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« Pourquoi moi ? »

PROPOS RECUEILLIS PAR AVRAHAM AZOULAY

Avraham Azoulay : Aujourd’hui nous sommes le 16 juillet 2023, qu’évoque cette date pour vous ?

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Meira Barer : Le 16 juillet 1942, j’avais 9 mois et c’est à cette date qu’à eu lieu la rafle du Vel d’Hiv, qui a consisté en une opération très bien menée, et méditée très longtemps à l’avance par le gouvernement de Vichy. Leur objectif était de rafler tous les Juifs de Paris et la région parisienne. Précisons que déjà, en 1941, la préfecture avait publié une ordonnance qui sommait les Juifs de se présenter dans les commissariats de police, pour déclarer leur nom, leur nationalité, leur adresse, l’étage auquel ils habitaient, le nombre de personnes par appartement, si bien que le 16 juillet lorsque la police française est venue les arrêter, elle possédait déjà toutes ces informations.

A.A. : En quoi, alors qu’on avait à peine un an, la Rafle du Vel d’Hiv peut-elle bouleverser une vie ?

M.B. : En fait je n’ai évidemment pas de souvenirs personnels, et tout ce que j’ai appris à ce sujet et sur mon sort, je l’ai appris bien plus tard par ma sœur aînée, elle-même ayant été informée par notre mère.

A.A. : Où étaient votre sœur et votre frère à ce moment-là ?

M.B. : Ils étaient cachés à la campagne chez des paysans. En ce qui nous concerne, nous étions ma mère et moi seules à la maison ce jour-là. En effet une rumeur courait qu’ils allaient venir chercher chez eux des Juifs étrangers, et particulièrement d’Europe Centrale, comme nous. Mon père était persuadé, à tort, qu’ils n’embarqueraient que les hommes. Croyant cela, il a quitté l’appartement, nous laissant ma mère et moi seules. Ensuite, nous avons été emmenées soit directement au Vel d’Hiv dans des bus avec d’autres personnes, soit au commissariat.

A.A. : Est-ce que cet événement a eu un impact dans votre relation avec votre mère ?

M.B. : Ce n’est pas tant le fait que nous ayons été embarquées toutes les deux, mais plutôt de ce qui s’est passé au Vel d’Hiv même. C’est dans ce lieu qu’étaient organisées des courses à vélo d’une durée de six jours, une fois par an. Il y avait donc des pistes, et des gradins. C’était donc l’endroit idéal pour y entasser des êtres humains. On parle de 13000 personnes, hommes femmes, enfants, vieillards.

Les conditions d’hygiène étaient déplorables. Des toilettes bouchées donc inutilisables, des personnes malades, un bruit infernal, des cris de peur, des hurlements de bébés… certaines personnes désespérées se jetaient du haut des gradins. Je raconte tout cela dans mon livre…

A.A. : Qu’est-ce qui vous a motivé à écrire un livre sur ce sujet ?

M.B. : J’ai décidé d’écrire ce livre il y a un certain nombre d’années. J’ai fait mon Aliyah à l’âge de 55 ans après avoir vécu des événements importants en Israël pendant la guerre du Golfe, aux côtés de Sarel dans une base militaire. À ce moment-là, j’ai été profondément touchée et j’ai réalisé que ma place était en Israël. J’ai donc fait l’Aliyah en 1996. Quinze ans plus tard, j’ai décidé d’écrire ce livre pour laisser un témoignage de ce que j’ai vécu à mes petits-enfants.

A.A. : Comment expliquez-vous l’impact de ce livre ?

M.B. : Mon livre est sorti en France en juillet 2019, au moment de la commémoration de la Rafle du Vel d’Hiv. J’ai donné quelques interviews, mais la parution de mon livre a été rapidement suivie par la grande période du Corona, et toute la promotion s’est immobilisée. Ce qui est à mon avis tout à fait regrettable.

Depuis, je suis invitée à un certain nombre de conférences ou de présentations, notamment dernièrement à l’académie nationale des officiers de Police à Beit Shemesh, car mon livre a été traduit en hébreu.

A.A. : D’où vient ce regain d’intérêt ?

M.B. : Il se trouve qu’il reste très peu de rescapés, et maintenant en France et en Israël, on s’intéresse beaucoup aux enfants cachés pendant l’occupation. L’occasion m’est donc donnée régulièrement de raconter lors des réunions « zikaron’ basalon », qui ont lieu dans des appartements le jour de Yom HaZikaron. Je m’adresse à un public de francophones mais aussi en hébreu et en anglais à un public d’Israéliens.

Ce qui explique pourquoi j’ai décidé de publier mon livre en afin que les jeunes Israéliens sachent ce qui s’est passé à cette période en France.

A.A. : Que veut dire le titre : « Comme un tison sauvé du feu » ?

M.B. : J’ai mis dix ans à écrire ce livre, et je l’ai commencé après un cours auquel j’ai assisté, donné par le rav Disnovisz, en lien avec l’incendie du Carmel. Faisant référence au Tanah, et précisément au prophète Zacharie, il a prononcé ces mots, qui ont été une clé pour commencer à rédiger mes mémoires.

A.A. : On a toujours une appréhension en abordant un livre ou un film sur la Shoah, qu’il ait un impact négatif sur nous, qu’il soulève des émotions trop fortes. Qu’en est-il de votre livre ?

M.B. : C’est le contraire justement. Car j’ai toujours été une révoltée, et c’est ce qui nous a sauvé la vie, ma mère et moi. Si je n’avais pas « braillé » à ce point-là au commissariat, le gendarme ne serait pas intervenu, et ne nous aurait pas permis de sortir. La loi disait que les femmes enceintes et les mères d’enfants de moins de deux ans ne devaient pas être raflées. Ce gendarme, dans son humanité, était aussi couvert par la loi. Il a alors proposé à mon père de partir avec nous. Malheureusement celui-ci voulait veiller sur mes grands-parents, a refusé et à été finalement Par la suite, et pour cette raison - je l’ai compris beaucoup plus tardma mère m’a ensuite totalement

A.A. : Vous avez été contactée par un grand influenceur du Maroc. Pour quelle raison ?

C’est un projet qui a été initié l’année dernière par le ministère des Affaires étrangères israélien, auprès d’influenceurs du monde entier, pour aborder, à l’intention de leurs followers, le projet « Your story is my story ». Ce projet consistait à rencontrer une personne ayant vécu la Shoah. Ce jeune homme nommé Ahmin Léna, est un Marocain étudiant à Paris en sciences politiques. J’ai donc été le porte-parole de ce projet en Israël. Il a donc rapporté mon histoire, photos à l’appui, en français, en anglais et en arabe, sur différents sites d’information. En tant que sympathisant du monde juif, il a été attaqué de façon virulente en France, et plutôt par des Français que par des Arabes.

A.A. : Qu’est-ce qui vous motive à poursuivre ces démarches, rencontres, récits et témoignages ?

M.B. : Ce qui m’a poussé à écrire me pousse aujourd’hui à parler. Mon objectif en partageant mon histoire est de transmettre, de ne pas oublier, et de sensibiliser les gens à cette période sombre de l’histoire.

A.A. : Si vous pouviez formuler un vœu aujourd’hui, lequel serait-il ?

M.B. : J’aurais aimé savoir pourquoi D’ieu m’a infligé une telle expérience, et s’il m’a donné les épaules suffisamment larges pour y survivre et résister, savoir quelle est véritablement ma mission ?

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