n’avait rien Ă voir avec les BD que je lisais parallèlement avec mes potes. J’ai toujours louchĂŠ.

WWW.MK2.COM


Š MĹ“bius Production

Planche extraite de Box Office

dans quelles conditions naĂŽt la sĂŠrie Blueberry, que vous signez sous votre vrai nom, Jean Giraud ? Tout s’est mis en place par juxtapositions. Ă€ mon retour de l’armĂŠe, j’ai commencĂŠ Ă collaborer Ă des magazines comme Pilote ou Hara-Kiri, sortes de transpositions françaises de la très transgressive revue amĂŠricaine MAD, l’une de mes grandes sources d’inspiration. J’ai rencontrĂŠ les bonnes personnes au bon moment. Et puis la sociĂŠtĂŠ française ĂŠtait en pleine transformation, avec l’expansion de l’universitĂŠ et la rĂŠvolution plastique qu’a ĂŠtĂŠ la nouvelle Vague, dont j’Êtais très fĂŠru. dans ses premières incarnations, Blueberry prend les traits de Jean-Paul Belmondo‌ Belmondo incarnait quelque chose dans lequel je me reconnaissais : une agilitĂŠ très fĂŠline, dĂŠcontractĂŠe, amĂŠricaine, un charme gouailleur et sinueux, au service de films d’avant-garde. L’antithèse d’un Delon. C’est pour cela que je l’ai choisi comme avatar. Je m’en suis ĂŠloignĂŠ par la suite, mĂŞme si, en fin de compte, c’est toujours le mĂŞme personnage que l’on voit. il n’a pas forcĂŠment les mĂŞmes cheveux, ni la mĂŞme moustache, mais il reste en lui un module de base, qui est le paraphe de l’auteur. Chaque dessinateur travaille Ă partir d’un archĂŠtype, d’une expression graphologique de luimĂŞme, un peu comme une signature. au fil des albums, Blueberry est complètement reconnaissable, mĂŞme lorsqu’il devient Clint Eastwood ou Charles Bronson. Ă€ quel moment dĂŠcidez-vous de recourir au pseudonyme MĹ“bius? Lorsque j’ai commencĂŠ Ă travailler pour Hara-Kiri, je ne voulais pas signer Jean giraud. Je trouvais que ça ne faisait pas moderne. J’Êtais en train de lire une histoire oĂš il ĂŠtait question de l’anneau de MĹ“bius : ça sonnait bien, j’en ai fait mon pseudo, sans me douter que j’allais le trimballer toute ma vie et que ce nom avait un certain nombre de connotations mathĂŠmatiques et topologiques qui collaient bien avec mon projet – l’idĂŠe de faire des bandes tendues, par exemple. Avec le recul, on a l’impression que MĹ“bius est vraiment nĂŠ avec MĂŠtal Hurlant, une revue que vous crĂŠez en 1974 avec Jean-Pierre dionnet, Philippe druillet et Bernard Farkas. Oui, pendant dix ans, en marge de Blueberry, j’ai dĂŠveloppĂŠ clan-

OCTOBRE 2010

dEStIN ANIMĂŠ Si l’œuvre de MĹ“bius influence beaucoup d’auteurs, dont Hayao Miyazaki qui compulse frĂŠquemment Arzak lorsqu’il rĂŠalise Nausicaä de la vallĂŠe du vent, il est lui-mĂŞme fan de dessins animĂŠs, Miyazaki et Katsuhiro Ă”tomo en tĂŞte. C’est aux cĂ´tĂŠs de RenĂŠ Laloux, qui avait remportĂŠ un beau succès avec La Planète sauvage, que MĹ“bius fait ses premiers pas dans l’animation. Pour Les MaĂŽtres du temps, d’après un roman de Stefan Wul, il conçoit la totalitĂŠ du story-board et des designs. Bien que MĹ“bius n’ait jamais cachĂŠ sa frustration face aux contraintes du mĂŠdia et au manque d’argent de la production, ce film reste l’une de ses incursions les plus accomplies dans le cinĂŠma. Ses projets suivants seront moins satisfaisants : avec Ă”tomo, il adapte le chefd’œuvre de Winsor McCay, Little Nemo, mais le rĂŠsultat trop fade ne lui convient pas. Ridley Scott tente ensuite de produire Starwatcher, adaptation très libre d’Arzak et premier long mĂŠtrage en images de synthèse prĂŠvu pour ĂŞtre rĂŠalisĂŠ en France, mais le projet est annulĂŠ en pleine production. Enfin, Ă l’aube des annĂŠes 2000, Sony lui propose d’adapter sa bande dessinĂŠe Le Garage hermĂŠtique‌ avant de couper les fonds. _J.D.

WWW.MK2.COM


72 MĹ’BIUS

Š MĹ“bius Production

ÂŤ MES QUELQUES DESSINS POUR aLiEn M’ONT PLUS APPORTÉ, EN TERMES DE RENOMMÉE, QUE L’ÉQUIVALENT DE QUINZE ALBUMS. Âť hOLLY GOd Lorsqu’il visite pour la première fois les studios Disney en 1980, MĹ“bius dĂŠcouvre avec stupeur qu’il possède un nombre incalculable de fans Ă Hollywood. C’est donc très logiquement que les grosses productions amĂŠricaines feront appel Ă ses talents. En 1982, il contribue Ă l’un des projets les plus importants de sa carrière, en dessinant tous les costumes des personnages de Tron. Plus tard, il collabore Ă l’adaptation des MaĂŽtres de l’univers et rĂŠussit le tour de force de rendre crĂŠdible le costume de Musclor. Peu après, il rencontre George Lucas Ă l’occasion de Willow. Si ses magnifiques designs, notamment pour une sĂŠquence coupĂŠe faisant intervenir un gigantesque monstre marin, ne sont pas utilisĂŠs, il noue en revanche des liens très forts avec Lucas, avec qui il apprĂŠcie particulièrement de parler peinture. Enfin, Ă la mĂŞme ĂŠpoque, James Cameron lui demande en catastrophe de l’aider Ă donner forme aux extraterrestres sous-marins d’Abyss. Mais ses incroyables crĂŠatures, jugĂŠes trop ĂŠtranges, sont abandonnĂŠes au profit de monstres plus humanoĂŻdes. _J.D.

OCTOBRE 2010

destinement toute une stylistique et un vocabulaire mĹ“busien, dans le cadre d’illustrations de livres de science-fiction qui avaient un public spĂŠcialisĂŠ, très limitĂŠ mais très fidèle. Jusqu’au jour oĂš j’ai fait une histoire qui s’appelle La DĂŠviation. J’Êtais arrivĂŠ Ă un point de rupture. Je n’arrivais plus Ă supporter la compromission permanente qui ĂŠtait la substance mĂŞme du journal Pilote, ses barrières, ses codes moraux, visant Ă protĂŠger le public enfantin. Mes amis et moi avons alors ĂŠprouvĂŠ la nĂŠcessitĂŠ de crĂŠer notre propre revue, un magazine d’humour et de sf, très engagĂŠ esthĂŠtiquement et socialement : MĂŠtal Hurlant. L’engagement de tout casser, dans la mesure de nos moyens. L’opĂŠration s’est faite de façon prĂŠcaire et improvisĂŠe, sans un rond, au casse-pipe. Ă€ l’Êpoque, il y avait peu de très bons dessinateurs. Mes modèles se situaient davantage du cĂ´tĂŠ de la littĂŠrature de science-fiction, isaac asimov, Philip K. Dick, ou du cĂ´tĂŠ du jazz : John Coltrane, lorsqu’il accompagne Miles Davis, il joue de manière très structurĂŠe, mais sur ses disques solo, il se laisse glisser dans une espèce de fleuve non-humain, spirituel et sauvage, free. Blueberry a ĂŠtĂŠ mon ĂŠcole graphique, j’y ai appris tout le B.a. Ba du mĂŠtier, mais Ă un moment donnĂŠ, j’ai eu envie de transgresser ce savoir-faire. Dessiner, comme dans Arzak par exemple, des tours, des pointes, des bâtons, toute une suite de formes phalliques, dans une sorte de laisser-aller graphique, un peu comme en vaudou : le gars fait des moulinets avec son couteau, mais jamais personne n’est blessĂŠ. Ă€ peu près Ă la mĂŞme ĂŠpoque, vous commencez Ă collaborer pour le cinĂŠma : Dune, Alien, Les MaĂŽtres du temps, Tron, Willow‌ Mes quelques dessins pour Alien m’ont plus apportĂŠ, en termes de renommĂŠe, que l’Êquivalent de quinze albums. alejandro Jodorowsky, Dan O’Bannon et moi avions travaillĂŠ sur l’adaptation de Dune pour le cinĂŠma, un projet qui s’est effondrĂŠ au bout d’un an. Dan s’est retrouvĂŠ sans rien, du jour au lendemain. Pendant des mois, il a vomi tout ce qu’il ingurgitait. il s’est inspirĂŠ de cette mauvaise passe pour ĂŠcrire avec ronald shusett le scĂŠnario d’Alien, qui est tombĂŠ entre les mains de ridley scott. Dan a acceptĂŠ que ridley le rĂŠalise, Ă condition que tous ceux qui avaient travaillĂŠ sur Dune, dont moi, puissent se joindre Ă l’Êquipe. grâce au gĂŠnie de cet artiste sismographe qu’est ridley scott, Alien a ĂŠtĂŠ un carton, et Hollywood, dès lors, a plusieurs fois fait appel Ă moi, d’autant que MĂŠtal Hurlant ĂŠtait Ă l’Êpoque très prisĂŠ des dĂŠcorateurs de cinĂŠma amĂŠricains. si Willow ou Les MaĂŽtres du temps m’ont quelque

WWW.MK2.COM


MĹ’BIUS 73

Š MĹ“bius Production

Exposition Mœbius-Transe-Forme, du 12 octobre au 13 mars à la Fondation Cartier pour l’art contemporain, 261 boulevard Raspail, 75014 Paris.

Arzak T1 de MĹ“bius (GlĂŠnat / MĹ“bius Productions, album disponible depuis le 15 septembre) Dessin prĂŠparatoire pour Arzak, 1975

peu dÊçu Ă leur sortie, je suis très fier que mon nom figure au gĂŠnĂŠrique du premier film en images de synthèse de l’histoire, Tron. Est-ce que le fait d’avoir un pied dans le monde du cinĂŠma a influĂŠ sur votre manière de faire de la bande dessinĂŠe ? Ça joue sur l’image personnelle. il doit certainement y avoir des passerelles entre l’estime de soi et la façon dont on s’attaque Ă une histoire, le temps, l’Ênergie qu’on y met. Le cinĂŠma dispose d’une quantitĂŠ de stimuli sensoriels (dialogues, image, musique, etc.) assez ĂŠcrasante. La bande dessinĂŠe, elle, s’introduit d’une façon plus lente, plus douce, mais elle colle aux os. Pourquoi reprendre aujourd’hui la sĂŠrie Arzak, plus de trente ans après ? J’arrive Ă une fin de carrière, une fin de vie. Lancer un nouveau personnage, je n’en ai pas vraiment envie. reprendre Blueberry ĂŠtait un trop gros morceau ; le Major venait de faire l’objet du Chasseur dĂŠprime; quant Ă mes autres sĂŠries (L’Incal, Stel et Atan), elles sont Ă peu près closes. ridley scott et moi avions le projet d’adapter Arzak au cinĂŠma. Ça ne s’est pas fait, mais ça m’a donnĂŠ envie de retravailler cette sĂŠrie. J’en ai repris l’univers, et j’y ai injectĂŠ de la vie. C’est peut-ĂŞtre cela, la mĂŠmoire des formes. Le thème de la mĂŠtamorphose est au centre de l’exposition que vous consacre la Fondation Cartier‌ C’est le fil rouge de mon Ĺ“uvre, dès mes dĂŠbuts. Des jeunes femmes qui se transforment en vieilles, en monstres, des hommes qui se transforment en femmes, etc. 40 Days dans le dĂŠsert B est peut-ĂŞtre l’album qui illustre avec le plus d’acuitĂŠ ce motif. il n’est pas question de me laisser bloquer par la reprĂŠsentation, ni par l’abstraction, ni par quoi que ce soit. J’ai ĂŠtĂŠ très impressionnĂŠ par le texte qu’avait ĂŠcrit Dubuffet sur l’art Brut. La peinture obsessionnelle de Picasso, DalĂ­ ou Magritte m’a beaucoup marquĂŠ, ĂŠgalement. se laisser dĂŠriver, au sens sexuel mais aussi pictural. atteindre une sorte d’Êquilibre du ressenti. Depuis MĂŠtal Hurlant, je n’ai pas peur de chercher l’extase. En ce sens, robert Crumb a ĂŠtĂŠ un ĂŠveilleur pour moi. ses BD m’ont appris le don d’organes. Montrer ses fesses, montrer ses couilles, sans perdre un seul instant le respect du lecteur. J’aime beaucoup les Beatles pour cette raison, aussi : sauter les barrières non pour fuir mais pour voir ce qu’il y a derrière, aborder l’inconnu de façon digne et respectueuse. L’art doit ĂŞtre paranoĂŻaque.

OCTOBRE 2010

ARZAK RhAPSOdY Si Arzak a dĂŠjĂ inspirĂŠ une portion du film omnibus MĂŠtal Hurlant puis fait l’objet d’un projet d’adaptation avec Starwatcher, c’est surtout grâce au culot du jeune producteur Alexandre Brillant que cette bande dessinĂŠe culte (qui ressort aujourd’hui dans une version dialoguĂŠe chez GlĂŠnat et MĹ“bius Productions) prend enfin vie. Sans ambition dĂŠplacĂŠe, cette adaptation a l’intelligence de laisser Ă MĹ“bius un contrĂ´le quasi total sur son Ĺ“uvre : en plus de crĂŠer les dialogues (ou plutĂ´t, les monologues) et la trame scĂŠnaristique des 14 ĂŠpisodes, il exĂŠcute pour chacun d’entre eux de 60 Ă 80 dessins sous Photoshop. Ses Ĺ“uvres sont ensuite exportĂŠes chez Millimages, qui se charge de les animer en Flash. En plus d’Êviter tout intermĂŠdiaire susceptible de dĂŠnaturer le trait de MĹ“bius, l’animation Flash, dont les mouvements minimalistes peuvent rebuter, retranscrit Ă merveille le rythme contemplatif de la bande dessinĂŠe. Cette minisĂŠrie, jadis diffusĂŠe sur France 2 et aujourd’hui disponible en DVD, est mine de rien l’adaptation audiovisuelle la plus fidèle Ă MĹ“bius sortie Ă ce jour. _J.D.

WWW.MK2.COM


© Mœbius, 2010 Portrait & Cie


MĹ’BIUS 75

G I R A U D S C O P E En marge de l’exposition Transe-Forme à la Fondation Cartier, la chaÎne CinÊCinÊma programme à partir du 14 octobre Mœbius et ses avatars, un cycle de films en hommage à Jean Giraud, alias Mœbius. Collaborations fameuses (Alien, Les MaÎtres du temps) ou avortÊes (Dune), portraits obliques (MÊtamœbius) ou groupÊs (Les MaÎtres de la mÊtamorphose), regards sur une œuvre protÊiforme, gorgÊe de cinÊma. _Par Julien Dupuy // Images tirÊes du film MÊtamœbius

MĂŠtAMĹ“BIUS / GIRAUd-MĹ“BIUS, MĂŠtAMORPhOSES Ă€ l’opposĂŠ de l’hagiographie formatĂŠe, le docu-portrait de Damian Pettigrew lance une profusion de pistes pour aborder les innombrables facettes de Jean giraud. fatalement, ce traitement chaotique est parfois frustrant, mais il offre quelques sĂŠquences particulièrement rĂŠjouissantes, qu’un documentaire plus classique n’aurait sans doute jamais pu capturer. intime de Pettigrew (auteur de documentaires rĂŠfĂŠrence sur fellini, ionesco ou Balthus), MĹ“bius n’hĂŠsite pas Ă se rĂŠvĂŠler sous sa candeur poĂŠtique la plus touchante, comme lorsqu’il revient sur les lieux de son enfance, ou quand il dĂŠcrit avec son style si particulier les consĂŠquences d’une tempĂŞte sur son jardin. Cette simplicitĂŠ dĂŠcalĂŠe offre ĂŠgalement quelques instants ĂŠtonnants, dont un bref mais hilarant soliloque sur l’onanisme. Lorsque Pettigrew se risque Ă fictionnaliser son portrait, le rĂŠsultat est moins probant, mĂŞme si MĂŠtamĹ“bius nous permet d’assister Ă un duel au sommet ĂŠtonnant, animĂŠ par Jean-Pierre Dionnet, et qui voit s’affronter un Jean giraud bonhomme et un MĹ“bius irascible. Quelques secondes surrĂŠalistes, plus ĂŠdifiantes que la plus fouillĂŠe des analyses. LES MAĂŽtRES dE LA MĂŠtAMORPhOSE fidèle aux ambitions de son titre, Les MaĂŽtres de la mĂŠtamorphose aborde ce processus abondamment

OCTOBRE 2010

explorĂŠ par Jean giraud au cours de son Ĺ“uvre. face Ă l’ampleur du sujet, le documentaire se positionne comme une introduction très littĂŠraire (les enjeux plastiques ne sont, par contre, jamais rĂŠellement traitĂŠs), replaçant le motif de la mĂŠtamorphose dans une perspective historique et posant les principales thĂŠmatiques induites par ce sujet. Les pistes de rĂŠflexion, copieuses et frĂŠquemment captivantes, se succèdent au fil d’entretiens de critiques, universitaires et essayistes, jusqu’à la dernière section du documentaire, presque exclusivement consacrĂŠe Ă Jean giraud. L’amateur y dĂŠnichera notamment des interventions pertinentes de Jan Kounen, qui souligne Ă juste titre le parallèle passionnant entre cette Ĺ“uvre bicĂŠphale et son obsession de la mĂŠtamorphose, tout en rappelant l’influence de MĹ“bius sur ses contemporains. ALIEN, LE hUItIĂˆME PASSAGER un simple coup d’œil aux magnifiques story-boards dessinĂŠs par ridley scott suffit pour comprendre Ă quel point MĹ“bius a influencĂŠ le rĂŠalisateur. Et si ce film d’anticipation horrifique a tant marquĂŠ, c’est aussi parce qu’il est parvenu Ă assimiler en un ensemble harmonieux des courants artistiques aussi divers que les crĂŠations biomĂŠcaniques du suisse Hans ruedi giger, l’art prospectif du dessinateur industriel ron Cobb, et bien entendu les BD de la revue MĂŠtal Hurlant. Prestigieux reprĂŠsentant de cette

WWW.MK2.COM


Š 2010, Portrait & Cie

Š 2010, Portrait & Cie

76 MĹ’BIUS

MÉTAMŒBIUS / GIRAUD-MŒBIUS, MÉTAMORPHOSES Un film de Damian Pettigrew Avec Jean Giraud, Jean-Pierre Dionnet‌ France, 2010, 1h10 > Diffusion jeudi 14 octobre à 19h20 sur CinÊCinÊma

dernière – dont il est l’un des cofondateurs –, MĹ“bius est embauchĂŠ par scott pour crĂŠer les costumes des spationautes, apportant deux idĂŠes qui leur confèrent un look inĂŠdit : des portions d’armures de samouraĂŻs et des rembourrages de tenues de base-ball. Les annĂŠes suivantes, ridley scott cherche sans relâche l’occasion de collaborer avec MĹ“bius, l’invitant, sans succès, Ă travailler sur Blade Runner puis sur Legend. Les deux hommes se retrouveront finalement plus de dix ans après, Ă l’occasion du projet de film Starwatcher.

LES MAĂŽTRES DE LA MÉTAMORPHOSE Un film de François Freynet Avec David Cronenberg, Serge Toubiana‌ France, 2010, 52 min. > Diffusion lundi 1er novembre Ă 19h40 sur CinĂŠCinĂŠma

LE RUBAN dE MĹ“BIUS avec Les MaĂŽtres du temps, Le Ruban de MĹ“bius est probablement le film sur lequel Jean giraud a ĂŠtĂŠ le plus impliquĂŠ, du moins au cours de la prĂŠproduction. Le projet prend sa source au sein du groupe sony, pour lequel MĹ“bius a crĂŠĂŠ, Ă la fin des annĂŠes 1990, les superbes fresques murales du complexe de divertissement Metreon Ă san francisco. sony et frank foster, l’un des fondateurs de la compagnie d’effets spĂŠciaux sony Pictures imageworks, proposent Ă MĹ“bius de crĂŠer un long mĂŠtrage en images de synthèse, qui sera confectionnĂŠ au sein d’une nouvelle sociĂŠtĂŠ hongkongaise. Enthousiaste, MĹ“bius ĂŠcrit un synopsis qui sera ensuite remaniĂŠ par Jim Cox et Paul gertz, et rĂŠalise plus de 300 designs et story-boards. Mais avec ses petits six millions de dollars (dix Ă vingt fois moins qu’une production Pixar), Le Ruban de MĹ“bius connaĂŽt une gestation douloureuse. PrĂŠvu pour sortir en exclusivitĂŠ dans les salles françaises en 2003, il n’est finalement diffusĂŠ qu’en vidĂŠo en 2005, après que sa production a ĂŠtĂŠ dĂŠlocalisĂŠe en Chine continentale.

ALIEN, LE HUITIĂˆME PASSAGER Un film de Ridley Scott Avec Sigourney Weaver, Tom Skerritt‌ États-Unis-Grande-Bretagne, 1979, 1h52 > Diffusion lundi 1er novembre Ă 20h40 sur CinĂŠCinĂŠma

LE RUBAN DE MŒBIUS Un film d’animation de Glenn Chaika Avec les voix de Mark Hamill, Michael Dorn‌ États-Unis-Chine, 2005, 1h30 > Diffusion lundi 1er novembre à 22h35 sur CinÊCinÊma

OCTOBRE 2010

BLUEBERRY, L’EXPĂŠRIENCE SECRĂˆtE MĹ“bius a ĂŠtĂŠ une source d’inspiration majeure pour tout un pan de la jeune gĂŠnĂŠration de cinĂŠastes français des annĂŠes 1990, Ă l’imaginaire nourri par la lecture de MĂŠtal Hurlant, dont Mathieu Kassovitz, qui adapte l’une de ses histoires avec Cauchemar blanc, ou Luc Besson, qui l’embauche pour travailler sur le design de son Cinquième ÉlĂŠment. Mais c’est certainement Jan Kounen qui rend le plus bel hommage Ă l’œuvre de MĹ“bius, avec Blueberry, un film qu’il parvient Ă sauver de deux dĂŠcennies de development hell. sous-titrĂŠ L’ExpĂŠrience secrète, le western prend l’audacieux pari de faire le pont entre le versant plus rĂŠaliste de l’auteur, en adaptant plutĂ´t fidèlement les aventures du cow-boy initialement publiĂŠes dans le magazine Pilote, et son versant mystique lors d’un

WWW.MK2.COM


Š 2010, Portrait & Cie

Š 2010, Portrait & Cie

MĹ’BIUS 77

final hallucinatoire digne de ses planches les plus psychĂŠdĂŠliques. MĹ“bius, qui fait un petit camĂŠo dans le film, ne cache pas sa satisfaction devant le rĂŠsultat final : ÂŤ Le film sort le western du passĂŠ, en dĂŠcouvrant de nouveaux territoires de l’imaginaire. Âť CAUChEMAR BLANC alors que MĹ“bius dĂŠploie ses dĂŠlires graphiques dans les pages de MĂŠtal Hurlant, son penchant plus rĂŠaliste refait brièvement surface avec Cauchemar blanc, conte social dans lequel l’expĂŠdition d’une bande de racistes tourne Ă l’horreur. Lorsqu’il s’attelle Ă son adaptation, le jeune Mathieu Kassovitz vient de se faire refuser une dizaine de projets par le CnC, malgrĂŠ le succès de son premier court mĂŠtrage, Fierrot le pou. Le cinĂŠaste dĂŠbutant s’arrache donc Ă cette sĂŠrie noire avec ce film dont les droits sont gracieusement offerts par MĹ“bius qui dira plus tard combien il apprĂŠcie le rĂŠsultat. Kassovitz, lui, garde un très mauvais souvenir du tournage : il gèle Ă pierre fendre sur le plateau, et des vents Ă plus de 100 km/h emportent une partie des dĂŠcors. reste qu’il se dĂŠgage de son film une ambiance extrĂŞmement lourde, et que l’image noir et blanc et certaines idĂŠes de rĂŠalisation (dont un très beau plan sĂŠquence d’ouverture) annoncent l’ÊlĂŠgante mise en scène de La Haine. Cauchemar blanc est disponible dans le recueil Le Bandard fou aux HumanoĂŻdes associĂŠs.

BLUEBERRY, L’EXPÉRIENCE SECRĂˆTE Un film de Jan Kounen Avec Vincent Cassel, Juliette Lewis‌ France-Grande-Bretagne-Mexique, 2003, 2h04 > Diffusion mardi 2 novembre Ă 20h40 sur CinĂŠCinĂŠma

CAUCHEMAR BLANC Un film de Mathieu Kassovitz Avec Yvan Attal, Jean-Pierre Darroussin‌ France, 1991, 10 min. > Diffusion mardi 2 novembre à 22h40 sur CinÊCinÊma

DUNE Un film de David Lynch Avec Kyle MacLachlan, Sean Young‌ États-Unis, 1984, 2h17 > Diffusion mercredi 3 novembre à 20h40 sur CinÊCinÊma

dUNE avant de devenir une ĂŠnorme production De Laurentiis portĂŠe tant bien que mal par David Lynch, Dune fut l’un des projets les plus attendus des fans d’anticipation cinĂŠmatographique. au milieu des annĂŠes 1970, le cinĂŠaste et futur scĂŠnariste de L’Incal, alejandro Jodorowsky, se lance dans une adaptation Ă très gros budget de la saga d’anticipation de frank Herbert, sur laquelle MĹ“bius travaille comme un forcenĂŠ, rĂŠalisant la quasi-totalitĂŠ du story-board et des dizaines de designs. ĂŠpaulĂŠ par les peintres H.r. giger et Chris foss, il en est quasiment le corĂŠalisateur, accompagnant Jodorowsky Ă Los angeles pour dĂŠbaucher Douglas Trumbull qui a supervisĂŠ les effets spĂŠciaux de 2001, l’odyssĂŠe de l’espace. Jodorowsky demande ĂŠgalement aux Pink floyd de crĂŠer la musique du film et parvient mĂŞme Ă faire signer salvador DalĂ­, censĂŠ incarner l’empereur shaddam iV Corrino. Mais après plusieurs mois de travail intensif, le projet est arrĂŞtĂŠ faute de moyens et les droits sont rachetĂŠs par De Laurentiis qui ne gardera rien, ou presque, de la version de Jodorowsky/MĹ“bius.

OCTOBRE 2010

WWW.MK2.COM


Sans titre (Paravent), 1976, Edouard Boubat, SAIF 2010


BRUNE/BLONDE 79

B/B BOMBEs Fière dualitĂŠ dans laquelle se sont (pro)jetĂŠs les cinĂŠastes de tous horizons, le binĂ´me chromatique Brune/Blonde parade dans l’exposition du mĂŞme nom, bonne ĂŠlève de cette rentrĂŠe Ă la CinĂŠmathèque française, dont elle investit les salons du 6 octobre au 16 janvier. _Par Laura Pertuy

S

ous les nÊons d’un couloir sordide, la syncope d’une chevelure nomade vient cueillir notre œil immÊdiatement captif. Le balancement pugnace des cheveux de shu Qi, dÊlicieuse barmaid taïwanaise promise à des ÊvÊnements relativement sombres, ouvre Millenium Mambo (Hou Hsiao- hsien) et annonce l’importance du motif capillaire dans le film. C’est l’image de cette jeune femme vue de dos, se retournant parfois pour provoquer cinÊaste et spectateur, que l’on retrouve en fil rouge tout au long de la visite.

ChIGNON VERtIGINEUX Le magnĂŠtisme ĂŠvident entre pellicule (cinĂŠmatographique !) et cheveu fĂŠminin n’a pas ĂŠchappĂŠ Ă alain Bergala, commissaire de l’exposition et professeur Ă la femis, qui a minutieusement collectĂŠ des sĂŠquences relatives Ă cet ĂŠlĂŠment de dĂŠsir. Brune/ Blonde se propose d’engager une rĂŠflexion sur la thĂŠmatique de la chevelure au cinĂŠma. Quels en sont les codes ? Que dit le chignon vertigineux de Tippi Hedren dans Les Oiseaux ? Que penser de la rĂŠsurgence du glamour Ă travers des icĂ´nes latines comme PenĂŠlope Cruz ? Des questions posĂŠes au travers d’extraits de films souvent bien connus du public, mais aussi de sĂŠquences plus confidentielles oĂš l’on a plaisir Ă dĂŠcouvrir l’utilisation du cadre et de la lumière pour accompagner – parfois mĂŞme engendrer – la structure narrative. Dans cette exposition scĂŠnographiĂŠe par nathalie Crinière, on pĂŠnètre d’abord un salon cossu oĂš nous est prĂŠsentĂŠ le mythe qui enlace brunes et blondes depuis les premières heures du cinĂŠma – la blonde virginale et bienveillante face Ă la brune tentatrice – avec, en ĂŠcho aux images filmiques, une sĂŠlection d’œuvres d’art. Cette interaction autour de la chevelure rythme le parcours conçu par Bergala, qui l’a voulu ÂŤlinĂŠaire, comme pour raconter une histoire Âť. non content d’associer des rĂŠfĂŠrences venues de toutes les ĂŠpo-

OCTOBRE 2010

ques, il dĂŠtourne le spectre simplement esthĂŠtique de sa thĂŠmatique pour aborder, par exemple, l’enjeu mĂŠtanarcissique de l’actrice qui se peigne devant sa coiffeuse, avec comme seule autre prĂŠsence que la sienne celle, dĂŠterminante, du cinĂŠaste faisant parler son dĂŠsir Ă travers coupes, couleurs, mouvements et abstractions du cheveu. ChORĂŠGRAPhIE CAPILLAIRE une obsession capillaire d’oĂš se dĂŠtachent certains rĂŠalisateurs, comme ce grand fĂŠtichiste de la chevelure fĂŠminine qu’est BuĂąuel. Dans Cet obscur objet du dĂŠsir, apogĂŠe de son travail sur le cheveu comme objet de tentation et frustration, sa sublime Conchita ne cesse ainsi de se promettre Ă un homme puis de s’en dĂŠtacher dans une chorĂŠgraphie capillaire des plus significative. Le cheveu, mĂŠtaphore du dĂŠsir masculin, obsession de cinĂŠastes qui en ont fait un ĂŠlĂŠment pivot de leur Ĺ“uvre. On pense aussi ĂŠvidemment aux chignons spirales d’Hitchcock, marqueurs tout aussi esthĂŠtiques que narratifs de son cinĂŠma, repris plus tard par David Lynch qui s’amusera ĂŠlĂŠgamment des codes apposĂŠs aux brunes et blondes pour les dĂŠjouer (Mulholland Drive, Lost Highway). Brune/Blonde n’oublie pas de nous faire partager l’Êmulation actuelle, en proposant au visiteur un espace entier dĂŠdiĂŠ Ă l’art contemporain ainsi qu’une installation faramineuse de l’artiste britannique alice anderson, dont la chevelure rousse dĂŠvale la paroi de la CinĂŠmathèque depuis son donjon. raiponce, le personnage des frères grimm aux nattes libĂŠratrices, n’est plus très loin et fera d’ailleurs l’objet du nouveau dessin animĂŠ des studios Disney, annoncĂŠ pour noĂŤl. Enfin, la grande originalitĂŠ de l’exposition rĂŠside dans le projet engendrĂŠ par alain Bergala, qui a demandĂŠ Ă six rĂŠalisateurs de diffĂŠrentes nationalitĂŠs de rĂŠaliser un court mĂŠtrage de six minutes autour de la chevelure fĂŠminine : ÂŤ Pour moi, la crĂŠation que peut engendrer une exposition est une

WWW.MK2.COM


80 BRUNE/BLONDE

Š UGC Distribution

ON PENSE AUX CHIGNONS SPIRALES D’HITCHCOCK, MARQUEURS TOUT AUSSI ESTHÉTIQUES QUE NARRATIFS DE SON CINÉMA. MONtAGNES ROUSSES La blonde ou la rousse ? La jeune dĂŠbutante rondelette Ă la chevelure peroxydĂŠe (Kim Novak) ou la riche sanguine un peu fanĂŠe (Rita Hayworth) ? Si, entre la glace et le feu, Frank Sinatra hĂŠsite dans Pal Joey, le journaliste ĂŠcrivain StĂŠphane Rose, dans son premier livre Pourvu qu’elle soit rousse (L’Archipel), a fait son choix : rouquine rime avec coquine. D’AnaĂŻs à Élodie, passage en revue des touffes de feu car, selon Rose, ÂŤ c’est au foutre et Ă la sueur qu’il faut peindre la rousseur Âť, antithèse abrasive de la fade normalitĂŠ châtaine. Dans le cinĂŠma français des annĂŠes 1970-80, la rousse est nunuche et frigide mais sympathique car toujours partante, et n’a pas de nom ou alors elle a du caractère, ce sont Marlène Jobert ou Isabelle Huppert. Aujourd’hui, tandis que Romain Gavras dans Notre jour viendra ĂŠpouse la geste provo (halte Ă la persĂŠcution des roux !), Gregg Araki, toujours aussi subversif dans son queer et explosif Kaboom, compose avec sa rousse une Lilith ĂŠnigmatique, un personnage terrifiant. _D.J.

Pourvu qu’elle soit rousse de StÊphane Rose (L’Archipel) Kaboom de Gregg Araki (lire l’interview page 24)

vraie question. Le plus souvent, on y rassemble des Ĺ“uvres qui repartent ensuite vers leur lieu d’origine, alors qu’ici je dĂŠsirais susciter une rĂŠelle production. Âť Le visiteur, fort d’une dĂŠambulation riche en rĂŠflexion, donnĂŠes historiques et rĂŠfĂŠrences artistiques, est donc invitĂŠ Ă dĂŠcouvrir le cheveu pensĂŠ par abbas Kiarostami (iran), isild Le Besco (france), Pablo Trapero (argentine), Yousry nasrallah (Liban), nobuhiro suwa (Japon) et abderrahmane sissako (Mali). LIGNES dE FUItE alors que shu Qi nous regarde une dernière fois derrière la cascade de ses cheveux d’Êbène, on s’interroge sur la pĂŠrennitĂŠ des codes de la chevelure au cinĂŠma. après l’avènement de la blonde hollywoodienne incarnĂŠe successivement par Veronica Lake, Marlene Dietrich et Marylin Monroe puis l’enthousiasme rĂŠservĂŠ aux brunes chez almodĂłvar, que reste-t-il de la symbolique capillaire? Ă€ l’heure oĂš toute parcelle du corps fĂŠminin s’avère fĂŠtiche, oĂš la brune peut cĂ´toyer des blondeurs irrĂŠelles et vice versa, on assiste Ă un travail qui tient beaucoup de la nostalgie avec les personnages fĂŠminins de françois Ozon, comme figĂŠs dans des ĂŠpoques oĂš la brune ĂŠtait encore tromperesse (fanny ardant dans 8 femmes) ou ceux de Wong Kar-wai, qui recrĂŠe l’esthĂŠtique des grands mĂŠlodrames cantonais Ă l’aide de parures et coiffures fabuleuses. selon Bergala, James gray incarnerait le cinĂŠaste actuel le plus en proie aux considĂŠrations esthĂŠtiques et scĂŠnaristiques dictĂŠes par la chevelure : la modernitĂŠ avec laquelle est retravaillĂŠ le duo brune-blonde dans Two Lovers dit bien toute l’importance d’une rĂŠflexion sur les rĂ´les attribuĂŠs Ă ces deux entitĂŠs tantĂ´t duelles, charnelles ou complices. Pas tout Ă fait repu ? L’exposition se poursuit sur la toile oĂš l’on retrouve des entretiens inĂŠdits de Bertrand Bonello, Bernard Plossu et alain Bergala ainsi que ÂŤ des lignes de fuite relatives aux Ĺ“uvres et extraits que l’exposition n’avait pas le temps d’agencer Âť, prĂŠcise ce dernier. sous l’apparente trivialitĂŠ de son sujet, une dĂŠcouverte bien peu capillotractĂŠe. Brune/Blonde, une exposition arts et cinĂŠma, du 6 octobre au 16 janvier Ă la CinĂŠmathèque française, 51 rue de Bercy, 75012 Paris Du 6 au 30 octobre dans le rĂŠseau MK2, 1 place de cinĂŠ achetĂŠe/1 entrĂŠe Ă l'exposition Brune/Blonde offerte. Exposition d'affiches des collections de la CinĂŠmathèque française autour de la thĂŠmatique Brune/Blonde au MK2 Bibliothèque du 6 au 30 octobre

OCTOBRE 2010

WWW.MK2.COM



Š Philippe Quaisse/Pasco


YAHIMA TORRES 83

BĂŠTE DE sCènE Au premier regard, Abdellatif Kechiche a choisi l’explosive YAhIMA tORRES pour incarner sa VĂŠnus noire, une jeune Africaine qui se rĂŞvait artiste et devint le jouet d’EuropĂŠens aux fantasmes pervers. Un rĂ´le violent, bouleversant, qu’elle endosse avec assurance. Portrait d’une dĂŠbutante qui a trouvĂŠ sa voie. _Par Pamela Messi

Y

ahima Torres a vu le jour une première fois Ă Cuba, un 14 juin. un mercredi 8 septembre, sur une autre ĂŽle, on a assistĂŠ Ă l’Êclosion d’une actrice. C’Êtait Ă Venise, sur les terres du gĂŠnie cinĂŠphage et polyglotte Marco MĂźller, directeur artistique de la Mostra depuis 2004. On la rencontre juste avant la première de VĂŠnus noire, le nouveau Kechiche dont elle est l’interprète principale. Le premier jour du reste de sa vie, en somme. Dans les jardins du très

– dÊçue de n’avoir pas pu observer plus tĂ´t ses parties gĂŠnitales hypertrophiĂŠes – avant d’être exposĂŠe au musĂŠe de l’Homme jusqu’en 1976. un personnage historique, devenu le symbole politique de l’oppression du peuple noir (la france et l’afrique du sud se sont ĂŠcharpĂŠes pendant près de dix ans avant que Paris n’accepte de restituer le corps Ă la ville du Cap), et sur lequel repose toute la crĂŠdibilitĂŠ du film.

ÂŤ ABDEL N’EST PAS LE GENRE Ă€ ABORDER UNE FILLE DANS LA RUE EN LUI FAISANT LE COUP DU RÉALISATEUR QUI CHERCHE UNE FILLE POUR JOUER DANS SON FILM. Âť chic hĂ´tel Quattro fontane, on attend donc la ÂŤ rĂŠvĂŠlation Âť, forcĂŠment curieux de dĂŠcouvrir la nouvelle muse d’abdellatif Kechiche. Celle qui, après sara forestier et Hafsia Herzi, est venue confirmer ce dont on se doutait : le rĂŠalisateur dispose d’un sixième et mĂŞme d’un septième sens. non seulement il flaire les comĂŠdiennes talentueuses sous leurs frusques de dĂŠbutantes, mais il sait les diriger comme personne. sous son aile, Yahima Torres interprète de manière parfaitement convaincante saartjie Baartman, cette jeune sud-africaine exhibĂŠe en Europe comme un animal de foire, la ÂŤ VĂŠnus hottentote Âť dont la dĂŠpouille fut dissĂŠquĂŠe en 1815 par l’acadĂŠmie des sciences

OCTOBRE 2010

LĂŠGĂˆREtĂŠ D’abord, un ĂŠclat de rire. Puis Yahima Torres entre dans notre champ de vision. solaire, explosive. Ă€ des annĂŠes lumières de la femme-objet introvertie dĂŠcouverte dans le film. On reconnaĂŽt en revanche la puissance fĂŠline et la grâce maladroite des mouvements, terriblement fĂŠminins. Et on imagine sans mal l’effet que le tout produisit sur le rĂŠalisateur cinq ans plus tĂ´t lorsque, assis Ă la terrasse d’un cafĂŠ de Belleville, il vit passer sa dĂŠesse callipyge. ÂŤ Il m’a dit avoir ĂŠtĂŠ saisi par ma prĂŠsence, raconte Yahima. Enfin, c’est son assistante qui m’a interpellĂŠe car Abdel n’est pas le genre Ă aborder une fille dans la rue en lui fai-

WWW.MK2.COM


84 YAHIMA TORRES

ÂŤ ATTENTION Ă€ NE PAS CONSIDÉRER L’ÉTRANGER QUI VIENT VERS NOUS COMME UN ĂŠTRE DIFFÉRENT. Âť aBDELLaTif KECHiCHE sant le coup du rĂŠalisateur qui cherche une fille pour jouer dans son film. Âť Ă€ l’Êpoque, Kechiche est en pleine prĂŠparation de La Graine et le mulet, mais il a dĂŠjĂ l’idĂŠe de porter Ă l’Êcran l’histoire de saartjie Baartman. Quant Ă Yahima, elle vient de quitter La Havane pour Paris et donne des cours d’espagnol en attendant mieux. Entre eux, les choses en restent lĂ , jusqu’à une nouvelle rencontre, toujours par hasard, en 2008. Le projet ÂŤ Black Venus Âť en est cette fois au casting et Yahima est recrutĂŠe sans grand suspens : aucune actrice ne ressemble plus qu’elle Ă saartjie. Mais ses rondeurs naturelles ne suffiront pas Ă endosser le rĂ´le de la jeune femme. Durant les neuf mois qui prĂŠcèdent le tournage, Yahima prend treize kilos, suit des cours d’afrikaans, mais aussi de thÊâtre, de danse, de chant et de violon. Elle apprend Ă camoufler son accent cubain et Ă gĂŠrer sa respiration ÂŤ avec le ventre, pour donner Ă Saartjie une voix plus graveÂť, presque caverneuse. au dernier moment, elle se rase la tĂŞte. Canon de beautĂŠ peu commun, elle en garde un excellent souvenir : ÂŤ Peu importe la transformation physique ; pour un tel rĂ´le j’Êtais prĂŞte Ă tout. Âť SINCĂŠRItĂŠ saartjie, Yahima en parle presque comme d’une amie qu’elle ÂŤ respecte infiniment Âť. LĂ oĂš Kechiche entretient un mystère volontairement dĂŠrangeant – sur les motivations rĂŠelles de saartjie, sur sa relation avec Caezar, l’homme pour qui elle travaille –, l’actrice ne veut voir qu’une ÂŤartiste douĂŠe et gĂŠnĂŠreuse. Une femme moderne qui a quittĂŠ l’Afrique pour l’Europe, seule, Ă une ĂŠpoque oĂš cela ne se faisait pas et après avoir vĂŠcu la pire des douleurs pour une femme : perdre ses enfants Âť. La dimension politique du film ? Elle n’y pense pas. Comme tout le

monde Ă Venise, elle a entendu le rĂŠalisateur dresser un parallèle sans ĂŠquivoque entre son film, une histoire ÂŤ de classe, de mĂŠpris et de prĂŠjugĂŠs Âť, et les expulsions de roms en france. ÂŤ En ce moment les mots sont libĂŠrĂŠs sur le racisme et la xĂŠnophobie. J’ai voulu rappeler un passĂŠ pas si lointain ni très glorieux pour nous Français, et dire : attention Ă ne pas considĂŠrer l’Êtranger qui vient vers nous comme un ĂŞtre diffĂŠrent Âť, avait lancĂŠ Kechiche au cours d’une confĂŠrence de presse Ă l’atmosphère tendue. On avait alors senti le rĂŠalisateur parvenu Ă un tournant dans sa carrière, engageant son rĂŠcit et ses peintures de l’exclusion sociale hors des frontières de l’hexagone, après avoir conclu ce qui constitue, avec du recul, une trilogie naturaliste sur l’identitĂŠ française (La Faute Ă Voltaire, L’Esquive, La Graine et le mulet). FRAGILItĂŠ Ă€ ce sujet, Yahima ne veut rien dire. Tout juste concède-t-elle : ÂŤ Je sais ce que c’est que de quitter son pays dans l’espoir d’amĂŠliorer sa vie. Âť Elle qui s’est sentie ÂŤ bien accueillie par la France Âť raconte la descente aux enfers de son personnage – foire aux monstres, salons libertins, bordel puis trottoir – avec un dĂŠtachement candide en complet contraste avec la profondeur de son jeu. On la sent Ă la fois sincèrement touchĂŠe et totalement extĂŠrieure. une lĂŠgèretĂŠ qu’elle assume et qui fait sa force, selon abdel Kechiche, qui y a vu l’opportunitĂŠ de pousser l’actrice ÂŤ loin dans l’Êmotion, sans qu’elle en soit meurtrie Âť. grâce Ă lui, une jeune femme a trouvĂŠ sa voie. DĂŠsormais Yahima ne veut plus qu’une chose : jouer. ÂŤPas forcĂŠment un personnage aussi puissant, rĂŠflĂŠchit-elle. Quoique‌ Je crois que c’est ce qui me plaĂŽt, au fond, dans ce mĂŠtier. Âť

Lire la critique de VĂŠnus noire page 49

OCTOBRE 2010

WWW.MK2.COM



Š Shellac


LA VIE AU RANCH 87

LETOURNEUR,

EN ÉCLAIREUR SOPhIE LEtOURNEUR : retenez bien ce nom. Cette jeune rĂŠalisatrice de 32 ans sort ce moisci son premier long mĂŠtrage, La Vie au ranch, mais elle s’est dĂŠjĂ taillĂŠ une belle rĂŠputation parmi les cinĂŠphiles avertis et devrait sans tarder se faire connaĂŽtre auprès d’un plus large public. Fait exceptionnel, ses deux prĂŠcĂŠdents moyens mĂŠtrages et son court sont sortis en salles. Beaucoup avaient alors notĂŠ la singularitĂŠ et la cohĂŠrence de l’ensemble, parvenant Ă rĂŠ-ĂŠclairer un territoire aussi balisĂŠ que la captation des premiers ĂŠmois adolescents. _Par Jacky Goldberg UtOPIES MAdE IN FRANCE

Des hommes et des dieux, Happy Few, La Vie au ranch. Trois films français qui n’ont rien Ă voir en surface et pourtant traitent d’une mĂŞme obsession : l’autarcie communautaire comme choix de vie. Ermitage monacal chez Xavier Beauvois, hĂŠdonisme sexuel chez Antony Cordier, promiscuitĂŠ exclusive de l’amitiĂŠ chez Sophie Letourneur : Ă chaque fois, le retrait dans la bulle se dessine comme un idĂŠal possible. Au point de prophĂŠtiser, comme Les Cahiers du cinĂŠma, une nouvelle tendance française Ă troquer le rĂŠalisme contre l’utopie de la caverne ? Dans son dossier de rentrĂŠe consacrĂŠ au cinĂŠma hexagonal, la revue distribue bons (Beauvois) et mauvais (Cordier) points aux films qui rempliraient correctement (ou pas) le cahier des charges d’une nouvelle politique d’auteur. Sensibles, parfois naĂŻfs, souvent bouleversants, ces trois films sondent avant tout le romanesque de leur sujet plutĂ´t que son aspect polĂŠmique. La dissertation aurait-elle fait mieux que le conte ? Le dĂŠbat reste ouvert. _Yann François

OCTOBRE 2010

N

ous rencontrons Sophie Letourneur Ă la mi-septembre au Festival de Contis, dans les Landes, oĂš elle est venue prĂŠsenter son film, après un triomphe Ă Belfort, rotterdam et Cannes (section acid, destinĂŠe aux films indĂŠpendants). ici, dans un dĂŠcor presque trop idyllique (soleil couchant, couleurs de l’ÊtĂŠ indien, chien qui court sur le sable), elle commence par nous avouer son incapacitĂŠ Ă puiser ses sujets ailleurs que dans sa propre vie : ÂŤ La base de mon matĂŠriel d’Êcriture a toujours ĂŠtĂŠ, pour l’instant, des documents personnels : lettres, carnets intimes, conversations enregistrĂŠes au dictaphone. Et je choisis des acteurs qui pourraient vivre ou ressentir des choses du mĂŞme ordre. C’est ce point de jonction, entre eux et moi, qui m’intĂŠresse. Âť après avoir, dans deux moyens mĂŠtrages, cartographiĂŠ les sentiments des 11-12 ans (Manue Bolonaise en 2006) et des 14-15 ans (Roc et Canyon en 2007), sophie Letourneur pousse un peu plus loin son exploration, s’intĂŠressant cette fois aux jeunes filles de 20 ans. nourri d’expĂŠriences personnelles, donc, ce long mĂŠtrage suit une heure et demie durant les ÂŤaventuresÂť, si l’on peut dire, d’un groupe de chicks insĂŠparables, de soirĂŠes arrosĂŠes en matinĂŠes embrumĂŠes, de bons copains chahutĂŠs en beaux garçons fantasmĂŠs, de la promiscuitĂŠ du ÂŤ ranch Âť (c’est ainsi qu’elles surnomment leur colloc) aux immenses plateaux auvergnats oĂš leur amitiĂŠ est mise Ă l’Êpreuve, jusqu’au dĂŠnouement, poignant, Ă Berlin. dISCOURS dE LA MĂŠthOdE En escaladant la dune, sophie Letourneur nous explique longuement sa mĂŠthode de travail, testĂŠe lors de ses ĂŠtudes aux arts-DĂŠco oĂš elle se passionnait pour le son, et ĂŠprouvĂŠe sur ses prĂŠcĂŠdents films. après des mois de recherche, cette socratienne sexy (ÂŤ J’adore rĂŠvĂŠler Ă mes acteurs des choses qu’ils auraient pu ressentir ou qu’ils vont vivre, mais dont ils n’ont pas forcĂŠment conscience Âť) a ainsi castĂŠ un groupe, un vrai groupe d’amis – dont fait partie, pour l’anec-

WWW.MK2.COM


88 LA VIE AU RANCH

ÂŤ J’ADORE RÉVÉLER Ă€ MES ACTEURS DES CHOSES QU’ILS AURAIENT PU RESSENTIR OU QU’ILS VONT VIVRE, MAIS DONT ILS N’ONT PAS FORCÉMENT CONSCIENCE. Âť dote, Benjamin siksou de Nouvelle Star. Elle les a ensuite mis en situation et a enregistrĂŠ leurs discussions. Puis elle a montĂŠ cette pâte verbale sur Pro Tools, comme une composition musicale, aux rythmes et sonoritĂŠs ultraprĂŠcises, brouillon sonore du film Ă venir qu’elle a refait jouer, une fois sur le dĂŠcor, Ă ses comĂŠdiens. au mot près. Et voilĂ comment, sur des tournages oĂš chacun trouve aisĂŠment sa place, elle obtient un tel naturel, sans une once d’improvisation. CONtRE LA CINĂŠPhILIE, tOUt CONtRE s’il ne faisait que dresser le portrait d’une gĂŠnĂŠration, Ă la manière de La vie ne me fait pas peur de noĂŠmie Lvovsky au dĂŠbut des annĂŠes 1990, La Vie au ranch serait dĂŠjĂ une grande rĂŠussite ; mais sophie Letourneur ne s’en contente pas. ĂŠclate ainsi Ă chaque plan une force thĂŠorique et une intelligence de mise en scène, une volontĂŠ de reprendre les choses lĂ oĂš quelques grands maĂŽtres (pour faire vite, rohmer, rozier, Eustache) les ont laissĂŠes, sans jamais, pour autant, s’en laisser conter. aussi, quand on lui ĂŠvoque ces noms, elle botte rapidement en touche : ÂŤ Ça ne me dĂŠplaĂŽt pas qu’on me compare avec ces gens, bien au contraire, mais je ne cherche pas Ă faire un cinĂŠma cinĂŠphile, de citation ; d’ailleurs je ne vais presque plus au cinĂŠma, par manque de temps. Je choisis la vie. Âť On repense alors aux prĂŠdications de Louis skorecki (ancien critique Ă LibĂŠration et auteur de la trilogie Les CinĂŠphiles), qui attribue Ă la trop grande vĂŠnĂŠration des anciens la lourdeur du cinĂŠma contemporain, et dont on croit, paradoxalement, trouver la trace dans une des scènes les plus drĂ´les de La Vie au ranch. Deux types assis Ă la terrasse d’un cafĂŠ y discutent, de la plus pĂŠdante des façons, du dernier Hong sang-soo, jusqu’à l’arrivĂŠe Ă leur table d’une jeune fille qui, cherchant Ă

OCTOBRE 2010

s’insĂŠrer dans la conversation, ĂŠvoque une prochaine ÂŤnuit Wong Kar-wai au ChampoÂť, mais se fait sèchement rembarrer : ÂŤ Ouais, ouais, ils en font tous les six mois. Âť La charge, gentiment moqueuse, contre ce que skorecki appelle ÂŤla nouvelle cinĂŠphilieÂť est bien lĂ , mais sophie, elle nous le jure mordicus, ne l’a ÂŤ pas fait exprès. C’est juste une scène Ă laquelle j’ai assistĂŠ cent fois Âť. Dont acte. PAROLES, PAROLES, PAROLES si l’on ĂŠvoque la filiation rohmĂŠrienne, c’est surtout parce que les mots occupent le centre de ses films. Le centre, mais aussi les bords, les dĂŠbords ; tout, absolument tout, de la première Ă la dernière seconde de La Vie au ranch, gĂŠnĂŠriques inclus, est envahi par la parole. une parole infra, comme dĂŠtachĂŠe des contingences de scĂŠnario, larsen sculptĂŠ qui agit comme une mĂŠlodie noisy et rapproche le film des (tout Ă fait confortables) rivages expĂŠrimentaux, plutĂ´t que des ports de plaisance naturalistes. ÂŤ J’ai une peur panique, maladive, du vide. Or les mots remplissent l’espace. Parler tout le temps a quelque chose de rĂŠconfortant, mais peut très vite devenir aliĂŠnant. Âť ainsi, bien plus qu’un portrait ethnographique sur la jeunesse dorĂŠe parisienne, fausse piste ĂŠvacuĂŠe immĂŠdiatement (ÂŤ La bourgeoisie ne me fascine pas. Je n’en suis pas issue, l’esprit du film ne s’y inscrit pas et si les gens que je filme n’ont pas de problèmes d’argent, ils ne sont pas non plus spĂŠcialement riches. Âť), La Vie au ranch est un beau film sur la mĂŠcanique de groupe, avec le verbe comme lubrifiant, et la surchauffe, c’est-Ă -dire la rupture, comme triste horizon. après cette bucolique promenade sur la plage, le moment de se sĂŠparer arrive hĂŠlas pour nous aussi. Et maintenant qu'il faut partir, on a cent mille choses Ă se dire, qui tiennent trop Ă coeur pour si peu de temps.

WWW.MK2.COM



Š Alfana Films


LES MYSTĂˆRES DE LISBONNE 91

NOVELA VaguE C’est Ă une traversĂŠe vertigineuse de l’Europe que nous convie RAOUL RUIZ avec Les Mystères de Lisbonne : une sĂŠrie de tableaux aux cadres larges et majestueux, qui vogue, quatre heures durant, entre la novela d’auteur et la fresque balzacienne. Peintre sur pellicule, Ruiz conjugue magie du romanesque et du picaresque, souffle pictural et musical. _Par Donald James

C

’est peut-ĂŞtre le vingtième film que Raoul Ruiz, prolifique cinĂŠaste d’origine chilienne, rĂŠalise au Portugal, mais c’est son premier film en portugais. ÂŤ La question de la langue dans un film comme le mien, qui est très parlĂŠ, est importante. Le portugais me trouble. C’est une langue flottante qui n’a pas besoin d’attaquer un point, elle n’a pas besoin d’être claire ou explicite. Âť Cette adaptation de l’œuvre du mĂŞme nom de Camilo Castelo Branco, auteur lusitanien du XiXe siècle, ĂŠvoque d’autres grands romans de la mĂŞme pĂŠriode : Les Mystères de Paris d’Eugène sue ou la ComĂŠdie humaine de Balzac, dont ruiz avait transposĂŠ pour le grand ĂŠcran La Maison Nucingen en 2008. ÂŤ Ce qui m’a attirĂŠ dans le livre de Castelo Branco, c’est l’idĂŠe du fleuve. On a un personnage, on s’intĂŠresse Ă lui, et puis il s’Êloigne et lorsqu’on l’a oubliĂŠ, il revient. Si je veux ĂŞtre mĂŠchant avec moi-mĂŞme, je dirais que Les Mystères de Lisbonne est une novela condensĂŠe. Âť film fleuve de quatre heures trente tournĂŠ en plusieurs langues (portugais, français, italien), grande production (des palais pour dĂŠcors, pas moins de quarante-neuf rĂ´les importants, une centaine d’acteurs dont, pour la partie française, LĂŠa seydoux, Clotilde Hesme et le fidèle Melvil Poupaud), Les Mystères de Lisbonne sera diffusĂŠ sous la forme d’une sĂŠrie tĂŠlĂŠ, plus longue (six heures) et avec plus de personnages. ÂŤ Ce n’est pas du tout le mĂŞme film. Je prĂŠfère celui de cinĂŠma car il est moins dĂŠlibĂŠrĂŠ. Dans la sĂŠrie tĂŠlĂŠ, on perd tout l’aspect contemplatif. Mais contemplation ne veut pas dire qu’il ne se passe rien ; on peut contempler une bataille. Âť L’hYPOthĂˆSE dU tABLEAU VOLĂŠ Tout commence avec la voix de Pedro da silva, orphelin ĂŠlevĂŠ par un prĂŞtre. il promet de nous racon-

OCTOBRE 2010

ter l’histoire de ses souffrances, or de la guerre ou des souffrances, on ne verra pratiquement rien. Les Mystères de Lisbonne traque les secrets d’hommes et de femmes picaresques. Tous ont plusieurs noms, changent d’identitĂŠ, montrent plusieurs facettes: don juan ou moine, pirate ou mondain, bonne devenue aristo, marquis clochard‌ Outre le jeune Pedro da silva, le père Dinis, son protecteur, occupe ĂŠgalement une place de premier ordre. ÂŤDinis est le personnage prĂŠfĂŠrĂŠ de Castelo Branco. Il a ĂŠcrit un autre livre qui s’appelle Le Livre noir du père Dinis, c’est le prochain film que je vais faire. Je voulais que ce personnage demeure trouble. Âť ruiz cultive l’ambiguĂŻtĂŠ, travaille le gouffre de l’indĂŠcidable et, comme Ă son habitude, provoque de subtils effets de miroir Ă partir d’amples et fluides mouvements de camĂŠra. ÂŤToute l’Êmotion cinĂŠmatographique vient du vertige de l’accumulation d’ÊlĂŠments, d’ÊvĂŠnements. Et en mĂŞme temps, il y a une atmosphère relativement paisible dans le film. Parfois les personnages s’entretuent, mais c’est avec calme. Ils s’insultent et les jours passent. De ce point de vue, on peut dire que c’est un film sur le temps, oĂš les ĂŠvĂŠnements, aussi graves soient-ils, sont un peu comme un paysage. On spĂŠcule sur des tableaux qui ont provoquĂŠ un scandale, mais dans le tableau il n’y a rien de scandaleux. Âť Ce flamboyant rĂŠcit baroque d’une aristocratie toujours en reprĂŠsentation s’entend Ă plusieurs niveaux et rĂŠsonne avec notre prĂŠsent, notre ĂŠpoque, tourmentĂŠe mais flirtant avec l’insouciance, jouant de la contrariĂŠtĂŠ. sommes-nous pères ou fils, orphelins ou brigands? ressem-blons-nous au père Dinis ou Ă Pedro da silva, fatiguĂŠs d’être nous-mĂŞmes, pire, malades, condamnĂŠs, incapable de nous sauver? Le mystère demeure. Un film de Raoul Ruiz // Avec Adriano Luz, Maria JoĂŁo Bastos‌ // Distribution : Alfama // Portugal, 2010, 4h26 // Sortie le 20 octobre

WWW.MK2.COM


92 KABOOM

ARAKI riT Après Mysterious Skin et Smiley Face, GREGG ARAKI renoue avec ses premières amours: dans Kaboom, le cinÊaste amÊricain rend hommage à ses teen movies hypersexuels et apocalyptiques des annÊes 1990 (Totally F***ed up, The Doom Generation, Nowhere). Non sans humour, il en profite pour mettre à jour son esthÊtique maniÊriste ultrarÊfÊrencÊe, de David Lynch à John Waters. Rencontre. _Propos recueillis par ClÊmentine Gallot et Juliette Reitzer

S

ur un campus amĂŠricain, l’existence de smith et de ses amis est tout entière tournĂŠe vers les plaisirs de la chair. Mais une nuit, sous l’emprise d’un space-cake, le jeune homme assiste au meurtre d’une rousse mystĂŠrieuse qui hante ses rĂŞves‌ Les tons criards, outranciers, vestiges d’une autre ĂŠpoque, n’ont rien ici d’un rabâchage paresseux : explosion sensuelle et sensorielle, Kaboom rĂŠvèle au contraire chez le cinĂŠaste une maturitĂŠ nouvelle, grâce notamment Ă l’utilisation du numĂŠrique. Entre fantasmes sexuels et dĂŠlires oniriques, le rĂŠsultat est un pur concentrĂŠ de plaisir, jouissif et pourtant terriblement maĂŽtrisĂŠ. L’adolescence est au cĹ“ur du film. Vous ĂŞtes particulièrement attentif ici aux angoisses qu’engendre cette pĂŠriode de la vie. Kaboom est-il, selon vous, un teen movie existentiel ? Je ne voulais pas revenir en arrière, après ma teen apocalypse trilogy, mais je voulais faire un film sur cette pĂŠriode de la vie oĂš tout est incertain, lorsque l’on a 19 ou 20 ans. C’est une pĂŠriode de questionnements : qui suis-je, Ă quoi va ressembler mon avenir, quel est le but de mon existence ? Je pense qu’aujourd’hui je pose un regard mature sur un sujet immature. J’ai quinze ans de plus qu’à l’Êpoque de The Doom Generation, et je ne pourrais pas refaire le mĂŞme film car j’ai beaucoup changĂŠ depuis. De la mĂŞme manière, je n’aurais pas pu faire Kaboom Ă cette ĂŠpoque. Tourner Mysterious Skin (2004) et Happy Face (2007) m’a aidĂŠ Ă grandir, Ă poser un regard diffĂŠrent sur mes personnages. Vous avez choisi de tourner dans un campus moderne, presque clinique, qui semble rĂŠpondre Ă la solitude des personnages. Est-ce pour cette raison que vous avez choisi de passer au numĂŠrique?

OCTOBRE 2010

Je voulais en effet crĂŠer un monde aseptisĂŠ, minimaliste, mais aussi avoir ce rendu lĂŠchĂŠ, cette beautĂŠ visuelle : tout cela s’est fait grâce Ă la lumière et au cadrage. Je voulais que chaque plan soit magnifique. Kaboom est mon premier film tournĂŠ en numĂŠrique haute dĂŠfinition : c’Êtait très excitant car travailler en numĂŠrique offre un incroyable contrĂ´le sur la couleur et la texture de l’image. Pour Smiley Face, qui a ĂŠtĂŠ tournĂŠ en 35 mm, il y avait beaucoup d’effets spĂŠciaux et le procĂŠdĂŠ pour passer de la pellicule au digital ĂŠtait vraiment fatiguant techniquement et coĂťtait très cher. J’adore tourner en pellicule et je le referais si j’avais un gros budget, mais pour Kaboom le numĂŠrique s’est avĂŠrĂŠ très libĂŠrateur. Quel ĂŠtait votre budget pour ce film ? Je ne peux pas vous donner de chiffre exact mais le budget ĂŠtait très faible. Je voulais ĂŞtre totalement libre : quand on fait un film avec un gros budget, on s’inquiète forcĂŠment de ne pas pouvoir faire ceci ou cela, on ne peut pas ĂŞtre trop bizarre ou trop fou. Le but de ce film ĂŠtait prĂŠcisĂŠment d’être aussi libre et fou que possible. il n’y avait pas non plus la pression d’engager telle ou telle star. J’adore l’idĂŠe de dĂŠcouvrir de nouveaux visages, de jeunes acteurs inconnus : c’est vraiment excitant pour un metteur en scène, et c’est l’une des joies de ce film. Le rendu visuel est particulièrement important dans vos films. Comment le travaillez-vous ? Tout est très prĂŠcis, contrĂ´lĂŠ. Je fais partie de ces cinĂŠastes qui cherchent Ă avoir un contrĂ´le esthĂŠtique maximal sur leur film, sans doute parce que, comme le personnage de smith, j’ai fait une ĂŠcole de cinĂŠma. Je m’inscris dans cette tradition d’auteurs qui ont forgĂŠ au fil du temps une vision du monde très spĂŠcifique, crĂŠative. Je ne me sens pas

WWW.MK2.COM


Š Marianne Williams


94 KABOOM

Š Marianne Williams

ÂŤ JE VEUX QUE L’ON SENTE QUE TOUT EST ORGANISÉ ET ORCHESTRÉ, QUE QUELQU’UN TIRE LES FICELLES, COMME CHEZ HITCHCOCK. Âť BOURREAU dEKKER De passage Ă Paris, Gregg Araki a entraĂŽnĂŠ son acteur Thomas Dekker, beau brun mĂŠtrosexuel aux yeux lagon, faire des jaloux Ă la soirĂŠe gay du Rosa Bonheur, aux ButtesChaumont. BiberonnĂŠ Ă Lynch et Kubrick, Dekker s’improvise enfant acteur chez John Carpenter dans LeVillage des damnĂŠs, avant de jouer les jolis cĹ“urs Ă la tĂŠlĂŠ (Heroes ou Terminator : les chroniques de Sarah Connor) et de taper, Ă 22 ans, dans l’œil de son idole, Araki. ÂŤ C’est rare de jouer un personnage qui aime les garçons et les filles Âť, explique celui qui a retrouvĂŠ dans Kaboom la libertĂŠ sexuelle de son adolescence. ÂŤ C’est juste un corps... Âť : on l’avait compris, Thomas n’a aucun problème avec la nuditĂŠ. Ă€ Hollywood, les puritains lui dĂŠconseillent pourtant le rĂ´le : ÂŤ Gregg n’est pas autant respectĂŠ aux États-Unis qu’en France. J’ai vu beaucoup de lui dans le personnage de Smith. Âť CinĂŠaste (Whore en 2008, vision dĂŠsabusĂŠe de la jeunesse hollywoodienne), chanteur, il vient de tourner pour HBO, dĂŠteste L.A. mais ÂŤ adooore Âť Paris, son ÂŤ endroit prĂŠfĂŠrĂŠ au monde Âť. Avant de partir, il nous montre d’ailleurs un tatouage en français : Le monde tourne. Notre tĂŞte aussi. _C.G. et J.R.

OCTOBRE 2010

du tout proche du courant du cinĂŠma vĂŠritĂŠ, du faux documentaire, ça ne m’intĂŠresse pas. Quand je fais un film, je veux que l’on sente que tout est organisĂŠ et orchestrĂŠ, que quelqu’un tire les ficelles, comme chez Hitchcock. Pour moi, le cinĂŠma ne capture pas la rĂŠalitĂŠ, il la transforme, la recrĂŠe. d’ailleurs, Kaboom brouille en permanence les pistes entre rĂŞve et rĂŠalitÊ‌ De tous mes films, celui-ci est le plus irrĂŠel, le plus onirique. Le film dĂŠbute sur un rĂŞve. MĂŞme les parties qui ne sont pas rĂŞvĂŠes par le personnage ressemblent Ă des songes, comme dans la scène oĂš smith est possĂŠdĂŠ par une sorcière : cela ressemble vraiment Ă un cauchemar. Ă€ de nombreux moments, la frontière entre rĂŞve et rĂŠalitĂŠ est très mince, comme chez David Lynch. Cette ambivalence m’intĂŠresse beaucoup. dans Kaboom comme dans vos prĂŠcĂŠdents films, le sexe tient une place de premier plan. Pourquoi filmez-vous tant l’intimitĂŠ de vos personnages ? Dans The Doom Generation, il y a une scène de rupture dans les toilettes... Ces moments très privĂŠs m’intĂŠressent beaucoup car ce sont les instants oĂš votre vraie nature se rĂŠvèle, que le public ne voit gĂŠnĂŠralement pas : en gros, cela se passe dans la chambre ou dans les toilettes ! L’amĂŠrique est très hypocrite en ce qui concerne la sexualitĂŠ. La plupart des films n’utilisent le sexe que pour titiller, exciter le spectateur. Ce n’est pas du tout ce qui m’intĂŠresse. J’utilise le sexe pour observer les interactions humaines : que se passe t-il rĂŠellement entre les personnages Ă ce moment-lĂ ? L’une de mes scènes prĂŠfĂŠrĂŠes de Kaboom est celle oĂš London donne une leçon de sexe oral Ă rex : c’est un moment très privĂŠ, que rex ne raconterait sans doute mĂŞme pas Ă son meilleur ami. VoilĂ ce qui me fascine. Un film de Gregg Araki // Avec Thomas Dekker, Haley Bennett ... // Distribution : Wild Bunch // États-Unis, 2010, 1h26 // Sortie le 6 octobre

WWW.MK2.COM




LE

BOUDOIR

97

ÉBATS, DÉBATS, CABAS : LA CULTURE DE CHAMBRE A TROUVÉ SON ANTRE

« CHARLES BURNS EMPRUNTE À WILLIAM BURROUGHS SES MÉTHODES DE COLLAGE LITTÉRAIRE, DE RENCONTRES HASARDEUSES ENTRE DES BOUTS ÉPARS DE RÉCITS OU D’IMAGES. »

© Charles Burns & Cornélius

P.104

DVD-THÈQUE

La réalité virtuelle vue par RAINER wERNER FASSBINdER

CD-THÈQUE SUFJAN StEVENS, extra-terrestre

98/99 100/101

BIBLIOTHÈQUE

102/103

BD-THÈQUE

104/105

L’Apocalypse selon LAURA KASISChKE

Les mixtions impossibles de ChARLES BURNS

OCTOBRE 2010

WWW.MK2.COM


Š WDR - RWFF. Tous droits rÊservÊs

98 LE BOUDOIR /// dVd-thĂˆQUE

sOCiÊTÊ ÉCRANS ALLEMAGNE, ANNÉE 2.0 Dans le tÊlÊfilm Le Monde sur le fil, RAINER wERNER FASSBINdER s’aventure sur le terrain de la science-fiction et de la rÊalitÊ virtuelle sans jamais renier ses motifs favoris : politique, stylisation et romantisme. _Par LÊo Soesanto

Un homme entre dans une cabine tĂŠlĂŠphonique et abuse comme ici des reflets tordus pour signifier passe dans un autre monde, le vrai – le sien ĂŠtant que ses personnages s’accordent toujours mal avec une rĂŠalitĂŠ simulĂŠe par un ordinateur. La scène ne se l’image qu’ils devaient renvoyer Ă la sociĂŠtĂŠ. L’idĂŠe est passe pas dans Matrix mais dans Le Monde sur le fil, ici littĂŠrale, emballĂŠe avec sa grammaire usuelle (posenfin Ă nouveau visible après sa première tures tenant de la gestuelle thÊâtrale comdiffusion en prime time sur la chaĂŽne WDr me d’un mannequin en vitrine, personnages en 1973. un pitch de science-fiction, c’est voyeurs, cadres carcĂŠraux) pour souligner la surprise livrĂŠe par un cinĂŠaste dont on l’artificialitĂŠ de ce monde. fassbinder aimait pensait tout connaĂŽtre. L’enfant terrible du comparer sa filmographie balzacienne Ă cinĂŠma allemand d’après guerre, Ă l’aise une maison ; il crĂŠe un monde entier sous dans le mĂŠlo comme dans la peinture cloche. il y brasse ses obsessions – oppresimpitoyable de la rfa et de ses errements. sion, contrĂ´le de la sociĂŠtĂŠ –, lui qui estimait fassbinder joue la carte sf façon cĂŠrĂŠbrale, que son pays n’avait fait que passer du une scène d’action (la seule dans toute son nazisme Ă une dictature plus subtilement Ĺ“uvre) pour trois heures et demie de cogisoft. Midinette, fassbinder n’oublie pas le Le Monde sur le fil de tations et de paranoĂŻa, lorsque le hĂŠros Rainer Werner Fassbinder romantisme et nous sert avec perversion le dĂŠcouvre que s’il n’existe pas, il faudrait l’in- (Carlotta, DVD disponible couple le plus tragique qui soit : il est virtuel, le 6 octobre) venter. On est moins chez les Wachowski elle est rĂŠelle. riche, visuellement ĂŠtourdisque chez le godard d’Alphaville, citĂŠ avec ses impers sant, racĂŠ, joueur et anxiogène, Le Monde sur le fil est de film noir et le camĂŠo d’Eddie Constantine. aussi d’une totale actualitĂŠ. Comme dans Inception, les mondes imaginaires semblent exiger le port du Le Monde sur le fil est surtout fascinant car le style de costume-cravate impeccable. avant Avatar, L’Autre fassbinder coule de source dans cet univers glacial Monde, Chatroom ou The Social Network, fassbinder d’ordinateurs, collision entre Kraftwerk et le cabaret anticipait le vertige existentiel des identitĂŠs virtuelles. dĂŠcadent de l’allemagne de Weimar. rĂŠputĂŠ Ă tort Et cĂŠlĂŠbrait dĂŠjĂ , avant son chef-d’œuvre tĂŠlĂŠvisĂŠ Berlin pour ĂŞtre aussi engageant qu’un ĂŠpisode de Derrick, Alexanderplatz et les sĂŠries amĂŠricaines contemposon cinĂŠma Ă la coquetterie distanciĂŠe aime les miroirs, raines, les noces rĂŠussies du grand et petit ĂŠcran.

OCTOBRE 2010

WWW.MK2.COM


99

LES AUTRES SORTIES WILD WILD EAST

BREATHLESS de Yank Ik-june (Potemkine) sang-hoon est un recouvreur de dettes brutal, ĂŠlevĂŠ par un père qui lui a appris la violence pour seul langage. sa rencontre avec Yeon-hee, une lycĂŠenne maltraitĂŠe par son frère, va le pousser Ă bout, jusqu’à la chute. Yang ik-june, rĂŠalisateur, producteur et acteur principal de Breathless, rejoint Park Chan-wook (Old Boy), Bong Joon-ho (Mother) ou encore na Hong-jin (The Chaser) dans la famille des cinĂŠastes qui rĂŠinventent le thriller depuis le far East. TorturĂŠ, cruel, mĂŠtaphysique, hantĂŠ par des parents qui n’ont laissĂŠ que fureur et dĂŠsolation derrière eux, le cinĂŠma sud-corĂŠen frappe toujours plus fort. avec ce premier film, Yang ik-june montre qu’il est loin d’être un fils indigne. _L.T.

LA TRAVERSÉE QUATRE FILMS de Lisandro Alonso (Agnès B DVD / Potemkine)

Le pĂŠriple aux cĂ´tĂŠs de Lisandro alonso, nĂŠ Ă Buenos aires en 1975, dĂŠbute avec La Libertad (2001), plongĂŠe brute dans le quotidien de Misael, jeune bĂťcheron solitaire reclus dans la pampa. DĂŠlestĂŠ de procĂŠdĂŠs narratifs factices, alonso laisse la force mystĂŠrieuse de son cinĂŠma ĂŠclore et s’Êtirer au cours de longs plans-sĂŠquences silencieux. La rivière, omniprĂŠsente, accompagne la trajectoire de Vargas, taulard fraĂŽchement libĂŠrĂŠ qui part en quĂŞte de sa fille dans Los Muertos (2004), tandis que Liverpool (2008) ĂŠpouse la destinĂŠe d’un marin dĂŠbarquĂŠ en Terre de feu. Derrière les paysages luxuriants et le visage impassible des personnages, le dĂŠsastre – la crise ĂŠconomique – a dĂŠjĂ eu lieu. _S.A.

LE COUP dE CĹ“UR dU VENdEUR LE CHAT NOIR d’Edgar G. Ulmer (Sidonis) Dans la collection Les immortels de l’horreur, l’Êditeur sidonis publie en DVD plusieurs classiques du genre, parmi lesquels Le Chat noir. rĂŠalisĂŠ aux ĂŠtatsunis en 1934 par Edgar g. ulmer, cette adaptation d’Edgar allan Poe est portĂŠe par l’interprĂŠtation de deux monstres sacrĂŠs du genre : Bela Lugosi et Boris Karloff. Mais c’est surtout la mise en scène, l’utilisation du noir et blanc, des ombres et des lumières, qui confèrent au film cette atmosphère si particulière. Car ulmer, d’origine autrichienne, ancien assistant de Murnau, continuera durant sa carrière amĂŠricaine Ă inscrire son Ĺ“uvre dans la pure tradition du cinĂŠma expressionniste allemand. _Florian Guignandon, vendeur Ă la boutique du MK2 Quai de Loire

OCTOBRE 2010


Š Marzuki Stevens

100 LE BOUDOIR /// Cd-thĂˆQUE

L’EXTra-TERRESTRE COUPS D’ÉPÉE DANS LE BEAU SUFJAN StEVENS, petit ange ĂŠvangĂŠlique de la pop-folk amĂŠricaine, troque ses symphonies humanistes pour un ĂŠlectrochoc apocalyptique et schizophrĂŠnique, l’extra (-vagant, ordinaire, -terrestre) The Age of Adz. Robots après tout? _Par Wilfried Paris

De Sufjan Stevens, chanteur-auteur-compositeur de du rĂŞve amĂŠricain, la pĂŠriclitation d’une sociĂŠtĂŠ portĂŠe 35 ans, multi-instrumentiste surdouĂŠ (banjo, guitare, par l’industrie automobile se signalant dans les couacs piano, batterie, hautbois, cor anglais‌), graphiste de de trompettes et de soudains cahots ĂŠlectroniques. talent (un Master of fine arts Ă la new school de new York), on connaissait le projet patriote, mĂŠgalomane, avec l’inattendu The Age of Adz, inspirĂŠ par l’œuvre et pharaonique de consacrer un album Ă chaque apocalyptique du peintre noir-amĂŠricain et schizoĂŠtat d’amĂŠrique, ambition finalement rĂŠduite aux seuls phrène Prophet Royal Robertson (1930-1997), sufjan Michigan (2003) et Illinoise (2005), ce dernier ayant stevens semble prolonger ces questionnements dĂŠsmarquĂŠ l’Êcriture pop moderne, en morenchantĂŠs de manière plus dramatique, sur ceaux de bravoure folk et orchestraux, des arrangements ĂŠlectroniques baroques, contant l’histoire de l’illinois (du serial killer oĂš les thèmes angoissĂŠs (amour, sexe, John Wayne gacy Ă l’Exposition universelle mort, maladie, anxiĂŠtĂŠ et suicide) sont illusde 1893) en autant de questionnements trĂŠs par une ingĂŠnierie chaotique, Ă la fois introspectifs, Ă la dĂŠsarmante sincĂŠritĂŠ. un mĂŠcanique et organique, tellurique et futualbum ĂŠlectronique de belle facture (Enjoy riste. Poussant la dĂŠpersonnalisation Ă l’exYour Rabbit), un autre de ballades folks trĂŞme en filtrant sa voix dans des delays et chrĂŠtiennes (Seven Swans), quelques comun auto-Tune final qui ravirait Daft Punk ou The Age of Adz de Sufjan Stevens (Asthmatic pilations de Christmas songs enlevĂŠes, et Kanye West, sufjan semble ici accoucher Kitty/Differ-ant) rien ne semblait impossible Ă ce beau jeune de son golem, ou du grand robot destruchomme, douĂŠ par les meilleures fĂŠes de tous les talents. teur du film de robert Wise, The Day The Earth Stood L’annĂŠe dernière, sufjan surprenait son monde avec Still, annonciateur d’un Jugement dernier technoloThe BQE, un projet ÂŤ multimĂŠdia Âť (film, symphonie, BD, gique. Et si une rĂŠconciliation entre l’homme et la techdissertation, photos, graphisme, film en 3D) ayant pour nique n’est pas impossible (Impossible Soul, dernier sujet la Brooklyn-Queens Expressway, petit bout d’autitre ĂŠpique, de plus de vingt minutes), sufjan, ici, n’est toroute new-yorkaise dĂŠlabrĂŠ, glorifiĂŠ par cette Ĺ“uvre pas venu en paix, mais semble bien vouloir nous rapsynesthĂŠsique en une boucle entropique oĂš l’ÊlĂŠgie peler le sens de son prĂŠnom (d’origine arabe) : ÂŤ venu romantique le disputait Ă une rĂŠflexion amère sur la fin avec une ĂŠpĂŠe ‌

OCTOBRE 2010

WWW.MK2.COM


LES AUTRES SORTIES L’ARC-EN-CIEL INNERSPEAKER de Tame Impala (Modular Records / Discograph) InnerSpeaker mÊriterait qu’un glorieux ÊtÊ indien accompagne sa sortie automnale : l’Êblouissante dream pop de ces australiens, ouvrant pour MgMT et dont l’album a ÊtÊ mixÊ (mÊlangÊ) par Dave fridmann (Mercury rev, flaming Lips), Êclaire cette rentrÊe de mille feux multicolores, en d’intenses cavalcades vintage (guitares granuleuses, basses ronflantes, snares ÊcrasÊes), oÚ les harmonies extatiques s’enchevêtrent en Êchos suspendus, ponts (arcs-en-ciel) entre Beatles, spacemen 3 et illumination psychÊdÊlique. Panoramix. _W.P.

BACK IN (DIRTY) BUSINESS SEX WITH AN X The Vaselines (Sub Pop) adulĂŠ par Kurt Cobain et rĂŠveillĂŠ par une gĂŠnĂŠration nostalgique (Vivian girls, Dum Dum girls – le premier et seul album des Vaselines, en 1989, s’intitulait Dum Dum), le duo ĂŠcossais twee-pop fait son come-back sous les auspices du plaisir, et remet les points sur les i, enlevant un X aux frigos The XX, rappelant aux hipsters ce qu’Êtaient vraiment les annĂŠes 1980 : ÂŤ What do you know ? You weren’t there. It wasn’t all Duran Duran. I hate the 80s ‘cause the 80s were shit.Âť Trois accords garage, deux voix mĂŞlĂŠes, les amants d’hier bandent et mouillent encore. Let’s do it again. _W.P.

LE COUP DE KORT KORT – INVARIABLE HEARTACHE de Kurt Wagner & Cortney Tidwell (City Slang/PIAS) ĂŠchappĂŠ de son soyeux country-club (le big-band nashvillien Lambchop), Kurt Wagner joue les escort boys de luxe pour l’accorte Cortney Tidwell. sur des arrangements satinĂŠs, la paire ravive la galante et ĂŠlĂŠgante tradition du duo country telle que formulĂŠe, jadis, par June Carter et Johnny Cash, ou, plus rĂŠcemment, Zooey Deschanel et M. Ward. CĂ´tĂŠ mâle, le crĂŠpitement d’un timbre placide et charmeur ; cĂ´tĂŠ femelle, des modulations vocales dont les inflexions ĂŠvoquent la vertigineuse Dolly Parton (la sobriĂŠtĂŠ en plus) ; et Ă l’intersection des deux, des chansons divinement bien ĂŠcrites (A Special Day, Penetration), Ă faire chavirer les Kort. _A.T.

OCTOBRE 2010


Š Mathieu Bourgois

102 102 LE LEBOUDOIR BOUDOIR /// /// Bd-thĂˆQUE BIBLIOthĂˆQUE

MaD MEN L’APOCALYPSE SELON LAURA KASISChKE Dans une AmÊrique en pleine apocalypse, une famille recomposÊe se soude peu à peu : un conte dramatique et inclassable de l’excellente LAURA KASISChKE. _Par Bernard Quiriny

Fine observatrice de la middle class amĂŠricaine et mère. Ce morceau de comĂŠdie dramatique formait des drames que cachent les riches suburbs, Laura dĂŠjĂ Ă lui seul un excellent roman, pathĂŠtique et traKasischke mĂŞle cette fois ĂŠcroulement de la sociĂŠtĂŠ gicomique, mais Laura Kasischke lui donne une autre amĂŠricaine et chronique familiale, qui en forme tour Ă dimension grâce Ă un facteur inattendu : la zoonose tour le reflet puis le contrepoint. Tout commence com- hĂŠmorragique ou ÂŤ grippe de Phoenix Âť, un virus qui me dans une comĂŠdie hollywoodienne : provoque une hĂŠcatombe dans toute l’amĂŠJiselle, hĂ´tesse de l’air, tombe sous le charrique, dĂŠsorganisant la vie sociale et transme du commandant Mark Dorn, veuf sublime formant le pays en nation pestifĂŠrĂŠe. Potentielet père idĂŠal dont toutes les femmes sont lement contaminĂŠ, Mark est retenu en quaamoureuses. Par miracle, il la trouve Ă son rantaine en Europe : voilĂ Jiselle en tĂŞte-Ă goĂťt : ils se marient, elle dĂŠmissionne et tĂŞte avec une famille qui ne l’aime pas, emmĂŠnage dans sa coquette maison pour dans un climat de prĂŠapocalypse que la veiller sur ses enfants pendant qu’il sillonne romancière distille avec un sens consommĂŠ le monde aux commandes de son Boeing. du suspense, voire du fantastique‌ De ce Le conte de fĂŠes commence alors Ă se dĂŠsscĂŠnario ingĂŠnieux et classique (les relations agrĂŠger : non seulement la maison est trufqui se transforment sous l’effet de la nĂŠcesEn un monde parfait de fĂŠe de souvenirs de la première femme de Laura Kasischke (Christian sitĂŠ, le contexte dramatique qui rĂŠvèle les uns Bourgois, roman) Mark, mais ses deux filles s’ingĂŠnient avec aux autres et les aide Ă s’accepter), Laura cruautĂŠ Ă faire sentir Ă Jiselle son statut d’Êtrangère. Kasischke tire l’un de ses meilleurs romans : outre qu’on il n’est jamais lĂ , elle n’a pas d’amis et sa nouvelle vie s’attache instantanĂŠment Ă Jiselle et qu’on souffre avec dans sa ville-dortoir Ă cent kilomètres de Chicago l’en- elle de l’injustice matrimoniale, l’habile superposition nuie Ă mourir. C’est donc ça, le mariage parfait ? de la chronique familiale (trouvera-t-elle sa place auprès des enfants?) et de la quasi-science-fiction (l’amĂŠrique Chronique d’un ĂŠchec conjugal, la première moitiĂŠ sombrera-t-elle dans un nouveau Moyen Ă‚ge ?) produ livre raconte la dĂŠsillusion de Jiselle et les humilia- duit un composĂŠ original et captivant, oĂš l’Êcrouletions qu’elle subit de la part de ses belles-filles – seul ment du monde sauve paradoxalement les personsam, le petit dernier, l’accepte comme une nouvelle nages d’eux-mĂŞmes et de leurs conflits. un bijou.

OCTOBRE 2010

WWW.MK2.COM


103

LES AUTRES SORTIES LA ChRONIQUE NOSTALGIQUE FRANCE 80 de GaĂŤlle Bantegnie (Gallimard, Coll. L’Arbalète, roman) ici, Claire Berthelot, 13 ans, issue d’une famille de la classe moyenne qui vient d’emmĂŠnager dans un pavillon neuf de la banlieue nantaise. LĂ , Patrick Cheneau, 26 ans, technico-commercial beau gosse qui roule en fuego et vit en couple avec une coiffeuse. Ce sont les deux antihĂŠros ordinaires qu’a choisis gaĂŤlle Bantegnie pour cette peinture de la france moyenne des annĂŠes 1980, avec ses codes culturels (Billie Jean de Michael Jackson), ses marques fĂŠtiches (les raider, le jus de pomme Valisac‌) et ses mythes collectifs. un premier roman ÂŤ social Âť original et captivant, qui joue avec une nostalgie distanciĂŠe sur l’imaginaire d’une ĂŠpoque. Les trentenaires d’aujourd’hui comprendront. _B.Q.

LE ROMAN hISTORIQUE PARLE-LEUR DE BATAILLES, DE ROIS ET D’ÉLÉPHANTS de Mathias Enard (Actes Sud, roman)

après l’Ênorme Zone qui lui avait valu le Prix du livre inter, Mathias Enard revient Ă un format plus modeste dans ce bref roman historique au titre dĂŠmesurĂŠ, rĂŠcit de l’expĂŠdition Ă Constantinople que fait Michel-ange en 1506 pour dessiner un pont, projet que le sultan vient de retirer Ă LĂŠonard de Vinci‌ au fil de brefs chapitres Ă l’Êcriture sobre et ĂŠlĂŠgante, Enard dĂŠvoile les coulisses du pouvoir byzantin, les rapports de force entre l’artiste et le pape, son dĂŠpaysement dans cet Orient plein de couleurs et de mystères, et l’avancĂŠe laborieuse de son pont sur la Corne d’Or. On glisse sans y prendre garde dans l’univers original et capiteux de ce texte, que sa concision n’empĂŞche pas d’être riche. _B.Q.

LE COUP dE CĹ“UR dE LA LIBRAIRE ENLĂˆVEMENT AVEC RANÇON d’Yves Ravey (Les Éditions de Minuit, roman)

il ĂŠtait une fois deux frères, Max et Jerry, perdus de vue depuis vingt ans et qui ne se retrouvent que pour mieux enlever, moyennant rançon, samantha, la fille de salomon Pourcelot, patron d’une entreprise d’emboutissage oĂš officie Max en tant que comptable. roman noir, intrigue ĂŠpurĂŠe, ĂŠcriture très affinĂŠe, ravey au meilleur de son style, extirpant ses personnages d’un huis clos familial, sur fond de paysage ouatĂŠ de neige, dans un enchaĂŽnement de plans très visuels qui n’ont rien Ă envier au cinĂŠma. Yves ravey signe lĂ un superbe thriller, Ă sa manière, oĂš art de l’ellipse et profondeur psychologique se fondent avec brio. _Pascale Dulon, libraire au MK2 Bibliothèque

OCTOBRE 2010


Š Charles Burns & CornÊlius

104 104 LE LEBOUDOIR BOUDOIR /// /// Bd-thĂˆQUE Bd-thĂˆQUE

DOPE EN STOCK LES MIXTIONS IMPOSSIBLES DE ChARLES BURNS Avec Toxic, premier Êpisode d’un rÊcit au long court, entremêlant souvenirs (HergÊ, Burroughs) et niveaux de rÊalitÊ, ChARLES BURNS signe un album saillant, d’une mÊlancolie addictive. _Par Joseph Ghosn (www.gqmagazine.fr)

Les premières amours ne meurent jamais, elles ne font que se transformer, devenir autre chose. Toxic pourrait bien ĂŞtre une variation sur ce thème : premier amour de bande dessinĂŠe, premier amour d’adolescence, premier amour littĂŠraire. Ouverture virevoltante d’un nouveau cycle narratif, dĂŠcoupĂŠ en plusieurs parties, Toxic survient cinq ans après la fin de la sĂŠrie Black Hole, qui aura pris dix ans Ă Charles Burns, Ă raison d’un ĂŠpisode par an, puis d’un recueil d’ensemble formant un des plus beaux romans graphiques jamais lus. Black Hole parlait dĂŠjĂ d’adolescence et d’amours. il ĂŠtait empli des souvenirs de l’auteur, restituĂŠs dans un contexte mi-rĂŠaToxic de liste, mi-fantastique, avec des corps d’ados Charles Burns (CornĂŠlius) qui muent Ă cause d’une maladie sexuellement transmissible. La maladie est encore au cĹ“ur du rĂŠcit de Toxic, mais elle est plus mĂŠlancolique que physique. Le personnage qui en est affectĂŠ a l’air ĂŠtrangement perdu, les yeux vitreux, des poches sous le regard, comme s’il avait trop pleurĂŠ. son ĂŠtat de malade, couchĂŠ sur un lit oĂš s’entassent toutes sortes de fĂŠtiches, est l’axe central du livre, dĂŠroulant un rĂŠcit dĂŠstructurĂŠ, qui s’agence en forme de collage de souvenirs et de fantasmes. Burns, qui a lu HergĂŠ très tĂ´t, s’est souvenu de ce premier coup de foudre, OCTOBRE 2010

et a parsemĂŠ son livre de rĂŠfĂŠrences Ă Tintin (ici rĂŞvĂŠ avec une houppette noire corbeau). il s’est aussi souvenu de son adolescence au milieu de la scène punk californienne des annĂŠes 1970. il s’est enfin souvenu de l’un de ses auteurs prĂŠfĂŠrĂŠs, William Burroughs, auquel il emprunte les mĂŠthodes de collage littĂŠraire, de rencontres hasardeuses entre des bouts ĂŠpars de rĂŠcits ou d’images, formant Ă l’arrivĂŠe un ensemble ĂŠtrangement cohĂŠrent. C’est ainsi que dans Toxic on reconnaĂŽt des images furtives empruntĂŠes Ă Black Hole. Ce qui donne Ă ce prĂŠcĂŠdent livre un autre sens, une autre mesure. Mais pas besoin de lire Black Hole pour adorer Toxic. Bien au contraire:l’histoire narrĂŠe ici est d’une force presque supĂŠrieure, naviguant entre plusieurs niveaux de rĂŠalitĂŠ, plusieurs interprĂŠtations possibles. Hommage serrĂŠ au format des bandes dessinĂŠes d’HergĂŠ, dont il reprend jusqu’au dos toilĂŠ et Ă la pagination resserrĂŠe, Toxic est le livre le plus abouti de son auteur, qui le voit malmener ses obsessions, ses souvenirs et ses envies pour en tirer quelque chose de neuf, de saillant. Toxic ne se lit pas, il se relit plusieurs fois d’affilĂŠe, comme on reprendrait inlassablement d’une drogue, sans jamais comprendre pleinement ce qui nous attire en elle.

WWW.MK2.COM


105

LES AUTRES SORTIES L’ODYSSÉE DE SURVIE

APOCALYPSE NERD de Peter Bagge (Vertige Graphic) L’heure de gloire de Peter Bagge se situe dans les annĂŠes 1990, lorsqu’il chroniquait les annĂŠes grunge et sa ville, seattle, dans des rĂŠcits drĂ´les et personnels. Apocalypse Nerd met en scène un fantasme, celui d’une odyssĂŠe de survie, après une attaque nuclĂŠaire. Bagge y reprend Ă son compte les grandes lignes des films postapocalyptiques des seventies, histoire de voir jusqu’oĂš il peut mener ses personnages dans leur quĂŞte pour subsister dans un monde devenu trop sauvage pour eux. _Jo.Gh.

LA ChRONIQUE ADOLESCENTE GIRLS DON’T CRY de Nine Antico (GlĂŠnat) après deux beaux livres (Le GoĂťt du paradis et Coney Island Baby) et quelques fanzines gracieux, nine antico livre ici une sĂŠrie de confessions de jeunes filles, revenant sur un de ses thèmes implicites, la sexualitĂŠ des adolescentes. Mais elle le fait en adoptant un point de vue lĂŠger, rapide, fugace, pour construire son livre le plus accessible et le plus fĂŠminin, le plus pop aussi. Très dĂŠlectable. _Jo.Gh.

L’ALBUM JEUNESSE ADIEU CHAUSSETTE de Benjamin Chaud (Éditions HĂŠlium) Benjamin Chaud, après la fĂŠe Coquillette et Pomelo, nous offre un nouveau personnage : un petit garçon qui pour le moment n’a pour meilleur ami que son lapin buffle prĂŠnommĂŠ Chaussette. Pas terrible comme compagnon de jeu ! nul en foot, nul Ă la bagarre. alors notre petit bonhomme dĂŠcide d’abandonner Chaussette en pleine forĂŞt. Mais est-il vraiment prĂŞt Ă grandir ? Ă€ abandonner son doudou ? L’histoire nous le dira‌ Comme toujours avec Benjamin Chaud, un rĂŠcit tout en tendresse, mille dĂŠtails dans les dessins de la forĂŞt, des scènes plus intimistes, une atmosphère graphique singulière. Et on le dira encore haut et fort : cette poĂŠsie-lĂ , on adore. _Sophie Quetteville, libraire au MK2 Quai de Loire

OCTOBRE 2010


106 106 SEX TAPE /// L’INSTANT ÉROTIQUE

Š Wild Side

POrn TO BE ALIVE

CinĂŠaste chevronnĂŠ (Clerks, Dogma), Kevin smith livre en pâture l’Êtalon seth rogen (Zack) et la pouliche Elisabeth Banks (Miri), tous deux issus de l’Êcurie apatow. Copains comme cochons depuis le bac Ă sable, jamais Zack et Miri ne coucheront. unis dans la disette affective, ils partagent loyer, eau et ĂŠlectricitĂŠ. Tandis que Miri tente de rester fourmi, Zack s’assume cigale. Les affaires se corsent lorsque le mâle de la paire dĂŠpense ses derniers deniers dans un outil de pointe pour soulager son membre inutilisĂŠ. Le malheur s’abat alors sur la maisonnĂŠe. Pour rĂŠtablir le courant salutaire, Zack a une idĂŠe de gĂŠnie : Zack et Miri feront un porno. Mais le porno tombe Ă l’eau : Zack et Miri sont amoureux. _S.A. // Zack et Miri font un porno de Kevin Smith // Sortie en DVD le 5 octobre chez Wild Side VidĂŠo




Turn static files into dynamic content formats.

Create a flipbook
Issuu converts static files into: digital portfolios, online yearbooks, online catalogs, digital photo albums and more. Sign up and create your flipbook.