Entre la Défense et les villes qui l'accueillent

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CONCILIER LE QUARTIER DE LA DÉFENSE AVEC LES VILLES QUI L’ACCUEILLENT.

Les espaces obsolètes pivots pour une mutation

Valérie Lemonneir Ecole spéciale d’architecture

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Jury: Alexandre Schrepfer Christian Delecluze Jean-Luc Rigaud Bruno Chapellier Stéphane Degoutin Célia Ferrari

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Introduction Le quartier de la Défense en région parisienne est le quartier

Ce mémoire propose d’explorer les frontières qui divisent

d’affaires le plus important d’Europe. Son architecture

les villes sur lesquelles s’est bâti le projet de la Défense,

et son organisation urbaine en font un projet unique en

et, par une programmation qui rassemble ses usagers, les

France qui rayonne à une échelle mondiale. C’est aussi une

atténuer pour permettre la perméabilité entre les différents

exception dans son organisation urbaine et dans les projets

quartiers et créer une unité dans ces villes.

architecturaux qu’il propose. Les formes et matériaux qui

Pour engager une mutation, les espaces vides et obsolètes

dessinent son architecture, le mobilier et initiatives urbaines

de la Défense peuvent être un point de départ. La tour

qui la composent sont autant de qualités qui enrichissent

Aurore sur l’esplanade Nord est vide et désamiantée depuis

la vie des habitants, touristes et salariés qui pratiquent le

plus de dix ans. Elle est dans l’attente de destruction et

quartier.

sera remplacée par la Tour Aire 2. La tour Aurore fait partie

Le quartier de la Défense s’est construit sur le territoire

des tours de première génération. Construite en 1970, elle

de deux communes : Puteaux, et Courbevoie. Depuis le

témoigne du projet initial de la Défense dans sa forme et

début du projet des frontières –urbaines, architecturales et

son architecture. Elle est située dans le quartier Reflets où se

sociales- se sont dressées entre la Défense et ces villes.

trouvent d’importants immeubles d’habitation. Sa situation

La définition du territoire même du quartier d’affaires et

peut servir de point de départ pour relier les habitants de la

l’implication des villes dans la réflexion de son aménagement

dalle à leur ville dans un projet à dimension locale.

ont beaucoup changé au fil du temps. L’enclavement de

D’autre part les entreponts et voies souterraines de la

la Défense et sa dimension internationale rendent difficile

Défense offrent un visage dépassé et inhospitalier. Ils

l’expérience d’une localité au sein du quartier.

sont pourtant un lien entre les différents bâtiments de la

Comment concilier le quartier mondialisé de la Défense avec ces villes ?

Défense. Par ailleurs, ces espaces plus discrets et moins imposants peuvent servir une localité à destination des habitants et salariés de la Défense. 3


Sommaire I. LA DÉFENSE : UNE VOCATION INTERNATIONALE

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A. La défense: un projet d’envergure 1/ Contexte Historique 2/ Un site particulier

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B. La Défense: Un projet ambitieux 1/ Un territoire pour les records 2/ Espace d’innovation

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C. Un symbole national 1/Convergence, regroupement 2/ Une identité forte

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II. UNE RÉALITÉ LOCALE A. Territoire ambigu, des lignes qui mentent 1/ Deux communes trois territoires 2/ Des frontières urbaines B. Tours de bureaux et salariés 1/ Évolution de l’espace de travail 2/ Transition difficile vers le durable C. Un étranger dans ma ville 1/ Place des habitants 2/ Des bâtiments hermétiques

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III. ENGAGER UNE MUTATION

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A. de nouvelles frontières 1/ Rencontre entre territoires 2/ Adoucir les frontières

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B. Réhabilitation: reconquête d’espace 1/ Du bureau au logement: des espaces pour vivre 2/ Agrandir les failles, de nouveaux interstices

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C. Réconciliation: entre grandiose et familier 1/ S’inscrire dans le paysage

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I. LA DÉFENSE: une vocation internationnale

La Défense de nuit photo de DJKweezes (2010)

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A. UN PROJET D’ENVERGURE 1. Contexte historique

Les deux guerres mondiales ont laissé une France affaiblie et partiellement détruite. De grands projets de rénovation sont alors pensés pour redessiner le visage des villes abimées par les bombardements. Paris ne fait pas partie de ces villes, mais il reste dans la capitale et sa banlieue des logements insalubres et, dans la grande reconstruction que vit la France c’est la ville qui doit plus que toutes autres témoigner du relèvement du pays, qui cherche à reconstruire une image forte dans le monde. Le contexte économique de l’après-guerre est propice à l’élaboration de projets d’envergure. La production industrielle connaît une grande croissance et le chômage est très faible. Pour rivaliser avec la puissance économique et technologique américaine la France s’en inspire. C’est pourquoi en 1958, le président Charles de Gaulle et son gouvernement créent l’EPAD (établissement privé d ‘aménagement de la Défense) pour un projet d’envergure, un pôle d’excellence qui puisse replacer la France parmi les plus grandes puissances mondiales. 8

La volonté de construire un espace moderne -qui soit en rupture avec les formes traditionnelles des villes parfois insalubres et inadaptées à l’intégration de formes nouvelles est présente depuis plus d’un siècle déjà, et prend une forme plus concrète dans les projets imaginés dans les années 1930. Les maîtres mots pour l’aménagement de la région parisienne étaient de « décentraliser l’agglomération (et notamment l’industrie) vers la province, décongestionner Paris vers sa banlieue, régénérer la banlieue par les grands ensembles ». Dans cette optique d’aménagement de la région parisienne, Mr. Prost propose un axe à prendre où« Le centre doit être décongestionné, l’habitat insalubre résorbé et l’expansion urbaine contenue dans un cercle de 35 km autour de Paris ». En 1960 il reste dans la région Parisienne 89 bidonvilles. Celui de Nanterre abritait alors 14 000 personnes. Ce n’est qu’en 1970 que ce bidonville fut entièrement résorbé. Une grande partie de la population qui y habitaient alors furent relogés dans des cités de la région parisienne. Sur la photo ci contre, une vue du bidonville de Nanterre. En arrière plan on peut distinguer le début du projet de la Défense, avec le CNIT et des tours en construction.

Le projet de la Défense se construit au départ sur des théories urbaines qui s’appuient sur les nouvelles technologies et nouveaux modes de construction pour ériger la ville moderne. Si les premiers projets pensés dans le années 1930 sont très marqués par une identité française, notamment par la prolongation de l’axe historique prolongeant l’avenue des Champs Élysées, et l’organisation très maitrisée des constructions et jardins, le projet qui se construit à partir de 1960 se laisse influencer par les États Unis.


Les quartiers d’affaires et l’organisation des villes américaine montrent alors un visage moderne. De grands projets d’aménagement de voies routières sont pensés dans le années 50 et des paysages impressionnants s’y construisent. Des plans et dessins utopiques pensés dans la première moitié du XXème Siècle se concrétisent alors comme le Los Angeles freeway interchange (1960). Le freeway interchange construit dans les années 60 est l’échangeur autoroutier le plus empreinté du monde. Environ 550 000 voitures et camions l’utilisent par jours. Ce modèle de circulation fut par la suite vivement critiqué. Les automobilistes s’y perdent et l’environnement créé au sein de ces complexes autoroutier y est vide et inhospitalier ce qui rend difficile une quelconque évolution de l’espace qui y est proposé.

L’organisation urbaine a été pensée en fonction de l’usage de la voiture et favorise la circulation automobile en mettant en scène d’impressionnants nœuds de voies express, pour permettre une circulation fluide et décongestionner les centres urbains. La voiture, symbole de modernité et d’évolution, est un outil d’accomplissement social et les villes y accordent une importance grandissante. Elle permet un urbanisme où les habitations de banlieues chics et paisibles s’éloignent d’un centre urbain « ghettoïsé » où se trouvent les immeubles de bureaux. L’automobile met en scène et permet un mode de vie qui symbolise un idéal. La circulation est donc à l’époque une des problématiques majeures. Les ressources pétrolières étaient alors abondantes et l’industrie automobile une source importante de productivité dans le pays.

D’un point de vue architectural, les gratte-ciel font partie des symboles de modernité et de puissance. Ils montrent les prouesses techniques du bâtiment et permettent l’exploration de nouvelles réflexions et formes architecturales. Ils monumentalisent l’espace de travail tertiaire où se jouent les enjeux économiques mondiaux. Ils sont l’incarnation bâtie du système capitaliste qui s’affirme par une croissance importante dans les pays développés. En France, il y a peu de construction de cette envergure, les clochers des églises sont ce qui dépasse des « skylines » de nos villes. Quelques projets d’habitation de grande hauteur voient le jour en 1930 comme à Villeurbanne près de Lyon. Quelques grands ensembles de logements apparaissent dans les années 50 mais aucune tour de bureau, hormis la tour Perret, n’est construite en France, tandis que les villes Américaines affichent elles une technologie et une modernité importante dans cette expression architecturale. Les plans des villes américaines sont aussi à cette époque un modèle à suivre. Les rues y sont droites et régulières, pensées, et ordonnées pour que l’homme puisse y établir sa vie moderne. Dans les villes européennes, les rues courbes et hétérogènes montrent une ville qui s’est construite suivant un plan qui apparaît aléatoire et spontané.

Comparaison entre l’organisation urbaine de Washigtown (à gauche) et celui de Paris (à droite). Les rues de paris sont inégales et courbes. Le Corbusier qualifie voies de chemn pour les ânes tandis que les rue droites sont les rues claire et réfléchies qui conviennent à l’Homme

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A l’entre deux-guerres les urbanistes français songeaient à l’aménagement de la région parisienne pour résoudre les problèmes d’insalubrité. Ces projets intégraient déjà la construction d’immeubles de grande hauteur et l’aménagement de grands axes qui permettent une circulation automobile fluide. Mais aucun de ces grands projets de réaménagement ne voit le jour car les règles d’urbanisme de 1902 rédigés par Louis Bonnier limitent la construction en hauteur des bâtiments. La création d’un pôle d’excellence est donc l’aboutissement d’une réflexion urbaine architecturale et économique permettant enfin de concrétiser en France les théories de l’urbanisme et de l’architecture moderne qui sont une totale innovation et une exception Française. Plan masse du projet, par les urbanistes architectes Zehrfuss,Mailly et Camelot.

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Le quartier de la Défense n’est alors pas le seul projet de réaménagement de cette envergure à voir le jour vers la fin des années 60. De nombreux projets de villes nouvelles sont dessinés, en majorité dans la région parisienne, suivant une même politique d’aménagement et des concepts et théories urbaines et architecturales similaires. Le projet de la Défense découle des théories urbaines et architecturales qui sont énoncées dans la charte d’Athènes de 1933. La modernité doit être le cœur de tous les projets qui se construisent, et elle est symbolisée en architecture par le béton et l’acier, et en urbanisme par une ville ordonnée et fonctionnelle. Loin de la « ville chaotique » qui s’est construite de manière qui semble aléatoire, ce nouveau type d’urbanisme ordonne, simplifie, standardise et normalise. Ainsi l’homme reprend le contrôle de la ville. On voit alors apparaître le dessin de villes où les fonctions sont séparées et organisées et où la vie du piéton s’extrait des voies de circulation automobile. Il est d’ailleurs écrit dans cette charte que « L’alignement des habitations au long des voies de communication doit être interdit ». Cette trame de planification doit aussi prendre en compte l’environnement qui l’entoure et favoriser le rapport avec la nature. Est ainsi défini un nombre minimum d’ensoleillement par logement. Chaque habitant de l’architecture moderne peut alors bénéficier d’un espace qui prend en compte les contraintes naturelles pour optimiser son bien être. C’est aussi par les espaces verts que les gens vivent la ville moderne. La promenade est au cœur des grands projets d’urbanisme pour redonner au piéton sa place dans le tissu urbain. Pour cela la forme architecturale de la dalle semble la solution.


Ainsi le plan du quartier de la Défense s’est dessiné selon ces théories d’organisation spatiale. Mais dans les années 70, à la suite de la première crise économique, les formes et l’architecture construite subissent un important rejet de la part des architectes et critiques de l’époque. Le plan rigide de départ est abandonné au profit de constructions plus hautes, et aux formes innovantes.

Harvey Wiley Corbett, City of the Future, 1913

Cergy Pontoise dans l’ouest parisien est un exemple de ville nouvelle. C’est en 1965 que le projet est décidé. Ci contre, une vue de la gare routière à Cergy. Source: Google image

Contrairement aux villes nouvelles, L’aménagement urbain de la ville de Créteil n’est pas issue d’une opération publique, mais son aménagement a suivit les mêmes tendances urbaines et arhitecturales de l’époque. Source: Google image

Le front de seine, a Paris a subit dans les années soixante une grande opération d’aménagement. Comme à la Défense, les tours et la dalle sont des élément clef du projet. Source: Google image

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2. Un site particulier

Depuis le XIXème Siècle, Paris est le centre de grands bouleversements urbains qui tentent de réduire l’insalubrité des villes et pour un projet d’envergure à l’échelle mondiale, c’est évidemment Paris qui doit l’accueillir. Dans notre système centralisé, la symbolique de Paris et de la région parisienne est la figure la plus représentative de la France pour les étrangers. C’est par Paris que les étrangers voient la France. La création du projet aux portes de la capitale permet son extension urbaine. Construire ce pôle d’excellence au delà des frontières parisiennes, c’est étendre l’influence de la capitale dans une banlieue qui ne correspond pas à l’image souhaitée à l’époque.

Le site qu’occupe aujourd’hui la Défense a souvent été sujet aux propositions d’aménagement urbain qui suivent les théories modernes. Dans le choix de l’emplacement de la Défense, la prolongation de l’axe historique de l’avenue des Champs Elysées fut un des arguments principaux. L’axe comme écriture urbaine annonce et concentre l’attention ; il mène aux places importantes. Servant de mise en scène aux différentes architectures qui le cernent, il offre un voyage dans le tissu urbain parisien. C’est aussi un lien important entre Paris et sa banlieue. À l’image d’un rayonnement Paris étend son influence et sa puissance au-delà des frontières de son territoire et la Défense devient par cet axe une porte de Paris vers l’ouest. « Axe triomphant » « voie impériale », de tout temps l’axe a fait rêver les acteurs de l’urbanisme parisien et beaucoup ont pensé à son prolongement. Au départ, le Jardin des Tuileries qui a gardé la forme dessinée par André Le Nôtre en 1664, ensuite l’avenue des Champs Elysées, considérée comme une des plus belles avenues du monde, ponctuée de places importantes, est entourée de bâtiments datant en grande partie du XIXème Siècle. L’axe continue sur l’avenue de la Grande Armée et l’avenue Charles de Gaulle, qui sont des voies importantes de circulation dans Paris et qui concentrent en grande partie des immeubles de bureaux. L’ecriture urbaine de l’axe est trés présente à la Défense, cependant, en regardant le plan masse, on peut remarquer que l’implantation et l’aménagement urbain n’en sont pas les marqueurs les plus important . La plupart des tours sont en retrait par rapport à l’axe, mais la végétation et la topographie de la dalle permettent de le mettre en évidence.

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Dans le projet de la Défense cet axe définit en grande partie l’organisation urbaine. Malgré les changements que le plan initial de la Défense a connus, il est resté dans les 50 ans d’histoire du quartier, une ligne directrice dans l’implantation des tours et bâtiment qui constituent le quartier. Pensé pour être un espace piéton, les arbres plantés et les bassins permettent une circulation douce qui encourage la promenade et les rencontres. Le mobilier urbain offre aux usagers de marquer une pause dans leur marche et ainsi profiter d’une perspective grandiose ouverte sur la capitale. Sur la dalle de la Défense, la définition de l’axe est dessinée au sol par des chemins à différents niveaux ainsi que les arbres organisés dans sa continuité. Cependant les constructions implantées à l’entour marquent moins l’alignement, certains sont en retrait, présentent des diversités de formes, et contrairement aux bâtiments de l’avenue des Champs Elysées, offrent une grande porosité vers les circulations parallèles de la dalle. Mais l’illusion est bien faite car de Paris la continuité de l’axe est bien visible. Dans le prolongement de cet axe entre les boucles de la Seine, le projet d’aménagement s’est trouvé sur le territoire des villes de Nanterre, Puteaux et Courbevoie. Le quartier d’affaires de la Défense prend place pour deux tiers sur la ville de Puteaux et un tiers sur celle de Courbevoie. À cet endroit subsiste alors un des derniers bidonvilles de la région parisienne. Jusqu’en 1958, ce sont des maisons individuelles et des zones industrielles qui composent le site sur lequel se sont construites les tours de la Défense. 13


De la Défense, on remarque que les formes géométriques et l’implantation des constructions par rapport à l’axe ne sont pas tellement organisées. Pourtant la zone centrale ou aucune tour ne se construit souligne bien sa présence.

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Dans Paris l’axe est souligné par l’implantation des bâtiments qui suivent sa ligne. Les arbres, allées et contre-allées renforce sa présence.

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B. UN PROJET AMBITIEUX 1. Un territoire pour les records

L’esplanade de la Défense (ou esplanade du général de Gaulle) est un des plus grands espaces piétons construit du monde. Il est séparé en plusieurs parties et propose des utilisations diverses à partir du pont de Neuilly jusqu’à la place de la Défense. L’espace est composé de chemins à différents niveaux, entourés d’arbres et de bancs, proposant aux gens un espace de promenade, des terrains de pétanques, avec la perspective impressionnante dirigée vers Paris. Cette partie de l’esplanade est moins traversée car elle est située entre tours de bureau et hôtels et les axes de circulations suivent la direction Est-Ouest. Il n’y a aucun commerce sur cette partie de la dalle, et les entrées de bureaux et autres habitations ne donnent pas sur cet espace ce qui le rend comme enclavé et le cantonne à un usage presque exclusif, dédié à la promenade et la 16

détente. Aucun événement important de la Défense n’y prend place. Cette partie de la dalle s’organise avec l’allée centrale, où l’on croise des personnes qui se promènent, et des contre-allées qui permettent une marche à l’ombre des arbres et qui donne aux voies parallèles du quartier. Le matin et le soir ces contre-allées sont utilisées par les usagers du métro. Cette partie de l’esplanade permet l’exploration, c’est l’endroit ou le marcheur est en sécurité. Espace public par excellence qui permet aux personnes de s’approprier le site et de se retrouver, se rencontrer. Coupé des circulations rapides, le danger des véhicules donne la sensation aux usagers est que cet un espace leur est complètement dédié. Sa dimension permet aussi à chacun de s’installer où il veut, tout le monde y a sa place. La Défense étant principalement un lieu qui accueille des salariés, le rythme des gens qui parcourent l’esplanade est assez organisé et rapide. Chacun va d’un point à un autre selon une direction claire. La question de temporalité et la manière dont on aborde l’espace sont toutes différentes. L’esplanade associée au parvis, sert exclusivement le piéton. De tous les modes de transport qui se trouvent à la Défense, c’est la marche qui est le plus valorisé. Les flux de circulation des voitures, métro et tram sont isolés sous la dalle pour permettre au marcheur une circulation libérée de tout obstacle. Les bâtiments d’habitation sur pilotis renforcent les connexions entre les différentes places et le piéton accède plus facilement à son but. Le marcheur ne subit pas la ville, il régule ses mouvements, son rythme, décide de son parcours et devient acteur de l’espace urbain qui lui est proposé. L’intervention de l’esplanade de la Défense organise donc une hiérarchie dans les moyens divers de se déplacer et vivre le territoire.


La tour First, est située à courbevoie. Elle fut construite en 1974 puis a subit une transforamation en 2011 pour répondre au mieux aux normes environnementale et aux exigeances spatiales de notre époque. Sa hauteur de 231 mètres, en fait la tour la plus haute de France Source: Google image

Si la trame de départ du projet imposait aux constructions un gabarit précis, les tours ont toujours été des projets d’innovation. Que ce soit par leur hauteur, leur technique et matériaux de construction chacune apporte une nouveauté et une performance architecturale. En cela le quartier est une exception française et devient alors un endroit incontournable des visites touristiques. La mise en avant de ces formes architecturales ne s’impose pas uniquement à l’échelle nationale, mais surtout dans un contexte mondial, où les architectes du monde peuvent s’inspirer des constructions de la Défense. Les records des différentes constructions s’imposent dans un contexte ou toutes les grandes métropoles compètent. Aujourd’hui les grandes questions et défis de l’architecture sont ceux du durable. Les tours et projets de tours qui voient le jour à la Défense présentes toutes des performances toujours plus innovantes, avec des technologies de pointe.

Les Quatre Temps ont longtemps été le plus grand centre commercial de France. Quand il est livré en 1981, il compte alors 110 000 m2 de commerces. Sa situation, proche des gares de transports (RER, train, tram, bus) en fait un atout stratégique pour le site de la Défense. Il se situe à 10 minutes du centre de Paris en RER et propose

des commerces de grande consommation. Il est aujourd’hui le premier centre commercial par son chiffre d’affaire et par sa fréquentation. Sa forme architecturale plus horizontale rend son emprise au sol assez importante par rapport aux autres constructions du site de la Défense, ce qui lui confère un impact important d’un point de vue urbain. Les entrées et sorties du centre commercial sont nombreuses ce qui permet une grande perméabilité d’accès, et en fait un espace de partage et d’échange. Contrairement au centre commercial de Baugrenelle sur le front de Seine qui, par la séparation des fonctions de circulation et de commerce, avait une fréquentation qui baissait, les Quatre Temps ont toujours été un point très attractif, où les gens se rencontrent. Son organisation spatiale offrant de larges espaces de circulation ainsi que des aménagements permettant de s’asseoir, en fait un lieu de rendez-vous, où les gens se retrouvent sans forcément avoir besoin de faire une course. Les quatre temps sont reliés par les sous-sol au CNIT (Centre des nouvelles industries et technologies) ce qui permet de traverser la dalle sans sortir.

Aménagement intérieur du centre commerciale des quatre temps. Avec ses îlots de verdure et son grand espace de circulation centrale, les quatres temps offre aussi un espace de rencontre, et un point de rendez-vous. Source: Google image

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2. Espace d’innovation

La dalle de la Défense rassemble une soixantaine d’œuvre d’art. Celles-ci sont éparpillées partout sur la dalle, et il n’est pas rare, au détour d’une tour de voir des sculptures. C’est un véritable musée urbain qui dépasse l’échelle du musée traditionnel. Cette initiative rejoint la volonté de faire un projet aux lignes pures et esthétiques, favorable à la contemplation d’un environnement réfléchi et maitrisé. L’implantation des sculptures semble aléatoire. Certaines sont en partie cachées, ou perchées en haut d’une sortie de parking. L’art envahit l’espace urbain et surprend. L’intervention des œuvres d’art dans l’espace public permet d’interpeller chaque individu et ouvrir la culture à tous. L’art est souvent présent dans nos villes, les statues et sculptures font partie de leur paysage. Mais leur mise en scène est différente à la Défense. Quand dans les villes traditionnelles elles sont présentes sur les places importantes, les rond-point, devant les mairies ou bâtiments publics, les statues de la Défense, elles, envahissent l’espace de manière qui semble aléatoire. Leur situation ne met en scène aucune valorisation ou une quelconque organisation spatiale qui pourrait les mettre en valeur. Les œuvres d’art ont trouvé leur place dans des musées, et 18

les gens vont les voir dans une démarche voulue selon un état d’esprit qui est une volonté de découvrir et s’intéresser à ce qu’ils vont voir. En sortant les sculptures des musées elles entrent dans le quotidien et les habitudes des usagers de l’espace qu’elle viennent occuper. L’intervention de l’art dans l’espace urbain l’ancre dans une temporalité nouvelle. Les temps qui rythment nos journées apportent des couleurs, des lumières et des ambiances qui nous donnent des versions toujours changeantes de la même sculpture. Suivant les caprices du temps, nous avons une perception diverse des statues qui peuplent la dalle. Le beau temps peut révéler une sculpture alors jamais remarquée sur le chemin qui mène un salarié jusqu’à sa tour. La perception de l’usager change aussi selon son humeur, sa disposition à regarder ce qui l’entoure, son état d’esprit. Chaque jour offre alors une version nouvelle d’une sculpture et la relation que le passant entretient avec l’œuvre se fait plus intime et personnelle. Le rapport aux corps y est également changé. On peut tourner autour, toucher et jouer avec les sculptures et expérimenter l’art en 3D. De près, de loin, du dessus, du dessous, chaque espace de la Défense permet ces différents points de vue qui donnent des dimensions nouvelles à la forme artistique qui s’y installe. En entrant dans le quotidien, ces œuvres d’art s’apprivoisent.

France Siptrott et Hughes Siptrott Les Hommes de la cité est une oeuvre située à l’intérieur de l’entrée de la station de métro Esplanade de La Défense. L’œuvre est composée de huit sculptures faisant référence aux personnes anonymes passant dans la bouche de métro Source: Google image


Liste des oeuvres et artistes Maxime Adam-Tessier Boréale Yaacov Agam - Fontaine Émile Aillaud - Les Bancs et la Pyramide noire Atila - Le Sculpteur de nuages André Barelier - Le Téléphone Paul Belmondo - Stèle Pouvreau Patrick Blanc - Mur végétal Louis-Ernest Barrias - La Défense de Paris Gualtiero Busato - La Fontaine du dialogue Alexander Calder - Araignée rouge Anthony Caro - After Olympia Stéphane Carratero - Ciel étoilé Béatrice Casadesus - Les Points de mire César - Le Pouce Léonardo Delfino - Les Lieux du corps Henri de Miller - Le Somnambule Louis Derbré - La Terre Michel Deverne - Mosaïque, Reflets, Vive le vent Jean Dewasne - Fresque monumentale Diva - Le Bestiaire fantastique Catherine Feff - Champ de coquelicots Apel·les Fenosa - Ophélie Paul Flury - La Connaissance Édouard François - Cheminée végétale Guy-Rachel Grataloup - Les Trois Arbres Ben Jakober - BC1 Jozef Jankovic - Dans les traces de nos pères Piotr Kowalski - L’Escalier, Place des Degrés Hervé Mathieu-Bachelot - Volutes en gerbes Hervé Mathieu-Bachelot et André Ropion - Traits d’union Joan Miró - Deux personnages fantastiques Maurice Legendre - Bas-relief en cuivre Louis Leygue - La Fontaine des corolles Lim Dong-lak - Point Growth Kiko Lopez - Sculpture lumière monumentale en cristal Swarovski Igor Mitoraj - Colosse, Le Grand Toscano, Ikaria,Tindaro Gilbert Moity - Façade de lumière Aiko Miyawaki - Utsurohi François Morellet - La Défonce Raymond Moretti - Le Moretti Christine O’Loughlin - Arc déplacé Philolaos Les Nymphéas, L’Oiseau mécanique Jean-Pierre Raynaud - La Carte du ciel Fabio Rietti Anamorphoses, Le Visage Sylvie Sandjian - Incrustations M Shelomo Selinger - La Danse Richard Serra - Slat Julio Silva - Dame Lune France Siptrott et Hughes Siptrott - Les Hommes de la cité Takis - Arbres lumineux, Le Bassin Claude Torricini - La Grenouille Philippe Ughetto - Jardin aromatique Bernar Venet - Doubles lignes indéterminées Emily Young - @Les Quatre Têtes

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C. UN SYMBOLE NATIONNAL

Le transport renforce son image de place forte et profite aux habitants des villes voisines pour rejoindre la capitale. Par les différents modes de circulation qu’il propose, le quartier renforce les liens qu’il tisse à l’échelle régionale et locale.

1. Convergeance, regroupement

Le quartier de la Défense est un nœud de connexions entre les différents modes de transport. Il regroupe d’importantes infrastructures du réseau ferré parisien, qui relie la banlieue ouest de l’Île-de-France aux points fort de la capitale comme Châtelet avec le RER A ou Saint Lazare avec le réseau transilien. La gare de bus est une des plus importantes en région parisienne, le métro parisien relie également la Défense à Paris et plus récemment, le tram permet de desservir la banlieue de Paris. Les voies automobiles facilitent l’accès aux de rejoindre les grands axes autoroutiers et nationaux de l’ouest parisien.

Gare du RER A à la Défense Source: Film Buffet froid de Bertrand Bier

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La ligne de tram de la Défense relie la porte de Versailles au pont de Bézon. Il se trouve dans la gare féroviaire dans les sous sols de Défense. Source: Google image

Cependant la défense est en grande partie un espace de transit qui permet aux usagers de changer de transport pour se rendre dans d’autres lieux. Tous les réseaux se trouvent sous la dalle ce qui montre de la Défense une image peu hospitalière, privée de lumière naturelle. Cependant la richesse du quartier d’affaires en matière de circulation rend le quartier plus dynamique et en perpétuel mouvement. Dés le début du projet lancé par Charles de Gaulle en 1958, l’amélioration des transports était un impératif. Pour moderniser Paris, l’usage des nouvelles technologies permettant la mobilité était primordiale et le reste aujourd’hui dans les réflexions pour un renouveau de la Défense. Si le réseau routier perd son attractivité et ne correspond plus à l’idéal contemporain, les transports en commun sont au cœur des réflexions de l’organisation urbaine. C’est aussi un moyen pour Paris de rester à la pointe de la technologie


par un réseau impressionnant dont peuvent s’inspirer les grandes métropoles du monde (par exemple Dubaï a fait construire un tram par une entreprise française). Pour s’inscrire dans la métropole parisienne, les réseaux ne sont plus pensés uniquement dans un axe est-ouest où les flux se concentrent vers Paris et rayonnent vers les différentes banlieues. Depuis 1997 le Tram 2 permet de relier la Défense à Issy en passant par les villes de l’ouest parisien. Ce projet s’est agrandi en direction de pont de Bezons. Dans ce projet se trouve la volonté de rassembler la métropole parisienne et de considérer Paris et les villes qui l’entourent comme un ensemble. La Défense par la richesse des réseaux qui s’y trouvent est une place facilement accessible à une échelle régionale et départementale. Au niveau local, les transports en commun créent un lien

Affiche du festival de jazz de la Défense. Source: Google image

L’esplanade de la Défense est le théâtre de grands événements et regroupements où se rencontrent touristes, salariés, et habitants de la région parisienne. Le marché de Noël chaque année prend place sur le parvis de la Défense.

Vue du marché de Noël sur l’esplanade de la Défense avec perspective sur la grande Arche Source: Google image

Pendant un mois sont installés des chalets où se trouvent commerces et bars qui animent l’esplanade. L’été c’est un festival de jazz qui rassemble les gens sur l’esplanade. Les concerts y sont gratuits et en libre accès ce qui permet à chacun de profiter de l’événement. Pendant ce festival se déroule un concours qui a permis de révéler et promouvoir de jeunes artistes de jazz. L’esplanade est aussi un lieu de rencontre et de promenade pour les habitants des villes de Nanterre, Puteaux et Courbevoie. Les points stratégiques de la dalle, comme le bassin Takis, le parvis de la défense ou les marches de la Grande Arche sont des lieux largement investis par les promeneurs. L’été est une saison importante à la Défense, c’est pendant cette période que les salariés et habitants profitent au mieux de la dalle. De nombreux aménagement sont alors mis en place, comme des jeux, différents mobilier urbain, une bibliothèque extérieur. Ces initiatives attirent et rassemblent différentes personnes à la Défense et permettent l’échange et la rencontre. La dalle devient un espace public important dans la vie de quartier et pour qu’une localité se développe. 21


2. Une identité forte Vue perspective du chateau de Versailles. Source: Google image

La perspective et l’organisation spatiale de l’esplanade de la Défense s’inscrivent dans l’esprit du jardin à la Française. Les lignes et dessins du projet s’inspirent des mêmes directives, pour un projet géométrique et maitrisé. Les jardins pensés par Le Nôtre au XVIIème Siècle ont inspirés les architectes et urbanistes français et européens du XXème Siècle. Ils proposent une organisation ordonnée et pratique des jardins et palais, loin du chaos et désordre de la ville. Le Corbusier dans son livre urbanisme voyait dans les dessins et les plans du Louvre, du Château de Versailles, des Tuileries et autres grands projets de cette

Perspective de la Défense à partir de la station de métro pont de Neuilly Source: Google image

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envergure, l’accomplissement de la ville pensée, réfléchie, faite pour accueillir la vie moderne. L’importance de l’axe, au cœur du projet de la Défense, découle d’une mise en scène spatiale qui se retrouve dans tous les grands projets de Le Nôtre. La valorisation de la perspective utilise les mêmes codes, autant dans le dessin du plan que dans les matériaux utilisés. Des bassins, comme ceux d’Aggam et de Takis ponctuent l’axe, encadrés d’arbres implantés en ligne droite. Le dimensionnement des éléments constituant la perspective (arbres, bassins et chemins) apparaît dans le jardin à la française, comme dans le projet de la Défense, de taille croissante quand on s’éloigne du point de départ de la perspective (Tête Défense). Le dénivelé met en valeur les bâtiments qui se trouvent sur le point haut et leur donne de l’importance. Le sol et les chemins sont dessinés suivant la ligne de la perspective. La perception du quartier de la Défense affirme son identité française dans la relation qu’elle entretient avec l’aménagement paysager du XVIIème et la tradition des jardins à la Française.


Bassin

Contre-allĂŠe Axe central

Bassin

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Le paysage qu’offre la Défense est très minéral, par les constructions en verre et métal, et le sol en béton. L’utilisateur se trouve plongé dans un univers très statique, qui change avec la couleur du ciel et l’ensoleillement. On peut ainsi observer les nuages se déplacer sur la tour Total (précédemment appelée tour Elf) ou les ombres et reflets des tours animer le sol. Par le paysage qu’il offre le quartier de la Défense attire photographes et touristes. En s’inspirant des utopies urbaines et architecturales de la première moitié du XXème, le projet nous amène vers un imaginaire de fiction et propose des espaces qui sortent du réel. Les formes très géométriques des tours offrent un univers qui se retrouve beaucoup dans les bandes dessinées et films de science fiction. Le point de vue de l’utilisateur change la perception qu’il a du quartier : situé sur l’axe, la lecture du paysage est claire et ordonnée, les tours apparaissent bien distinctes. Au cœur des diverses places du quartier, la perception y est très variée. L’utilisateur est entouré par les tours, les sculptures et les différents niveaux de la dalle. Son regard se pose sur des superpositions d’architectures, composées de multiples matériaux et couleurs. La sensation d’espace et de calme est très forte à la Défense. C’est d’ailleurs un des points appréciés des habitants du quartier. La forme urbaine de rue n’est pas présente sur la dalle et les personnes évoluent dans un urbanisme qui serait plus une succession de places et de terrasses. L’usager en est plus éloigné et a un regard distant par rapport aux tours, sa perception du paysage qui l’entoure en est changée : en prenant de la distance, il voit les bâtiments en entier tandis que s’il les longeait, comme dans les rues des villes traditionnelles, il aurait une vision restreinte du paysage. 24

Sur le sol se dessinent les ombres et reflets des différent tours. Ci-dessous on peut voir les vitres de la tours manhattan dans le quartier Iris qui éclaire les dalles au sol. Par ces jeux de reflets, même les bâtiments éxposés au nord se trouvent éclairés, quand la lumière est réflechie dans les vitres des tours de bureaux.

Reflet sur la dalle le 12/04/2014


Reflet dans la tour Manhattan le 12/04/2014

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I. LA DÉFENSE: une réalité locale

Bd circulaire coté Courbevoie photo de Frédéric Moncel (2013)

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A. TERRITOIRE AMBIGÜE DES LIGNES QUI MENTENT 1. Deux communes, trois territoire

C’est l’EPAD (Établissement public d’Aménagement de la Défense) crée en 1958 qui est chargé de gérer l’aménagement du site. Il est initialement prévu pour durer 30 ans, durée pendant laquelle le territoire se trouvait à l’écart de ces villes. Cette période terminée, la Défense devait réintégrer les villes de Puteaux et Courbevoie. En détachant le territoire de la Défense des villes qui l’accueillent, le projet se trouve situé dans un contexte d’extra-territorialité, où les différentes évolutions que vivent les villes des deux cotés des nouvelles frontières territoriales sont différentes. En 1960 est défini le plan masse du projet qui s’inspire fortement des projets imaginés les années auparavant. Celui-ci évolue avec le temps. Les villes ont tout de même eu une influence sur l’aménagement de la Défense mais elles savaient alors que leur action sur l’aménagement du quartier serait seulement consultative. Entre 1965 et 1973 sont construites les premières tours de la Défense selon un gabarit commun de 42mx24m sur une hauteur de 100 mètres. Les ensembles de logements s’organisent autour d’un patio végétalisé et certains sont sur pilotis proposant une porosité importante entre le patio 28

et les autours des résidences. L’ordre de construction des différentes tours a subi les influences des communes de Puteaux et Courbevoie. Selon les maires élus, les décisions de l’EPAD étaient plus ou moins bien accueillies. À partir de la crise pétrolière des années 70, le projet se trouve bouleversé. Les tours déjà construites sont vivement critiquées pour leur consommation en énergie et leur coût d’entretien. L’image moderne projetée du quartier de la Défense n’avait pas atteint le résultat escompté et le territoire était alors un immense chantier : plusieurs constructions étaient figées, et sur les 850 000 m2 construits, 100 000 m2 étaient vides. Mais le projet n’est pas le seul à subir les difficultés liées à la crise. C’est aussi à cette période que l’on voit apparaître une remise en question des théories urbaines qui s’y sont installées. Les tours de bureaux sont vivement critiquées pour leurs coûts d’entretien et les espaces qu’elles offrent aux salariés qui y travaillent (climatisation, éclairage électrique) Pour relancer les constructions sur le site, le plan masse est revisité et assoupli dans ses contraintes. Les tours peuvent avoir des tailles plus élevées et des formes nouvelles. La dalle se construit, instaurant un nouveau sol pour le territoire de ce projet d’exception. Avec ce nouveau sol, la question d’un troisième territoire entre ceux des deux communes de Puteaux et Courbevoie devient plus concrète. Les différentes crises subies pendant l’élaboration du projet, ont amené la prolongation de l’influence de l’État dans la gestion et l’aménagement de la dalle, et les villes Puteaux et Courbevoie ont pu reprendre une place dans la gestion du territoire. Ainsi, la question de recoudre le territoire et inscrire le projet dans la métropole parisienne prend forme. Les projets des tours qui se construisent s’ouvrent et


s’intègrent au site. En 2007 pour le renouveau de la Défense, la volonté de réconciliation se renforce avec le projet du Grand Paris. La politique du Président Sarkozy est que « Paris rencontre sa banlieue » pour qu’il y ait « de l’unité, de la continuité et de la solidarité ». Cependant le renouveau de la Défense relance la construction de nouvelles tours de bureaux qui ouvrent un dialogue avec les villes de Puteaux et Courbevoie. Ainsi le projet de la tour Carpe Diem est le premier projet à ouvrir une voie qui aille de la dalle au boulevard périphérique. Dans cette mouvance, les projets en étude des tours Air 2, Alto, Hermitage Plaza ou Hekla intègrent à leur réflexion la volonté de créer un lien entre la Défense et les villes qui l’accueillent. Les frontières d’intervention du projet de la Défense n’ont pas beaucoup changé au cours des années , quelques parties se sont trouvées ajoutées puis enlevées, mais les lignes sont restées à peu de choses près les mêmes. La difficultée dans l’aménagement du quartier d’affaires et des villes qui l’accueillent, c’est d’assurer une transition entre les différentes architectures. La Défense bénéficie et est soumise à des règles d’urbanismes qui sont trés éloignées des PLU des villes de Puteaux et Courbevoie. On peut remarquer sur la carte, page 30, que les différents secteurs des villes ne suivent pas les lignes du projet de la Défense. Ces espaces doivent servir une transition entre le quartier et les villes. En regardant les cartes on se rend compte que les frontières du projet de la Défense ne suivent pas la morphologie urbaine du site. Cela permet une transition entre les différent tissus urbain et ne cantonne pas les villes ou l’EPADESA à un seul type d’urbanisme.

Dans la relation que le projet de La défense a entretenue avec ses villes hôtes, des inégalités se sont creusées. Par les différentes positions politiques et leur hostilité ou leur bienveillance par rapport à l’EPAD, les villes ont chacune évolué et profité différemment de ce pôle d’excellence. Les communes de Puteaux et Courbevoie ont largement bénéficié de l’action qui s’est menée à la Défense. Cependant on peut remarquer une différence dans le rapport qu’ont ces villes avec le projet de la Défense dues aux inégalités dans le tissu urbain. En effet Courbevoie est la ville qui marque le moins la rupture avec le projet. Du coté de l’esplanade nord, le boulevard circulaire est moins imposant, la circulation y est moins dense et les points d’accès à la dalle y sont plus fréquents. La transition même entre le projet et le tissu urbain de la ville est plus progressive et moins nette. Aussi Courbevoie maintient un lien fort avec le cœur de la Défense par la situation d’habitations au plus près de l’axe central du projet, ce qui renforce l’intérêt qu’apporte la ville au quartier d’affaires. À Puteaux, nous pouvons voir une rupture importante entre un urbanisme traditionnel et celui plus éclaté de la dalle. Les passerelles sont moins nombreuses, et le franchissement du boulevard circulaire est alors impossible sans souterrain. Ces inégalités ont entrainé des disparités dans l’évolution et la construction du quartier de la Défense. On peut ainsi remarquer une dissymétrie entre la partie nord et la partie sud, selon l’influence des villes dans l’implantation des projets de construction.

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Territoire de la DĂŠfense Secteur de Puteaux Secteur de Courbevoie

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Axe coté Puteaux

Axe coté Courbevoie (et une partie de Puteaux)

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2. Des frontières urbaines

Les frontières ont pour but de définir la limite d’un territoire et donc d’un pouvoir, d’un système qui régule et gère ce qui se passe à l’intérieur de ce territoire, mais aussi le rapport qu’il entretient avec les espaces que ces frontières séparent. Elles impliquent la présence de deux territoires différents et donc deux entités qui sont pensées et régies de manière différente. On peut distinguer plusieurs types de frontières : les frontières physiques et les frontières imaginées qui se construisent dans l’esprit humain, les habitudes et les rapports sociologiques entre les populations à différent statut social. Les frontières se trouvent dans plusieurs espaces : celui concret, physique et matériel, et celui de l’imaginaire et du mental. Les barrières physiques sont celles qui sont difficilement franchissable et pour les adoucir, une réflexion architecturale et urbaine est la solution. Les frontières mentales sont plus difficilles à identifier et le travail autour d’un programme, des activités et des ambiances spatiales peut les faire évoluer. 32

Dans le cadre du projet de la Défense, la définition du territoire est complexe, comme nous l’avons vu précédemment. La délimitation des gérances des différents acteurs des villes concernées est changeante ce qui crée une zone tampon qui devient un non lieu. L’hétérogénéité des formes et des tissus urbains qui se confrontent entre les villes de Puteaux, Courbevoie et le quartier de la Défense est un frein à la communication des territoires, entre lesquelles il y a peu de cohésion. Les frontières urbaines ont entrainé une évolution à deux vitesses qui s’est faite dans des directions parfaitement opposées. D’un coté, il y a le souci des villes de Courbevoie et Puteaux d’offrir une ville de banlieue proche de Paris qui s’organise autour d’activités locales qui favorisent l’appropriation du territoire par ses habitants. De l’autre un quartier d’affaires national qui répond à des exigences mondiales et nationales et s’exprime au travers d’une organisation urbaine et une architecture qui font exception en France. C’est une place forte d’événements à destination d’une population étrangère au territoire des villes qui l’accueillent.

Vue de la rue Ganbetta à Puteaux sur le quartier de la Défense Source: Google map


Les boulevards sont les voies de circulation qui à l’origine se sont construites sur l’emplacement des anciennes fortifications des villes. Au XIXème le boulevard devient le lieu de promenade des quartiers bourgeois. Le boulevard est en général assez large et des trottoirs très arborés l’entourent. Construit dans les années 60, le Boulevard périphérique servait une demande grandissante de voie rapide pour les automobilistes. La pensée était alors de séparer les automobiles des piétons et de créer des passerelles ou des souterrains pour franchir le boulevard et ainsi permettre aux voitures de circuler plus rapidement et facilement. Mais ce boulevard a créé une barrière importante pour les riverains et organise désormais deux cotés : le coté de la Défense et le coté des villes. Ces deux parties étant très différentes l’une de l’autre, la communication et l’échange deviennent difficiles entre les quartiers de Puteaux et Courbevoie investis par le projet de la Défense et le reste des villes. Le bruit crée par les voitures invite peu les piétons à s’y aventurer et l’ambiance qui y règne est inhospitalière ; on se sent intrus et pas à sa place. Les passerelles ne sont pas très larges et ne sont que des passages. Le Boulevard circulaire enclave une partie du territoire de la Défense comme les murs d’enceinte le faisaient dans les villes médiévales.

années le travail de DEFACTO (établissement public de gestion du quartier d’affaires de la Défense), commencé par L’EPAD est d’adoucir la circulation et de permettre au piétons de circuler sur les cotés. Pour autant les larges voies de circulation n’invitent pas le piéton à les traverser car peu d’équipements urbains l’entourent. L’ambition est de changer le boulevard circulaire, qui fut pour longtemps une artère infranchissable qui sépare et enclave la Défense. Sur leur site de DEFACTO peut lire « La refonte du boulevard circulaire s’achève dans sa partie Nord à Courbevoie. À l’artère infranchissable qui séparait la dalle du reste du monde s’est substituée une voie de circulation à visage humain, assurant une couture urbaine entre le quartier d’affaires et son environnement proche. La partie Sud à Puteaux s’apprête à connaître la même transformation. » L’esprit dans lequel est faite la refonte du boulevard circulaire n’est pas celle d’une simple traversé. En effet si des feux de circulation et des passages cloutés sont aménagés, des trottoirs et pistes cyclables amènent un rythme de vie et un souffle nouveaux.

Par la valorisation d’une circulation automobile rapide et l’aménagement urbain qui l’entoure, le quartier de la Défense apparaît déconnecté de son contexte. Une rupture importante se crée à l’endroit où se trouve le boulevard. Personne ne s ‘y arrête ce qui en fait des non-lieu, un espace où rien ne se fixe et aucune habitude ne peut s’ancrer. Aussi les bâtiments construits sur le bord du boulevard n’y sont pas connectés, leurs entrées sont situées au niveau de la dalle et ne sont pas accessibles depuis la rue. On peut remarquer des disparités dans la façon dont est traité le boulevard tout autour de la Défense. Cependant depuis plusieurs

Boulevard circulaire à Courbevoie Source: Google image

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Boulevard circulaire Dalle

Plan du boulevard circulaire et de la dalle

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« Si un lieu peut se définir comme identitaire, relationnel et historique, un espace qui ne peut se définir ni comme identitaire, ni comme relationnel, ni comme historique définira un non-lieu. » Marc Augé Le boulevard circulaire semble déconnecté des constructions qui l’entourent. Personne ne s’y arrête, rien ne s’y fixe. Aucune mémoire ou identité ne s’y dévelloppe, juste le flot continue de voitures.

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La dalle forme elle aussi une rupture avec le tissu urbain existant. La différence de niveau crée une barrière visuelle entre ce qui se trouve au-dessus de la dalle et son environnement proche. Dans l’urbanisme de dalle, la question est de superposer la ville à la ville. Dans ce cadre là, l’espace inférieur suggère l’image d’une dystopie de la ville tandis que celle du dessus ressemble à une utopie. Cachés, les sous- sols regroupent tous les équipements qu’on ne veut pas voir de la ville, le bruit la circulation rapide, la lumière artificielle, le béton, les infrastructures brutes et sans décor. Dans la ville qu’on consomme, ils sont les rejets d’une organisation urbaine belle, propre et attractive. L’espace du dessus est bien sûr celui qui montre, qui s’affirme par un esthétisme maitrisé, pur et organisé. La dalle c’est aussi la rupture avec une identité. Le sol raconte une histoire, il garde souvent les marques de voies historiques qui nous lient à une histoire et construisent notre mémoire urbaine. En la recouvrant la dalle supprime l’identité du lieu et normalise le sol. Quand le relief d’un

Affiche de Dr. Jekyll et Mr. Hide, film muet réalisé par John S. Robertson, sorti en 1920. L’histoire raconte la double personalité d’un medecin, le docteur Jekyll qui le soir se trouve être mister Hyde. L’un est bon l’autre est mauvais. Source: Google Image

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territoire le rend unique, la dalle peut être construite à divers endroit du monde. Pourtant par son envergure et l’usage qu’en font les habitants et salariés de la Défense, elle devient particulière. La dalle en elle même est un élément qui se veut en rupture, indépendante du terrain qui l’accueille. On peut ainsi clairement remarquer l’impact qu’a eu la Défense su les villes de Puteaux et Courbevoie en comparant des vues aériennes de 1960 et de 2013. On remarque que dans la zone d’aménagement de la Défense, les anciennes voies ont en majorité disparu, tandis que dans les villes la trame urbaine est restée la même malgré la démolition et reconstruction d’une grande partie de ses bâtiments. La dalle a été pensée pour le piéton pour qu’il ai une lecture claire du paysage. Pourtant l’hétérogénéité des formes et la séparation des circulations amène des espaces qui se lisent difficilement. Il faut connaître la dalle pour pouvoir trouver comment et par où descendre pour aller à Courbevoie ou Puteaux. Les différences de niveaux étant importantes sur celui de la dalle, l’écriture en plan n’est pas évidente à comprendre pour se repérer à la Défense. En se détachant d’une organisation classique (les rues et les places sont moins marquées), l’intégration du plan de la Défense par ses utilisateurs devient difficile. Il est aussi important de noter que les gens qui pratiquent le passage de la dalle aux villes qui entourent la Défense sont souvent habitués et connaissent le système. La dalle elle même a des jeux de sur et sous dalle : dans le quartier des Reflets, on peut trouver la dalle sous la dalle ce qui rend la circulation déconcertante pour qui expérimente pour la première fois le quartier.


La dalle de la Défense peut nous donner l’impression qu’elle n’est qu’un espace de transition entre les bureaux et les différents transports en commun. Elle nous laisse à penser que seul le dessus, le vu, accueille les usagers du quartier d’affaire. Néanmoins, les sous sols de la Défense accueillent une multitude de locaux techniques, voies d’accès aux différents bâtiments. Par ce fait de nombreux utilisateurs se trouvent plongés dans cet univers sombre aux lumières artificielles.

Photo des réseaux dans l’entrepont Reflets à la Défense

En considérant la Défense comme un organisme animal, le dessous de la dalle abrite ce que pourraient être ses organes vitaux. En effet les principaux points d’accès du centre d’affaire se font par les parkings et les gares qui se situent en sous sol. Comme un réseau sanguin, les voies d’accès souterrain irriguent la Défense de ses salariés. Les locaux techniques et voies de livraisons, organes essentiels à la vie des bâtiments qui composent la Défense se trouvent en sous sol également. Photo de Neverend exploration sur 37 www.neverend.net


Peinture de Bosch représentant le paradis. L’imaginaire est ensurface , les éléments se dressent vers le ciel

Peinture de Bosch représentant l’enfer. L’imaginaire nous entraine sous la terre

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Les nombreuses différences de niveaux et la succession de places qui ne sont pas reliées par des rues ou des voies dessinées ou définies font de la Défense un quartier à urbanité morcelée. Pour se rendre d’un point A à un point B il faut par moment s’y prendre à plusieurs fois pour trouver le bon chemin. Par exemple, au niveau de la place des Reflets, on peut distinguer les immeubles de Cœur Défense, Vision 80 qui apparaissent « au loin » mais pour y accéder, on passe sous une partie de dalle puis on a deux niveaux à monter pour se trouver juste en dessous de l’immeuble vision 80. Ce séquençage de la vision au cours de la marche, entraine des discontinuités dans le cheminement d’un point de vue visuel. On se retrouve face à des ruptures qui font que l’on passe d’un endroit où on a une vision claire de l’objectif qui nous intéresse, puis en passant par le souterrain on se trouve en rupture avec les points de vue qu’on avait avant et on se perd. Sur la partie ouest de la dalle, l’espace est plus dégagé, plat et souvent investi par des manifestations artistiques.

entrepont Reflets Patio des Reflets NIVEAU 0

Place des Reflets NIVEAU 1

L’empilement de niveaux rend l’appréhension du site plus complexe, pour exemple, dans le quartier des Reflets une personne peut se trouver dans le patio des Reflets, une autre 4 mètres plus haut, sur la place des Reflets et une dernière, au dessus, sur la terrasse des Reflets. En cela la dalle fonctionne comme un bâtiment ou l’usager doit se retrouver entre les étages.

Terrasse des Reflets NIVEAU 2

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Le quartier de la Défense dispose d’une vingtaine d’accès piéton qui relient la dalle aux villes qui l’entourent. La majorité de ces entrées sont des passerelles. Ainsi le piéton peut s’élever au niveau de la dalle et traverser le boulevard circulaire sans en entraver la circulation automobile. Pour cela plusieurs schémas sont présents : des passerelles piétonnes montent progressivement du sol de Courbevoie ou Puteaux jusqu’à la dalle, comme la passerelle de l’Aigle, la passerelle des Reflets, ou le passage de Seine qui proposent un accès en pente douce pour les personnes avec vélos et poussettes. Les passerelles des Vignes, d’Alsace ou encore Louis blanc sont elles accessibles de Puteaux ou Courbevoie par un escalier et/ou un ascenseur. En cela elles sont plus délicates à trouver car elles mettent en scène des éléments urbains peu communs dans nos villes. Les cages d’escaliers et ascenseurs entrent d’ordinaire plus dans le domaine privé que dans l’espace public. La passerelle est donc ce qui marque la transition entre l’espace traditionnel de la ville et l’urbanisme moderne de la Défense. C’est le lien privilégié entre ces territoires. Etant donné que les 170 000 personnes qui viennent quotidiennement travailler à la Défense arrivent en grande partie par réseaux ferrés ou routiers, l’accès piéton au quartier d’affaires n’est pas la priorité. Pourtant c’est exactement ce qui sépare le quartier d’affaire des villes qui l’accueillent : le nombre réduit d’accès piéton. Ils sont la clef pour intégrer la Défense à une échelle locale. 40

De plus, la fonction urbaine que remplit la passerelle rejoint celle du boulevard circulaire : n’être qu’un lieu de passage, un espace transitoire ou personne ne s’arrête. Aucun mobilier urbain ne permet au piéton de rythmer son parcours. Situé au dessus du sol des villes de Puteaux et Courbevoie, elles sont un espace « autre » ni dans la ville, ni dans le quartier d’affaires. La Défense, enclavée par le boulevard circulaire et difficilement accessible pour les piétons offre pourtant dans sa composition architecturale et urbaine des brèches et failles qui font le lien entre deux sols. Construits à une époque où la voiture est reine, les sous-sols de la Défense accueillent de nombreux parkings. Ceux-ci reliés à la dalle, permettent un accès direct au cœur du quartier d’affaires. Ce sont en tout 13 entrées automobiles présentes sur le site qui sont un lien entre la Défense et les villes qui l’accueillent. Les voies présentes sous l’esplanade et le parvis de la Défense sont elles reliées aux tours et mènent également vers l’extérieur, comme la voie des Bâtisseurs, la voie des Sculpteurs, la liaison médiane ou encore les différentes avenues qui se croisent au niveau de la place de la Défense. Ces accès, on peut en compter une quinzaine, ne permettent cependant pas aux habitants ou salariés d’aller sur la dalle. Ils sont pour la plupart interdits aux piétons. A cause de l’éclairage artificiel faible, des bruits des ventilations et des voitures, ces voies ne proposent pas un espace sécurisant et rassurant pour une personne qui souhaiterait rejoindre à pied la Défense à partir de Puteaux et Courbevoie et inversement.


Passerelle de l’Orme à Puteaux ; source google image

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B. TOURS DE BUREAUX ET SALARIÉS 1. Changement dans le monde du travail

En plus des ruptures urbaines, des limites plus abstraites séparent le quartier d’affaires des quartiers environnants. La forte concentration de tours de bureaux amène une population spécifique, qui rythme la vie à la Défense. Il y a une grande différence entre les attentes d’un habitant et celle d’un salarié. Les commerces de proximité, les animations et événements suivent alors la demande du plus grand nombre. Il est important de s’intéresser aux besoins spécifiques de ces différentes populations, comprendre l’usage qu’ils font de quartier et comment ils le font évoluer. On pourra alors remarquer les problématiques qui se dégagent, autant pour ses habitants que pour ses commerces. Le travail de bureau a depuis toujours été associé aux tâches administratives et à la production intellectuelle. Cette activité tertiaire s’est trouvée accrue avec les nouvelles méthodes de production de masse. Contrairement au travail physique, souvent considéré comme un labeur, qui génère des peines et des douleurs physiques, le travail intellectuel de bureau amène une dimension positive dans laquelle l’homme intellectuel s’élève et se distingue des 42

autres. Grâce à l’apprentissage et l’éducation, il acquiert une liberté de pensée et une spécificité qui le démarque de ses semblables. Avec l’accès à l’éducation pour tous au début du XXème siècle, on fait entrer le travail intellectuel dans la norme et permet à chacun de s’élever par la réflexion et le travail de la pensée. Les salariés de la Défense sont en majorité des cadres qui font un travail de bureau. Derrière leur écran d’ordinateur, ils rentrent dans leur tour le matin (entre 7h30 et 9h30) pour en sortir le soir (entre 17h30 et 20h30) quand le temps est clément, ils déjeunent et se promènent sur la dalle pendant leur pause. Ce sont 170 000 personnes qui viennent travailler à la Défense et repartent le soir. Les tours, les espaces et les outils de travail ayant changé et évolué ces dernières années, le rapport des salariés à l’espace urbain qui les entoure en est perturbé.

Gratte ciel à Chicago Guaranty Building; buffalo 1896 Alder et Sullivan C’est l’une des premières tours de bureaux construites au monde. Elle totalise 12 étages. Source: Google image


Le développement du tertiaire a fait émerger à la fin du XIXème siècle des bureaux commerciaux dans les villes industrielles américaines où, avec le développement des moyens de communication et mobilité tel que le téléphone, le télégraphe et le train, les parties administratives se séparent des usines et installent leurs locaux de gestion au cœur de la ville. Ces bureaux sont alors pensés selon un design où l’espace de travail est rationnel et fonctionnel. La hiérarchie de l’entreprise est alors marquée par le fait que les employés travaillent tous dans une même salle, utilisant un mobilier identique, ne permettant aucune personnalisation ou appropriation de l’espace de travail. L’autorité du patron y est alors affirmée par l’espace qu’il occupe, séparé de ses employés dans un bureau personnel. Les bureaux évoluent ensuite en suivant deux grandes directives : optimisation l’espace de travail et amélioration la productivité des salariés. Les formes et aménagement évoluent et les espaces proposés intègrent des endroits de détente et pause pour le personnel qui y travaille dans

Johnson’s wax corporate headquarters in Wisconsin. Source: Google image

les bâtiments tertiaires. Avec cette nouvelle façon d’aborder et de concevoir l’espace de travail, les tours qui se construisent doivent satisfaire les différentes composantes des besoins des salariés. Le salarié peut trouver dans le même bâtiment son coiffeur, un centre de soin et de spa, une salle de projection ou une salle de jeux. Pour qu’il se sente à l’aise dans l’entreprise,

ce qui compose les rues et qui s’affiche sur l’espace public, devient exclusif. Les projets de tours proposent de plus en plus une organisation mixte où se rencontrent les logements, les bureaux, les loisirs et les jardins. Alors la vie s’organise dans ces tours et exclu un dialogue ou une interaction avec l’espace public. Aussi comme le dit Lynch en 1961, l’extérieur des tours offre une « architecture de prestige » qui met en scène des espaces qui ne sont pas toujours adaptés aux demandes locales. L’arrivée d’internet et des nouveaux outils de communication sont eux aussi en passe de faire changer la manière de travailler des cadres et étend la réflexion des concepteurs d’espace de travail à une autre dimension. Plus besoin pour le salarié de se trouver à un poste de travail fixe ; avec son téléphone, il est joignable partout où il se trouve. Il peut assister à des conférences par internet et sa position géographique devient moins importante que sa « disponibilité virtuelle ». Certains employés bénéficient de la possibilité de faire du télétravail, ce qui réduit les effectifs d’une entreprise au sein de ses bureaux. Grâce à cette technologie, de nouveaux concepts concernant l’espace de travail voient le jour. Des lieux qui se louent à la journée ou à l’heure, pour travailler, avoir une rencontre professionnelle, ou encore faire une réunion. L’anticafé du IIIème arrondissement de Paris propose un espace de ce type. On peut y rencontrer tout type de population, des gens qui travaillent (répétition théâtrale, rendez-vous professionnel), d’autres qui s’amusent. Le lieu jouit d’un grand succès car il permet une rupture avec une forme plus traditionnelle de bureau, où la hiérarchie qu’on retrouvait dans les espaces pensés au début du XXème, fait place à la mise en valeur des compétences propres au sein d’une entreprise. Les espaces de coworking dans le même esprit, permettent aux travailleurs indépendants de se retrouver dans un cadre qui stimule et encourage le travail, la rencontre et l’échange interprofessionnel. 43


première et deuxième génération (comme la tour Aurore, la tour Esso, la tour Initiale, l’actuelle tour blanche etc…) de la Défense qui après 30 ans, se trouvent soit en passe d’être détruites, ou restructurées.

2. Transition difficile vers le durable

Les normes de construction et normes environnementales ont fortement évolué ces dernières décennies et les tours de la Défense de première et deuxième génération se sont rapidement trouvées obsolètes ou inadaptées. En effet, malgré les progrès importants des techniques de construction, la tour reste une forme architecturale extrêmement gourmande en énergie, et coûteuse en entretien. Aujourd’hui les normes pour construction neuves sont de limiter la consommation d’énergie primaire des bâtiments neufs à un maximum de 50 kWhEP/(m².an) la tour la plus performante, la tour Majunga, consomme 80 kWhEP/(m². an). Cette tour est à la pointe des dernières technologies mais ne remplit pas les normes de construction de la RT 2012. L’idée de construire des tours qui puissent arriver aux performances de la RT 2020 d’ici 6 ans est alors difficile à imaginer. Cependant les évolutions et découvertes technologiques se développent rapidement et de nouveaux modes de production et de gestion d’énergie peuvent voir le jour. Ce qui mènerait à une nouvelle problématique : Les tours construites aujourd’hui peuvent se trouver en l’espace de 10 ans complètement obsolètes par suite de leur mode de consommation d’énergie, ou les technologies qui les constituent. Nous avons pu remarquer le changement qu’a amené l’évolution technologique dans les outils informatiques que nous utilisons : un ordinateur ou un téléphone portable se trouve désuet en l’espace de 2 ans. Nous remarquons déjà ce phénomène sur les tours de 44

À l’heure où les questions de réduction de consommation d ‘énergie sont au cœur de la réflexion architecturale, les tours qui se construisent, malgré le faite qu’elles mettent en avant de nouvelles prouesses techniques en matière d’économie d’énergie, elles sont extrêmement énergivores : en effet, elles sont éclairées de jour comme de nuit. Dans une étude faite par le site internet B&L évolution en 2013, elles ont diminué en moyenne de 9% leur éclairage de nuit mais cet éclairage représente tout de même 6465 MWh sur une année ce qui équivaudrait 295 000 ampoules allumées 4h par jour toute l’année, selon l’étude. Aussi les systèmes d’ascenseur et de climatisation participent, eux aussi, grandement à la consommation en énergie. Certaines constructions neuves affichent des performances record en termes de consommation d’énergie, mais elle reste toujours supérieures à celle des bâtiments de bureaux classiques. Parce que les normes évoluent et que les objectifs en matière de développement durable changent dans le temps, les tours de la Défense sont devenues rapidement obsolètes. L’évolution rapide des différentes technologies tend à ringardiser rapidement les technologies qui les précèdent (comme on peut le voir dans l’évolution de l’ordinateur, ou du téléphone). Dans les villes américaines où les tours font partie du paysage et du patrimoine, elles ont pris une autre dimension et entretiennent un rapport plus familier avec les habitants des villes. En France et dans la plupart des villes européennes, la tour perd de son sens, surtout quand elle apparaît en décalage avec un patrimoine existant. La destruction des tours obsolètes renforce cette image de construction et architecture éphémère. Dans une société où les monuments et bâtiments d’importance survivent des siècles, c’est un bouleversement culturel pour les habitants et les villes qui accueillent ce projet.


Insertion 3D de la tour Majunga Ă Puteaux Source: Google image

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Plan des bâtiments qui ont été restaurés

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Plan des bâtiments d’ahbitation (en bleu) dans le quartier de la Défense.

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C. UN ETRANGER DANS MA VILLE 1. Place des habitants

Les habitants de la Défense sont estimés à 20.000 par l’EPADESA, les salariés sont environ 150.000 à venir travailler sur le site où se trouvent également 45000 étudiants et 8,4 millions de touristes par an. Les personnes qui habitent au cœur du projet de la Défense, entre les quartiers Corolles, Iris et Reflet se trouvent encerclés par les tours de bureaux et les salariés du site. Dans les quartiers Iris, Reflets et Corolles ce sont en tout 647 logements qui sont situés au cœur du quartier d’affaire. Contrairement aux autres quartiers comportant des logements que comprend le projet de la Défense, ces logements sont entourés exclusivement de tours de bureaux. Dans leur architecture, les bâtiments d’habitation sont discrets au milieu des tours imposantes. Pourtant on les remarque : les fenêtres peuvent s’ouvrir et on devine derrière chacune d’entre elle, par diversité de couleur, un univers différent. Contrairement aux tours de bureaux, où les façades vitrées uniformes témoignent d’une grande régularité dans les espaces intérieurs. Pour les habitants des quartiers Iris, Reflets et Corolles, la situation et l’organisation spatiale des bâtiments qu’ils habitent les rendent difficiles d’accès. L’entrée principale des bâtiment se trouvent sur la dalle, mais l’accès voiture (pour les pompiers ou livreurs) se fait en souterrain. Dans 48

ces espaces il est difficile de se repérer, l’entrée n’est pas clairement indiquée. L’adresse écrite des bâtiments fait référence aux espaces situés sur la dalle et non pas des voies en sous-sol. Dans les recherche google, quand on entre dans le moteur de recherche “habitants de la Défense” on peut trouver en premières propositions des forums qui posent la question du nom de ces habitants. Dans l’imaginaire collectif, les habitants du projets de la Défense sont séparés des villes dont ils sont citoyens ce qui n’est aucunement le cas. Pour arriver en voiture chez des habitants de la Défense, il est alors important de connaître un minimum le quartier pour savoir choisir le bon parking qui mène à la sortie la plus proche des habitations. Dans le passage entre les parkings et le dessus de la dalle, se repérer devient alors difficile car les nouveaux arrivants émergent des parkings pour se retrouver dans un univers autre, ou leurs points de repères sont changés. Selon les récent sondage, 90% des salariés et habitants de la Défense sonts satisaits du site qu’ils occupent. Beaucoup apprécient les grand espaces et le calme qui règne dans le quartier d’affaires. Les habitants sont fiers de leur quartier et de nombreuse associations et groupes se mobilisent pour réfléchir à améliorer encore le site. La population y est trés diverse, cependant une grande partie des habitants des quartiers Iris, Reflets, et Corolles sont des retraité qui se sont installés au début du projet. Les combats et l’investissement qu’ils mettent dans la réflexion d’amélioration est aussi due au sentiment d’impuissance face au tours de bureaux qui se construisent à la Défense. Le blog de l’immeuble vision 80 montre l’attachement qu’ont les habitants à faire vivre et exister leur habitat au milieu des tours de bureaux.

Dessin du projet tion Vision 80 à C Source: Google i


t de l’ensemble d’habitaCourbevoie image

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2. Des bâtiments hermétiques

Le projet de la Défense se construit sur des horizontalités et des verticalités. La dalle, la circulation, les immeubles d’habitation et les commerces s’organisent selon un plan horizontal tandis que les bureaux s’organisent suivent des axes verticaux. La dalle, comme un mille feuille s’établissent plusieurs niveaux horizontaux, sur lesquels se trouvent les accès aux bâtiments qui en émergent. Dans cette horizontalité se développe en surface une circulation aléatoire et très diverse, nullement guidée par une trame urbaine stricte. Certains points importants du parvis et de l’esplanade comme les marches de la Grande Arche, l’accès métro RER à proximité de cœur Défense ou encore le bassin Takis offrent des espaces de pause. A l’inverse les circulations sous sol sont maitrisées, délimitées, encadrées dans des voies automobiles ou des galeries et tunnels techniques sont précisément dessinés. L’espace horizontal de la dalle est pour les usagers de la Défense un terrain de liberté 50

urbaine, ou à tout endroit on peut s’asseoir, s’arrêter, jouer au ballon, se retrouver. Les tours restent elles une énigme pour le passant, qui ne peut y entrer. Elle étend son influence devant l’entrée de la tour ou les salariés s’y retrouvent pour fumer. Elle symbolise un monde à part inaccessible, contrairement aux immeuble d’habitation tels que vision 80 ou résidence des Corolles sous lesquels on peu passer et qui abritent des commerces en rez-de-chaussée. Par la circulation verticale qui se crée dans la tour, reliant différents programmes et différentes fonctions, c’est une forme architecturale qui entretient difficilement une communication avec les autres bâtiments. La relation dedans/dehors, privé/ publique ne passe que par le point d’ancrage de la tour sur le sol. Dans certain projet de tour, la dalle n’est pas en contact direct avec la tour ce qui l’extrait plus encore d’un dialogue entre les différents éléments architectureaux. Par exemple autour de la tour gan, se trouvent des patio et on peut rejoindre l’entrée de la tour par des sorte de passerelles. De cette manière, la frontière entre la tour et l’espace public devient plus importante encore. En cela, l’univers dans lequel évolue les habitants du site de la Défense ne favorise pas une connexion avec les salariés du site. Les tours de bureaux sont assez hérmétique, et la distance entres les différents bâtiments mènent le piéton à s’éloigner et prendre du recul par rapport aux différentes architectures présentes sur le site. Devant les halls d’entrée des tours, se trouvent souvent les salariés, comme une extension de la tour sur la dalle. Se dessinent alors des frontières immatérielles, ou les habitants utilisent une partie de la dalle (on peut souvent voir des enfants jouer en dehors des heures de classes), et les salariés une autre, devant leurs bureaux.


Les commerces de proximité de la dalle ferment en général à 19h ou 19h30. Ils vivent au rythme des salariés du quartier d’affaires et proposent des produits adaptés à la demande de ceux-ci. Les bars et restaurants sont les points de détente des collègues de différentes entreprises à la sortie du travail. Ils y trouvent leurs habitudes et participent à la vie du quartier. Cependant peu d’habitants de la Défense s’y rendent et les espaces qui sont sensés leur être dédiés se trouvent détournés au profit des personnes qui viennent envahir leur territoire, il est alors difficile d’y développer des habitudes qui permettent d’habiter le lieux. Un samedi après-midi, jour de beau temps, température extérieure 20° les « Défensiens » sortent et profitent de la dalle. Fait étonnant, tous les magasins sont fermés, pas une boulangerie, un coiffeur dans le quartier des Reflets ou le quartier Corolles. Les habitants doivent aller au centre commercial pour faire leur course, ils ne peuvent pas prendre un verre en terrasse ou manger le midi dans un restaurant. Sauf dans les Quatre Temps (centre commercial sur le parvis de la Défense).

Enfant qui joue sur la place de l’Iris, un samedi aprés midi. Commerces de proximité, un samedi à 15h

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I. ENGAGER UNE MUTATION: Les espaces obsolètes pivots d’une mutation

Photos de la dalle: source google image

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A. DE NOUVELLES FRONTIÈRES 1. Recnontre entre territoires

La rencontre amène au partage, à l’échange, à l’enrichissement de ce qui est mis en relation. Nous avons vu que la Défense et les villes qui l’accueillent, forment deux entités dissemblables, qui sont clairement séparées. Elles ne partagent pas leur architecture, leur urbanisme, le rythme de vie qui les anime et les individus qui les pratiquent, et seules de rares liaisons urbaines - les passerelles - permettent leur rapprochement. Pourtant ces villes et la Défense ont intérêt à se rencontrer, à partager leurs richesses respectives. Courbevoie et Puteaux peuvent répondre aux problématiques d’enclavement la Défense et l’obsolescence d’une partie de ses formes urbaine. A ‘inverse les villes elles peuvent s’enrichir du caractère exceptionnel qu’offre le site de la Défense. Faciliter l’accès et l’échange entre ces deux entités urbaines permettra aux habitants de Puteaux et Courbevoie de prendre habitudes et usages dans l’espace urbain du quartier d’affaires. Pour imaginer un projet de rencontre entre ces entités, il est important de s’appuyer sur des problématiques qui concernent l’ensemble du site de la Défense et des villes 54

qui l’accueillent. Cependant la complexité du site de la Défense ne permet pas de réponse standardisée. Cette troisième partie propose donc des piste d’aménagement, une trame qui pourrai servir d’ébauche pour un projet de rencontre et rapprochement de ces quartiers. Pour engager une mutation urbaine et dessiner une couture entre les territoires de Courbevoie Puteaux et la Défense il est important de définir ou se trouvent les frontières et fractures urbaines entre le projet et les villes, trouver l’entre-deux dans lequel puissent s’ancrer divers projets et programmes à destination du local. ous avons pu voir que les fractures urbaines les plus importantes se situent plus au niveau de la dalle et du boulevard circulaire qu’au niveau des frontières réelles du territoire d’aménagement de la Défense. C’est entre ces deux éléments urbains que doit se jouer la rencontre. Pour cela ce projet de conciliation doit alors prendre en compte la trame urbaine des différents quartiers et faire se rencontrer les rues, les places Le sol de Courbevoie et Puteaux est à un niveau inférieur ; il est ce qui reste du sol de l’ancien Courbevoie suivant des rues et des parcelles qui ont disparu. Redéfinir le territoire peut être alors de réinventé l’espace entre les villes à la dalle, en s’inspirant de ce qui à disparu dans la construction du quartier d’affaire. Créer un programme en plusieurs étapes qui cible chaque limite et y propose un programme qui rassemble en intégrant une évolution quelque chose de graduel dans l’évolution et la marche du projet. La Défense est posée pour certains projets sur la dalle. Les points d’interaction des tours avec le sol se trouvent à ce niveau-là, quand verticalité rencontre horizontalité. Le sol de Courbevoie et Puteaux sont à un niveau inférieur ; il est ce qui reste du sol de l’ancien Courbevoie suivant des rues et des parcelles qui ont disparu. Redéfinir le territoire et relier peut- être de rattacher la circulation et la vie de quartier au Niveau du sol.


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2. Adoucir les frontières Pour traverser le boulevard circulaire, il est intéressant de voir les différents modes de traversée qui sont possibles. A Paris ont été explorées des nouvelles formes de passages piétons. Déconcertantes pour les promeneurs, ils les rendent acteurs d’une ville et leur permettent de s’approprier l’espace. Cependant sortir des codes peut dérouter les automobilistes et rendre dangereuse la traversée. Il est alors intéressant de se poser la question de quelle écriture urbaine influence les automobilistes dans leur manière de conduire pour faciliter la traversée et mettre en confiance les piétons. Le paysage urbain, plus que le mode de traversée peut influencer l’automobiliste pour que, de sa propre initiative, il adapte son allure et comprenne boulevard circulaire comme une voie de circulation secondaire et habitée de piétons parfois personnes fragiles. La revalorisation du boulevard circulaire se trouve à un point clef de la rencontre des différents tissus urbains du site de la Défense. Ainsi au niveau de la rue Gambetta à Puteaux où la transition entre les immeubles qui datent de la fin du XIXème, se trouve directement confrontée à l’architecture monumentale des tours de la Défense. L’initiative d’adoucir des voies de circulation importante se trouve dans beaucoup grandes villes à travers le monde. A Séoul une autoroute urbaine qui se trouvait en plein cœur de la ville s’est vue transformée en grande voie de circulation piétonne, comme une coulée verte. Cette initiative génère une revalorisation des espaces qui entourent cette ancienne autoroute. Aux Etats-Unis la question de la reconversion de certaines grandes voies de circulation automobiles se pose. Leur slogan pour la restauration de ces voies est « Des autoroutes aux boulevards » Ce n’est pas le dimensionnement d’un axe automobile qui influence la vitesse et le comportement des conducteurs. 56

Ainsi on peut remarquer que certains boulevards ou avenues aux dimensions importantes n’ont pas le même impact sur la ville et ne sont pas perçus comme des barrières. Par exemple l’avenue des Champs-Elysées a une largeur plus importante que le boulevard circulaire et elle est considérée parmi les avenues les plus belles du monde. Pour adoucir une voie de circulation trop importante, l’animation des espaces qui le ceint, peut entrainer une nouvelle conception et perception du lieu. Ainsi l’aménagement de trottoirs, de mobilier urbain mais également la présence de cafés, bars, boutiques donnerait un caractère plus accueillant au boulevard. Cela permettrait aux populations de la Défense et des quartiers qui l’entourent de développer des habitudes et enrichir l’espace urbain d’une nouvelle localité. L’aménagement d’espaces végétalisés autour de boulevard circulaire est également une piste à explorer. En effet le quartier de la Défense propose un environnement ultra minéral ou la végétation ne trouve pas sa place. Le vert comme une respiration dans la ville, apporte un espace ou le rythme de vie se trouve plus lent. Il invite le piéton, le cycliste à la déambulation, à la pause. Les parterres gazonnés sont envahis les beaux jours par la population locale, qui vient faire des pique-niques, des jeux en plein air. Ils offrent aussi des espaces de jeux pour des groupes d’enfants.

Projet de transformation d’une autoroute urbaine à Séoul Source: Google image


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B. RECONQUÊTE D’ESPACES 1. Du bureau au logement: des espaces pour vivre

Aménagement de tables sur les bords du bassin Takis. Les gens viennent y lire un livre, jouer aux cartes, se retrouvent entre amis. Source: Google image

L’intimité du locale se développe dans les espaces qui se découvrent en vivant et marchant dans sa ville. Ce sont les points de passage qui permettent la pause dans un parcours, et encouragent les habitants à y écrire une partie de leur manière d’utiliser la ville. Par l’échange avec ceux qui habitent depuis longtemps un espace, on est mis en relation avec ceux qui détiennent la mémoire de la ville, quand d’autres l’écrivent et la constituent. Pour développer une intimité et une identité du « local », il est important de figurer quels espaces accueillent les habitudes des populations d’un site et de les mettre en lumière. S’ils ne sont pas autorisés à utiliser, les riverains les empruntent régulièrement et ont une bonne connaissance des voies de circulation qui relient le sol artificiel de la dalle au sol des villes de Puteaux et Courbevoie. Certaines places importantes de l’esplanade permettent de fixer et ancrer les habitants du quartier d’affaires dans leur site, comme le bassin Takis qui regroupe salariés et habitants dés qu’il fait beau. 58

Les interstices urbains sont ces espaces qui sortent du maitrisé, qui échappent à une organisation et une fonction claires. Dans la ville les interstices sont comme en attente, pour trouver une place dans le mouvement des villes. Le vide crée par l’interstice interpelle les usagers d’un lieu, soulève la curiosité et l’imagination. En étant des espaces autres, en dehors d’une trame ou d’une logique urbaine, ils forment des hétérotopies de la ville. Sans fonction ou rôle dans la ville ils sont les terrains d’accueil aux initiatives clandestines de la part des habitants. À la Défense, les souterrains sont le terrain de jeux de skateurs, ou promeneurs intrépides. Des personnes qui s’adaptent et se servent des qualités du lieu en les détournant pour les ouvrir à la créativité. Les Frigos dans le XIIIème arrondissement de Paris sont un exemple de cet investissement de l’espace qui a mené à la réintégration du bâtiment dans la ville, en en faisant un centre important de créativité et d’échange. En sortant d’une planification et organisation formelle et maitrisée, les Frigos offrent un


lieu qui sort des conventions et répond et s’adapte aux besoins et à la vie locale. Michael Hardt et Antonio Negri, ont écrit à ce sujet que les interstices rendent possibles des expérimentations qui gagnent en intensité et en créativité, par leur caractère informel. Ils nous disent à propos des interstices que « elles sont faiblement communicables, difficilement transposables. Par contre, chacune d’entre elles atteint, du seul fait de sa dynamique, un fort degré d’expérimentation et de création et une grande intensité dans l’élaboration et l’exploration de ses agencements ».

Aménagement de balançoires dans le quartier Corolles. On y voit se rencontrer et se mélanger des personnes de tous âges, habitants ou salariés ils prennent possession du lieu. Source: Google image

Tous les été, Defacto propose divers aménagements urbain ou se trouvent bibliothèque en plein air, jeux de société géants, des espaces de détente. Source: site internet Ladéfense92

Sous la dalle, se découvrent des interstices. On y trouve des entrées et des sorties d’immeubles d’habitation les voies d’accès et de livraison des tours et commerces. Pour offrir aux habitants et salariés de la Défense des endroits où se retrouver, les souterrains occupent une place stratégique : entre les tours et en connexion avec les différents niveaux du sol. S’ancrer dans les sous sol de la Défense c’est investir son sol, son intimité, ce qui n’est pas visible et caché aux yeux des touristes qui viennent voir le site. C’est révéler aussi une part du projet, car les espaces souterrains ont été pensés pour servir une fonction. La question de l’intimité du local sous entend que l’espace ou se développe une localité ne sert pas toutes les personnes qui se rendent sur le site de la Défense, mais ceux qui la vivent tous les jours ou ceux qui font l’effort d’aller à la rencontre du projet dans son intégralité. Les espaces publics de la ville sont aussi le prolongement d’un chez soi. On n’habite pas seulement une maison, mais aussi un certain périmètre autour de cette maison. En étendant le territoire de sa maison à un périmètre dans la ville on y étend également une forme de confidentialité de l’espace urbain. 59


2. Agrandir les failles, de nouveaux interstices

En masquant les automobiles, les parkings et locaux techniques, ceux-ci se sont trouvé détachés des usages des habitants et salariés de la Défense et n’ont pas évolué depuis les trente dernières années. Contrairement à la dalle qui s’adapte et change en fonction des habitudes qui s’y dessinent. En cela les voies souterraines et espaces de livraison et d’accès aux tours sont devenus désuet. Ils correspondent à l’idéal urbain des années 1970. L’urbanisme contemporain, loin des théories modernistes tend à rassembler plutôt que diviser. Les aménagements sous la dalle qui servent une fonction précise, perdent leur sens dans leur usage unique. En ouvrant ces espaces et en les intégrant à une vie de quartier, on peut revaloriser leur fonction première et les ouvrir à d’autres fonctions. C’est dans leur caractère à part et dépassé qu’on peut trouver une réponse ou une piste d’aménagement et de restructuration. En effet les infrastructures de la Défense offrent un paysage atypique mais qui n’est pas destiné aux piétons. Mais il ouvre aussi à l’exploration de nouveaux espaces et à de nouvelles ambiances. Entre les espaces enterrés et la dalle le contraste y est intéressant. Plonger dans les entrailles du projet de la Défense offre un parcours qui peut définir une identité forte pour ces habitants. C’est aussi un moyen de continuer une sorte de fantaisie que le projet de la défense incarne : l’inatteignable ce qui relève du rêve. 60

Les théories urbaines et architecturales du mouvement moderne ont nourris l’imagination des créateurs de bandes dessinées ou réalisateurs de films de science fiction. De nombreuses villes souterraines ont été pensée et imaginées par ces artistes et ils peuvent nourrir un projet d’architecture dans les ambiances et les sensations qu’ils transmettent. Le film immortel issu de la bande dessinée de Enki Bilal montre des esthétiques urbaines proche de ce que cachent les voies souterraines de la Défense. En cela les utilisateurs du site sont projetés dans une autre dimension. Dans des jeux de lumière entre l’intérieur et extérieur, lumières artificielles ou lumière naturelle, l’espace se révèle tantôt rassurant, aéré, reposant ou bien il invite à l’animation et l’agitation. Les volumes des différents espaces souterrains sont très hétérogènes et peuvent favoriser des ambiances plus différentes les unes que les autres. Dans des volumes avec de hautes hauteurs sous plafond on peut y imaginer des espaces qui permettent la rencontre et le partage, les rassemblements. Tandis que les volumes plus petits, plus près du corps invitent à plus d’intimité, pour des groupes de personnes plus restreint.

Underground metropolis Source google image


Long Tomorrow Bande dessinée de Moebius et Dan O’Bannon Source google image

Redéfinir les interstices

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C. RÉCONCILIATION ENTRE GRANDIOSE ET FAMILIER 1. S’inscrire dans le paysage

Dans un souci de cohérence urbaine, la rencontre de la Défense et des quartiers qui l’entourent doit installer une architecture qui soit une transition progressive entre les bâtiments imposants que sont les tours et les immeubles d’habitation. Les habitants du quartier d’affaires sont dans un environnement qui se renouvelle sans cesse, de nouvelles tours voient le jour, d’autres sont restrcturées. Le projet de la Défense nous donne l’impression de ne pas être terminé. En cela l’implantation d’un projet de conciliation des espaces doit mettre en valeur l’existant, s’en servir comme base. Par des jeux de lumière, le détournement des espaces, le piéton doit redécouvrir et revisiter des espaces qui font déjà partie de son quotidien. Les différences de niveaux, les points de vue, le rapport qu’entretient le piéton au construit, les jeux de lumière et de reflets. Ce sont autant de richesses qui dessinent l’espace urbain et lui donne son caractère. En conservant et revalorisant le béton, les parkings, les abords du boulevard circulaire, la Défense affirme et assume ce qui la construit tout en se réinventant. En se fondant dans le paysage, ce projet de conciliation ne s’impose pas : il révèle son environnement. 62

Dans cette transition on redonne sa place à l’habitant dans la ville. Habiter un endroit c’est pouvoir au fil du temps explorer les espaces qui le composent. Nous avons vu précédemment que la Défense regorge de souterrains et de passages qui ne sont pas connus des personnes qui ne sont pas habituées du quartier. La complexité de la dalle et ses sous-sols n’encourage pas son exploration et très peu de gens s’y aventurent. Les codes utilisés par le construit à la Défense sortent des codes habituels et freine nos curiosités. Par exemple au métro esplanade de la Défense sortie Courbevoie, les chemins proposés sont : deux escalators qui nous mènent vers l’extérieur, ou bien une porte pour qui mène à la voie des Bâtisseurs. La porte est absente des espaces public traditionnel. Elle indique souvent le passage d’un endroit privé à un endroit public. Elle peut mener à une entrée de parking, à un parc mais pas d’une rue à une autre. C’est pourtant l’accès qui permet d’arriver à la voie des Bâtisseurs. Un projet de rencontre entre la Défense et les villes qui l’accueillent se doit alors de jouer avec ces éléments urbains qui constituent le quartier d’affaires. Pour conserver et mettre en valeur l’originalité du site, proposer des espaces publics qui jouent entre l’intérieur et l’extérieur, rend responsable et acteur son usager. Il développe la curiosité, permet au passant de s’interroger et explorer l’urbain qui lui est proposé. La Défense accueille régulièrement des projets qui réinventent l’espace public. Le bassin Takis a pu en bénéficier avec l’installation de tables sur les marches qui entourent le bassin. Ce projet a amené et intrigué les promeneurs et a renforcé la fréquentation du lieu. Encourager ces initiatives est une piste pertinente pour un projet qui relie le quartier à son contexte. Ainsi tout en désenclavant la Défense, les espaces urbains marquent une différence, signifient aux passants qu’ils pénètrent un espace autre, avec une identité et une originalité qui lui sont propre.


Conclusion Le quartier d’affaires de la Défense est comme nous l’avons vu une utopie construite, qui se met à jour sans cesse. Dans ce qu’il raconte, il nous entraine dans l’histoire des idéologies et fantasmes de l’architecture et de l’urbanisme du XXème et XXIème siècle. Ce projet axe sur un renouvellement de l’espace urbain qui se concentre sur les failles des espaces obsolètes, en faisant de la Défense un univers à part connecté à son contexte plus traditionnel. La trame proposée pour concilier la Défense et les villes qui l’accueillent est pensée dans une volonté de panser les ruptures urbaines par le dévoilement des richesses cachées ou ignorées du quartier d’affaires. C’est une conciliation qui révèle l’existant et en douceur. Elle l’ancre dans un concret et donne de l’importance à une facette du quartier qui regarde une localité, qui met en lumières les petites habitudes, ce qui est invisible. 63


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Bibliographie:

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Sites internet: - www.epadesa.fr - www.ladefense.fr -www.ladefense-92.fr -www.vision80ch13.org

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