En jeu, footballeuse à trente ans et alors

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invitée

Elle raconte son apprentissage tardif dans un roman

Yamina Benahmed Daho, à l’école du football féminin À trente ans, une enseignante de banlieue prend sa première licence de foot : une expérience dont Yamina Benahmed Daho a tiré une fiction, « Poule D », parue chez Gallimard.

Y

amina Benhamed Daho, l’héroïne de votre roman est professeure de français et débute le football à l’âge de 32 ans dans une équipe de district du Val-de-Marne : y a-t-il là une grande part d’autobiographie ? Oui : j’enseigne en effet dans un collège de Seine-SaintDenis et j’ai attendu trente ans passés pour prendre une licence dans un club de football, après n’avoir pratiqué que des sports individuels : gymnastique ou natation, sans aucun enjeu compétitif. Comme je l’écris, je ne savais rien faire avec mes pieds mais j’aime depuis toujours ce sport resté longtemps réservé aux garçons. Ceci posé, c’est une œuvre de fiction, bien que je me sois largement inspirée de cette expérience d’une année. L’idée n’était-elle pas aussi de souligner la persistance de certaines représentations à l’égard du sport féminin ? Surtout lorsque l’on sait que vous avez participé à un ouvrage intitulé « 14 femmes, pour un

UNE PROF AMATRICE DE BALLON ROND Enseignante dans un collège de région parisienne, Yamina Benahmed Daho signe avec Poule D un court roman qui, tout en se voulant une œuvre de fiction au style vif et au ton léger, témoigne du quotidien d’une équipe féminine du « foot d’en bas ». Or si le sujet a pu inspirer des ouvrages de caractère sociologique, voire politiquement engagés, c’est l’une des premières fois que cet univers – ce microcosme – est approché sous l’angle de la littérature. Auparavant, Yamina Benahmed Daho a participé à plusieurs ouvrages collectifs, dont La Politique par le sport (Denoël, 2009) et Femmes et sport (Hélium, 2009). Son penchant avéré pour le ballon rond s’exprime aussi de manière très originale dans Rien de plus précieux que le repos (Hélium, 2011). Si ce roman jeunesse sur l’esclavage et

féminisme pragmatique », y signant notamment un portrait de l’arbitre Nelly Viennot (1)… Mais ce n’était pas le but ! Ce roman raconte avant tout une expérience d’apprentissage, en jouant sur l’aspect comique des situations. Une dimension qui, à mes yeux, est symbolisée par le personnage dont j’ai fait mon double, enseignante le jour dans son collège et élève le soir, à l’entraînement. La narratrice et ses coéquipières manquent en effet cruellement de technique individuelle et de culture tactique… Nous partions quasiment de zéro et notre apprentissage du football s’apparentait à celui d’un enfant qui apprend à lire et à écrire en commençant par reconnaître les lettres, puis les syllabes et les mots avant de faire une phrase. Tout en refusant que l’on fasse une lecture féministe de votre roman, vous consacrez un chapitre à l’évocation d’une équipe britannique qui, à la charnière des années 1910-1920, fut une pionnière du football féminin… The Dick Kerr’s Ladies Football Club est né en 1917 en Angleterre, dans une entreprise ferroviaire reconvertie dans la production de munitions : les ouvriers partis à la guerre, ils avaient été remplacés par des femmes. Les activités sportives étant encouragées pour entretenir le moral dans les usines, les deux associés de l’entreprise Dick, Kerr and Co eurent l’idée de former une équipe de football féminin qui connut un certain succès, jusqu’à ce que la Football Association ne mette fin à l’expérience. Ce qui m’intéressait, c’était la comparaison avec notre Racing Féminin Football Club, qui lui aussi était dirigé par deux hommes. Je trouvais aussi drôle et significatif de rappeler qu’au début les entraînements se limitaient à des exercices tels que le saute-mouton, avant que les Dick Kerr’s Ladies ne se révèlent peu à peu de grandes sportives et compétitrices.

la formation d’un collectif a pour cadre une plantation du sud des États-Unis pendant la guerre de Sécession, il met en scène un jeu appelé « chouball » où le cuir est avantageusement remplacé par un légume potager… ●

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Dans Poule D, vous pointez aussi la drague lourde de l’entraîneur, la difficulté de trouver des créneaux horaires et la relégation sur des terrains de seconde zone…


Catherine Hélie / Gallimard

Parce que c’est la réalité. Lorsqu’un homme se retrouve au milieu d’une équipe de filles, tôt ou tard, des rapports de séduction s’établissent : ça fait partie du jeu. C’est raconté de manière légère, pas pour dénoncer ou condamner. Ensuite, s’agissant de la pénurie de terrains ou de moyens, c’est documentaire, réaliste, mais encore une fois traité sur un registre comique. Même s’il est vrai que ça ne facilite pas les progrès. Tout comme le manque de moyens dans un collège en Zep... Cela vient aussi rappeler que, même si le football féminin se développe, il évolue dans un système masculin… Bien sûr. Culturellement, le sport en général, et le football en particulier, est un univers masculin, à tous les échelons. Il y a très peu de femmes entraîneurs, présidentes ou arbitres. Et, à la Fifa, on ne trouve que des hommes. Justement, quelle était la motivation de ceux qui ont créé le club féminin où vous avez évolué ? Pour l’un, c’était avant tout le plaisir d’avoir un investissement associatif. Et, pour l’autre, sans doute le sentiment d’être plus utile en apprenant à des femmes à jouer au football qu’en encadrant une équipe de garçons. Probablement parce que nous étions un public nouveau, avec une grande marge de progression… L’expérience s’est toutefois terminée pour vous de manière un peu abrupte, à la suite de dissensions internes au club. Est-ce cet épisode qui vous a décidé à la raconter sous forme de fiction, ou aviez-vous dès le départ l’idée d’en faire un livre ? L’écriture du livre a débuté dès les premiers matchs dans la mesure où un ami journaliste m’a demandé de tenir un blog afin d’alimenter le site internet sur le football dont il était rédacteur en chef et qui, depuis, a disparu. À la fin de la saison, je me suis retrouvée avec une vingtaine de textes, qui m’ont servi d’archives. C’est ainsi que le projet de roman est né. Au détour d’un paragraphe, vous rappelez que la différence de salaire entre la suédoise Lotta Schelin, avant-centre vedette de l’Olympique lyonnais, et le meneur de jeu de l’équipe masculine, Yoann Gourcuff, est de un à trente… Je glisse cela en passant, sans m’étendre sur les raisons d’un tel fossé, lesquelles sont essentiellement économiques. Sponsors, droits télés, le foot féminin n’est pas encore investi par tout ça, et il est permis de se réjouir que Lotta Schelin ne gagne pas autant que Yoann Gourcuff… D’ailleurs, si les joueurs étaient payés comme elle, ce serait à mon sens amplement suffisant. À l’inverse, la narratrice évoque un souvenir remontant à son premier poste dans un collège du Loiret : des adolescentes étaient parties jouer un quart de finale UNSS, accompagnées par un garçon. Vous écrivez : « Les filles n’occupent pas les tribunes, elles vont chausser les crampons, fouler la pelouse, former un collectif et c’est un garçon qui s’en va les arbitrer et les supporter. » Est-ce là le signe que les choses bougent… Absolument. Quelques pages plus tôt, je raconte avoir été

moi-même élève dans une classe sport-études football, mais seulement pour les garçons… C’est pourquoi cela m’a tant réjouie de voir que cette fois les choses étaient inversées : il s’agissait d’une section féminine, et en plus c’est un garçon qui allait les encourager. Que ce garçon se réjouisse d’accompagner les filles m’avait beaucoup émue. Voyez-vous évoluer les représentations depuis votre collège ? Par exemple, les filles s’approprient-elles davantage le football qu’avant ? Franchement, je ne sais pas si les adolescentes s’approprient le foot, et l’intérêt pour le sport n’est pas ce qui domine dans mon collège. En revanche, je compte parmi mes élèves une jeune fille, aujourd’hui en 4e, dont l’avenir est très prometteur et qui cherche à intégrer le centre de formation du Paris-Saint-Germain. Le fait est qu’aujourd’hui les filles ont la possibilité de jouer au football dès leur plus jeune âge, et le droit de rêver d’en faire leur métier.

Yamina Benahmed Daho : « Ce roman raconte avant tout une expérience d’apprentissage, en jouant sur l’aspect comique des situations. »

Et vous-même, tapez-vous encore de temps en temps dans le ballon ? Pas souvent. À Paris, ce n’est pas aussi facile qu’à la campagne (j’ai grandi à Fontenay-le-Comte, en Vendée) de trouver un endroit où jouer de manière improvisée. Avec les collègues, il arrive bien qu’on se fasse deux ou trois passes quand un ballon traîne, mais ça ne va pas plus loin… En revanche, l’été dernier j’ai suivi tous les matchs de la Coupe du monde, qui m’a enthousiasmée, et je ne manque pas une rencontre de Ligue des champions. En fait, j’ai retrouvé ma place de spectatrice. Propos recueillis par Philippe Brenot (1) Ouvrage collectif paru en 2007 aux éditions Gallimard. Les autres auteures étaient Gaëlle Bantegnie, Joy Sorman et Stéphanie Vincent.

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Poule D, L’Arbalète-Gallimard, 128 pages, 15,90 €.

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