En jeu, le sport scolaire doit il être caritatif

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dossier

Aller jusqu’au bout de son effort, pour soi mais aussi pour les autres… Cross solidaire de l’Usep Bretagne, 2008.

Le sport scolaire doit-il être caritatif ? À l’image de stars du foot ou du judo devenues des « pros » du caritatif, de nombreux élèves des écoles participent à des actions solidaires, en particulier au sein d’associations Usep. Cette initiation à la solidarité fait-elle partie des missions du sport scolaire ? Elle peut, mais à certaines conditions. Novembre 2011

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Du club à l’association d’école

La solidarité, pas la charité Parce que la mission de l’école est aussi de former des citoyens et que le sport porte des valeurs de solidarité, les associations Usep sont invitées à soutenir de multiples causes. Avec discernement.

L

Yves Forestier / Deadline Photo Press et Pascal Potier / Visual Press Agency

es années 80 et 90 ont vu naître et s’amplifier le phénomène du charity business : des vedettes de la chanson et des groupes de rock organisant d’immenses concerts et vendant des millions de disques au profit de causes humanitaires. Puis, au fil des ans, des sportifs connus ont commencé eux aussi à mettre leur notoriété au service d’actions solidaires. Comme Zidane s’engageant aux côtés d’Ela, l’Association européenne de lutte contre les leucodystrophies, ou David Douillet parrainant pendant plusieurs années l’opération « Pièces jaunes » au profit des enfants hospitalisés. Ou encore Nadal et Federer, participant régulièrement à des matchs de bienfaisance (1). « Cette implication de plus en plus fréquente de sportifs dans des actions caritatives et humanitaires date du début des années 2000 » note Dominique Charrier, maître de conférences en Staps à l’université Paris-Sud, qui s’est intéressé de près au phénomène et a tenté

d’en comprendre les causes. Car que vient faire au juste le sport dans cet univers de la charité ? « Les motivations qui poussent les sportifs à de tels engagements solidaires sont de toutes sortes. Quand la fondation du PSG intervient dans des zones urbaines dites sensibles, on est clairement dans une stratégie de communication pour ce grand club de foot. On peut aussi évoquer un processus que j’appellerai de revanche de l’éthique sportive : mis à mal par des affaires de dopage, de violence, de corruption, le système sportif cherche à retrouver une image plus juste à travers le caritatif. N’oublions pas non plus les parcours individuels : tel sportif de haut niveau peut être touché personnellement par une cause, sensible à une maladie du fait de sa propre histoire » souligne Dominique Charrier. Autre élément sur lequel l’enseignant-chercheur souhaite attirer l’attention : cette « compassion » ne touche pas seulement les champions, loin de là ! « Bien d’autres acteurs

David Douillet, Zinedine Zidane : deux champions qui se sont engagés en prêtant leur image.

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du monde sportif ont également fait ce choix solidaire. Des organisations non gouvernementales comme Sport sans frontières (2) ou Athlètes du monde. Des fédérations comme la FSGT, qui s’engage pour la paix et la nonviolence en Palestine. Et surtout nombre de dirigeants de club convaincus des vertus éducatives du sport. » Parce qu’elles appartiennent à une fédération affinitaire qui se revendique de valeurs humanistes, les associations l’Ufolep sont particulièrement sensibles à ces différentes causes. Rien que parmi les clubs cyclistes, on peut citer l’exemple de Cap Cyclo Sport (Val-d’Oise), qui envoie des vélos au Mali, ou du Cyclo-Club de Roche-la-Molière (Loire), dont la « Course du cœur » a récemment permis de financer l’achat d’un défibrillateur. Quant au club de Lardenne (Haute-Garonne), il organise chaque année un brevet de randonneur sportif au profit de la recherche contre l’épilepsie, avec pour marraine l’ancienne championne Marion Clignet, elle-même épileptique… LES SCOLAIRES SOLLICITÉS Parmi tous ces anonymes, les scolaires ne sont pas les derniers à user leurs baskets ou mouiller le tee-shirt pour aider les plus démunis, les malades ou les personnes souffrant de handicap. Ainsi, chaque année depuis bientôt quinze ans, plus de 200 000 collégiens en France et aussi à l’étranger prennent le départ de la Course contre la faim. À travers cette initiative, l’association Action contre la Faim veut sensibiliser les jeunes au problème de la faim dans le monde et récolter des fonds. Le principe ? Chaque élève se fait sponsoriser par sa famille, ses amis ou les commerçants de son quartier. La somme promise par chacun des « sponsors » est multipliée par le nombre de kilomètres parcourus par le jeune sportif le jour de la course. « Ma fille, qui est maintenant lycéenne, a participé à cette course durant toutes ses années de collège. Je trouvais le prin-


ELA

Le sport scolaire doit-il être caritatif ?

L’Association européenne contre les leucodystrophies invite les enfants à payer de leur personne.

cipe très intéressant. Il lui fallait d’abord aller démarcher les gens, donc expliquer la cause pour laquelle elle allait courir, ce qui supposait qu’elle y ait réfléchi et qu’elle ait des arguments solides. Ensuite, elle devait s’impliquer physiquement, donner vraiment d’elle-même. Et surtout, respecter un contrat : courir la distance qu’elle s’était engagée à parcourir. Ça me semble beaucoup plus éducatif par exemple que d’amasser des pièces dans une tirelire en carton ! » confie Isabelle, mère de Margaux, 16 ans, à Cabriès dans les Bouches-du-Rhône. Chez les plus jeunes de l’école primaire, les projets solidaires sont particulièrement nombreux, et parfois menés sous l’égide ou avec l’aval des comités Usep. Un exemple parmi d’autres : la « Virade de l’espoir » à laquelle 200 enfants de l’Usep de la Loire ont participé en septembre 2010. « Le but était de sensibiliser les enfants à la mucoviscidose. Tout un travail d’information sur cette maladie et sur le souffle a été fait en amont dans les classes grâce à différents intervenants, notamment des infirmières scolaires. En parallèle, nous avons préparé tous les enfants, de la moyenne section au CM2, à la course longue. Le jour J, ils ont assisté le matin à des ateliers sur l’importance du souffle et de la qualité de l’air dans la vie quotidienne, et couru l’après-midi » explique le délégué Usep Patrick Lablanche.

« À travers cet événement, notre but était de sensibiliser les enfants et leurs familles, de les rendre plus réceptifs au sort des personnes atteintes par cette maladie et qui vivent en situation de handicap. Car la mission de l’école, c’est aussi d’apprendre aux élèves à ouvrir les yeux, à observer le monde autour d’eux et essayer de le rendre meilleur, au moins à leur niveau » estime Édith Thelisson, professeur des écoles et l’une des deux animatrices Usep à l’origine du projet. L’ARGENT TABOU ? Le directeur national de l’Usep, Christian Marchal, voit dans cet état d’esprit l’affirmation d’un choix de société. « La finalité de l’Usep, dans le prolongement de l’action de l’école, est de former à terme des citoyens autonomes, responsables, capables de construire une société où le vivre ensemble ne sera pas un vain mot, et où de grands acquis solidaires comme la Sécurité sociale ou les retraites par répartition seront préservés », insiste-t-il. Et de poursuivre : « À travers ces différents projets solidaires, le but n’est donc pas de se donner bonne conscience sur le moment mais de s’inscrire dans la durée, de faire comprendre aux enfants que la détresse n’est pas une fatalité, qu’elle peut être réversible et qu’on peut agir pour cela. On n’est pas solidaire parce qu’on a

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donné une bonne fois pour toutes mais parce qu’on s’engage pour que le monde change ! » Reste une question cruciale : faut-il solliciter des dons en argent ? À l’occasion des Virades de l’espoir, l’Usep de la Loire y a répondu à sa façon. « Nous n’avons pas souhaité organiser nous-mêmes de récolte de fonds. Cela n’est pas notre mission dans le temps scolaire, temps durant lequel les enfants sont en quelque sorte un “public captif”. Nous avons considéré que nous ne pouvions pas les obliger à une participation financière liée à la pratique sportive, même si c’est le principe de la Virade. Nous avons donc laissé l’association de parents, les enseignants et l’association Vaincre la mucoviscidose, notre partenaire sur ce projet, s’en charger. À l’école, l’Usep se doit de rester dans les champs du sport et de l’action citoyenne ; audelà, elle sort de son territoire » résume Patrick Lablanche au nom du comité départemental. L’Usep de l’Essonne s’est posé exactement la même question : faut-il solliciter les enfants au-delà de l’effort physique qu’ils consentent, et leur demander en plus de l’argent ? Depuis plusieurs années, ce comité organise en effet au mois d’octobre deux journées de sensibilisation à la solidarité internationale : lors d’un parcours d’orientation, les élèves découvrent des informations sur le problème de l’eau dans le monde, assistent à la présentation d’initia-

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AFM/Christophe Hargoues

Jeunes judokas entourant un joueur de basket-fauteuil à la Ciotat pendant le Téléthon 2009.

COLLECTES DANS L’ÉCOLE PUBLIQUE : UNE LONGUE HISTOIRE Chaque hiver depuis 1925, les petits écoliers de

En 65 ans d’existence, cette campagne créée en

France vendent à leur entourage ou dans la rue les

1946 a beaucoup évolué. « À l’origine, il s’agissait

fameux « timbres du souffle », afin de recueillir

de collecter des dons de la part des enfants des

des fonds pour lutter contre les maladies respi-

écoles pour donner à d’autres enfants en diffi-

ratoires. Cette campagne intitulée « Le souffle

culté, en France. Puis les services sociaux se sont

c’est la vie » est autorisée par le ministère de

structurés et cette collecte a peu à peu perdu de

l’Éducation nationale et orchestrée par le Comité

sa pertinence. Il y a 12 ans, elle a donc été redé-

national contre les maladies respiratoires et la

finie en direction de la solidarité internationale :

tuberculose. Et si dans notre pays la tuberculose

désormais, les fonds recueillis servent à soutenir

n’est plus une priorité absolue comme ce fut le

des projets d’amélioration scolaire – construc-

cas au lendemain de la Première Guerre mondiale, d’autres

tions d’écoles, de bibliothèques, de latrines, de logements pour

maladies respiratoires restent à prendre en charge comme

les enseignants – dans des pays en voie de développement »,

l’asthme ou les bronchites chroniques.

explique David Lopez, en charge de la campagne au sein du

Aux côtés de cette « doyenne », il existe d’autres campagnes de

secteur international de la Ligue de l’enseignement. Et de pré-

collecte de dons, elles aussi reconnues par le ministère et se

ciser : « Nous sommes soucieux d’éviter tout misérabilisme. Cette

déroulant au sein de l’école publique. Celle de Jeunesse au plein

campagne ne doit pas se limiter à un appel de dons mais doit

air, née en 1947 pour offrir loisirs et vacances aux enfants qui

être l’occasion pour les enseignants de mener une réflexion avec

n’en bénéficient pas, demeure tout à fait d’actualité puisqu’en

les élèves autour de questions essentielles : pourquoi existe-t-il

21e

siècle, deux millions d’enfants ne quittent

des pays pauvres ? pourquoi certains enfants ne vont-ils pas à

jamais leur lieu de vie quotidien. C’est aussi le cas de « Pas

l’école ? » Alors que la plupart des actions de solidarité portent

d’éducation, pas d’avenir », ancienne « Quinzaine de l’école

sur la maladie, le handicap ou les catastrophes naturelles, s’in-

publique », animée par la Ligue de l’enseignement.

téresser à l’éducation constitue une originalité certaine ! ● I.G.

ce début de

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Le sport scolaire doit-il être caritatif ? tives de solidarité en Afrique ou en Amérique latine par des associations comme Éthiquable, France Volontaires ou l’Office central de la coopération à l’école (OCCE). Chaque année, un projet particulier est mis en œuvre : en 2011, ce sera la construction d’un stade au Maroc. « Et, comme chaque année, un débat, parfois très animé, a eu lieu dans nos rangs ! » confie Michel Petit, délégué Usep de l’Essonne, avant de préciser les termes de la discussion : « Nous ne mettons pas tous la même chose derrière cette belle idée de solidarité. Certains estiment que le rôle de l’Usep doit se limiter à sensibiliser les enfants à la solidarité, à les éveiller au sentiment solidaire. À eux ensuite de trouver par leurs propres moyens les causes pour lesquelles ils souhaitent s’engager. D’autres au contraire pensent que l’on peut inciter les enfants à aller plus loin pour agir concrètement, en donnant de l’argent ou des objets. Cette année, nous avons finalement tranché : il n’y aura pas d’argent collecté pour la construction du stade, mais les enfants qui le souhaitent pourront donner du matériel sportif, par exemple des ballons. » PENSER L’ACTION

Ce risque de faire apparaître un don comme une aumône d’enfants riches à d’autres plus pauvres, le « Cross de la solidarité » organisé depuis six ans par l’Usep de Bretagne l’a pris en compte. Mais, dans les faits ces notions de nantis et de démunis s’effacent le temps d’une course. « Parallèlement à leur participation à la course, les enfants qui le veulent peuvent donner des livres qui seront ensuite redistribués par le Secours populaire. Or, parmi nos élèves, beaucoup sont issus de milieux peu favorisés. Il est intéressant qu’à cette occasion ils ne soient pas les destinataires de la solidarité mais les auteurs, à égalité avec les autres » observe Jean-Philippe Le Guillou, professeur des écoles au Faouët (Morbihan) et animateur Usep. Après la liberté et la fraternité évoquées plus haut, voici donc l’égalité, dernière valeur d’un triptyque républicain qui, au final, résume bien le sens de la solidarité que le sport scolaire souhaite transmettre. ● Isabelle Gravillon

(1) Il existe aussi une tradition des matchs de bienfaisance dans le football, comme ceux du Variétés Club de France ou de l’association France 98. On notera d’ailleurs que le parrain de l’édition 2011 de l’opération « Pièces jaunes » n’était autre que l’ancien champion du monde Christian Karambeu. Rappelons enfin qu’une rencontre France-Japon de judo était organisée le 23 septembre à Bercy au profit des sinistrés de Fukushima. (2) Sport sans frontières a lancé fin septembre un label « Club solidaire » afin d’encourager, de valoriser et d’accompagner les pratiques sociales et solidaires des clubs sportifs français. Ce label sera attribué aux clubs amateurs et professionnels de tout sport s’engageant à respecter une charte éthique et des engagements concrets. Parrainée par Nikola Karabatic, cette initiative bénéficie du soutien du ministère des Sports, de l’Équipe, RMC et de la Fondation RATP. (www.club-solidaire.org ou www.sportsansfrontieres.org)

Éric Avenel

Malgré tout, n’y a-t-il pas un risque d’éparpillement, d’engagement sur des projets pas toujours en accord parfait avec les valeurs de l’Usep ? « Ce risque existe, et c’est pourquoi nous devons nous emparer de ce débat au niveau national : l’action de terrain ne doit pas se faire au détriment d’une réflexion plus large. Il nous faut mettre au point une doctrine qui permette de poser la bonne question face à chaque projet solidaire qui se présente : en participant à ce cross du cœur ou à cette course de la solidarité, allons-nous fondamentalement œuvrer à

l’émancipation des enfants ou simplement nous donner bonne conscience ? L’Usep doit être en capacité de dire oui, mais aussi non. Ça s’appelle être libre ! » conclut Christian Marchal. Pour sa part, le comité de l’Essonne a parfois préféré dire non. « Il avait été un temps envisagé de se rapprocher du Lions Club, qui aurait pu apporter des fonds proportionnellement aux kilomètres parcourus par les enfants pour financer le projet de stade au Maroc. L’idée a finalement été rejetée au motif que l’Usep était philosophiquement trop éloignée de cette association » explique Michel Petit. Quant au comité Usep de l’Allier, il a trouvé un moyen imparable de garder le cap : tout projet solidaire doit donner la priorité au sport. En 2008, ce comité a notamment organisé l’opération « Je cours pour ma santé, je cours pour le Mali ». « Notre objectif premier était de promouvoir l’endurance, dans la perspective de protéger sa santé. Et pour motiver les enfants, nous avons adjoint un projet de solidarité en faveur du Mali. Le comité directeur a débloqué une somme fixe de 500 € pour ce projet afin d’éviter toute collecte de dons et toute surenchère » détaille Michel Lacroix, président de l’Usep de l’Allier. Les élèves des écoles participantes ont couru au total 13 435 km, objectif atteint, et les 500 € ainsi gagnés à la force du mollet ont servi à acheter pour moitié du matériel sportif et pour moitié du matériel scolaire. Le tout a été acheminé dans une école malienne par un étudiant qui a aussi servi de facteur, rapportant aux enfants français des lettres et des photos des écoliers maliens. « Loin de toute pitié ou de toute condescendance, on est là dans cette fraternité inscrite au fronton des écoles », commente Christian Marchal.

La Course contre la faim d’ACF mobilise chaque année 200 000 collégiens.

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Franck Ferville

ÉLOGE DE L’EMPATHIE Serge Tisseron, psychanalyste, est l’auteur

action, me permet de percevoir s’il a oui ou non envie de cela, quelles

de « L’empathie au cœur du jeu social »

sont ses vraies attentes à mon égard. De plus, l’empathie laisse la porte

(Albin Michel).

ouverte à une possible réciprocité : je l’ai aidé dans un domaine, mais peut-être va-t-il pouvoir m’aider dans un autre. Quand on donne de

Qu’est-ce que l’empathie ?

l’argent lors du Téléthon ou d’une autre manifestation caritative,

« Cette notion comporte plusieurs niveaux. À

cette dimension empathique n’est malheureusement pas toujours

un premier stade, l’empathie est la capacité

présente… Parfois, sans même en être conscient, on se contente de

de se mettre à la place d’autrui et de ressentir

blanchir sa conscience par ce geste mais on n’est pas dans une réelle

ce qu’il éprouve, aussi bien pour s’attrister que se réjouir avec lui. On

curiosité vis-à-vis des personnes pour qui l’on donne – malades,

parle alors d’empathie affective : elle s’installe très tôt chez le petit

handicapés, démunis, etc. –, pas dans une vraie relation empathique,

enfant, vers 8 ou 10 mois. Vient ensuite, vers 5 ou 6 ans, l’empathie

à l’écoute de leurs désirs et de ce qu’elles pourraient nous apporter.

cognitive : non seulement je perçois les émotions d’autrui, mais je comprends la façon dont il se représente le monde. Je ressens que cet enfant est malheureux et je sais pourquoi, par exemple parce qu’il n’a pas beaucoup de jouets. Mais l’empathie va beaucoup plus loin que cela. Elle suppose que je reconnaisse à l’autre cette capacité à se mettre lui aussi à ma place. Et surtout à m’apprendre des choses sur moi que j’ignore, à m’éclairer sur des facettes de mon intimité. Il n’existe point d’empathie sans cette réciprocité. »

Les enfants peuvent-ils être éduqués à l’empathie ? « Comme tous les êtres humains, les enfants possèdent naturellement la première strate de l’empathie : percevoir les émotions de l’autre et comprendre comment il voit le monde. En revanche, il est essentiel de les éduquer au fait d’accepter que l’autre puisse se mettre à leur place et être une source d’information sur eux-mêmes car c’est beaucoup moins évident pour eux. Cela les aidera à s’inscrire dans des relations de solidarité réciproque et à se garder de la solidarité verticale, qui

L’empathie est-elle un préalable nécessaire à la solidarité ?

comporte forcément une dimension de pouvoir et d’emprise. Pour

« Oui, car l’empathie permet de penser la solidarité, d’éviter qu’elle ne

les aider à cette prise de conscience, on peut notamment leur faire

s’exerce dans une seule dimension verticale sur le mode “Je suis plus

pratiquer des jeux de rôles. Dans des saynètes à trois personnages –

riche que toi, mieux loti, donc je te donne à toi qui est pauvre et néces-

l’agresseur, la victime et le sauveur – on leur demande par exemple

siteux”. L’empathie me rend réceptif à ce que l’autre pense de mon

de jouer successivement les trois rôles. » ● Propos recueillis par I.G.

L’USEP VEUT SENSIBILISER LES ENFANTS AU HANDICAP d’anglais et tétraplégique, a couvert les 42,195 km du marathon de Paris en 4h09,

alors qu’il ne peut bouger que trois doigts, il

Archives En Jeu

Le 10 avril 2011, Olivier Morel, enseignant

a montré comment fonctionnait le logiciel de reconnaissance vocale qui permet d’ins-

poussé et tracté dans son fauteuil par deux

crire ses paroles au tableau. Cette approche

de ses cousins. Une opération baptisée « Roll

pragmatique et cette « alliance » pour relever

and Move » à laquelle ont participé plusieurs

ensemble un grand défi ont sans doute été

associations Usep et plus particulièrement celle de l’école Françoise Dolto d’Échirolles,

Rencontre Usep dans la Loire.

plus instructives qu’un long discours sur le respect de la différence… « Il ne suffit pas

près de Grenoble. Olivier Morel est venu régulièrement rendre

de mettre côte à côte un enfant valide et un enfant handicapé

visite aux élèves avant le marathon pour leur parler de son pro-

pour faire évoluer les mentalités. Il faut les mettre en situation de

jet mais aussi de sa vie quotidienne. « Ces échanges très directs,

faire ensemble, et plus particulièrement du sport, pour que chacun

sans tabou, où toutes les questions ont pu être posées, ont permis

touche du doigt les limites et difficultés de l’autre, mais aussi ses

d’aller au-delà de la simple compassion et d’initier une vraie

atouts. Voilà pourquoi nous nous battons pour permettre l’accès

compréhension du handicap » explique Jean-Charles Reynaud,

au sport scolaire à tous les enfants, sans distinction d’aucune sorte

délégué Usep de l’Isère. Olivier Morel a notamment expliqué

souligne Jacques Giffard, secrétaire général de l’Usep, chargé

aux enfants que même sans courir, sa participation au marathon

du dossier handicap. Le but est qu’en partageant des activités

représentait pour lui un vrai défi sportif et physique, du simple

sportives avec des copains sourds, aveugles, en chaise roulante ou

fait de rester quatre heures sanglé dans son fauteuil. Face aux

souffrant de déficiences psychologiques ou mentales les enfants

interrogations sur la façon dont il exerce son métier d’enseignant

portent un regard sans a priori sur le handicap. » ● I.G.

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Le sport scolaire doit-il être caritatif ?

« Qu’est-ce que la solidarité ? » Enseignant et essayiste, spécialiste de la laïcité et militant du Parti de Gauche, Henri Pena-Ruiz vient de publier « Qu’est-ce que la solidarité ? ». éditions Abeille et Castor

Certes, dans la nature ne survivent que les individus les plus aptes. Mais l’homme a heureusement la faculté de corriger la nature par la culture : un bébé humain qui naît avant terme ne meurt pas, une couveuse lui permet de parachever sa maturation. Balayer la solidarité d’un revers de main au motif que l’homme serait naturellement concurrentiel n’a aucun fondement sérieux, ce n’est qu’idéologie. On n’a pas le droit de prétendre que les sociétés humaines reposent naturellement sur le désir de compétition. Voilà pourquoi je dénonce l’ultralibéralisme qui érige en règle universelle la concurrence totalement libre et non faussée. Henri Pena-Ruiz.

Henri Pena-Ruiz, à la question « Qu’est-ce que la solidarité ? », vous répondez par une citation de Victor Hugo : « Le cœur qui pense ». Pouvez-vous expliciter cette définition ? Pour définir la solidarité, il suffit de penser au mot « solide », qui vient du latin « solidus ». Est solide un corps qui ne se brise pas parce que constitué de parties liées entre elles. Lorsqu’on applique ce concept à un groupe humain, on désigne un type de relations telles que chaque personne est liée à toutes les autres et ne peut rester indifférente à ce qui leur arrive. Si un homme meurt de faim, les autres hommes qui vivent à côté de lui ne peuvent se désintéresser de son sort. La solidarité est garante de la cohésion sociale, elle rend une société plus forte. Je cite souvent la devise des Trois Mousquetaires : « Un pour tous, tous pour un ». Elle représente assez bien l’idéal de la solidarité, appliqué non plus à l’ardeur combative mais à l’aventure collective de l’existence humaine. Que répondez-vous à ceux qui taxent d’utopie cette idée d’une société solidaire et objectent que l’humain est avant tout mû par la recherche de son intérêt personnel et la compétition ? Je leur réponds qu’ils sont des sauvages et confondent l’être humain avec l’animal !

En quoi la solidarité se distingue-t-elle de la charité ? Je ne méprise pas du tout la charité mais je lui préfère de beaucoup la solidarité qui comporte une dimension militante et véhicule avec elle la volonté de faire évoluer la société. Prenons l’exemple d’un SDF grelottant l’hiver dans la rue. Lui faire la charité consiste à l’aider de manière ponctuelle, le soulager sur le moment. Etre solidaire avec lui suppose qu’après lui être venu en aide, on s’interroge sur la manière de faire que cela ne se reproduise plus. On ne se contente pas d’une conscience ponctuelle de la détresse que vit un autre être humain, mais on passe à un diagnostic de notre société. Et puis dans l’idée de solidarité, il y a celle de réciprocité, sinon réelle du moins virtuelle : ce qui t’arrive aujourd’hui peut très bien m’arriver à moi demain. Dans la charité au contraire, quelle que soit la pureté des intentions de ceux qui la pratiquent, il y a toujours plus ou moins l’idée d’un don unilatéral. La solidarité, elle, est fondamentalement liée à l’égalité. Quel regard portez-vous sur les grandes manifestations caritatives comme le Téléthon ou les concerts pour les Restos du Cœur ? Je suis très gêné par le fait que l’État se dessaisisse de certaines de ses missions fondamentales, comme assurer la justice sociale ou financer la recherche médicale, et compte sur la solidarité ou la charité publique pour le suppléer. Il est honteux que l’État joue

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ainsi sur le bon cœur des citoyens ! Quels que soient les mérites de la solidarité, jamais elle ne pourra se substituer aux responsabilités de l’État : ce n’est pas son rôle et cela ne doit pas l’être. Bien entendu, cela ne disqualifie pas les personnes qui, en attendant que l’État prenne ses responsabilités, organisent la solidarité autour de ceux qui ont besoin d’être secourus. De nombreuses manifestations sportives affichent un but solidaire, récoltent des fonds pour une cause. Cela vous surprend-il ? Non pas du tout car le sport, dans son éthique, sa déontologie, inclut cette dimension solidaire. Qu’est-ce qui fait une belle équipe ? Des gens qui ont envie de jouer et gagner ensemble. Pas la juxtaposition d’ego surdimensionnés jouant « perso » ! Oui, le sport peut être solidaire mais pas n’importe quel sport… Il y a un choix à faire entre une version capitaliste et égoïste du sport, pourri par des salaires faramineux, et une version exemplaire du sport tel qu’il a notamment été promu à l’époque du Front Populaire. Le sport scolaire peut-il être solidaire ? J’en suis convaincu, cela me semble même parfaitement cohérent. Parce que le sport scolaire se déployant au sein de l’école laïque et républicaine œuvre justement pour démocratiser la pratique sportive, la rendre accessible aux enfants de toutes les classes sociales, cela peut constituer un juste retour des choses que ces mêmes jeunes se mettent au service de missions solidaires ! ● Recueilli par I.G.

Qu’est-ce que la solidarité ?, (un cœur qui pense), éditions Abeille et Castor, 280 p., 16 €.

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