LES CONDITIONS SOCIALES D'ÉMERGENCE DU VOLLEY-BALL PROFESSIONNEL. DE L'ESPACE NATIONAL AU CLUB LOCAL (1970-1987) Sébastien Stumpp et William Gasparini De Boeck Supérieur | Staps 2004/1 - no 63 pages 123 à 138
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Pour citer cet article :
-------------------------------------------------------------------------------------------------------------------Stumpp Sébastien et Gasparini William,« Les conditions sociales d'émergence du volley-ball professionnel. De l'espace national au club local (1970-1987) », Staps, 2004/1 no 63, p. 123-138. DOI : 10.3917/sta.063.0123
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APPORT DE RECHERCHE
Les conditions sociales d’émergence du volley-ball professionnel. De l’espace national au club local (1970-1987) Sébastien Stumpp*, William Gasparini*
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Résumé : A travers l’exemple d’un club de volley-ball alsacien de haut-niveau, l’article présente l’émergence, dans les années 1980, de l’« amateurisme marron », première étape du processus de professionnalisation des sports collectifs. Cette monographie permet de repérer, d’une part, les transformations du volley-ball de haut niveau français et leurs influences sur un club local et, d’autre part, la correspondance entre les rapports à la professionnalisation, les cultures associatives et les systèmes de valeurs des dirigeants. Il s’agit alors d’analyser les conditions sociales, mentales et économiques qui, progressivement, ont permis à des joueurs d’être rémunérés dans un espace sportif associatif doté de principes de structuration propres. Envisagé dans sa diachronie, le rapport local à la professionnalisation d’un sport amateur (le volley-ball) fait apparaître dans l’exemple d’un club mulhousien (l’Union Sportive Mulhousienne), le glissement d’une homogénéité associative fondée sur des valeurs de solidarité vers une segmentation en deux sous-cultures qui s’opposent progressivement. Au-delà de la seule question économique de la professionnalisation du volley-ball, ces conflits traduisent aussi des divergences tant idéologiques que sociales et des enjeux spécifiques au monde sportif associatif. Mots-clés : Volley-ball, Professionnalisation, Club, Cultures associatives, Espace
Tthe way of social out-coming of professional volley-ball. From national standard to local association (1970-1987) Abstract : Through the case of a volley-ball club in Alsace, the article puts the advent in 1980s of “crooked amateurism”, first stage of professionalization progress in team sports. This monograph contribute to identify, on the one hand, the transformations which appear in the cream of french volley-ball and their effect on a local club, and on the other hand, the correpondence between professionalization relations, associative culture and leaders values. The analysis deals with the social and économic conditions which allowed the volley-ball players to be remunerated. Through the diachrony, the professionalization of a local club in Mulhouse (the Union Sportive Mulhousienne) shows the transition from an associative homogeneousness (with solidarity values) to a separation between two subcultures which are opposed. Beyond the only economic question, these conflicts interpret the different ideological and social opinions, and the existence of a space (the sport associative supply) where the stakes are enclosed. Keywords: Volley-ball, Professionalization, Club, Associative cultures, Space * sebstumpp@hotmail.com - gasparini@umb.u-strasbg.fr
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Centre de Recherche et d’Etudes en Sciences Sociales (EA 1334) et Equipe d’Accueil en Sciences du Sport (EA 1342) Université Marc Bloch de Strasbourg - 14 rue René Descartes, 67084 Strasbourg
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124 1. INTRODUCTION
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Notre étude porte sur l’avènement, au début des années 1980, de la professionnalisation d’un club de volley-ball alsacien de haut-niveau. A cette époque se mettent progressivement en place dans cette structure des pratiques de rémunération de joueurs et de gestion entrepreneuriale en vue d’optimiser les performances de l’équipe fanion. Or, comme chaque fois qu’un espace sportif se structure en espace professionnel, la définition des moyens légitimes pour gérer la pratique sportive d’excellence fait l’objet d’âpres luttes symboliques (Faure & Suaud, 1994). Au-delà de la seule question économique de la professionnalisation, ces conflits traduisent aussi des divergences (tant idéologiques que sociales) ainsi que des enjeux spécifiques au monde sportif associatif. L’intérêt d’analyser le volley-ball tient à la place singulière qu’il occupe au sein de l’espace des sports collectifs. Figure emblématique du sport collectif amateur « pur » et désintéressé jusqu’au début des années 1980, il est encore, à l’heure actuelle, une pratique en cours de structuration professionnelle1 et tente, tant bien que mal, de calquer son organisation sur celles du football ou du basket-ball (renforcement de la formation des joueurs, meilleure organisation du staff des équipes professionnelles, communication accrue, boutiques de produits dérivés, aménagement d’espaces de presse à l’occasion des matchs, engagement de chargés de communication). Sa position singulière au sein de l’espace des sports collectifs professionnels français tient à un passé en partie lié à un « ethos amateur » (Dunning & Sheard, 1989, 93). Il est à noter que cette identité amateur ne relève pas de l’essence du sport, mais bien d’une stratégie de certaines fractions sociales occupant les postes
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de dirigeant dans les clubs au moment même où les sports collectifs se professionnalisent en France. C’est la raison pour laquelle l’analyse du processus de professionnalisation du volley-ball français sera conduite à travers l’étude monographique des transformations et des débats qui ont eu lieu à cette occasion, dans un club de volleyball de haut niveau, l’Union Sportive Mulhousienne (USM), choisi en fonction de son histoire institutionnelle singulière. L’objectif de l’analyse est double : d’une part, repérer les transformations du volleyball de haut niveau français et leurs influences sur un club local et, d’autre part, la correspondance entre les rapports à la professionnalisation, les cultures associatives et les systèmes de valeurs des dirigeants. Le foisonnement actuel des recherches menées par les sociologues, les historiens, les économistes et les juristes du sport sur le thème de la professionnalisation2 témoigne de l’intérêt grandissant pour un sujet dans l’air du temps (Loirand, 2002)3. En s’attachant à saisir les transformations d’un club de volley-ball sous l’effet conjoint d’une histoire associative locale singulière, des représentations sociales de ses acteurs et d’une conjoncture, l’article vise à dépasser deux modèles sociologiques traditionnellement utilisés pour analyser les processus de professionnalisation des clubs de sports collectifs. D’une part l’analyse structurelle des organisations en termes de théorie de la contingence (Mintzberg, 1982) selon laquelle les stratégies des associations sportives et de leurs dirigeants, confrontées aux transformations économiques, politiques et socioculturelles, seraient en quelque sorte « dictées » par l’environnement. D’autre part, l’analyse des transformations internes des organisations sportives qui s’envisage en termes de jeux d’acteurs aux rationalités et identi-
1. A titre d’exemple, en 2000, 10 des 12 clubs que comptaient la Pro A masculine, possédaient encore le statut d’association sportive (Bayle, 2002). Par ailleurs, seuls 81 joueurs, tous championnats professionnels confondus (Pro A, Pro B, Pro Féminine), sont considérés statutairement comme professionnels (titulaires d’un contrat à temps plein) contre 173 semi-professionnels (contrats à temps partiel) et 61 amateurs (Lettre de l’économie du sport, 6/04/2002). Cette stratégie de systématisation du semi-professionnalisme a pour objectif d’alléger les charges fiscales des clubs. 2. Concernant les sports collectifs, nous renvoyons aux travaux initiés sur le football (Faure & Suaud, 1999 ; Wahl, 1989 ; Wahl & Lanfranchi, 1995), le rugby (Augustin & Garrigou, 1985 ; Escot, 1996 ; Fleuriel, 1999 ; Nier, 2001 ; Sheard, 2001) et le basket-ball (Robert, 1999). 3. Ainsi, l’abondance des communications portant sur le thème de la « professionnalisation des sports » au récent Congrès de la Société de Sociologie du Sport de Langue Française à Toulouse (octobre 2002) tranche avec le caractère plus anecdotique de ce sujet au congrès de Bordeaux en 1993 (Augustin & Callède, 1993).
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tés multiples (modifiables en fonction du contexte ou de la situation) et agissant selon des opportunités (Amblard, Bernoux, Herreros & Livian, 1996 ; Crozier & Friedberg, 1977 ; Friedberg, 1993). Selon cette deuxième optique, face à l’évolution professionnelle du volley-ball de haut niveau, les dirigeants de club auraient des stratégies multiples répondant aux relations de pouvoir internes, aux opportunités et à l’environnement local. Nous postulons qu’il existe au contraire une forme de stabilité dans les stratégies des dirigeants sportifs lorsqu’ils sont confrontés à des changements externes. Même si elle autorise des ajustements, cette permanence dans certains choix renvoie à une « disposition stratégique », sorte « d’art de voir dans la configuration présente de la situation l’avenir « apprésenté » et l’aptitude à devancer l’avenir par une sorte d’induction pratique » (Bourdieu, 1974, 37). Cette disposition est en partie liée à l’histoire et à l’identité sociales des responsables bénévoles mais aussi à leur familiarité avec leur organisation associative (Gasparini, 1993). L’étude de la mutation d’un club de volley-ball vers une forme de professionnalisme est, à ce titre, un exemple riche de significations. En analysant le passage d’une culture « associative » à une culture « managériale », elle permet finalement de repérer en quoi le champ des prises de position dans les associations sportives est inséparable du champ des positions sociales des membres de ces organisations (Bourdieu & Christin, 1990). Elle montre enfin que l’histoire d’un club est présente, à chaque moment, sous une forme matérialisée (dans des structures de gestion), et sous une forme incorporée (dans les dispositions et valeurs des agents qui décident de ses orientations) (Gasparini, 1996). 2. LES CONDITIONS SOCIALES DE LA PROFESSIONNALISATION DES SPORTS AMATEURS « Processus historique à travers lequel un groupe professionnel se fait reconnaître comme profession » (Dubar & Tripier, 1996, 90), la professionnalisation est marquée par le caractère évolutif des interactions entre individus, institutions et société
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(statuts des sportifs et des organisations professionnelles ; réglementation fédérale ; degré de spécialisation des individus ; compétences en termes de planification et de rationalisation de l’organisation sportive…). Dans le cadre des sports collectifs, une constante se dégage (Bayle, 2000a) : la professionnalisation évolue depuis la mise en place d’un professionnalisme officieux vers une organisation du marché visant à normaliser la pratique sportive en vue d’en tirer des profits. Emmanuel Bayle (2000a) segmente ce processus dans les sports collectifs en quatre étapes. Tout d’abord, avec l’émergence d’un professionnalisme officieux, les sportifs perçoivent des sommes d’argent en dehors de tout cadre légalement établi par les instances fédérales et juridiques (étape 1). Suit une reconnaissance officielle du professionnalisme par ces mêmes instances en vue de réguler le développement des échanges économiques dans les activités concernées (étape 2). Puis, une réflexion commune se dessine autour de la forme que doit prendre le championnat professionnel et des moyens à mettre en œuvre pour attester d’un déroulement efficace des compétitions (étape 3). Enfin, la Ligue Nationale centralise l’ensemble des pouvoirs de régulation économiques et sportifs en vue d’optimiser la gestion des championnats (étape 4). De cette linéarité conceptuelle se dégagent cependant des spécificités. En effet, à partir du moment où chaque sport collectif s’inscrit dans une histoire propre liée à des enjeux spécifiques, le processus de professionnalisation présente des différences selon l’activité considérée et chaque étape intervient à son rythme propre. Dans notre étude, nous analyserons la première étape du processus de professionnalisation du volley-ball amateur de hautniveau. Au cours de cette période, une forme particulière de rapports marchands émerge dans cet espace : c’est l’avènement de l’« amateurisme marron ». Cette forme inavouée de professionnalisme se caractérise par le versement aux sportifs experts de sommes d’argent hors de tout contrôle juridique et institutionnel. Accroissant fortement l’activité économique associative préexistante, l’incursion de ces rapports marchands s’accompagne inévitablement de restructurations internes au sein des
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clubs de volley-ball (fonctionnement rationalisé, pratiques managériales…) interrogeant le statut et les compétences des dirigeants. Elle entraîne également des résistances qui mettent en lumière les rapports différenciés des acteurs sportifs à la transformation du volley-ball. Par professionnalisation, on se réfère donc aux conditions sociales, mentales et économiques qui, progressivement, ont donné à des joueurs la possibilité d’être rémunérés dans un espace sportif associatif doté de principes de structuration propres. Ainsi, le passage de l’amateurisme au professionnalisme en volley-ball ne s’est jamais fait sans que des oppositions surgissent au sein des clubs. Cette réalité remet évidemment en question le concept d’objectif commun du club sportif ou encore celui de transition vers le professionnalisme partagée par ses membres qui privilégient l’aspect consensuel au détriment de l’aspect conflictuel des relations (Gasparini, 2000). Notre approche, à dimension socio-historique, se construit autour d’une double perspective d’analyse : dans un premier
temps, il s’agit de prendre en compte l’environnement dans lequel le volley-ball est plongé à cette période et qui donne sens aux débats internes qui ont lieu au sein du club local. Puis, dans un deuxième temps, l’analyse portera d’une part sur le contexte local dans lequel émerge « l’amateurisme marron » et, d’autre part, sur la mise en correspondance du rapport au processus de professionnalisation des dirigeants avec leur culture associative et leur position (tant institutionnelle que sociale). 3. L’AVÈNEMENT DE LA PROFESSIONNALISATION DANS LE VOLLEY-BALL FRANÇAIS DE HAUTNIVEAU4 3.1. Un amateurisme « marron » L’introduction régulière d’actes de rémunération de joueurs s’effectue à partir de la fin des années 1970. Des pratiques de ce type existent cependant dès les années 1960, mais celles-ci restent anecdotiques et
TABLEAU 1 : Méthodologie Chaque contexte d’étude fait l’objet d’un traitement particulier. Dans un premier temps, l’analyse des conditions d’émergence de la professionnalisation du volley-ball en France s’effectue sur la base des données recueillies dans la revue Volley-Ball, dans les Procès Verbaux des Congrès de la Fédération Française de Volley-Ball entre 1967 et 1979 (documents archivés par la Ligue d’Alsace de Volley-Ball) et dans des plaquettes diffusées par un club alsacien de haut-niveau. Ces données sont complétées par des entretiens réalisés avec des dirigeants et des joueurs alsaciens (n=5) ayant côtoyé le haut-niveau français au cours des années 1970 et 1980. Dans un second temps, la monographie du club fait appel à des données empiriques issues d’entretiens réalisés au courant de l’année 2000 (n=15 ; durées de 1 h 30 à 3 heures ; enregistrements par dictaphone), et de la consultation de fonds d’archives associatifs (compte-rendus des réunions et des assemblées générales, plaquettes), de la presse locale (L’Alsace) et d’un corpus d’histoire locale (alsatiques, ouvrages traitant du sport mulhousien). La constitution de catégories s’est réalisée à partir d’indicateurs objectifs (âge, sexe, capital économique et culturel, catégorie socio-professionnelle, position hiérarchique dans le club, passé sportif et associatif…) et subjectifs (rapport au monde associatif et à l’arrivée de l’« amateurisme marron », conception de l’éthique associative…). A partir d’une population mère constituée d’une part des acteurs internes au club (dirigeants de l’équipe première, dirigeants du club, élus au Comité Directeur, joueurs de l’équipe fanion et joueurs des équipes restantes) et d’autre part des acteurs externes mais ayant un intérêt dans le « jeu » (journalistes locaux, responsables fédéraux régionaux, responsables municipaux), nous avons constitué un échantillon représentatif de la population impliquée dans le processus de professionnalisation du club. Les caractéristiques du club (nombre de licenciés, budgets…), parce qu’elles sont évolutives (le club de l’USM fusionne, en 1983, avec une autre structure mulhousienne de haut-niveau), seront spécifiées au cours de l’analyse. 4. Les citations des dirigeants fédéraux contenues dans ce paragraphe sont issues des procès verbaux des congrès de la Fédération Française de Volley-Ball de 1967, 1970, 1971, 1974, 1978 et 1979 (sources : archives de la Ligue d’Alsace de Volley-Ball).
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sont étroitement surveillées par la Fédération Française de Volley-Ball (FFVB) (Congrès FFVB, 1967). En effet, « conscients des dangers et des abus » (Congrès FFVB, 1974), les dirigeants fédéraux se prémunissent des risques de « corruption de l’esprit sportif » connus dans d’autres sports collectifs : limitation à un étranger par équipe, avec l’obligation de rester deux années dans le club d’accueil ; recrutement d’au plus deux joueurs « mutés » par équipe pour éviter la formation de « clubs de mercenaires » (Congrès FFVB, 1970) ; intégration au règlement fédéral d’un article concernant les règles de l’amateurisme. Seule la FFVB s’autorise à verser des indemnités aux joueurs sélectionnés en équipe nationale, en compensation du manque à gagner entraîné par leurs participations à des stages ou à des rencontres internationales (Congrès FFVB, 1971). Malgré une unanimité de façade, la position officielle de la FFVB reste ambiguë et traduit l’ambivalence des propos des dirigeants. Tout en affirmant dans ses textes sa sévérité vis-à-vis des clubs susceptibles de rémunérer des joueurs, l’institution ferme les yeux lorsque certains d’entre eux s’attachent les services de joueurs étrangers ou français. Les responsables fédéraux disent alors ne pas vouloir freiner la possibilité donnée à certains clubs de « tirer les bénéfices sportifs et économiques de l’achat de joueurs étrangers » (Congrès FFVB, 1978) mais affirment parallèlement la nécessité de protéger « les autres clubs qui manquent de moyens pour s’attacher leurs services ». Cette situation se retrouve, de manière similaire, dans d’autres activités collectives (nous pensons notamment ici au cas du basket-ball [Robert, 1999]). La fin des années 1970 et le début des années 1980 marquent une évolution importante. Certains dirigeants de clubs décident de systématiser le recrutement de joueurs d’excellence et de réorganiser le fonctionnement de leurs structures (rationalisation des techniques de préparation, d’entraînement et de suivi des équipes [Fournier, 2000]) pour favoriser le développement économique et sportif de l’activité. Dans ce contexte, l’« amateurisme marron » devient
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le fait de la grande majorité des clubs de l’élite française. Didier Baronnet, capitaine de l’équipe nationale de 1976 à 1979, note que « l’argent, précurseur d’un vrai professionnalisme (…) commence à apparaître dans les clubs » (Revue Volley-Ball n° 428, octobre 1996, 47). Cela se traduit par l’arrivée « d’étrangers et de salaires déguisés » (Revue Volley-Ball n° 449, février-mars 2000, 29), la hausse du nombre de mutations et l’accroissement des budgets des clubs de l’élite française5. Progressivement, les trésoreries des clubs, alimentées par les cotisations des adhérents, les billetteries, les subventions publiques (municipalité, Conseil général…) et privées (sponsors), sont utilisées prioritairement pour s’attacher les services de joueurs et faire fonctionner la section de haut niveau. Les joueurs possèdent pour certains d’entre eux des avantages matériels. Ils passent par ailleurs des accords écrits avec les dirigeants des clubs pour définir leurs obligations respectives et fixer le montant de « compensations financières », versées en sus de leurs revenus « légaux », et variables selon le niveau de jeu et la notoriété du joueur. Celles-ci permettent d’attirer des sportifs, français ou étrangers, souhaitant tirer profit de leurs compétences sportives. L’Association Sportive Banque de France de Mulhouse (ASBF) est, à ce titre, exemplaire. En engageant un joueur polonais de niveau international dès 1982, le club alsacien est tenu de « subvenir au logement et à la nourriture du joueur en France et [de] lui trouver du travail » (Plaquette de l’ASBF, 1983) ainsi que de lui mettre une voiture à disposition. Le joueur touche environ 10 000 francs par mois entre son travail et ses compensations financières, somme à laquelle il faut ajouter un coût de 5 000 francs à la charge du club pour la prise en charge des avantages matériels (Entretien avec J.J Z., entraîneur de l’ASBF puis de l’USM de 1978 à 1988). Les volleyeurs des pays de l’est sont alors extrêmement prisés parce que leurs prétentions financières se situent bien en deçà de celles des joueurs français de niveau équivalent (Entretien avec Y.K, membre du Comité Directeur de l’USM de 1977 à
5. Comparaison effectuée sur la base de l’état des mutations et des budgets des équipes évoluant au sein du championnat de Nationale IA masculine de 1977 à 1987.
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1987). Mais les contrats signés n’ont aucune valeur juridique : « Les clubs ne payaient pas les charges patronales car ils n’étaient pas encore officiellement les employeurs des joueurs. On mettait par écrit, et cela définissait davantage les obligations des uns et des autres (…) Personne n’est allé jusqu’au tribunal pour savoir quelle était la valeur juridique de ce genre de papiers… » (J.-J. Z., op. cit.). Les joueurs conservent donc officiellement le statut d’amateur et les clubs restent régis par la loi sur les associations de 1901 (ou par le régime de droit local de 1908 en Alsace-Moselle). Or, la volonté affichée par certains de professionnaliser le volley-ball ne permet pas de compenser le faible attrait qu’il suscite, aussi bien de la part des spectateurs que des partenaires socio-économiques. Constatant le déséquilibre de leurs trésoreries, les clubs se tournent alors vers les instances municipales pour solliciter des aides supplémentaires. A la fin des années 1980, les recettes publiques représenteront encore plus de 70 % des budgets des clubs de volley-ball de haut-niveau (Bourg & Nys, 1999 ; Gerschel, 1994), marquant ainsi leur forte dépendance vis-à-vis des collectivités territoriales. L’avènement de la professionnalisation dans le volley-ball français de haut-niveau n’est cependant qu’une retraduction du processus plus général d’économisation qui touche l’ensemble des sports à partir de la fin des années 1970. Loin d’être un espace totalement autonome, le volleyball entretient des relations étroites avec les autres espaces sportifs mais aussi avec la société en général. Dans un contexte de marchandisation de la société, les fédérations et associations sportives sont de plus en plus touchées par le « mythe de l’entreprise » (Le Goff, 1992). Toutes les organisations sportives non marchandes ne succombent pas au modèle entrepreneurial car cette nouvelle conjoncture entraîne des effets différents selon les disciplines sportives, l’histoire des clubs et leur implantation locale ainsi que le rapport des dirigeants aux valeurs associatives (Gasparini, 1993, 82). Le volley-ball constitue à ce titre une matière de choix pour l’étude de l’effet de cette nouvelle conjoncture sur l’évolution d’un club vers une forme de professionnalisme.
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3.2. L’espace des prises de position et des oppositions sociales L’avènement de nouveaux principes économiques et gestionnaires au sein des clubs de l’élite participe, au niveau fédéral, de prises de positions plus ou moins tranchées sur le sujet. Au-delà des seuls discours consensuels relayés par la revue officielle Volley-ball, l’analyse des procès verbaux des congrès de la FFVB indique que les assemblées générales sont le théâtre de débats éthiques prouvant que la professionnalisation ne fait pas l’unanimité dans l’espace du volleyball fédéral français. Le spectre des avis dessine une carte des positions différentielles, et parfois antagonistes, dont les occupants vont s’organiser en camps. Les prises de position tendent en effet à se distribuer entre deux pôles : d’un côté, les farouches opposants ; de l’autre, les partisans de la professionnalisation. Or, un grand nombre de dirigeants possède aussi, dans un sens ou un autre, un avis plus nuancé. Dépassant l’unique question du bien fondé de l’introduction de pratiques de rémunérations, ceux-ci s’interrogent surtout sur l’opérationnalisation des pratiques professionnelles au sein des clubs et leurs conséquences sur le contrôle des destinées du volley-ball français de haut-niveau. Les « réticents » insistent ainsi sur le fait qu’« il ne faut pas laisser le champ libre soit à ceux qui ont beaucoup de temps, soit beaucoup d’argent, soit à ceux qui sont payés pour cela, pour gérer le sport » (Congrès FFVB, 1979). Les possibilités de ressources doivent être exploitées sans pour autant que la pratique ne se « prostitue » ou ne se transforme en « démonstrations de cirque », de même qu’il faut éviter que les joueurs ne deviennent des « hommes-sandwichs ». Se retranscrit ici la peur d’une « dépossession par les professionnels du travail des bénévoles » déjà analysée dans certaines pratiques associatives (Bromberger, 1995, 185). D’autres dirigeants accueillent au contraire la professionnalisation avec un certain optimisme arguant qu’« il est temps pour le volley-ball d’entrer dans une logique de gestion moderniste à l’instar d’autres sports comme le football » (Congrès FFVB, 1979) et de favoriser le développement du « produit-volley ».
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LES CONDITIONS SOCIALES D’ÉMERGENCE DU VOLLEY-BALL PROFESSIONNEL
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Derrière ces oppositions visant le pouvoir de décider des orientations du volleyball fédéral, se jouent en réalité des oppositions éthiques et sociales entre des groupes aux propriétés sociales différenciées. Si les défenseurs d’un ethos amateur du volleyball ont en commun d’avoir une certaine ancienneté dans leur fonction fédérale, d’être dépourvus de titres sportifs élevés et d’appartenir plutôt au monde des commerçants, des professions libérales et de la notabilité locale, les agents situés au pôle opposé (défenseurs d’une professionnalisation rapide, à l’image du football) partagent, outre un passé de volleyeur de bon niveau, une position sociale dans le secteur public ou dans le secteur privé liée à la possession d’un diplôme relativement élevé (notamment des enseignants). Issus de l’analyse de contenu de la revue Volley-ball et d’observations participantes, ces quelques constats indiquent que les stratégies déployées au sein des instances fédérales pour défendre des points de vue sont aussi des stratégies « identitaires » (Bourdieu, 1980). Loin de constituer une « famille » (« la grande famille du volley-ball » par laquelle l’institution se pense et impose la vision qu’elle veut donner d’elle-même), les débats internes à l’occasion des congrès fédéraux soulignent bien que la FFVB est traversée à cette époque de « crises » et conflits symboliques dont l’objet est la professionnalisation des équipes d’excellence. Ces débats au sein des instances dirigeantes du volley-ball français (à commencer par ceux qui touchent aux statuts des joueurs) attestent que l’institution ne parvient plus à imposer un mode unique de gestion de la pratique d’excellence, « cela pour des raisons culturelles dans la gestion des rapports traditions/modernité, nouvelles cultures sportives/culture sportive ancienne, lucratif/non lucratif » (Bayle, 2000b, 71). Or, ces tensions croissantes divisent non seulement les élus fédéraux et les clubs entre eux, mais aussi les dirigeants et membres à l’intérieur d’un même club. Comment ce processus observé à l’échelle nationale se traduit-il à l’échelle locale ? Quelles sont les positions des acteurs sportifs investis dans la gestion des clubs de volley-ball ? L’étude monographique d’une organisation locale peut nous permettre de mieux
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comprendre comment se décline et se retraduit cette nouvelle conjoncture car les « politiques de club » résultent bien « d’un ensemble de choix socialement et économiquement interdépendants, pris en fonction de particularités locales […] et de la position du club dans l’espace national [de pratique professionnelle] » (Faure & Suaud, 1994, 7). Une analyse diachronique du processus d’implantation et de diffusion de la professionnalisation au niveau local permet dès lors de « relever les conditions favorisant ou contrariant un processus de professionnalisation » (Defrance, 1999, 135) et les modalités de passage d’une culture associative à une autre. Elle dégage « les enjeux des controverses, et le système des prises de position et des intérêts liés aux positions dans ces débats » et « la rhétorique qui accompagne l’affirmation de chaque position, que l’on ne saisit qu’à travers elle ». 4. LES TRANSFORMATIONS INTERNES DE L’UNION SPORTIVE MULHOUSIENNE : D’UNE « CULTURE MONTAGNARDE » À UNE « CULTURE MANAGÉRIALE » 4.1 Un passé associatif modelé par la « culture montagnarde » L’USM est, à ses origines (1921), une société sportive comprenant deux sections : l’une de natation, l’autre de ski et de tourisme (Bulletins mensuels de l’USM, 1923). La seconde section s’intègre au mouvement associatif montagnard né à la fin du XIXe siècle en Alsace et qui se développe au sortir de la première guerre mondiale. Largement imprégné du cadre idéologique et organisationnel propre à l’espace associatif alsacien (Wahl et Richez, 1993), ce mouvement se distingue par la singularité des mentalités, des discours et des pratiques de ses adhérents (Richez, 1994). A travers la montagne (les Vosges), ceux-ci trouvent un espace favorable au développement d’un style de vie singulier (randonnées en été, ski en hiver, fêtes au chalet…) et un lieu propice à l’affirmation de certaines sensibilités (culte de l’effort, critique des méfaits de l’industrialisation et de la modernité, attirance quasi mystique pour la
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130 nature, convivialité…) (Stumpp, 2002). L’organisation d’un championnat de volley-ball de montagne en compagnie d’autres sociétés de ski et de tourisme dans les années 1960 s’inscrit pleinement dans cette démarche de promotion de valeurs et de pratiques caractéristiques du mouvement montagnard : rencontrer d’autres équipes « dans une ambiance de bonne camaraderie » (Plaquette de l’USM, 1978). Les raisons de son interruption en 1968 (la présence de joueurs issus des compétitions fédérales se rendant sur les lieux de matchs en voiture au lieu de gravir à pieds les pentes vosgiennes [Stumpp, 2001]) témoignent également du souci de ce mouvement de préserver une certaine conception de la « culture montagnarde ».
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4.2 La section volley-ball de l’USM : l’héritage du club de montagne (19701983) En 1970, la volonté de certains membres d’avoir une pratique compétitive incite le club à créer une section de volley-ball intégrant le championnat fédéral. Celle-ci fonctionne autour d’un groupe de dirigeants impliqués parallèlement dans la vie du club de montagne, qu’ils ont intégré dans les années 1960. La majorité d’entre eux pratique régulièrement la marche dans les Vosges (Entretien avec P.K., membre du Comité Directeur de l’USM de 1970 à 1987) et participe à sa promotion : « ma plus belle satisfaction est de voir ces familles monter, dimanche après dimanche prendre un bol d’air, ces jeunes passer leurs weekends entre amis loin des contraintes de la vie moderne (…) Quel plaisir de se retrouver entre copains, en pleine nature, pour un week-end. Quelle école de débrouillardise et de saines activités pour un jeune » (Plaquette de l’USM, 1978). Ces dirigeants aspirent à ce que les objectifs associatifs ne se réduisent pas aux seules rencontres compétitives. Ils encouragent les échanges extra-sportifs entre membres du club autour de sorties (marches dans les Vosges, journées de ski), de rencontres festives (repas d’après-match, fête de Noël) ou de travaux communautaires (réfection du chalet de l’association). Il est ainsi noté qu’« il faut tout aussi bien savoir jouer au volley que
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faire du ski, ou bien manier la pelle et la pioche dans l’intérêt de tous » (Plaquettes de l’USM, 1978 et 1980). Le slogan « la joie par le travail » consacre cet idéal associatif (qui n’est pas sans rappeler une forme de vision chrétienne de l’engagement social [Weber, 1964]) : « donner le meilleur de soi-même », « se mettre au service des autres pour la réussite du club » (Id.). Le chalet du club, situé dans les Vosges, fait l’objet d’une fréquentation régulière par les dirigeants et certains licenciés « car il permet de vivre en harmonie avec la nature, favorise le tourisme en montagne, ainsi que la pratique du ski de loisir et de compétition » (Plaquette de l’USM, 1978). Cette infrastructure est également le lieu privilégié de recrutement de dirigeants pour la section volley-ball : « grâce au chalet de l’USM, nous avions un réservoir de gens qui s’intéressaient au club et c’est là que nous avons puisé notre réservoir de bénévoles » (P.K, op. cit.). Possédant une connaissance réduite du volley-ball et formés « sur le tas », les dirigeants s’impliquent dans le fonctionnement des équipes d’adultes et de jeunes (entraînements, accompagnement). Ils perçoivent des indemnités uniquement dans le cadre des remboursements des frais occasionnés par les déplacements qu’ils effectuent au cours de la saison sportive avec leurs véhicules personnels. Peu expansifs, travailleurs, ces bénévoles sont généralement issus de la petite bourgeoisie économique (petits patrons, employés…) et s’attachent au respect de valeurs telles que « l’effort », « la solidarité », « le travail », « la convivialité » et « le bénévolat » (J.B., P.K., Y.K., M.F., membres du Comité Directeur de l’USM [1970-1987]). Les adhérents de l’USM construisent ainsi leur sociabilité sportive autour d’une relative uniformité de normes, de représentations et de pratiques, aidés en cela par un groupe de dirigeants sensibles à la transmission des valeurs fondatrices, mais bien entendu idéalisées, de l’identité du club -ce que Fridenson (1989) nomme un « phénomène de circulation des idées ». Les membres évoquent le fait d’appartenir à une « véritable famille » (P.K, J.B, op. cit.). La taille relativement modeste de la section favorise grandement cette situation (53 licenciés en 1978 dont 18 séniors, 11
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juniors, 11 cadets, 12 minimes, 1 benjamin, ce qui la place au 20e rang alsacien sur 69 en termes d’effectifs [Compte-rendu de l’assemblée générale de la Ligue d’Alsace de Volley-Ball, 1978]). Le lent travail de formation des jeunes adhérents dans le volley-ball de compétition porte ses fruits puisque la section séniore masculine gravit progressivement les échelons du championnat et accède en 1983 en Nationale 2. 4.3 La fusion de deux structures : l’espace des prises de position (1983-1987)
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En 1983, le club fusionne, selon les souhaits de la municipalité, avec un autre club mulhousien de l’élite, l’Association Sportive Banque de France (ASBF). Il conserve la dénomination d’Union Sportive Mulhousienne. Le but est de rassembler les forces locales pour permettre au volley-ball, selon les instances municipales, « de gagner sa place au haut-niveau », et donc de favoriser « l’image de marque de Mulhouse » (Lettre adressée par le maire de Mulhouse au président de l’USM, 1983). Regroupant une centaine de licenciés, le club gère alors un budget avoisinant le million de francs, dont 900 000 sont consacrés à l’équipe première (« compensations » financières, frais de déplacements et de restauration, salaire de l’entraîneur, actions de « promotion » [Assemblée générale de l’USM, 1984]). Le reste du budget est dévolu au fonctionnement des autres équipes, notamment l’équipe seconde qui évolue en Nationale 3 (déplacements, indemnités pour les entraîneurs). Les ressources proviennent essentiellement des subventions municipales (700 000 francs) et sont complétées par les apports des sponsors, par la billetterie et par des actions diverses menées par le club (ventes de plaquettes, repas…). Deux catégories d’acteurs interviennent dans les transformations de l’organisation : d’une part, les acteurs internes positionnés dans un organigramme avec à sa tête un Comité Directeur (qui gère l’ensemble des équipes du club) et un « Département Equipe première » comprenant les postes de responsable « relations publiques », de directeur sportif, et de chargés de recrutement (compte-rendu de l’assemblée générale de l’USM, 1983). D’autre part, les acteurs externes (Ligue régionale,
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municipalité, presse) qui influencent aussi le fonctionnement des structures du club dans la perspective d’en tirer des profits (symboliques, sociaux, politiques ou économiques). 4.3.1 Les acteurs internes : dirigeants et joueurs L’accès au plus haut niveau incite les acteurs du club à opérer des changements dans la manière d’appréhender la gestion du club et notamment le fonctionnement de l’équipe fanion. Il est dès lors entendu par l’ensemble des dirigeants que la rémunération des joueurs et l’engagement de volleyeurs étrangers deviennent des priorités. Selon eux, c’est à ce prix que se joue le maintien sportif du club et la « spectacularisation » de l’activité. Des désaccords se font jour pourtant et ont pour origine la gestion de cet « amateurisme marron ». Nous avons pu repérer au sein de l’USM deux groupes d’individus qui appréhendent différemment la professionnalisation de leur structure. • Les dirigeants de l’ancienne structure de l’Union Sportive Mulhousienne Ils représentent dans la nouvelle hiérarchie du club, une fraction minoritaire des dirigeants élus très engagée dans l’encadrement des équipes du club. Ils sont convaincus ou se laissent convaincre de la nécessité de rémunérer des joueurs s’investissant pleinement dans la pratique compétitive à raison d’un entraînement par jour. Cependant, s’inscrivant aussi dans la logique associative antérieure, ces dirigeants ne veulent pas se transformer en « démarcheurs » ou en « commerciaux » (P.K., op. cit.). La spécialisation des postes de direction, « le côté gestion d’entreprise » ainsi que les contraintes relatives au démarchage de joueurs étrangers ou français ne les intéressent pas et les « déroutent » (J.B., op. cit.) : « c’était vraiment le côté négatif, cette gestion professionnelle et d’entreprise et ce n’était pas vraiment notre tasse de thé (…) Ce n’était plus le travail d’un dirigeant de club bénévole (…) Parler fric, découvert, emprunt, ce ne sont pas des choses très intéressantes pour des bénévoles et des sportifs » (Y.K., op. cit.). Ces aspects ne correspondent pas à leur « vision du sport et du fonctionnement associatif » (Id.). Ils prônent par ailleurs une certaine modération
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132 concernant les investissements financiers du club en direction de l’équipe première et sont soucieux de faire fonctionner l’association dans son ensemble : « nous essayions de faire en sorte que le club marche, de l’équipe 2 jusqu’aux benjamins. La partie pro, c’était [ceux de l’ASBF] qui la géraient. On essayait de contrôler qu’il n’y ait pas de dépassement de budget mais bon…(…) Il était très difficile de contrôler quoi que ce soit » (Y.K., op. cit.). Ces dirigeants tentent également de faire perdurer la dynamique originelle du club aux travers de sorties et de rassemblements festifs : « il existait toujours une vie USM : les gens avaient toujours l’habitude de se retrouver au chalet de l’association dans les Vosges. On aimait ça le chalet ! » (P.K., op. cit.).
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• Les dirigeants de l’ancienne structure de l’ASBF et l’entraîneur Issus d’une structure de haut-niveau ayant déjà connu l’expérience de l’« amateurisme marron », ces dirigeants occupent, après la fusion, les postes clés de l’association (président, élus au Comité Directeur, directeur sportif, responsable « relations publiques », recruteurs). Ils aspirent à ce que l’équipe fanion accède à l’élite nationale pour faire émerger une pratique spectaculaire et attrayante au niveau local. Pour y parvenir, ils cherchent à insuffler une nouvelle configuration organisationnelle (Mintzberg, 1982) (constitution d’un organigramme décisionnel précis qui tranche avec la relative approximation dans la répartition des tâches du précédent Comité de l’USM, recherche accrue de partenaires, mise en place d’une organisation logistique, recrutement de joueurs sportivement cotés et spectaculaires) et l’image d’un volley-ball moderne. Selon eux, « le hautniveau sans le risque n’existe pas » (Propos recueillis par C.E, quotidien L’Alsace, 14 mai 1987) car « l’avenir est à ceux qui essayent », et ce, au risque d’endetter le club. En cela, ils se démarquent de la conduite associative plus austère et prudente des anciens dirigeants : « [Les dirigeants de l’ancienne structure de l’USM] défendaient une conception de club de patronage : relations amicales où l’on vit ensemble, on fait des fêtes, on se retrouve ensemble après les matchs, on monte dans des refuges… ce qui n’était pas du tout
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dans notre culture, en tout cas pas dans la mienne. Ce qui nous intéressait dans le volley-ball, c’était de réussir sur le terrain, de gravir les échelons dans la hiérarchie » (F.S., membre du Comité Directeur de l’USM de 1983 à 1988). La tonalité des propos tenus par les dirigeants de l’ASBF, peu avant la fusion avec l’USM, est révélatrice de leur « état d’esprit » : « Ambition ? Oui ! Ambition de viser plus haut ; ambition de ne pas se satisfaire d’un acquis pourtant confortable (…) ; ambition de donner au volley-ball mulhousien une vraie dimension nationale car le potentiel joueurs et spectateurs existe (…) Si nous bénéficions d’une aide conséquente [c’est] aussi pour que des gens passionnés et audacieux aient les moyens d’oser et d’entreprendre ! Aucune entreprise ne se développe sans investissement et chaque investissement comporte des risques ; il en est de même dans le milieu sportif où ne pas progresser veut dire régresser (…) Comme l’a écrit J-J Rousseau, « pour connaître les hommes, il faut les voir agir » » (Plaquette de l’ASBF, 1983). Etant majoritaires au Comité Directeur, les décisions qu’ils prennent concernent principalement l’équipe première. Les autres domaines ou secteurs de la vie du club ne les intéressent pas réellement. Issus de la petite bourgeoisie culturelle et économique diplômée (tous ont fait des études supérieures), ces dirigeants sportifs sont par ailleurs très au fait des formes modernes d’entrepreneuriat et d’organisation de la vie sociale, dont ils utilisent la rhétorique pour se définir, par exemple, comme « un team dynamique, sérieux, où les compétences de chacun sont utilisées efficacement » (Plaquette de l’ASBF, 1980). Grands communicants, ils recherchent pour certains d’entre eux à accumuler des profits par l’intermédiaire du volley-ball. A titre d’exemple, en collaboration avec un autre dirigeant, l’entraîneur possède une entreprise de recrutement de joueurs étrangers destinés à alimenter les clubs français (Plaquette « International Players Promotion », 1987). De même, le président du club est aussi son principal sponsor, ce qui lui assure une notoriété locale dans la perspective de possibles retombées économiques. A une exception près, ce sont tous d’anciens pratiquants de haut-niveau national voire international.
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TABLEAU 2 : Les caractéristiques des membres du Comité Directeur de l’USM après la fusion (1984)
Profession
Fonction(s)
Niveau de jeu
Anciens dirigeants de l’ASBF Divers
Profession
Fonction(s) Niveau de jeu
Divers
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Technicien responsable de la publicité dans un quotidien
– membre 2e Division du Comité Nationale Directeur – responsable de l’équipe 2
Membre de Directeur la section d’école montagne depuis les années 1960
– entraîneur – directeur sportif – chargé du recrutement
2e Division Nationale
– titulaire du BEES 2e degré – entreprise de placement de joueurs étrangers en France
Artisan
Membre du Comité Directeur
– président Gérant de la section d’une agence montagne de publicité – président de la section volley-ball jusqu’en 1983
– responsable « relations publiques » – chargé du recrutement
1re Division Nationale Sélectionné en équipe de France dans les années 1960
Entreprise de placement de joueurs étrangers en France
– membre du Comité Directeur – viceprésident jusqu’en 1984
2e Division Nationale
Directeur d’une concession automobile
Président
Néant
Principal sponsor du club
Professeur d’EPS
Membre du Comité Directeur
2e Division Nationale
Participe ponctuellement au recrutement de joueurs étrangers
Néant
Employé de Vice-président Départemental Membre de Cadre commerce à partir la section Commercial de 1984 montagne depuis les années 1960
La configuration associative originelle se trouve donc bouleversée. D’une culture associative homogène, le club se restructure autour de deux « sous-cultures » distinctes. Ces divergences mettent en relief la séparation idéologique existant entre deux groupes aux valeurs et aux aspirations opposées sur la manière de concevoir la professionnalisation, malgré une quasiunanimité concernant la question des rémunérations. Les « propriétés » sportives et sociales semblent expliquer en partie cette opposition. Si les agents du premier pôle (les dirigeants « historiques » de l’USM) ont en commun d’être peu dotés en capitaux culturel et sportif et de défendre une éthique associative traditionnelle, les
agents situés au pôle opposé sont (ou étaient) d’anciens joueurs de bon niveau, relativement bien dotés en capital scolaire et plutôt favorables au libéralisme tant économique que sportif. • Les joueurs Provenant majoritairement de l’ancienne équipe de l’ASBF, les joueurs de l’équipe première (trois enseignants, un ingénieur, deux employés de banque, un technicien supérieur et un expert comptable en 1985) sont favorables à la mise en place d’un système de rémunérations en échange de l’accroissement de leur temps d’entraînement. Ce n’est qu’à ce prix qu’ils estiment pouvoir se maintenir à un niveau de
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Anciens dirigeants de l’USM
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134 jeu élevé et monnayer par la suite leurs compétences sportives (Entretien avec G.P., joueur). Les joueurs des autres équipes ont des avis plus partagés. Une constante apparaît néanmoins : ceux qui sont issus de l’ancienne structure de l’USM sont plus enclins à adhérer aux idées des dirigeants « historiques » du club. Il est possible de repérer d’autres groupes d’individus impliqués dans le processus de professionnalisation du club et se greffant sur l’une ou l’autre tendance en fonction non seulement de leurs valeurs idéologiques mais aussi des profits qu’ils peuvent tirer de la professionnalisation.
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4.3.2 Les acteurs externes • Les instances fédérales locales (Ligue d’Alsace de Volley-Ball [LAVB]) Elles prétendent tirer un bénéfice symbolique (reconnaissance, « vitrine médiatique » [G.M., président de la LAVB]) et structurel (augmentation du nombre de licenciés) de la professionnalisation de l’activité. Loin de faire l’unanimité, cette vision officielle n’est pas partagée par tous les élus de la LAVB car certains s’élèvent contre la mise en place de pratiques financières, au nom de « l’éthique du sport ». • La presse A travers son soutien à la professionnalisation du volley-ball, la presse quotidienne régionale perçoit la rentabilité économique de l’opération : la professionnalisation d’un sport entraîne un intérêt pour les médias en général et pour la presse en particulier. Ainsi, le journal L’Alsace est beaucoup plus lu dans le Haut-Rhin (et donc à Mulhouse) que dans le Bas-Rhin. L’existence d’un club de haut niveau ayant une notoriété nationale intéresse évidemment le journaliste du service des sports qui traite habituellement les activités collectives peu médiatisées (handball, volley-ball, sports collectifs féminins). L’accès de l’USM au haut niveau ouvrait ainsi un espace d’expression journalistique toujours susceptible d’être reconverti en capital de reconnaissance symbolique (Dargelos & Marchetti, 2000), ce qui peut expliquer le parti pris du journal en faveur de la professionnalisation de l’équipe de volley-ball de l’USM. Ainsi, peut-on lire dans les pages sportives de l’édition du 14 mai 1987 : « Aussi légitime et défendable
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soit-elle, la conception du sport amateur ne doit pas entraver un désir d’ambition, but avoué et recherché dans toute compétition ». • Les instances municipales Conscientes de la répercussion des résultats sportifs sur la renommée de la ville, celles-ci s’engagent dans un premier temps ouvertement en faveur du développement de la professionnalisation : « Il est(…) du devoir [du maire et de son Conseil Municipal] d’aider et de conforter l’assise du sport de haut-niveau. Tout simplement parce que le sport de masse (…) a besoin pour s’exprimer du sport de hautniveau » (Maire de Mulhouse, Plaquette de l’ASBF, 1983). Reproduisant les stratégies d’engagement financier en faveur du sport de haut-niveau de nombreuses municipalités de droite (Dulac, Chifflet & Raspaud, 1995), la mairie (majorité UDF) devient le principal pourvoyeur de subventions du club. Cependant, la concurrence locale d’autres pratiques plus médiatisées (football et basket-ball entre les première et deuxième divisions nationales) et la levée de bouclier de certains conseillers municipaux de l’opposition contre l’injection incontrôlée d’argent dans les caisses des clubs de haut niveau entraînent un contrôle plus strict et une réduction des subventions (Freyburger, 1988). 4.3.3 Des logiques de pouvoir En infériorité numérique au Comité Directeur, le groupe constitué par les membres « historiques » de l’USM est obligé d’agir en marge des directives associatives. Ils ne cherchent pas cependant à faire éclater les querelles au grand jour, conformément à leur attitude de retenue et leur volonté de « favoriser les intérêts du club » (P.K, op. cit.). Entretenant des rapports privilégiés avec certains joueurs, ils engagent des discussions informelles avec ces derniers pour obtenir des compromis « éthiques » afin que les relations ne deviennent pas uniquement marchandes. Leurs liens privilégiés avec la « base du club » leur donnent également un certain poids lorsqu’il s’agit de négocier les orientations du club au sein du Comité Directeur. En contrôlant les postes clés de l’association et de la section de haut-
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niveau, le second groupe s’assure, lui, un pouvoir d’action interne et externe qui se traduit, par exemple, par le libre investissement financier pour l’achat de joueurs. Cette situation favorise les bons résultats de l’équipe mais conduit aussi le club à solliciter régulièrement la municipalité pour des « rallonges » financières, contractant de fait des dettes de plus en plus conséquentes. Par ailleurs, des réunions de Comité se déroulent « sans que les dirigeants « adverses » aient été prévenus » (P.B., op. cit.). Ces pratiques de centralisation des pouvoirs et de « court-circuitage » des informations vont susciter des réactions de la part des autres camps. Jusque là larvés, les conflits éclatent au grand jour. Les dirigeants « historiques » de l’USM s’en prennent alors directement aux dirigeants majoritaires et prônent une nouvelle politique associative, faite de modération et de « retour à la raison » (M.F, op. cit.) pour ne pas aggraver le déficit contracté. L’étape ultime de cette évolution est leur désengagement total en 1987 car ils ne vont plus cautionner les agissements du Comité en place. 5. CONCLUSION Le départ des anciens dirigeants de l’USM consacre le renversement définitif du modèle associatif implanté depuis le début des années 1970. Il met également en relief les incompatibilités idéologiques et d’intérêts des différents groupes d’individus entrant dans le « jeu » de la professionnalisation sauvage du volley-ball de hautniveau à l’échelle locale. En cela, l’évolution de l’organisation du volley-ball ne peut se penser de manière linéaire. La « grande famille du volley-ball » n’a jamais existé : l’émergence de la professionnalisation de la discipline en est un exemple paradigmatique. En adéquation avec son environnement national (pratiques de rémunérations sauvages, volonté de « spectaculariser »…), l’USM pérennise malgré tout des formes de sociabilité emblématiques de la singularité de son passé associatif. Une analyse en termes de spécificités locales de la professionnalisation d’une pratique sportive amateur contribue ainsi à enrichir la production en sciences sociales centrée sur les phénomènes macrosco-
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piques. En s’attachant à saisir les enjeux locaux, l’analyse permet de reconstituer l’ensemble de l’espace pertinent au sein duquel se joue le changement des orientations de l’USM. C’est au sein de cet espace que sont définies, sur la base des antagonismes ou des proximités d’intérêts mais aussi des antipathies ou des affinités sociales, les procédures régissant le fonctionnement du volley-ball local. Cependant, loin d’être complètement autonome, l’espace local du volley-ball se transforme aussi sous l’influence d’une conjoncture socio-économique particulière. Dès lors, la prise en compte de son hétéronomie accrue (et en particulier l’influence croissante du champ économique qui tend à investir dès la fin des années 1970, quoique de façon diversifiée, la plupart des sports collectifs) permet aussi d’appréhender la professionnalisation du volley-ball comme un effet de contexte. SOURCES Archives de la Ligue d’Alsace de Volley-Ball Archives de l’Union Sportive Mulhousienne : – Bulletins mensuels (1923-1934), Bibliothèque Nationale Universitaire de Strasbourg, cote M.500.255 – Documents officiels (compte-rendus de réunions et d’assemblées générales, lettres…) – Plaquettes Journal L’Alsace Plaquettes éditées par l’Association Sportive Banque de France Mulhouse Plaquette « International Players Promotion » Revue Volley-Ball, organe officiel de la Fédération Française de Volley-Ball
BIBLIOGRAPHIE Amblard, H., Bernoux, P., Herreros, G. et Livian, Y.F. (1996). Les nouvelles approches sociologiques des organisations. Paris : Seuil. Augustin, J.-P. et Callède, J.-P. (1993). Sport, relations sociales et action collective. Actes du colloque des 14 et 15 octobre 1993 à Bordeaux. Bordeaux : Maison des sciences de l’homme d’Aquitaine. Augustin, J.-P. et Garrigou, A. (1985). Le rugby français démêlé. Essai sur les associations sportives, le pouvoir et les notables. Bordeaux : Le Mascaret.
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Die sozialen Bedingungen des Auftauchens des Profi-Volleyballs. Vom nationalen Raum zum lokalen Verein (1970-1987) Zusammenfassung: Am Beispiel eines elsässischen Volleyballvereins von hohem Niveau präsentiert der vorliegende Artikel das Auftauchen des “Pseudoamateurismus” in den 80er Jahren als erste Etappe der Professionalisierung der Mannschaftssportarten. Diese Monographie erlaubt es, einerseits die Transformationen im französischen Hochleistungsvolleyball und ihre Einflüsse auf den lokalen Verein und andererseits den Zusammenhang zwischen den Haltungen gegenüber der Professionalisierung, den Vereinskulturen und den Wertesystemen der Funktionäre aufzuzeigen. Es geht also darum, die sozialen, mentalen und ökonomischen Bedingungen zu analysieren, die es nach und nach erlaubten, dass die Spieler in einem vereinssportlichen Raum bezahlt werden, der eigenen Prinzipien der Strukturierung unterworfen ist. Unter diachronischem Aspekt zeigt die lokale Haltung zur Professionalisierung eines Amateursports (Volleyball) am Beispiel eines Vereins in Mühlhausen (l’Union Sportive Mulhousienne) das Abgleiten einer Vereinshomogenität, die auf Werten der Solidarität gründet, hin zu einer Segmentierung in 2 Subkulturen, die sich zunehmend widersprechen. Diese Konflikte gehen über den reinen ökonomischen Aspekt der Professionalisierung des Volleyballs hinaus und reflektieren sowohl ideologische als auch soziale Divergenzen und spezifische Probleme und Machtkämpfe in der Welt des Vereinssports. Schlagwörter: Volleyball, Professionalisierung, Verein, Vereinskulturen, Raum
Le condizioni sociali d’emergenza del volleyball professionistico. Dallo spazio nazionale al club locale (1970-1987) Riassunto : Attraverso l’esempio di un club di volleyball alsaziano di alto livello, l’articolo presenta l’emergenza, negli anni 1980, dell’ “amatorismo marrone”, prima tappa del processo di professionalizzazione degli sport collettivi. Questa monografia permette di reperire, da una parte, le trasformazioni del volleyball di alto livello francese e le loro influenze su un club locale e, dall’altra, la corrispon-
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denza tra i rapporti con la professionalizzazione, le culture associative ed i sistemi di valore dei dirigenti. Si tratta, allora, di analizzare le condizioni sociali, mentali ed economiche che, progressivamente, hanno permesso ai giocatori di essere remunerati in uno spazio sportivo associativo dotato di principi di strutturazione propri. Esaminato nella sua diacronia, il rapporto locale con la professionalizzazione di uno sport amatoriale (il volleyball) fa apparire nell’esempio di un club mulhousiano (l’Union Sportive Mulhousienne), lo spostamento di una omogeneità associativa fondata su valori di solidarietà verso una segmentazione in due sottoculture che si oppongono progressivamente. Al di là della sola questione economica della professionalizzazione del volleyball, questi conflitti traducono anche delle divergenze tanto ideologiche quanto sociali e delle poste in gioco specifiche al mondo sportivo associativo. Parole chiave : club, culture associative, professionalizzazione, spazio, volleyball.
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Resumen : A través del ejemplo de un club de volley-ball de alto nivel de la región de Alsace, el artículo presenta la emergencia, en los años 1980, del “amateurismo marrón”, primera etapa del proceso de profesionalización de deportes colectivos. Esta monografía permite detectar, por una parte las transformaciones del volley-ball de alto nivel francés y sus influencias en un club local y, por otra parte, la correlación entre las relaciones con la profesionalización, las culturas asociativas y los sistemas de valores de los dirigentes. Dice relación con el análisis de las condiciones sociales, mentales y económicas que progresivamente han permitido a los jugadores ser remunerados dentro de un espacio deportivo asociativo, dotado con principios de una estructuración propios. Desde el punto de vista de su diacronía, la relación local con la profesionalización de un deporte amateur (el volley-ball) muestra en el ejemplo de un club de la ciudad de Mulhouse, región de Alsace (Unión Deportiva Mulhousienne), el desplazamiento de una homogeneidad asociativa fundada sobre los valores de solidaridad, hacia una segmentación en dos sub-culturas que se oponen de manera progresiva. Más allá de la cuestión económica de la profesionalización del volley-ball, esos conflictos traducen también las divergencias tanto ideológicas como sociales y los intereses específicos del mundo deportivo asociativo. Palabras-claves : volley-ball, profesionalización, club, culturas asociativas, espacio.
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Las condiciones sociales de emergencia del volley-ball profesional. Del espacio nacional al club local (1970-1987)