Anthologie Venise

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Préface Citations Maupassant : « Je ne raconterai pas Venise dont tout le monde a parlé. » « Nous descendons le grand canal. On est surpris d'abord par l'aspect de cette ville dont les rues sont des rivières... des rivières ou plutôt des égouts à ciel ouvert. » « Venise ! Est-il une ville qui ait été plus admirée, plus célébrée, plus chantée par les poètes, plus désirée par les amoureux, plus visitée et plus illustre ? » « Les gondoles alors glissent, impénétrables, sombres et closes, cercueils flottants vêtus de crêpe. » Citations de Sand : « Jamais je n’avais vu Venise si belle et si féérique. » p72 « Venise pris l’aspect d’une flotte immense, puis d’un bois de hauts cyprès où les canaux s’enfonçaient comme de grands chemins de sable argenté » p73 « Cependant, il y a dans la main d’un Vénitien une certaine adresse naturelle qui le rend capable de devenir habile en peu de temps. » p81 « La prudence n’abandonne jamais un Vénitien. » p83 « L’absence de chevaux et de voitures et la sonorité des canaux font de Venise la ville la plus propre à retentir sans cesse de chansons et d’aubades. » p86 « Je défie qui que ce soit de m’empêcher de dormir agréablement quand je vois Venise, si appauvrie, si opprimée et si misérable, défier le temps et les hommes de l’empêcher d’être belle et sereine. » p91 « La vie est encore si facile à Venise ! La mer et les lagunes regorgent de poisson et de gibier. » p90 « […] les vins les plus exquis de l’Archipel coûtent moins cher à Venise que le plus simple ordinaire à Paris. » p90 « Ce fut un coup d’œil fait pour réaliser les plus beaux rêves, que cette file de gondoles silencieuses qui glissait doucement sur le large et magnifique canal de Venise. » p94 « […] par bonheur, les Vénitiens ont dans le caractère un immense fonds de joie ; leur péché capital est la gourmandise, mais une gourmandise babillarde


et vive, qui n’a rien de commun avec la pesante digestion des Anglais et des Allemands […]. » p114 « Ce qu’il y a encore de beau et de vraiment républicain dans les mœurs de Venise, c’est l’absence d’étiquette et la bonhomie des grands seigneurs. » p 115


Introduction


Sommaire


Historique de Venise


I L'arrivée à Venise


Rrousseau passage 1

Je poursuivis agréablement ma route à travers la Lombardie. Je vis Milan, Vérone, Brescia, Padoue, et j’arrivai enfin à Venise, impatiemment attendu par M. l’ambassadeur, je trouvai des tas de dépêches, tant de la cour que des autres ambassadeurs, dont il n’avait pu lire ce qui était chiffré, quoiqu’il eût tous les chiffres nécessaires pour cela. N’ayant jamais travaillé dans aucun bureau ni vu de ma vie un chiffre de ministre, je craignis d’abord d’être embarrassé ; mais je trouvai que rien n’était plus simple, et en moins de huit jours j’eus déchiffré le tout, qui assurément n’en valait pas la peine ; car, outre que l’ambassade de Venise est toujours assez oisive, ce n’était pas à un pareil homme qu’on eût voulu confier la moindre négociation. Il s était trouvé dans un grand embarras jusqu’à mon arrivée, ne sachant ni dicter, ni écrire lisiblement. Je lui étais très utile ; il le sentait, et me traita bien. Un autre motif l’y portait encore. Depuis M. de Froulay, son prédécesseur, dont la tête s’était dérangée, le consul de France, appelé M. Le Blond, était resté chargé des affaires de l’ambassade, et, depuis l’arrivée de M. de Montaigu, il continuait de les faire jusqu’à ce qu’il l’eût mis au fait. M. de Montaigu, jaloux qu’un autre fît son métier, quoique lui-même en fût incapable, prit en guignon le consul, et, sitôt que je fus arrivé, il lui ôta les fonctions de secrétaire d’ambassade pour me les donner. Elles étaient inséparables du titre ; il me dit de le prendre. Tant que je restai près de lui, jamais il n’envoya que moi sous ce titre au sénat et à son confèrent ; et dans le fond il était fort naturel qu’il aimât mieux avoir pour secrétaire d’ambassade un homme à lui, qu’un consul ou un commis des bureaux nommé par la cour.


Biographie 28 juin 1712. Naissance a Genève. 7 juillet 1712. Sa mère meurt. 1712-1722. Son père lui fait lire des romans ainsi que Plutarque. 1722-1724. En pension chez M. Lambercier avec son cousin Abraham. 26 avril 1725. Apprenti chez Ducommun, un graveur. 5 mars 1726. Son père se remarie. 14 mars 1728. Rousseau décide de se faire catholique. 21 mars 1728. Rencontre Mme de Warens à Annecy. 21 avril 1728. Abjure à Turin. Baptisé le 23 avril. 1729-1731. Chez Mme de Warens à Annecy puis à Chambéry. Apprend la musique. Voyages en Suisse et à Paris. Octobre 1731-juin 1732. Travaille au cadastre de Savoie. 1732 (1733 ?). À Besançon. 1735 (1736 ?). Aux Charmettes (Chambéry). Septembre 1737. Séjour à Montpellier. 1738-1739. Aux Charmettes, formation littéraire, philosophique, scientifique. 1740-1741. Précepteur à Lyon. 1742. À Paris. Présente son Projet concernant de nouveaux signes pour la musique à l'Académie des sciences. 1743-1744. Fréquente les Dupin. Secrétaire de l'ambassadeur de France à Venise. Découvre la politique. 1745. Se lie avec Diderot. Liaison avec Thérèse Levasseur.


1746. Secrétaire de Mme Dupin. Naissance de son premier enfant mis aux Enfants-Trouvés. 9 mai 1747. Morde son père. 1748.Naissance de son deuxième enfant lui aussi déposé aux EnfantsTrouvés. 1749.Fait la connaissance de Grimm. Rousseau et Thérèse Levasseur se mettent en ménage. Octobre 1749. Lit dans le Mercure de France le sujet du concours de l'Académie de Dijon : Si le rétablissement des sciences et des arts a contribué à corrompre ou à épurer les mœurs ? 9 juillet 1750. Son discours sur les sciences et les arts est couronné et alimentera la polémique jusqu'en 1752. 1751. Naissance de son troisième enfant. 20 avril 1751. Dans une lettre, Rousseau explique pourquoi il a déposé ses enfants aux Enfants-Trouvés. Octobre 1752. Le Devin du village est donné devant Louis XV. Décembre 1752. Le Théâtre-Français joue Narcisse ou l'Amant de lui-même. 1" mars 1753. Représentation du Devin de village à l'Opéra. Novembre 1753. Retraite à Saint-Germain. Y médite le sujet de l'Académie de Dijon : Quelle est l'origine de l'inégalité parmi les hommes et si elle est autorisée par la loi naturelle ? Décembre 1753. L'entrée de l'Opéra lui est fermée suite à sa Lettre sur la musique française. 1754. A Genève. Réintègre l'Église calviniste et retrouve ses droits de citoyen. Demande que l'Opéra lui restitue sa partition du Devin.


9 avril 1756. S'installe à l'Ermitage chez Mme d'Epinay. Commence La Nouvelle Héloïse. 18 août 1756. Lettre à Voltaire sur le tremblement de terre de Lisbonne. 1757. Liaison avec Mme^d'Houdetot. Brouille avec Diderot, Grimm, Mme d'Épinay. Avril 1757. Réconciliation avec Diderot. Décembre 1757. Installation à Montmorency. 1758. Répond à l'article « Genève » de d'Alembert dans /'Encyclopédie. Commence Émile. Travaille sur les papiers de l'abbé de Saint-Pierre (1658-1743). Termine La Nouvelle Héloïse. 1759.Amitié

avec

le

maréchal

et

Mme

de

Luxembourg.

Janvier 1761. Publie La Nouvelle Héloïse. 1762. Malesherbes s'oppose à l'entrée en France du Contrat social. Janvier 1762. Écrit quatre lettres autobiographiques à Malesherbes. 7 juin 1762. Émile dénoncé à la Sorbonne. 9 juin 1762. Condamnation <^Émile. Rousseau se réfugie à Neufchâtel, principauté de Frédéric de Prusse. 19 juin 1762. Émile et le Contrat social brûlés à Genève. 29 juillet 1762. Mort de Mme de Warens. 28 août 1762. L'archevêque de Paris publie un mandement contre Émile. Réplique dans sa lettre à Christophe de Beaumont. 1764.Décide d'écrire Les Confessions.


Octobre 1764. Dans ses Lettres écrites de la montagne, /'/ attaque la procédure utilisée contre lui. 1765.Correspondance avec Buttafoco. Séjours sur l'île de Saint-Pierre. Honoré à Strasbourg et à Paris. 1766.Part avec Hume en Angleterre. 1767.Brouille avec Hume. Revient en France. Pension de cent livres sterling du roi George 111. S'installe à Trye chez le prince de Conti. 1768. Quitte Trye et s'installe à Bourgoin en août. 30 août 1768. Épouse Thérèse Levasseur. Janvier 1769. S'installe à Monquin. Avril 1770. Quitte Monquin. Juin 1770. S'installe à Paris. Lectures privées des Confessions. 1771. Se lie avec Bernardin de Saint-Pierre. 1775.La Comédie-Française joue Pygmalion : vif succès. 1776.Renversé par un chien au cours d'une promenade, il s'évanouit. 24 février 1776. Ne peut déposer son manuscrit des Dialogues sur l'autel de Notre-Dame, Avril 1776. Distribue dans la rue « À tout Français aimant encore la justice et la vérité ». Rédige deux promenades des Rêveries du promeneur solitaire. 1777.Cinq autres promenades. 1778.Compose les dernières promenades.

20 mai 1778. À Ermenonville chez M . de Girardin.


26 mai 1778. Rejoint par Thérèse Levasseur. 2 juillet 1778. Mort de Rousseau. 4 juillet 1778. Enterré sur l'île des Peupliers. 1794. Cendres transférées au Panthéon.


Bibliographie 1740. Projet pour l'éducation de M. de Sainte-Marie 1742.Projet concernant de nouveaux signes pour la musique Épître à Parisot 1743.Dissertation sur la musique moderne Épître à M. Bordes 1745.Les Muses galantes 1746.L'Allée de Sylvie 1747.L'Engagement téméraire 1749.Articles sur la musique de /'Encyclopédie 1750.Premier Discours 1751.Lettre à Grimm, sur la réfutation de son Discours par M. Gautier 1752.Le Devin de village (paroles et musique) Narcisse ou l'Amant de lui-même (théâtre) Réponse à M, Bordes 1753.Lettre sur la musique française 1755.Article « économie politique » de /'Encyclopédie Discours sur l'origine et les fondements de l'inégalité parmi les hommes 1756.Polysynodie 1758. Lettre à d'Alembert sur les spectacles 1761.La Nouvelle Héloïse / Extrait sur la paix perpétuelle 1762.Du contrat social Émile 1763.Lettre à Christophe de Beaumont 1764.Lettres écrites de la montagne 1765. Projet de constitution pour la Corse 1767. Dictionnaire de musique 1771. Considérations sur le gouvernement de Pologne 1773. Dialogues par Rousseau juge de Jean-Jacques 1775. Pygmalion (théâtre) 1782 et 1789. Confessions. Rêveries du promeneur solitaire


Venise ville sale et en ruine Maupassant vient d’arriver en train à Venise et donne ses premières impressions sur la ville. Nous descendons le grand canal. On est surpris d'abord par l'aspect de cette ville dont les rues sont des rivières... des rivières ou plutôt des égouts à ciel ouvert. C'est là vraiment l'impression que donne Venise après le premier étonnement passé. Il semble que des ingénieurs facétieux aient fait sauter la voûte de maçonnerie et de pavés qui recouvre ces courants d'eaux malpropres dans toutes les autres villes du monde, pour forcer les habitants à naviguer sur leurs égouts. Et cependant quelques-uns de ces canaux, les plus étroits, sont parfois délicieusement bizarres. Les vieilles maisons rongées par la misère y reflètent leurs murailles déteintes et noircies, y trempent leurs pieds sales et crevassés, comme des pauvres en guenilles qui se laveraient dans des ruisseaux. Les ponts de pierre enjambent cette eau et renversant dedans leur image l'encadrent d'une double voûte dont l'une est fausse et l'autre vraie. On a rêvé une vaste cité aux immenses palais, tant est grande la renommée de cette antique reine des mers. On s'étonne que tout soit petit, petit, petit ! Venise n'est qu'un bibelot, un vieux bibelot d'art charmant, pauvre, ruiné, mais fier d'une belle fierté de gloire ancienne. Tout semble en ruine, tout semble sur le point de s'écrouler dans cette eau qui porte une ville usée. Les palais ont des façades ravagées par le temps, tachées par l'humidité, mangées par la lèpre qui détruit les pierres et les marbres. Quelques-uns sont vaguement inclinés sur le côté, prêts à tomber, fatigués de rester depuis si longtemps debout sur leurs pilotis. Tout à coup l'horizon grandit, la lagune s'élargit ; là-bas, à droite, apparaissent des îles couvertes de maisons, et, à gauche, un admirable monument de style mauresque, une merveille de grâce orientale et d'élégance imposante, c'est le palais des Doges. Guy de Maupassant, Choses et autres, 1882.


Biographie Guy de Maupassant ( Henry René Albert Guy de Maupassant) 5 Août 1850 : Guy de Maupassant né au Château de Miromesnil à Tourville sur Arques (ou à Fécamp selon les sources). Fécamp étant une ville « puante et écœurante »selon sa mère, elle aurait pris Miromesnil comme lieu de naissance digne de la particule. 1854 sa famille déménage à Grainville-Ymauville, près du Havre. 1863. Il entre en classe de 6ième à l’âge de 13 ans au collège religieux d’Yvetot d’où il s’y fera renvoyer quelques années plus tard. 1869 Maupassant obtient son baccalauréat à Caen. Il s’inscrit à la faculté de droit à Paris. 1870-1871 Il participe à la guerre contre la Prusse. 1873 Il devient fonctionnaire. 1877 On lui diagnostique la syphilis 1880 La nouvelle Boule de Suif sort dans « Les soirées mondaines » qui marque le début de sa rentré dans le monde Littéraire. 8 Mai 1880 Son maitre Flaubert meurt d’une attaque cérébrale. 1885 Il entreprend un grand voyage en Italie. 1889 Il fait interner son Frère à l’asile de Lyon-Bron et celui-ci y meurt 3 mois plus tard. 1-2 Janvier 1892 Il tente de se suicider. 8 Janvier Il est interné. 6 Juillet 1893 Il meurt de paralysie générale.


Bibliographie


Texte n°2

Lors d'un second passage en Italie, Simone de Beauvoir et Sartre décident de repasser par Venise pour quelques jours et d'y passer une nuit blanche. C'est cette soirée que Simone décrit dans cet extrait, durant laquelle les protagonistes réussissent à faire abstraction du contexte historique qui les ronge et admirent la fameuse place Saint-Marc ou même les canaux. « Nous arrivâmes à Venise, que nous voulions revoir. Nous y restâmes quatre ou cinq jours et nous décidâmes d’y passer, comme à Rome deux ans plus tôt, une nuit blanche. Pour couper les ponts, et par économie, nous avons réglé l’hôtel et libéré notre chambre : plus un coin à nous dans la ville. Nous avons traîné dans les cafés, jusqu’à leur fermeture ; nous nous sommes assis sur les marches de la place Saint-Marc ; nous avons marché le long des canaux. Tout se taisait ; sur les largo on entendait, à travers les fenêtres ouvertes, la respiration des dormeurs. Nous avons vu le ciel blanchir au-dessus des Fondamenta Nuove ; entre le quai et le cimetière, des barques, larges et plates, glissaient comme des ombres sur les eaux de la lagune ; à l’avant, des hommes godillaient ; de Murano, de Burano, des îles et de la côte, elles amenaient des cargaisons de légumes et de fruits. Nous sommes revenus vers le cœur de la ville ; dans les halles au bord du Grand Canal, le marché se mit peu à peu à vivre, dans la profusion des pastèques, des oranges, des poissons, tandis que le jour s’affirmait ; les cafés s’ouvrirent ; les rues se remplirent. Alors, nous allâmes prendre une chambre, et dormir. » Simone de Beauvoir, La force de l'âge (Chapitre IV).


Biographie  

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9 Janvier 1908 : Naissance de Simone de Beauvoir à Paris. 1913 : A l'âge de cinq ans elle rentre au Cour Désir une école catholique où elle rencontre Elisabeth Lacoin dite « Zaza » sa meilleure amie. 1929 : Obtention de l'agrégation. Rencontre de Jean-Paul Sartre avec qui elle vivra une relation amoureuse peu banale jusqu'à la mort de l'écrivain. Mort de Zaza. 1931 : Elle est mutée à Marseille, Sartre lui-même muté au Havre lui propose de l'épouser afin d'obtenir un poste dans le même Lycée, mais elle refuse sa proposition préférant garder son indépendance. 1932 : Elle obtient un poste à Rouen et se rapproche ainsi de Sartre. 1936-1939 : Elle et Sartre sont mutés à Paris où elle enseigne au Lycée Molière dont elle est renvoyée à cause de sa relation avec Bianca Lamblin (cousine de Georges Perec). 1943 : Simone est suspendue de l'éducation nationale à la suite d'une plainte pour « excitation de mineur à la débauche », elle décide de se consacrer à sa carrière littéraire et c'est la même année qu'est publié L'invitée, son premier roman. 1945 : Jean-Paul Sartre crée Les Temps Modernes, une revue de gauche dans laquelle Simone de Beauvoir écrira de nombreux articles avec la participation de nombreux écrivains tels que Boris Vian et Michel Leiris. 1947 : Elle se lance à la découverte du monde, elle part aux Etats-Unis, en Chine (1955), à Cuba et au Brésil (1960), en Russie, en Afrique.. 1949 : Publication de Le deuxième sexe, livre féministe dans lequel elle se place en faveur de l'avortement ce qui fait d'elle une personnalité controversé 1954: Son Roman Les Mandarins remporte le prix Goncourt. 1960 : Parution de La force de l'âge. 1971: Elle assure la direction de la revue Les Temps Modernes 1980 : Mort de Jean-Paul Sartre à la suite de laquelle elle publie La Cérémonie des Adieux


où elle raconte les dix dernières années de son compagnon. Sa santé se détériore à cause de son addiction à l'alcool et aux amphétamines. 14 Avril 1986 : Mort de Simone de Beauvoir


Bibliographie - 1943: L'invitée - 1944: Pyrrhus et Cinéas - 1945: Le Sang des autres ; Les Bouches inutiles - 1946: Tous les hommes sont mortels - 1947: Pour une morale de l'ambiguïté - 1948: L'Amérique au jour le jour - 1949: Le Deuxième Sexe - 1954: Les Mandarins - 1955: Privilèges - 1957: La Longue Marche - 1958: Mémoire d'une jeune fille rangée - 1960: La Force de l'âge - 1962: Djamila Boupacha - 1963: La Force des choses - 1964: Une mort très douce - 1966: Les Belles Images - 1967: La Femme rompue - 1970: La Vieillesse - 1972: Tout compte fait - 1979: Quand prime le spirituel - 1981: La cérémonie des adieux


L’abbé de Saint Non ( de G-J Salvy p127) Charles De Brosses ( Salvy p 100)


II Description de la ville de Venise


Retour au pays natal Carlo GOLDONI est né à Venise mais l’a quitté très jeune pour rejoindre son père et faire ses études à Rimini. Semblant peu attiré par la médecine, ses parents l’envoient chez un oncle procureur à Venise pour apprendre le métier d’Avocat. Ce changement de cursus marque son retour dans sa ville natale qu’il découvre plus belle que jamais. Venise est une ville si extraordinaire qu’il n’est pas possible de s’en former une juste idée sans l’avoir vue. Les cartes, les plans, les modèles, les descriptions ne suffisent pas, il faut la voir. Toutes les villes du monde se ressemblent plus ou moins : celle-ci ne ressemble à aucune ; chaque fois que je l’ai revue, après de longues absences, c’était une nouvelle surprise pour moi ; à mesure que mon âge avançait, que mes connaissances augmentaient, et que j’avais des comparaisons à faire, j’y découvrais des singularités nouvelles et de nouvelles beautés. Pour cette fois ci je l’ai vue comme un jeune homme de quinze ans qui ne pouvait pas approfondir ce qu’il y avait de plus remarquables, et qui ne pouvait la comparer qu’à de petites villes qu’il avait habitées. Voici ce qui m’a frappé davantage. Une perspective surprenante au premier abord, une étendue très considérable de petites îles si bien rapprochées et si bien réunies par des ponts, que vous croyez voir un continent élevé sur une plaine, et baigné de tous les côtés d’une mer immense qui l’environne. Ce n’est pas la mer, c’est un marais très vaste plus ou moins couvert d’eau, à l’embouchure de plusieurs ports, avec des canaux profonds qui conduisent les grands et les petits navires dans la ville et aux environs. Si vous entrez du côté de Saint Marc, à travers une quantité prodigieuse de bâtiments de toute espèce, vaisseaux de guerre, vaisseaux marchands, frégates, galères, barques, bateaux, gondoles, vous mettez pied à terre sur un rivage appelle la petite place, où vous voyez d’un côté le palais et l’église ducale, qui annonce la magnificence de la République ; et de l’autre, la place Saint Marc, environnée de portiques élevés sur les dessins de Palladio et de Sansovino. Vous allez par les rues de la Mercerie jusqu’au Pont de Rialto, vous marchez sur des pierres carrés de marbre d’Istrie, et piquetées à coups de ciseaux pour empêcher qu’elles ne soient glissantes ; vous parcourez un local qui représente une foire perpétuelle, et vous arrivez à ce pont qui, d’une seule arche de quatre-vingt-dix pieds de largeur, traverse le grand canal, qui assure par son élévation le passage aux barques et aux bateaux dans la plus grande crue du flux de la mer, qui offre


trois différentes voies au passagers, et qui soutient sur sa courbe vingt-quatre boutiques avec logement et leur toits couverts en plomb. J’avoue que ce coup d’œil m’a paru surprenant ; je ne l’ai pas trouvé rendu tel qu’il est paru par les voyageurs que j’ai lus. Je demande pardon à mon lecteur, si je me suis un peu délecté. Carlo Goldoni, Mémoires, 1787.


Le saut de l’ange Carlo GOLDONI revient à Venise après avoir abandonné sa carrière d’avocat pour le théâtre. Fort de son succès dans d’autres villes d’Italie il loue le théâtre de l’Ange pour présenter une nouvelle pièce spécialement écrite pour les vénitiens. Malheureusement pour lui le public vénitien s’avère plus difficile à séduire. Darbes, le Pantalon de la compagnie, avait été bien reçu et fort applaudi jusqu’alors dans les rôles de son emploi ; mais il n’avait pas encore joué à visage découvert, et c’était là où il pouvait briller davantage. Il n’osait pas jouer les pièces que j’avais faites pour le Pantalon Golenetti, au théâtre de SaintSamuel, et moi-même j’étais de son avis, car les premières impressions ne s’effacent pas facilement, et il faut éviter, tant qu’on peut, les comparaisons. Darbes ne pouvait donc paraitre que dans la pièce vénitienne que j’avais travaillée pour lui ; je me doutais bien qu’Antoinet le gentil n’aurait pas valu le Cortesan vénitien, mais il fallait essayer. Nous allâmes aux répétitions. Les comédiens riaient comme des fous, je riais aussi ; nous crûmes que le public aurait fait comme nous, mais ce public que l’on dit n’avoir point de tête en eut une bien ferme et bien décidée à la première représentation de cette pièce, et je fus obligé de la retirer sur-le-champ. Dans de pareilles circonstances, je ne me suis jamais révolté contre les spectateurs, ni contre les comédiens. J’ai commencé toujours par m’exanimer moi-même de mon sang froid, et je vis cette fois-là que le tort était de mon côté. Une comédie tombée ne mérite pas que l’on en donne extrait ; elle est imprimée, tant pis pour moi et pour ceux qui se donneront la peine de la lire. Recommandé par le propriétaire du Théâtre Saint-Samuel, Carlo Goldoni doit écrire son premier livret d’Opéra. La musique est composée par le célèbre compositeur Antonio Vivaldi. Pour discuter de leur future collaboration, il se rend chez lui. Doutant de ses compétences, le compositeur le met au défi d’écrire un air devant lui. « - Voyez, Monsieur, cette scène entre Gualtiero et Griselda ; c’est une scène intéressante, touchante l’auteur y a placé à la fin un air pathétique mais mademoiselle Giraud n’aime pas le chant langoureux : elle voudrait un morceau d’expression, d’agitation, un air qui exprime la passion par des moyens différents, par des mots par exemple, entrecoupés, par des soupirs élancés, avec de l’action du mouvement ; je ne sais pas si vous me comprenez. – Oui Monsieur je comprends très bien ; d’ailleurs j’ai eu l’honneur d’entendre


Mademoiselle Giraud ; je sais que sa voix n’est pas assez forte… - Comment, Monsieur vous insultez mon écolière ? Elle est bonne à tout, elle chante tout. – Oui Monsieur vous avez raison ; donnez-moi le livre, laissez-moi faire. – Non Monsieur, je ne puis m’en défaire, j’en ai besoin et je suis pressé. – Eh bien Monsieur, si vous êtes pressé, prêtez le moi un instant, et sur-le-champ je vais vous satisfaire. – Sur-le-champ ? – Oui Monsieur, sur-le-champ. » L’abbé, en se moquant de moi, e présente le drame, me donne du papier et une écritoire, reprend son bréviaire et récite les hymnes et les psaumes en se promenant. Je relis la scène que je connaissais déjà ; je fais a récapitulation de ce que le musicien désirait, et en moins d’un quart d’heure je couche sur le papier un air de huit vers partagé en deux parties ; j’appelle mon ecclésiastique, et je lui fais voir mon ouvrage. Vivaldi lit, il déride son front, il relit, il fait des cris de joie, il jette son office par terre, il appelle Mademoiselle Giraud. Elle vient : « Ah, lui dit-il, voilà un homme rare, voilà un poète excellent ; lisez cet air ; c’est monsieur qui l’a fait ici, sans bouger, en moins d’un quart d’heure. » Et en revenant à moi : « Ah, Monsieur, je vous demande pardon » ; et il m’embrasse, et il proteste qu’il n’aura jamais d’autres poètes que moi. Il me confia le drame, il m’ordonna d’autres changements, toujours content de moi, et l’opéra réussit à merveille. Carlo Goldoni, Mémoires, 1787.


Biographie 25 Février 1707 : Naissance de Carlo Goldoni à Venise. Son père est apothicaire. 1723 : Il est envoyé, par ses parents, faire ses études de droit au Collège monastique de Pavie. Il y découvre les comédies et se fait exclure en troisième année après avoir composé un poème satirique visant les jeunes filles des bonnes familles de la ville. 1732 : mort de son père. Carlo Goldoni commence alors sous l’impulsion d’un directeur de théâtre à écrire des pièces comiques. 1734 : publication de sa première pièce : une tragédie : Belisario. 1738 : il s’inspire de la Commedia dell’arte et de Molière pour écrire sa première pièce comique : L’uomo di Mondo. 1743 : il revient à Venise et s’y installe. Il est nommé directeur du théâtre Sant ’Angelo et rédige deux livrets pour des opéras d’Antonio Vivaldi. 1757 : il est attaqué par le traditionnaliste Carlo Gozzi (dramaturge italien et aristocrate ruiné) et les partisans du théâtre baroque sur le réalisme qualifiés de dangereux de ses pièces. 1761 : le théâtre des Comédiens-Italiens à Paris lui offre un engagement de deux ans et un salaire plus élevé qu’à Venise. Il accepte. 1762 : Départ pour Paris. Il est intégré à la Cour et enseigne l’italien aux princesses. Il est nommé à la tête du théâtre des Comédiens-Italiens. Il écrit ses pièces en français. 1771 : il écrit Le Bourru bienfaisant à l’occasion du mariage de Louis XVI et de Marie-Antoinette. Le roi lui accorde alors une pension. 1784 à 1787 : il écrit ses Mémoires pour servir à l’histoire de ma vie et celle du théâtre en français. 6 février 1793 : Décès de Carlo Goldoni à Paris. Il est âgé de 86 ans.


Bibliographie                                    

Comédies L'uomo di mondo ,1738 Il prodigo , 1739 Il Momolo cortesan , 1739 (partiellement improvisée) Il mercante fallito o sia la bancarotta ,1741 La donna di garbo ,1743 Il servitore di due padroni , 1745 Il frappatore (Le Trompeur), 1745 I due gemelli veneziani , 1745 L'uomo prudente La vedova scaltra , 1748 L'avvocato veneziano , 1748 La putta onorata , 1749 La buona moglie, 1749 Il cavaliere e la dama,1749 Il padre di famiglia, 1750 La Famiglia dell'antiquario ossia La Suocera e la nuora (, 1750 L'erede fortunata, 1750 Le femmine puntigliose , 1750-1751 La bottega del caffè , 1750-1751 Il bugiardo , 1750-1751 L'adulatore ,1750 Il cavaliere di buon gusto , 1750 Il giuocatore, 1751 Il vero amico , 1751 L'incognita , 1751 L'avventuriere onorato , 1751 I pettegolezzi delle donne, 1750-1751 Il Moliere (Molière), 1751 La castalda, 1751 L'amante militare , 1751 Il tutore , 1752 La moglie saggia , 1752 La cameriera brillante, 1754 Il filosofo inglese , 1754 Il vecchio bizzarro , 1754 Il festino, 1754


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La madre amorosa , 1754 Terenzio, 1754 Torquato Tasso, 1755 Le morbinose, 1758 La burla retrocessa nel contraccambio , 1760 La casa nova , 1761 La buona madre , 1761 La villeggiatura ,trilogie, 1761 : Sior Todero brontolon o sia il vecchio fastidioso, 1762 Le baruffe chiozzotte (, 1762 Una delle ultime sere di carnevale , 1762 L'osteria della posta, 1762 Il matrimonio per concorso Les Amours d'Arlequin et de Camille, Paris, 1763 La Jalousie d'Arlequin, Paris, 1763 L'Inquiétude de Camille, Paris, 1763 Gli amori di Zelinda e Lindoro, 1764 La gelosia di Lindoro , 1763-1764 Il ventaglio (L'Éventail), 1765 Chi la fa l'aspetta o sia i chiassetti del carneval, 1765 Il genio buono e il genio cattivo, 1768 Le Bourru bienfaisant, Paris, 1771 L'Avare fastueux, Paris, 1776 Opéra : Amalasunta, 1732 Gustavo, vers 1738 Oronte re de' Sciti, 1740 Statira, vers 1740 Ouvrage : Il teatro comico, 1750-1751 Nuovo teatro comico, Venise, Appresso F. Pitteri, Venice, 1757-1763 Mémoires pour servir à l'histoire de ma vie et à celle du théâtre, Paris, Duchesne, 1787 (autobiographie en français) Opere teatrali, Venise, A. Zatta e figli, 1788-1795


L’authenticité de Venise : les gondoles Le fait de pouvoir circuler en bateau est la particularité de la ville de Venise. Cette absence d’autres moyens de transports, tels que la voiture ou les chevaux, fait de Venise, selon l’auteur, une ville conviviale où tout le monde se côtoie et ce peu importe la classe sociale, le sexe. La gondole fermée du vieux noble, la barque resplendissante du banquier ou du négociant, et le bateau brut du marchand de légumes, soupent et voguent ensemble sur le canal, se heurtent, se poussent, et l’orchestres riche se mêle aux rauques chansons du pauvre. Quelquefois le riche fait taire ses musiciens pour s’égayer des refrains graveleux du bateau ; quelquefois le bateau fait silence et suit la gondole pour écouter la musique du riche. Cette bonne intelligence se retrouve partout ; l’absence de chevaux et de voitures dans les rues, et la nécessité pour tous d’aller sur l’eau, contribuent beaucoup à l’égalité des manières. Personne ne crotte et n’écrase son semblable. Il n’y a point là l’humiliation de passer à pied auprès d’un carrosse ; nul n’est forcé de se déranger pour un autre, et tous consentent à se faire place. George Sand, Lettres d'un voyageur, 1834-186.


La beauté de Venise au printemps Parfaite description de Venise au printemps. Chaque détail, des plantes aux couleurs en passant par les bruits, nous emmènent dans cette ville fascinante qu’est Venise. Tu ne te doutes pas, mon ami, de ce que c’est que Venise. Elle n’avait pas quitté le deuil qu’elle endosse avec l’hiver, quand tu as vu ses vieux piliers de marbre grec, dont tu comparais la couleur et la forme à celles des ossements desséchés. A présent le printemps a soufflé sur tout cela comme une poussière d’émeraude. Le pied de ces palais, où les huîtres se collaient dans la mousse croupie, se couvre d’une mousse vert tendre, et les gondoles coulent entre deux tapis de cette belle verdure veloutée, où le bruit de l’eau vient s’amortir languissamment avec l’écume du sillage. Tous les balcons se couvrent de vases de fleurs, et les fleurs de Venise, nées dans une glaise tiède, écloses dans un air humide, ont une fraîcheur, une richesse de tissu et une langueur d’attitudes qui les font ressembler aux femmes de ce climat, dont la beauté est éclatante et éphémère comme la leur. Les ronces doubles grimpent autour de tous les piliers et suspendent leurs guirlandes de petites rosaces blanches aux noires arabesques des balcons. L’iris à odeur de vanille, la tulipe de Perse, si purement rayée de rouge et de blanc qu’elle semble faite de l’étoffe qui servait de costume aux anciens Vénitiens, les roses de Grèce, et des pyramides de campanules gigantesques s’entassent dans les vases dont la rampe est couverte; quelquefois un berceau de chèvrefeuille à fleurs de grenat couronne tout le balcon d’un bout à l’autre, et deux ou trois cages vertes cachées dans le feuillage renferment les rossignols qui chantent jour et nuit comme en pleine campagne. Cette quantité de rossignols apprivoisés est un luxe particulier à Venise. Les femmes ont un talent remarquable pour mener à bien la difficile éducation de ces pauvres chanteurs prisonniers, et savent, par toutes sortes de délicatesses et de recherches, adoucir l’ennui de leur captivité. La nuit, ils s’appellent et se répondent de chaque côté des canaux. Si une sérénade passe, ils se taisent tous pour écouter, et, quant elle est partie, ils recommencent leurs chants, et semblent jaloux de surpasser la mélodie qu’ils viennent d’entendre. A tous les coins de rue, la madone abrite sa petite lampe mystérieuse sous un dais de jasmin, et les traghetti, ombragés de grandes treilles, répandent le long du Grand Canal, le parfum de la vigne en fleur, la plus suave peut-être parmi les plantes. George Sand, Lettres d'un voyageur, 1834-186.


Venise au crépuscule Après avoir décrit la beauté de Venise le jour, George Sand la décrit la nuit. Tous ces détails nous permettent d’imaginer à quoi ressemble le ciel de Venise la nuit, on est transporté sous le ciel étoilé de Venise. On ne nous avait certainement pas assez vanté la beauté du ciel et les délices des nuits de Venise. La lagune est si calme dans les beaux soirs que les étoiles n’y tremblent pas. Quand on est au milieu, elle est si bleue, si unie, que l’œil ne saisit plus la ligne de l’horizon, et que l’eau et le ciel ne font plus qu’un voile d’azur, où la rêverie se perd et s’endort. L’air est si transparent et si pur que l’on découvre au ciel cinq cent mille fois plus d’étoiles qu’on n’en peut apercevoir dans notre France septentrionale. J’ai vu ici des nuits étoilées au point que le blanc argenté des astres occupait plus de place que le bleu de l’éther dans la voûte du firmament. C’était un semis de diamants qui éclairait presque aussi bien que la lune à Paris. George Sand, Lettres d'un voyageur, 1834-186.


Biographie 1 juillet 1804 : Naissance à Paris d’Amantine Aurore Lucile Dupin, plus connue sous le nom de George Sand. 1818-1820 : Aurore Dupin devient pensionnaire du couvent des Augustines anglaises à Paris. Elle y apprend l’anglais et l’italien et y subit une forte influence religieuse. 1822 : Elle épouse le Baron Casimir Dudevant. 1830 : Elle fait la connaissance de Jules Sandeau, qui devient son amant. 1831 : S’installe au quai Saint-Michel avec Jules Sandeau. Ils écrivent en collaboration Rose et Blanche, signé J. Sand. 1832 : Publication du premier roman d’Aurore Sand, Indiana, signé George Sand. 1833 : Début de la liaison entre George Sand et Alfred Musset, ils partent pour Venise. 1834 : G. Sand fait la connaissance du médecin et poète, Pagello, dont elle devient la maîtresse. Elle voyage avec lui à Trévise, Castelfranco, Cittadella, Vicence, Bassano, Oliero, Crespano, Possagno, Asolo, Mestre et Venise avant de retourner à Paris. 1835 : G. Sand rompt avec A. Musset et fait ensuite la connaissance de l’avocat Michel de Bourges, leurs relations deviennent très rapidement intimes. 1836 : Séparation entre G. Sand et Casimir Dudevant. 1837 : Séparation définitive d’avec Michel, c’est la fin d’une liaison traversée d’orages. 1838 : Le musicien Frédéric Chopin devient l’amant de George Sand. 1847 : Sand et Chopin se séparent. 1854 : L’Histoire de ma vie commence à paraître dans La Presse. 1876 : Mort de George Sand à Nohant.


Bibliographie 1830 : Le Commissionnaire (avec Jules Sandeau) 1831 : Rose et Blanche (avec Jules Sandeau, roman) 1831 : La Fille d'Albano 1831 : Valentine (roman) 1832 : Indiana (roman) 1833 : Lélia (roman) 1833 : Aldo le Rimeur 1833 : Une conspiration en 1537 1834 : Journal intime 1834 : Jacques (roman) 1834 : Le Secrétaire intime (roman) 1834 : La Marquise (roman) 1834 : Garnier (conte, Urbain Canel / Adolphe Guyot) 1834 : Lavinia 1834 : Métella 1835 : André (roman) 1835 : Mattéa 1835 : Leone Leoni (roman) 1836 : Simon (roman) 1837 : Mauprat 1837 : Dodecation, ou le Livre des douze. Le Dieu inconnu 1838 : Les Maîtres mozaïstes (roman) 1838 : La Dernière Aldini (roman)


1838 : L'Orco 1838 : L'Uscoque (roman) 1839 : Gabriel (dialogue) 1839 : Spiridion (roman) 1840 : Les Sept Cordes de la lyre (théâtre) 1840 : Cosima, ou la Haine dans l'amour (théâtre) 1840 : Pauline. Les Mississipiens (roman) 1841 : Le Compagnon du tour de France (roman) 1842 : Mouny Roubin 1842 : Georges de Guérin 1842 : Horace 1842 : Un hiver à Majorque (récit) 1843 : La Sœur cadette 1843 : Kouroglou 1843 : Carl 1843 : Jean Zizka (roman historique sur la vie de Jan Žižka, chef de guerre hussite) 1843 : Consuelo (roman) 1843 : La Comtesse de Rudolstadt (roman) 1844 : Jeanne (roman) 1845 : Le Meunier d'Angibault (roman) 1846 : La Mare au diable (roman) 1846 : Isidora (roman) 1846 : Teverino (roman) 1846 : Les Noces de campagne (roman)


1846 : Evenor et Leucippe. Les Amours de l'Âge d'or 1847 : Le Péché de M. Antoine 1847: Lucrezia Floriani (roman) 1847: Le Piccinino (roman) 1849 : La Petite Fadette (roman,) 1850 : François le Champi (roman) 1851 : Le Château des Désertes (roman) 1851 : Histoire du véritable Gribouille 1851 : Le Mariage de Victorine (théâtre) 1852 : Les Vacances de Pandolphe (théâtre) 1853 : La Fauvette du docteur 1853 : Mont Revèche 1853 : La Filleule 1853 : Les Maîtres sonneurs 1854 : Adriani 1854 : Flaminio (théâtre) 1855 : Histoire de ma vie (autobiographie) 1856 : Autour de la table 1857 : La Daniella 1857 : Le Diable aux champs 1857 : Promenades autour d'un village 1858 : Les Beaux Messieurs de Bois-Doré 1859 : Elle et lui (récit autobiographique sur ses relations avec Musset) 1859 : Jean de la Roche 1859 : L'Homme de neige


1859 : Narcisse 1859 : Les Dames vertes 1860 : Constance Verrier 1861 : La Ville noire 1861 : Valvèdre 1861 : La Famille de Germandre 1861 : Le Marquis de Villemer 1862 : Tamaris 1863 : Mademoiselle La Quintinie 1863 : Les Dames vertes 1863 : Antonia 1865 : La Confession d'une jeune fille 1865 : Laura 1866 : Monsieur Sylvestre 1866 : Le Don Juan de village (théâtre) 1866 : Flavie 1867 : Le Dernier Amour 1868 : Cadio (théâtre) 1868 : Mademoiselle Merquem 1870 : Pierre qui roule 1870 : Le Beau Laurence 1870 : Malgré tout 1871 : Césarine Dietrich 1871 : Journal d'un voyageur pendant la guerre 1872 : Francia. Un bienfait n'est jamais perdu


1872 : Nanon 1873 : Contes d'une grand'mère vol. 1 1874 : Ma sœur Jeanne 1875 : Flamarande 1875 : Les Deux Frères 1876 : La Tour de Percemont 1876 : Contes d'une grand'mère vol. 2 1876 : Marianne 1877 : Légendes rustiques (La Reine Mab. La Fée qui court. Fanchette) 1873 : L'Orgue du Titan 1886 : Les Ailes du courage (posthume)


Les canaux de Venise Alors que Barrès entame la description de Venise, il commence par décrire le coeur de la ville: les canaux. " A côté de cette voie pompeuse où l'on parvient à maintenir, tant bien que mal, quelques beaux instants de l'apogée vénitienne, tous les petits sentiers de pierre ou d'eau, rio, fondamenta, salizzada, calle, continuent lentement leur régression. Ce réseau solitaire nous invite au plaisir délicat du repliement. J'y désirai revoir, entre mille perles malades, l'humble et délaissée Sainte-Alvise. Sur la droite de la Cà d'Oro, par le rio San Felice, mon gondolier s'engagea..." Le charme puissant de ces petits canaux, pleins d'ombre dans le bas et violemment illuminés au faîte, vient en partie du contraste de leur fraîcheur avec la réverbération du soleil sur les eaux plus larges. Jusqu'à midi, dans ses quartiers pauvres et resserrés, Venise a cette jeunesse étincelante qui, dès neuf heures, disparaît dans la campagne avec la rosée. Et puis, que les cris sont jolis dans son grand silence ! Ce silence, à bien l'observer, n'est pas absence de bruits, mais absence de rumeur sourde: tous les sons courent nets et intacts dans cet air limpide où les murailles les rejettent sur la surface de la lagune qui, ellemême, les réfléchit sans les mêler. " Barrès


Une beauté paradoxale Barrès, fasciné par le paradoxe entre la gloire passée de Venise et l'état de délabrement qu'il observe, décrit le contraste visible entre décadence et maintien du prestige vénitien. "C'est bien que les puissants et délicats palais sarrasins, lombards, gothiques, reçoivent sur leurs marches déjointes l'eau que chasse en glissant notre barque; c'est bien qu'aux deux rives leurs façades perpétuent la galerie du rez-dechaussée, la loge du premier étage, les gracieuses fenêtres en guipure de pierre et les marbres de couleur; mais pourquoi des planches, des briques, pourquoi de grossiers matériaux apportés par la misère sordide étançonnent-ils des œuvres de luxe qui se refusaient à persévérer dans la vie ? Ces logis, abandonnés par l'intelligente aristocratie de marchands qui les édifia, n'épuiseront pas noblement leur destin. Dégradés par une appropriation industrielle, ils deviennent d'ignobles masures, quand ils pouvaient être un pathétique mémorial. La mort qui les couvre de ses sanies ne leur apporte ni le repos ni l'anonymat. " Barrès


Venise, ville de mélancoliques Après un rapide historique de la ville de Venise, Barrès tente de décrire la population hétéroclite qui y vit. " A proprement parler, pour nous, il n'est plus de Vénitiens. La population réelle de Venise semble faite de cosmopolites, millionnaires ou artistes, à peu près fixés dans les vieux palais historiques et sur lesquels passent d'incessantes caravanes de touristes. [...] Aussi bien, depuis longtemps, elle était en formation, cette Venise cosmopolite. [...] Madères, Cannes, Nice, Monaco, Florence, Rome, Corfou, attirent, chacune, des catégories différentes d'exilés volontaires. Les déracinés qui fréquentent Venise sont, plutôt que des amuseurs mondains, des mélancoliques naturels ou des attristés, des âmes ardentes et déçues. En effet, pourraient-ils habiter un tel lieu s'ils ne cherchaient les voluptés de la tristesse ? " Barrès


Biographie 1862 (19 aout) Naissance à Charmes 1878 Rencontre avec Stanislas de Guaita (occultiste) 1884 Fonde la revue Les taches d'Encre (seulement 4 numéros qu'il écrit presque en entier). 1887 Voyage en Italie. Il tente de publier Sous l’œil des Barbares dès son retour en France, mais c’est un échec et il retourne en Italie. 1888 Le culte du moi le révèle au public. 1889 Elu député de Nancy (boulangiste, programme : « Contre les étrangers ») 1891 (11 juillet) Epouse Paule Couche. 1893-1897 Suit les cours à l'Ecole pratique des hautes études à la Sorbonne. 1894 Fonde son journal, La Cocarde. 1896 Naissance de son fils Philippe à Neuilly-sur-Seine. 1899 Adhère à la Ligue de la patrie française puis à la Ligue des patriotes de Paul déroulède. 1903 Publication de Amori et Dolori sacrum, où se trouve la nouvelle La mort de Venise. 1906 Elu à l'Académie française, Elu député de Paris. 1914 Succède à Paul Déroulède à la tête de la Ligue des Patriotes, après avoir présidé la Ligue de la Patrie française. 1923 (4 décembre) Mort à Neuilly sur Seine.


Bibliographie Romans 1888-1891: Le Culte du moi composé de: Sous l’oeil des barbares, 1888. Un homme libre, 1889. Le jardin de Bérénice, 1891 1893 : L’Ennemi des lois. 1897-1902 : Le Roman de l’énergie nationale composé de : Les Déracinés, 1897. L’Appel au soldat, 1900. Leurs figures, 1902. 1905-1921 : Les Bastions de l’Est composé de : Au service de l’Allemagne, 1905. Colette Baudoche – Histoire d’une jeune fille de Metz, 1909. Le Génie du Rhin, 1921. 1913 : La Colline inspirée. Huit jours chez M. Renan. 1922 : Un jardin sur l’Oronte 1926 : Le Mystère en pleine lumière. Théâtre 1894 : Une journée parlementaire. Impressions de voyages 1894 : Du sang, de la volupté, de la mort : Un amateur d’âmes. Voyage en Espagne, Voyage en Italie, etc. 1903 : Amori et dolori sacrum. La mort de Venise. 1906 : Le voyage de Sparte. 1911 : Greco ou Le secret de Tolède. 1923 : Une enquête au pays du Levant. Discours 1899 : Sur quelles réalités fonder la conscience française.


« Le bruit fait que Venise. » Ici l’auteur utilise le champ lexical du corps. Quand l’auteur arrive à Venise, ce qui le surprend le plus c’est le silence. La passibilité de Venise. Chaque sens est à l’épreuve dans cette ville. Il fait le tour des sens et marque l’ironie sur les sourds et les aveugles qui résident dans le monde mais aussi à Venise sur leur bonheur. « Le silence de Venise peut être utilisé sans fatigue pour la jouissance (et pas banale) de toute une vie. Il a cependant la qualité des grands silences. Depuis que j’ai débarqué (et c’est le mot) à Autorimessa, j’éprouve ce pourquoi depuis toujours et partout tant d’hommes de qualité ont fui le monde, et qui peut être défini de la façon suivante : un sens qui sert rarement au plaisir sert enfin au plaisir. Il y a certes la musique, mais c’est l’artifice, pour si belle qu’elle soit. Nous allons à elle comme à un extrait. Elle ne peut être écoutée qu’à faible dose : une heure ou deux, au maximum ; au-delà, disons par exemple dix heures, la plus belle serait un supplice ; on ne la gouterait plus, on serait ivre de mort comme après trop d’absinthe. Faisons le compte, par contre, des joies de notre œil. Il n’y a pas besoin du Parthénon ni de Vézelay ; rien que dans les femmes qu’on rencontre : une bouche, un nez, des cheveux, parfois tout un visage, un buste, une démarche, les couleurs, et je parle pour ceux qui n’ont presque rien à regarder. Les fleurs, les arbres, les paysages, les animaux, les chevaux : l’émotion visuelle n’est jamais à son comble. L’œil est blasé. On ne peut comparer aucune émotion visuelle à l’émotion, par exemple, que procure une belle voix. L’oreille est plus sensible parce que le bruit ne lui fournit presque jamais l’occasion de jouir. Quand elle y arrive, elle le fait avec des forces neuves, intactes, et qui ont appétit de tout. C’est pour le savoir d’instinct que les sourds sont généralement tristes. Ils ont perdu un paradis à peine goûté, et un paradis d’Allah. Comme un aveugle serait heureux à Venise ! » Jean Giono, Voyage en Italie, 1953.


Noir c’est noir Dans ce passage, on remarque la couleur noire est très présente à Venise tout au long de l’année. Le noir, en général, représente dans certaines cultures, la couleur de la morte, du deuil mais pour les habitants un signe de beauté. L’auteur justifie le port de cette couleur comme étant la seule couleur qui ne peut prendre de poussière et la plus économique. « La position de la ville entourée d’eau et pavée d’eau fait que c’est le seul endroit du monde où l’on peut porter indéfiniment du noir et où le noir reste pur. Pantalon, chemise et sandales du noir le plus pur : voilà un admirable costume. Rien n’est plus gai. On fait aussi une sorte de chapeau noir en paille vernie, à fond plat et à larges bords, égayé d’une toute petite tresse de ruban vert qui pend par-derrière, en cadenette. C’est dans cet attirail qu’on va partout. Comme il n’y a jamais de poussière, rien n’est plus économique que ce noir. Les femmes ont des jupes de couleur et s’entourent souvent le buste d’un jaune vif. Un homme noir qui cherche fortune est très beau. Il est difficile de laver le linge à Venise. L’eau de la lagune ne sert pas. L’été, quand, dans les ruelles, l’ombre est nettement tranchée du soleil, on voit les femmes coloriées courir dans la lumière comme si elles mimaient seules la fuite de Kléarista. C’est seulement quand on approche qu’on voit dans l’ombre cinq ou six hommes noirs qui viennent de lui faire leurs offres de services. Ils se confondent avec l’ombre. » Jean Giono, Voyage en Italie, 1953.


Un concert à Venise L’auteur assiste à un concert chaotique à Venise. Mais malgré le fait que cela le soit, il trouve magnifique le concert, à tel point qu’il se demande s’il n’est pas fou. Mais on remarque que dans ce passage, les habitants ne portent pas attention au concert et les musiciens ne font pas la musique pour faire connaitre leur musique mais ils jouent pour eux-mêmes. « Nous avons assisté sur la place Saint-Marc à un concert donné par la Musique municipale de Venise. C’était la cacophonie la plus décidée du monde. Les musiciens sont arrivés les uns après l’autre, en boutonnant leurs tuniques. Quand un petit monsieur qui était le chef a jugé qu’il avait tous ses éléments, il a, sans autre forme de procès, levé sa baguette et les instruments se sont mis à pousser des cris. Il était impossible de mettre un nom sur ce bruit. La place était noire de monde et j’ai pensé qu’il allait y avoir une révolution. Pas du tout : les gens ont continué leur promenade comme si tout était pour le mieux. A la terrasse du Florian où nous étions assis, en compagnie d’une très nombreuse assemblée, j’étais près d’un pilier qui dissimulait un dilettante. Il était dans le ravissement. Je n’ai jamais vu visage plus heureux. Les manifestations de son bonheur atteignaient même une sorte d’impudeur obscène. J’en suis venu à me demander si je n’étais pas fou moi-même, et il a fallu pour me rassurer que j’aille regarder sur le programme le nom du morceau qu’on jouait. C’en était un fort célèbre, que je connais naturellement et que même je fredonne. Les beuglements faux des trombones et l’horrible piaillerie sans mesure de tout le reste n’étaient donc pas le fait d’un chef-d’œuvre moderne qui aurait eu ses fervents. Il m’a fallu assez de temps avant de comprendre que toute l’assistance était en représentation et qu’on jouait la volupté. Je suis persuadé que mon dilettante aime Mozart. Dans les entractes, il balançait sa chaise de façon à placer son visage dans l’ombre. C’était pour se reposer de feindre. Quand il se remettait dans la lumière, il ne se dominait pas tout de suite une bouche très sensible. Ici, ce n’est pas « pour le tsar et la patrie » qu’il y a des héros : c’est pour la galerie » Jean Giono, Voyage en Italie, 1953.


biographie 19 aout 1862 : naissance à Charmes 1878 : rencontre avec Stanislas de Guaita (occultiste) 1884 : fonde la revue Les taches d'Encre (seulement 4 numeros qu'il ecrit presque en entier). 1893 -1897 : suit les cours à l'Ecole pratique des hautes études à la Sorbonne. 1906 : élu à l'Académie française. élu député de Paris. 4 décembre 1923: mort à Neuilly sur Seine. 30 mars 1895 : Naissance de Jean Giono à Manosque (Haute Provence) 1911 : Il interrompt ses études pour devenir commis dans une banque afin de subvenir aux besoins de sa famille 1914 : Il est mobilisé pour la guerre dont il ressort traumatisé par les atrocités 1920 : - Il perd son père en Avril - Mariage en Juin avec Élise Maurin 1924 : Il publie son premier recueil de poésies sur les encouragements du poète Lucien Jacques 1926 : Naissance de sa fille, Aline Giono 1927 : Grasset refuse son roman « Naissance de l’Odyssée » car il le qualifie de « jeu littéraire » 1929 : Publication de son premier roman : « Colline » . on lui remet le prix américain Brentano. 1930 : - Il adhère à l’association des écrivains et artistes révolutionnaires ( mouvement communiste) où il ne restera pas longtemps - Il s’engage politiquement - Il reçoit le prix Northcliffe pour Regain


1932 : Il est fait chevalier de la Légion d’honneur 1934 : Naissance de Sylvie Giono 1937 : Adaptation cinématographie de Regain par Marcel Pagnol 14 septembre 1939 : Il est arrêté à cause de son pacifisme. Il est relâché après un non lieu. 1940 : Il participe à la traduction de « Moby Dick » Septembre 1944 : Il est de nouveau emprisonné et relâché faute de preuves 1951 : Il voyage en Italie

1953 : - Publication de «Voyage en Italie ». - Il obtient le Prix littéraire du Prince Rainer de Monaco. 1954 : - Il assiste au procès de Dominici (paysan accusé de meurtre de trois touristes) puis publiera ses notes dans un essai : « Notes sur l'affaire Dominici suivies de Essai sur le caractère des personnages. » - Giono est élu à l'Académie Goncourt 1959 : Mariage de sa fille, Sylvie 1960 : Il écrit et met en scène le film Crésus 1962 : Première crise cardiaque 1963 : Il entre au conseil littéraire de Monaco 8 octobre 1970 : Décès de l’auteur à Manosque d’une crise cardiaque 1977 : Publication posthume de Faust Village


Bibliographie 1923  

Accompagné de la flûte (poème) Angélique (inachevée)

1929    

Colline Un de Baumugnes Le noyau d’abricot Présentation de Pan

1930   

Regain Naissance de l'Odyssée Présentation de Pan (essai)

1931   

Manosque-des-Puteaux (essai) Le Grand Troupeau Poème de l’olive

1932   

Le serpent d’étoiles (essai) Jean le Bleu Solitude de la pitié

1934 

Le Chant du monde

1936  

Que ma joie demeure Les vraies richesses (essai)

1937  

Batailles dans la montagne Refus d’obéissance (essai)

1938  

Le poids du ciel (essai) Lettre aux paysans sur la pauvreté et la paix (Vivre libre I) (essai)

1939 

Précisions (Vivre libre II) (essai)


 

Recherche de la pureté (essai) Moby Dick (traduction du roman d'Herman Melville ; avec Lucien Jacques et Joan Smith)

1941  

Pour saluer Melville Triomphe de la vie (essai)

1943   

L'eau vive Le Voyage en calèche (pièce interdite au moment de l’occupation) Théâtre

1944 

Virgile ou les Palais de l'Atlantide

1947   

Un roi sans divertissement Noé Le cœur-cerf (poème)

1948  

Fragments d'un paradis Faust au village

1949  

Mort d'un personnage Les Âmes fortes

1951   

Village Les Grands Chemins Le Hussard sur le toit

1952 

Le Moulin de Pologne

1953  

L'Homme qui plantait des arbres Voyage en Italie (essai)

1955 

Notes sur l'affaire Dominici (essai)


L'expédition d'Humphry Clinker (traduction du roman de Tobias G. Smollet ; avec Catherine d'Ivernois)

1957 

Le Bonheur fou

1958  

Angelo Hortense ou l'Eau vive

1959 

Théâtre II

1962  

Le Désastre de Pavie (essai) Les Terrasses de l'île d'Elbe (essai)

1965    

Deux cavaliers de l'orage Le Bestiaire Les Trois arbres de Palzem (essai) Les Récits de la demi-brigade

1966  

Le Déserteur et autres récits Cœurs, passions, caractères (inachevée)

1967 

Les Héraclides (essai publié en 1995)

1968  

Ennemonde et Autres Caractères Le Cheval fou (théâtre)

1969 

Provence (essai publié en 1993)

1970  

L'Iris de Suse La chasse au bonheur (essai publié en 1988)


TEXTES DE SARTRE Situation IV : Passage 2 L’eau est trop sage ; on ne l’entend pas. Pris d’un soupçon, je me penche : leciel est tombé dedans. Elle ose à peine remuer et ses millions de fronces bercent confusément la maussade relique qui fulgure par intermittences. Là-bas, vers l’est, le canal s’interrompt, c’est le commencement de la grande flaque laiteuse qui s’étend jusqu’à Chioggia : mais de ce côté-là c’est l’eau qui est de sortie : mon regard dérape sur un vitrage, glisse et va se perdre, en vue du Lido, dans une morne incandescence. Il fait froid ; une journée nulle annonce ses craies ; une fois de plus Venise se prend pour Amsterdam ; ces pâleurs grises au loin ce sont des palais. C’est comme ça, ici : l’air, l’eau, le feu et la pierre ne cessent de se mélanger ou de s’intervertir, d’échanger leurs nature ou leurs lieux naturels, de jouer au quatre coins ou au chat perché ; jeux vieillots et qui manquent d’innocence ; on assiste à l’entrainement d’un illusionniste. Aux touristes inexpérimentés ce composé instable résevre bien des surprise : pendant que vous mettez le nez en l’air pour voir le temps qu’il fait, tout le système céleste avec ses météores et ses nues se résume peut-être à vos pied en un serpentin d’argent.


Situation IV : Passage 3 Tout cela, c’est à cause du Canal. Si c’était un honnête bras de mer, avouant franchement qu’il a pour fonction de séparer les hommes, ou bien un fleuve rageur et dompté qui porte les barques à regret, il n’y aurait pas d’histoire, on dirait simplement qu’il y a là-bas une certaine ville, différente de la nôtre et, par cela, même toute semblable, Une ville comme toutes les villes. Mais ce Canal prétend réunir ; il se donne un chemin d’eau, fait tout exprès pour la promenade à pied. Les marches de pierre qui descendent jusqu’à la chaussé comme les perrons blancs dans les villas roses à Baltimore, les portes cochères dont les grilles doivent s’ouvrir pour laisser passer des attelages, les petits murs de brique qui défendent un jardin contre la curiosité des passant et les longues tresses de chèvrefeuilles qui coulent le long des murs et traînent jusqu’à terre, tout me suggère de traverser la chaussée en courant pour aller m’assurer que le touriste, là-bas, est bien de mon espèce et qu’il ne voit rien que je ne puisse voir. Mais la tentation disparaît avant même de s’être tout à fait formée ; elle n’a d’autre effet que d’aviver mon imagination : déjà je sens que le sol s’entrouvre, le Canal n’est qu’une vieille branche pourrie sous sa mousse, sous les coques noires et sèches dont elle s’est couverte, et qui craque si l’on met le pied dessus ; j’enfonce, je m’engloutis en levant les bras et ma dernière vision sera le visage indéchiffrable de l’inconnu de l’Autre bord, à présent tourné vers moi, mesurant avec angoisse son impuissance ou jouissant de me voir tomber dans le piège. Jean-Paul Sartre, Situation IV, 1964.


Biographie


Bibliographie


Barbaro Passage n°2 Paolo Barbaro décrit l’évolution de la lagune dans le temps, où l’eau, source de vie de la lagune de Venise, change… de l’hiver vers le printemps, encore incertain au cours de la narration, la couleur de l’eau au fil du temps. Mars, Si c’est une ville « Pointes subites de marée, avec les lunes limpides qui s’échelonnent entre février et mars. Ciel trop pur pour la lagune, sans nuances. Des barques de toutes les couleurs se lèvent jusque sur les rives, pour disparaître, quelques heures après, plus bas, au sec : au milieu de souffles d’iode, de relents saumâtres qui pénètrent les maisons. C’est carrément saumâtre, et non pas stracco. Le jargon des amis des îles se déchaîne : des vagues saventi, aux parfums variés, au moment du flux ; des tourbillons de dosana, tels que des rapides, au reflux. Les prémices du printemps s’annoncent par cet échange continu, jour et nuit. L’eau qui tout d’abord était blafarde, tout comme la « pâte » de limon qui l’accompagne, formée d’un tourbillon d’organismes et de micro-organismes en suspension, se modifie constamment entre les étranglements des embouchures et les grands plans d’eau : dans les points de marée basse, il ne reste qu’un filet malpropre, mais la mer « pousse », et l’eau qui arrive est neuve, bleu acier, limpide. Des canaux gonflés jusqu’au niveau des places, envahis par un élément jamais vu : l’eau nouvelle est plus « filandreuse » qu’au large, comme faite de filaments différents qui s’introduisent dans les ramifications les plus étroites ; et pourtant, elle est aussi plus lisse. Plus pesante et plus légère. Certes, plus bleue aussi : car, d’habitude, elle est verte. Bon, bien sûr, que le phénomène soit le même partout, ni même visible de la même manière : sur la lagune, comme toujours, tout est visible et invisible, tout est clair et tout est filtré – ce qui nous permet de vivre. Dans les rii plus petits et sinueux, cela se remarque à peine ; de même dans les canaux les plus grands, trop agités par la circulation. Mais dans ceux de taille et de portée moyennes, il n’y a pas de doute : les profils des maisons se reflètent nettement dans l’eau, comme si les algues, la saleté, les moteurs, n’avaient jamais existé ; et durant ces derniers jours, on ne voit que des profils sur du bleu clair. Mais est-ce là un bon signe ? Je me le demande. En réalité, nous sommes dans un « faux printemps », printemps d’hiver : il fait presque aussi froid qu’en janvier, pourtant les couleurs sont différents. Le seul printemps vivable désormais à Venise, bref et âpre : il permet de comprendre ce que pourrait être le vrai, plus tard, alors que, sur la lagune, il n’existe plus. Avril, comme de coutume, sera « algueux » – adjectif nouveau, horrible comme les algues nouvelles qui maintenant murissent. En mai, l’eau est remplie d’herbes décomposées, l’air empuanti, les couleurs altérées. Ces jours précieux ont quelque chose de l’été de la Saint-Martin en automne : ils font ressurgir les saisons perdues. Ou inventées. Une hypothèse de printemps, avec de brefs éclairs de chaleur, fuyants, à mi-journée. Un mensonge, avec un soupçon de peur, tandis que les soirs s’allongent, vers et frisquets, mais les équinoxes sont encore loin. Incertitudes, semble-t-il, que nous paierons plus tard, qui sait ce qui va arriver cette année, sur nos îles en décomposition. Pour l’instant, cette eau bleue et mobile est un bon signe. Elle indique que la lagune est vivante, oxygénée et habitée : aux plus petites variations du fond ou de la température, elle change de couleur et d’ « épaisseur » suivant une gamme jamais vue. En effet, nous sortons, au large : ici, si nous l’observons bien, l’eau est faite de minuscules suspensions ; comme si la


main de Dieu, cette nuit, y avait répandu de la cendre. Dans les grandes étendues peu profondes, elle est encore pâle : il faudrait une autre tempête, pour que l’azur se répande comme il faut, mais il y a déjà autour des cercles bleus, presque noirs. Quand la mer sera courte, peut-être passera-t-elle franchement à un petit vert estival. Le vent est tombé, la voile faseye, elle ne se gonfle pas : c’est le moment – presque rien ne bouge – des confrontations avec les années passés. »


Biographie 1922 : Naissance de Paolo BARBARO (de son vrai nom Ennio GALLO) à Mestre (localité de la commune de Venise, dans le nord-est de la commune de Venise, dans le nord-est de l’Italie et expansion de la cité vénitienne sur la terre ferme). L’écriture est une activité parallèle pour l’auteur, à celle de technicien des eaux. Il travaille en tant qu’ingénieur hydraulique pour l’ENEL (Groupe international et fournisseur électrique italien, crée en 1962). L’auteur, de renommée internationale, construit au cours de sa carrière de nombreux barrages et digues partout dans le monde et publie de nombreux ouvrages traitant de la construction des digues et de l’utilisation des eaux. C’est un « écrivain des métiers ». 1966 : Il collabore à l’écriture du journal dei lavori (des travailleurs) chez Enaudi (éditeur italien). Il s’agit d’une étude de la condition humaine dans le monde de la technologie. 1972 : Il rédige des carnets de campagne chez le même éditeur. 1976 : Paolo Barbaro remporte le prix Campiello avec Le Pietre, l’amore (La Pierre et l’Amour) publié chez Mondanori. La même année, il débute une collaboration avec La Stampa, quotidien italien de centre-droit. Il devient plus tard consultant pour la télévision suisse, qui diffuse des documentaires sur les nouvelles villes européennes et sur la lagune de Venise. Certaines de ses œuvres n’ont pas été traduites, particulièrement celles de la fin des années 70 et 80. 1978 : Paolo Barbaro écrit Passi d’uomo chez Mondadori. 1984 : Il écrit Malalali chez les éditions Spirali. 1987 : Diario a due est publié chez Marsilio. Depuis le milieu des années quatre-vingt, son œuvre s’est orientée vers l’exploration, à travers le roman, le récit et la nouvelle, des innombrables aspects et mystères de Venise, et surtout de sa lagune, perçue comme le lieu d’incessantes métamorphoses. 1990 : Lunario veneziano sort chez La Stampa. En 1997, ce roman arrive en France, traduit par Muriel Gallot. Paolo Barbaro donne dans les moindres détails sa ou plutôt, ses visions de la ville de Venise. 1991 : Retour à Ushuaia (Una sola terra), est publié chez La Découverte. Ce roman est traduit par Claude Bonnafont. 1994 : C’est aussi Muriel Gallot qui traduira cette année-là les Îles perdues (Ultime isole). 1996 : La Maison aux lumières (La casa con le luci) est publiée chez Stock et traduit par René de Ceccatty. Deux œuvres traitent de Venise, Venezia, l’anno del mare felice, publiée chez Mulino en 1996 et Venezia. La cità ritrovata chez Marsilio en 1998. 1998 : Venise est au cœur de son dernier roman, la Impresa sensa fine, dans lequel Paolo Barbaro traite des problèmes contemporains de la société, sans fin, comme celui des jeunes sans travail.


Bibliographie Retour à Ushuaia, oeuvre traduite par Claude Bonnafont, La Découverte, Paris, 1990 Journal à deux, roman, éditions Verdier, 1991 Îles perdues, récits, traduits par Muriel Gallot, Stock, Paris, 1994 Lunaisons vénitiennes, nouvelles, oeuvre traduite par Muriel Gallot, La Découverte, 10/18 Odyssées, Paris, 1997 La Maison aux lumières, roman, traduction de René de Ceccatty, Stock, Paris, 1996 Une entreprise sans fin, roman, Stock, 2001 Petit guide sentimental de Venise, roman, traduit par Nathalie Castagné, Seuil, 2003 I Ronchi, Histoires d’une Vénétie qui n’est plus, nouvelles, oeuvre traduite par Jean-Pierre Pisetta, Robert Gilson, 2009 D’autres oeuvres de Paolo Barbaro demeurent dans sa langue maternelle. Giornale dei lavori, Einaudi, Torino, 1966 Libretto di campagna, Einaudi, Torino, 1972 Le pietre, l’amore, Mondadori, Milano, 1976 Passi d’uomo, Mondadori, Milano, 1978 Malalali, Spirali edizioni, Milano, 1984 Une sola terra, Marsilio, Venezia, 1990 ; Tascabili Marsilio, Venezia, 1998 Lunario veneziano, Editrice La Stampa, Torino, 1990 Ultime isole, Marsilio, Venezia, 1992 La casa con le luci, Bollati Boringhieri, Torino, 1995 Venezia, l’anno del mare felice, Il Mulino, Bologna, 1995 Venezia. La cità ritrovata, Marsilio, Venezia, 1998 Il paese ritrovato, Marsilio, 2001 Toscanni, figure della memoria, Minardi, 2001 Giovanni Greci : Il tempo sospeso, Silvana, 2004 Brevi sere filici, Sugar Co, 2009 L’ingenere, una vita, Marsilio, 2011


« Rentré à mon auberge, je dînai en m'amusant de la société des gondoliers stationnés, comme je l’ai dit, sous ma fenêtre. [...] A six heures du matin ils arrivent à leurs gondoles attachées, la proue à terre, à des poteaux. Alors ils commencent à gratter et laver leurs barchette aux traghetti, comme des dragons étrillent, brossent et épongent leurs chevaux au piquet. La chatouilleuse cavale marine s’agite, se tourmente aux mouvements de son cavalier qui puise de l’eau dans un vase de bois, la répand sur les flancs et dans 1 intérieur de la nacelle. Il renouvelle plusieurs fois 1 aspersion, ayant soin d’écarter l’eau de la surface de la mer, pour prendre dessous une eau plus pure. Puis il frotte les avirons, éclaircit les cuivres et les glaces du petit château noir ; il époussète les coussins, les tapis, et fourbit le fer taillant de la proue. Le tout ne se fait pas sans quelques mots d’humeur ou de tendresse, adressés dans le joli dialecte vénitien, à la gondole quinteuse ou docile. » François-René de Chateaubriand, Mémoires d’outre tombe, 1848


Biographie de Chateaubriand


Montesquieu (dans Carnet VĂŠnitien de Salvy)


III Venise Sensuelle


IV J’aime / J’aime pas


Venise, une ville à part. Le président de Brosses a voyagé en Italie de 1739 à 1740. Lors de ce voyage il a rédigé plusieurs lettres, narrant ses voyages à ses connaissances. Dans une lettre adressée à M. de Blancey et datée du 14 août 1739, il lui soumet une description de Venise à propos des nombreux aspects de la ville, et le passage suivant décrit ses premières impressions quant à la ville lors de son arrivée. A vous dire vrai, l'abord de cette ville ne me surprit pas autant que je m'y attendais. Cela ne me fit pas un autre effet que la vue d'une place située au bord de la mer, et l'entrée par le Grand Canal fut, à mon gré, celle de Lyon ou de Paris, par la rivière. Mais aussi quand on y est une fois, qu'on voit sortir de l'eau de tous côtés des palais, des églises, des rues, des villes entières, car il n'y en a pas pour une; enfin, de ne pouvoir faire un pas dans une ville sans avoir le pied dans la mer, c'est une chose, a mon gré, si surprenante, qu'aujourd'hui j'y suis moins fait que le premier jour, aussi bien qu'à voir cette ville ouverte de tous côtés, sans portes, sans fortifications et sans un seul soldat de garnison, imprenable par la mer ainsi que par terre; car les vaisseaux de guerre n'en peuvent nullement approcher, à cause des lagunes trop basses pour les porter. En un mot, cette ville-ci est si singulière par sa disposition, ses façons, ses manières de vivre à faire crever de rire, la liberté qui y règne et la tranquillité qu'on y goute, que je n'hésite pas à la regarder comme la seconde ville d'Europe, et je doute que Rome me fasse revenir de ce sentiment. Charles de Brosses, Lettres familières d'Italie, 1858.


Biographie -7 février 1709 : Naissance à Dijon de Charles de Brosses. Il reçoit une éducation au collège des jésuites à Dijon. - de mai 1739 à avril 1740 : De Brosses réalise son long voyage en Italie en compagnie de plusieurs autres érudits et lors duquel il rédigera ses Lettres écrites d'Italie. -1744 : De Brosses est nommé Président à Mortier au Parlement de Boulogne, c'est à dire un des magistrats importants des institutions de justice les plus hautes. Ces magistrats sont sous l'autorité d'un Premier Président, qu'il deviendra en 1775. -1750 : Il est reçu associé libre à l'Académie des inscriptions et belles-lettres. -1750 : Publication de son livre Les lettres sur l'état actuel de la ville d'Herculée, au travers duquel il fait part de son intérêt pour l'archéologie. -1775 : De Brosses est nommé Premier Président au Parlement de Dijon. -1777 : Décès du Président de Brosses à Paris après une maladie de trois jours. -1799 : première publication de Lettres historiques et critiques écrites d'Italie à titre posthume, qui seront rééditées en 1836, cette fois d'après ses écrits authentiques sous le nom de L'Italie il y a cent ans, ou Lettres écrites d'Italie à quelques amis entre 1739 et 1740.


Bibliographie 1750 : Lettres sur l’état actuel de la ville souterraine d’Herculée et sur les causes de son ensevelissement sous les ruines du Vésuve 1756 : Histoire des navigations aux terres australes 1760 : Du culte des dieux Fétiches 1765 : Traité de la formation mécanique des langues 1777 : Histoire de la République Romaine dans le cours du VIIème siècle 1799 : Lettres historiques et critiques écrites d'Italie 1836 : L'Italie il y a cent ans, ou Lettres écrites d'Italie à quelques amis en 1739 et 1740 1858 : Lettres familières écrites d'Italie 1986 : Lettres d'Italie


Venise, Venise, Venise… A la suite de nombreux et illustres voyageurs, Maupassant se rend à Venise. Cependant, la beauté tant vantée de la Sérénissime agit de manière contradictoire sur l’auteur de Bel Ami : son plaisir de découvrir la ville est émoussé. Venise ! Est-il une ville qui ait été plus admirée, plus célébrée, plus chantée par les poètes, plus désirée par les amoureux, plus visitée et plus illustre ? Venise ! Est-il un nom dans les langues humaines qui ait fait rêver plus que celui-là ? Il est joli, d'ailleurs, sonore et doux : il évoque d'un seul coup dans l'esprit un éclatant défilé de souvenirs magnifiques et tout un horizon de songes enchanteurs. Venise ! Ce seul mot semble faire éclater dans l'âme une exaltation, il excite tout ce qu'il y a de poétique en nous, il provoque toutes nos facultés d'admiration. Et quand nous arrivons dans cette ville singulière, nous la contemplons infailliblement avec des yeux prévenus et ravis, nous la regardons avec nos rêves. Car il est presque impossible à l'homme qui va par le monde de ne pas mêler son imagination à la vision des réalités. On accuse les voyageurs de mentir et de tromper ceux qui les lisent. Non, ils ne mentent pas, mais ils voient avec leur pensée bien plus qu'avec leur regard. Il suffit d'un roman qui nous a charmés, de vingt vers qui nous ont émus, d'un récit qui nous a captivés pour nous préparer au lyrisme spécial des coureurs de route, et quand nous sommes ainsi excités, de loin, par le désir d'un pays, il nous séduit irrésistiblement. Aucun coin de la terre n'a donné lieu, plus que Venise, à cette conspiration de l'enthousiasme. Lorsque nous pénétrons pour la première fois dans la lagune tant vantée il est presque impossible de réagir contre notre sentiment anticipé, de subir une désillusion. L'homme qui a lu, qui a rêvé, qui sait l'histoire de la cité où il entre, qui est pénétré par toutes les opinions de ceux qui l'ont précédé, emporte avec lui ses impressions presque toutes faites ; il sait ce qu'il doit aimer, ce qu'il doit mépriser, ce qu'il doit admirer. Guy de Maupassant, Choses et autres, 1882.


Debray Extrait 4, p89 :

« La lenteur étant devenue notre bien le plus précieux, le critère ultime de civilisation, l’île du piéton roi ne cessera de s’apprécier : chaque foulée y prend un ralenti de cinéma et les silhouettes au loin une lenteur un peu pompeuse de prima donna ou, sous la bruine, de scaphandrier. L’indolence, valeur d’avenir. Mieux que le farniente, le « plein les pattes » de chaque soir. Le mal aux pieds comme remède au mal de vivre. Cette garantie de fatigue fera encore le meilleur des arguments de vente auprès des hommes-troncs et des pressés. On imagine les réclames d’Alitalia le long des highways de Los Angeles : « Venise, le dernier endroit où marcher, le seul ou vous n’arriverez pas à l’heure à vos rendez-vous » - Debray fait état d’une ville qui nous fait prendre notre temps. Elle est le repère idéal pour une fuite de l’homme pressé. Il y trouve donc de bons côtés, même s’il finit son discours sur une note négative : « vous n’arriverez pas à l’heure à vos rendez-vous ». Une phrase qui serait à mettre en parallèle avec une autre du livre, page 41 : « c’est un endroit poli, où l’on déprime mais où on ne se suicide pas ».


Regis Debray 1940 : 2 septembre. Naissance à Paris. 1960 : Entre à l’école normale supérieure d’Ulm, major du concours d’entrée. 1961 : Premier voyage à Cuba ou il travaille pour le gouvernement communiste à la campagne d’alphabétisation. Apparaît dans Chronique d’un été, de Jean Rouch et Edgar Morin. 1963 : Voyage au Venezuela. Projet de film, puis prend les armes aux cotés de la guérilla. 1965 : Agrégation de philosophie. Militant à l’Union des étudiants communistes. Part enseigner à Nancy pour trois mois. Départ pour Cuba. 1967 : Part avec Ernesto Guevara en Bolivie pour y organiser la guérilla. Capturé en avril, il est torturé et purge une peine de quatre ans (à la base, peine de mort). 1971 : Sortie de prison. S’installe au Chili et fréquente notamment Allende et Neruda. 1973 : Retour en France. 1977 : Prix Femina pour La Neige Brule. 1981-1985 : Chargé de mission pour les relations internationales auprès de Mitterrand. Durant la même période, travaille notamment à l’enlèvement de Barbie. 1984 : Nommé secrétaire général du conseil du Pacifique Sud. 1985-1992 : Maitre des requêtes au Conseil d’Etat. 1991-1992 : Responsable culturel du Pavillon français à l’exposition universelle de Séville. 1993 : Thèse de Doctorat : « Vie et mort de l’image. Une Histoire du regard en occident ». 1996 : Fonde les Cahiers de Médiologie. Néologisme. Base : Le sacré est déterminé par la technologie de la transmission d’information. Signification : étude des supports de transmission de messages. Prix Novembre pour Loués soient nos seigneurs. 1998 : Directeur de programme au Collège international de Philosophie. 1998-2002 : Président du Conseil scientifique de l’École nationale supérieure des sciences de l'information et des bibliothèques. 1999 : Professeur de philosophie à Lyon. 2000 : Disparition de sa mère. 2002-2004 : président de l’Institut européen en sciences des religions. 2005 : Création de la revue Médium. 2009 : S’engage politiquement au coté du Front de Gauche. Son rôle est joué par Marc André Grondin dans le film de Soderbergh sur Guevara: Che - 2e partie : Guerilla. 2011 : Elu membre de l’Académie Goncourt. 2012 : Nommé au conseil d'administration de la Maison de l'Histoire de France. Soutien Mélenchon à la présidentielle


« Cette Venise, si je ne me trompe, vous déplairait autant qu'à moi. C'est une ville contre nature. On n'y peut faire un pas sans être obligé de s’embarquer, ou bien on est réduit à tourner dans d’étroits passages plus semblables à des corridors qu'a des rues. La place Saint-Marc seule, par l'ensemble plus que par la beauté des bâtiments, est fort remarquable et mérite sa renommée. L’architecture de Venise, presque toute de Palladio, est trop capricieuse et trop variée. Ce sont presque toujours deux, ou même trois palais bâtis les uns sur les autres. Il reste quelques bons tableaux de Paul Véronèse, de son frère, du Tintoret, du Bassan et du Titien. [...] Les fameuses gondoles toutes noires ont l’air de bateaux qui portent des cercueils. J’ai pris la première que j'ai vue pour un mort qu’on portait en terre. » François-René de Chateaubriand, Mémoires d’outre tombe, 1848


« Ce n’est plus même la cité que je traversai lorsque j’allais visiter les rivages témoins de sa gloire ; mais, grâce à ses brises voluptueuses et à ses flots amènes, elle garde un charme ; c’est surtout aux pays en décadence qu’un beau climat est nécessaire. Il y a assez de civilisation à Venise pour que l’existence y trouve ses délicatesses. La séduction du ciel empêche d’avoir besoin de plus de dignité humaine ; une vertu attractive s’exhale de ces vestiges de grandeur, de ces traces des arts dont on est environné. Les débris d’une ancienne société qui produisit de telles choses, en vous donnant du dégoût pour une société nouvelle, ne vous laissent aucun désir d’avenir. Vous aimez à vous sentir mourir avec tout ce qui meurt autour de vous ; vous n’avez d’autre soin que de parer les restes de votre vie à mesure qu’elle se dépouille. » François-René de Chateaubriand, Mémoires d’outre tombe, 1848


V Venise Initiatique


Une expérience initiatique Dans son enfance, Casanova est affligé d’intempestifs et abondants saignements de nez. Sa grand-mère décide de le conduire chez une sorcière. Remède ou effet placebo, les saignements s’arrêtent et Casanova prend une de ses premières leçons de mystification. Venons actuellement au commencement de mon existence en qualité d'être pensant. Au commencement d’août de l'année 1733 l'organe de ma mémoire se développa. J'avais donc huit ans et quatre mois. Je ne me souviens de rien qui puisse m'être arrivé avant cette époque. Voici le fait. J'étais debout au coin d'une chambre, courbé vers le mur, soutenant ma tête, et tenant les yeux fixés sur le sang qui ruisselait par terre sortant copieusement de mon nez. Marzia ma grand mère, dont j'étais le bien aimé, vint à moi, me lava le visage avec de l'eau fraîche, et a l'insu de toute la maison me fît monter avec elle dans une gondole, et me mena à Muran. C'est une île très peuplée distante de Venise d'une demie heure. Descendant de gondole, nous entrons dans un taudis, où nous trouvons une vielle femme assise sur un grabat, tenant entre ses bras un chat noir, et en ayant cinq ou six autres autour d'elle. C'était une sorcière. Les deux vieilles femmes tinrent entre elles un long discours dont j'ai dû être le sujet. À la fin de leur dialogue en langue fourlane la sorcière, après avoir reçu de ma grand-mère un ducat d'argent, ouvrit une caisse, me prit entre ses bras, m'y mit dedans, et m'y enferma, me disant de n'avoir pas peur. C'était le moyen de me la faire avoir, si j'avais eu un peu d'esprit ; mais j'étais hébété. Je me tenais tranquille, tenant mon mouchoir au nez parce que je saignais, très indifférent au vacarme que j'entendais faire au dehors. J'entendais rire, pleurer tour à tour, crier, chanter, et frapper sur la caisse. Tout cela m'était égal. On me tira enfin dehors, mon sang s'étanche. Cette femme extraordinaire, après m'avoir fait cent caresses, me déshabille, me met sur le lit, brûle des drogues, en ramasse la fumée dans un drap, m'y emmaillote, me récite des conjurations, me démaillote après, et me donne à manger cinq dragées très agréables au goût. Elle me frotte tout de suite les tempes, et la nuque avec un onguent qui exhalait une odeur suave, et elle me rhabille. Elle me dit que mon hémorragie irait toujours en décadence, pourvu que je ne rendisse compte à personne de ce qu'elle m'avait fait pour me guérir, et elle m'intime au contraire toute la perte de


mon sang et la mort, si j'osais révéler à quelqu'un ses mystères. Après m'avoir ainsi instruit, elle m'annonce une charmante dame qui viendra me faire une visite dans la nuit suivante, dont mon bonheur dépendait, si je pouvais avoir la force de ne dire à personne d'avoir reçu cette visite. Nous partîmes, et nous retournâmes chez nous. À peine couché, je me suis endormi sans même me souvenir de la belle visite que je devais recevoir ; mais m'étant réveillé quelques heure après, j'ai vu, ou cru voir, descendre de la cheminée une femme éblouissante en grand panier, et vêtue d'une étoffe superbe, portant sur sa tête une couronne parsemée de pierreries qui me semblaient étincelantes de feu. Elle vint à pas lents d'un air majestueux et doux s'assoir sur mon lit. Elle tira de sa poche des petites boîtes, qu'elle vida sur ma tête murmurant des mots. Après m'avoir tenu un long discours, auquel je n'ai rien compris, et m'avoir baisé, elle partit par où elle était venue ; et je me suis rendormi. Le lendemain, ma grand-mère, d'abord qu'elle s'approcha de mon lit pour m'habiller, m'imposa silence. Elle m'intima la mort si j'osais redire ce qui devait m'être arrivé dans la nuit. Cette sentence lancée par la seul femme qui avait sur moi un ascendant absolu, et qui m'avait accoutumé à obéir aveuglément à tout ses ordres, fut la cause que je me suis souvenu de la vision, et qu'en y apposant le sceau, je l'ai placée dans le plus secret recoin de ma mémoire naissante. D'ailleurs je ne savais ni qu'on pourrait le trouver intéressant, ni à qui en faire la narration. Ma maladie me rendait morne, et point du tout amusant ; tout le monde me plaignant me laissait tranquille ; on croyait mon existence passagère. Mon père et ma mère ne me parlaient jamais. Après le voyage a Muran, et la visite nocturne de la fée, je saignais encore, mais toujours moins ; et ma mémoire peu à peu se développait, en moins d'un mois j'ai appris à lire. Il serait ridicule d'attribuer ma guérison à ces deux extravagances mais on aurait aussi tort de dire qu'elles ne purent pas y contribuer. Pour ce qui regarde l'apparition de la belle reine, je l'ai toujours crue un songe, à moins qu'on ne m'eût fait cette mascarade exprès ; mais les remèdes aux plus grandes maladies ne se trouvent pas toujours dans la pharmacie. Tous les jours quelque phénomène nous démontre notre ignorance. Je crois que c'est par cette raison que rien n'est si rare qu'un savant qui ait un esprit entièrement exempt de superstition. Il n'y a jamais eu au monde des sorciers ; mais leur pouvoir a toujours existé par rapport à ceux auxquels ils ont eu le talent de se faire croire tels.


Casanova, Histoire de ma vie, 1789.


« Venise, ville initiatique » Toute existence est une lettre postée anonymement; la mienne porte trois cachets: Paris, Londres, Venise; le sort m'y fixa, souvent à mon insu, mais certes pas à la légère. Venise résume dans son espace contraint ma durée sur terre, située elle aussi au milieu du vide, entre les eaux fœtales et celles du Styx. Je me sens décharmé de toute la planète, sauf de Venise, sauf de Saint-Marc, mosquée dont le pavement déclive et boursouflé ressemble à des tapis de prière juxtaposés; Saint-Marc, je l’ai toujours connu, grâce à une aquarelle pendue au mur de ma chambre d’enfant : un grand lavis peint par mon père, vers 1880 — bistre, sépia, encre de Chine —, d’un romantisme tardif, où le rouge des lampes d’autel troue les voûtes d’ombre dorée, où le couchant vient éclairer une chaire enturbannée. De mon père, je possède aussi une petite huile, une vue de la Salute par temps gris, d’une rare finesse d’œil, qui ne m’a jamais quitté. « C’est après la pluie qu’il faut voir Venise », répétait Whistler : c’est après la vie que je reviens m’y contempler. Venise jalonne mes jours comme les espars à tête goudronnée balisent sa lagune; ce n’est, parmi d’autres, qu’un point de perspective; Venise, ce n’est pas toute ma vie, mais quelques morceaux de ma vie, sans lien entre eux; les rides de l’eau s’effacent; les miennes, pas. Je reste insensible au ridicule d’écrire sur Venise, à l’heure où même la primauté de Londres et de Paris n’est plus qu’un souvenir, où les centres nerveux du monde sont des lieux sauvages : Djakarta, Saigon, Katanga, Quemoy, où l’Europe ne se fait plus entendre, où seule compte l’Asie; Venise l’avait compris, installée à ses portes, pénétrant jusqu’en Chine; c’est à Marco Polo que Saint-Marc devrait être dévoué et non le contraire. A Venise, ma minime personne a pris sa première leçon de planète, au sortir de classes où elle n’avait rien appris. L’école ne me fut qu’un long ennui, aggravé de blâmes, mérités; si l’encre me restait aux doigts, rien ne me restait dans la tête; les livres, quel poids! Transporter le Quicherat des Champ-Élysées à ce Monceau que nomment plaine ceux qui n’ont pas gravi chaque matin la rue de Courcelles, cassait mes épaules étroites de citadin. Le macadam était dur à mes pieds; je pensais déjà à Venise, j’entendais célébrer cette ville-nénuphar, où chaque rue était la Seine. Paul Morand, Venises, 1971


VI Venise : ville d'intrigue et d'ambition


Une ambition diplomatique à Venise Bernis arrive à Venise où il vient d’être nommé ambassadeur, c’est donc la première image qu’il a de cette ville. Il y observe attentivement les mœurs et compte bien atteindre son objectif, venir à bout de son ambition à Venise. Quand j’arrivai à Venise, j’y trouvai le peuple et une partie du gouvernement autrichien ou anglais ; les français étaient si fort en horreur dans cette ville qu’ils couraient risque d’être insultés en paraissant dans les places publiques. Je me proposai de changer cet état d’esprit national, j’y réussis par des moyens simples, mais infaillibles toutes les fois l’intelligence nécessaire pour les saisir, et la constance de les employer sans interruption. J’étudiai les mœurs du pays ; je sus m’y conformer sans avoir l’air d’être gêné, et je ne conservai de l’esprit de ma nation que les grâces qui font plaire, sans aucune teinture de cette présomption qui nous fait haïr des étrangers. On fut fort étonné, au bout de quelque temps, de me voir insensible aux charmes des femmes, dans un pays où cette faiblesse n’est pas regardée comme un vice. Dès lors le sénat, qui est informé de tout et qui prends garde à tout, me considéra comme un homme maitre de lui-même et sur qui la force de l’exemple n’avait aucun pouvoir. Il n’admira pas moins qu’un cadet sans fortune fut si désintéressé et si magnifique. Une foule d’étrangers illustre de toutes les nations, que les pompeuses cérémonies de l’année sainte avaient attirés à Rome, repassaient par Venise ; ma maison leur fut ouverte, ils y furent traités avec distinction, magnificence et aisance. Aucun ministre étranger ne voulut m’imiter ; ils aimaient mieux l’argent que la réputation. Pour moi, je regardais tous ces étrangers de passage comme mes trompettes qui allaient sonner mes louanges dans toutes l’Europe ; je savais que ce bruit flatteur reviendrait par écho à Versailles. ( …) D’ailleurs, je représente un grand maitre, je veux reconquérir pour la France le cœur et l’esprit des Italiens, avides des spectacles et de tout ce qui à l’air de la magnificence. J’ai de plus à effacer la honte des lésines de mes prédécesseurs. Cardinal de Bernis, Mémoires, 1878.


Biographie 1715 : (22 mai) Naissance de François Joachim de Pierre de Bernis à Saint-Marcel-d’ Ardèche, dans une famille noble et désargenté du Vivarais. 1731 : Il se rend à Paris, pour, faute de moyens financiers, y faire une carrière militaire au Collège Louis-Le Grand. 1731: Il rentre au séminaire de Saint Sulpice à Paris et s'engage dans une carrière ecclésiastique, où il y rencontre le Cardinal de Fleury. 1743 : Madame de Pompadour le remarque grâce à ses talents de conteurs et de poètes, ainsi elle devient sa protectrice et le reçoit dans son château à Etioles. 1744 : (26 Novembre) Il est élu à l’Académie Française où il remplace l’Abbé Nicolas Gédoyn. 1744 : (29 Décembre) Crébillon le reçoit, à la suite de cette réception Bernis figura plusieurs fois à la tête de la Compagnie au sein des occasions solennelles à Versailles. 1752 : Madame de Pompadour, devenue la maîtresse du Roi, le fait nommer ambassadeur à Venise jusqu’en 1755. 1752 : Rencontre avec Casanova, avec qui il se lie d’amitié, leur complicité leur assurait un franc succès dans la Cité des Dogues, puis à Madrid. 1756 : Bernis entre réellement dans les ordres. 1756 : (1er Mai) Il participe aux négociations du traité de Versailles, contribuant le rapprochement franco-autrichien, engageant la France dans une guerre de 7 ans. 1757 : (Avril) Entrée de Bernis au Conseil du Roi, en tant que Ministre d’Etat puis en tant que Ministre des affaires étrangères. 1757 : (15 Novembre) Victoire de Fréderic2 à Ross-Bach puis à Leuthen, le Cardinal De Bernis est disgracié pour avoir prôné la paix, ainsi il démissionne et est remplacé par le Duc de Choiseul, selon sa volonté. Pendant son exil il commence à dicter ses mémoires à sa nièce la Marquise de PuyMontbrun, il considère cet ouvrage comme « le testament d’un homme d’Etat «. Choiseul de son coté met tout en œuvre pour le sortir de l’exil. 1758 : A l’âge de 40ans il est promu Cardinal d’Albi. 1764 : Bernis est promu archevêque d’Albi. 1769 : Il est envoyé par Louis15 à Rome d’abord au conclave où sa mission est de contribuer à l’élection du Cardinal de la France Ganganelli, le futur Clément 14, dans le dessein d’obtenir la suppression de l’ordre des Jésuites. 1773 : Suppression de l’ordre des Jésuites par Clément 14.


1773 : Bernis est ambassadeur de Rome jusqu’en 1791. 1789 : La Révolution éclate, il est toujours ambassadeur à Rome où il pousse le nouveau Pape Pie 4 à condamner la constitution civile du Clergé. Il refuse prêter serment et se voit donc réduit à accepter une Pension de la Cour d’Espagne. 1791 : Il est privé de son archevêché et de ses abbayes, il est également dépouillé de ses biens et pension par la Révolution. 1794 (2 Novembre) Mort du Cardinal de Bernis à Rome.


Bibliographie


Rousseau Passage 2 M. de Montaigu, livre sans réserve au marquis Mari, qui n'entrait pas dans les détails de ses devoirs, les négligeait à tel point que, sans moi, les Français qui étaient à Venise ne se seraient pas aperçus qu'il y eut un ambassadeur de leur nation. Toujours éconduits sans qu'il voulut les entendre lorsqu'ils avaient besoin de sa protection, ils se rebutèrent, et l’on n'en voyait plus aucun ni a sa suite ni a sa table, ou il ne les invita jamais. Je fis souvent de mon chef ce qu'il aurait du faire : je rendis aux Français qui avaient recours à lui, ou a moi, tous les services qui étaient en mon pouvoir. En tout autre pays j'aurais fait davantage ; mais, ne pouvant voir personne en place à cause de la mienne, j'étais forcé de recourir souvent au consul, et le consul, établi dans le pays ou il avait sa famille, avait des ménagements à garder qui l’empêchaient de faire ce qu'il aurait voulu. Quelquefois cependant, le voyant mollir et n'oser parler, je m’aventurais à des démarches hasardeuses dont plusieurs m'ont réussi. Je m’en rappelle une dont le souvenir me fait encore rire. On ne se douterait guère que c’est à moi que les amateurs du spectacle à Paris ont dû Coralline et sa sœur Camille1 : rien cependant n'est plus vrai. Véronèse, leur père, s'était engagé avec ses enfants pour la troupe italienne; et après avoir reçu deux mille francs pour son voyage, au lieu de partir, il s'était tranquillement mis a Venise au théâtre de Saint-Luc', ou Coralline, tout enfant qu'elle était encore, attirait beaucoup de monde. M. le due de Gesvres*, comme premier gentilhomme de la chambre, écrivit à l’ambassadeur pour réclamer le père et la fille. M. de Montaigu, me donnant la lettre, me dit pour toute instruction : Voyez cela. J'allai chez M. Le Blond le prier de parler au praticien à qui appartenait le théâtre de Saint-Luc, et qui était, je crois, un Zustiniani, afin qu'il renvoyât Veronese, qui était engage au service du roi. Le Blond, qui ne se souciait pas trop de la commission, la fit mal. Zustiniani battit la campagne, et Veronese ne fut point renvoyé. J'étais pique. L'on était en carnaval. Ayant pris la bahutes et le masque, je me fis mener au palais Zustiniani. Tous ceux qui virent entrer ma gondole avec la livrée de 1'ambassadeur furent frappes; Venise n'avait jamais vu pareille chose. J'entre, je me fais annoncer sous le nom d'una siora maschera. Sitôt que je fus introduit, j'ôte mon masque et je me nomme. Le sénateur pâlit et reste stupéfait. « Monsieur, lui dis-je en vénitien, c'est a regret que j'importune Votre Excellence de ma visite; mais vous avez a votre théâtre d e Saint-Luc un homme nomme Veronese qui est engage au service du roi, et qu'on vous a fait demander inutilement : je viens le réclamer au nom de Sa Majesté. » Ma courte harangue fit effet. A peine étais-je parti, que mon homme courut rendre compte de son aventure aux inquisiteurs d'Etat, qui lui lavèrent la tête. Veronese fut congédié le


jour mĂŞme. Je lui fis dire que s'il ne partait dans la huitaine, je le ferais arrĂŞter; et il partit.


Une rencontre capitale Casanova, à la faveur d’une promenade nocturne, sauve la vie d’un des patriciens les plus importants de Venise. Cependant, en souvenir des bons soins de la sorcière, il fait accroire au malade qu’il doit la vie sauve moins à ses compétences médicales qu’à ses pouvoirs magiques. A la moitié du printemps de l’année suivante 1746, M. Girolamo Cornaro aîné de la maison Cornaro de la reine2 épousa une fille de la famille Soranzo de Saint-Pol, et je fus un des joueurs de violon qui composaient un entre plusieurs orchestres dans les bals qu’on donna pour trois jours consécutifs dans le palais Soranzo3 à l’occasion de ce mariage. Le troisième jour, vers la fin de la fête, une heure avant jour, je laisse l’orchestre pour aller chez moi et en descendant l’escalier je remarque un sénateur en robe rouge4 qui allait monter dans sa gondole. Je vois une lettre qui tombe près de lui dans le moment qu’il tirait son mouchoir de sa poche. Je vais ramasser la lettre, et rejoignant ce beau seigneur dans le moment qu’il descendait les degrés, je la lui remets. Il me remercie, il me demande où je demeure, je le lui dis, il veut absolument me mettre chez moi, j’accepte la grâce qu’il voulait bien me faire, et je me mets sur la banquette près de lui. Trois minutes après, il me prie de lui secouer le bras gauche : J’ai, me dit-il, un engourdissement si fort qu’il me semble absolument de n’avoir pas ce bras. Je le secoue de toute ma force, et je l’entends me dire avec des mots mal articulés qu’il se sentait perdre toute la jambe aussi et qu’il lui paraissait de mourir. Tout en alarme, je tire le rideau, je prends la lanterne, je regarde sa figure, et je reste effrayé observant sa bouche qui s’était retirée vers son oreille gauche, et ses yeux mourants. Je crie aux barcarols d’arrêter, et de me laisser descendre pour aller chercher un chirurgien pour qu’il vienne d’abord saigner Son Excellence qui venait certainement d’être frappé d’apoplexie. Je descends. C’était au pont de la rue Bernard, où j’avais donné trois ans avant ce temps-là des coups de bâton à Razzetta. Je cours au café, on m’indique la maison où demeurait un chirurgien. Je frappe fort, je crie, on vient, on réveille l’homme, je le presse, je ne permets pas qu’il s’habille, il prend son étui, et il vient avec moi dans la gondole, où il saigne le moribond, et je déchire ma chemise pour lui faire un bandage. Nous arrivons d’abord après chez lui à Sainte-Marine1 ; on réveille les domestiques, on le tire hors de sa gondole, on le porte au premier dans son appartement, on le déshabille, et on le met au lit presque mort. Je dis à un


domestique d’aller vite chercher un médecin, il va, le médecin arrive, il le fait saigner de nouveau. Je me mets près de son lit, me croyant en devoir de ne plus m’en éloigner. Une heure après, un patricien de ses amis arrive, puis j’en vois un autre, ils sont au désespoir, ils s’informent aux barcarols, qui leur disent que je pouvais les informer beaucoup mieux qu’eux. Ils m’interrogent, je leur dis tout ce que je savais ; ils ne savent pas qui je suis, ils n’osent pas me le demander, et je ne leur dis rien. Le malade était là, immobile, ne donnant autre signe de vie que par la respiration. On lui faisait des fomentations, et le prêtre qu’on était allé chercher s’attendait à sa mort. On ne reçoit pas des visites, les deux patriciens et moi étions les seuls qui ne s’éloignaient pas de lui. Je fais avec eux un petit dîner à midi sans sortir de la chambre. Vers le soir le plus âgé des deux patriciens me dit que si j’avais des affaires je pouvais m’en aller, car ils resteraient eux-mêmes toute la nuit près du malade couchant sur des matelas qu’ils feraient porter. Je leur I réponds que je dormirais sur le même fauteuil où j’étais, puisque j’étais sûr que si je partais le malade mourrait, comme j étais certain qu’il ne pouvait pas mourir tant que je resterais là. Je les vois tous les deux étonnés de cette réponse, s’entre-regarder. J’apprends d’eux-mêmes en soupant que ce seigneur ainsi mourant était M. de Bragadin, frère unique du procurateur de ce nom1. Ce M. de Bragadin était illustre dans Venise tant à cause de son éloquence ; et de ses talents en qualité d’homme d’État, comme à cause des ; galanteries qui l’avaient signalé dans sa bruyante jeunesse. Il avait fait des folies pour des femmes qui en avaient faites aussi à cause de lui ; il avait beaucoup joué et perdu, et le procurateur son frère était son plus cruel ennemi parce qu’il s’était mis dans la tête qu’il avait tenté de l’empoisonner. Il l’avait accusé de ce crime au Conseil des Dix qui, huit mois après, l’avait déclaré innocent avec tous les suffrages ; mais le procurateur n’avait pas pour cela changé d’avis. Cet innocent opprimé par son injuste frère qui lui usurpait la moitié de son revenu, vivait cependant bien en aimable philosophe dans le sein de l’amitié. Il avait deux amis qui étaient ceux que je voyais là : un était de la famille Dandolo, l’autre de celle de Barbaro tous les deux honnêtes et aimables comme lui. Il était beau, savant, facétieux, et du caractère le plus doux. L’âge qu’il avait alors était celui de cinquante ans. Le médecin qui s’était mis à l’entreprise de le guérir, qui s’appelait Ferro, s’imagina par un raisonnement tout particulier de pouvoir lui faire recouvrer la santé moyennant une onction de mercure sur la poitrine ; et on le laissa faire. L’effet rapide de ce remède, pris en bonne part par les deux amis, m’épouvanta.


Cette rapidité paraissait dans ce qu’en moins de vingt-quatre heures le malade se trouva Inquiété par une grande effervescence à la tête. Le médecin dit qu’il savait que l’onction devait faire cet effet, mais que le lendemain sa force à la tête diminuerait pour procéder dans les autres parties du Corps qui avaient besoin d’être vivifiées par l’art, et par l’équilibre de la circulation des fluides. A minuit M. de Bragadin était tout en feu et dans une agitation mortelle ; je me lève, et je le vois avec des yeux mourants pouvant à peine respirer. Je fais lever de leurs matelas les deux amis, leur disant qu’il fallait délivrer le patient de ce qui allait le faire mourir. Sans attendre alors leur réponse, je lui découvre la poitrine, je lui lève l’emplâtre, je le lave ensuite avec de l’eau tiède, et le voilà en trois ou quatre minutes soulagé, tranquille, et en proie du plus doux sommeil. Nous nous recouchâmes. Le médecin vient de très grand matin, et se réjouit en voyant son malade en bon état. M. Dandolo lui dit ce qu’on avait fait et en conséquence de quoi le malade lui paraissait moins mal. Le médecin se plaint de la liberté qu’on a prise, et demande qui était celui qui avait détruit sa cure. M. de Bragadin lui dit que celui qui l’avait délivré du mercure qui allait le tuer était un médecin qui en savait plus que lui ; et en disant cela il lui montre ma personne. Je ne sais pas lequel de nous deux fut pour lors le plus surpris, si le médecin de voir un jeune homme qu’il n’avait jamais vu qu’on lui annonce pour plus savant que lui, ou moi qui ne savais pas de l’être. Je me tenais dans un modeste silence gêné par l’envie de rire que je retenais, tandis que le médecin me regardait, et me prenait avec raison pour un hardi charlatan qui avait osé le supplanter. Il dit froidement au malade qu’il me cédait donc sa place, et il fut pris au mot. Il part, et me voilà devenu le médecin d’un des plus illustres membres du Sénat de Venise. Dans le fond j’en fus enchanté. J’ai alors dit au malade qu’il ne fallait que du régime, et que la nature ferait tout le reste dans la belle saison à laquelle nous nous acheminions. Le médecin Ferro congédié fut conter cette histoire par toute la ville, et comme le malade se portait tous les jours mieux, un de ses parents qui vint lui faire une visite lui dit que tout le monde s’étonnait qu’il eût choisi pour son médecin un violon de l’orchestre d’un théâtre. M. de Bragadin lui répondit en riant qu’un joueur de violon pouvait en savoir plus que tous les médecins de Venise. Ce seigneur m’écoutait comme un oracle. Ses deux amis étonnés me prêtaient la même attention. Cette subordination m’ayant augmenté le courage je parlais en physicien, je dogmatisais, et je citais des auteurs que je n’avais jamais lus.


M. de Bragadin, qui avait la faiblesse de donner dans les sciences abstraites, me dit un jour que pour un jeune homme il me trouvait trop savant, et que je devais par conséquent posséder quelque chose de surnaturel. Il me pria de lui dire la vérité. Ce fut dans ce moment- là que pour ne pas choquer sa vanité lui disant qu’il se trompait, j’ai pris l’étrange expédient de lui faire en présence de ses deux amis la fausse et folle confidence que je possédais un calcul numérique par lequel moyennant une question que j’écrivais, et que je changeais en nombres, je recevais également en nombre une réponse qui m’instruisait de tout ce que je voulais savoir, et dont personne au monde n’aurait pu m’informer. M. de Bragadin dit que c’était la clavicule de Salomon, que le vulgaire appelait cabale. Il me demanda de qui j’avais appris cette science, et m’entendant lui répondre que celui qui me l’avait apprise était un ermite qui demeurait sur la montagne de Carpegna dans le temps que j’étais aux arrêts à l’armée d’Espagne, il me dit que l’ermite à mon insu avait lié au calcul une intelligence invisible, car les nombres simples ne pouvaient pas avoir la faculté de raisonner. — Tu possèdes, me dit-il, un trésor, et il ne tient qu’à toi d’en tirer le plus grand parti. Casanova, Histoire de ma vie, 1789.


VII Venise : ville historique


Les Autrichiens prennent possession de Venise : 18 janvier 1798 Les accords qui ont été convenus par la France et l'Autriche mènent au retrait des troupes françaises de Venise ainsi que la cession de plusieurs territoires en Italie. Venise se trouve dès lors soumise à l'autorité autrichienne et perd de manière définitive son indépendance. Les Français évacuèrent Venise le 18 janvier 1798, et les Autrichiens y arrivèrent le même jour. L'Inquisition d'État fut aussitôt rétablie, sous le nom de tribunal de haute police et les noms que l'on remarqua dans la nouvelle formation de cette autorité annoncèrent aux citoyens, effrayés, comment elle allait être exercée. Pezaro, qu'on avait vu si récemment sortir de Venise, pour aller, disait-il, chercher la liberté en Suisse, rentrait dans sa patrie avec la qualité de commissaire de l'empereur. Ce fut entre ses mains que les anciens souverains de Venise eurent à prêter serment d'obéissance. Aussi l'ex-doge Manini en paraissant, pour prononcer ce mot fatal, devant son compatriote, transformé en commissaire autrichien, fut-il saisi d'une telle émotion qu'il tomba sans connaissance. Malheureux d'avoir vu périr sa patrie sans pouvoir la secourir, il s'honora du moins par une noble douleur. Mais dans cette grande catastrophe les sentiments étaient loin d'être unanimes. Dans les colonies (à Perasto par exemple) on brûlait, on enterrait le gonfalon de saint Marc avant de recevoir les Autrichiens. À Venise la populace se livra à des démonstrations de joie qui tenaient du délire ; les autorités provisoires, plusieurs nobles, célébrèrent cet événement par des fêtes. Les hommes passionnés, qui avaient embrassé l'espoir de cette révolution, fuyaient la rage dans le coeur, et les vrais citoyens déploraient la bassesse du peuple et des grands, l'impéritie du gouvernement, l'abus que les vainqueurs avaient fait de la victoire, et l'asservissement, désormais éternel, de la patrie. À compter de ce moment les vicissitudes ultérieures de cette nation, qui avait subsisté comme État indépendant durant quatorze siècles, appartiennent à l'histoire d'un autre peuple. Pierre Daru, Histoire de la république de Venise, 1819-1822.


Lettre du Général Bonaparte Suite aux accords qui mènent à la reddition de Venise, le Comité de salut public, nouvelle autorité de la ville, demande son soutien au Général Bonaparte pour préserver l'indépendance de ville menacée par les Autrichiens. Cette lettre est la réponse que Bonaparte envoie au Comité de salut public. « J'ai reçu, citoyen, votre lettre du 3 brumaire ; je n'ai rien compris à son contenu. Il faut que je me sois bien mal expliqué avec vous. « La république française n'est pas liée à la municipalité de Venise par un traité qui nous oblige à sacrifier no intérêts et nos avantages à celui du comité de salut publique ou de tout autre individu de Venise. Jamais la république française n'a adopté pour principe de faire la guerre pour les autres peuples. Je voudrais connaître quel serait le principe de philosophie qui ordonne de sacrifier quarante mille Français, contre le voeu bien prononcé de la nation et l'intérêt bien entendu de la république. Je sais bien qu'il n'en coute rien à une poignée de bavards, qui je caractériserais bien en les appelants fous, de vouloir la république universelle. Je voudrais bien que ces messieurs vinssent faire une campagne d'hiver. « D'ailleurs la nation vénitienne n'existe pas. Divisé en autant d'intérêts qu'il y a de villes, efféminé et corrompu, aussi lâche qu'hypocrite, le peuple vénitien est peu fait pour la liberté. Si il était dans le cas de l'apprécier, et si il a la vertu nécessaire pour l'acquérir, eh bien, la circonstance actuelle est bien avantageuse pour le prouver, qu'il la défende. Il n'a pas eu le courage de la conquérir, même contre quelques oligarque ; il n'a pu même la défendre quelques temps dans la ville de Zara ; et peut être si la ville fût entré en Allemagne, nous eussions vu se renouveler sinon les scènes de Vérone, du moins des assassinats multipliés, qui produisent le même effet sinistre sur l'armée française. « Lorsque l'armée française quittera le pays, les différents gouvernements serons libres de prendre toutes les mesures qu’ils pourront juger nécessaire pour leurs pays. « Si Je vous ai chargé de conférer avec le comité de salut public sur l'évacuation qu'il est possible que l'armée française exécute, c'est pour le mettre à même de prendre toutes les mesures soit pour le pays, soit pour les individus qui voudront se retirer dans les pays qui, réunis à la Cisalpine, seront reconnus et garantis par la république française. « Vous avez dû également faire connaître au comité de salut public que les individus qui voudront suivre l'armée française auront tout le temps nécessaire


pour vendre leur biens, quel que soit le sort de ce pays, et que même je savais qu'il était dans l'intention de la république, cisalpine de leur accorder le titre de citoyen. Votre mission doit se borner là. « Quant au reste, ils feront ce qu'ils voudront. « Vous leur en avez dit assez pour leur faire sentir que tout n'était pas perdus, que tout ce qui arrivait n'était que la suite d'un grand plan. Si les armées de la république française continuaient à être heureuses contre une puissance qui a été le nerf et le coffre de toutes les coalitions, peut être Venise aurait pu, par la suite, être réunie à la Cisalpine. Mais je vois que ce sont des lâches : eh bien qu'ils fuient, je n'ai pas besoin d'eux. » Pierre Daru, Histoire de la république de Venise, 1819-1822.


Biographie 1767 (12 janvier) : Naissance de Pierre Antoine Noël Mathieu Bruno Daru à Montpellier (34). 1789 : Nommé commissaire des guerres. 1792 : Enfermé sous la terreur. 9 thermidor an 2 (27 juillet 1794) : libération à la chute de Robespierre. 1801 : Entre au tribunat. 1806 (26 mars) : Succède à Jean François Collin d'Harleville fauteuil n°7 de l'Académie Française. 1809 (23 mai) : Elevé au rang de comte de l'Empire. 1811 : Nommé Ministre secrétaire d'Etat par l'empereur. 1813 (22 novembre) : Grand aigle de la légion d'honneur (Grand-croix). Ministre chargé de l'administration de la guerre. 1819 : Pair de France. 1828 (27 octobre) : Membre libre de l'Académie des sciences. 1767 (12 janvier) : Mort de Pierre Daru à Meulan (78).


Bibliographie Œuvres d'Horace, traduites en vers (1797) La Cléopédie, ou La théorie des réputations en littérature, suivie du Poème des Alpes ; et de l’Épître à mon sans-culotte (1799) Histoire de la république de Venise (3 volumes, 1819-1822) Histoire de Bretagne (3 volumes, 1826) L'Astronomie, poème en 6 chants (1830)


Texte n°1 de Beauvoir Lors d'un voyage en Italie, après avoir visité Rome et Florence, Simone de Beauvoir et Sartre s'arrêtent à Venise. Pour la première fois de leur vie ils découvrent les beautés de cette ville. Mais, c'est aussi là-bas que pour la première fois ils aperçoivent des S. S. C'est dans ce contexte de montée du Nazisme et du Fascisme eu Europe que se fait leur première visite de Venise ce qui semble les empêcher d'apprécier leur séjour. « Nous vîmes à Orvieto la fresque de Signorelli, nous nous arrêtâmes quelques heures parmi les briques rouges de Bologne. Et ce fut Venise. En sortant de la gare, je regardai avec stupeur les voyageurs qui donnaient aux gondoliers l'adresse de leurs hôtels ; ils allaient s'installer, ouvrir leurs bagages, faire leur toilette : j'espérais que cette pondération ne serait jamais mon lot. Nous avons déposé nos valises à la consigne, et pendant des heures nous avons marché ; nous avons vu Venise avec ce regard qu'on ne retrouve jamais : le premier. Pour la première fois nous avons contemplé la Crucifixion du Tintoret. C'est aussi à Venise, près du pont du Rialto, que pour la première fois nous avons aperçu des S.S. en chemises brunes, ils étaient d'une toute autre espèce que les petits fascistes noirs, très grands, les yeux vides, ils marchaient d'un pas raide. Trois cent milles chemises brunes paradant à Nuremberg : c'était effrayant à imaginer. Sartre eu un coup au cœur en réalisant que d'ici un mois, dans les rues de Berlin, il en croiserait chaque jour.


Un changement dans l’ambassade de Venise Bernis est ambassadeur de France à Venise. Sa sociabilité et son sens de la diplomatie furent si grand qu’il parvint parvenu à se faire réellement apprécier par les Vénitiens, à avoir une véritable influence sur eux et sur leurs mœurs. Avant mon ambassade à Venise, jamais la noblesse dans le théâtre ni aux rencontres ne saluait les ambassadeurs, ni n’en était saluée : je changeai cet usage sauvage ; j’accoutumai les nobles et les dames à être salués par moi et à me rendre le salut ; insensiblement ils s’y accoutumèrent si bien qu’ils finirent par me prévenir. Je jouis seul de cette distinction que les autres ministres étrangers cherchèrent vainement à se procurer. On regarde assez communément l’ambassade à Venise comme une commission peu importante ; c’est ce qui fait que les cours n’envoient pas depuis longtemps des ministres bien habiles pour remplir ce poste : il est vrai que cela ne parait pas fort nécessaire, vu le peu d’influence que la République de Venise a dans les affaires générales de l’Europe. Cependant je ne connais pas meilleure école pour former des ambassadeurs ; rien n’est indifférent dans ce pays là ; chaque parole, chaque action produit son effet ; ainsi un ministre attentif et réfléchi s’accoutume à raisonner toutes ces démarches et à ne rien regarder comme inutile. ( …) Mon travail à Venise fut très grand, sans avoir rien à faire et surtout sans avoir l’air affairé. Je choisissais les jours de courrier pour aller aux spectacles et pour rendre des visites, tendis que mes confrères étaient mystérieusement enfermés ces jours là. Mais je n’avais point de maitresses, et les soirées étaient longues. Mes lectures et mes écritures furent infinies et, je donnais cependant plus de temps qu’un autre à la société. Un si grand travail, joint au défaut d’exercice et à l’air marécageux qu’on respire à Venise, commença à altérer ma santé ; je puis dire que personne n’en a jamais sacrifié une plus belle ni une meilleure aux affaires du Roi.

Cardinal de Bernis, Mémoires, 1878.


VIII Venise et l'art


Collaboration avec Vivaldi Recommandé par le propriétaire du Théâtre Saint-Samuel, Carlo Goldoni doit écrire son premier livret d’Opéra. La musique est composée par le célèbre compositeur Antonio Vivaldi. Pour discuter de leur future collaboration, il se rend chez lui. Doutant de ses compétences, le compositeur le met au défi d’écrire un air devant lui. « - Voyez, Monsieur, cette scène entre Gualtiero et Griselda ; c’est une scène intéressante, touchante mais mademoiselle Giraud n’aime pas le chant langoureux : elle voudrait un morceau d’expression, d’agitation, un air qui exprime la passion par des moyens différents, par des mots par exemple, entrecoupés, par des soupirs élancés, avec de l’action du mouvement ; je ne sais pas si vous me comprenez. – Oui Monsieur je comprends très bien ; d’ailleurs j’ai eu l’honneur d’entendre Mademoiselle Giraud ; je sais que sa voix n’est pas assez forte… - Comment, Monsieur vous insultez mon élève ? Elle est bonne à tout, elle chante tout. – Oui Monsieur vous avez raison ; donnez-moi le livre, laissez-moi faire. – Non Monsieur, je ne puis m’en défaire, j’en ai besoin et je suis pressé. – Eh bien Monsieur, si vous êtes pressé, prêtez le moi un instant, et sur-le-champ je vais vous satisfaire. – Sur-le-champ ? – Oui Monsieur, sur-lechamp. » L’abbé, en se moquant de moi, e présente le drame, me donne du papier et une écritoire, reprend son bréviaire et récite les hymnes et les psaumes en se promenant. Je relis la scène que je connaissais déjà ; je fais a récapitulation de ce que le musicien désirait, et en moins d’u quart d’heure je couche sur le papier un air de huit vers partagé en deux parties ; j’appelle mon ecclésiastique, et je lui fais voir mon ouvrage. Vivaldi lit, il déride son front, il relit, il fait des cris de joie, il jette son office par terre, il appelle Mademoiselle Giraud. Elle vient : « Ah, lui dit-il, voilà un homme rare, voilà un poète excellent ; lisez cet air ; c’est monsieur qui l’a fait ici, sans bouger, en moins d’un quart d’heure. » Et en revenant à moi : « Ah, Monsieur, je vous demande pardon » ; et il m’embrasse, et il proteste qu’il n’aura jamais d’autres poètes que moi. Il me confia le drame, il m’ordonna d’autres changements, toujours content de moi, et l’opéra réussit à merveille. Carlo Goldoni, Mémoires, 1787.


Une Capitale culturelle Après avoir décrit de nombreux aspects de Venise, De Brosses s'attaque à la culture, et plus particulièrement l'art, toujours dans la même lettre adressée à M. de Blancey. Il montre ici que Venise est une place importante de la culture et des arts, et ce, toujours au XVIIIème siècle. Je ne m'aviserai pas d'entrer avec vous sur le même détail dans l'article de Venise que j'ai fait en parlant des autres villes ; ce serait une chose à ne jamais finir, et pour plus d'abréviation, je ne vous en dirai rien du tout, d'autant mieux que je n'aurais souvent qu'à répéter ce qu'a dit Misson. Il en parle fort pertinemment, et mieux que d'aucun autre endroit que j'aie encore vu ; surtout je vous épargnerai l'article des tableaux, à votre grande satisfaction, si je ne me trompe ; mais je ne ferai pas le même trot à Quintin, qui ne me le pardonnerait pas. On dit qu'il y en a plus à Venise que dans le reste de l'Italie. Pour moi, ce que j'assurerai bien, c'est qu'il y en a plus que dans la France entière. La seule liste des peintures publiques fait un gros in-octavo, sans compter que les particuliers en ont de quoi combler l'Océan. On prétend aussi qu'à illuminer les trois étages des Procuraties en flambeaux de cire blanche, la nuit de Noël, on brule plus de cire ici en cette nuit que dans tout le reste de l'Italie pendant un an. Nous ne songeons jamais à déjeuner, Sainte-Palaye et moi, sans nous être au préalable mis quatre tableaux de Tititen et deux plafonds de Paul Véronèse sur la conscience. Pour ceux du Tintoret, il ne faut pas songer à les épuiser ; il fallait que cet homme là eût una furia da diavolo. Je me suis borné à examiner mille ou douze cents des principaux. Charles de Brosses, Lettres familières d'Italie, 1858


Venise et la culture Maupassant, dépassant les clichés sur la ville de Venise, se laisse finalement séduire par la ville et ses trésors culturels. Je ne raconterai pas Venise dont tout le monde a parlé. La place Saint-Marc ressemble à celle du Palais-Royal, la façade de cette église a l'air d'une devanture de café-concert en carton-pâte, mais l'intérieur est tout ce qu'on peut concevoir de plus absolument beau. La pénétrante harmonie des lignes et des tons, les reflets des vieilles mosaïques d'or aux lueurs adoucies, au milieu des marbres sévères, les merveilleuses proportions des voûtes et des lointains, un jene-sais-quoi de divinement trouvé dans l'ensemble, dans l'entrée calme du jour qui devient religieux autour de ces piliers, dans la sensation jetée à l'esprit par les yeux, font de Saint-Marc la chose la plus complètement admirable qui soit au monde. Mais en contemplant cet incomparable chef-d'œuvre de l'art byzantin, on se met à songer en le comparant à un autre monument religieux, sans égal lui aussi, si différent pourtant, chef-d'œuvre de l'art gothique, bâti encore au milieu des flots gris des mers du Nord, à ce bijou monstrueux de granit qui se dresse tout seul dans l'immense baie du Mont-Saint-Michel. Ce qui fait Venise absolument sans égale, c'est la Peinture. Elle fut la patrie, la mère de quelques maîtres de premier ordre qu'on ne peut connaître que dans ses musées, ses églises et ses palais. Le Titien, Paul Véronèse ne se révèlent vraiment qu'à Venise dans leur splendeur géniale. Ceux-là, du moins, possèdent la gloire dans toute sa puissance et toute son étendue. Il en est d'autres que nous ignorons trop en France et qui atteignent presque la valeur de ces artistes, tels Carpaccio et surtout Tiepolo, le premier des plafonniers passés, présents et futurs. Personne comme lui n'a su répandre sur un mur la grâce des lignes humaines, la séduction des nuances qui grisent sensuellement le regard, et le charme des choses rêvées dans cette sorte d'ivresse étrange que l'art communique à l'esprit. Élégant et coquet comme Watteau ou Boucher, Tiepolo possède surtout un admirable et invincible pouvoir de charmer. On peut en admirer d'autres plus que lui, d'une admiration raisonnée, mais on le subit plus que personne. L'ingéniosité de ses compositions, l'imprévu puissant et joli de son dessin, la variété de son ornementation, la fraîcheur inaltérable et unique de son coloris font naître en nous un besoin singulier de vivre toujours sous un de ces plafonds inestimables qu'orna sa main.


Le palais Labia, une ruine, montre peut-être la plus admirable chose qu'ait laissée ce grand artiste. Il a peint une salle entière, une salle immense. Il a tout fait, le plafond, les murailles, la décoration et l'architecture, avec son pinceau. Le sujet, l'histoire de Cléopâtre, une Cléopâtre vénitienne du XVIIIe siècle, se continue sur les quatre faces de l'appartement, passe à travers les portes, sous les marbres, derrière les colonnes imitées. Les personnages sont assis sur les corniches, appuient leurs bras ou leurs pieds sur les ornementations, peuplent ce lieu de leur foule charmante et colorée. Le palais qui contient ce chef-d'œuvre est à vendre, dit-on ! Comme on vivrait là-dedans ! Guy de Maupassant, Choses et autres, 1882.


Sartre Situation IV : Passage 1

Rien. Cette vie s’est engloutie. Quelques dates, quelques faits et puis le caquetage des vieux auteurs. Mais ne nous décourageons pas, Venise nous parle ; cette voix de faux témoin, parfois aiguë, parfois chuchotante, brisée par des silences, c’est sa voix. L’histoire du Tintoret, portrait de l’artiste peint de son vivant par sa ville natale, laisse transparaitre une animosité qui ne désarme pas. La Cité des Doges nous fait savoir qu’elle a pris en grippe le plus célèbre de ses fils. Rien n’est dit : on glisse, on suggère, on passe. Cette inflexible haine a l’inconsistance du sable ; plus qu’(une aversion déclarée, c’est une froideur, une morosité, l’insidieux éparpillement d’un refus. Nous n’en demandons pas plus : Jacopo livre un combat douteux à son adversaire innombrable, s’épuise, meurt vaincu ; pour l’essentiel, voilà sa vie. Nous verrons toute, dans sa nudité sombre, si nous écartons un instant la broussaille de ragots qui encombre l’entrée.


Venise, « Haut lieu de la religion de la Beauté » 1908 Venise dans le rétroviseur. Venise, que Proust appelait « haut lieu de la religion de la Beauté ». Huit ans plus tôt, Proust, dont alors j’ignorais tout (bien que mon père le rencontrât chez Madeleine Lemaire — je devais l’apprendre de Proust lui-même, dix ans plus tard) avait vu Venise à travers Ruskin, mais déjà il se rendait compte de ce que cette religion de la Beauté a d’exigeant. « La Beauté ne fut pas conçue par Ruskin comme un objet de jouissance, mais comme une réalité plus importante que la vie... » Si Proust s’en était tenu à Jean Santeuil il n’eût été qu’un hédoniste; mais il a souffert, il a dépassé la Beauté, il a donné Swann. C’est pourquoi notre sévère époque lui pardonne ses duchesses. Blanc-bec, je n'imaginais pas qu’on eût des devoirs envers la Beauté; elle ne m’était qu’un biais pour échapper à la morale; et Ruskin. un effroyable raseur, comme dit Bloch. Je m’entends dire et répéter : « Tu nies le passé, tu refuses le présent, tu t’élances vers un avenir que tu ne verras pas. » Je veux en avoir le cœur net ; surmontant mon peu de goût pour moi-même, j’ai donc pris Venise comme confidente ; elle répondra à ma place. A Venise, je pense ma vie, mieux qu’ailleurs ; tant pis si je montre le nez dans un coin du tableau, comme Véronèse dans La Maison de Lévi. Les canaux de Venise sont noirs comme l’encre, c’est l’encre de Jean-Jacques, de Chateaubriand, de Barrés, de Proust; y tremper sa plume est plus qu’un devoir de français, un devoir tout court. Paul Morand, Venises, 1971


« Venise la rouge » disait l’autre. Oui – comme une Légion d’Honneur. Protégeons nos boutonnières. Laissons les décorés en famille, se concélébrer eux mêmes en célébrant le Chinois du Florian et les « escarpins du bal qui glissent sur l’eau molle » ; qu’ils s’aspergent les uns les autres de citations ; qu’ils fassent le tour du propriétaire. Et filons à Hong Kong ou San Diego – tonifiantes crudités encore vierges de métaphores, par où Musset, Byron, D’Annunzio et Henri de Régnier nous ont fait la grâce de ne jamais passer. Oui, le plus vexant, devant ce palimpseste de marbres polychromes, c’est l’impossibilité où il nous met d’improviser. La veduta ne nous laisse le choix qu’entre la récitation ou le graffiti. La culture et l’inculture. Il n’y a que le troisième terme qui vaille. » - Tout a été vu, tout a été fait sur Venise par bien des grands auparavant et il se sent dépourvu d’idées artistiques face à ce trop plein. Il oppose sa condition de créateur, d’écrivain à cette ville qui le bloque. Debray invite à la recherche de nouvelles villes à découvrir, pour de nouvelles phrases. Regis Debray, Contre Venise, 1995.


Rousseau Passage 3 J’avais apporté de Paris le préjugé qu'on a dans ce pays-là contre la musique italienne; mais j’avais aussi reçu de la nature cette sensibilité de tact contre laquelle les préjugés ne tiennent pas. J’eus bientôt pour cette musique la passion qu’elle inspire à ceux qui sont faits pour en juger. En écoutant des barcarolles, je trouvais que je n’avais pas ouï chanter jusqu’alors, et bientôt je m’engouai tellement de l’opéra, qu’ennuyé de babiller, manger et jouer dans les loges, quand je n’aurais voulu qu’écouter, je me dérobais souvent à la compagnie pour aller d'un autre côté. Là, tout seul, enfermé dans ma loge, je me livrais, malgré la longueur du spectacle, au plaisir d’en jouir à mon aise et jusqu’à la fin. Un jour, au théâtre de Saint-Chrysostome, je m'endormis, et bien plus profondément que je n’aurais fait dans lit. Les airs bruyants et brillants ne me réveillèrent point. Mais qui pourrait exprimer la sensation délicieuse que me firent la douce harmonie et les chants angéliques de celui qui me réveilla? Quel réveil, quel ravissement, quelle extase quand j’ouvris au même instant les oreilles et les yeux ! Ma première idée fut de me croire en paradis. Ce morceau ravissant, que je me rappelle encore et que je n’oublierai de ma vie, commençait ainsi: Conseruami la bella Che si m’accende il cor. Je voulus avoir ce morceau : je l’eus, et je l’ai gardé longtemps ; mais il n’était pas sur mon papier comme dans ma mémoire. C’était bien la même note, mais ce n’était pas la même chose. Jamais cet air divin ne peut être exécuté que dans ma tête, comme il le fut en effet le jour qu’il me réveilla. Une musique à mon gré bien supérieure à celle des opéras, et qui n’a pas sa semblable en Italie ni dans le reste du monde, est celle des scuole. Les scuole sont des maisons de charité établies pour donner l'éducation à de jeunes filles sans bien, et que la République dote ensuite, soit pour le mariage, soit pour le cloître. Parmi les talents qu’on cultive dans ces jeunes filles, la musique est au premier rang. Tous les dimanches, à l’église de chacune de ces quatre scuole, on a durant les vêpres des motets à grand chœur et en grand orchestre, composés et dirigés par les plus grands maîtres de l’Italie, exécutés dans des tribunes grillées uniquement par des filles dont la plus vieille n’a pas vingt ans. Je n’ai l’idée de rien d’aussi voluptueux, d’aussi touchant que cette musique : les richesses de l’art le goût exquis des chants, la beauté des voix, la justesse de l’exécution, tout dans ces délicieux concerts concourt à produire une impression qui n’est assurément pas du bon costume, mais dont je doute qu'aucun cœur d’homme soit


à l’abri. Jamais Carrio ni moi ne manquions ces vêpres aux Mendicanti, et nous n’étions pas les seuls. L’église était toujours pleine d’amateurs : les acteurs même de l’Opéra venaient se former au vrai goût du chant sur ces excellents modèles. Ce qui me désolait était ces maudites grilles, qui ne laissaient passer que des sons, et me cachaient les anges de beauté dont ils étaient dignes. Je ne parlais d’autre chose. Un jour que j’en parlais chez M. Le Blond : « Si vous êtes si curieux, me dit-il, de voir ces petites filles, il est aisé de tous contenter. Je suis un des administrateurs de la maison. Je veux vous y donner à goûter avec elles. » Je ne le laissai pas en repos qu’il ne m’eût tenu parole. En entrant dans le salon qui renfermait ces beautés si convoitées, je sentis un frémissement d’amour que je n’avais jamais éprouvé. M. Le Blond me présenta l’une après l’autre ces chanteuses célèbres, dont la voix et le nom étaient tout ce qui m’était connu, Venez, Sophie... Elle était horrible. Venez, Cattina. Elle était borgne. Venez, Bettina... La petite vérole l'avait défigurée. Presque pas une n’était sans quelque notable défaut. Le bourreau riait de ma cruelle surprise. Deux ou trois cependant me parurent passables : elles ne chantaient que dans les chœurs. J’étais désolé. Durant le goûter on les agaça ; elles s’égayèrent. La laideur n’exclut pas les grâces ; je leur en trouvai. Je me disais : « On ne chante pas ainsi sans âme ; elles en ont. » Enfin ma façon de les voir changea si bien, que je sortis presque amoureux de tous ces laiderons.


IX Venise : ville Festive et libertine


Rousseau Passage 4 J'entrai dans la chambre d’une courtisane comme dans le sanctuaire de l’amour et de la beauté ; j’en crus voir la divinité dans sa personne. Je n’aurais jamais cru que, sans respect et sans estime, on pût rien sentir de pareil à ce qu’elle me fit éprouver. A peine eus-je connu, dans les premières familiarités, le prix de ses charmes et de ses caresses, que, de peur d’en perdre le fruit d’avance, je voulus me hâter de le cueillir. Tout à coup, au lieu des flammes qui me dévoraient, je sens un froid mortel courir dans mes veines, les jambes me flageolent, et, prêt à me trouver mal, je m'assieds, et je pleure comme un enfant. Qui pourrait deviner la cause de mes larmes, et ce qui me passait par la tête en ce moment Je me disais : « Cet objet dont je dispose est le chef-d’œuvre de la nature et de l’amour ; l’esprit, le corps, tout en est parfait ; elle est aussi bonne et généreuse qu’elle est aimable et belle. Les grands, les princes devraient être ses esclaves ; les sceptres devraient être à ses pieds. Cependant la voilà, misérable coureuse, livrée au public ; un capitaine de vaisseau marchand dispose d’elle ; elle vient se jeter à ma tête, à moi qu’elle sait qui n’ai rien, à moi dont le mérite, qu’elle ne peut connaître, doit être nul à ses yeux. Il y a là quelque chose d’inconcevable. Ou mon cœur me trompe, fascine sens et me rend la dupe d’une indigne salope, ou il faut que quelque défaut secret que j'ignore détruise l’effet de ses charmes et la rende odieuse à ceux qui devraient se la disputer. » Je me mis à chercher ce défaut avec une contention d’esprit singulière, et il ne me vint pas même à l’esprit que la vérole pût y avoir part. La fraîcheur de ses chairs, l’éclat de son coloris, la blancheur de ses dents, la douceur de son haleine, l'air de propreté répandu sur toute sa personne, éloignaient de moi si parfaitement cette idée, qu’en doute encore sur mon état depuis la Padoana, je me faisais plutôt un scrupule de n’être pas assez sain pour elle, et je suis très persuadé qu’en cela ma confiance ne me trompait pas. Ces réflexions, si bien placées, m agitèrent au point d’en pleurer. Zulietta, pour qui cela faisait sûrement un spectacle tout nouveau dans la circonstance, fut un moment interdite. Mais ayant fait un tour de chambre et passé devant son miroir, elle comprit, et mes yeux lui confirmèrent que le dégoût n'avait point de part à ce rat1. Il ne lui fut pas difficile de m’en guérir et d’effacer cette petite honte. Mais, au moment que j’étais prêt à me pâmer sur une gorge qui semblait pour la première fois souffrir la douche et la main d’un homme. Je m’aperçus qu’elle avait un téton borgne. Je me frappe, j’examine, je crois voir que ce téton n’est pas conformé comme l'autre. Me voilà cherchant dans ma tête comment on peut avoir un téton borgne ; et, persuadé que cela tenait à quelque notable vice naturel, à force de tourner et retourner cette idée, je vis clair comme le jour que


dans la plus charmante personne dont je pusse me former l’image, je ne tenais dans mes bras qu’une espèce de monstre, le rebut de la nature, des hommes et de l’amour. Je poussai la stupidité jusqu’à lui parler de ce téton borgne. Elle prit d’abord la chose en plaisantant, et, dans son humeur folâtre, dit et fit des choses à me faire mourir d’amour. Mais gardant un fond d’inquiétude que je ne pus lui cacher, je la vis enfin rougir, se rajuster, se redresser, et, sans dire un seul mot, s’aller mettre à sa fenêtre. Je voulus m’y mettre à côté d’elle ; elle s’en ôta, fut s’asseoir sur un lit de repos, se leva le moment d’après, et se promenant par la chambre en s’éventant, me dit d’un ton froid et dédaigneux : « Zanetto, lascia le donne, e studia la matematica. »


Un carnaval « libertin » Casanova, très vite attiré par le beau sexe, profite de l’occasion d’un carnaval pour enlever, avec d’autres complices, une jeune beauté vénitienne… « C’était un carnaval, minuit était sonné, nous étions huit, tous masqués rôdant par la ville pensant tous à nous faire honneur avec nos camarades par l’invention de quelque impertinence de nouvelle espèce. Passant par devant le magasin de la paroisse appelé la croix il nous vient envie d’aller boire. Nous entrons, nous rodons et nous ne voyons personne que trois hommes pacifiques dans une chambre qui buvaient avec une assez jolie femme. Notre chef, qui était un noble vénitien d’une famille Baldi nous dit que l’opération serait belle, et nouvelle ces pauvres buveurs séparément de la femme pour nous servir d’après d’elle à toute notre commodité. Il nous dit son projet en détail, nous l’approuvons, il nous concerte, et bien couverts de nos masques, sûr de n’être pas pour cela connu, il dit aux trois hommes surpris ces paroles : - Sous peine de la vie, et par ordre des chefs du Conseil des Dix venez d’abord avec nous, sans faire le moindre bruit ; et vous la bonne ne craignez rien. On vous conduira chez vous. A peine ces paroles prononcées deux de la bande prennent la femme qu’ils conduisent d’abord où notre chef lui avait dit d’aller nous attendre, et nous nous emparons des trois hommes tout tremblants qui pensent à tout hormis qu’à nous résister. Le garçon du magasin accourt pour être payé, et notre chef le paye lui imposant le silence, toujours sous peine de la vie. Nous conduisons ces trois hommes dans un grand bateau : notre chef monte en poupe, ordonnant au batelier de voguer à proue. Le batelier doit obéir sans savoir où il ira ; la route dépend du poupier. Aucun de nous ne savait où notre chef allait conduire ces pauvres diables. Il prend le chemin pour sortir du canal, il sort et il arrive dans un quart d’heure à Saint-George où il fait descendre les trois prisonniers, qui se trouvent heureux de se voir laissés là, car ils devaient craindre d’être assassinés. Après cela notre chef se trouvant fatigué fait monter en poupe le batelier, et lui ordonne de nous mettre à Saint-Geremie, où après l’avoir bien payé il le laisse dans son bateau. De Saint-Geremie nous allâmes à la petite place du ramier à Saint-Marcuola où mon frère avec un autre de notre bande nous attendaient dans un coin assis par terre avec la jolie femme qui pleurait. - Ne pleurez pas notre belle, lui dit notre chef, car on ne vous fera pas de mal. Nous allons boire un coup à Rialte, et après nous vous conduirons chez vous.


- Où est mon mari ? - Vous le verrez chez vous demain matin. Consolée par cette réponse, et soumise comme un mouton, elle vint avec nous à l’hôtellerie des « Deux Epées», où nous firent faire un bon feu dans une chambre en haut, et où, après avoir fait porter à boire et à manger, nous renvoyâmes le valet. Pour lors nous ôtâmes nos masques, et nous vîmes l’enlevée devenir tout humaine à la vue de nos figures et à la façon de nos procédés. Après l’avoir encouragée par des paroles et des verres de vin il lui arriva ce à quoi elle devait s’attendre. Notre chef, comme de raison, fut le premier à lui rendre ses devoirs amoureux après avoir vaincu avec beaucoup de politesse toute la répugnance qu’elle avait à lui être complaisante en présence de toute la bande. Elle prit le bon parti d’en rire et de se laisser faire. Mais je l’ai vue surprise, lorsque je me suis présenté pour être le second ; elle crut de devoir me marquer de la reconnaissance ; et lorsqu’elle vit après moi le troisième elle ne douta plus de son heureuse destinée qui lui promettait tous les membres de la société. Elle ne se trompa pas. Mon frère fut le seul qui fit semblant d’être malade. Il n’avait point d’autre parti à prendre, car la loi qui existait entre nous était irrévocable en ceci que chacun devait faire ce qu’un autre faisait. Après ce bel exploit, nous nous remasquâmes, nous payâmes l’hôte et nous conduisîmes cette heureuse femme à Saint-Job où elle demeurait, ne la laissant que lorsque nous la vîmes ouvrir sa porte. Nous dûmes rire tous de ce qu’elle nous remercia de la plus vraie et de la meilleure foi du monde. Après cela nous nous débandâmes pour aller tous chez nous. Ce ne fut que le surlendemain que cette aventure commença à faire du bruit. Le mari de cette jeune femme était un tisserand comme ses deux autres mis. Il s’unit à eux et il présenta aux chefs du Conseil des Dix une plainte dans laquelle il leur communiquait le fait dans la pure vérité, dont l’atrocité était cependant diminuée par une circonstance qui dut faire rire les trois juges, comme elle a fait rire toute la ville. L’écriture disait que les huit masques n’avaient maltraité d’aucune façon la femme. Les deux masques qui l’avaient enlevée l’avaient conduite dans la telle place où une heure après les six autres étant arrivés, ils étaient allés aux « Epées » où ils avaient passé une heure à boire. Ils l’avaient après conduite chez elle la priant d’excuser s’ils avaient voulu jouer un tour à son mari. Les trois tisserands n’avaient pu partir de l’île de Saint-Georges qu’à la pointe du jour, et le mari retournant chez lui avait trouvé sa femme dans son lit dormant profondément, qui à son réveil lui avait conté tout le fait. Elle ne se plaignait que de la grande peur qu’elle avait eue, et sur cela elle demandait


justice et punition exemplaire. Tout était comique dans cette plainte, car le mari disait que huit masques ne les auraient pas trouvés si faciles si leur chef n’avait pas prononcé le respectable nom du tribunal. Cette plainte fit trois effets. Le premier fut de faire rire toute la ville. Le second, de faire aller tous les oisifs à Saint-Job pour entendre l’héroïne même conter l’histoire. Le troisième de faire sortir du tribunal une sentence qui promettait cinq cents ducats à celui qui découvrirait les coupables, fût-ce quelqu’un même d’entre eux excepté le chef. Cette taille nous aurait fait trembler, si notre chef, qui seul était d’un caractère à pouvoir devenir délateur, n’avait été noble vénitien. Cette qualité de notre chef me rendait sûr que quand même quelqu’un de nous aurait été capable d’aller déclarer le fail pour gagner les cinq cents ducats le tribunal n’aurait rien fait, puisqu’il aurait été obligé de punir un patricien. Ce traître ne se trouva pas parmi nous, malgré que nous fussions tous pauvres. Mais nous fûmes si épouvantés que nous devînmes tous sages, et nos courses nocturnes finirent. Trois ou quatre mois après, le chevalier Nicolas Tron, étant inquisiteur d’Etat, m’étonna en me disant toute l’histoire de cette affaire, et me nommant un à un tous mes camarades. » Casanova, Histoire de ma vie, 1789.


Morand texte 3

Une fête européenne, aujourd'hui vieille de vingt ans... Un homme de goût précipitait dans le Cannaregio son bonheur de vivre. Louis II de Bavière ne s’était-il pas noyé dans deux pieds d’eau? Il serait ridicule de parler de cette dernière soirée comme une fillette de son premier bal, mais dès l’arrivée je savais que je venais faire mes adieux à un monde ; ermite par nécessité, seul depuis onze années, du haut de mes glaciers je tombais tout à coup dans une échauffourée de plaisir, dans un glas de l’imaginaire. Un bal? Un bal en Italie, comme dans Stendhal! Sur la place Saint-Marc, c’était ce que Montaigne vénitien nomme « la presse des peuples étrangers. II n’était question que de coiffeurs ou de maquilleuses ayant raté le train ou l’avion, « d’entrées » compromises par des défections de dernière heure — la politique locale, la presse américaine, le puritanisme gauchiste et le ressentiment des exclus s’en mêlant. A la terrasse du Florian, plus bourrée de plumes de pigeon qu’un édredon, Churchill, la boîte à couleurs en bandoulière, mettait ses doigts en V, mais n’intéressait plus personne : V., ce jour-là, ne signifiait que Venise. Inconscience ou défi, il était satisfaisant de penser qu’un grand amateur tenait tête, pour la seule satisfaction de réanimer Venise, de faire sortir de leurs cadres ces personnages des grands et des petits maîtres qui s’assommaient sur les toiles peintes de musées, les déesses captives dans la trame des gobelins; d’autres auraient pu le faire, lui seul osait; dans un monde de froussards, un Caballero. En route, j’admirais une Venise enflammée de rouge et de safran, qui rappelait ces rascasses de roche, au groin monstrueux émergeant d’une platée de bouillabaisse. Nous voulions être des premiers, afin de voir sans être vus. Le concierge examina nos cartons d’invitation avec autant de soin qu’un caissier regarde les grosses coupures, tant circulaient en ville de fausses entrées. Trop tôt. B. n’était pas encore habillé; il nous reçut avec humeur, la sueur au front, en chemise, n’ayant pas encore revêtu son costume de Cagliostro, tout occupé de costumer son palais. Accoudé au balcon principal où festonnaient des girandoles, je dominais les spectateurs aplatis sur les quais étroits, accrochés aux corniches, le long des maisons. Le Labia n’était séparé du Grand Canal que par l’église Saint-Jérémie, éclairée de biais comme un portant de théâtre. Aux fenêtres voisines, louées à prix d’or, les têtes penchées sur le vide se superposaient par étages. Tout ce que Venise peut contenir d’embarcations venait s’étrangler au carrefour des deux plus grands canaux de la ville. Aux fenêtres du palais, des tapisseries tiraient la langue, des aubussons descendaient les marches, venaient tremper dans le canal. Dans la fumée des échappements, du tabac, des rôtisseries en plein vent, des torches, les projecteurs fonçaient droit sur les premières entrées.


« Miracolo vivente di sogno e poesia ! » s’écrie une marchande de mouchoirs imprimés, qui, dans un parasol ouvert, débite des lions de saint Marc, une patte sur l’Evangile. Aux illusions d’une fête la Venise de ce soir-là ajoutait son irréalité ; les « entrées » surgissaient du noir dans le falso giorno d’une cité par elle-même tout artifice. Des phares cachés aux angles se promenaient sur la chenille processionnaire. Le thème du spectacle : Marco Polo, enfant prodigue, rentrait chez lui, ramenant sur l’Adriatique des Chinois Chippendale ou des Turcs de Liotard. Les objectifs de tous les photographes de la presse mondiale tournaient leur ?il luisant sur les premiers rôles. Entre deux magots flanqués d’une cour mandarine, sur des jonques de Tartarie plus dorées que le Bucentaure, se faisait caresser de lumière un Catalan aux moustaches cirées. Des géants suivaient, damasquinés d’argent. Surgissaient, derrière, des goyescas, dont les rôles étaient tenus par les descendants des modèle Goya, ovationnés depuis les boutiques jusqu’aux toits. Le ruisseau de feu que descendaient ces reposoirs flottants conduisait vers l’entrée du Cannaregio, ou les cortégants prenaient pied sur une Savonnerie trempant dans le canal noir ; les femmes retrouvaient le sol, avec l’aide de portiers mores qui rectifiaient leur équilibre fragile, entre deux rangs de galériens jaunes, rames dressées, au débarquer. Des lustres de Murano, parés de vraies fleurs, délicats comme ces fabriques de sucre filé qui ornaient les festins vénitiens de la Renaissance, éclairaient la cour intérieure; là s'affairaient déjà des tableaux vivants reproduisant les tapisseries de Beauvais pendues aux murs, les fameuses Parties du monde. Sans souci du lendemain, l’Europe du plaisir, l’Asie du pétrole, l’Amérique de l’ennui, les rois de Candide, la société des jets, les océans des armateurs continuaient de défiler devant l’église du coin, où saint Jérémie retenait mal ses lamentations : « Vous marchez droit vers le cimetière..., criait-il. Attention à San Michele! » L’apothéose masquée de cette nuit d’il y a vingt années était une Catherine II, au corsage barré d’un grand cordon bleu ciel, constellée, comme un glacier, des diamants de l’Oural : elle n’est plus. Respirant son triomphe comme un parfum enivrant, je revois un Louis XIV blanc et or; son faste insolent offusquait un confrère en haute couture, chevelu d’or comme une comète, qui le suivait : morts tous deux, aujourd'hui. Un Pétrone parisien qui, à la suite, dominait la cohue des curieux du haut de son palanquin, image même de la vie glorieuse, dort maintenant dans la paix du cimetière. Une bacchante, reine anglaise de Paris, vêtue d'une seule peau de panthère, se faisait précéder de petits Caraïbes; ses yeux d’acier, son rire glacial, se sont à jamais éteints au lendemain de son triomphe.


Venise est la dernière ville du dernier pays à badauds; le spectacle gratuit est héritage des Romains; tout offre prétexte à s’amuser, une femme sur le seuil qui travaille sa mayonnaise, une Anglaise devant son chevalet, un chanteur solitaire sur quelque banc de gondoliers, un enfant qui shoote son ballon à travers les pigeons picorant... En sortant du Labia, la fête se prolongeait sur la place. B... l’avait voulu ainsi; pour rentrer à notre hôtel, en direction de la gare, nous dûmes traverser le campo Saint-Jérémie; là, tout dansait, sauf les maisons. Des acrobates reconstituaient la fameuse pyramide, dite des Forces d'Hercule, d’après le modèle en bois du musée Correr. Les beautés masquées s’étaient jetées dans la foule qui les admirait sans envie; la démocratie naturelle des Méditerranéens ne faisait pas de distinction entre le piano nobile et le pavé. (J’avais assisté à cela, pour la première fois, dans les Apennins, à Vigoleno; le village avait envahi le château fort où Maria passait des bras de son jardinier à ceux de son chauffeur.) Au-dessus de nos têtes, un danseur de corde costumé en ours allait d’un toit à un autre; des bateleurs, des saltimbanques pyramidant demeuraient en équilibre à la hauteur des gouttières; le bagou des bonimenteurs, les lazzi des pitres forains couvraient l'éclaboussement des jouteurs du canal, les cris des voltigeurs sur échasses. Jean de Castellane, au sortir d’un bal à l’Hôtel de Ville disait avec dégoût ; « C’est la rue... avec un toit. » A Venise, la rue est un palais sans toit. Vingt années ont suffi pour que le palais Labia, vendu, devienne une triste administration péninsulaire. Depuis que ces lignes furent écrites, l’animateur d’une Venise resurgie ce soir-là, a passé lui aussi du côté des ombres, à senestre.


Paolo Barbaro Passage n°1 Paolo Barbaro plonge le lecteur en ce mois de février dans l’univers du carnaval, propre à la ville de Venise. Le narrateur se montre, dans son rapport aux autres, et illustre sa vision de l’évènement, son ressenti. Mais avant, il nous évoque la Mort dans son ensemble, il lui parle, la personnifie. Elle vient, elle repart, s’enfuit mais est présente à Venise. Février, Fondaco dei Trucchi. « Bateau sous la pluie, vers le soir : gens ensommeillés, abattus par le mauvais temps, par les désastres, par la marée de cette nuit – le froid ne lâche pas prise. Quelqu’un ouvre la porte, les dormeurs frémissent : un rictus effroyable, c’est elle, c’est la Mort. Elle siffle le nom d’un arrêt à nos oreilles, elle nous rit au visage, nous lorgne l’un après l’autre. Elle disparaît. J’aurais envie de lui lancer tout ce que j’ai sous la main, mais ce n’est pas grandchose : la serviette pour le bureau, un reste de sandwich. Deux endormis, contents d’être réveillés : à voir ce bel arrière-train, on apprécie même la mort. Arrêts suivants, et elle surgit à nouveau. Des flancs ronds, un crâne maigre, cruel : un bel ensemble qui laisse baba les enthousiastes. « Ca’ di Dio », « Accademia », « Rialto »… Le bateau se vide : « Et toi ? me demande-t-elle. – Moi, dis-je, je file chez moi, j’ai turbiné toute la journée. – Non, non, elle me scrute, ici, il faut serrer les dents : c’est Carnaval. » Elle reprend d’une voix amicale : « Même les années de guerre avec les Turcs, des carnavals splendides, fous. » Je soupire : « Autres époques. – Mais maintenant, souffle-t-elle, nous n’avons plus d’autre moment. » Je la regarde, elle ouvre son manteau, cherche quelque chose dans son sac… Un éclair : je me retrouve avec des poils de barbe violets collés au menton, des rides orange sur le front, un colback vert sur la tête. Ce n’est pas tout : une belle paire de petites lunettes sur le nez. Je demande : « Et maintenant, qui suis-je ? » Elle rit : « Milan Kundera, l’écrivain que tu voulais être, le succès international… Tu es une imitation, ricane-t-elle, tu n’as pas de légèreté. Regarde, là, au contraire, sur la rive. » Elle a raison, les voici, merveilleusement légers : ils débouchent des calli, ils volent sur les ponts, se dressent sur le canal où vient de passer la marée : anges, danseuses, Rambos, rois mages, Duran Duran, Turcs, Allemands, figurants, petits masques, abstraits, concrets et ridicules, pâles et doux. Selon moi, le carnaval habituel. « Non, ce n’est pas le même, reprend le crâne, cette année, si tu es jeune, pluie ou pas, tu es condamné à courir, d’esplanades en petites places, sans jamais t’arrêter ; au contraire, si tu n’es plus jeune… on verra, tu sauras bien me dire. » Et elle disparaît dans le groupe, au milieu des anges. Je reste là sur la rive, je ne sais plus si je suis jeune ou vieux ; entraîné par des essaims d’insectes géants, puis par des troupeaux de dromadaires affolés. Me vient à l’esprit – la Mort a raison – que cette année, le centre de Venise, la place Saint-Marc et ses environs, sont occupés par de nouvelles illusions : cafés orientaux et occidentaux, reconstructions et mises en scène, tentures et estrades, un peu à cause du froid, un peu pour faire spectaculaire. Agencement pour les riches, ou plutôt pour les vieux riches, et vive le tourisme doré. Les autres, les pauvres et les jeunes, sont errants ; pas de place, pas d’encrage. Sous la pluie glacée, je lis les affiches sur les murs : elles énumèrent toute une liste « d’espaces alternatifs » pour les jeunes et autres. Mais elles ne disent pas ce qui est important : que la grande place, paradis perdu, leur est interdite. »


Debray Extrait

2, p26 :

« Rome, Naples ou Milan nous forcent à improviser et dans la plupart des villes étrangères, nous errons au petit hasard comme des personnages en quête d’auteur et de répliques. Ici, les rôles sont écrits, les emplacements dessinés à la craie, chacun se faufile dans un livret archiconnu : on est figurant amateur à Naples mais professionnel à Venise. Loup et domino invisibles, guidé par les rails d’itinéraires fléchés, chacun s’en va par campi et calli fredonnant son petit air d’opérette, déguisé comme il convient (c’est encore lors du carnaval, où la pantomime s’avoue le plus, qu’on joue le moins). La fête est programmée. » - Debray décrit le fatalisme de Venise. Rien n’est à inventer ici et comme il le dit plus loin « rien n’est pour de vrai ». La ville est une immense pièce de théâtre pour l’écrivain mais on ne peut profiter du jeu bien longtemps. Tout est déjà joué. Il s’appuie, comme durant tout le récit, sur des comparaisons avec d’autres villes italiennes (et notamment Naples).


Texte prince de Ligne


X Venise : Etat policier


La justice vénitienne Bernis considère Venise comme une ville protégée malgré les contraintes et les attaques qu’elle a connues. Cela s’explique par une justice vénitienne implacable et assez secrète. Il est stupéfait des informations qui parviennent aux autorités vénitiennes sur la sécurité intérieure. Je n’ai cessé d’admirer que Venise, placée entre dix Etats différents, sans portes ni murailles, où l’on ne voit jamais ni gardes ni soldats, qui est le réceptacle de tous les malfaiteurs des environs, où l’on ne fait presque jamais d’exécution publique, était cependant la ville d’Italie où il y eut le moins d’assassinats et de vols. J’ai vu le lundi gras, dans la place Saint-Marc, plus de quarante mille personnes rassemblées ; on aurait entendu volée une mouche pendant les spectacles que l’on donne au peuple ; il ne s’y perd pas un mouchoir, et cependant on ne voit ni huissier ni archers pour contenir la populace : la raison de l’ordre qui règne à Venise est la certitude que l’on a que le gouvernement est instruit de tout, et que les inquisiteurs d’Etat font mourir sans formalités ceux qui troublent l’ordre publique : la crainte des exécutions secrètes en impose plus aux hommes que la crainte des supplices publiques. ( …) J’ai eu encore le secret de me faire confier la relation qu’un autre conspirateur qu’on dit avoir été empoisonné par les Vénitiens : c’était le comte de Torre, ambassadeur de la Cour de Vienne. Cette pièce est fort curieuse. Dans les affaires qui intéressent la conversation de l’Etat, les maximes des Vénitiens sont très sévères, on pourrait même dire cruelles. Les crimes qui ne font tort qu’aux particuliers sont mollement recherchés et rarement punis, pour peu que la protection s’en mêle ; mais le simple soupçon en matière d’Etat est puni par une mort prompte et presque toujours secrète. Au premier coup d’œil, cela parait injuste ; mais quand on considère que la République, malgré la jalousie qu’elle a donnée pendant longtemps aux grandes puissances, et malgré la faiblesse où elle est réduite depuis la perte de son commerce, se soutient avec honneur parmi les couronnes depuis près de treize siècles, que le peuple y est heureux, ou du moins qu’il croit l’être, on est forcé d’applaudir à la sagesse des lois et des maximes qui ont perpétué un gouvernement si singulier. Cardinal de Bernis, Mémoires, 1878.


Une fuite avortée Après un travail de fourmis, Casanova à réussi à percer un trou dans le mur de sa cellule, qui va bientôt lui permettre de s’enfuir. C’est alors qu’un geôlier vient l’avertir d’une « bonne nouvelle » … J'ai fixé le moment de mon évasion dans la nuit précédant la fête de saint Augustin, non pas tant parce qu'il y avait déjà plus de quatre semaines que je l'avais fait mon protecteur, comme parce que je savais que dans cette fête-là le Grand Conseil s'assemblait, et que par conséquent il n'y aurait pas de monde à la boussole contiguë à la chambre par laquelle je devais nécessairement passer en me sauvant. J'ai donc fixé de sortir dans la nuit du vingt-sept. La journée du vingt-cinq, à midi, il m'arriva ce qui me fait frissonner encore dans ce moment où je vais l'écrire. À midi précis j'ai entendu le glapissement des verrous : j'ai cru de mourir. Un violent battement de cœur, qui frappait plus de six pouces plus bas que sa région, me fit craindre mon dernier moment : je me suis jeté éperdu sur mon fauteuil. Laurent en entrant me dit, mettant la tête à la grille, et avec un ton de jouissance : Je viens, Monsieur, vous porter une bonne nouvelle, dont je vous félicite. J'ai d'abord cru que c'était celle de ma liberté, car je n'en connaissais pas d'autre qui pût être bonne ; et je me voyais perdu : la découverte du trou aurait fait révoquer ma grâce. Laurent entre et me dit d'aller avec lui ; je lui réponds d'attendre que je m'habille : N'importe, me dit-il, puisque vous ne faites que passer de ce vilain cachot à un autre clair et tout neuf où par deux fenêtres vous verrez la moitié de Venise, où vous pourrez vous tenir debout, où... Mais je n'en pouvais plus, je mourais ; je le lui ai dit. J'ai demandé du vinaigre en le priant d'aller dire à M. le Secrétaire que je remerciais le tribunal de cette grâce, en le suppliant au nom de Dieu de me laisser là. Laurent me dit avec un grand éclat de rire que j'étais fou : que le cachot où j'étais s'appelait l'enfer, et que celui où il avait ordre de me mettre était délicieux. Allons, allons, ajouta-t-il, il faut obéir, levez-vous. Je vous donnerai le bras, et je vous ferai d'abord porter toutes vos hardes, et tous vos livres. Etonné et en devoir de ne plus répliquer le moindre mot je suis sorti, et j'ai dans l'instant ressenti un petit soulagement en l'entendant ordonner à un des siens de le suivre avec mon fauteuil. Mon esponton était caché dans sa paille : c'était toujours quelque chose. J'aurais voulu me voir suivi par le beau trou que j'avais fait avec tant de peine, mais c'était impossible : mon corps allait, mais mon âme restait là.

Casanova, Histoire de ma vie, 1789.


Enfin la liberté… Casanova, au terme d’un parcours éprouvant et en passant par les toits, à réussir à quitter la prison du Palais des Doges, mais il lui reste à quitter le palais lui-même pour recouvrer pleinement la liberté… L’affaire importante qui m’occupa d’abord fut celle de me changer de tout. Le père Balbi avait l’air d’un paysan, mais il était intact : on ne le voyait ni en lambeaux ni en sang : son gilet de flanelle rouge, et ses culottes de peau violette n’étaient pas déchirés. Mais ma personne faisait pitié, et horreur. J’étais tout déchiré et tout en sang. Ayant arraché mes bas de soie de deux plaies que j’avais à chaque genou, elles saignaient. La gouttière et les plaques de plomb m’avaient mis dans cet état. Le trou de la porte de la chancellerie m’avait déchiré le gilet, chemise, culottes, hanches et cuisses ; j’avais partout des écorchures effrayantes. J’ai déchiré des mouchoirs, et je me suis fait des bandages comme j’ai pu en les liant avec de la ficelle, dont j’avais un peloton dans ma poche. J’ai mis mon joli habit qui dans ce jour-là assez froid devenait comique ; j’ai arrangé comme j’ai pu mes cheveux que j’ai mis dans la bourse ; j’ai mis des bas blancs, une chemise à dentelle, n’en ayant pas d’autres et deux autres chemises, des mouchoirs, et des bas dans mes poches, et j’ai jeté derrière un fauteuil mes culottes et ma chemise déchirée et tout le reste. J’ai mis mon beau manteau sur les épaules du moine qui lui donnait l’air de l’avoir volé. J’avais l’apparence d’un homme qui après avoir été au bal, avait été dans un lieu de débauche où on l’avait échevelé. Les bandages qu’on voyait à mes genoux étaient ce qui gâchait toute l’élégance de mon personnage. Ainsi paré mon beau chapeau à point d’Espagne d’or et à plumet blanc sur la tête, j’ai ouvert une fenêtre. Ma figure fut d’abord remarquée par des fainéants qui étaient dans la cour du palais, qui ne comprenant pas comment quelqu’un fait comme moi pouvait se de si bonne heure à cette fenêtre allèrent avertir celui qui avait la clef de ce lieu. L’homme crut qu’il pouvait y avoir enfermé quelqu’un la veille sans s’en apercevoir, et étant allé prendre ses clefs il vint. Je n’ai su cela qu’à Paris cinq ou six mois après. Fâché de m’être fait avoir à la fenêtre je m’étais assis près du moine qui me disait des impertinences, lorsque j’ai entendu un bruit de clefs, et de quelqu’un qui montait l’escalier royal. Tout ému je me lève, je regarde par une fente de la grande porte, et je vois un homme seul, en perruque et sans chapeau, qui montait à son aise tenant entre ses mains un clavier. J’ai dit au moine du ton le plus


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sérieux de ne pas ouvrir la bouche, et de se tenir derrière moi, et de suivre mes pas. J’ai empoigné mon esponton, le tenant caché sous mon habit, et je me suis posté à l’endroit de la porte où d’abord ouverte j’aurais pu prendre l’éclairer. J’envoyais des vœux à Dieu pour obtenir que cet homme ne fît aucune résistance, car dans le cas contraire je me voyais en devoir de l’égorger. J’y étais déterminé. D’abord que la porte fut ouverte je l’ai vu à mon aspect comme pétrifié. Sans m’arrêter et sans lui dire le moindre mot, je suis descendu avec la plus grande célébrité suivi par le moine. Sans aller lentement, sans courir, j’ai pris le magnifique escalier qu’on appelle des Géants, méprisant la voix du père Balbi qui me suivait ne cessait de me dire, et de me répéter : Allons dans l’église. La porte de l’église était à main droite vingt pas loin de l’escalier. Les églises de Venise ne jouissent de la moindre immunité pour assurer un coupable quelconque, soit pour le criminel, soit pour le civil, aussi n’y a-t-il plus personne qui aille s’y retirer pour mettre un obstacle aux archers qui auraient ordre de se saisir d’elle. Le moine savait cela ; mais cela n’avait pas la force d’éloigner de son esprit cette tentation. Il me dit après que ce qui le poussait à recourir à l’autel était un sentiment de religion que je devais respecter. Pourquoi n’y êtes-vous pas allé tout seul ? Parce que je n’ai pas eu le cœur de vous abandonner. L’immunité que je cherchais était au-delà des confins de la Sérénissime République ; je commençais déjà dans ce moment-là à m’y acheminer ; j’y étais avec mon esprit ; il fallait y transporter mon corps. Je fus tout droit à la porte de la Carte qui est la royale du palais ducal ; et sans regarder personne (moyen d’être moins regardé) j’ai traversé la piazzetta, je suis allée au rivage, et je suis entré dans la première que j’ai trouvée là en disant tout haut au gondolier qui était sur la poupe : Je veux aller à Fusina, appelle vite un autre homme. L’autre homme entra d’abord ; je ne jette nonchalamment sur le coussin du milieu, le moine se met sur la banquette, et la gondole se détache d’abord du rivage. La figure de ce moine sans chapeau avec mon manteau contribua beaucoup à me faire croire un charlatan ou un astrologue. A peine doublée la Douane, mes gondoliers commencèrent à fendre avec vigueur les eaux du grand canal de la Giudecca par lequel il faut passer tant pour aller à Fusine comme pour aller à Mestre, où effectivement je voulais aller. Lorsque je me suis vu à la moitié du canal j’ai mis la tête dehors, et j’ai dit au barcarol de poupe :


- Crois-tu que nous serons à Mestre avant quatorze heures ? - Vous m’avez dit d’aller à Futsina. - Tu es fou ; je t’ai dit à Mestre. L’autre barcarol me dit que j’avais tort, et le père Balbi bon chrétien ; zélé pour la vérité, me dit aussi que j’avais tort. Je donne alors un éclat de rire, convenant que je pouvais m’être trompé mais que mon intention était d’ordonner à Mestre. On ne réplique pas. Mon gondolier me dit qu’il est prêt à me conduire en Angleterre. - Nous serons à Mestre, me dit-il, dans trois quarts d’heure, car nous allons à seconde d’eau et de vent. J’ai alors regardé derrière moi tout le beau canal, et ne voyant pas un seul bateau, admirant la plus belle journée qu’on pût souhaiter, les premiers rayons d’un superbe soleil qui sortait de l’horizon, les deux jeunes barcarols qui ramaient à vogue forcée et réfléchissaient en même temps à la cruelle nuit que j’avais passé, à l’endroit où j’étais dans la journée précédente, et à toutes les combinaisons qui me furent favorables, le sentiment s’est emparé de mon âme, qui s’éleva à Dieu miséricordieux, secouant les ressorts de ma reconnaissance, n’attendrissant avec une force extraordinaire, et tellement que mes armes s’ouvrirent soudain le chemin le plus ample pour soulager mon cœur, que la joie excessive étouffait ; je sanglotais, je pleurais comme un enfant qu’on mène par force à l’école. Casanova, Histoire de ma vie, 1789.


L'inquisition d'État : une justice implacable Description de l'inquisition d'état l'une des plus hautes magistratures de la république de Venise. Dans ce texte, Pierre Daru, officier de l’armée napoléonienne puis ministre, décrit l’inquisition d’Etat, l’une des plus hautes magistratures de la République de Venise. Ils étaient au nombre de trois, deux pris parmi les membres du Conseil des Dix, et un parmi les conseiller du doge. Les deux inquisiteurs noirs exerçaient ces fonctions pendant un an, l'inquisiteur rouge, pendant huit mois, qui étaient la durée de ses fonctions de conseiller. C'était le conseil de dix qui en faisait le choix. On savait que cette terrible magistrature existait, sans savoir où elle siégeait ; car elle pouvait partout exercer sa juridiction. On lisait des sentences ; elles étaient signé d'un secrétaire. On voyait des exécutions, elles avaient été ordonnées par des une justice invisible. On se sentait exposé à tout moment dans les relations de la société, dans les épanchements de l'amitié, dans le tumulte des plaisirs, à se trouver en présence de ces hommes redoutables, qui ne dépouillaient jamais leur caractère de juges. Comme les anciens éphores, en sortant de charges ils ne pouvaient de deux ans briguer aucun emploi important. Ici toute formalité cessait ; les inquisiteurs n'étaient assujettis à aucune règle qu'à celle de l'unanimité exigée dans leurs sentences. Du reste, le lieu de leur séances, les moyens d'investigation, l'appréciation des preuves, la torture pour arracher les aveux, le choix des peines le mystère ou la publicité de la sentence et du supplice, les formes d'une procédure qui ne laissait point de traces, tout était abandonné à la conscience des juges. Il est bien probable qu'ils ne se faisaient pas un jeu cruel d'en abuser ; mais il ne l'est pas moins que l'abus était inévitable, et quand on s'environne de tant de mystères pour se faire craindre, il faut bien s'attendre à être calomnié. Il est certain d'ailleurs qu'ils ont sacrifié plus d'une fois à leur simple soupçons, même seulement à leur crainte. Par exemple, Machiavel raconte qu'au retour d'une escadre vénitienne il s'éleva une rixe entre le peuple et les équipages. Tout ce que les chefs militaires, les magistrats purent faire, pour empêcher l'effusion du sang, fut inutile ; on se battait avec fureur, lorsqu'un officier qui avait commandé antérieurement, et pour qui les gens de la mer avaient beaucoup de vénération, se présenta au milieu du tumulte, et parvint à le faire cesser. Le crédit dont il venait de recevoir un si éclatant témoignage devint un sujet d'alarme : quelque temps après on le fit enlever et mourir en prison.


Depuis la dernière tête de l'État jusqu'à celle qui portait la couronne ducale, tout était soumis non seulement au despotisme de ce tribunal mais à sa surveillance continuel et à ses réprimandes, toujours effrayantes. Le seul privilège du doge consistait à ne point comparaître devant les triumvirs, mais à recevoir des réprimandes chez lui, et à y garder les arrêts qu'ils lui infligeaient quelquefois. Les particuliers mandé devant l'inquisition ne voyaient point leurs juges ; c'était de la bouche d'un secrétaire qu'il recevaient la réprimande qui leur était adressée ; et cette admonition était quelquefois si sévère, que celui qui l'avait subie tombait sans connaissance, et qu'il fallait l'emporter. L'arrestation était arbitraire, la détention illimité, la dénonciation inconnue, la procédure mystérieuse ; l'élargissement même avait quelque chose de menaçant et de farouche. Que faistu là ? Va t'en ; c'était par cette brusque formule que les juges ne l'avaient pas trouvé coupable. Pour que rien ne pût échapper à ce redoutable tribunal, pour qu'il pût exercer ses rigueur sur l'un de ses propres membres, on nommait dans le Conseil des Dix un inquisiteur suppléant, que deux des inquisiteurs en charge pouvaient appeler pour concourir avec eux au jugement de leur troisième collègue. Il n'y avait chambre si secrète dans l'appartement intérieur du doge même où les inquisiteurs ne pussent pénétrer à toute heure du jour et de la nuit. Il n'y avait société si élevé dans laquelle ils n'eussent des émissaires, et depuis les bouches de bronze, qui recevaient au coin des rues les avis des dénonciateurs sans preuves et sans courage, jusqu'au palais des grands et des ambassadeurs, tout semblait leur redire ce que faisait, et ce que disait, ce que pensait l'homme de marque, et le plus obscure citoyen. Tout servait le triumvirs, non seulement sans répugnance, mais avec fidélité, avec fanatisme, leurs ordres étaient obligatoires pour tous les fonctionnaires, et ces ordres, qui n'étaient la plupart du temps que des billets obscurs, en quelques lignes, jamais signés, mais écrits seulement de la main d'un secrétaire, qui mettait au bas le noms d'un membre du tribunal ; ces ordres, qu'on ne laissait point garder à ceux qui les avaient reçus, dont il était même défendu de conserver copie, prévalaient sur toutes les instructions qu'un fonctionnaire pouvait avoir de ses chefs naturels, même sur ses devoirs. Pierre Daru, Histoire de la république de Venise, 1819-1822.


XI La mort Ă Venise, la mort de Venise


Le temps à Venise Dans ce passage, l’auteur représente les gondoles comme des cercueils navigants sur le fleuve. Dans tout temps, Venise a toujours été considéré comme une ville de la mort à cause de sa proximité avec la lagune. Et pour lui, la mort est donc représente par les gondoles. « Ce n’est pas pour rien que même les peuples montagnards se représentent la mort comme une barque. Dans Venise, soit qu’on circule sur l’eau, soit que ce qu’on désire se trouve de l’autre côté d’un canal, c’est chaque jour un millier de petites morts. On y prend vite goût. De là, le reste du monde aboli, ce qui est si délectable, et l’habitude de la nonchalance en tout. Time is not money dans les Champs Élysées. Finita la Commedia ; à quoi bon courir ?»


Morand texte 4 Parfois Je cherche à me faire saigner, en m'imaginant que Venise meurt avant moi, qu’elle s’engloutit, n’ayant finalement rien exprimé, sur l’eau, de sa figure. S’enfonçant, non pas dans des abîmes, mais de quelques pieds sous la surface; émergeraient ses cheminées coniques, ses miradors, où les pêcheurs jetteraient leur ligne, son campanile, refuge des derniers chats de Saint-Marc. Des vafioretti penchés sous le poids des visiteurs sonderaient la surface où se délaie la fange du passé; des touristes se montreraient du doigt l’or de quelque mosaïque, entre cinq ballons de water-polo flottants : les dômes de Saint-Marc; la Salute servirait de bouée aux cargos au-dessus du Grand Canal des bulles monteraient, dégagées par les hommes- grenouilles cherchant à tâtons les bijoux des Américaines dans les coffres d’un Grand Hôtel immergé. « Quelle prophétie a jamais détourné un peuple du péché? » dit Jérémie. Venise se noie; c’est peut-être ce qui pouvait lui arriver de plus beau?


Le chant d’une beauté qui s’en va vers la mort Cet extrait ouvre le quatrième et dernier chapitre de la nouvelle La mort de Venise, intitulé Le chant d'une beauté qui s'en va vers la mort. Le titre de ce chapitre résume à lui seul la vision qu'a Barrès de la ville. "Avec ses palais d'Orient, ses vastes décors lumineux, ses ruelles, ses places, ses traghets qui surprennent, avec ses poteaux d'amarre, ses dômes, ses mâts tendus vers les cieux, avec ses navires aux quais, Venise chante à l'Adriatique qui la baise d'un flot débile un éternel opéra. Désespoir d'une beauté qui s'en va vers la mort. Est-ce le chant d'une vieille corruptrice ou d'une vierge sacrifiée ? [...] A chacune de mes visites, j'ai mieux compris, subi la domination d'une ville qui fait sa splendeur, comme une fusée au bout de sa course, des forces qu'elle laisse retomber. En même temps qu'une magnificence écroulée, Venise me parait ma jeunesse écoulée: ses influences sont à la racine d'un grand nombre de mes sentiments. Depuis un siècle elle n'a plus vécu qu'en une dizaine de rêveurs qui firent ma nourriture. Putridini dixi: pater meus es; mater mea et soror ma vermibus. "J'ai dit à ce sépulcre qu'il est mon père; au ver, vous êtes ma mère et ma soeur." " Barrès


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