Giovanni Lista
Processus Art
Promo-Art Collection Trans-Form Français / English
Giovanni Lista
DICROLA Processus Art
Collection Trans-Form Français / English
Direction de la publication : Jérôme Lestang Directeur de la rédaction : Antonio Furone Suivi éditorial et design : Xavier Delvaux - Jérôme Sibenaler Suivi de production : David Van Obergen Traductions : Susan Wise Photographies : Kéno Derleyn - Ysabel Vangrudenberg Remerciements à Monsieur Christian Larrieu, pour ses prises de vue des toiles émulsionnées, et à Nathalie Brauld pour son aimable collaboration tout au long de la préparation de cet ouvrage.
© Promo-Art Éditions 2006
Prologue
Presentation
J ’ai découvert le travail de Dicrola en septembre 1980, lorsqu’il exposait ses toiles émulsionnées ou présentait ses performances et ses vidéos dénonçant la marchandisation de l’art. C’était au cours d’une soirée à la galerie L’Œil du diaph, près de la Place de Catalogne, à Paris, où il projetait la vidéo-performance de son propre mariage, créant une sorte d’identité tautologique entre la réalité événementielle de la vie et le monde fictionnel du théâtre. Après ce premier contact occasionnel, j’ai pu visiter un peu plus tard son atelier grâce au scénographe et acteur Gianni Zappia, qui avait participé à quelques-uns de ses « tableaux vivants ». Au fil des rencontres, une amitié s’est nouée, nourrie de mon côté par l’admiration que j’éprouve pour sa démarche artistique. C’est un artiste qui, tout en évoluant et en se renouvelant avec originalité, ne perd jamais sa cohérence, ne se fige jamais dans un style unique et se trouve toujours en syntonie avec les plus grandes tendances de l’art contemporain. Son approche établit constamment un pont entre les questions les plus actuelles de la culture et les questions les plus intemporelles de l’art.
I first discovered Dicrola’s work in September 1980, a time when he was exhibiting his emulsified canvases or presenting his performances or videos exposing the merchandizing of art. It was in Paris during an evening event at the gallery L’Œil du Diaph, near the Place de Catalogne, where he showed the video-performance of his own wedding, creating a kind of tautological identity between the real events of life and the fictional world of the theater. After this first chance encounter, I was able to visit his studio thanks to the scenographer-actor Gianni Zappia, who had taken part in several of his “ tableaus ”. During these meetings a friendship arose, nurtured on my behalf by the admiration I felt for his artistic modus operandi. He is an artist who, even if he evolves and renews himself with originality, never loses his coherence, is never fossilized in a single style, and is always attuned to the main trends in contemporary art. His approach constantly bridges the gap between the most up to date issues of culture and the most timeless issues of art.
J e dirigeais alors depuis peu la galerie Art-Form, avenue de la Bourdonnais, à Paris. Devenant l’un des habitués de la galerie, Dicrola m’a fait connaître des critiques d’art, comme Giovanni Lista, Jean de Loisy et Bernard Lamarche-Vadel, et des artistes comme José-Maria Sicilia et Jean Lacalmontie. L’actualité artistique était l’objet de longues discussions entre nous deux, en cette époque passionnée par la redécouverte des idéaux et des luttes de l’avant-garde. Ainsi, c’est par analogie à sa démarche que j’ai voulu nommer Trans/Form la galerie et relancer de manière plus incisive ses activités. Par cette formule, je désirais évoquer le caractère transitoire de toute forme au sein du devenir, c’est-à-dire au cœur de ce recommencement constant qui fait la vie même de la création et de l’art. n avril 1981, la galerie rouvrait ainsi sous ce nouveau E nom, débutant ses activités par une exposition du groupe international de la Poesia Visiva, avec des œuvres et des performances de Julien Blaine, Jean-François Bory, François Dufrêne, Bernard Heidsiek, Françoise Janicot, Jean-Jacques Lebel, Paul Nagy, Tibor Papp et Mitsou Ronat. Le catalogue publiait un texte du philosophe Alain Finkielkraut qui jouait sur la crase et l’homophonie afin de présenter une liste des définitions de nouveaux mots caractérisant « les scènes de la vie quotidienne ». Le mois suivant, la galerie prenait part à la naissance du mouvement de la Figuration Libre, confiant à Bernard Lamarche-Vadel
I had just began to manage the gallery Art-Forum, on the Avenue de la Bourdonnais in Paris. Having become a habitué of the gallery, Dicrola introduced me to art critics like Giovanni Lista, Jean de Loisy, and Bernard Lamarche-Vadel, and artists like José-Maria Sicilia and Jean Lacalmontie. We had endless discussions about artistic events, in this period that was so thrilled by the rediscovery of the ideals and struggles of the avant garde. So by analogy I decided to call the gallery Trans/Form, re-launching its activities with more incisiveness. This formula expressed my wish to evoke the transitory character of every form within becoming, that is, at the heart of this constant renewal that is the very life of creation and art. I n April 1981 the gallery opened under this new name, its first event being an exhibition of the international group Poesia Visiva, with works and performances by Julien Blaine, Jean-François Bory, François Dufrêne, Bernard Heidsiek, Françoise Janicot, Jean-Jacques Lebel, Paul Nagy, Tibor Papp, and Mitsou Ronat. The catalogue published an essay by the philosopher Alain Finkielkraut, who, playing on crasis and homophony, presented a list of definitions of new words exemplifying “ scenes of everyday life ”. The next month the gallery participated in the birth of the Free Figuration movement. Bernard Lamarche-Vadel mounted the exhibition TransitiveIntransigent grouping the following artists : Bernard Frize, Salvo, Giammarco Montesano, Dicrola, Rémy Blanchard, François Boisrond, Davide Benati, Martin
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l’organisation de l’exposition Transitif / intransigeant qui réunissait les artistes Bernard Frize, Salvo, Giammarco Montesano, Dicrola, Rémy Blanchard, François Boisrond, Davide Benati, Martin Disler, Antonio Faggiano, Anselm Stalder, Rolf Winnewisser et Fabio Peloso. C’est à cette occasion que Dicrola exposait son tableau Polichinelle, détonnant d’ironie, qui marquait son retour à la peinture et à la figuration citationniste. n février 1982, José Maria Sicilia inaugurait sa toute E première exposition personnelle. Suivirent plusieurs expositions collectives, comme Mouvance et Paddock Part 1, avec des artistes comme Jean-Charles Blais, Philippe Hortala, Sato Satoru, Jean Lacalmontie et Thomas Clément. En novembre 1983, l’exposition Avant-garde historique et nouvelle avant-garde réunissait des œuvres des artistes Beuys, Dicrola, Kounellis, Sol LeWitt, Pietro Lista, Buren, Montesano, Salvo et Twombly. Enfin, en mai 1985, je lançais, secondé par Gérard-Georges Lemaire, le premier numéro de la revue Pôle Position consacrée à toutes les nouvelles tendances de la culture et de la création contemporaine : l’art, l’architecture, la mode, le design, la littérature, etc. Achille Bonito Oliva, Christian Jaccard, Olivier Kaeppelin, Philippe Piguet, Jérôme Sens, Olivier Poivre D’Arvor, Paolo Portoghesi, Alessandro Mendini du Studio Alchimia, Elisabeth Garouste et Mattia Bonetti ont figuré parmi ses collaborateurs. ujourd’hui, acceptant de diriger pour Promo Art A Éditions une collection d’essais sur l’art et sur les artistes contemporains, j’ai aussitôt pensé à cette époque pleine de courage et d’idées. Dans ma mémoire, cette période si intense s’incarne dans l’œuvre et le parcours de Dicrola, un artiste qui n’a jamais cédé aux compromis des modes et du marché. Aujourd’hui encore, par sa passion pour l’art et sa force créatrice, il demeure un interlocuteur et un compagnon de route incontournable. Ainsi, j’ai voulu que cette collection s’appelle Trans/Form et que son premier livre lui soit consacré.
Disler, Antonio Faggiano, Anselm Stalder, Rolf Winnewisser, and Fabio Peloso. It was on this occasion that Dicrola exhibited his painting Punchinello, an explosion of irony, that marked his return to painting and quotationist figuration. I n February 1982 José Maria Sicilia opened his very first solo show. Several group shows came next, such as Mobility and Paddock Part 1, with artists like Jean-Charles Blais, Philippe Hortala, Sato Satoru, Jean Lacalmontie, and Thomas Clément. In November 1983, the exhibition Historic Avant-garde and New Avant-garde assembledworks by the artists Beuys, Dicrola, Kounellis, Sol LeWitt, Pietro Lista, Buren, Montesano, Salvo, and Twombly. ast, in May 1985, I published with GérardL Georges Lemaire the first issue of the review Pole Position devoted to all the new trends in culture and contemporary creation : art, architecture, fashion, design, literature, etc. Achille Bonito Oliva, Christian Jaccard, Olivier Kaeppelin, Philippe Piguet, ��� Jérôme Sens, Olivier Poivre D’Arvor, Paolo Portoghesi, Alessandro Mendini of Studio Alchimia, Elisabeth Garouste, and Mattia Bonetti were some of the authors. resently, having accepted to direct a series for P Promo Art Editions presenting essays on contemporary art and artists, I instantly recalled that era teeming with courage and ideas. In my recollection, that intense period is embodied in the work and career of Dicrola, an artist who never yielded to the compromises of the trendy and the market. Today, with his passion and creative power, he remains an indispensable interlocutor and fellow traveller. That is why I wished to name this series Trans/Form and to devote to him its first book.
Antonio Furone Directeur de la rédaction Bruxelles, août 2006
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UN DESTIN D’ARTISTE BORN TO BE AN ARTIST
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Cette longue période d’apprentissage aboutit à un épisode fort significatif, qui présidera au destin du jeune artiste. En février 1957, la Galleria Mediterranea de Naples présente une exposition, largement commentée dans la presse régionale, de trois peintres : De Chirico, Sciltian et Youssoupoff. Les ouvrages sur De Chirico sont ainsi remis à l’honneur dans les vitrines des librairies. Le jeune Dicrola achète alors la monographie d’Isabella Far, Giorgio De Chirico, parue à Rome, chez Bestetti Editore, quatre ans plus tôt. Publié par la compagne du peintre, ce petit livre illustre surtout les années où De Chirico, assumant la devise « Pictor classicum sum », s’est librement adonné à sa grande passion pour le musée, peignant des copies de Rubens, des autoportraits et des scènes mythologiques dans un style néo-baroque, fait d’une touche pâteuse et de couleurs brillantes utilisées en contraste. Les planches en couleur du livre d’Isabella Far reproduisent notamment quelques-uns des autoportraits en costume que le maître de l’art métaphysique a réalisés depuis 1940, se faisant prêter pour l’occasion de véritables vêtements de scène par le Teatro dell’Opera de Rome. De Chirico, qui s’est peint avec des costumes de différentes époques, choisissait tout particulièrement ceux dont la
This long apprenticeship climaxed with a highly significant episode, which had a lasting effect on the young artist’s destiny. In February 1957 the Galleria Mediterranea in Naples held an exhibition, widely commented in the local press, of three painters : De Chirico, Sciltian, and Youssoupoff. Books on De Chirico were displayed in the windows of all the bookstores. Young Dicrola then bought the monographic study by Isabella Far, Giorgio De Chirico, published by Bestetti Editore in Rome four years before. Written by the painter’s companion, this small book mostly illustrates the years in which De Chirico, adopting the motto “ Pictor classicum sum ”, freely yielded to his passion for museums, painting copies of Rubens, self-portraits, and mythological scenes in a neo-Baroque style, featuring thick brushstrokes and bright contrasting colors. The color plates in Isabella Far’s book notably reproduce some of the costumed self-portraits that the master of metaphysical art had painted since 1940, borrowing for the occasion authentic theatrical costumes from the Teatro dell’Opera in Rome. De Chirico, who painted himself wearing costumes from various periods, chose especially the ones in which the lavishness, the variety, and the richness of the fabrics, embroideries, and accessories were the best suited for working on the pictorial material.
ivant à Salerne, une petite ville du sud de l’Italie, Dicrola est éduqué par les Jésuites avant d’acquérir une formation artistique. En effet, sa mère l’inscrit à la Scuola Ceramica Salernitana, un institut qui perpétue l’ancienne tradition de l’artisanat d’art local. Mais cette discipline ne le satisfait pas : le jeune Dicrola s’intéresse plutôt à la peinture et à l’œuvre des grands maîtres. Avide de savoir, il cherche à s’introduire - malgré son jeune âge - dans les milieux artistiques et intellectuels salernitains où il se lie, en particulier, avec les frères Enrico et Geremia Paraggio. Ces derniers, bien que résidant à Salerne, se rendent quotidiennement à Naples afin d’y poursuivre leurs études. Le premier y fréquente les cours de l’académie des beaux-arts, l’autre étudie à la faculté d’architecture. Ils révèlent à Dicrola les chefsd’œuvre de l’art classique et le conseillent intelligemment quant aux moyens d’accomplir une formation de peintre en autodidacte. Le jeune Dicrola entreprend alors de réaliser des copies de tableaux célèbres, tels la Madone au chardonneret de Raphäel ou la Cène du Tintoret, afin d’en étudier les secrets de la composition autant que les schémas linéaires, les accords et les contrastes de couleur. Un jour, alors qu’il tente de manière intuitive d’utiliser le système de la mise au carreau pour construire une image, les deux frères lui révèlent l’œuvre graphique de Dürer et décident de l’initier à la perspective. Cette découverte le conduit à travailler tout particulièrement le dessin. Il rencontre ensuite le critique d’art Alberto Granese qui l’encourage à son tour, lui suggérant d’étudier les œuvres de peintres tels que Tiepolo et Magnasco.
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icrola lived in Salerno, a small city in southern Italy, where he attended a Jesuit school before undertaking to study art. Actually his mother enrolled him in the Scuola Ceramica Salernitana, an institution perpetuating the ancient tradition of the local pottery craftsmanship. But this training did not appeal to him : instead young Dicrola was interested in painting and the works of the Old Masters. Thirsting for knowledge at an early age, he sought to be admitted in the artistic and intellectual circles of Salerno. There he developed a friendship with two brothers, Enrico and Geremia Paraggio, who lived in Salerno but went to Naples every day for their studies. The former followed courses at the Academy of Fine Arts, while the latter studied at the School of Architecture. They helped Dicrola discover the masterpieces of classical art and gave him shrewd advice as to how to carry out his training as a self-taught artist. At that early date Dicrola began making copies of famous paintings, such as the Madonna and the Goldfinch by Raphael or Tintoretto’s Last Supper, analyzing the secrets of composition as well as linear outlines, color harmonies and contrasts. One day, while he was trying to use the squaring system to compose an image, the two brothers revealed to him Durer’s graphic work and decided to initiate him in perspective. This discovery led him to concentrate essentially on drawing. It was at this time that he met the art critic Alberto Granese who in turn encouraged him, suggesting he study the works of painters such as Tiepolo and Magnasco.
Dicrola - Voyage pour l’immortalité (diptyque) - 1977 - photographie sur toile émulsionnée - 92 x 122 cm - Framart Studio - Naples
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surcharge, la diversité et la richesse des étoffes, des broderies et des accessoires se prêtaient le plus à un travail sur la matière picturale. Saisi d’admiration pour le maître de l’art métaphysique, le jeune Dicrola décide de réaliser une copie de l’Autoportrait en costume du XVIe siècle exécuté en 1949 par De Chirico. Le tableau, reproduit dans une planche pleine page en couleurs de l’ouvrage, montre le maître de l’art métaphysique assis, portant avec fierté un habit à large collerette assorti d’un chapeau à panache. Le costume est d’un bleu céleste richement garni de broderies blanches. De Chirico regarde dans les yeux le spectateur, le bras droit replié, une tabatière d’un rouge franc à la main. Derrière lui, un pan de rideau rouge sombre s’ouvre sur le côté gauche, découvrant un paysage de nuages tourmentés. Toute la surface du tableau est traitée avec la même touche rapide et nerveuse, fluide et empâtée, entremêlant la couleur au noir et au blanc. Dicrola n’a que seize ans lorsqu’il s’applique à peindre sa propre copie, dans un petit format à l’aquarelle, de cet autoportrait de De Chirico. Pourquoi a-t-il choisi cette toile parmi toutes les reproductions du livre ? La signification de cet autoportrait en costume baroque de De Chirico tient dans la re-visitation du musée, dans le jeu affiché de l’artiste qui dédouble sa propre identité et dans une théâtralité ostentatoire qui transforme le geste artistique en spectacle, autant d’éléments que l’on retrouvera en leitmotiv tout au long de l’itinéraire artistique de Dicrola. En effet, dans cette toile de De Chirico, le jeune Dicrola perçoit de façon encore obscure aussi bien le brassage du passé que la mise en scène du peintre par luimême qui, se servant d’un costume, devient un personnage de théâtre sur la scène de l’histoire de l’art. Ces intuitions se développeront pleinement dans le travail de la maturité de Dicrola, à travers sa recherche inspirée du citationnisme et de la performance. Quelques mois plus tard, le jeune peintre décide d’envoyer son aquarelle à De Chirico lui-même, à Rome, afin de solliciter son approbation. Par une lettre autographe du 25 octobre 1958, le maître de l’art métaphysique lui répond : “ Estimable monsieur Dicrola, j’ai reçu, il y a quelques temps, une copie à l’aquarelle d’un de mes autoportraits en costume du XVIe siècle, avec un chapeau à plumes. Excusez-moi de ne pas vous avoir écrit plus tôt. Je ne sais pas quelles furent vos intentions lorsque vous me l’avez envoyé ; de toute façon, s’agissant d’une personne très jeune, il est fait avec soin et attention. Néanmoins, si par la suite vous voulez vous dédier à la peinture, je vous conseille de ne pas vous occuper des peintres modernes, moi y compris, mais d’étudier l’œuvre des maîtres antiques, depuis la Renaissance jusqu’à la moitié du siècle dernier. En étudier l’œuvre non seulement en
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Overcome with admiration for the master of metaphysical art, young Dicrola determined to make a copy of the Self-portrait in a Sixteenth-century Costume, executed in 1949 by De Chirico. The painting, reproduced on a fullpage color plate in the book, shows the master of metaphysical art seated, proudly wearing a costume with a wide collarette and donning a plumed hat. The garb is light blue and lavishly adorned with white embroidery. De Chirico looks the beholder straight in the eye, his right arm is bent, he holds a bright red snuff-box. Behind him, a dark red curtain is drawn open on the left side revealing a landscape of wind-swept clouds. The entire surface of the picture is treated with the same swift, nervous, flowing, and impasted stroke, blending color with the black and the white. Dicrola was just sixteen when he endeavored to paint his copy, a small-format watercolor, of this self-portrait by De Chirico. Just why did he choose this canvas out of all the reproductions in the book ? The meaning of this selfportrait in Baroque garb by De Chirico has to do with the re-visitation of the museum, the flaunted playfulness of the artist duplicating his own identity, and a displayed theatricality which turns artistic genius into a performance : all these elements will appear as leitmotifs throughout Dicrola’s artistic career. Actually in this painting by De Chirico, young Dicrola obscurely sensed the intertexture of the past as well as the staging of the painter by himself : by wearing a costume, he becomes a figure of the theatre on the stage of art history. These intuitions were fully developed in the work of Dicrola’s maturity, in his research inspired by quotationism and performance. A few months later the young painter made up his mind to send his watercolor to De Chirico himself, seeking his approval. In an autograph letter dated 25 October 1958, the maestro of metaphysical art replied : “ Honorable Mr. Dicrola, some time ago I received a watercolor copy of one of my self-portraits in a sixteenth-century costume, with a plumed hat. I apologize for not writing sooner. I do not know what your intentions were in sending it to me. Anyway, considering that its author is very young, it is done with care and attention. However, if in the future you want to devote yourself to painting, my advice to you is not to deal with modern painters, including myself, but to study the work of the Old Masters, from the Renaissance up to the middle of the last century. To study the work not merely by looking at it but by copying it, in pencil or with colors. You can do so after reproductions. Best wishes. Cordially, Giorgio De Chirico ”. This episode permanently influenced the young painter’s sensibility. First of all, it crystallized this affinity with De Chirico, experienced and expressed in the very choice
Dicrola - MusĂŠe Grevin - 1979 - photographie sur papier argentique - 18 x 24 cm - Collection privĂŠe - Paris
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la regardant mais en la copiant, au crayon ou avec des couleurs. Vous pourrez le faire d’après les reproductions. Tous mes vœux. Cordiales salutations. Giorgio De Chirico ”. Cet épisode marque à tout jamais la sensibilité du jeune peintre. Tout d’abord, il cristallise cette affinité vis-à-vis de De Chirico ressentie et exprimée à travers le choix même de l’œuvre : un autoportrait de la période post-métaphysique du peintre. Ensuite, il inaugure une posture citationnelle, ici adoptée par son geste même, la copie étant la première forme de la citation. Enfin, à travers le conseil du vieux maître qui l’incite à regarder vers le passé, à puiser dans l’œuvre des antiques plutôt qu’à s’identifier à la modernité et à l’avantgarde, Dicrola reçoit en fait une confirmation de sa démarche artistique. Galvanisé par cette lettre, le jeune Dicrola est à présent déterminé à consacrer sa vie à l’art, à devenir un artiste. L’année suivante, accompagné par sa mère, il se rend au Sanctuaire de San Gerardo Maiella à Materdomini, situé à une centaine de kilomètres de Salerne, afin de demander à son saint protecteur de l’aider à réussir son destin d’artiste. Le culte de saint Gérard est particulièrement vivant dans cette région du sud de l’Italie, où le saint est né au XVIIIe siècle et où se trouve l’institut des rédemptoristes qui l’accueillit. La basilique du sanctuaire est toute en fresques, marbres polychromes, stucs, ors, vitraux historiés, lampes votives. Le jeune Dicrola est fasciné par cette profusion de formes et de couleurs. Les pèlerins habituels déposent des bouquets de fleurs sur un splendide autel baroque en marbre blanc, devant l’urne qui conserve la relique du saint. Au lieu des fleurs, Gerardo Dicrola dépose un crayon, son instrument de travail comme artiste, et demande au saint de le protéger et de l’aider dans sa quête artistique. On sait qu’un épisode à peu près identique fera partie de la biographie d’Yves Klein. En effet, l’art et la foi partagent le même mystère, exigeant tous deux l’impondérable d’une vocation et d’un état de grâce. Ses études terminées, Dicrola obtient en 1960 un poste de « directeur artistique » aux ateliers de l’entreprise Ceramica Artistica Ginella, à Salerne. Peu après, il commence à exposer ses tableaux car il veut toujours réussir en tant que peintre. Il s’immerge surtout dans le climat effervescent de l’époque, marquée par l’engagement politique et les nouvelles recherches d’avant-garde. Dicrola participe aux manifestations artistiques pour la paix et pour la liberté, se révélant déjà d’un tempérament contestataire. Il s’intéresse tant à la peinture qu’au cinéma expérimental car il entend explorer les relations entre « l’art et l’espace visuel ». En 1964, insatisfait, il démissionne de son travail et vient à Paris pour un séjour de trois mois. Mais, ne visitant que les galeries de la rue Saint-Honoré, il n’est confronté qu’à
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of the work : a self-portrait of the painter’s post-metaphysical period. And then, it originated a quotationist attitude, chosen here for the gesture itself, copy being the first form of quotation. Last of all, the advice of the aging master, who encouraged him to look toward the past, to draw from the work of the Old Masters rather than seeking to identify himself with modernism and the avant garde, actually provided Dicrola with a confirmation of his own artistic approach. Thrilled by this letter, young Dicrola then determined to devote his life to art, to become an artist. The following year, accompanied by his mother, he went to the Sanctuary of San Gerardo Maiella a Materdomini, located a hundred or so kilometers from Salerno, to ask his patron saint to help him succeed in fulfilling his destiny as an artist. The worship of Saint Gerardo is particularly intense in this region of southern Italy where the saint was born in the eighteenth century, and where the Redemptorists’ institution where he was admitted is located. The sanctuary basilica is enhanced with frescoes, polychrome marbles, stuccoes, gold work, storied stained-glass windows, votive lamps. Young Dicrola was fascinated by the profusion of forms and colors. Most pilgrims placed bouquets of flowers upon a magnificent white marble Baroque altar in front of the urn containing the relic of the saint. Instead of flowers, Gerardo Dicrola offered a pencil, his working tool as an artist, asking the saint to protect him and assist him in his quest for art. We know that a nearly identical episode can be found in Yves Klein’s biography. Indeed, art and faith participate in the same mystery, since they both require the imponderable of a vocation and a state of grace. After completing his studies, Dicrola was engaged as “ artistic director ” in the workshops of the Ceramica Artistica Ginella, a company in Salerno. Shortly after this appointment, he began to exhibit his paintings, still determined to succeed as a painter. He was steeped in the effervescent mood of the time, marked by political commitment and the new avant-garde experiments. Dicrola took an active part in the artistic demonstrations for peace and freedom, already flaunting his anti-establishment temperament. His interests focused on painting as much as on experimental film-making, as he sought to explore relationships between “ art and visual space ”. In 1964, restive, he quit his job and came to Paris for a threemonths stay. However, since he only visited the galleries on the Rue Saint-Honoré, all he ran into was “bourgeois” painting, whereas his militant, provocative temperament urged him to seek more stimulating discoveries. Thoroughly disappointed, he returned to Salerno, Paris not having offered him anything to satisfy his longing to discover innovative experiences.
la peinture bourgeoise, alors que son tempérament militant et provocateur l’inciterait à des découvertes plus excitantes. Déçu, il retourne à Salerne, Paris ne lui ayant rien offert pour assouvir son envie de vivre des expériences novatrices. À cette époque, l’Italie est traversée par une plus grande envie de renouvellement. Le mouvement contestataire des étudiants fait des universités autant de lieux d’agitation idéologique, le débat politique est attisé par la guerre du Viêt-Nam, la vie culturelle subit une accélération par la naissance du Groupe 63 et des néo-avant-gardes. Le Pop Art américain est à l’honneur car Robert Rauschenberg vient de recevoir le premier prix à la Biennale de Venise. Les tendances du matiérisme informel, de l’art objectal, du New Dada, de l’art technologique et de ce qu’on appellera bientôt l’Arte Povera sont représentées par des artistes comme Burri, Fontana, Manzoni, Schifano, Festa, Lo Savio, Kounellis, Pascali, qui jouissent d’une reconnaissance nationale, voire internationale. L’objectalité du Pop Art attire en premier le jeune Dicrola. S’appropriant une trouvaille formelle de Rauschenberg - par ailleurs déjà pratiquée par Burri -, Dicrola réalise des tableaux-objets où il place uniquement une fermeture éclair sur la toile. Il participe alors à des expositions de groupe à la galerie La Seggiola de Salerne, ce qui lui donne en même temps la possibilité de se confronter à d’autres recherches. En 1967, il expose à la Biennale de Salerne le tableau Flash Renaissance, une œuvre étrange qui révèle déjà, bien que de façon encore embryonnaire, son imaginaire d’artiste. Sur une toile parfaitement carrée, il a peint un cercle en y insérant des fragments, eux-mêmes découpés de façon circulaire, de deux tableaux célèbres : le Tondo Doni de Michel-Ange et la Vierge à la chaise de Raphaël. Il s’agit d’une mise en abyme : en effet, ces œuvres de la Renaissance sont toutes deux déjà peintes selon un format circulaire. En outre, toutes deux sont pourvues d’un cadre imposant, en stuc sculpté et patiné en or, d’époque. Dicrola a utilisé des couleurs métalliques, privilégiant en particulier le rouge, l’or et le vert, et a peint les fragments à l’intérieur et sur les bords extérieurs du cercle. L’idée de citation, pointée par le titre même du tableau, s’accompagne d’une répétition différenciée des fragments. Le tableau invite à une analyse de la mythologie du chef-d’œuvre et de sa matérialité. Dicrola restitue en effet le caractère d’image-culte obsessionnelle du chef-d’œuvre, qui devient un « flash » en termes de mémoire visuelle, mais aussi cette circularité et cet éclat fastueux des cadres dorés et sculptés qui marquent la perception de ces deux tableaux. L’œuvre Flash Renaissance, qui remporte le premier Prix de la biennale, inscrit dans l’itinéraire du jeune artiste une approche de l’art non pas comme une opération de style
Italy at the time was seething with a growing desire for renewal. The student protest movements turned the universities into countless places of ideological unrest, the political debate was stoked by the Vietnam war, cultural life was stimulated by the birth of the “ Groupe 63 ” and the neo-avant gardes. American Pop Art was on the fore after Robert Rauschenberg won the first prize at the Venice Biennial. The trends of informal matiérisme, Objectal Art, New Dada, technological art, and what would soon be dubbed Arte Povera were represented by artists like Burri, Fontana, Manzoni, Schifano, Festa, Lo Savio, Kounellis, Pascali, all well known in Italy and even abroad. Young Dicrola was first attracted to Pop Art, with its objectal aspect. Borrowing one of Rauschenberg’s formal inventions, actually already experimented by Burri, Dicrola created object-paintings where he simply placed a zipper on the canvas. He then participated in group exhibitions at the gallery La Seggiola in Salerno, which at the same time gave him the opportunity to confront other experiments. In 1967 at the Salerno Biennial he exhibited the picture Flash Renaissance, a strange work that already at the time, although in an embryonic stage, revealed his artistic imagination. On a perfectly square canvas, he painted a circle in which he introduced fragments, also cut out in circular shapes, of two famous paintings : the Doni Tondo by Michelangelo and Raphael’s Virgin with the Chair. A mise en abyme : indeed both of these Renaissance works are already painted in a round format. In addition, they both feature an impressive carved and gilt stucco period frame. Dicrola used metallic colors, especially privileging red, gold, and green, and painted the fragments inside the circle and on its outer edges. A differentiated repetition of the fragments underscores the quotation idea, emphasized by the title of the
Dicrola - de La Tour (citation) - 1970 - huile sur toile - 27 x 34,5 cm Collection privée - Bruxelles
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Dicrola - Sculpture minimale (l’artiste avec le peintre Carlo Caso) 1969 - bois et polyester - 160 x 50 cm - Collection privée - Salerne
ou une création de nouvelles images, mais plutôt comme une manipulation décalée des chefs-d’œuvre qui font déjà partie du patrimoine collectif, en tant que spécimens d’une culture figurative dont ils ont fixé le goût et les paramètres esthétiques. L’œuvre naît ainsi en fonction d’une distance critique qui implique un choix radical : l’art doit se constituer d’abord par une interrogation sur l’art lui-même. Après le travail révolutionnaire des avant-gardes historiques et à l’aube de la civilisation de l’image engendrée par les mass media technologiques, l’artiste ne peut plus se réclamer d’une innocence qui poserait son geste créateur comme un acte spontané ou inspiré se réclamant des sources de l’inconscient ou des pulsions irrationnelles d’une simple et impérieuse exigence d’expression. Au contraire, l’art implique maîtrise et analyse. L’œuvre de Dicrola ne se départira jamais d’une dimension à la fois conceptuelle et analytique visant à exclure toute jouissance purement sensorielle ou sentimentale de l’art. Dicrola poursuit en même temps d’autres recherches. L’année suivante, il fait des compositions géométriques, puis il s’essaye à la sculpture en réalisant Sculpture minimale,
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picture. The painting is an invitation to analyze the myth of the masterpiece and its materiality. Dicrola actually renders the character of the obsessive cult-image of the masterpiece, which becomes a “ flash ” in terms of visual memory, but also the circularity and the lavish glow of the gilt carved frames which characterize the perception of these two paintings. The work Flash Renaissance, that won the first prize of the Biennial, introduced in the youthful artist’s evolution an approach to art which was neither a stylistic operation nor the creation of new images. Instead it was an out-of-phase manipulation of masterpieces that already belong to the collective patrimony as specimens of a figurative culture, of which they founded the taste and aesthetic parameters. In this way, the work arises from a critical distance implying a radical choice : art must begin by questioning art itself. After the revolutionary effort of the historical avant gardes and at the dawn of the civilization of the image generated by the technological mass media, the artist can no longer appeal to an innocence that would present his creative gesture as a spontaneous or inspired act calling upon the resources of the unconscious
Dicrola - de La Tour (citation) - 1970 - huile sur toile - 41,5 x 33,5 cm - Collection privĂŠe - Bruxelles
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Dicrola - The anti museological contamination - 1979 - intervention sur carte postale - 15 x 10 cm - Collection privée - Paris
deux forces immobiles, une œuvre cinétique en bois et polyester. Deux structures linéaires noires se déploient dans l’espace dans deux directions opposées, parcourant une même diagonale comme deux forces égales et contraires. Au centre de cette structure et placée comme un pivot, une sphère couleur orange tourne sur elle-même, actionnée par un courant électrique. Ce n’est pas l’expérience du cinétisme qui intéresse le jeune artiste, puisque l’œuvre ne repose sur aucune conception gestaltique, mais assurément une démarche capable de conférer à l’art la rigueur d’une dimension scientifique. L’œuvre obéit en effet au principe d’une identité formelle nullement perturbée ou modifiée par le mouvement. La forme est définie une fois pour toute, s’opposant ainsi au cinétisme ludique, aléatoire ou manipulable des diverses tendances de l’art objectal qui ont suivi l’avènement du Pop Art. Cette aspiration à légitimer l’œuvre par une approche rappelant une modélisation « scientifique » sera une autre constante du travail de Dicrola. En 1968, Dicrola retourne à Paris, sans savoir que ce second séjour qu’il envisage à nouveau comme provisoire se transformera en une véritable décision de s’installer
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or the irrational impulse of a simple, imperious need for expression. On the contrary, art requires mastery and analysis. Dicrola’s work will never depart from a both conceptual and analytical dimension, aimed at excluding any purely sensorial or sentimental enjoyment of art. Concurrently Dicrola pursued other experiments. The following year, he did geometric compositions, then he made a try at sculpture, creating Minimal Sculpture, Two Immobile Forces, a kinetic work made of wood and polyester. Two black linear structures unfold in space in two opposite directions, following the same diagonal like two equal and contrary forces. At the center of this structure and placed like a pivot, an electricity-driven orange-colored sphere revolves. What interested the young artist is not the experience of kinetism, since the work is not founded in a Gestalt conception, but is doubtless a process able to confer on art the rigor of a scientific dimension. Indeed the work obeys the principle of a formal identity, neither disturbed nor altered by motion. The form is defined once and for all, thus differing from the playful random or manoeuvrable kinetics of the various trends of Objectal Art that succeeded the advent of Pop Art. This aspiration
Dicrola - The anti chirurgical contamination - 1979 - intervention sur carte postale - 15 x 10,3 cm - Collection privĂŠe - Paris
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définitivement dans la capitale française afin d’y accomplir sa vie d’artiste. Plus prévoyant, il possède cette fois divers laissez-passer, dont un se révélera particulièrement efficace : le directeur de la galerie La Seggiola de Salerne lui a demandé de contacter, afin d’établir des échanges commerciaux d’œuvres, le directeur de la Galerie de France, à Paris. Ce dernier, l’italien Gildo Caputo, homme de grande culture, lui offre de précieux conseils et l’introduit dans les milieux artistiques parisiens, à commencer par celui que composent les artistes italiens vivant dans la capitale française. Dicrola rencontre alors Lucio del Pezzo et Guido Biasi, deux artistes qui, après avoir fondé le Groupe 58 à Naples, participant ainsi à la dernière phase de l’informel postsurréaliste, se sont établis à Paris. Del Pezzo, qui a relevé l’atelier parisien de Max Ernst, réalise des tableaux-objets en juxtaposant, comme dans un présentoir, des éléments en bois peint, inox et plexiglas. Ses compositions ont une tonalité particulière, associant le New Dada, le Pop Art et l’art métaphysique en fonction d’un puzzle qui semble ouvert à la narration symbolique. Dicrola devient dès 1969 son assistant. Mais il s’intéresse également à l’œuvre de Biasi qui élabore alors le cycle des « Mnémothèques » en faisant court-circuiter, dans une veine post-surréaliste, des images de la mémoire subjective et des images de l’art renaissant ou baroque. En prolongeant ses propres recherches débutées à Salerne, Dicrola peint des œuvres citationnistes avec lesquelles il veut proposer une « analyse froide » de la technique sousjacente aux tableaux afin de casser toute approche idéalisée de l’image. Il s’approprie des œuvres vénérées comme des reliques de l’art, tels le Saint Joseph charpentier de Georges de La Tour ou la Joconde de Léonard De Vinci. Ses copies de maîtres se caractérisent par un durcissement des tons et une simplification de la composition visant à donner une patine d’artificialité à tout le tableau. Dicrola veut montrer l’œuvre sous l’aspect « facturel », en tant que travail manuel du peintre en fonction de la texture, des matériaux et des éléments plastiques. Dans le même esprit, il choisit parfois un détail anodin de l’œuvre, refusant ainsi le foyer narratif et symbolique du tableau, c’est-à-dire précisément ce qui l’a rendu célèbre. Par exemple, pour le Saint Sébastien soigné par Irène de De La Tour, Dicrola retient uniquement les visages des servantes, les isolant au milieu d’une toile laissée en réserve et soigneusement quadrillée au crayon. Suivant cette stratégie de démystification du culte idéaliste du chefd’œuvre, il va jusqu’à recourir aux armes de l’ironie corrosive : il recopie les visages de L’adoration des bergers de De La Tour, caractérisées par la concentration silencieuse et inspirée de leurs regards. Par substitution d’un détail, il ne les montre pas attirés par l’enfant divin, mais par un poulet
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to legitimate the work by a process recalling a “ scientific ” modeling would become another constant in Dicrola’s work. In 1968 Dicrola returned to Paris. At the time he did not realize that this second stay, which he planned as temporary, would develop into the serious decision to settle permanently in the French capital to carry out his life as an artist. This time he was more provident and came with several introductions, one of which would turn out to be particularly worthwhile : the director of the gallery La Seggiola of Salerno asked him to contact the director of the Galerie de France in Paris so as to establish commercial exchanges of works. The latter, the Italian Gildo Caputo, a man of vast culture, gave him precious advice and introduced him to Parisian artistic circles, to begin with that of the Italian artists living in the French capital. Dicrola then met Lucio del Pezzo and Guido Biasi, two artists who, after founding the Group 58 in Naples, thereby participating in the final phase of post-surrealist informal art, settled in Paris. Del Pezzo, who refurbished Max Ernst’s Parisian studio, made object-paintings by juxtaposing, like in a display case, elements in painted wood, stainless steel, and Plexiglass. His compositions have a special tone, combining New Dada, Pop Art, and metaphysical art, forming a puzzle which appears to lend itself to a symbolical narration. In 1969 Dicrola became his assistant. But he was also interested in the work of Biasi, who at the time was elaborating his cycle of “ Mnémothèques ”, creating short-circuits in a surrealist vein between the images of subjective memory and images of Renaissance or Baroque art. In pursuing his own experiments begun in Salerno, Dicrola painted quotationist works whereby he sought to propose a “ cold analysis ” of the technique underlying the paintings, disrupting any kind of idealized approach to the image. He appropriated works venerated as relics of art, such as the Christ with Saint Joseph in the Carpenter’s Shop by Georges de La Tour or Leonardo’s Mona Lisa. His copies of the Old Masters are exemplified by a hardening of the tones and a simplification of the composition aimed at giving a patina of artificiality to the entire picture. Dicrola wished to show the work from the point of view of its “ treatment ”, as the painter’s craftsmanship in terms of texture, materials, and plastic features. In the same vein, he sometimes picked an insignificant detail of the work, thus denying the narrative and symbolic core of the painting, that is, precisely what made it famous. For instance, for the Saint Sebastian Nursed by Irene by De La Tour, Dicrola kept only the faces of the servants, isolating them in the middle of a reserved canvas, carefully squared in pencil. Pursuing this strategy aimed at demystifying the idealistic worship of the masterpiece, he even called upon the weapons of a corrosive irony : he recopied the faces of the Adoration of the Shepherds
rôti. Il dénature l’image pour mieux montrer l’ambiguïté de son contenu iconique. Autrement dit, pour lui, la peinture doit être analysée non comme une image fabulatrice mais comme une peinture. La plupart du temps, dans ces copies démystifiées de tableaux célèbres, il superpose à l’image des séries numériques et alphabétiques, ainsi qu’une barre d’étalonnage avec la gamme des couleurs et un obturateur d’appareil photographique. Il fait allusion à la construction de la composition par le biais de la quadrature de l’espace de la toile, ainsi qu’à l’idée de l’image devenue un simple flash, c’est-à-dire vision immédiate et organique d’une représentation de la réalité. En même temps, l’œuvre naît par une confrontation avec l’art du passé, elle se veut un acte de relecture analytique dont l’enjeu est l’art lui-même, son pouvoir d’expression et les conditions matérielles de son langage. Le choix de la toile émulsionnée, un médium découvert par le Pop Art et radicalisé par le Mec Art, correspond chez lui à cette volonté de promouvoir une approche purement perceptive de l’image en termes de réflexion sur le rôle de l’art dans la formation d’une culture visuelle qui accompagne toute conception du réel et du monde.
by De La Tour, exemplified by the silent, inspired concentration of their gazes. By the substitution of a detail, he did not show them drawn to the divine Child, but to a roast chicken. He deformed the image the better to demonstrate the ambiguity of its iconic content. In other words, for him, painting should be analyzed, not as a story-telling image but as a painting. Most of the time, in these demystified copies of famous paintings, he overlays on the image series of numbers or of letters of the alphabet, as well as a color scale gradient bar and a camera shutter. He is alluding to the fact that the composition is formed by squaring the space of the canvas, and that the notion of the image becomes a mere flash, that is, the immediate, organic vision of a representation of reality. At the same time, the work arises from a confrontation with the art of the past, it endeavors to be an act of analytical re-interpretation, the stakes of which are art itself : its power of expression and the material conditions of its language. The choice of the emulsified canvas, a medium discovered by Pop Art and radicalized by Mec Art, in his case relates to his determination to promote a purely perceptive approach to the image, envisaged as a reflection on the role played by art in modeling a visual culture that is inseparable from every conception of reality and the world.
Parallèlement à cette première période d’activité artistique, il parachève son établissement au sein de la vie culturelle parisienne. En effet, Dicrola fréquente les vernissages et les conférences de l’A.R.C. organisées par Pierre Gaudibert, aimant même y jouer le rôle du provocateur lors des débats publics. En outre, grâce à ses origines italiennes, il assume dès 1970 la tâche de « représentant à l’étranger » des Incontri Internazionali d’Arte qui se déroulent à Salerne, sous l’égide de ses deux amis le peintre Carlo Caso et le critique d’art Alberto Granese. Ce rôle d’organisateur d’expositions à Salerne lui donne la possibilité de rencontrer Boltanski, Titus-Carmel, Klasen, César, Fromanger, etc. dont il envoie les œuvres en Italie. Il adhère en même temps à l’Association des Peintres et Sculpteurs Italiens qui résident en France, participant à toutes les expositions du groupe. En 1971, l’association est invitée à présenter une œuvre collective la VIIe Biennale de Paris dont le commissaire général est Georges Boudaille. Avec Gianmarco Montesano, Adalberto Mecarelli et quelques autres, Dicrola conçoit M13-Chemin vert, sorte de vaste labyrinthe de 100 m2, structuré grâce à des modules peints en vert. Il s’agit d’une œuvre environnementale et interactive, se voulant écologiste avant la lettre, qui propose un « voyage dans le vert » contre le béton qui envahit les villes. Dicrola rédige même le texte de présentation de l’œuvre, mais il décide ensuite de ne pas se rendre au vernissage de la biennale, se refusant soudain à assumer la paternité de l’œuvre. En effet, sa recherche a déjà pris une orientation bien plus personnelle.
During this first period of artistic activity, he asserted his presence on the Parisian cultural scene. Dicrola attended openings and the A.R.C. lectures organized by Pierre Gaudibert, even delighting in playing the part of the provocateur during public discussions. In addition, thanks to his Italian birth, in 1970 he began to take over the role of “ representative abroad ” of the “ Incontri Internazionali d’Arte ” which were held in Salerno, directed by his two friends, the painter Carlo Caso and the art critic Alberto Granese. As organizer of exhibitions in Salerno, he was given the opportunity to meet Boltanski, Titus Carmel, Klasen, César, Fromanger, etc., whose works he sent to Italy. At the same time he joined the Association of Italian Painters and Sculptors residing in France, participating in all the exhibitions of the group. In 1971, the association was invited to present a collective work at the VII Paris Biennial, whose general commissioner was Georges Boudaille. With Gianmarco Montesano, Adalberto Mecarelli, and a few others, Dicrola designed M13-Green Path, a sort of huge labyrinth measuring 100 square meters, structured with modules painted green. An environmental, interactive work, it aimed at being ecological before the word existed, proposing a “trip into greenery”, as a protest against concrete that was taking over the cities. Dicrola even wrote the presentation essay to the work, but then he decided not to attend the opening of the Biennial, suddenly denying the paternity of the work. As a matter of fact, his own research had already taken a far more personal direction.
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Dicrola - Analyse : de la Tour - 1971 - huile sur toile - 73 x 60 cm - Collection privée - Paris
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n mars 1970, Dicrola s’installe dans son premier atelier parisien, rue Valette, près du Panthéon, dans un Quartier Latin encore imprégné de l’atmosphère qui a suivi Mai 68. Le climat artistique est alors enfiévré et ouvert aux changements les plus rapides. La redécouverte des avant-gardes historiques, notamment du futurisme et de son programme se réclamant d’un « art-vie-action », s’accompagne des idées contestataires qui, inspirées de la philosophie d’Herbert Marcuse, combattent la société de consommation et les valeurs idéalistes de l’art bourgeois. Invoquant le pouvoir émancipateur de l’imagination, la révolte étudiante a posé la nécessité d’une nouvelle sensibilité à la dimension ludique, appelant à une esthétique en révolte contre la raison répressive, les institutions sociales et l’économie de marché. Par son rôle critique et par sa tension utopique, l’art participe à la libération de l’homme face à la logique du profit et aux mécanismes d’asservissement de la société aliénée par le capitalisme et par le mythe des biens de consommation. Cette atmosphère, faite d’engagement idéologique et de militantisme révolutionnaire, pousse Dicrola à écrire des proclamations théoriques et à concevoir des œuvres extrêmes. Il fait sien le slogan « Contre la marchandisation de l’art », exigeant un art hédonique, capable de s’insérer dans la vie et de répondre à l’immédiateté de l’existence. Son manifeste De la scatologie à l’eschatologie, daté du 3 mai 1970,
Dicrola - Sperme congelé pour un futur fils en 2700 - 1970 - photographie sur toile émulsionnée - 33 x 32 cm - Collection privée - Paris
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n March 1970 Dicrola settled in his first Parisian studio in Rue Valette near the Panthéon. The Latin Quarter was still immersed in the post-May ’68 atmosphere. The artistic scene was bustling and swept up by swift changes. The historic avant gardes were being rediscovered, notably Futurism and its program claiming to adhere to “ art-life-action ”, while ideas of dissent inspired by Herbert Marcuse’s philosophy were in the air, challenging consumer society and the idealistic values of bourgeois art. Clamoring for the emancipating power of imagination, the student protest called for a new awareness of the ludic dimension, appealing to an aesthetics of revolt against repressive rationality, social institutions, and the market economy. Art, by its critical role and its utopian tension, takes part in the liberation of man faced with the logic of profit and the mechanisms of subjugation of society, alienated by capitalism and the myth of consumer goods. This mood, combining ideological commitment and revolutionary militancy, roused Dicrola to write theoretic proclamations and invent far-out works. He adopted the slogan “ Against the merchandizing of art ”, calling for a hedonistic art, able to be part of life and respond to its immediacy. His manifesto From scatology to eschatology, dated 3 May 1970, affirmed the primacy of the live act over the work placed in a museum. He believed that culture is not a matter of books and pictures : “ We should celebrate the body as a positive experience ”. His experiments claimed to follow a neo-Futurism, associated with the spirit of someone like Piero Manzoni with his happenings and provocations. Dicrola conceived the work Futurist Poetics, that is, a project based on the conservation of “ frozen sperm for my future son in 2700 ”. In the spirit of Giacomo Balla’s famous assumption, he claimed to be a reincarnation of Leonardo da Vinci, great experimenter of the laws of physics and the cosmos. In this way, in a preparatory drawing of this project, printed on emulsified canvas, he took the Renaissance painter’s sketchbooks as his model, illustrating and describing in detail the various phases of this experiment of genetic speculation, the sperm supposedly to be reactivated some five hundred years after being frozen. At the time Dicrola began to perform his first spectacular, playful happenings, most of which were immediately photographed, transposed onto emulsified canvas, and partly hand-colored to underscore some details. His happening My Breath in a soap bubble, ephemeral song merely consisted in blowing soap bubbles in the Bois de Boulogne to prove the utter vanity of creation and the artistic object. What matters is the mutability, the lightness, and the impermanence of the form, even if it assumes the perfection of the sphere. This action was expressed by a photograph on emulsified canvas
est une affirmation de la primauté de l’acte vivant sur l’œuvre confiée au musée. Il estime que la culture n’est pas une affaire de livres et de tableaux : « Il faut célébrer le corps comme expérience positive ». Ses recherches se réclament d’un néofuturisme associé à l’esprit du happening et aux provocations d’un Piero Manzoni. Il conçoit l’œuvre Poétique futuriste, soit un projet reposant sur la conservation de « sperme congelé pour mon fils futur en 2700 ». Selon la célèbre posture de Giacomo Balla, il se veut une réincarnation de Léonard de Vinci, grand expérimentateur des lois de la physique et du cosmos. Ainsi, dans un dessin préparatoire de ce projet, imprimé sur toile émulsionnée, il illustre et décrit en détail, selon le modèle des carnets du peintre de la Renaissance, les différentes phases de cette expérience de spéculation génétique, le sperme devant être réactivé quelque cinq cents années après avoir été congelé. Dès cette époque, Dicrola réalise ses premiers happenings spectaculaires et ludiques dont la plupart donnent aussitôt lieu à des photographies transférées sur toile émulsionnée et partiellement coloriées à la main pour en souligner certains détails. Son happening Mon souffle dans une bulle de savon, chant éphémère revient tout simplement à lancer des bulles de savon dans le bois de Boulogne pour démontrer la vanité absolue de la création et de l’objet artistique. Ce qui compte, c’est la mutabilité, la légèreté et la caducité de la forme, même si elle suppose la perfection de la sphère. Cette action se traduit par une photographie sur toile émulsionnée aux bulles coloriées de jaune. Suivront d’autres happenings, comme Libération, ou encore Le Roi des avions. L’action du premier consiste à s’enfermer dans un rouleau de papier pour en sortir ensuite de façon fœtale, alors que le second est réalisé en lançant en plein air des avions en papier au nom d’un « retour à l’enfance ». À chaque fois, si l’artiste s’applique à « faire corps avec l’œuvre vivante », l’image photographique n’en assume pas moins la trace du geste, en produisant l’indispensable corporalité de l’œuvre. Dicrola s’introduit toujours plus dans la vie artistique parisienne ponctuée par les Salons, les conférences et les débats d’idées, alors dominés par des ouvrages de référence, tels Œuvre ouverte d’Umberto Eco ou Tristes Tropiques de Claude Lévi-Strauss. Le premier l’introduit au statut polysémique de la création artistique contemporaine, alors que le second lui permet de réfléchir à la différence entre pensée scientifique et pensée primitive. Mais il se montre indifférent au principe du « bricolage » qui, selon l’ethnologue, correspond à la logique d’une pensée concrète et créatrice à la fois. Dicrola maintient par ailleurs ses contacts avec l’Italie, s’intéressant à l’éclosion de l’Arte Povera sur la base d’un autre débat d’idées qui s’inspire d’ouvrages
Dicrola - Mon souffle dans une bulle de savon (performance) - 1971 - aniline et photographie sur toile émulsionnée - 60 x 47 cm - Collection privée - Paris
with the bubbles hand-colored in yellow. Other happenings followed, such as Liberation, or else The King of Airplanes. In the first he wrapped himself inside a roll of paper and then came out of it in the manner of a fetus, while the second was performed by throwing paper airplanes in the air in the name of a “ return to childhood ”. Each time, while the artist would strive to “ be one with the live work ”, the photographic image would nonetheless bear the trace of the gesture, producing the indispensable corporality of the work. Dicrola was increasingly involved in the Parisian artistic scene, ruled by Salons, lectures, and ideological debate, monopolized at the time by influential works such as Umberto Eco’s Open Work or Sad Tropics by Claude Lévi-Strauss. The former introduced him to the polysemic status of contemporary artistic creation, while the latter inspired him to think about the difference between scientific thought and primitive thought. But he was indifferent to the principle of “ bricolage” which, according to the ethnologist, represents the logic of both concrete and creative thinking. Besides, Dicrola kept up his contacts with Italy, interested in the rise of Arte Povera, based on another ideological debate arisen from books like John Dewey’s Art as Experience. Confirming the tendency to go beyond the picture that exemplified the international artistic scene, Arte Povera proposed an Objectal Art founded on the tangible and poetic perception of assemblages of
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tel L’art comme expérience de John Dewey. Confirmant la tendance au dépassement du tableau, qui caractérise alors la situation artistique internationale, l’Arte Povera propose un art objectal axé sur la perception sensible et poétique d’assemblages de matériaux quotidiens, naturels ou formatés. En revanche, au sein du contexte culturel parisien, Dicrola suit en particulier le débat antagoniste qui s’établit entre les tenants de l’Art informel, dont la poétique valorise le geste spontané de l’artiste et les propriétés physiques des matériaux, et les partisans d’un Post-minimalisme européen capable de répondre aux tendances provenant des États-Unis, comme l’Anti-Form, l’Art conceptuel et le Process Art. Les travaux des artistes de l’Anti-Form sont caractérisés par le recours à des matériaux tels le feutre ou le latex qui entraînent l’abandon de toute dimension fixe et statique de l’œuvre, celle-ci devenant aléatoire et transformable, voire périssable. L’Art conceptuel, qui mène jusqu’à ses dernières conséquences le réductionnisme minimaliste, revendique une vision intellectuelle de l’art censée impliquer son immatérialité. Les artistes conceptuels proclament en effet l’inutilité du produit artistique comme réalisation concrète et objet fini. Ils préconisent un art mental, voire philosophique, qui invite le destinataire à conduire sa propre expérience cognitive. Le Process Art traverse ces différentes tendances, se voulant une résolution esthétique qui oppose à l’art conçu comme résultat ordonné et composé d’une œuvre, une approche processuelle qui inscrit le travail de l’artiste dans un devenir. En effet, pour le Process Art, la création tient plutôt d’un contexte d’idées, d’un projet ouvert sur diverses possibilités. Le destinataire y est directement connecté afin de participer aux choix qui président à l’émergence d’une création appréhendée comme work in progress, procédé de fabrication, événement ou expérience. La posture fondamentale qui réunit toutes ces orientations est le refus de l’objet d’art comme produit de consommation. L’adhésion de Dicrola à cette profonde remise en question de l’art comme icône intemporelle, durable et statique, s’exprime par les actions et les happenings par lesquels il veut faire de l’acte créateur un simple événement transitoire au sein de la vie. Il intervient ainsi au Salon des Grands et Jeunes d’aujourd’hui, qui se tient en juin 1972 sous les voûtes du Grand Palais, accomplissant des « appropriations des lieux » qu’il fait photographier pour en tirer ensuite des images sur toile émulsionnée. Ces toiles restituent la vérité du vécu, c’est-à-dire le happening réalisé, lui conférant la dimension idéologique d’un programme qui vise à dématérialiser l’art et à instaurer une véritable démocratisation des pratiques artistiques. Dicrola improvise des actions contestataires dans les galeries et se réclame de l’abolition de l’art perçu comme une « chose mentale », à la manière de Kosuth
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everyday objects, either natural or formatted. On the other hand, within Parisian cultural circles, Dicrola closely followed the conflicting debate sprung up between the followers of Informal Art, whose poetic theory valorizes the spontaneous gesture of the artist and the physical properties of the materials, and the partisans of a European Post-minimalism able to challenge the trends coming from the United States, like Anti-form, Conceptual Art, and Process Art. The works by the Anti-Form artists feature the use of materials such as felt or latex, that cause the work to lose any kind of set and static dimension, becoming random and transformable or even perishable. Conceptual Art, which takes minimalist reductionism to its ultimate consequences, claims an intellectual vision of art supposedly entailing its immateriality. Actually Conceptual artists proclaim the uselessness of the artistic product as concrete realization and finished object. They advocate a mental, even philosophical, art that invites the user to conduct his own cognitive experiment. Process Art crosses these different tendencies, aspiring to be an aesthetic resolution : to art conceived as an ordered, composed result of an oeuvre, it opposes a procedural approach inscribing the artist’s work within a becoming. Indeed, for Process Art creation has to do with a context of ideas, a project open onto several possibilities. The user is directly involved so as to share in the choices that preside the arising of a creation perceived as a work in progress, a fabrication process, an event, or an experience. The essential attitude connecting these orientations is the rejection of the work of art as a consumer product. Dicrola’s embracing of this profound challenge to art as a timeless, lasting, and static icon, was expressed in actions and happenings whereby he sought to make the creative act a mere transitory event in the midst of life. In this way he intervened at the Salon des Grands et Jeunes d’Aujourd’hui, held in June 1972 under the domes of the Grand Palais, accomplishing “ appropriations of places ” that he photographed and then developed on emulsified paper. These canvases restore the truth of the live experience, that is, the executed happening, giving it the ideological dimension of a program aimed at dematerializing art and setting up an authentic democratization of artistic practices. Dicrola improvised actions of protest in galleries and called for the abolition of art perceived as cosa mentale, in the manner of Kosuth rereading Leonardo da Vinci. He believed that the written document or a mere documentary photograph should replace the painted picture.
Dicrola - Projet pour une occupation d’espace réel (bloc de glace) - 1973 - aniline et montage photographique sur papier - 21 x 30 cm -Collection privée - Paris
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relisant Léonard de Vinci. Il pense donc que le document écrit ou la simple photographie documentaire doivent remplacer le tableau peint. Maints artistes utilisent à cette époque l’assemblage et autres formes de recharge sémantique de l’objet, séduits qu’ils sont par la notion de « bricolage » alors étudiée par Lévi-Strauss. Ce dernier a en effet différencié deux modes de connaissance : la « pensée sauvage » s’exprime à travers la figure du bricoleur qui tisse de nouvelles relations signifiantes entre les objets concrets du monde, tandis que la « pensée scientifique » vise à expliquer le réel et à maîtriser ce monde. Dicrola écarte l’idée de « bricolage » car il est davantage séduit par l’approche scientifique ou du moins par une démarche analytique et cognitive qu’il veut partager avec le destinataire de son œuvre. Dès cette première phase de sa recherche, il se passionne pour Léonard de Vinci. Il voudrait réaliser un court-métrage intitulé Études sur le vol des oiseaux de Léonard de Vinci en filmant photogramme par photogramme les dessins du maître de la Renaissance sur l’anatomie des ailes des oiseaux. De ce projet, il ne reste que la toile émulsionnée Léonard de Vinci, esquisses d’une aile, partiellement coloriée. Déclinant sur le versant ludique son idée, il réalise en même temps des maquettes pour de grands avions en papier. Il envisage également un Projet pratique pour le vol de l’oiseau de Léonard de Vinci qui implique un simple pliage de papier, ce dernier étant l’un des matériaux éphémères qu’il privilégie pour ses actions en hors-musée. Son axe de travail se construit ainsi entre une approche conceptuelle et une démarche dictée par l’esprit scientifique. Une autre idée qu’il aborde durant cette période concerne les sept couleurs du spectre de la lumière visible établi par Newton. Pour Dicrola, la couleur doit être rendue comme élément signifiant et non comme composante plastique ou trace visuelle. Il réalise un tableau à fond blanc, où le spectre est décomposé sur une bande horizontale constituée par la juxtaposition des sept noms des couleurs de l’arc-en-ciel.
Dicrola - Leonardo - 1972 - aniline et photographie sur toile émulsionnée 44 x 68 cm - Collection privée - Paris
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In this period a great number of artists used assemblage and other forms of semantic recharging of the object, drawn as they were to the notion of “ bricolage ” analyzed by Lévi-Strauss at the time. He had in fact differentiated two modes of knowledge : “ savage thought ” is expressed by the figure of the “ bricoleur ” who weaves new signifying relations between the concrete objects of the world, whereas “ scientific thought ” aims at explaining reality and mastering this world. Dicrola rejected the idea of “ bricolage ”, because he was more attracted to the scientific approach, or at least by an analytical and cognitive process he wished to share with the user of his work. In this very first stage of his research he was passionately interested in Leonardo da Vinci. He wanted to shoot a one-reeler titled Studies on Leonardo da Vinci’s birds’ flight, by filming still after still the Renaissance master’s drawings of the anatomy of birds’ wings. All that remains of this project is the partly colored emulsified canvas Leonardo da Vinci, sketches of a wing. Pursuing the playful aspect of his idea, at the same time he made maquettes for large paper airplanes. He also imagined a Practical project for the flight of Leonardo da Vinci’s bird made by simply folding paper, the latter being one of the ephemeral materials he favored for his non-museum actions. Thus the direction of his work lay between a conceptual approach and a process dictated by a scientific spirit. Another idea he worked on during this period had to do with the seven colors of the spectrum of visible light formulated by Newton. For Dicrola, color should be rendered as a signifying elements rather than a plastic component or a visual trace. He made a picture with a white background, where the spectrum was decomposed on a horizontal strip constituted by the juxtaposition of the seven names of the colors of the rainbow. The attitude consisting of displaying the intrinsic potentials of the material, which exemplifies as much Objectal art as Arte Povera and Anti-Form’s works in mutation, gave him the idea to use ice, the material he felt best suited for conveying his theories on the ephemeral and its experience. He got the idea on reading an article on the festival of Sapporo in Japan, where the celebration hailing the arrival of winter is the occasion for building huge sculptures and statues out of snow. Trying out this new material that enabled him to associate the ephemeral with time, Dicrola grew interested in the deterioration of forms or, even better, their disappearance to the benefit of the pure dimension of space. He sought to promote awareness of the relentless work of time upon matter amidst phenomenal reality. He then studied several projects, such as “ lettrist sculptures ” with words designating concepts or values. The letters of the words were made of ice. Their melting, causing the word to vanish, meant for
L’attitude consistant à exposer les potentialités propres du matériau, qui spécifie tout autant l’art objectal de l’Arte Povera que les œuvres en mutation de l’Anti-Form, lui suggère d’utiliser la glace, le matériau qu’il estime le plus apte à véhiculer ses théories sur l’éphémère et son expérience. L’idée lui en vient en lisant un article sur le festival de Sapporo, au Japon, où la fête qui salue l’arrivée de l’hiver donne lieu à la construction de sculptures et de statues géantes en neige. Abordant ce nouveau matériau qui lui permet d’associer l’éphémère et le temps, Dicrola s’intéresse à la détérioration des formes ou mieux encore à leur disparition au profit de la dimension pure de l’espace. Il vise à promouvoir la prise de conscience du travail incessant du temps sur la matière au sein de la réalité phénoménale. Il étudie alors divers projets, comme des « sculptures lettristes » avec des mots désignant des concepts ou des valeurs. Les lettres du mot sont composées de glace. Leur fonte, qui entraîne la disparition du mot, signifie pour lui que toute valeur, tout concept, toute affirmation est soumise à la loi du temps et de l’évolution. Un autre projet, intitulé Cube de glace qui fond et se reconstitue, prévoit une colonne de glace de 2,50 m enfermée dans un habitacle de plexiglas et posée sur un socle en bois qui cache un système réfrigérant lui permettant de se reconstituer sans cesse. Il revient sur le thème de l’arc-en-ciel dans un tableau à fond noir. Il conçoit que le prisme, c’est-à-dire la gamme des éléments constitutifs de la lumière colorée, correspond à une décomposition de la couleur semblable à la décomposition de la matière qu’il pointe par le biais de la glace. Le sujet de la toile traite de la démonstration effectuée avec des blocs de glace reconstituant l’image du ciel. Il étudie sur maquette le projet d’un arc-en-ciel de glace, un arc d’eau glacée d’un rayon de 4 m reposant sur deux socles de bois brut. Entre les deux socles, à même le sol, un tracé géométrique reprend les couleurs du spectre. L’arc de glace étant incolore, il reflète les couleurs de l’arc-en-ciel qui sont disposées en parallèle sur le sol. Sur la maquette de cette œuvre, Dicrola écrit : « Réussir la poétique éphémère de l’arc-en-ciel, enfin un arc-en-ciel matérialisé que l’on peut toucher et qui laisse une trace dans la mémoire du spectateur comme ouvrage de l’infini... Œuvre impérissable, donc occupation de l’espace-temps cérébral, l’arc-en-ciel se trouve dans le cerveau du regardeur et y subsiste, œuvre spectacle, œuvre transitive ». Une autre maquette, intitulée Arc-en-ciel anémique, (poétique éphémère de l’arc-en-ciel), comporte, sur un écran, les lettres du mot « arc-en-ciel » entourées d’un halo de lumière. Il réalise également un triptyque sur toile émulsionnée, coloriée à l’aniline jaune, où les lettres du mot se dessinent sur un champ lumineux. À plusieurs reprises, il envisage sans succès d’enregistrer par la photographie ou par le cinéma ses expériences avec la glace.
Dicrola - Arc-en-ciel anémique (élément d’un triptyque) - 1975 - aniline et photographie sur toile émulsionnée - 46 x 63 cm - Collection privée - Paris
him that every value, every concept, every affirmation is subject to the law of time and evolution. Another project, titled Ice cube that melts and reforms, involved a column if ice 2.50 meters high enclosed in a plexiglass receptacle and set on a wooden base concealing a refrigeration system allowing it to be refrozen over and over. He revisited the theme of the rainbow in a picture with a black background. His idea was that the prism, that is, the scale of elements forming colored light, corresponds to a decomposition of color comparable to the decomposition of matter which he suggested by using ice. The subject of the canvas relates to the demonstration performed with blocks of ice forming the image of the sky. Using a demo, he studied the project of a rainbow made of ice, an arc of frozen water with a radius of 4 m supported by two bases made of unprocessed wood. Between the two bases, on the ground, a geometric outline reproduced the colors of the spectrum. The frozen arc being colorless, it reflected the colors of the rainbow arranged on a parallel on the floor. On the maquette of this work Dicrola wrote : “ To achieve the ephemeral poetics of the rainbow, at last a materialized rainbow you can touch and that leaves its trace in the beholder’s memory like a work of infinity... Imperishable work, thus occupation of the cerebral time-space, the rainbow is in the brain of the viewer and stays there, spectacle-work, transitive work ”. Another maquette, titled Anemic rainbow (ephemeral poetics of the rainbow) featured on a screen the letters of the word “ arc-en-ciel ” (rainbow) surrounded by a halo of light. He also created a triptych on an emulsified canvas, colored with yellow aniline, where the letters of the word stood out on a luminous ground. On several occasions he unsuccessfully attempted to record his experiments with ice with photography or on film.
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Au début de 1973 il s’installe dans un nouvel atelier, rue Grégoire de Tours, toujours dans le Quartier Latin. Parmi ses projets, il travaille à de véritables dispositifs conçus pour inscrire l’art dans le temps : tout autour d’un espace neutre, plusieurs cubes de glace de différentes couleurs sont posés sur des socles en bois. En fondant, chaque cube de glace laisse une tache de couleur alors que l’œuvre elle-même n’est constituée ni par les volumes de glace ni par la coulée des pigments, mais plutôt par le lent processus de dégradation qui fait disparaître l’objet éphémère. Ce projet connaît d’autres formulations, également destinées à supprimer toute possibilité d’identifier l’œuvre à l’objet ou à sa matière, c’està-dire au bloc de glace en liquéfaction. S’appliquant à structurer une dialectique reliant contenant et contenu, Dicrola prévoit ainsi des alignements de plusieurs colonnes de glace ou encore un seul bloc de glace 3 x 3 m avec les couleurs du prisme, où le volume serait cerné de près par des parois en bois. Sa fonte correspondant alors à l’épiphanie de l’espace environnant qui est progressivement libéré par la disparition de la masse d’eau glacée.
Early in 1973 he moved into a new studio in Rue Grégoire de Tours, still in the Latin Quarter. Among his projects, he worked on actual devices designed to inscribe art in time : all around a neutral space, several different colored ice cubes were placed on wooden bases. On melting, each ice cube left a spot of color. However, the work itself was neither the volumes of ice nor the running pigments, but instead their slow process of degradation that made the ephemeral object disappear.
En février, Dicrola constitue, avec le photographe Wodek Wronowski et le peintre Tadeusz Andrzej Lewandowski, également publicitaire et enseignant à l’école des beaux-arts de Reims, un groupe baptisé V.I.D. (Visualisation, Intervention, Détérioration). L’orientation du groupe, dont il est le véritable idéologue et animateur, vise une dimension de l’art comme projet, spéculation intellectuelle et expérimentation scientifique, s’inspirant de Léonard de Vinci. Comme son nom l’indique par homophonie, le groupe veut littéralement faire le vide, c’est-à-dire dématérialiser l’art, le « vider » de toute implication dans le traditionnel accomplissement d’une œuvre envisagée comme un objet fini et figé, comme un produit esthétique destiné au marché ou au musée. L’art se doit d’épouser l’instabilité et l’éphémère de l’acte vital, s’identifier à l’esprit d’utopie des recherches expérimentales et correspondre ainsi à l’incessante mobilité du devenir.
In February Dicrola, with the photographer Wodek Wronowski and the painter Tadeusz Andrzej Lewandowski, also a publicist and teacher at the Fine Arts school at Reims, formed a group christened V.I.D. (Visualization, Intervention, Deterioration). The orientation of the group, of which he was the true ideologist and animator, sought a dimension of art as project, intellectual speculation, and scientific experimentation, inspired by Leonardo da Vinci. As its name indicates by homophony (“ vide ”=empty), the group literally sought to void, that is, dematerialize art, “ void ” it of any involvement in the traditional accomplishment of a work envisaged as a finished, static object, or an esthetic product intended for the market or the museum. Art should espouse the instability and ephemeral quality of the vital act, identify with the utopian spirit of experimental research and thus match the ceaseless mobility of becoming.
Le début officiel du groupe se produit quelques mois plus tard, lorsque les trois artistes sont invités à participer au Salon de Mai, dans la section consacrée aux sculpteurs. Le groupe présente un Monument à Pablo Picasso qui tient de la provocation, le maître est en effet l’objet d’un monument éphémère censée expliciter la caducité de sa gloire. Il s’agit d’un socle sur lequel se trouve une colonne à base carrée elle-même surmontée d’une colonne de glace de 1,50 m aux trois couleurs nationales, le bleu en bas et le rouge au sommet. Entouré de quatre autres cubes de glace plus petits, à l’instar d’un mausolée, le monument est placé sur la terrasse du Musée d’Art moderne de la Ville de Paris. Sa fonte lente et inexorable, en plein air, provoque la curiosité des visiteurs et est accompagnée d’un grand retentissement.
The official launching of the group took place a few months later, when the three artists were invited to take part in the Salon de Mai in the section devoted to sculptors. The group presented a Monument to Pablo Picasso, which was a provocation : the master was the object of an ephemeral monument supposed to explicit the impermanence of his fame. There was a base upon which a column with a square base was topped by a column of ice 1.50 m high featuring the three colors of the flag, blue at the bottom and red at the top. Surrounded by four other smaller ice cubes, recalling a mausoleum, the monument was placed on the terrace of the Musée d’Art Moderne de la Ville de Paris. Its slow, inexorable melting, in the open air, stirred the visitors’ curiosity and caused a sensation.
This project had other formulations, equally meant to suppress every possibility of identifying the work with the object or its material, that is, the block of ice being liquefied. Striving to structure a dialectic connecting container and contained, Dicrola also had the idea of lining up several columns of ice or else a single block of ice measuring 3 by 3 m with the colors of the prism, where the volume would be closely surrounded by wooden partitions. Its melting then corresponded to the epiphany of the surrounding space, gradually liberated by the disappearance of the mass of frozen water.
Dicrola - Le roi des avions (performance dans le Bois de Boulogne, dĂŠtail) - 1973 - photographie sur papier argentique 17 x 12 cm - Collection privĂŠe - Paris
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Le mois suivant, en juin 1973, le groupe participe au Salon des Grands et Jeunes d’aujourd’hui, qui s’ouvre au Grand Palais, avec un Hommage à Léonard de Vinci : une œuvre environnementale et multimédia comportant la projection d’un film intitulé Contraste sur « force de gravité et dégradation de la matière ». Tourné avec l’apport technique de Lewandowski, le film présente « les rapports divers et paradoxaux entre trois formes dans le temps : cube, ligne, cercle ». Les trois concepts géométriques s’incarnent dans la matière sensible à travers les éléments concrets d’un assemblage ludique. Il s’agit en effet de « montrer durant 15 minutes environ, toutes les étapes de la fonte d’un cube de glace de couleur rouge, contenant un bout de ficelle, sans trahir la présence d’un ballon attaché à l’autre bout. Après environ 15 minutes d’image fixe cadrant la fonte de la glace, le mouvement de la caméra montre la ficelle qui se libère, aussitôt emportée par le ballon ». La participation au salon semble un instant compromise lorsque, à la veille du vernissage, V.I.D. se trouve déchiré par des désaccords internes. Néanmoins, lors de l’ouverture, le groupe expose son œuvre : installées au centre d’une salle autonome, quatre colonnes nommées ABCD portent à leurs sommets quatre cubes de glace couleur rouge, bleu, jaune et vert, format 15 x 15 x 15 cm. Sur les parois se trouvent : l’écran qui reçoit la projection du film, le tableau citationniste Images et dimensions où Dicrola effectue une relecture analytique de la Joconde, des photographies tirées des photogrammes du film, enfin des pancartes avec des phrases de Léonard de Vinci et le manifeste Léonard de Vinci homme de science qui célèbre le génie du maître italien et « l’esprit scientifique de la Renaissance ». Ce manifeste est signé au nom du groupe par Dicrola et Lewandowski. Cette véritable installation environnementale et multimédia, présentée au Salon des Grands et Jeunes d’aujourd’hui de juin 1973, contient des intuitions que Dicrola reprendra
The next month, in June 1973, the group participated in the Salon des Grands et Jeunes d’Aujourd’hui, which opened at the Grand Palais, with a Tribute to Leonardo da Vinci : a multimedia environmental work including the viewing of a film titled Contrast on “ force of gravity and degradation of matter ”. Filmed with Lewandowski’s technical assistance, the film presented “the various paradoxical relations between three forms in time : cube, line, circle ”. The three geometric concepts were embodied in tangible material by using the concrete elements of a playful assemblage. In fact the film “ shows for approximately fifteen minutes all the stages of the melting of the ice, the movement of the camera shows the string being freed and instantly carried off by the balloon ”. For a brief moment the group’s participation in the Salon appeared compromised when, the day before the opening, V.I.D. was torn by internal conflicts. Nonetheless, for the opening, the group presented its work : set up in the center of a separate room, four columns named ABCD bore on their tops four ice cubes colored red, blue, yellow, and green, measuring 15 x 15 x 15 cm. On the walls there were : the screen for the projection of the movie, the quotationist painting where Dicrola did an analytical reinterpretation of the Mona Lisa, and the manifesto Leonardo da Vinci man of science glorifying the genius of the Italian master and the “ scientific spirit of the Renaissance ”. This manifesto was signed in the name of the group by Dicrola and Lewandowski. This authentic multimedia environmental installation shown at the Salon des Grands et Jeunes d’Aujourd’hui in June 1973 contained intuitions which Dicrola revisited throughout his career. Among other things, it featured the creation of an image of the wear of time, or else the sequence illustrated by a succession of stills in order to concretize the perception and reversibility of duration. In any case it was his most elaborated attempt to formalize the experience of
Dicrola - Perte d’identité - 1978 - photographie sur papier argentique - 60 x 150 cm - Collection privée - Paris
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Dicrola - Boule suspendue (installation au Salon des Grands et Jeunes d’aujourd’hui, Grand Palais, Paris) - 1974 - glace et barres de fer - 60 cm, h 300 cm - œuvre détruite
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tout au long de son œuvre. On y trouve, par exemple, une mise en image de l’usure du temps ou encore la séquence illustrée par succession de photogrammes afin de concrétiser à la fois la perception et la réversibilité de la durée. Il s’agit en tout cas de sa tentative la plus élaborée visant à formaliser l’expérience d’une mutation produite par la détérioration des formes géométriques, l’écoulement du temps et la dégradation de la matière. Peu après, Lewandowski quitte le groupe qui cesse ainsi d’exister en tant que tel, même si Dicrola, son véritable théoricien et animateur, continue d’en évoquer l’étiquette. Élargissant alors ses contacts, il fréquente l’historien de l’art Giovanni Lista. Ce dernier, écrivant un texte critique sur l’installation présentée au Salon des Grands et Jeunes d’aujourd’hui, apprécie la mise en œuvre d’« une idée non esthétique mais se rapportant aux processus de la réalité phénoménique ». Il estime que le travail de Dicrola, qui « visualise le processus de détérioration auxquels obéissent toutes les formes de l’existant », constitue une mise à jour de certaines idées du futurisme sans les scories idéologiques de son époque. Le texte de Giovanni Lista est incorporé en voix off dans le film Hommage à Léonard de Vinci, que Dicrola réalise peu après avec la collaboration de Wronowski, puis inséré dans un manifeste intitulé Processus Art qu’il lance à la même occasion, enfin publié dans le catalogue Projets alternatifs à l’image, au temps et à l’espace, qui accompagne sa participation à la VIII° Biennale de Paris, en septembre 1973. Le film, alors projeté à la Biennale de Paris et dont il ne reste aujourd’hui que quelques fragments, montre un ensemble de documents visuels : les dessins de Léonard sur la camera oscura, son autoportrait, les visages cadrés en plan serré des personnages des tableaux Le printemps et L’homme à la médaille de Botticelli, qui sont ensuite confrontés aux visages de personnages réels, et le tableau de Dicrola proposant une relecture de la Joconde en termes de technique et d’invention picturale. Par le biais du grand mythe de Léonard, le film élabore une vision de l’art comme moyen de connaissance. Le manifeste Processus Art marque l’aboutissement d’une pleine conscience théorique chez Dicrola, qui revendique à présent une totale « autonomie » de son travail face au Process Art issu du post-minimalisme américain. En effet, la formule Processus Art qu’il lance dans ce manifeste du 14 août 1973, ne représente pas une simple traduction de l’expression anglaise, mais le choix original d’une poétique du devenir du monde sensible. Alors que le Process Art pointe les procédés de fabrication d’une œuvre et les processus de création de l’art, le Processus Art de Dicrola se veut un art de la précarité du monde. Son véritable objet tient en effet, selon les mots de Giovanni Lista, aux « processus autodestructeurs
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a mutation produced by the deterioration of geometric forms, the passing of time, and the degradation of matter. Shortly after, Lewandowski left the group, which therefore ceased to exist as such, even though Dicrola, its real theorist and animator, continued to use its label. He then extended his contacts and began frequenting the art historian Giovanni Lista., who wrote a review on the installation presented at the Salon des Grands et Jeunes d’Aujourd’hui and expressed his appreciation of the performing of “ an idea which is not esthetic but relates to the process of phenomenal reality ”. He believed that the work of Dicrola, who “ visualizes the process of deterioration to which every form of the living is subjected ”, constituted an updating of the ideas of Futurism without the ideological dross of its time. Giovanni Lista’s text is incorporated in voice-off in the film Tribute to Leonardo da Vinci that Dicrola made shortly after with Wronowski’s collaboration, then inserted in a manifesto titled Processus Art that he launched on the same occasion, and last published in the catalogue Alternative projects to the image, time and space accompanying his participation in the VIII Paris Biennial in September 1973. The film, then shown at the Paris Biennial and of which only fragments survive, displayed an ensemble of visual documents : Leonard’s drawings of the camera oscura, his self portrait, the faces framed in close up of the figures of the paintings Spring and The Man with the Medallion by Botticelli, which are then confronted with the faces of real people, and the painting by Dicrola proposing a reinterpretation of the Mona Lisa in terms of technique and pictorial invention. Through the great myth of Leonardo, the film composed a vision of art as a means of knowledge. The manifesto Processus Art marked Dicrola mature theoretic awareness. He then claimed the total “ autonomy ” of his work with respect to Process Art arisen from American post-minimalism. Indeed the Processus Art formula he launched in this manifesto of 14 August 1973 was not just a translation of the English expression, but the original choice of a poetics of the becoming of the tangible world. Whereas Process Art pointed to the fabrication processes of a work and the creative processes of art, Dicrola’s Processus Art endeavored to be an art of the precariousness of the world. Actually its true object, according to Giovanni Lista, had to do with the “ selfdestructive processes of matter, its reversibility, and its constant alteration ”. Inheriting Futurism’s poetics of Heraclites, Dicrola’s Processus Art underscored “ the perishable dimension of every form, the reality of the world of experimented phenomena as epiphany, in the midst
Dicrola - Le mot “art” en glace - 1975 - aniline et photographie sur toile émulsionnée - 46 x 68 cm - Collection privée - Paris
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de la matière, à sa réversibilité et à sa constante altération ». Héritant de la poétique héraclitéenne du futurisme, le Processus Art de Dicrola met en exergue « la dimension périssable de toute forme, la réalité du monde des phénomènes expérimentés en tant qu’épiphanie, au sein du microcosme, de l’entropie généralisée qui structure l’évolution de l’espacetemps ou du plein-vide dans l’univers ». Grâce à cette nouvelle conscience théorique, le travail de Dicrola va évoluer vers une plus grande radicalité. Lors de sa participation au Salon des Grands et Jeunes d’Aujourd’hui, en juin 1974, Dicrola étudie la possibilité de présenter pour la première fois une œuvre auto signifiante autant comme objet que comme signe. Il présente une boule de glace de 80 cm de diamètre en l’installant au-dessus d’une plaque chauffante. Celle-ci élimine par évaporation la flaque d’eau résultant de la fonte de l’œuvre dont le titre : Boule suspendue, ne fait aucunement référence à une célébrité du monde de l’art. Entièrement blanche, la boule se présente pendue à plus de 2 m de hauteur, dans une légèreté et une pureté formelles qui renvoient à la dimension cosmique. Cet objet absolu et éphémère, concret et abstrait, désigne la matière et son processus éternel. Admiratif, Agam s’adresse à Dicrola, lui proposant d’acheter l’œuvre. Mais ce dernier, en toute cohérence idéologique avec son refus de la marchandisation de l’art, décline son offre et lui répond qu’il peut tout simplement la fabriquer lui-même. Il veut en effet démontrer qu’une pratique artistique vivante et innovatrice est possible hors de toute spéculation sur le produit esthétique : son œuvre est inassimilable pour le marché de l’art.
of the microcosm, of the generalized entropy structuring the evolution of space-time or the full-empty in the universe ”. Owing to this new theoretic awareness, Dicrola’s work evolved toward a more extreme radicalism. During his participation in the Salon des Grands et Jeunes d’Aujourd’hui in June 1974, Dicrola studied the possibility of presenting for the first time a self-signifying work, as an object as well as a sign. He exhibited a ball of ice with a diameter of 80 cm and hung it over a hotplate, which by evaporation eliminated the puddle of water resulting from the melting of the work whose title : Suspended Ball, in no way referred to a celebrity of the art world. Entirely white, the ball appeared suspended at a height of 2 m, with a lightness and a purity of form evoking the cosmic dimension. This absolute, ephemeral object, concrete and abstract, designated matter and its everlasting process. Agam enormously admired it and appealed to Dicrola, wishing to purchase the work, but Dicrola, totally coherent with his
Les œuvres suivantes ont pour thème l’art comme notion et comme valeur. Se servant encore de la glace, Dicrola moule en relief le mot « art » avant de le décongeler jusqu’à ce qu’il disparaisse. Il s’agit de faire revenir l’art à la vie en faisant liquéfier son nom. L’œuvre est élaborée à différentes reprises et connaît plusieurs versions. Afin d’afficher l’esprit scientifique qu’il situe au cœur de sa démarche, Dicrola utilise comme support un tableau noir sur lequel il appose un thermomètre tantôt linéaire, tantôt rond. Deux tableaux sur toile émulsionnée conçus durant cette période donnent la mesure de cette recherche éperdue de l’eschatologie de l’art : les noms de Nietzsche et de Zarathoustra sont tracés dans la neige. Après avoir habité quelques mois rue Gît-Le-Cœur, qui sera sa dernière adresse au Quartier Latin, Dicrola s’installe dans un autre atelier, rue Clignancourt. Il reprend son travail avec la glace lors de sa participation au Salon de Mai de 1975, qui se tient à la Défense. Il présente l’œuvre Cosmos et devenir constituée de deux grosses sphères, l’une de glace pure, l’autre de terre glacée avec en son cœur des
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Dicrola - Appropriation d’espace (performance au Salon des Grands et Jeunes d’aujourd’hui, Grand Palais, Paris) - 1972 - photographie sur toile émulsionnée - 41 x 32 cm - Collection privée - Paris
Dicrola - Intervention au Grand Palais (détail) - 1972 - photographie sur toile émulsionnée - 32 x 41 cm - Collection privée - Paris
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Dicrola - Processus Art (polyptyque) - 1975 - photographie sur papier argentique - 15 x 105 cm - Collection privée - Paris
graines, allusion au cycle de régénération de la nature. Il laisse fondre l’ensemble près d’une série de tableaux où ne figure qu’une citation de Nietzsche en lettres blanches sur fond noir. Puis sa recherche se complexifie. Ainsi, il confronte les matières les plus éphémères, telles l’eau, la neige, le feu, les gaz naturels, à la durée, en enregistrant la trace de leurs mouvements sur une toile ou une plaque oxydable. Son travail se rapproche des actions d’Yves Klein et de l’investigation sur les matériaux et l’énergie de l’Arte Povera. Mais il n’hésite pas, dans sa réflexion sur le devenir de la matière, à croiser le Body Art en documentant la relation dialectique et mouvante entre le corps et les matières organiques. Se développant entre l’Art conceptuel et le Processus Art, sa recherche se concrétise tantôt par des œuvres dématérialisées tantôt par des œuvres en devenir. Il poursuit dans le premier cas une conception purement intellectuelle de l’art, créant des œuvres sous la forme de citations, idées, phrases poétiques. Il expose, par exemple, au Salon des Grands et Jeunes d’Aujourd’hui de 1975 une pancarte contenant un passage de L’Anti-Œdipe de Deleuze et Guattari, l’un de ses livres de chevet, ou réalise un tableau en n’écrivant qu’une citation d’Héraclite sur un tableau noir : « Que la mort de la terre est de devenir eau et la mort de l’eau de devenir air et de l’air, feu et inversement ». Il s’installe pendant l’été 1975 à Montreuil, où il habite dans un pavillon avec jardin. Il fait de nouvelles connaissances dans le monde de l’art et de la culture, ce qui l’induit à reconstituer le groupe V.I.D. sur la base de ses idées mais avec une ouverture pluridisciplinaire. Cette deuxième formation se compose, outre que de lui-même, de l’architecte Bernard Gerbaud, du photographe Thierry Prat et du poète et idéologue Jean Lesniewski. L’intervention du nouveau V.I.D. au Salon de Mai de 1976 demeure le point culminant de ses activités : le groupe décide en effet d’y présenter une performance et de publier un manifeste annonçant la mort de l’art, tué par le V.I.D. qui lui succédera. La rédaction du manifeste, véritable appel contre l’idolâtrie de l’art, le culte de la beauté et la culture des élites, provoque la désapprobation de Thierry Prat. En jugeant le texte trop violent, ce dernier refuse de le signer et quitte peu
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refusal of the merchandizing of art, declined his offer, replying that Agam could simply make one himself. Actually he wished to prove that a living, innovatory artistic practice is possible outside of any speculation on the esthetic product : his work was inassimilable by the art market. The theme of his next works was art as notion and as value. Again using ice, Dicrola molded in relief the word “ Art ” before de-freezing it until it disappeared. The point was to make art return to life by liquefying its name. The work was performed on several occasions and exists in several versions. To underscore the scientific spirit that he put at the heart of his work, Dicrola used as support a blackboard upon which he placed a thermometer, either linear or round. Two pictures on emulsified canvas conceived in this period showed the extent of this frantic quest for the eschatology of art : the names of Nietzsche and Zarathustra were written in the snow. After living a few months in Rue Gît-le-Cœur, which was his last address in the Latin Quarter, Dicrola settled in another studio in Rue Clignancourt. He returned to his work with ice when he took part in the 1975 Salon de Mai, held at La Défense. He showed the work Cosmos and Becoming, consisting of two large spheres, one of pure ice, the other of frozen soil containing seeds in its depths, an allusion to Nature’s cycle of regeneration. He let it all melt next to a series of paintings where all that appeared was a quotation from Nietzsche written in white letters on a black background. Then his research became more complicated. He confronted the most ephemeral materials, such as water, snow, fire, natural gasses, with duration, recording the trace of their movements on a canvas or an oxidizable plate. His work was comparable to the actions by Yves Klein and Arte Povera’s investigations on materials and energy. But in his reflection on the becoming of matter, he did not hesitate to touch on Body Art, documenting the dialectic and shifting relation between the body and organic matter. Developing between Conceptual Art and Processus Art, his research was either concretized by dematerialized works or by works in becoming. In the first case he pursued a purely intellectual conception of art, creating his works in the form of quotations, ideas, poetic sentences. For instance,
at the Salon des Grands et Jeunes d’Aujourd’hui in 1975 he exhibited a billboard featuring a passage from the AntiOedipus by Deleuze and Guattari, one of his bedside books, or he executed a picture by merely writing a quotation from Heraclitus on a blackboard : “ That the death of the earth is to become water and the death of water is to become air, and of air, fire, and conversely ”.
Dicrola - Zarathoustra (citation) -1975 - photographie sur toile émulsionnée - 32 x 47 cm - Collection privée - Paris
après le groupe. Le 29 avril 1976, jour du vernissage du Salon de Mai sur l’esplanade de la Défense, Dicrola exécute néanmoins l’action prévue. Il arrive habillé en costume d’officiant, avec un coffret sous le bras qui contient le mot « art » réalisé avec des lettres de glace. Les visiteurs du salon le découvrent immobile devant une grande caisse d’emballage coloriée en or, contenant « l’idée du mot art », sur laquelle ils sont invités à lire le manifeste proclamant que l’art est mort, mais qu’il a laissé un enfant, V.I.D. Puis le coffret est ouvert, laissant fondre au soleil le mot « art ». Son évaporation semble ainsi mêler son essence à celle du plein air d’une journée ensoleillée. Malgré la dissolution du groupe V.I.D., qui survient au lendemain de cette performance, Dicrola continue de travailler à ses recherches. Il expose à nouveau une œuvre de Processus Art au Salon des Grands et Jeunes d’aujourd’hui, qui se tient au Grand Palais, en septembre 1976. Intitulée Processus d’évaporation d’eau glacée, cette nouvelle œuvre éphémère est présentée parmi les sculpteurs cinétiques, à côté des œuvres de Soto, Agam, Le Parc. Il s’agit de trois boules aux couleurs différentes et primaires : bleu, jaune, rouge, suspendues l’une à côté de l’autre sur une plaque chauffante. Les gouttes d’eau colorée qui tombent sur la plaque se transforment aussitôt, sous l’effet de la chaleur, en billes lumineuses qui tournoient, fusionnent entre elles ou changent de couleur avant de disparaître dans un crépitement. Cette œuvre aux effets spectaculaires est la dernière du genre à ce moment du parcours de Dicrola. L’artiste n’en cesse pas pour autant ses recherches sur la transformation de la matière et la dématérialisation des formes.
During the summer of 1975 he settled at Montreuil, where he lived in a cottage with a garden. He met new people in the world of art and culture, which incited him to reconstitute the V.I.D. group on the basis of his ideas but with a multi-disciplinary approach. This second formation consisted, aside from himself, of the architect Bernard Gerbaud, the photographer Thierry Prat, and the poet and ideologist Jean Lesniewski. The intervention of the new V.I.D. group at the 1976 Salon de Mai remains the apogee of its activities : indeed the group decided to present a performance and to publish a manifesto announcing the death of art, killed by V.I.D. that would succeed it. The writing of the manifesto, an authentic appeal against the idolatry of art, the worship of beauty, and the culture of the elites, provoked Thierry Prat’s disapproval. Judging the text too violent, he refused to sign it and shortly after left the group. On 29 April 1976, the day of the opening of the Salon de Mai on the esplanade of La Défense, Dicrola nonetheless performed the scheduled action. He arrived dressed in the garb of an officiant, with a box under his arm containing the word “ Art ” written in letters made of ice. The Salon visitors discovered him standing still in front of a big packing crate colored in gold, containing “ the idea of the word art ”, on which they were invited to read the manifesto announcing that art was dead, but that it left a child, V.I.D. Then the box was opened, letting the word “ Art ” melt in the sun. Its evaporation seemed to merge its essence with the open air of a sunny day. In spite of the dissolution of the V.I.D. group that occurred shortly after this performance, Dicrola continued to work on his experiments. He again showed a work of Processus Art at the Salon des Grands et Jeunes d’Aujourd’hui, held at the Grand Palais, in September 1976. Titled Process of evaporation of ice water, this new ephemeral work was presented among the kinetic sculptors, next to works by Soto, Agam, Le Parc. It consisted of three balls in different primary colors : blue, yellow, red, hung next to one another over a hotplate. The drops of colored water that fell onto the hotplate, under the effect of the heat, were immediately transformed into glowing marbles whirling, merging, or changing color before vanishing in a spluttering. This work, with its spectacular effects, was the last of its kind in Dicrola’s career. Yet for all that the artist pursued his research on the transformation of matter and the dematerialization of forms.
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Dicrola - La main de l’artiste - 1978 - huile et photographie sur toile émulsionnée - 20 x 20 cm - Collection privée - Bologne
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IMAGE ET IDENTITÉ IMAGE AND IDENTITY
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n se revendiquant de la poétique du Processus Art, la recherche de Dicrola s’accomplit sous le signe de l’éphémère et de la dématérialisation. Pendant ces années, il préconise l’emploi de matériaux périssables et exclut toute fixité de l’œuvre. Nietzsche et Sartre deviennent alors ses auteurs de référence. Si l’imaginaire dionysien de Zarathoustra lui révèle la mobilité et l’éternelle renaissance de la vie universelle, l’auteur de La Nausée lui apprend que c’est la projection de la conscience qui assure l’identité précaire de l’être, son existence étant toujours le fruit d’une volonté, d’un choix. Il en restera, au cœur de l’œuvre de Dicrola, l’idée d’une confrontation permanente entre la puissance de métamorphose qui est au travail dans le monde et la lumière de la conscience qui est au fondement de l’être.
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Le double thème de l’image et de l’identité ne peut ainsi que faire son apparition dans cette recherche sur l’instabilité des formes au sein de l’évolution de la matière et de l’écoulement du temps. Une œuvre-charnière est La Donna fantasma, réalisée en 1975, où Dicrola récupère la fonction iconique de l’art tout en déjouant les sortilèges de la figuration. Le titre du tableau est en italien car dans cette langue le mot fantasma garde cette ambivalence sémantique entre fantôme et fantasme qui le situe entre hallucination et mémoire. Reproduit sur toile émulsionnée, le portrait photographique d’une femme, en fait sa compagne Brigitte Morin, est recouvert d’une couche de glace dont l’épaisseur varie selon le refroidissement. Le spectateur a la possibilité de baisser la température et de faire disparaître ainsi l’image ou, au contraire, de provoquer par décongélation une totale épiphanie du portrait. Invitant le spectateur à partager le travail de construction d’un sens, l’œuvre ne se donne pas comme apparence statique, mais comme apparition et disparition, à travers un processus réversible qui, associant représentation et durée, inscrit l’image dans son devenir. Par sa prise de conscience et son action, le spectateur se découvre sujet dans sa propre relation au monde. Par son titre, digne d’un roman policier de Cornell Woolrich, l’œuvre se veut évocatrice d’un mystère que viennent renforcer la dimension onirique et phantasmatique du visage de la femme, l’ambiguïté d’une photographie noir et blanc qui semble virer à la sépia, enfin la répétition en séquence de l’image. Le visage apparaît ainsi décalé dans le temps, comme saisi dans un miroir ou évoqué comme simple persistance d’une mémoire visuelle prête à s’évanouir dans l’espace du souvenir ou de l’imaginaire. La scansion rythmée du polyptyque s’accompagne de la présence d’un thermomètre censé fournir le contrôle des valeurs métriques de l’expérience lors de la congélation ou de la fonte de la glace. La collusion entre esprit scientifique et onirisme visionnaire crée ainsi, par contraste, l’intensité métaphysique de l’œuvre. Dans la recherche de Dicrola, le surgissement de ce portrait, si singulier et si prégnant, est trop soudain pour qu’il puisse
The twofold theme of image and identity inevitably arose in this research devoted to the instability of forms amidst the evolution of matter and the flow of time. La Donna fantasma is a transition work, executed in 1975, in which Dicrola restored the iconic functions of art while eluding the guiles of figuration. The title is in italian because in this language the word fantasma has kept the semantic ambivalence between phanton and phantasy, wich gives it a meaning somewhere between hallucination and memory. Reproduced on emulsified canvas, the photographic portrait of a woman, his companion Brigitte Morin, is coated with a layer of ice, the thickness of which varies according to the cooling. The beholder can lower the temperature and make the image disappear, or do the opposite and provoke a total epiphany of the portrait by de-frosting. Inviting the beholder to share in the task of reconstruction of a meaning, the work does not offer itself as a static appearance, but as appearing and vanishing via a reversible process that, combining representation and duration, inscribes the image in its becoming. By his awareness and action, the beholder discovers himself as a subject in his own relationship with the world. By its title, worthy of a detective story by Cornell Woolrich, the work seeks to suggest a mystery, that is enhanced by the dreamlike, phantasmagorical dimension of the woman’s face, the ambiguity of a black and white photograph verging on sepia, and last, the sequential repetition of the image. In this way the face appears out of phase with time, as if caught in a mirror or evoked as a mere persistence of a visual memory about to melt in the space of memory or imagination. The rhythmic scansion of the polyptych is accompanied by the presence of a thermometer that supposedly provides the control of the metric values of the experiment during the freezing or melting of the ice. Thus by contrast, the collusion between scientific spirit and visionary fantasizing creates the metaphysical intensity of the work. In Dicrola’s research, the event of this portrait, so singular and so vivid, was too sudden for him to be able to draw all its consequences right away. But the theme of identity steeps most of the works
aithful to the poetics of Processus Art, the main themes of Dicrola’s research were the ephemeral and dematerialization. In these years he advocated the use of perishable materials and denied the work a fixed status. Nietzsche and Sartre then became his inspirational authors. If the Dionysian imaginary of Zarathustra revealed to him the mobility and eternal rebirth of universal life, the author of Nausea taught him that the projection of consciousness is what insures the precarious identity of Being, its existence aways being the outcome of a will, a choice. From this notion, Dicrola’s work would essentially retain the idea of a permanent confrontation between the power of metamorphosis at work in the world and the illumination of consciousness in which Being is grounded.
Dicrola - La Donna fantasma (polyptique) - 1975 - émulsion sur toile - 56 x 235 cm - Collection privée - Bruxelles
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en tirer aussitôt toutes les conséquences. Mais le thème de l’identité circule dans la plupart des œuvres qu’il réalise les mois suivants. Il est par exemple traité en termes d’être et de paraître dans son propre autoportrait, un polyptyque à cinq panneaux photographiques sur toile émulsionnée, intitulé Perte d’identité (Un et multiple, Héraclite d’Éphèse), qu’il reprend ensuite dans un autre polyptique alternant photographies et pancartes écrites, intitulé Moi je dis qui es-tu ?, soit une citation de Saint Paul. La formule en diptyque, associant une photographie et un panneau noir, qui comporte une image dessinée ou un texte écrit, est adoptée dans plusieurs autres tableaux. Dans certains, il juxtapose un portrait de femme et une carte de Tarot, faisant ainsi allusion à la divination comme moyen de projection mentale sur la durée. D’autres ont pour simple thème les organes des sens : mains, yeux, oreilles, etc. Il associe par exemple l’image isolée et agrandie d’un œil avec le texte : … Nous nous promenons au milieu des simulacres, ou encore celle d’une oreille avec le texte : Tendue à autre chose que la parole. En tant qu’image froide, la photographie lui permet une manipulation qu’il veut purement conceptuelle. Jouant sur une sorte de réverbération entre organes sensoriels, perception, représentation et image, il entend poser toute une problématique de l’identité et du masque. Au cours de cette période, entre 1975 et 1976, Dicrola poursuit son approche dans un double mouvement de citations (l’antique, le temps, la mémoire et l’identité) et d’investigations de la matière (œuvres éphémères et rapidement dégradables, qui matérialisent le temps en s’effaçant dans l’espace). Puis il rédige le manifeste À rebours où il affirme avoir accompli un cycle de sa recherche qui avait débuté « à la fin des années soixante, avec les premiers travaux qui confrontaient la glace (comme matériau exemplaire d’un processus) et la durée, et s’est poursuivi par un intérêt pour d’autres matières organiques, toutes également destinées, dans leur présence immédiate, à une manifestation éphémère lors d’un vernissage ». Il ajoute : « Ce fut une période d’expérimentation des tensions par un travail avec l’eau, la glace et le feu, l’affrontement et l’évaporation, l’humidité ». Il déclare à présent l’avènement d’une nouvelle réflexion : « Aujourd’hui cette danse de Dionysos semble se conclure, le Dieu de l’immédiateté et de la Vie a révélé son double masque, l’Apollon de toujours refuse la danse, s’éloigne, se défile, se réfléchit. Maintenant est venu le temps de l’image des choses, ce seront les images de ces organes des sens qui furent les protagonistes de l’expérience. La main, l’œil, l’oreille, etc... deviennent alors inutiles au sein de la rigor mortis du musée qui répertorie le calque de ce que fut la vie ».
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he did in the following months. It was treated, for instance, in terms of Being and Appearing in his self portrait, a polyptych of five photographic panels on emulsified canvas, titled Loss of Identity (One and Multiple, Heraclitus of Ephesus), that he revisits later in another polyptych alternating photographs and written panels, title Me I say who are you ?, a quotation from Saint Paul. The diptych formula, associating a photograph with a black panel, featuring a drawn image or a written text, was chosen for several other pictures. In some, he juxtaposed a portrait of a woman and a Tarot card, referring to divination as a means of mental projection on duration. Others featured the simple theme of sensory organs; hands, eyes, ears, and so on. For instance he combined the isolated, enlarged image of an eye with the text : …We wander amidst simulacrums, or else that of an ear with the text : Strained toward something other than speech. Photography, being a cold image, provided him with a manipulation he wished purely conceptual. Playing on a sort of reverberation between sensory organs, perception, representation, and image, he meant to question the vast issue of identity and the mask. During this period, from 1975 to 1976, Dicrola pursued his approach through a twofold movement of quotations (the antique, time, memory, and identity) and investigations of matter (ephemeral and quickly degradable works that materialized time by dissolving in space). He then wrote the manifesto Against the Grain, in which he claimed having completed a cycle of his research that had begun “ at the end of the ’Sixties, with the first works that confronted ice (as exemplary material of a process) and duration, and pursued with an interest in other organic materials, all equally intended, in their immediate presence, for an ephemeral manifestation during a vernissage ”. He added : “ It was a period of experimentation of tensions, by working with water, ice, and fire, confrontation and evaporation, humidity ”. Presently he announced the advent of a new reflection : “ Today that Dionysus dance appears to be coming to an end, the God of immediacy and Life revealed its dual mask, the ever same Apollo refuses dance, draws away, slips away, is selfreflected. Now has come the time of the image of things, they will be images of those organs of the senses that were the protagonists of experience. The hand, the eye, the ear, etc… then become useless within the rigor mortis of the museum that classifies the copy of what once was life ”. As always, the new stage of an investigation, in a transition phase, merged with earlier explorations. In the diptych Tarot, on the right side panel he painted an image of a Tarot card, then for the very first time he intervened with touches of oil paint on the left side panel, placing them directly over the
Dicrola - ...tendue à autre chose que des paroles... (diptyque) - 1975 - aniline et photographie sur toile émulsionnée - 64,5 x 90 cm - Collection privée - Paris
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Dicrola - ...nous nous promenons au milieu des simulacres... (diptyque) 1975 - photographie sur toile émulsionnée - 88 x 109,8 cm Collection privée - Paris
Comme toujours, la nouvelle étape d’une recherche ne peut que se combiner, dans une phase de transition, avec les explorations précédentes. Dans le diptyque Tarot, il peint sur le panneau de droite de l’image une carte de Tarot, puis il intervient pour la première fois avec des touches de peinture à l’huile sur le panneau de gauche, les apposant directement sur la photographie de sa compagne Brigitte Morin. Dans un autre diptyque, il reproduit par les moyens mécaniques de la photographie une nature morte de De Chirico, puis il y réalise une intervention à l’huile. Ces œuvres témoignent de son nouvel intérêt pour l’image manuelle et la peinture. Il retrouve son ami le peintre Gianmarco Montesano qui le pousse à se concentrer sur de nouvelles recherches. Ils rédigent ensemble le manifeste Contra academicos qui dresse l’apologie d’un retour à l’image en tant que simulacre et fin en soi. Ils proclament : « La signification nous est indifférente ». Depuis ses débuts, Dicrola a peint des citations tautologiques, commémoratrices, rituelles, qui consistaient à refaire les tableaux les plus célèbres de l’histoire de l’art, avec humilité et sans poésie, dans le seul le but de les mettre en évidence comme technique et invention du peintre. En choisissant de se confronter à nouveau à l’image, il réalise en 1977 l’œuvre-manifeste Voyage pour l’immortalité, plus tard appelée Autocitation : le maître, où il évoque, entre narcissisme et provocation, son propre destin d’artiste. Il y juxtapose en diptyque, sur toile émulsionnée, à droite, la copie de l’Autoportrait en costume du XVIe siècle de De Chirico qu’il avait peint à l’âge de seize ans et, à gauche, un agrandissement photographique de la lettre autographe que lui avait alors envoyée le créateur de l’art métaphysique. Il revendique ainsi sa parenté esthétique avec le dernier De Chirico, celui du citationnisme postmoderne. L’œuvre Voyage pour l’immortalité marque un véritable tournant dans son itinéraire d’artiste. Il inaugure en effet la célébration de sa mythologie personnelle, qui se prolongera pendant de longues années. La « mythologie personnelle » est ce qui s’instaure chez tout artiste qui se pense touché par un destin. C’est la sensation d’être un élu, un être à part, et de ne pouvoir faire autrement que d’accomplir son propre destin d’artiste, tout en disposant du privilège de choisir ses
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photograph of his companion Brigitte. In another diptych, he reproduced by the mechanical means of photography a still life by De Chirico, onto which he applied oil paint. These works show his new interest in the manual image and painting. He renewed his friendship with Gianmarco Montesano who urged him to concentrate on new experiments. Together they wrote the manifesto Contra Academicos that praises a return to the image as simulacrum and end in itself. They proclaim : “ We couldn’t care less about meaning ”. Ever since his first works, Dicrola painted tautological, commemorative, ritual quotations, that consisted in remaking the most famous paintings of art history, with humility and without poetry, the sole purpose being to show how they display the painter’s techniques and inventions. In choosing to tackle the image once again, in 1977 he executed the manifesto-work Journey for Immortality, later called Selfquotation : the master, where in a mixture of narcissism and provocation he evoked his own destiny as an artist. In a diptych, on emulsified canvas, he juxtaposed, on the right, the copy of De Chirico’s Self-Portrait in a Sixteenth-century Costume that he painted at the age of sixteen and, on the left, a photographic enlargement of the autograph letter the creator of metaphysical art sent him at the time. In this way he claimed his esthetic kinship with the last De Chirico, that of postmodern quotationism. The work Journey for Immortality marks a turning point in his artistic career. Actually it is the first celebration of his personal mythology, that lasted for many years. “ Personal mythology ” is what belongs to every artist who believes he is fated. It is the sensation of being chosen, a singular being, and unable to elude his personal fate as an artist. At the same time he has the privilege of choosing his ancestors and thus of belonging to a filiation within the great family of art. But the painting Journey for Immortality also introduces the hypothesis of an overcoming of the return to the image toward a true return to painting, that is, the transition from a photographic image on emulsified canvas to the image resulting entirely from a manual elaboration, meaning painting as the last De Chirico practiced it. The transition was gradual, and anyway the exercise of painting evolved
ancêtres et de se déterminer ainsi dans une filiation à l’intérieur de la grande famille de l’art. Mais le tableau Voyage pour l’immortalité ouvre aussi l’hypothèse d’un dépassement du retour à l’image vers un véritable retour à la peinture, c’est-à-dire le passage de l’image photographique sur toile émulsionnée à l’image résultant complètement d’une élaboration manuelle, en somme à la peinture telle que la pratiquait le dernier De Chirico. Le passage sera progressif et par ailleurs l’exercice de la peinture se développera toujours en épousant la dualité qui gère son œuvre, à savoir la primauté du concept sur la matière ou au contraire la matière affirmée dans sa radicalité souveraine, comme physis en devenir. Le travail de Dicrola s’ouvre ainsi à une nouvelle phase. Le retour à la peinture qu’il amorce vers la fin des années soixante-dix se fait selon deux orientations : d’un côté une peinture maigre, peu riche en huile et en matière, étalée en couche fine, citationniste et imprégnée par la fascination de l’image, de l’autre une peinture grasse, voire obèse, excessive en huile et en matière, désacralisante et axée sur la contestation de la peinture elle-même. On assiste donc à une dissociation radicale et explicite du mental et du physique, voire du conceptuel et du matériel, les deux tendances opposées et complémentaires qui dictent toute sa poétique de l’art. On envisagera plus loin son travail en fonction d’une peinture grasse, matiériste et autodestructrice. Cette orientation, qui se développe un peu plus tard dans son œuvre, n’accompagne qu’en partie son travail plus conceptuel qui s’exprime par une peinture maigre, citationniste et vouée à la splendeur de l’image. En fait, sa peinture maigre ne survient que pour prendre le relais de ses nouvelles performances. Dans la seconde moitié des années soixante-dix, Dicrola n’accomplit plus des actions proches du happening, mais plutôt des cérémonies et des tableaux vivants qui le conduisent à retrouver peu à peu l’attrait maniériste pour la beauté des images composées. Il dit de la performance que son modèle est le Living Theatre, dont il a rencontré la troupe : « J’ai sans doute appris d’eux à faire coexister les choses les plus contradictoires, de manière à ce que, dans l’acte créateur, dans la rencontre avec le public, il n’y ait plus de séparation avec les pensées de chacun de nous. De façon à ce que dans notre corps (le mien et celui du spectateur), il n’y ait plus de séparation avec le mental, le temporel et l’intemporel. L’acte de la performance est devenu un moment existentiel magique, où tout est à la fois en condensation et en expansion. Comme si la réalité confluait, tel un fleuve, en nous, dans notre corps, en nous offrant la sensation d’être ouverts et non plus censurés ». Rétrospectivement, il pense que ses œuvres utilisant la glace ont été, elles aussi, une
within the duality ruling his work, that is, the primacy of concept over matter, or the opposite, matter asserted in its supreme radicalism, as physis in becoming. So Dicrola’s work entered a new phase. The return to painting that he began in the late ’Seventies followed two directions. On the one hand, thin paint, scarce in oil and texture, applied in light layers, quotationist, and steeped in the fascination for the image. On the other, a thick, even obese paint, excessive in oil and texture, and focused on depreciating and challenging painting itself. We can observe a radical, explicit dissociation of the mental and the physical, and even of the conceptual and the material, the two opposed and complementary tendencies guiding his entire theory of art. Further on we shall deal with his work turned toward an oily, textural, self-destructive painting. This direction, that developed some time later in his work, accompanied only in part his more conceptual work that was expressed in light, quotationist painting, devoted to the splendor of the image. Actually, his thin painting was only an in-between stage following his new performances. In the second half of the ’Seventies, Dicrola no longer performed actions similar to happenings, but instead they were more like ceremonies and tableaus that gradually led him to rediscover the mannerist taste for the beauty of composite images. Speaking of performances, he claimed his model was the Living Theater, after frequenting its troupe : “ I probably learned from them to let the most contradictory things to co-exist, so that, in the creative act, in the encounter with the public, there was no more separation between the thoughts of each one of us. So that in our bodies (mine and that of the spectator), the separation between mental, temporal, and timeless ceased to exist. The act of the performance became a magic existential moment, where everything was at once condensed and expanded. As if reality flowed like a river inside us, in our body, offering us the sensation of being open and no longer censored ”. Looking back, he felt that his works using ice were also a direct consequence of performance, that is, the completion of a work on the ephemeral, able to highlight “ the phenomenology of the instant, of existence ”. He first performed an “ appropriation of identities and places ” in the rooms of the Musée Grévin. He had himself photographed, for instance, while he posed painting an abstract picture, next to the wax figures of the museum. He is standing still and merges with the statues and their idealized symbolism, staging his own narcissism that reflects his personal mythology. In this way in 1978 he re-launched his artistic activity with a series of photo-performances, conceived both as installations and as tableaus. He directed the
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performance concept toward that of ceremony and ritual, and created a tableau titled In the Family : my Wife, my Nephew, and Myself, where he played the part of Michelangelo sculpting a Pietà made into an autobiographical scene. He then embodied the great iconographic themes of religious painting, like the Temptation of Saint Anthony or the Childhood of Christ, restored the ostentatious realism of Caravaggio’s paintings, resumed the baroque complexity of Bernini’s groups. In the tableau Emile Zola, he interpreted the writer reading one of his books to his wife.
Dicrola - Émile Zola (performance) - 1978 - photographie sur papier argentique - 18 x 24 cm - Collection privée - Paris
conséquence directe de la performance, soit la mise au point d’un travail sur l’éphémère capable de mettre en évidence « la phénoménologie de l’instant, de l’existence ». Il réalise d’abord une « appropriation des identités et des lieux » dans les salles du Musée Grevin. Il se fait photographier pendant qu’il pose, par exemple, en train de brosser un tableau abstrait, à côté des personnages en cire du musée. Il s’immobilise et s’intègre parmi les statues au symbolisme idéalisé, mettant en scène son narcissisme en fonction de sa mythologie personnelle. Il relance ainsi en 1978 son activité artistique avec une série de photo-performances conçues à la fois comme installations et comme tableaux vivants. Faisant évoluer le concept de performance vers celui de cérémonie et de rituel, il crée un tableau vivant intitulé En famille : ma femme, mon neveu et moi, où il tient le rôle de Michel-Ange en train de sculpter une Pietà changée en scène autobiographique. Il incarne ensuite les grands thèmes iconographiques de la peinture religieuse, comme la Tentation de Saint Antoine ou l’Enfance de Jésus, il restitue le réalisme ostentatoire des tableaux du Caravage, il reprend la complexité baroque des groupes du Bernin. Dans le tableau vivant Emile Zola, il interprète l’écrivain qui lit l’un de ses livres à sa femme. Puis il se sert de l’acteur Gianni Zappia pour réaliser d’autres photo-performances à la conception esthétisante, inspirées des tableaux du premier Caravage, voire des images au classicisme exotique et ambigu du baron Wilhelm Von Gloeden. Interprétant un jeune éphèbe nu, la tête ceinte d’une couronne de fleurs, l’acteur pose allongé par terre, à genoux, ou entourant de ses bras une colonne surmontée d’une tête baroque d’enfant. Dicrola en tire deux polyptyques à quatre panneaux sur toile émulsionnée, dont les titres font référence à la beauté selon Platon. Passant ensuite
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Then he used the actor Gianni Zappia for other photoperformances, estheticizing in conception, inspired by the paintings of the early Caravaggio, or even the images of baron Wilhelm Von Gloeden, with their exotic, ambiguous classicism. Interpreting a young nude ephebe, a wreath of flowers on his head, the actor posed recumbent, or kneeling, or embracing a column crowned by a baroque head of a child. From this Dicrola drew two polyptychs with four panels on emulsified canvas, with titles referring to Plato’s conception of beauty. Then shifting from the photographic image to the manual image, he reproduced in pastel each of the photographs of this photo-performance on a linen canvas. He re-sketched them with a firm, emphatic line, recreating them as paintings in their own right. Then he reproduced them again, on another linen canvas, with a lighter line, and in this way five consecutive times until the last canvas bore only the suggested trace of the image, the imprint erased from visual memory. His intent was to strip the image down to an entity similar to a concept, but equally to visualize in sequence the process of memory, the persistence of the idea that counters the vanishing of the form.
Dicrola - Caravage (performance) - 1977 - photographie sur papier argentique - 18 x 24 cm - Collection privée - Paris
Dicrola - PudicitĂŠ (performance, actrice : Viviana Calza) - 1979 - photographie sur papier argentique 24 x 18 cm - Collection privĂŠe - Paris
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de l’image photographique à l’image manuelle, il reprend au pastel sur une toile de lin chacune des photographies de cette photo-performance. Il les redessine ainsi d’un trait ferme et appuyé, en les recréant comme peintures à part entière. Puis il les reproduit à nouveau, sur une autre toile de lin, d’un trait plus léger, et ainsi cinq fois de suite jusqu’à ce que la dernière toile ne porte plus que la trace suggérée de l’image, l’empreinte effacée d’une mémoire visuelle. Son intention est de dépouiller l’image jusqu’à une entité proche du concept, mais aussi de visualiser en séquence le processus de la mémoire, la persistance de l’idée qui s’oppose à l’évanouissement de la forme. Sa réflexion sur l’image passe par l’appropriation des artistes qui ont traité l’approche de celle-ci avec le maximum d’ambiguïté : par exemple, Von Gloeden qui crée une sorte de malaise dans son approche des corps d’éphèbes siciliens, un peu semblable à l’approche qu’a Caravage de la nudité adolescente de ses Bacchus. Ses références intègrent aussi le baroque napolitain par la somptuosité du traitement du pli, du voile, de l’ornement associé au fantasme de la chair nue. Il s’agit de l’ambiguïté de la perception, celle de l’artiste autant que celle du regard du spectateur à la fois séduit et déstabilisé. Mais Dicrola va encore plus loin puisque ce n’est pas ce premier stade d’ambiguïté qu’il cherche à mettre en scène. Il ne veut qu’en exalter le souvenir mental. Il va travailler sur la raréfaction des signes de la matière, utilisant le pastel, y superposant des voiles, de manière à ce qu’à la fin, le sujet soit décanté de toute anecdote et que seule l’idée de l’Eros subsiste dans l’œuvre. En 1979, pour une rétrospective personnelle organisée à la Galleria L’Artiglio de Bologne, il conçoit deux performances. La première, intitulée Pudicité, est interprétée par l’actrice Viviana Calza qui, nue sous un voile de tulle, incarne la célèbre statue baroque d’Antonio Corradini à la Chapelle San Severo, à Naples. La seconde, intitulée Ambiguïté, est jouée par l’acteur Ermanno Perinotto qui interprète un Hamlet narcissique évoluant parmi les spectateurs un miroir à la main. Dicrola lui fait réciter une nouvelle version du monologue qui revient à déclarer la simultanéité de l’être et du non être. Toute identité, toute forme de la réalité lui apparaît suspendue entre existence et non existence, le devenir n’étant que processus continu. Ainsi, le tout est une épiphanie continue aussitôt suivie de sa propre dissolution. Il affirme vouloir aller « à contresens de l’histoire ». Il vient de lire les Dialogues de Gilles Deleuze et d’y trouver la définition du style comme nécessité d’une expression qui se situe au-delà des modes et des préceptes rhétoriques : « Un style, c’est arriver à bégayer dans sa propre langue. C’est difficile parce qu’il faut qu’il y ait nécessité d’un tel bégaiement.
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Dicrola - Watteau (performance) - 1979 - photographie sur papier argentique - 24 x 18 cm - Collection privée - Paris
His reflection on the image included the appropriation of the artists who treated it with the greatest ambiguity : for example, Von Gloeden, who created a sense of anxiety in his approach to the bodies of Sicilian ephebes, rather like Caravaggio’s approach to the adolescent nudity of his Bacchus. His references also included the Neapolitan Baroque, with its gorgeous treatment of folds, of the veil, of adornment associated with fantasizing over nude flesh. It had to do with the ambiguity of perception, the artist’s as well as that of the gaze of the beholder, at once attracted and disturbed. But Dicrola went even further, since what he strived to represent was not this first phase of ambiguity. He only wished to glorify a mental recollection. He then worked on rarefying the signs of matter, using pastel, overlaying veils, so that ultimately the subject was decanted of any anecdote, leaving in the work the sole presence of the idea of Eros. In 1979, for a solo retrospective held at the Galleria L’Artiglio in Bologna, he designed two performances. The first, titled Modesty, was interpreted by the actress Viviana Calza who, nude under a veil, embodied the famous baroque
Dicrola - Être ou ne pas être (performance : ambiguïté, acteur : Ermanno Perinotto) - 1979 - photographie sur papier argentique - 18 x 24 cm Collection privée - Paris
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Non pas être bègue dans sa parole, mais être bègue du langage lui-même. Être comme un étranger dans sa propre langue ». En effet, pour Dicrola la peinture n’est pas l’exercice d’un métier qui se prévaut d’un code stylistique, mais plutôt l’appropriation individuelle et « bègue » d’un réservoir d’images symboliques, de schémas compositionnels, de figures et de thèmes qui ont fait autant la culture que l’art à travers les siècles. Il affirme : « Je suis toujours pour les masques, pour cette répétition différente dont parle Deleuze dans plusieurs de ses textes à propos de l’aléatoire, de l’audace, du jeu, du manque de finalité ». Le propos est nietzschéen, le monde est désormais vidé de sens, et la seule possibilité pour l’artiste est d’aller de masque en masque, vivant ainsi le vertige d’une forme qui n’a d’autre signification qu’elle-même. Il continue de fréquenter Giovanni Lista, qui lui présente Jean-François Bory, Julien Blaine et le groupe parisien de la Poesia Visiva. Passionné du Mail Art, Julien Blaine défend dans sa revue Dock(s) toutes les formes d’art postal dans le monde, mais aussi les courants les plus agitationnistes de l’avant-garde, comme le situationnisme. C’est l’occasion pour Dicrola de découvrir d’autres orientations de recherche. En 1979, lors d’une visite au Louvre, il achète une carte postale représentant Jeanne d’Arc au sacre de Reims, le célèbre tableau peint par Ingres. Il trouve ensuite au bureau de tabac de la rue de Rivoli un autocollant montrant Superman en vol. Il le colle sur l’image, orientant le vol du héros vers le visage de Jeanne d’Arc puis place un phylactère au-dessus de la sainte, lui faisant prononcer le nom de Superman. Le télescopage entre deux codes visuels différents crée un effet de court-circuit dans lequel se trouvent mis en scène l’impérialisme américain et l’hégémonisme culturel français, faisant alors de Jeanne d’Arc une « wonderwoman » qui attend son héros. La composition est parfaitement réussie au niveau du photocollage car autant le regard de la sainte que l’échelle des contenus visuels associés concourent à créer une image organiquement conçue alors qu’il s’agit d’un montage créant un sens imprévu. Dicrola vient de s’approprier l’une des trouvailles les plus savoureuses de l’agitation culturelle situationniste : la subversion de l’image classique par la bande dessinée. Cette pratique ironique qui recharge sémantiquement les images les plus célèbres de l’histoire de l’art, en faisant parler leurs personnages, a été utilisée également par les poètes et artistes de la Poesia Visiva. Intitulée Ambiguïté : Jeanne d’Arc et Superman, l’œuvre sera refaite à une plus grande échelle, dans une version « tableau glacé », lorsque Dicrola reviendra à l’appropriation des héros de la bande dessinée américaine, les associant à l’iconographie classique de la vieille Europe. Dans son itinéraire d’artiste, cette œuvre de Mail Art représente la première introduction de l’iconographie de
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statue by Antonio Corradini in the San Severo Chapel in Naples. The second, titled Ambiguity, was played by the actor Ermanno Perinotto, who interpreted a narcissistic Hamlet carrying a mirror and wandering amidst the audience. Dicrola had him recite a new version of the monologue, proclaiming the simultaneity of being and non-being, becoming being only an ongoing process. In this way, everything is a continuous epiphany immediately followed by its own dissolution. He claimed he wished to go “ against the course of history ”. He had just finished reading Gilles Deleuze’s Dialogues, where he encountered the definition of style as the necessity of an expression that goes beyond fashionable trends and rhetorical precepts : “ Style is being able to stutter in your own language. Not being a stutterer in your speech, but a stutterer of language itself. Being like a foreigner in your own language ”. Actually, painting for Dicrola is not the exercise of a craft with its stylistic code, but instead the individual, “ stuttering ” appropriation of a reservoir of symbolic images, compositional schemes, figures, and themes that gave rise to culture as well as to art throughout the centuries. He claimed : “ I am always in favor of masks, for this different repetition of Deleuze speaks of in several of his texts with respect to randomness, daring, play, absence of finality ”. The notion is Nietzschean, henceforth the world is emptied of meaning, and the only possibility for the artist is to go from one mask to another, thus experiencing the giddiness of a form whose only meaning is itself. He still frequented Giovanni Lista, who introduced him to Jean-François Bory, Julien Blaine, and the Parisian group of Poesia Visiva. Julien Blaine, an enthusiast of Mail Art, in his review Dock(s) championed every form of postal art in the world, but also the most agitationist trends of the avant garde, such as situationism. This gave Dicrola the opportunity to discover other directions for his experiments. During a visit to the Louvre in 1979, he bought a postcard representing Joan of Arc at the Sacre of Reims, the famous painting by Ingres. Then at the tobacconist on the corner of the Rue de Rivoli he found a sticker showing Superman in flight. He stuck it on the image, directing the hero’s flight toward Joan of Arc’s face, then put a phylactery above the saint, making her pronounce Superman’s name. The telescoping of the two different visual codes creates a shortcircuit effect, in which American imperialism and French cultural hegemony are represented, and Joan of Arc is turned into a “ wonderwoman ” awaiting her hero. The composition is a complete success as a photo-collage, because the saint’s gaze merges with the scale of the associated visual contents, creating an organically conceived image even though it is a montage producing an unforeseen meaning.
Dicrola - Ambiguïté : Jeanne d’Arc et Superman - 1979 - intervention sur carte postale - 15 x 10,3 cm - Collection privée - Bruxelles
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la bande dessinée dans le répertoire visuel de l’art classique. Il explore encore ce genre au cours des mois suivants. Utilisant d’autres cartes postales, il s’approprie la Vénus de Milo du Louvre, la célèbre statue de l’Apoxyómenos des Musei Vaticani à Rome, des tableaux d’Élisabeth Vigée-Lebrun et de l’école de Fontainebleau, ainsi que les hermès qui ponctuent les allées des jardins de Versailles, qu’il photographie lui-même. Les photocollages, tous titrés à partir du mot « ambiguïté », insèrent dans l’image des Supermans planant dans les airs, des Spiderman bondissants ou des extraterrestres humanoïdes. Ses performances en forme de cérémonies, de rituels et de tableaux vivants lui permettent de mettre en scène les rapports entre la réalité et le jeu, l’être et le paraître, l’acteur et l’identité. Il pousse jusqu’au bout la confusion entre le réel, l’artifice, l’art et le théâtre. L’été 1979, il arrive à la fois à vivre et à mettre en scène son propre mariage avec Brigitte Morin, célébré dans l’église de Saint-Malo-de-Phily, en Bretagne. Il se présente habillé en redingote, gilet queuede-pie, canne et haut-de-forme, transformant la cérémonie en une véritable performance. Celle-ci est ensuite sublimée par l’art, en fonction d’une mise en abyme de cette mythologie personnelle qu’il développe également dans ses tableaux. Ainsi, le 12 juin 1981 il présente Cérémonial, trois audiovisuels pour une seule cérémonie, au vidéorama du Palazzo dei Diamanti de Ferrare. Les trois volets du spectacle, une réflexion ironique sur l’illusion à partir de sa propre biographie, sont : « Célébration » où il apparaît paradoxalement comme l’interprète de son propre mariage, « Voyance » où il interprète un devin qui lit l’avenir dans les tarots, et « Théâtre » où il interroge des acteurs dans les coulisses en citant des propos philosophiques sur la magie de l’acte théâtral. En 1983, alors qu’il est sous contrat avec la galerie Trans/Form d’Antonio Furone, il peint le tableau Silentium qui se présente comme une fresque qui aurait été détachée des parois d’une église. L’image, comme inachevée ou effacée par le temps, acquiert une dimension mystérieuse. Le cadre, à la partie supérieure arrondie en arc de cercle, évoque un retable d’autel ou de chapelle. La scène, qui est tracée à la sanguine, suggérant ainsi le tracé de la sinopie avant la pose des couleurs de la fresque, représente un nouveau-né nu, dormant et confiant comme pouvait l’être l’enfant Jésus. Près de lui, un chiot sommeille avec le même abandon, témoignant pour l’enfant d’une amitié fidèle et protectrice. Légèrement décalé sur la gauche, se tient assis un ange gardien dont l’aile gigantesque forme un abri incurvé, à la manière d’un toit de paille. Derrière ces trois personnages, un extérieur est suggéré par un pan de couleur bleu turquoise délavé strié d’ombres brunes donnant de la profondeur au champ et évoquant une nature de feuillages dans le lointain.
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Dicrola had just appropriated one of the most delightful finds of situationist cultural agitation : the subversion of the classical image by the comic strip. This ironic practice that recharges the most famous images of art history by making their figures speak was equally used by the poets and artists of Poesia Visiva. Titled Ambiguity : Joan of Arc and Superman, the work was repeated on a larger scale, in a “ glossy picture ” version, when Dicrola went back to appropriating American comic strip heroes, combining them with the classical iconography of old Europe. In his artistic career, this Mail Art work was the first introduction of comic strip iconography in the visual repertory of classical art. During the next months he continued to explore this genre. Using other postcards, he appropriated the Louvre Venus de Milo, the famous statue of the Apoxyomenos in the Vatican Museum in Rome, paintings by Élisabeth Vigée-Lebrun and of the École de Fontainebleau, as well as the hermes lining the lanes of the gardens of Versailles that he himself photographed. The photo-collages, with all their titles featuring the word “ ambiguity ”, introduced in the image Supermen in flight, bounding Spidermen, or humanoid extra-terrestrials. His performances in the form of ceremonies, rituals, and tableaus enabled him to stage the relations between reality and play, being and appearing, the actor and identity. He carried to extremes the confusion between real, artificial, art, and the theater. In the summer of 1979, he both experienced and performed his wedding with Brigitte Morin, held in the church of Saint-Malo-de-Phily in Brittany. He appeared wearing a frock coat, tails, top hat, and carrying a cane, transforming the ceremony into an authentic performance. It was then sublimated by art, through a mise en abyme of this personal mythology he developed in his paintings as well. On 12 June 1981 he presented Ceremonial, three audio videos for a single ceremony, at the Videorama of the Palazzo dei Diamanti in Ferrara. The three parts of the performance, an ironic reflection on illusion based on his own biography, are : “ Celebration ” where he appears paradoxically as the actor of his own wedding, “ Clairvoyance ” where he plays a soothsayer reading the future in Tarot cards, and “ Theater ” where he questions the actors in the wings while quoting philosophical speeches on the magic of the theatrical performance. In 1983, when he had a contract with Antonio Furone’s gallery Trans/Form, he painted the picture Silentium that looks like a fresco detached from the walls of a church. The image, as if uncompleted or erased by time, has a mysterious dimension. The frame, on the upper arched part, suggests an altarpiece for a high altar or a chapel. The scene, drawn in red chalk, thus recalling the tracery of the sinopia (or underdrawing) before the application of the colors of the fresco,
Dicrola - Michel-Ange. En famille : ma femme, mon neveu et moi (performance) - 1979 - photographie sur papier argentique - 18 x 24 cm - Collection privÊe - Paris
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Dicrola - Installation - 1982 - technique mixte - ∅ 120 x 120 cm Collection privée - Paris
L’œuvre traite apparemment de l’innocence qui doit être protégée par le silence, loin de la fureur du monde, mais elle procède en réalité, par sa construction hautement citationniste, d’un travail sur la peinture en tant que telle. Le tableau documente en fait ce que Dicrola appelle « une peinture à contretemps ». Le bébé endormi provient du célèbre tableau de Titien Les trois âges de l’homme dont il reprend également le schéma général de la composition et le thème même de l’enfant endormi et la veillé par un ange. Mais d’une part, l’ange à l’aile déployée est une reprise littérale de la créature angélique peinte par Segantini dans son tableau L’amour aux sources de la vie, d’autre part, le chiot lové sur lui-même est lui aussi une reprise exacte du petit chien apparaissant dans le tableau La Vénus d’Urbin du Titien. En effet, tant l’inachèvement de l’œuvre que la toile laissée libre et flottante autour du châssis tendu, témoignent de la volonté de l’artiste de n’assumer la peinture qu’à travers une dimension distanciée. Dicrola entend échapper à l’évidence première d’une nature se manifestant comme image. Titien et Segantini sont ainsi mis à contribution pour une opération métalinguistique qui dévoile le statut physique de la peinture et la permanence de ses codes visuels. Des citations apparemment moins incongrues sont en revanche utilisées dans le portrait de Giovanni Lista qu’il réalise en 1984. Intitulé Homo a me picto et polito artis coloribus, le tableau contient des emprunts iconographiques associant des sculptures de Balla et de Boccioni, le buste d’Homère, un rideau qui s’ouvre soudain à la manière de De Chirico, des catalogues publiés par l’historien de l’art, le paysage de la Joconde de Léonard de Vinci et un dragon ailé librement inspiré du tableau
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represents a nude infant, asleep and trusting as the infant Jesus could have been. Nearby, a puppy dozes with the same confidence, expressing a faithful, protective fondness for the child. Slightly out of line on the left there is a guardian angel whose huge wing forms a curved shelter, rather like a thatched roof. Behind these three figures, an exterior is suggested by a band of faded turquoise blue streaked with brown shadows giving the field depth and suggesting a nature with foliage in the distance. Apparently the work has to do with innocence, that should be shielded by silence, far from the furor of the world, but in fact, with its highly quotationist construction, it consists of a work about painting itself. Actually the painting documents what Dicrola calls “ contretemps painting ”. The sleeping child comes from Titian’s famous painting The Three Ages of Man : he borrowed its overall compositional organization and the very theme of the sleeping child watched over by an angel. But on the one hand, the angel with its outspread wing is a literal replica of the angelic creature painted by Segantini in his picture Love at the Source of Life, while on the other hand the curled up puppy is also an exact replica of the small dog appearing in the Urbino Venus by Titian. Indeed, the incompleteness of the work as well as the canvas left free to float around the taut stretcher, attest to the artist’s determination to take on painting only through a distanced dimension. Dicrola was determined to avoid the first evidence of nature manifesting itself as image. So Titian and Segantini are used for a meta-linguistic operation disclosing the physical status of painting and the permanence of its visual codes. Seemingly less incongruous quotations were used on the other hand in the portrait he did of Giovanni Lista in 1984. Titled Homo a me picto et polito artis coloribus,
Saint Georges et le dragon du Tintoret. L’œuvre est en fait un hommage à la dimension hermétique : le profil de l’historien d’art campe au milieu de la toile, apparaissant comme une ombre lumineuse qui se détache de façon cryptique et irréelle de l’image. Si l’on regarde le profil, on s’aperçoit que le dragon ailé y occupe la place de l’œil, désignant ainsi métaphoriquement l’acuité du regard de l’historien d’art. L’année suivante, il peint Embarquement pour Patmos, une toile de très grand format (240 x 270 cm), célébrant ses frères et pères spirituels, ses amis et les poètes du groupe de la Poesia Visiva. On y voit Jiri Kolar, Gilles Deleuze, Jean Baudrillard, Philippe Sollers, Nanni Balestrini, Joseph Beuys, Jean-François Bory, Achille Bonito Oliva, la baronne Lucrezia De Domizio Durini, Bernard Heidsieck, Julien Blaine, Giovanni Lista, John Giorno, Dick Higgins et bien d’autres personnages de la vie culturelle de l’époque, tous réunis sur une terrasse à colonnes donnant sur une mer aux flots agités. Au premier plan un livre ouvert, avec le poème Patmos de Friedrich Hölderlin, alors qu’une bacchante invite à la fête et que Dicrola lui-même, dans le rôle du conducteur, présente ses invités. Les pétales des roses de la gloire jonchent déjà le sol. C’est à cette époque qu’il se lance, avec son ami Gianmarco Montesano, dans une aventure de théâtre expérimental en Italie. L’expérience ne fait pour lui que prolonger sa pratique de la performance. Il joue d’abord dans le spectacle Kappa, le rêve de Monsieur K, prélude et grand opéra de Félix Guattari d’après le roman de Kafka, musique de Franco Battiato, adaptation et mise en scène de Gianmarco Montesano, présenté en janvier 1982 au Teatro Dehon de Bologne. Quelques mois plus tard, il est à nouveau sur les planches, interprétant le rôle d’un vendeur d’oiseaux dans C’est l’automne, Madame de Gianmarco Montesano, d’abord monté en représentation privée à la Faculté d’études théâtrales de l’Université de L’Aquila, puis présenté au Teatro Florian de Pescare. Il participe encore, comme acteur mais aussi comme scénographe, aux représentations de Paradis de Philippe Sollers, adaptation et mise en scène de Gianmarco Montesano, monté à la Sala Umberto di Savoia, à Rome, en mars 1983. Il interprète enfin un rôle chanté, dans une prestation qui comporte l’air « Lucean le stelle » de la Tosca de Puccini, dans Le balcon de Juliette, pastiche de Gianmarco Montesano, joué en plein air dans la cour du Palazzo Forti, durant l’été 1984, à Vérone. Cette activité théâtrale tient autant de sa passion pour le contact vivant que de l’affirmation de sa mythologie personnelle.
the painting features iconographic loans combining sculptures by Balla and Boccioni, the bust of Homer, a curtain suddenly opening in the manner of De Chirico, catalogues published by the art historian, the landscape of Mona Lisa, and a winged dragon freely inspired by Tintoretto’s Saint George and the Dragon. The work is actually a tribute to the hermetic dimension : the profile of the art historian occupies the center of the canvas, appearing like a luminous shadow standing out against the image in a cryptic, unreal fashion. If you examine the profile, you see that the winged dragon is in the place of the eye, thus designating metaphorically the acuity of the art historian’s eye. The next year he painted Embarking for Patmos, a very large format work (240 by 270 cm), celebrating his spiritual brothers and fathers, his friends, and the poets of the Poesia Visiva group. It features Jiri Kolar, Gilles Deleuze, Jean Baudrillard, Philippe Sollers, Nanni Balestrini, Joseph Beuys, Jean-François Bory, Achille Bonito Oliva, the baroness Lucrezia De Domizio Durini, Bernard Heidsieck, Julien Blaine, Giovanni Lista, John Giorno, Dick Higgins, and quite a few other figures of the cultural life of the time, all gathered on a columned terrace overlooking a ruffled sea. In the foreground a book lies open showing Friedrich Holderlin’s poem Patmos, while a bacchante is inviting to the party, and Dicrola himself, in the role of master of ceremonies, introduces his guests. The rose petals of glory are already strewn over the ground. It was at this time that with his friend Gianmarco Montesano he launched an adventure in experimental theater in Italy. For him the experience was merely a practical outcome of performance. He first played in Kappa, Mr. K’s Dream, prelude and grand opera by Félix Guattari after Kafka’s novel, music by Franco Battiato, adaptation and direction by Gianmarco Montesano, presented in January 1982 at the Teatro Dehon in Bologna. A few months later he was back on the stage, playing the role of a man selling birds, in It’s Autumn, Madame by Gianmarco Montesano, first shown in a private performance at the Faculty of Drama Studies of the University of L’Aquila, then presented at the Teatro Florian in Pescara. Yet again, as actor but also as scenographer, he took part in performances of Paradise by Philippe Sollers, adapted and directed by Gianmarco Montesano at the Sala Umberto di Savoia, in Rome, in March 1983. Last, he played a part in which he sang the aria “ Lucean le stelle ” from Puccini’s Tosca, in Juliet’s Balcony, a pastiche by Gianmarco Montesano, an open air performance in the courtyard of Palazzo Forti during the summer of 1984 in Verona. This theatrical activity has as much to do with his passion for live contact as with the assertion of his personal mythology.
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Dicrola - Embarquement pour Patmos - 1985 - huile sur toile - 240 x 270 cm - Collection privĂŠe - Paris
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L’OBÉSITÉ DE LA PEINTURE THE OBESITY OF PAINTING
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omme il le montre tout au long de son évolution, Dicrola sait toujours épouser son époque, se mettre en syntonie avec son temps, sans pour autant céder du terrain quant à la cohérence de sa recherche. En poursuivant, dans ses tableaux citationnistes, une mise en scène de la peinture comme image, il n’en développe pas moins, ces mêmes années, une approche matiériste du tableau, intervenant ainsi sur un autre courant de la recherche contemporaine. La peinture est en effet, à cette époque, un nouveau territoire d’investigation pour le questionnement de l’art. Depuis le milieu des années soixante-dix, on assiste à l’essoufflement de la tension expérimentale de l’avant-garde dans son double versant de l’art objectal et de l’art conceptuel. Les artistes reprennent la toile et les pinceaux afin de réinvestir la peinture qui devient à nouveau le médium de pointe du travail artistique. Ce retour en force du tableau peint, longuement banni par les adeptes de l’objet et du concept, se manifeste de différentes manières, tant au niveau de l’expression formelle que des contenus visuels. En 1979, alors que le retour à la peinture s’étend à toute l’Europe, l’Italie voit la naissance du mouvement de la Trans-avant-garde dont les peintres proposent une figuration esthétisante et décorative. En France, Eugène Leroy peint avec de la matière épaisse mais mate, tandis que Garouste réalise des tableaux aux figures mythiques, élaborant des récits énigmatiques et théâtralisés sur des toiles striées de couleurs artificielles avec des parties en réserve. Travaillant sur une matière saturée de couleurs, Barcelò représente les espaces décorés du Louvre. Parmi les néo-expressionnistes allemands, qui peignent des tableaux surchargés de pigment, Anselm Kiefer illustre les lieux, lourds de mémoire, de la chute du Troisième Reich. Le matiérisme s’exprime à travers deux niveaux d’approche. Le premier est celui où le pigment se suffit à lui-même, son emploi pléthorique traduisant la présence physique de la matière dans le travail de l’artiste. Le second est celui où la couche picturale épaisse est parfois additionnée de matériaux hétérogènes qui peuvent être empruntés à la nature ou provenir, en tant que déchets ou objets trouvés, du monde de la ville et des activités humaines. Durant ces mêmes années, Dicrola interroge les valeurs de l’iconicité, explorant les fondements traditionnels de l’art, surtout ceux de la peinture comme production d’images. Il introduit des citations décalées, détournées, il pratique un langage au second degré, fait d’ironie et de persiflage, qui n’en pointe pas moins l’art comme processus d’élaboration matérielle et de sédimentation mentale. Cette réflexion sur la nature des
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icrola, as we have seen throughout his evolution, was always closely attuned to his time, without for that compromising the coherence of his research. While he continued to present painting as image in his quotationist paintings, during the same period he nonetheless developed a matiériste approach to the work, in this way intervening in another trend of contemporary research. Indeed at the time painting was a new investigative territory for questioning art. Since the mid-Seventies the experimental tension of the avant garde was growing slack in its twofold movements of Objectal Art and Conceptual Art. Artists were coming back to the canvas and brushes, reinvesting painting that once again became the leading medium in art. This strong comeback of the painted picture, long banished by the adepts of the object and the concept, was displayed in several manners, on the level of formal expression as well as visual contents. In 1979 while the return to painting spread all over Europe, in Italy the Trans-Avant-Garde movement sprang up, its painters proposing an estheticizing, decorative figuration. In France, Eugène Leroy painted with a thick but mat texture, while Garouste did paintings with mythical figures, elaborating enigmatic, dramatized stories on canvases streaked with artificial colors and with reserved parts. Working on a texture saturated with color, Barcelò represented the decorated spaces of the Louvre. Among the German neo-Expressionists who painted works laden with pigment, Anselm Kiefer illustrated the memorable places connected with the fall of the Third Reich. Matiérisme is expressed in two approaches. In the first, pigment is self-sufficient, its plethoric use expressing the physical presence of matter in the artist’s work. In the second, the thick layer of paint is occasionally completed with heterogeneous materials that can be borrowed from nature or else as waste or found objects drawn from the world of the city and of human activities. In these same years Dicrola questioned the value and concept of the icon, delving into the traditional foundations of art, especially those of painting as production of images. He introduced erratic quotations, diverted from their meaning, practicing a tongue-in-cheek language, ironic and scathing, that nonetheless pointed to art as a process of material elaboration and mental sedimentation. This reflection on the nature of images and the iconic history of painting was based on a re-visitation of the work of De Chirico, master of the dialogue with the museum. Dicrola was above all interested in the second period of the work of the creator of metaphysical art, that of “ modernism in a mirror ”, exemplified by differentiated repetition, mannerist re-cycling, and the post-modern mood.
Dicrola - La Chambre de la Reine - 1985 - huile sur toile - 27 x 35 cm - Collection privĂŠe - Bruxelles
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images et sur l’histoire iconique de la peinture s’appuie sur une revisitation de l’œuvre de De Chirico, le maître de tout dialogue avec le musée. Dicrola s’intéresse surtout à la seconde période de l’œuvre du créateur de l’art métaphysique, celle de la « modernité en miroir », caractérisée par la répétition différenciée, le recyclage maniériste et l’esprit post-moderne. Poursuivant une figuration citationniste, Dicrola procède en même temps comme s’il relisait l’histoire de la peinture à travers les différentes manières picturales. Il accomplit ainsi diverses expériences avec le médium : empâtements, lavis, ou encore esquisses linéaires dans une seule tonalité de couleur, s’inspirant alors des méthodes de travail de la sinopie associée à la fresque. Il s’attaque enfin à la matérialité de l’œuvre afin de détruire de l’intérieur l’illusion tenant à une fixité idéale, immatérielle et inaltérable de l’image et de ses signes. Il peint des toiles où la surcharge de la matière picturale, déterminant l’altération de la forme représentée, fléchit son statut illusionniste au profit d’une redécouverte du tableau comme objet, surface, pigment, texture. Dicrola s’engage en parallèle, avec ses performances, dans une longue réflexion sur l’iconographie religieuse et son pouvoir mythique. Mais il incarne autant l’imagerie liturgique que les cérémonies païennes, les rituels initiatiques, les images de théâtre. Il va jusqu’à s’approprier la tradition de la Commedia dell’Arte napolitaine dans une série de tableaux vivants et de scénettes muettes qui le conduisent à peindre aussitôt des tableaux marqués par la dérision, la mascarade et la force subversive de la culture populaire. En 1977, il peint le tableau Bel Paese, titre qui reprend l’appellatif « beau pays » par lequel on désigne habituellement l’Italie touristique. Figurant Polichinelle qui joue de la mandoline, il réalise une peinture chargée, à la touche rapide, où jouxtent deux manières. Le fond est traité dans un style conventionnel, avec une peinture très fluide et très rapidement brossée en grands aplats, juste marquée par une ligne horizontale sombre comme ligne d’horizon, tandis qu’au premier plan la silhouette du personnage, cerné d’un trait sombre, est traitée avec une matière picturale épaisse, par endroits empâtée et à d’autres vibrante par la vigueur et la rapidité de la touche. Il en résulte une impression de vie saisie sur le vif par la vérité et le dynamisme de la posture autant que par le traitement rapide de l’esquisse. Mais la dimension ostentatoire de la scène folklorique implique une lecture au second degré. L’image est en effet outrancière, hautement représentative d’une culture napolitaine réduite à une carte postale pour touristes. Dès cette date, ce genre de peinture, crasseuse et désacralisante à la fois, coexiste avec les autres tableaux citationnistes où il fait bégayer le langage de la peinture, selon la for-
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Pursuing a quotationist figuration, Dicrola proceeded at the same time as though he were re-reading the history of painting through the succession of pictorial styles. He made several experiments with the medium : impastos, washes, or even linear sketches in the same tone, drawn from the working methods of the sinopia, associated with the fresco. Last he tackled the materiality of the work in order to destroy from within the illusion of an ideal, immaterial, and inalterable staticity of the image and its signs. He painted canvases where the overload of pictorial matter, determining the alteration of the form represented, yields its illusionist status to a rediscovery of the picture as object, surface, pigment, texture. On a parallel, in his performances Dicrola engaged in a prolonged reflection on religious iconography and its mythical power. But he embodied liturgical imagery along with pagan ceremonies, initiation rituals, theatrical images. He even appropriated the tradition of the Neapolitan Commedia dell’Arte in a series of tableaus and mute scenes that incited him to immediately paint pictures featuring the derision, masquerade, and subversive force of popular culture. In 1977 he painted the picture Bel Paese, a title recalling the name “ beautiful country ”, that usually refers to the Italy of tourism. Representing Punchinello playing the mandolin, he made an elaborate painting, with swift brushstrokes, combining two manners. The background was treated in a conventional style, with a very fluid paint, quickly applied in wide flat tints, barely marked by a dark horizontal line like a skyline, whereas in the foreground the silhouette of the figure, outlined with a dark line, was treated with a thick pictorial matter, at times impastoed and others vibrant with the vigor and swiftness of the stroke. The outcome is a direct impression of life given by the truth and dynamism of the posture as much as by the swift treatment of the sketch. But the ostentatious dimension of the folkloric scene implies a differed reading. In fact the image is extreme, highly representative of a Neapolitan culture reduced to a postcard for tourists. From then on this type of painting, at once crass and demystifying, co-existed with the other quotationist paintings where he made the language of painting stutter, in keeping with the formula he extrapolated from Deleuze, playing on mannerist displacement, on difference and repetition. In this way he produced in his work the perversion of meaning, either by a material implosion that overloads the picture with excess and extremes, or by a deviation of the academic and classical code, that is, a constant variation of the internal elements of language. In short, according to a famous formula attributed to Picasso, Dicrola practiced “ a left-handed painting and a right-handed painting ”. Then a
very intense decade began, during which he worked with the galleries Ariadne in Vienna, Lemdl in Graz, L’Artiglio in Bologna, Bodenschatz in Basel, and in Paris Antiope, Trans/ Form, L’Aire du Verseau, and Torigny. This period climaxed in May 1987 when he received the award as Chevalier de l’Ordre des Arts et Lettres from the minister of culture JeanFrançois Léotard. During these same years he engaged in a re-interpretation of the Trans-Avant-Garde movement. Indeed, in the midst of his reflection on painting, Dicrola soon felt the need to break with an actuality that was becoming a mere vogue.
Dicrola - Silentium - 1982 - encre de Chine sur papier journal 35 x 48 cm - Collection privée - Knokke-le-Zoute
mule qu’il a extrapolée de Deleuze, jouant sur le déplacement maniériste, la différence et la répétition. La perversion du sens se produit ainsi, dans son travail, tantôt par une implosion matérielle, qui charge la peinture d’excès et d’outrance, tantôt par un détournement du code académique et classique, soit un travail de variation continuelle des éléments internes de la langue. Dicrola pratique en somme, selon une formule célèbre attribuée à Picasso : « une peinture de la main gauche et une peinture de la main droite ». S’ouvre alors une décennie très intense qui le voit travailler avec les galeries Ariadne à Vienne, Lemdl à Graz, L’Artiglio à Bologne, Bodenschatz à Bâle, Antiope, Trans/Form, L’Aire du Verseau et Torigny à Paris. Cette période culminera en mai 1987, lorsqu’il recevra la nomination de Chevalier de l’Ordre des Arts et des Lettres par le ministre de la culture Jean-François Léotard. Ces mêmes années, il s’engage dans une relecture de la Trans-avant-garde. En effet, au sein de son questionnement de la peinture, Dicrola ressent bientôt l’exigence d’une rupture avec une actualité qui tend à n’être plus qu’une mode. Italien de naissance et de formation, mais français par sa culture et ses choix, Dicrola se positionne face à la Trans-avant-garde. Cette formule ambiguë définit un courant de l’art italien qui prêche, au-delà du retour à la peinture, une abdication devant toute finalité dans l’art. Niant la conception linéaire de l’histoire qui est le principe moteur de l’idéologie avant-gardiste, la Trans-avant-garde joue sur une transversalité : l’artiste transite à plaisir à travers des choix divers, conservant ainsi une liberté spontanéiste qui bouleverse la spécificité des langages et des solutions formelles. Se déployant avec une grande vitalité, le phénomène de la Trans-avant-garde, comme ses variantes internationales, produit une salutaire revalorisation de l’œuvre qui redevient le but même de l’acte de création. La Trans-avant-garde met ainsi un terme à ce refus de l’œuvre qui a été le cheval de
Italian by his birth and training, but French by his culture and choices, Dicrola took a stand with respect to the Trans-Avant-Garde. This ambiguous formula defined a trend in Italian art that, beyond a mere return to painting, advocated abdicating in front of any finality in art. Denying the linear conception of history that is the guiding principle of avant-garde ideology, Trans-Avant-Garde plays on transversality : the artist enjoys transiting through various choices, thus preserving a spontaneist freedom that overthrows the specificity of languages and formal solutions. Intensely vital, the Trans-Avant-Garde phenomenon, like its international variants, produced a salutary revalorization of the work, that became once again the very goal of the creative act. Thus Trans-Avant-Garde put an end to the denial of the work, the favorite theme of the ’Sixties and the ’Seventies avant gardes in their striving to elude the market and the consumer society system. So Dicrola did not lose sight of the positive role played by this theory of art, but once he accepted the overcoming of Conceptual art, he questioned the return to the image in which Trans-Avant-Garde appeared to be trapped. The expression “ return to the image ” meant restoring the storytelling, ornamental role of art, that is, a painting once again iconographic but also narcissistically focused on its own manual enjoyment. In this fashion Trans-Avant-Garde led straight to the museum. Instead Dicrola chose to leave open the hypothesis of an art taking post-modernism into consideration. Giving a rather personal interpretation of this last critical category, he relied on speed as an absolute value, therefore as the specific language of a creative methodology that sought to be “ mimetic ” in front of contemporary civilization. He went so far as to speak of “ speed ” as a new value in artistic creation. The culture of crisis, that registers the defeat of the utopian values arisen with technological progress and the advent of industrial society, does not imply the reversibility of history. The praxis of the everyday disregards the failures of ideology. So for Dicrola the issue was no longer speed
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bataille des avant-gardes des années soixante et soixante-dix dans leur tentative d’échapper au marché et au système de la société de consommation. Dicrola ne perd donc pas de vue la fonction positive que révèle cette poétique de l’art, mais une fois accepté le dépassement de l’art conceptuel, il problématise le retour à l’image dans lequel la Trans-avant-garde semble s’enfermer. Il faut entendre par retour à l’image une récupération de la fonction fabulatrice et ornementale de l’art, c’est-à-dire une peinture de nouveau iconographique et en même temps fermée narcissiquement sur le plaisir manuel d’elle-même. De cette manière, la Trans-avant-garde mène directement au musée. Dicrola choisit au contraire de maintenir ouverte l’hypothèse d’un art prenant en compte le « post-moderne». Donnant à cette dernière catégorie critique un sens assez personnel, il mise sur la rapidité comme valeur absolue, donc comme langage spécifique d’une méthodologie créatrice qui se veut « mimétique » face à la civilisation contemporaine. Il va ainsi jusqu’à parler de la « vitesse » comme d’une nouvelle valeur de la création artistique. La culture de la crise, qui prend acte de la défaite des valeurs utopiques nées avec le progrès technologique et l’avènement de la société industrielle, n’implique pas la réversibilité de l’histoire. La praxis du quotidien ignore les chutes de l’idéologie. Pour Dicrola, il ne s’agit donc plus de la vitesse exaltée comme mythe du progrès selon la rhétorique moderniste de l’avant-garde historique, mais bien de la vitesse comme instinct éduqué de l’homme contemporain qui en tire toutes les possibilités d’ubiquité mentale, de rapidité et de désinvolture perceptives. Là où la Trans-avant-garde tend vers une peinture qui assumerait comme sanction la seule mémoire d’elle-même, faisant ainsi naufrage par sa vocation muséale, le travail de Dicrola maintient les liens avec la culture vivante du présent historique. En recourant au pinceau, mais en refusant l’iconographie complaisante qui condense sur l’œuvre l’aura esthétique du musée, Dicrola se sert de l’allusion et de la trace comme signes minimaux en tant qu’ils ressortent de l’urgence et de l’efficacité de la communication. La nouvelle valeur opératoire de son travail s’incarne donc dans l’image du caméléon conjuguée avec une circularité sans fin entre présence et absence jusqu’à l’idée fulgurante d’une vitesse statique qui contient toute la mythologie du postmoderne. Le caméléon apparaît à ses yeux comme l’emblème d’une stratégie visant un art versatile, perméable à toutes les modes afin d’échapper au phénomène même de la mode. Au symbole du caméléon, il ajoute ensuite celui de l’escrime, dans des œuvres telles Nouveaux désordres des duels et Éviter, feinter, esquiver, pour traduire
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glorified as a myth of progress according to the modernist rhetoric of the historical avant-garde, but speed as an educated instinct of contemporary man, who draws from it all the possibilities of mental ubiquity, perceptive swiftness, and offhandedness. Where Trans-Avant-Garde tended toward a painting whose sole sanction would be the memory of itself, thus allowing its museum vocation to cause its ruin, Dicrola’s work retained its ties with the live culture of the historical present. By using the paintbrush, but refusing the complacent iconography that condenses the aura of the museum on the work, Dicrola used allusion and trace as minimal signs, insofar as they spring from the urgency and efficiency of communication. So the new operational value of his work was embodied in the image of the chameleon, combined with an endless circularity between presence and absence. including the dazzling idea of a static speed containing the entire mythology of postmodernism. He viewed the chameleon as the emblem of a strategy aimed at a versatile art, permeable to every vogue so as to elude the very notion of trendy. To the symbol of the chameleon he later added that of fencing, in works
Dicrola - Caméléon - 1982 - acrylique sur toile - 24 x 18 cm Collection privée - Bruxelles
Dicrola - Silentium - 1983 - huile sur toile - 107 x 101 cm - Collection privĂŠe - Bruxelles
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le perpétuel antagonisme qui règne dans l’arène de l’art. Ce sont autant de métaphores du métier et du travail du peintre. En mai 1982, lors de l’exposition Dicrola & Dicrola & Dicrola qu’il présente à la galerie parisienne Trans/Form, il publie un nouveau manifeste, intitulé Game Over, où il prend position sur le « retour à la peinture » trans-avant-gardiste : « Pour moi, la question est celle du dépassement des définitions génériques mises en circulation par le mot de passe ‘trans-avant-garde’. Sortir du conceptuel de jadis (avant-garde et modernisme), récupérer les instruments de la peinture (matière dégoulinante comprise), soit !... Mais sans que cela se referme comme une prison colorée, capricieuse, décorative, naïve, etc... Je me pose donc la question ainsi : - A) Sortir du conceptuel avec les mains pour y rester avec la tête en jouant le paradoxe d’une peinture qui l’est tellement, et à tel point portée à l’outrance de ses vices (iconographie banalisée, exécution pédestre et faussement méticuleuse, etc.) qu’elle disparaît purement et simplement en tant que crédibilité et plaisir retrouvé. - B) S’en tenir au minimum de langage, sans redondance et sans paradoxe, ce qui veut dire une économie extrême de matière, de couleur, etc., et se servir de l’allusion pour ce qui est de l’iconographie ». Entre ces deux possibilités, Dicrola affirme vouloir choisir la seconde, tout en se réservant la possibilité de pratiquer la première. Célébrant une peinture basée sur la vitesse d’exécution et sur des valeurs iconiques discrètes et indirectes, il déclare : « La vitesse est une gestualité vitale qui peut d’un seul trait dépasser le conceptuel et la Trans-avant-garde pour atterrir sur la planète post-moderne qui est la nôtre ». Dès lors, le caméléon devient une référence symbolique, une figure ludique et révélatrice. Le caméléon est en effet l’animal qui se cache au milieu du trop plein de matière. Dicrola se réclame ainsi de « l’esthétique de la disparition » étudiée et théorisée par Paul Virilio, dont les corollaires sont à ses yeux autant la vitesse que le mimétisme qui permet de « faire semblant », de s’en tenir à la seule « allusion ». Dans un long entretien publié pendant l’exposition, Dicrola explique sa volonté de « jouer avec la peinture » afin d’opérer un dépassement de la Trans-avant-garde : « La vitesse statique vient du caméléon qui a toutes les métaphores possibles et imaginables du mimétisme. Il est l’emblème de la société actuelle et aussi de la vie des plasticiens. Je veux être hétérogène, ouvert à toutes les possibilités de créativité, en un mot je ne veux pas me cristalliser. Le dessin, pour moi, c’est la vitesse. Il me permet de parcourir la toile rapidement et d’arriver directement à la conclusion. À ce moment-là apparaît le caméléon... Et il y a aussi la question de l’espace
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such as New Disorders of Duels and Elude, Feint, Dodge, to express the perpetual antagonism ruling in the arena of art. These are so many metaphors for the painter’s craft and work. In May 1982 during the exhibition Dicrola & Dicrola & Dicrola he presented at the Parisian gallery Trans/Form, he published a new manifesto, titled Game Over, in which he took a stand on the Transavantgardist “ return to painting ” : “ For me, the question is the overcoming of the generic definitions put in circulation by the password ‘trans-avantgarde’. Exit from the Conceptual of yore (avant garde and modernism), retrieve the instruments of painting (including dripping material), all right!...But without this closing upon us like a colorful prison, capricious, decorative, naive, etc... This is how I see it : - A) Exit from the conceptual with your hands so as to stay inside with your head, while playing with the paradox of a painting that is so paradoxical, and so carried to the excess of its vices (iconography made commonplace, pedestrian execution feigning to be meticulous, etc.) that it disappears purely and simply as credibility and pleasure regained. - B) Stick to the minimum of speech, without redundancy and without paradox, which means utter economy of matière, color, etc., and as for iconography use allusion ”. Between these two possibilities, Dicrola claimed he wished to choose the latter, while retaining the possibility of practicing the former. Glorifying a painting based on speed of execution and subtle, indirect iconic values, he claimed : “ Speed is a vital gestualism that with a single line can go beyond Conceptual and Trans-avant-garde to land on the post-modern planet that is ours ”. From then on, the chameleon became a symbolic reference, a playful, revelatory figure. Indeed the chameleon is an animal that hides in the midst of an excess of matter. Dicrola thus claimed to adhere to the “ esthetics of disappearing ” studied and theorized by Paul Virilio, the corollaries of which to him are as much speed as mimicry, that allows to “ pretend ”, to be content with mere “ allusiveness ”. In a long interview published during the exhibition, Dicrola explained his wish to “ play with painting ” in order to go beyond Trans-avant-garde : “ Static speed comes from the chameleon that has all the possible and imaginable metaphors of mimicry. It is the emblem of present-day society and of the life of visual artists as well. I want to be heterogeneous, open to all the possibilities of creativity, in a word I do not want to become crystallized. Drawing for me is speed. It enables me to cover the canvas quickly and directly reach the conclusion. It is then that the chameleon appears... And then there is the question of the space of
Dicrola - Saint-GĂŠrard et le diable valet - 1986 - huile sur toile - 65 x 55 cm - Collection privĂŠe - Bruxelles
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memory. Memory is a container, a sort of intellectual space in which thought circulates more or less swiftly ”. Raising the questions of illusion and reality, art and society, Dicrola elaborated a reflection on the simulacrums of art as well as on pictorial representation in general, and the identity of the artist in particular. He wanted to create the new by using the old, but he also wished to be modern by a mimesis that, laden with pigment, flaunted itself as such to the point of self-destruction as representation. In the first case, he utilized painting with classical subjects to perform painting itself as a language, using falsified, deviated quotations, crossed stylistic allusions, contradictory imitations, in order to launch the reassuring signs of the past, to subvert all the better the code of painted figuration.
Dicrola - Sérénade - 1984 - acrylique sur papier - 40 x 40 cm Collection privée - Bruxelles
de la mémoire. La mémoire, c’est un récipient, une sorte d’espace intellectuel dans lequel la pensée circule plus ou moins rapidement ». Posant la question de l’illusion et du réel, de l’art et de la société, Dicrola élabore une réflexion tant sur les simulacres de l’art que sur la représentation picturale en général et sur l’identité de l’artiste en particulier. Il veut faire du moderne en se servant de l’ancien, mais il veut aussi être moderne par une mimesis qui, surchargée de pigment, s’affiche en tant que telle jusqu’à s’autodétruire comme représentation. Dans le premier cas, il se sert de la peinture aux sujets classiques pour mettre en scène la peinture elle-même comme langage, en utilisant citations falsifiées, détournées, allusions stylistiques qui s’entrecroisent, imitations qui se contredisent, afin de faire flotter les signes rassurants du passé pour mieux subvertir le code de la figuration peinte. Dans le second cas, il fait d’un mauvais traitement pictural le moyen de mener à l’échec la figuration comme pure vision codée, comme image. Il privilégie alors le traitement de la matière par l’emploi d’une couche picturale épaisse, par un travail sur la pâte et sur les textures. Il exclut pourtant l’addition de matériaux hétérogènes. Son matiérisme s’inscrit en effet dans la lignée allant de Fautrier à Leroy, plutôt que dans celle qui va de Dubuffet à Tapiès. Autrement dit, il laisse la matière parler d’elle-même plutôt que d’opérer par le biais des assemblages et du plurimatiérisme. Il tient de son maître spirituel De Chirico le sens de la souveraineté de la peinture. Il pense surtout à Rubens et à Renoir, les peintres de l’exubérance picturale, chromatique et visuelle, que De Chirico aimait tout particulièrement.
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In the second case, he turned a poor pictorial treatment into the means to bring about the failure of figuration as pure codified vision, as image. He then privileged the treatment of matter by the use of a thick pictorial layer, by working on the impasto and the textures. However he excluded the addition of heterogeneous materials. Actually his approach to matière followed the line going from Fautrier to Leroy, rather than the one that goes from Dubuffet to Tapiès. In other words, he let matter speak for itself instead of operating through assemblages and pluri-matiérisme. He inherited from his spiritual master De Chirico the sense of the supremeness of painting. He thought above all of Rubens and Renoir, the painters of chromatic and visual pictorial exuberance, particularly dear to De Chirico. The reference to De Chirico’s neo-Baroque painting notably recurred in a series of painted pictures in the early ’Eighties, including The Dream of Constantine, The Prophesy of Saint John, Victory over Heresy, Deceptive Vision of Saint Teresa of Avila, Saint Thérèse and the Infant Jesus, all featuring the following components : theatricality of the subject, plasticity of the exasperated forms, imposition of an unctuous matter, an oily, soft pictorial texture, as slow to dry as toothpaste. Dicrola painted religious and mythological scenes, because he intended to “ restore the works, recover the past without looking backward ”. For him this was the first form of quotation. He had been a pupil of the Jesuits, but he did not seek to be an iconoclast, just disrespectful in terms of freedom and ironic nonchalance. In 1983 he did The Dream of Saint Mark, a painting that spoofs the atmosphere of Arnold Bocklin, in which a lion, with a halo like the Evangelist saint’s beast that became the emblem of Venice, is asleep on the seashore, embracing a mermaid. This perversion of the mythology of Venice is
La référence à la peinture néo-baroque de De Chirico revient notamment dans une série de tableaux peints au début des années quatre-vingt, dont Le rêve de Constantin, La prophétie de Saint Jean, Victoire sur l’hérésie, Vision trompeuse de Sainte Thérèse d’Avila, Sainte Thérèse et l’enfant Jésus, tous marqués par les composantes suivantes : théâtralité du sujet, plasticité des formes exaspérées, imposition d’une matière onctueuse, d’une texture picturale huileuse, molle, aussi longue à sécher que de la pâte de dentifrices. Dicrola y peint des scènes religieuses et mythologiques car il entend « reprendre les œuvres, récupérer le passé sans être passéiste ». Il s’agit pour lui de la première forme de la citation. Il a été l’élève des jésuites, mais il ne se veut pas un iconoclaste, plutôt un irrespectueux en termes de liberté et de désinvolture ironique. En 1983, il réalise Le rêve de Saint Marc, un tableau qui tourne en dérision l’atmosphère d’un Arnold Böcklin, dans lequel un lion, auréolé comme l’est l’animal du Saint évangéliste devenu l’emblème de Venise, dort au bord de la mer, enlaçant une sirène. Cette perversion de la mythologie de Venise est peinte dans un ovale, avec des tons jaunâtres pour le premier plan et des tons violet bleuâtre pour le fond. Également en ovale, une autre toile de la même année s’intitule La nativité… du faune : cette image, elle aussi très ironique, traite de l’embourgeoisement du faune désormais installé dans sa vie familiale. La scène montre le faune jouant de son instrument aux côtés d’une nymphe qui, devenue son épouse, tient leur enfant dans ses bras. Les tons violacés des formes rondes et plantureuses de la nymphe évoquent les toiles de De Chirico des années vingt. Une tête de mort, en bas, en tant que rappel des ancêtres ou de la mort à la façon des vanités, donne une coloration énigmatique à la toile. Ce thème est repris dans le tableau Sérénade où une femme au nu titianesque, aux couleurs à nouveau altérées à la manière de De Chirico, attend patiemment le Faune qui joue de son instrument. Dicrola se prévaut encore d’une distanciation ironique dans Le héros caché, où il associe un lion bondissant, la silhouette noire de Saint Georges, qui apparaît attaqué par surprise, et le corps nu de la princesse de Trébizonde qui attend d’être sauvée. La lecture de l’essai de Sartre sur Tintoret et sur son tableau Saint Georges terrassant le dragon, le conduit à peindre Saint Georges et… , une œuvre encore une fois citationniste. Le tableau montre l’image du saint qui, sur un cheval, combat non pas le dragon mais un lion. Ce dernier est la reprise à l’identique, en peinture, de la célèbre sculpture de Stanislao Lista Le Lion mourant, réalisée pour commémorer les victimes de la révolution napolitaine qui fut l’un des prologues du Risorgimento. Réalisée en 1868, la sculpture est aujourd’hui installée au centre de la Piazza dei
painted in an oval, with yellowish tones in the foreground and bluish-violet tones for the background. Also in an oval, another work of the same year is titled : Birth… of the Faun : this image, also highly ironic, refers to the Faun’s adoption of middle-class attitudes, nowadays anchored in his family life. The scene shows the Faun playing his instrument next to a nymph who, now his wife, is holding their child in her arms. The purplish tones of the rounded, full forms of the nymph recall the canvases of the ’Twenties by De Chirico. A skull, below, recalling ancestors or else death in the manner of Vanities, gives an enigmatic tonality to the work. This theme is repeated in the painting Serenade, where a woman, nude in the style of Titian, with colors distorted in the manner of De Chirico, patiently awaits the Faun who is playing his instrument. Dicrola again availed of an ironic distance in The Hidden Hero, where he associated a bounding lion, the black silhouette of Saint George, who appears attacked by surprise, and the nude body of the princess of Trebizonde awaiting rescue. Reading Sartre’s essay on Tintoretto and his painting Saint George Slaying the Dragon led him to paint Saint George and… , another quotationist work. The painting shows the image of the saint on horseback, fighting not the dragon but a lion. The latter is the replica in painting of the famous sculpture by Stanislao Lista The Dying Lion, execu-
Dicrola - Homo a me picto et polito artis coloribus : l’historien de l’art Giovanni Lista - 1984 - huile sur toile - 73 x 60 cm - Collection privée - Rome
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Martiri, à Naples. Pour le cheval en revanche, Dicrola s’inspire librement d’une statue baroque aperçue sur une place de Rome. Il opère surtout la fusion de contenus iconographiques provenant de traditions picturales presque opposées entre elles : d’un côté le Saint Georges de la peinture sacrée alimentée par la Légende dorée de Jacques de Voragine, de l’autre la représentation allégorique de l’Afrique sous l’emblème de la chasse au lion. Le tableau adopte le format précieux de l’ovale tandis que son traitement, à travers le flamboiement des couleurs, le ciel vibrant, le fond presque abstrait, les muscles en saillie du cheval, rappelle de façon ostentatoire la manière de De Chirico. Toutes les traditions iconographiques sont donc bousculées : un chien introduit un élément de la peinture profane dans une peinture sacrée, alors qu’un lion vient se substituer au dragon qui caractérise l’imagerie de Saint Georges dans un tableau qui arrive à déjouer jusqu’à l’automatisme du titre. Dicrola pratique ainsi la contamination, voire la promiscuité des codes et des genres, ce qui vaut à ses œuvres d’être présentées avec celles de Garouste à l’exposition Vingt-cinq ans d’art en France présentée au musée de Nice puis au Palazzo Reale de Milan, le printemps et l’été 1986. La mythologie personnelle, toujours à l’œuvre dans son travail, est en revanche à l’origine de la toile Saint Gérard et le diable valet qu’il peint après s’être plongé dans ses souvenirs d’enfance. Le tableau illustre l’épisode du saint qui impose au diable de le conduire à travers les bois et sur des sentiers escarpés afin d’atteindre, au crépuscule, la chapelle de la Très Sainte Trinité de Lacedonia. La scène représentée est celle de la rencontre entre le saint et le diable, au début de la nuit. Les teintes bitumeuses sont traitées par une touche lourdement empâtée et la silhouette centrale, figurant le saint à cheval, est un emprunt à l’iconographie du portrait équestre de tradition germano-flamande. La dramatisation de la scène tient dans la tache blanche du cheval qui, au centre du tableau, crée un effet d’émanation lumineuse. Cette problématisation de la peinture comme corps et comme matière converge ensuite dans une série de tableaux qui marquent le sommet de sa période matiériste. Dicrola se débarrasse en quelque sorte du sujet, qui chez lui est toujours citationnel, passant ainsi d’une figuration chargée de pigment à des œuvres conçues comme simples mises en scène de la matérialité de la peinture. La surface des tableaux est de plus en plus travaillée par un matiérisme onctueux, surchargé même. La touche est visible, constamment répétée par juxtaposition ou superposition. Les contours de l’image se perdent, les plages de couleur semblent sur le point de déborder, le chromatisme donne des effets de hachures. Les tons sont tantôt fauves, tantôt bitumeux. La texture générale est faite de stries, de renflements, de bosses tandis qu’une véritable
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ted to commemorate the victims of the Neapolitan revolution, one of the prologues of the Risorgimento. Executed in 1868, today the sculpture is placed in the center of the Piazza dei Martiri in Naples. Instead, for the charger, Dicrola drew freely from a baroque statue seen on a plaza in Rome. Above all he performed a fusion of the iconographic contents drawn from almost opposite pictorial traditions : on the one hand the Saint George of sacred painting nurtured by the Legenda Aurea by Jacobus de Voragine, on the other the allegorical representation of Africa under the emblem of the lion hunt. The painting adopts the precious format of the oval, whereas its treatment, with the flaming glow of the colors, the vibrant sky, the near-abstract background, the bulging muscles of the horse, ostentatiously recalls De Chirico’s manner. Every iconographic tradition is overturned : a dog introduces an element of secular painting in a sacred painting, while a lion replaces the dragon that exemplifies the imagery of Saint George in a painting that even thwarts the automatism of the title. In this way Dicrola practiced the contamination, even the promiscuity, of codes and genres. Due to this, his works were shown, with those of Garouste, in the exhibition Twenty-five years of art in France presented at the Nice museum and then at the Palazzo Reale in Milan in the Spring and Summer of 1986. Personal mythology, always present in his work, was instead the origin of the canvas Saint Gerard and the Valet Devil that he painted after delving into his childhood memories. The painting illustrates the episode of the saint who forced the devil to guide him through the woods and on perilous paths in order to reach at twilight the chapel of the Very Holy Trinity in Lacedonia. The scene represented is that of the encounter of the saint and the devil, at nightfall. The bituminous tones are treated with a heavily impastoed stroke, and the central silhouette, depicting the saint on horseback, is borrowed from the iconography of the equestrian portrait in the GermanNetherlandish tradition. The dramatization of the scene is owed to the white spot of the horse that, at the center of the picture, creates the effect of a glowing emanation. This interrogation of painting as body and matter subsequently converged in a series of pictures that marked the climax of his matiériste period. Dicrola somehow broke free from the subject, always quotationist in his work, thus shifting from a pigment-laden figuration to works conceived as mere presentations of the material aspect of painting. The surface of the pictures is more and more elaborated, even over-loaded, with an unctuous material. The stroke is visible, constantly repeated by juxtaposition or superimposition. The outlines of the image dissolve, the expanses of color
Dicrola - Saint Georges et... - 1985 - huile sur toile - 51 x 40 cm - Collection privée – Bruxelles
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croûte huileuse prolifère sur la toile, avec des effets telluriques de poussée sous-jacente ou de matière boueuse. On saisit parfois des échos de la touche liquide de De Chirico, ou encore une vibration dans les couches de la matière. Au contraire, on pense à l’expressionnisme face aux grands traits de pinceaux striant verticalement la toile de leurs couleurs acides. La peinture est niée en tant qu’image, elle est affirmée en tant que matière et en tant que geste. Mais Dicrola exclut toujours la technique mixte, la contamination des matériaux : il poursuit un absolu physique de la peinture, son approche de la matière étant d’un ordre plus philosophique que plastique. Entre 1985 et 1986, cette recherche conduit au cycle « Versailles-Wien-Caserta » consacré aux trois palais royaux les plus célèbres en tant que symboles du pouvoir : le château de Versailles, le Schönbrunn de Vienne, le Palazzo Reale de Caserte. Dicrola en donne à la fois une restitution sensible et une transfiguration dans l’imaginaire. Il veut saisir la sensation physique d’un espace baroque appréhendé comme « un état de poids, de matière, de couleur ». Le rendu matiériste de ces salles somptueuses, pratiquement identiques dans le faste, la splendeur, la surcharge, les ors, les reliefs, les stucs, les moulures, enrichissent ses tableaux d’une dimension ironique et politique puisqu’il dresse une critique des hauts lieux du pouvoir fonctionnant comme incarnation de l’absolutisme monarchique. Les splendeurs de ces palais sont noyées dans un jus goudronneux. Lumières et éclats sont assourdis par une chape sombre dont la matière torturée traduit une atmosphère de décomposition mortifère. Le principe même du matiérisme permet à Dicrola de transcrire l’excès de matière, d’or et d’objets symboliques propres aux décorations royales. Il produit des tableaux sur La Chambre de Louis XV et La Chambre de la Reine ainsi qu’une série de toiles de petit format ne contenant qu’un meuble, un fauteuil, une verseuse, un tabouret, une chaise, une console, enfin une harpe dont on sait qu’il s’agit d’un objet lié à Marie-Antoinette, ce qui semble rappeler la fin violente de la royauté. L’absence de figure humaine métaphorise le pouvoir qui s’étouffe ou se détruit lui-même. Toute forme apparaît submergée par la masse onctueuse et emphatique des strates colorées. L’altération formelle est poussée à l’extrême, l’image n’étant presque plus identifiable. Le spectateur, en état d’hypnose, s’abîme dans la matière de la toile.
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seem about to overflow, the chromatics produce hatching effects. The tones are either tawny or bituminous. The overall texture consists of streaks, bulges, bumps, while an authentic oily crust proliferates over the canvas, with telluric effects of an underlying eruption or muddy matter. Occasionally echoes of De Chirico’s liquid stroke surface, or else a vibration in the layers of matter. Conversely, Expressionism comes to mind on seeing the large streaks of the brushstrokes vertically crossing the canvas with their acid colors. Painting is denied as image and is asserted as matter and gesture. But Dicrola always bans mixed techniques, contamination of materials : he pursues a physical absolute of painting, his approach to matter having a more philosophical than plastic nature. Between 1985 and 1986 this research led to the cycle “ Versailles-Wien-Caserta ” devoted to the three most famous royal palaces as symbols of power : the chateau of Versailles, the Schönbrunn of Vienna, the Palazzo Reale of Caserta. Dicrola gave of them at once a tangible rendering and a transfiguration into the imaginary. He wished to catch the physical sense of a baroque space perceived as a “ state of weight, of matter, of color ”. The matiériste rendering of these gorgeous rooms, practically identical by their lavishness, their splendor, the overloading, the gold works, the reliefs, the stuccos, the carvings, enhance his paintings with an ironic and political dimension, since he formulates a criticism of the eminent place of power functioning as the embodiment of monarchic absolutism. The splendors of these palaces are steeped in a tar-like wash. Lights and glints are dulled by a dark coating, its the tortured texture expressing an atmosphere of deathlike decomposition. The very principle of matiérisme enabled Dicrola to transcribe the excess of matter, gold, and symbolic objects inherent to royal decorations. He produced paintings on The Room of Louis XV and The Room of the Queen, as well as a series of small format pictures containing merely a piece of furniture, an armchair, a coffeepot, a stool, a chair, a console, last a harp of which we know it is an item connected with Marie-Antoinette, that seems to recall the violent end of royalty. The absence of human figures creates a metaphor of power that is suffocated or destroys itself. Every form appears submerged by the unctuous, emphatic mass of colored layers. Formal alteration is carried to extremes, making it almost impossible to identify the image. The beholder, in a state of hypnosis, is plunged into the matter of the canvas.
Dicrola - La Chambre de Louis XV - 1985 - huile sur toile - 27 x 35 cm - Collection privĂŠe - Bruxelles
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Dicrola - Neptune - 1982 - encre de Chine sur papier journal - 35 x 48 cm - Collection privée - Knokke-le-Zoute
En revanche, dans des œuvres comme Kaiser et Kaiserin, Catapulte, La Veuve, Retour de Lucifer, Dicrola semble peindre ses toiles de manière presque classique avant de les recouvrir de matière. Les contrastes chromatiques sont plus fort et plus définis, avec des effets de taches. Les couches successives et autonomes se superposent et s’interpénètrent tout en gardant leur indépendance chromatique. Les rouges, les jaunes et les bleus s’opposent jusqu’à une toile comme Où es-tu Tristan, évidente référence à Wagner, dont la matière se révèle sobre et canalisée, correspondant presque au dessin. Dans cette série dominent des effets matiéristes à la Soutine, à la Fautrier : un pastiche qui ignore toute gestualité s’organise par aplats grossiers et par répétitions de la touche. Au lieu de la matière compacte, molle et onctueuse, prévaut à présent une sensation de sécheresse, de craquèlement semblable à de la boue desséchée, donnant une texture grumeleuse et inerte.
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On the other hand, in works such as Kaiser and Kaiserin, Catapult, The Widow, Return of Lucifer, Dicrola seems to paint his canvases in an almost classical manner before burying them under matter. The chromatic contrasts are stronger and more defined, with spotty effects. The successive and autonomous layers are overlaid and interpenetrate while preserving their chromatic independence. The reds, yellows, and blues clash up until a canvas like Where are you Tristan, an obvious reference to Wagner, the matter of which is sober and channeled, almost coinciding with the drawing. In this series, matiériste effects in the style of Soutine or Fautrier prevail : a pastiche that neglects gestualism is set up with coarse flat tints and brushstroke repetitions. Instead of compact, flabby, and unctuous matter, then a sensation of dryness prevailed, of cracking similar to dried mud, producing a lumpy, inert texture.
En juillet 1987, Dicrola publie le manifeste Les origines du contre-dire, où il exalte une ultime orientation de sa peinture matiériste, se réclamant encore une fois du dernier De Chirico et de son enseignement : « L’emploi quotidien du langage tient des mécanismes spécifiques du jeu. Dans la citation, on peut travailler uniquement à l’intérieur des réserves de concepts, d’images, de signes et de signifiés. Il s’agit d’un pur travail de déplacement et de manipulation, totalement libre face à une histoire désormais inexistante, un travail qui est en même temps absolument subordonné à l’absence de sens et de pourquoi, dépourvu de connotations et de directions : il se trouve uniquement parcouru ou parcourable par des masques et des stéréotypes ».
In July 1987 Dicrola published the manifesto The Origins of Contradiction, where he celebrated the latest orientation of his matiériste painting, once again claiming to adhere to the last De Chirico and his lesson : “ The everyday use of language is related to the specific mechanisms of play. In quotation, we can work only inside reservoirs of concepts, images, signs, and signified. It is a work involving dislocation and manipulation, entirely free with respect to a history that no longer exists, a work that is at the same time absolutely subordinate to the absence of meaning and reason why, devoid of connotations and directions : it is crossed or crossable only by masks and stereotypes ”.
Il explicite ainsi le choix d’une nouvelle iconographie « mystique-archaïque-cosmique » dans sa peinture, c’est-à-dire la suppression de toute image humaniste, remplacée par des « symboles cabalistiques, alchimiques et des armes » qui n’ont pas d’autre fonction que de porter à épiphanie la toile en tant que simple « espace de matière ».
He thus made explicit the choice of a new “ mysticarchaic-cosmic ” iconography in his painting, that is, the suppression of any humanistic image, replaced by “ cabalistic, alchemical symbols and arms ”, whose sole function is to generate the epiphany of the canvas as mere “ space of matter ”.
Il peint alors une série de tableaux, tels Équilibre belliqueux, Tension cosmique, Solide, Symbole céleste, conçus le plus souvent comme diptyques, où il utilise une matière picturale mate, très chargée de pigment et de sable, particulièrement concentrée au centre de la toile, un peu à la manière de Fautrier. Sur le fond, qui est comme raclé à la brosse, une forme en plâtre blanchâtre s’applique à la manière d’un médaillon héraldique dans lequel est peinte une forme symbolique. Cet empâtement central contient en superposition des signes plus graphiques, à connotation médiévale, de nature religieuse ou guerrière. Si ces solutions formelles sont quelque peu différentes, elles aboutissent chaque fois à un tableau-objet dont le sujet n’est rien d’autre que la peinture en tant que matière en devenir. Dicrola saisit le travail physique de la peinture comme processus en cours d’une forme : le magma de la matière procède d’un accouchement sans fin, visant à l’avènement d’un sens qui se dérobe sans cesse. Ainsi, la nature même de son matiérisme traduit sa sensibilité marquée par le devenir, par l’idée d’un processus constant qui est à l’origine de toute chose. Dans chacune de ses œuvres matiéristes, il y a l’accomplissement en suspens d’une épiphanie, comme si les tableaux étaient encore le plan en bois d’une palette où le peintre mélange les matières, malaxe la pâte, écrase les tubes, se prépare à créer la couleur et à faire advenir l’image.
He then painted a series of works, like Bellicose Equilibrium, Cosmic Tension, Solid, Celestial Symbol, usually composed in diptychs, where he used a mat pictorial matter, highly laden with pigments and sand, particularly concentrated at the center of the canvas, somewhat in the manner of Fautrier. On the background, that is as though scratched with a brush, a whitish form of plaster is applied like a heraldic medallion in which a symbolic form is painted. This central impasto contains an overlaying of more graphic signs, with a medieval connotation, religious or warlike in character. If these formal solutions were rather different, each time they led up to an object-painting, the subject of which was nothing but painting as matter in its becoming. Dicrola seized upon the physical work of painting as an ongoing process of a form : the magma of matter proceeds from an endless delivery, aimed at the advent of an ever elusive meaning. Thus the very nature of his matiérisme expresses his sensibility marked by becoming, by the idea of a constant process at the origin of everything. In each of his matiériste works, there is the suspended accomplishment of an epiphany, as if the paintings were still the surface of the palette where the painter mixes the matter, kneads the impasto, crushes the tubes, readies to create color and make the image appear.
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Dicrola - Retour de Lucifer - 1986 - huile sur toile - 200 x 260 cm - Collection privĂŠe - Paris
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LES TABLEAUX ROUILLÉS RUST PAINTINGS
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ors de la seconde moitié des années quatre-vingt, Dicrola poursuit la phase matiériste de sa recherche. Ses tableaux cherchent à atteindre une synthèse entre objectalité et peinture, ou entre matiérisme et image, sans pour autant démentir les préoccupations les plus fondamentales impliquées depuis toujours dans son travail. Ils constituent en effet le pendant exact et opposé des œuvres où il expérimentait la dématérialisation de la forme. Ici, toute forme apparaît noyée dans une matière triomphante dont l’expansion tellurienne semble compromettre l’acte même de peindre. C’est non seulement la forme, mais la scansion chromatique, la marque des coups de pinceau et le plan de la toile qui sont engloutis dans un magma informel. Dicrola traverse ainsi le moment d’Antée de son œuvre, un ressourcement par cette immersion dans la matière matricielle de la peinture. Pratiquant une forme absolue du tableau-objet, il n’assemble pas des matériaux hétéroclites, mais il utilise l’accumulation chargée de pigment comme signe indexical, comme indice sursignifiant de l’œuvre comme peinture. Dans ses toiles, la picturalité est avilie à l’état de croûte, de pâte épaisse et retravaillée en fonction de la pure matérialité du tableau. Par ailleurs, surchargeant les strates de la couche picturale, Dicrola tend à retarder le séchage par auto oxydation de l’huile contenue dans les pigments. Il tient en quelque sorte ouvert le processus d’accomplissement de l’œuvre, refusant ainsi sa véritable clôture. Ce choix annonce l’un des développements de sa recherche à venir, en particulier les « tableaux rouillés ». La phase de la peinture matiériste se termine au début de l’année 1988 par une expérience assez étonnante. Il expose alors une série de tableaux, réunis sous le titre « Urbi mon amour », à la galerie Ariadne de Vienne. Il y opère une récupération citationniste de l’iconographie de De Chirico, introduisant un nouveau thème, celui de la ville industrielle appréhendée par les grandes cheminées d’usines des faubourgs ouvriers tels qu’ils se profilaient à la fin du XIXe siècle. Pressentant le déclin du monde lié à la production industrielle, il veut à la fois rendre hommage à la civilisation du charbon et du fer qui a marqué la modernité du XXe siècle et dénoncer les dégâts qu’elle a causés en termes de qualité de vie. Le titre est évidemment une paraphrase du célèbre film d’Alain Resnais. En effet, comme dans Hiroshima mon amour, le thème est ici celui de la mémoire qui décante la fin d’une époque. Dicrola peint des toiles intitulées Wien mon amour, Énergies verticales, Urbi mon amour, Vestiges de la mémoire, Archéologie d’une ville, qui témoignent de sa volonté de rendre hommage au passé de la culture urbaine et d’évoquer l’épopée qui a vu naître et s’affirmer la
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n the late Eighties Dicrola continued to develop the matiériste phase of his research. His paintings sought a synthesis between objectality and painting, or between matiérisme and image, without for that overlooking the most essential concerns his work always involved. Actually these works are the exact and opposite counterpart of the ones in which he experimented dematerializing form. Here each form appears drowned in a triumphal matter, the tellurian expansion of which seems to threaten the very act of painting. It is not just the form, but the chromatic rhythm, the trace of the brushstrokes, and the plane of the canvas that are submersed in a shapeless magma. This is the Antaeus period of Dicrola’s oeuvre, his return to his roots by this immersion in the womb-like matter of paint. Exercising an absolute form of object-painting, he did not assemble heterogeneous materials, but used the pigment-laden accumulation as an indexical sign, as a supersignifying indication of the work as painting. In his canvases, paint is reduced to a mere crust, a thick paste, labored to obtain the sheer materiality of the picture. Moreover, overloading the stratifications of the pictorial layer, Dicrola tended to delay the drying by the auto-oxidation of the oil contained in the pigments. He somehow left the completion process of the work open-ended, in this way preventing its true closure. This choice foreshadowed one of the developments of his future research, notably the “ rust paintings ”. The phase of matiériste painting ended early in 1988 with a rather surprising experiment. He showed a series of paintings, grouped under the title Urbi My Love, at the Ariadne gallery in Vienna. It was a quotationist retrieval of De Chirico’s iconography, in which he introduced a new theme, that of the industrial city identified by the tall factory chimneys of the working-class suburbs as they were outlined in the late nineteenth century. Sensing the decline of the world linked to the industrial revolution, he sought both to pay a tribute to the civilization of coal and iron that marked twentieth-century modernity and to denounce the damage it caused in terms of the quality of life. The title is obviously a paraphrase of Alain Resnais’ famous movie. Actually, as in Hiroshima My Love, the theme is that of memory that decants the end of an era. Dicrola painted canvases titled Wien My Love, Vertical Energies, Urbi My Love, Vestiges of Memory, Archeology of a City, that show his intent to celebrate the past of urban culture and evoke the epic that witnessed the birth and rise of the industrial city. In these paintings the chimney is raised to the level of a metaphor of man’s work and the becoming of the city, while a sort of brownish mist drowns the image, rendering by its tonality the mood of an era.
Dicrola - Urbi mon amour (triptyque) - 1989 - oxydation sur métal - 115 x 120 cm - Collection privée - Knokke-Le-Zoute
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ville industrielle. Ce sont des tableaux où la cheminée est élevée au rang d’une métaphore du travail des hommes et du devenir de la ville tandis qu’une sorte de brume brunâtre engloutit l’image, restituant par sa tonalité l’atmosphère d’une époque. Dicrola réalise ainsi plusieurs œuvres matiéristes où des cheminées rouge vermillon, se terminant par un panache d’un noir très profond, se détachent sur un fond brun rose assez tourmenté. Il recourt, pour l’une des rares fois dans son œuvre, à un matériau étranger à la peinture : du café lyophilisé. Le procédé qu’il expérimente consiste à recouvrir la toile de poudre de Nescafé avant de commencer à peindre, adoptant alors un temps d’exécution assez rapide. Le travail terminé, il réchauffe la toile, provoquant une réaction de suintement de la colle arabique contenue dans la poudre de Nescafé qui remonte à la surface, craquelant la peinture et brunissant les teintes. Ce processus chimique produit des effets de matières et de couleurs des plus élégants qui donnent une unité tonale à la peinture, lui assurant une tactilité veloutée et des teintes très chaudes. Il travaille en même temps le contenu compositionnel de l’image, comme dans l’œuvre sur papier Usines industrielles, qu’il expose cette même année à la galerie L’Aire du Verseau. Il s’agit d’un tableau sur lequel il a peint dans la pâte, au centre, une grande cheminée d’usine alors que celles qui l’entourent, plus petites, sont dessinées dans la masse avec la pointe du manche du pinceau. L’œuvre se compose d’empâtements bleus, jaune, rouge vermillon, tous utilisant comme liant la poudre brune du Nescafé qui se mêle à l’ensemble de ces couleurs. Dicrola y traite la verticalité en opposition à l’horizontalité - et vice-versa - suivant une approche géométrique. Cette expérience singulière, ouvrant l’hypothèse d’une promiscuité ou d’une collusion, se referme aussitôt. Mais il s’agit d’une expérience très féconde lui permettant de passer à une autre phase de son travail. Sa remise en cause de la peinture devient alors plus radicale, parce qu’il évolue de la toile à la tôle, élaborant ce qu’il appelle ses « tableaux rouillés ». Il s’agit d’œuvres littéralement peintes par la rouille, en ce sens que Dicrola exploite l’altération et l’usure des surfaces oxydées. Il utilise en effet comme support des panneaux industriels de tôle revêtue de peinture. Il s’agit de plaques de métal électrozinguées ou thermolaquées, ou encore peintes selon la technique de placage par électrolyse qui les recouvre d’une mince couche uniforme de peinture brillante. Il fait alors attaquer la surface métallique par un acide qu’il utilise à l’égal d’une encre de dessin. Sa composition se grave dans le métal corrodé par l’acide, lequel engendre une rouille qui ne peut que s’étendre sans fin puisque Dicrola se
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Dicrola - Cheminées - 1988 - poudre de café et acrylique sur papier 15 x 21 cm - Collection privée - Knokke-Le-Zoute
So Dicrola executed several matiériste works in which vermillion red chimneys, ending in a very dark black plume, stand out against a rather stormy pinkish-brown background. For once he used a material extraneous to painting : freezedried coffee. The process he tried out consisted of coating the canvas with Nescafé powder before beginning to paint, working at high speed. Once the work was done, he heated the canvas, then provoking a reaction : the Arabic gum contained in the Nescafé powder began to ooze, rising to the surface, cracking the paint, and turning the colors brown. This chemical process produces extremely elegant texture and color effects that give the picture a tonal unity, a velvety tactile quality, and very warm hues. At the same time he worked on the compositional content of the image, as in the work on paper Industrial Factories that he showed that same year at the L’Aire du Verseau gallery. This was a picture in which he painted in impasto, at the center, a large factory chimney, whereas the smaller ones surrounding it were blocked out with the tip of the brush handle. The work features blue, yellow, vermillion red impastos, all using as binder the brown Nescafé powder that blends with all these colors. Here Dicrola treated verticality in contrast with horizontality - and vice-versa - with a geometric approach. This singular experiment, offering a hypothetical promiscuity or collusion, was immediately discontinued. But it was a very fecund experience that enabled him to move on to another stage in his work. His questioning of painting then became more radical, because from the canvas he evolved to sheet metal, elaborating what he calls his “ rust paintings ”. These works are literally painted with rust, in the sense that Dicrola exploited the alteration and wear of the oxidized sur-
Dicrola - Cheminées nocturnes (triptyque) - 1989 - oxydation sur métal - 39 x 47 cm - Collection privée - Bruxelles
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refuse à appliquer un quelconque stabilisateur. Autrement dit, il revient à son travail sur la destruction de l’œuvre par l’action du temps. Simplement, au lieu de mettre en scène un objet de glace qui fond rapidement, il propose une image d’oxydation du fer qui se dissout avec lenteur. Pourtant, au regard de l’infini, cet écart temporel entre la glace qui fond à vue d’œil et la rouille qui ronge au ralenti est infime. Avec la glace, Dicrola travaillait en sculpteur. Avec l’acide, il travaille en peintre. Mais le propos est le même. La défiguration qui était à l’œuvre avec la surcharge de pigment reprend sous une autre forme car le passage de la toile à la tôle ne modifie en rien son approche de la matière comme entité à part entière. Il s’approprie la rouille comme trace d’un processus, comme signe du temps et de la mémoire, l’envisageant ainsi comme langage esthétique aux diverses possibilités expressives. Il mise également sur le hasard, faisant totalement confiance au déterminisme de la matière qui va être à l’origine, en toute autonomie, des couleurs et des formes de l’oxydation. Il s’empare en même temps des thèmes et des images de De Chirico, le peintre métaphysicien qui a exalté la cheminée en fonction d’une mythologie des temps modernes. Ayant renoncé à la peinture, Dicrola cesse d’utiliser le pinceau. Il aborde des matériaux propres au monde industriel et traite son motif à l’acide, travaillant avec un gant de fer, des fioles et des racloirs afin de provoquer l’agression du métal et la corrosion de la surface peinte qui produit les taches brunes correspondant à l’apparition de la rouille. Son intervention est réduite à la plus simple des manipulations puisqu’elle se limite à un grossier décapage, sans aucun apport de peinture. Comme support, il utilise généralement un panneau de tôle aux bords repliés, d’un gris classique, parfois d’un noir ou d’un bleu saturé, à l’apparence solide et fonctionnelle propre aux matériaux industriels. Le fond brillant y apparaît à l’égal du ciel dans une peinture classique, ce qui est l’équivalent du vide. La rouille vient lacérer cette image d’immatérialité pour y inscrire l’idée de corrosion, d’un trop plein de la matière. Il s’établit ainsi quelque chose de manichéen dans l’opposition radicale entre le ciel qui est une absence et la matière qui est une corruption. L’acide attaque de manière insolente et péremptoire le velouté du métal, il produit une tache, une imperfection de la matière qui se manifeste d’emblée comme soumise à la prolifération. Les tableaux rouillés produisent ainsi le sentiment d’une disparition lente et inexorable. Au lieu de solliciter l’imaginaire de l’éternité de l’art, ils se donnent comme objets fictifs à la représentation fantomale. Dicrola joue avec l’éphémère et l’aléatoire, mettant en scène
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Dicrola - Culture (triptyque) - 2001 - impression et rouille sur tôle 40 x 90 cm - Collection privée - Bruxelles
faces. He spread a coat of paint over industrial sheet metal panels. These are metal sheets electro-coated with zinc or thermo-lacquered, or else painted using the technique of plating by electrolyze that coats them with a thin, uniform layer of glossy paint. He then had the metal surface attacked by an acid that he used like drawing ink. His composition was incised in the metal corroded by the acid which created rust that continued to spread, since Dicrola refused to apply a stabilizer. In other words, he returned to his research on the destruction of the work by the action of time. Instead of displaying a object made of ice that melts quickly, he simply proposed an image of metal oxidation that dissolves slowly. However, with respect to infinity, this temporal difference between ice that melts right before your eyes and rust that corrodes slowly is minimal. With ice, Dicrola worked as a sculptor. With acid, he worked as a painter. But the topic is the same. The disfiguration at work with the overload of pigment came back in another form, because the change from canvas to sheet metal in no way altered his approach to matière as an entity in itself. He appropriated rust as the trace of a process, as a sign of time and memory, thus envisaging it as an esthetic language with various expressive possibilities. He also counted on chance, entirely trusting in the determinism of matter that will autonomously generate the colors and forms of the oxidation. At the same time he adopted the themes and images of De Chirico, the metaphysical painter who glorified the chimney in keeping with a mythology of the modern era. Having given up painting, Dicrola stopped using the paintbrush. He took over materials that belong to the industrial domain, treating his motif with acid, working with an iron glove, phials, and scrapers, in order to aggress the metal and corrode the painted surface producing the brown spots matching the appearing of rust. His intervention was reduced to the simplest of manipulations, since it consisted of a rough scouring, without the addition of paint. His support was usually a sheet metal panel with folded
Dicrola - Culture - 1999 - impression sur t么le et oxydation - 40 x 30 cm - Collection priv茅e - Bruxelles
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edges, a classic gray, or occasionally black or saturated blue, possessing the solid, functional appearance of industrial materials. The shiny ground appeared like the sky in a classical painting, the equivalent of the void. Rust came to lacerate this image of immateriality, inscribing in it the notion of corrosion, of an excess of matter. In this way, something Manichean was created in the radical opposition between sky that is absence and matter that is corruption. The acid, insolently and peremptorily, attacks the velvety sheen of the metal, produces a stain, an imperfection of matter that at first appears the prey of a proliferation. The rust paintings give the impression of a slow, inexorable disappearing. Instead of soliciting the imaginary of the eternity of art, they offer themselves as fictitious objects with a phantom representation. Dicrola plays with the ephemeral and randomness, representing a sense of finitude, corrosion, self-destruction, and death, that goes way beyond the fragility of the wax of a Medardo Rosso or the precariousness of the pasted papers of a Picasso. His first rust paintings of 1989, like Factory Chimney and Smoke Exhaust, borrowed in close up the phallic outline of the old factory chimneys already celebrated by De Chirico as symbols of modern times. He made them a single motif that he framed close up vertically, or again on the horizontal when he wished to include the smoke plume issuing from the mouth of the chimney. At times his work appears on a parallel with Arte Povera. In fact in this same period Kounellis treated the theme of the chimney, using very different formal procedures, but also paying a tribute to De Chirico.
Dicrola - Haute tension - 1988 - acrylique sur toile - 102 x 60 cm Collection privée - Bruxelles
un sentiment de finitude, de corrosion, d’autodestruction et de mort qui va bien au-delà de la fragilité de la cire d’un Medardo Rosso ou de la précarité des papiers collés d’un Picasso. Ses premiers tableaux rouillés de 1989, comme Cheminée d’usine et Sortie de fumée, reprennent en plan serré la silhouette phallique des anciennes cheminées d’usine déjà célébrées par De Chirico comme symboles des temps modernes. Il en fait un motif unique qu’il cadre au plus près sur la verticale, ou encore sur l’horizontale lorsqu’il veut inclure la traînée de fumée s’échappant de la bouche de la cheminée. Son travail semble s’établir parfois en parallèle avec l’Arte Povera. À cette même époque, Kounellis traite en effet du thème de la cheminée, selon des procédés formels fort différents mais en rendant, lui aussi, hommage à De Chirico.
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However Dicrola added a dimension of evolution, since his drawing with acid introduced in the work a rusting process that would continue in time, gradually eating away the metallic surface coated with industrial paint. This mutation, produced like an inoculated virus that slowly makes its way through an organism, creates effects of oxidation, of copper-hued iridescence, of corrosion that give the work the appearance of a living material, in perpetual, slow reorganization, the drawing endlessly disintegrating and reforming in another shape. In a way Dicrola took the opposite stand of the famous remark by Leonardo da Vinci. Here the object is not to decipher a random stain on a wall, giving it an iconic signification. Instead his approach converted an image of reality into an intentionally provoked stain caused by a chemical alteration of matter. In 1989, in his personal stand presented by the Lacourière-Frélaut gallery at the Contemporary Art Fair at Ghent in Belgium, Dicrola arranged a room by installing right on the floor, in front of one of his polyptychs
Dicrola - Cheminée d’usine - 1989 tôle oxydée - 87 x 20 cm Collection privée - Bruxelles
Dicrola - Sortie de fumée - 1989 - tôle oxydée - 77 x 25 cm Collection privée - Bruxelles
Dicrola - Hommage à de Chirico - 1991 oxydation et encre de Chine sur tôle - 118 x 38 cm Collection Privée - Knokke-Le-Zoute
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titled Urbi My Love, the spatial representation of the work. He laid out a heap of coals piled up right at the bottom of the wall on which it hung, so as to visualize the combustion process required by any factory chimney as contextual feature of the industrial landscape. On the occasion of this exhibition, the critics pointed out that he echoed the random play of forces mentioned by Schopenhauer. Indeed his chimneys were perceived as a pessimistic image of the industrial city or else a spoof of its referential value : De Chirico’s painting. It was also seen as the metaphor of pollution, the scourge of the society of industrial capitalism. So supposedly Dicrola was creating a work of denunciation that at the same time was an indication of the fragility and the fugacity of culture, the latter being comparable to the plume of smoke rising from its chimneys. Speaking of the end of culture was like saying culture was going up in smoke.
Dicrola - Pylône foudroyant - 1992 - rouille sur plaque métal - 68 x 43 cm Collection privée - Bruxelles
Dicrola y ajoute néanmoins une dimension évolutive puisque son dessin à l’acide introduit dans l’œuvre un processus de rouille qui va poursuivre son action au fil du temps, rongeant peu à peu la surface métallique recouverte de peinture industrielle. Cette mutation, produite à la manière d’un virus inoculé qui progresse lentement au sein d’un organisme, crée des effets d’oxydation, d’irisation cuivrée, de corrosion qui permettent à l’œuvre de se présenter comme une matière vivante, en perpétuelle réorganisation lente, le dessin se défaisant et se reconstituant sans cesse autrement. Dicrola prend en somme à contre-pied la célèbre observation de Léonard de Vinci. Il ne s’agit pas ici de déchiffrer une tache casuelle sur un mur en lui donnant une signification iconique. Son approche traduit au contraire une image de la réalité dans une tache volontairement causée par une altération chimique de la matière.
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During the period of 1990-1992, developing this new cycle, Dicrola multiplied the formal solutions, exploring and combining every expressive possibility. His “ rust paintings ” adopt a very elongated format repeating the vertical silhouette of the chimney itself. Later he introduced other elements of the industrial landscape, as in High Tension Pylon in which he no longer symbolized the combustion that produces energy but the latter’s circulation through networks. In Chimneys (original title in English), a recollection of a stay in England, he even made the vertical format become horizontal : four juxtaposed panels slice vertically the cloud of smoke. Disassociating the image from the material surface of the work, he ironically played with the ancient device of Japanese prints : the image runs over several assembled panels, seeking to be independent of the supporting field, whereas it is actually physically anchored in its matter. A variation of this process was performed in the triptych Night Chimneys, in which he used three panels with black backgrounds, an allusion to the traditional reflecting, undetermined black ground of Japanese lacquers. In the left panel, a chimney arises owing to the work of rust. At center, while the paint of the panel appears cracked, he merely outlines a chimney silhouette. The third panel is empty. The smoke plume crosses the three compartments of the triptych, its density changing in each panel. The extreme materiality of the work is thus contradicted by the purely mental value of its signs. With Minerals, he performed a sort of mise en abyme of the progression of rust : he made a second motif of the chimney appear in the cloud of rust coming out of another chimney. The plumes, resembling women’s hair, defy every one of the expansion laws of gaseous material. The title of the picture results from a shortcut : coal, a mineral, burns and becomes smoke. The latter thus appears after the death of the mineral.
Dicrola - Pylône haute tension (polyptyque) - 1989 - rouille sur plaques métal - 100 x 250 cm - Collection privée - Bruxelles
En 1989, dans son stand personnel présenté par la galerie Lacourière-Frélaut, à la foire d’Art contemporain de Gand en Belgique, Dicrola organise une salle en installant à même le sol, devant l’un de ses polyptiques intitulés Urbi mon amour, la mise en espace de l’œuvre. Il dispose un tas de charbons amoncelés au pied même du mur d’accroche afin de visualiser le processus de combustion nécessaire à l’énergie que suppose toute cheminée d’usine en tant qu’élément contextuel du paysage industriel. La critique relève, lors de cette exposition, que l’artiste se fait l’écho du jeu casuel des forces dont parle Schopenhauer. Ses cheminées sont en effet perçues comme une image pessimiste de la ville industrielle ou apparaissent comme une mise en dérision de sa valeur référentielle : la peinture de De Chirico. On y voit également la métaphore de la pollution qui règne dans la société du capitalisme industriel. Dicrola ferait ainsi une œuvre de dénonciation qui est en même temps une indication de la fragilité et de la fugacité de la culture, cette dernière pouvant être assimilée au panache qui s’échappe de ses cheminées. Parler de la fin de la culture revient à dire que la culture part en fumée. Pendant la période 1990-1992, en développant ce nouveau cycle, Dicrola multiplie les solutions formelles, s’autorisant à explorer et à combiner toutes les possibilités expressives. Ses « tableaux rouillés » adoptent un format très allongé qui fonctionne de manière itérative par rapport à la silhouette verticale de la cheminée elle-même. Il introduit par la suite d’autres éléments du paysage industriel, comme dans Pylône haute tension où il ne symbolise plus la combustion qui produit l’énergie mais la circulation de celle-ci à travers des réseaux. Dans Chimneys, souvenir d’un séjour
Once he mastered this new language, his style became more essential. In the triptych Urbi My Love, we observe a rhythmic darkening of the support that matches the advance of the smoke. The icon is a mere sign, whereas the support mimics the progression in time and in space. In other words, the image is inscribed in a continuity on a support that is not continuous. This play with the structure, broken up yet crossed by a single scene, recalls the typical works of transition periods in art history, when there is a rupture between a need for iconic expression and a resistance of the support that preserves its earlier forms. Dicrola glorifies this disassociation in order to create new distancing effects of the work, obtaining results of great formal elegance. In a painting like The Chimney and its Ghost, he plays on the highly evanescent profile of the chimney repeated at the center of the image. He introduces the perception of becoming both by the chromatic fields of the four panels and by this scarcely drawn silhouette that seems to restore the memory of the chimney rather than the chimney itself. He creates a serial effect by the support, that darkens as its unfolds toward the right, while the rusted image creates a strong opposition between verticality and horizontality. In other cases, such as Chimney and Pylon, the panels are organized separately, each one containing its own image. Moreover, they look like they are reversed in sequence, which gives a mental value to the image, challenging the impact of its intense materiality. This procedure also recalls the narrative constructions of comic strips. Other canvases adopt similar constructions. The puzzle-like composition of the picture destroys the image even more, while provoking a sense of strangeness that adds to the impression of remote-
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Dicrola - Cheminée et pylône (polyptyque) - 1992 - oxydation sur plaque métal - 51 x 142 cm - Collection privée - Bruxelles
en Angleterre, il en arrive à renverser le format vertical en un format horizontal se composant de quatre panneaux juxtaposés qui découpent verticalement le nuage de fumée. Dissociant l’image de la surface matérielle de l’œuvre, il joue avec ironie de l’ancien procédé des estampes japonaises : l’image court sur plusieurs panneaux assemblés, se voulant autonome du champ du support, alors qu’en fait elle est physiquement ancrée dans sa matière. Une variation de ce procédé est mise en œuvre dans le triptyque Cheminées nocturnes, où il utilise trois panneaux à fond noir, clin d’œil au traditionnel fond noir, réfléchissant et indéterminé des laques japonaises. Sur celui de gauche, une cheminée apparaît grâce au travail de la rouille. Au centre, alors que la peinture du panneau se révèle craquelée, il a simplement dessiné au trait une silhouette de cheminée. Le troisième panneau est vide. Le panache de fumée traverse les trois compartiments du triptyque, changeant de densité selon les panneaux. L’extrême matérialité de l’œuvre se trouve ainsi contredite par la valeur purement mentale de ses signes. Avec Minéraux, il opère une sorte de mise en abyme de la progression de la rouille. Il fait en effet apparaître un second motif de cheminée dans le nuage de rouille sortant d’une autre cheminée. Les panaches, semblables à des chevelures de femmes, défient toutes les lois d’expansion de la matière gazeuse. Le titre du tableau provient d’un raccourci. Le charbon, un minéral, brûle et devient fumée. Cette dernière apparaît ainsi comme la vie après la mort du minéral. Une fois maîtrisé ce nouveau langage, son style devient plus dépouillé. Dans le triptyque Urbi mon amour, on assiste à un assombrissement scandé du support qui correspond pourtant à l’avancée de la fumée. L’icône n’est que signe tandis que le support mime la progression dans l’espace et dans le temps. Autrement dit, l’image s’inscrit en continu dans un
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ness inherent to memory. Sometimes there is a variation in the support : a two-part work, while presenting the single, unique image of a smoking chimney, associates a metal panel, painted a uniform green-gray, with a perforated orange panel. In Ionic Chimney, in an ironic allusion the profile of the chimney is assimilated with a sort of Greek column, while the smoke plume issuing from it looks like a feather. The field of the painting results from the asymmetrical assemblage of two panels, the one on the right being a found object : a metal plane pierced with holes arranged in a row, mustard color, like those used as a panel for hanging tools. Emphasizing the idea of the panel, Dicrola disrupts the coherence of the work to demystify the apparent naturalness of the image. The dissonant effect provoked by the incoherence of the support appears again in Lightning Pylon, in which he comes back to the theme of metal pylons bearing high voltage lines. In this picture he uses a retrieved material, that is, a part of an electric cupboard bearing an industrial sign warning of the danger of electrocution. This is one of the rare examples in his work in which the unity of the piece seems challenged by the presence of a heterogeneous element. Yet the latter does not appear in a collage, a technique we never find in his work, since his approach to matter belongs to an entirely different sensibility. Indeed his conception of matter is haunted by the organic and the perishable, rather than the mechanical functional or the organized structural. That is why the mainline of his research remains bound to the themes of metamorphosis, change, progression, or dissolution in the midst of Being. In this way he seeks to present the processes and durations of the transmutations of matter, to provoke the encounter between concrete and mental so as to show that all things are the result of an everlasting alchemical process.
Dicrola - Minéraux - 1990 - oxydation sur tôle - 130 x 97 cm - Collection privée - Bruxelles
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Dicrola - La cheminée et son fantôme (polyptyque) - 1991 - oxydation sur plaque métal - 100 x 200 cm - Collection privée - Waterloo en Belgique
support qui ne l’est pas. Ce jeu avec la structure, laquelle est fragmentée tout en étant traversée par une seule scène, rappelle les œuvres typiques des périodes de transition de l’histoire de l’art lorsqu’il y a disjonction entre une nécessité d’expression iconique et une résistance du support qui conserve ses anciennes formes. Dicrola exalte cette dissociation afin de créer de nouveaux effets de distanciation de l’œuvre, obtenant des résultats d’une grande élégance formelle. Dans un tableau comme La cheminée et son fantôme, il joue sur le profil très évanescent de la cheminée répétée au centre de l’image. Il introduit la perception du devenir à la fois par les champs chromatiques des quatre panneaux et par cette silhouette à peine dessinée qui semble restituer la mémoire de la cheminée plutôt que la cheminée elle-même. Il crée un effet sériel par le support qui s’obscurcit en se déployant sur la droite alors que l’image rouillée établit une très forte opposition entre verticalité et horizontalité. Dans d’autres cas, tel Cheminée et pylône, les panneaux s’articulent de façon séparée, chacun contenant sa propre image. Par ailleurs, ils semblent avoir été intervertis dans leur succession, ce qui donne un effet de mentalisation de l’image qui conteste l’impact de sa forte matérialité. Il s’agit d’un procédé qui renvoie également aux constructions narratives propres à la bande dessinée. D’autres toiles adoptent des constructions équivalentes. La composition en puzzle du tableau détruit encore plus la cohérence de l’image tout en provoquant un effet d’étrangeté qui participe à la distanciation inhérente au travail de la mémoire.
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During this period Dicrola was also involved in several performances. The most widely known is Polar Nights, devoted to “ his personal world ”, that he presented at the DRACCenter of Contemporary Art at Baillargue, near Montpellier, in June 1991. He set up on the stage a pile of blocks of ice, six heavy lead boxes hung on the wall 80 centimeters above the floor, and an iron ladder under which a nude actress was sleeping, like Eve in the Garden of Eden. The space was steeped in dim light and constantly invaded with steam. Accompanied by a noisist music of the “ sidereal ” type, he came on stage carrying a blowtorch, dressed in a metal diving suit like an astronaut. Then, with the flame of his blowtorch, he made holes in the panels of the lead boxes, thus freeing rays of light that struck the nude woman, awakening her. He continued his action, perforating the other boxes, their thin rays of light suggesting the pattern of a constellation, then by melting the blocks of ice before he stripped entirely naked. This performance marked the appearing of the theme of the ray of light as a metaphor of fecundation or regeneration that we shall find later in his work. The following year the Minister of Culture provided him with a studio, while at the same time he worked mainly with the Varart gallery in Florence, the Framart Studio in Naples, the Berner gallery in Berlin, the Luckman Fine Arts Gallery in Los Angeles, the Area and Henry Bussière Art’s galleries in Paris. The iconographic repertory of his rust paintings was diversified, combining occasional themes with his obsessive themes. In Trace, where the word “ art ” had the
Dicrola - « Chimneys » (polyptyque) - 1989 - rouille sur tôle - 100 x 200 cm - Collection privée - Bruxelles
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Parfois, il y a variation du support, ainsi une œuvre bipartite, tout en présentant la seule et unique image d’une cheminée fumante, associe un panneau en métal peint, gris vert et uni, à une tôle orange perforée. Dans Cheminée ionique, le profil de la cheminée est assimilé, en un clin d’œil ironique, à une sorte de co-lonne grecque alors que le panache de fumée qui en sort prend l’allure d’une plume. Le champ du tableau résulte de l’assemblage asymétrique de deux panneaux, celui de droite étant un objet trouvé : un plan métallique perforé de trous agencés en ligne, de couleur moutarde, tels ceux qui sont utilisés comme base d’accroche pour le rangement des outils. Mettant en évidence l’idée de panneau, Dicrola casse la cohérence de l’œuvre de façon à démystifier la prétendue naturalité de l’image. L’effet dissonant provoqué par l’incohérence du support se retrouve dans Pylône foudroyant, où il revient au thème des pylônes métalliques soutenant des lignes à hautes tensions. Il utilise dans ce tableau un matériau récupéré, c’est-à-dire un élément d’armoire électrique qui comporte une signalétique industrielle pour prévenir du danger d’électrocution. Il s’agit de l’un des rares exemples, dans sa production, où l’unité de l’œuvre semble remise en cause par la présence d’un élément hétérogène. Ce dernier ne survient pourtant pas par le biais d’un collage, technique qui est toujours absente dans son travail, car son approche de la matière participe d’une tout autre sensibilité. En effet, sa conception de la matière est hantée par l’organique et le périssable, plutôt que par le fonctionnel mécanique ou le structurel agencé. C’est pourquoi l’axe de sa recherche demeure lié aux thèmes de la métamorphose, du changement, de la progression ou de la dissolution au sein de l’être. Il veut ainsi mettre en scène les processus et les temps de transmutation de la matière, provoquer la rencontre entre le concret et le mental pour montrer que toute chose est le résultat d’une élaboration alchimique qui ne connaîtra jamais de fin. Durant cette période, Dicrola se produit également dans plusieurs performances. La plus retentissante est Nuits polaires, consacrée à « son univers personnel », qu’il présente au DRAC-Centre d’Art Contemporain de Baillargue, près de Montpellier, en juin 1991. Il fait installer sur la scène des barres de glace empilées, six lourdes boîtes en plomb fixées sur le mur du fond à 80 cm du sol et une échelle en fer sous laquelle une comédienne dort nue, telle Eve dans le jardin d’Eden. L’espace est plongé dans une lumière tamisée et envahi par une vapeur continue. Accompagné d’une musique bruitiste de type « sidéral », Dicrola entre en scène un chalumeau à la main, habillé d’un scaphandre métallique, à la manière d’un astronaute. Il troue alors avec la flamme de son chalumeau les panneaux des boîtes en plomb, libérant ainsi des rayons de lumière qui frappent la femme nue et
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appearance of a lapidary billboard, he used the same oxidation process on painted metal, but reversing the values. The word appears almost intact, in positive, in the midst of rust that had taken over the entire field of the image. In this way Dicrola played with the notion, very classical in painting, of the reserved canvas. Art supposedly belongs to the “ reserve of the canvas ”, thus resisting the overall corrosion that nonetheless closely besieges it. In short, the picture displays the ultimate confrontation between art and the process of time. He also painted images of anvils or isolated organs, like a big solitary ear in the middle of the 1992 painting I See With It, or else metaphorical objects, such as orthopedic articles, mechanical spare parts, or cooking implements. Thus, the following year, in Cold Shower for Atala he paid a tribute to Chateaubriand and his philosophical tale about a world uncontaminated by urban and industrial culture. In a large format, Dicrola equally executed New Garb for Atala, representing a dressmaker’s dummy, which we shall find later in the series of “ ice paintings ”. Besides, this work introduces another new feature : rust does not merely form a linear outline, but spawns effects of plasticity and volume. Similarly, in other paintings of 1993, rust does not just silhouette the object but renders it in its plastic form, the sign of a complete mastery in controlling the oxidizing process. Human, Too Human, its title ironically referring to Nietzsche, shows in large format a bared cardiac muscle as in De Chirico’s paintings. But here the organ is isolated and the canvas is so big that it produces the effect of a peremptory enlargement. The same year, his work was shown at
Dicrola - Untitled (triptyque) - 1989 - oxydation sur plaque métal 99,5 x 108,5 cm Collection privée - Knokke-le-Zoute
Dicrola - Trace - 1990 - rouille sur plaque métal - 59 x 84 cm - Collection privée - Bruxelles
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la réveillent. Il poursuit son action en perforant les autres boîtes, dont les fins rayons de lumière évoquent le dessin d’une constellation, puis en faisant fondre les blocs de glace avant de se déshabiller, lui-même, entièrement. Cette performance marque l’apparition du thème du rayon de lumière comme métaphore de fécondation ou de régénération que l’on retrouvera plus tard dans son œuvre. Le Ministère de la Culture lui accorde l’année suivante un atelier tandis qu’il travaille principalement avec la galerie Varart à Florence, le Framart Studio à Naples, la Berner Galerie à Berlin, la Luckman Fine Arts Gallery à Los Angeles, les galeries Area et Henry Bussière Art’s à Paris. Le répertoire iconographique de ses tableaux rouillés se diversifie, mêlant des thèmes occasionnels à ses thèmes obsessionnels. Dans Trace, où le mot « art » se présente comme une pancarte lapidaire, il utilise le même procédé d’oxydation sur métal peint, mais en renversant les valeurs. Le mot apparaît presque intact, en positif, au milieu d’une rouille qui a envahi tout le champ de l’image. Dicrola joue ainsi de la notion très classique, en peinture, de toile en réserve. L’art appartiendrait à la « réserve de la toile », résistant ainsi à une corrosion généralisée qui pourtant l’assiège de très près. Le tableau met en somme en scène la confrontation ultime entre l’art et le travail du temps. Il peint également des images d’enclumes ou d’organes isolés, telle une grande oreille solitaire au milieu du tableau dans Je vois par là de 1992, ou encore des objets métaphoriques, tels des appareils orthopédiques, des pièces mécaniques ou des instruments de cuisine. Ainsi, l’année
the Fiac, in the stand of the Thorigny gallery, where Dicrola created an installation in a style closely recalling Arte Povera. Alluding to the rhythm of the cardiac muscle, he placed a music stand holding a score in front of the picture. During the summer of 1995, on the occasion of the exhibition General Rehearsal held in Barcelona, he was engaged by the Town Hall and the French Cultural Institute to perform a spectacular event : illuminate the three tall chimney stacks overlooking the port area of the city with the colors of the French flag. The project, studied down to the smallest detail, was finally abandoned after turning out to be too expensive. Back in Paris, Dicrola drew from this experience The Three Graces of Barcelona, in which the strongly asserted verticality of the chimneys forms a counter point with the equally asserted horizontality of the plumes of smoke. This painting began a new series of works devoted to the iconographic theme of the industrial chimney. Moreover, his research continued in tune with a large section of modern and contemporary art. The reiterated image of the top of a factory chimney, suggesting the appearance of a deserted industrial landscape, in fact referred to the metaphysical painting of De Chirico, but as well to the Arte Povera of Kounellis and to Antonioni’s cinema. Ever since the end of the nineteenth century, the factory itself was like an imago templi of modernism. A hieratic, solemn silhouette, at the same time it is one of the monuments of the modern era, even expressing its near-spiritual dimension, since the tip of a factory chimney was compared to the spire of a cathedral. After the mid-twentieth century, this symbol was
Dicrola - Enclume et marteau - 1990 - rouille sur tôle - 21,5 x 48 cm - Collection privée - Rome
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Dicrola - La fontaine - 1990 - rouille sur t么le - 42,5 x 29 cm - Collection priv茅e - Rome
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suivante, dans Douche froide pour Atala, il rend hommage à Chateaubriand et à son conte philosophique sur un monde non contaminé par la culture urbaine et industrielle. En grand format, Dicrola réalise également un Nouvel habit pour Atala, représentant un mannequin de couture que l’on retrouvera plus tard dans la série des « tableaux glacés ». Par ailleurs, ce tableau introduit un autre élément nouveau : la rouille ne se contente plus de former une silhouette linéaire dessinée mais engendre des effets de plasticité et de volume. De façon semblable, dans d’autres tableaux de 1993, la rouille ne sert pas seulement à silhouetter l’objet mais à le rendre dans sa forme plastique, signe d’une maîtrise pleinement atteinte dans le contrôle du processus d’oxydation. Ainsi, Humain, trop humain, sous un titre qui se réfère ironiquement à Nietzsche, montre en grand format un muscle cardiaque mis à nu comme dans les tableaux de De Chirico. Mais ici l’organe est isolé et la toile est de si grand format qu’elle produit l’effet d’un grossissement péremptoire. La même année, cette œuvre est exposée à la Fiac, dans le stand de la galerie Thorigny, où Dicrola crée une installation proche, dans son style, de l’Arte Povera. Faisant allusion au rythme du muscle cardiaque, il place devant le tableau un pupitre avec partition. Durant l’été 1995, lors de l’exposition Répétition générale qui se tient à Barcelone, il est chargé par la mairie et par l’Institut culturel français de réaliser une action spectaculaire : éclairer des couleurs du drapeau français les trois hautes cheminées d’usine qui surplombent l’aire portuaire de la ville. Le projet, développé dans tous ses détails, est finalement abandonné après s’être révélé trop coûteux. De retour à Paris, Dicrola tire de cette expérience Les trois grâces de Barcelone, où la verticalité fortement affirmée des cheminées s’inscrit en contrepoint de l’horizontalité tout autant affirmée des panaches de fumée. Ce tableau ouvre une nouvelle série d’œuvres consacrées au thème iconographique de la cheminée industrielle. Par ailleurs, sa recherche se poursuit en syntonie avec tout un pan de l’art moderne et contemporain. L’image réitérée du haut d’une cheminée d’usine, impliquant l’apparition d’un paysage industriel désert, renvoie en effet à la peinture métaphysique de De Chirico, mais aussi à l’Arte Povera de Kounellis et au cinéma d’Antonioni. Depuis la fin du XIXe siècle, l’usine elle-même apparaissait comme une imago templi de la modernité. Silhouette hiératique et solennelle, elle est en même temps l’un des monuments des temps modernes, exprimant même leur dimension presque spirituelle puisque la pointe d’une cheminée d’usine était comparée à la flèche d’une cathédrale. Après le milieu du XXe siècle,
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enhanced with a melancholy component, gradually becoming the allegorical image of a civilization fated to disappear. The industrial world then began to yield to the computer world. The factory chimney thus embodied a dying civilization of iron, henceforth it only expressed the memory and weight of the past. In Dicrola’s paintings, the factory is never shown, it is always its tall chimney, its spire as a spiritual part, that is represented. The artist plays with the metonymy, he represents the part for the whole, furthermore banking on the ambiguity of the smoke cloud, together the immaterial part and the polluting part of industrial production. This ambivalence is reflected in a reversal of the positive and negative values. Creating a beautiful spot of rust so as to represent a beautiful spot of smoke is also a way to redeem the ugliness of the industrial world by the beauty of art. The cycle of “ rust paintings ” ended in the late Nineties, when Dicrola carried to a paroxysm the esthetic quality of his images. In the painting Furnace, he proposed anew, in the foreground, the top of a factory chimney. If the mass of bricks of the chimney is barely sketched, the plume of smoke, rendered with the usual technique of the rusted surface, acquires an exceptional density. In the background, the ground is formed by a uniform field upon which is overlaidthe page of the “ culture ” section of the daily newspaper Libération, featuring an article on the acquisitions of the Louvre, illustrated by the head of a classical statue resembling Michelangelo’s David. This work was the first of a recourse to montage and promiscuity in his oeuvre. The assemblage operation is not performed however in keeping with the tactile and plastic values of the materials, but instead with iconographic content. Moreover, this image will be borrowed later in the series of “ ice paintings ”, incorporating themontage in an ensemble that will proceed once again from the organic, unitary transmutation. The theme of iron and industrial civilization was echoed in the following years in several works belonging to the “ ice paintings ” or else the “ scanachromes ”. Still constantly shifting from one technique to another, in his new paintings Dicrola returned several times to the theme of the factory chimney. In 2002, for instance, he did Culture, one of his works he later formulated in an ice version and an emulsified canvas version. The image shows a fragment of the page devoted to culture in the newspaper Libération, with a piece on the Cannes Film Festival, and the fragment of a painting by De La Tour. At the same time, he created as well the ice painting version of Furnace, in which the image of the industrial chimney persisted.
Dicrola - Les trois grâces de Barcelone (polyptyque) - 1995 - rouille sur tôle - 89,5 x 200 cm - Collection privée - Bruxelles
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ce symbole s’est paré d’une composante mélancolique, devenant peu à peu l’image allégorique d’une civilisation destinée à disparaître. Le monde industriel commence alors à céder le pas au monde de l’informatique. La cheminée d’usine incarne ainsi une civilisation du fer qui meurt, elle n’exprime plus que la mémoire et le poids du passé. Dans les tableaux de Dicrola, l’usine n’est jamais montrée, c’est toujours sa haute cheminée, sa flèche en tant que partie spirituelle, qui est figurée. L’artiste joue la métonymie, il représente la partie pour le tout, misant en outre sur l’ambiguïté du nuage de fumée qui est à la fois la part immatérielle et la part polluante de la production industrielle. Cette ambivalence se reflète dans une inversion entre les valeurs positives et négatives. Réaliser une belle tache de rouille afin de représenter une belle tache de fumée est aussi le moyen de racheter la laideur du monde industriel par la beauté de l’art. Le cycle des « tableaux rouillés » se conclut à la fin des années quatre-vingt-dix, Dicrola portant alors à son paroxysme la qualité esthétique de ses images. Dans le tableau Fournaise, il propose à nouveau, au premier plan, la pointe d’une cheminée d’usine. Si la masse de briques de la cheminée est à peine dessinée, le panache de fumée, rendu avec la technique habituelle de la surface rouillée, acquiert une densité exceptionnelle. En arrière plan, le fond se constitue d’un champ uni sur lequel apparaît en surimpression la page de la rubrique « culture » du quotidien Libération, où se trouve un article sur les achats du Louvre accompagné de la tête d’une statue classique proche du David de Michel-Ange. Cette œuvre inaugure le recours au montage et à la promiscuité dans son travail. L’opération d’assemblage ne s’accomplit pourtant pas en fonction des valeurs tactiles et plastiques des matériaux, mais plutôt en fonction du contenu iconographique. De plus, cette image sera reprise plus tard dans la série des « tableaux glacés », incorporant alors le montage dans un ensemble qui procèdera de nouveau de la transmutation organique et unitaire. Le thème du fer et de la civilisation industrielle se répercutera les années suivantes dans quelques œuvres faisant partie des « tableaux glacés » ou encore des « scanachromes ». Poursuivant le passage continuel d’une technique à l’autre, Dicrola reprendra à plusieurs reprises le thème de la cheminée d’usine dans ses nouveaux tableaux. En 2002, par exemple, il réalise Culture, une de ses œuvres qu’il décline ensuite en version glacée et en version toile émulsionnée. L’image montre un fragment de la page dédiée à la culture dans le journal Libération, avec une chronique sur le Festival de Cannes, et le fragment d’un tableau de De La Tour. À la même époque, il crée également la version « tableau glacé » de Fournaise où perdure l’image de la cheminée industrielle.
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Dicrola - Fournaise - 1999 - rouille et impression sur métal - 40 x 30 cm Collection privée - Bruxelles
In 2005, the year in which the centennial of Jules Verne’s death was celebrated, Dicrola bought From the Earth to the Moon from a bookseller on the banks of the Seine. It was a rare edition of 1929, published by Brodard & Taupin for the Hachette bookstore, with black ink drawings by André Galland. The latter, one of the great illustrators of serial novels of the first half of the twentieth century, worked for L’Illustration, Le Petit Journal, Le Journal, Le Matin. He strongly influenced popular imagination with engravings executed for Sans Famille, Vidocq, and Rocambole. Dicrola was surprised to discover in one of the illustrated pages a black ink representing an industrial landscape, subtitled with a sentence by Jules Verne : “ countless chimneys vomiting their torrents of smoke ”. Straight away he derived from it the work titled Jules, conceived as a tribute to the visionary novelist and his illustrator. This convergence between a great nineteenth-century popular writer, a serial novel illustrator of the early twentieth century, and Dicrola’s work, confirmed that this research on factory chimneys was inscribed in a filiation belonging to the entire culture of modernism. The tribute to the industrial era, seen at once as the phantasm of power, but also of filth and pollution, from the beginning was a very popular
Dicrola - Fournaise - 2003 - jet d’encre sur toile - 89 x 200 cm - Collection privée - Bruxelles
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En 2005, l’année où est commémoré le centenaire de la mort de Jules Verne, Dicrola achète De la terre à la lune chez un bouquiniste des bords de Seine. Il s’agit d’une édition très rare de 1929, publiée par Brodard & Taupin pour la libraire Hachette, avec des dessins à l’encre noire d’André Galland. Ce dernier, l’un des grands illustrateurs de romansfeuilletons de la première moitié du XXe siècle, a travaillé pour L’Illustration, Le Petit Journal, Le Journal, Le Matin. Il a surtout marqué l’imaginaire populaire avec des gravures réalisées pour Sans Famille, Vidocq et Rocambole. Dicrola découvre avec surprise dans l’une des pages illustrées une encre noire représentant un paysage industriel sous-titrée d’une phrase de Jules Verne : « d’innombrables cheminées vomissent leurs torrents de fumée ». Il en tire aussitôt l’œuvre intitulée Jules, conçue comme un hommage au romancier visionnaire et à son illustrateur. Cette rencontre entre un grand écrivain populaire du XIXe siècle, un illustrateur de roman-feuilleton de la première moitié du XXe siècle et l’œuvre de Dicrola confirme que ce travail sur les cheminées d’usine s’inscrit dans une filiation qui participe de toute la culture de la modernité. L’hommage à l’époque industrielle, perçue à la fois comme un fantasme de puissance, mais aussi de crasse et de pollution, est dès son origine un élément romanesque très populaire. Le travail de Dicrola témoigne ainsi de cet échange continu entre le culturel et l’infra culturel dont parlait Antonio Gramsci. En effet, tout le travail créateur des avant-gardes se tient entre high & low, en tant que symbiose continue des thèmes iconographiques, des procédés expressifs, des stratégies communicationnelles, entre culture du progrès et culture sociale. La cohérence d’une même recherche traverse ainsi les différentes phases du travail de Dicrola. Dans ces tableaux rouillés, la corrosion du support assure la pérennité d’un processus qui se traduit par une constante évolution de l’image. Destinée à se dématérialiser, celle-ci ne peut que devenir trace et mémoire. Sa disparition même est fantasmée, n’accordant à l’œuvre qu’une vie en sursis. Dès que la rouille a attaqué les surfaces métalliques, les images de Dicrola apparaissent à la fois précaires et ambiguës, saisies entre une traduction matiériste et une transcription mentale de la forme idéelle qui a été à l’origine de l’œuvre. Le rapport de son travail à l’art conceptuel tient dans l’expérience cognitive qu’il met en œuvre. Autrement dit, dans cette disjonction qu’il opère entre la dimension physique du tableau, ainsi rendu à son statut d’objet réel, et sa dimension mentale en tant qu’acte de connaissance.
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Dicrola - Cheminée ionique - 1992 - oxydation sur tôle - 20 x 21 cm Collection privée - Bruxelles
element in fiction. Dicrola’s work thus testifies to this continuous exchange between cultural and infra-cultural of which Antonio Gramsci spoke. Indeed, all the creative effort of the avant gardes is somewhere midway between ‘highbrow & lowbrow’, as a continuous symbiosis of iconographic themes, between culture of progress and social culture. The coherence of the same research thus crosses all the different phases of Dicrola’s work. In his rust paintings, the corrosion of the support insures the duration of a process expressed by a constant evolution of the image. Condemned to be dematerialized, it can only become trace and memory. Even its disappearing is fantasized, only giving the image a deferred life. As soon as rust attacks the metallic surfaces, Dicrola’s images appear both precarious and ambiguous, caught between a matiériste expression and a mental transcription of the ideal form that was at the origin of the work. The relation of his work with Conceptual Art is bound to the cognitive experience he performs. In other words, to this disjunction that he achieves between the physical dimension of the painting, thus restored to its status as a real object, and its mental dimension as an act of knowledge.
Dicrola - Urbi mon amour (triptyque) - 1991 - rouille sur tôle - 110 x 190 cm - Collection privée - Bruxelles
Dicrola - Jules - 2005 - jet d’encre sur toile - 30 x 126 cm - Collection privée - Bruges
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Dicrola - L’enclume - 1993 - rouille sur tôle laquée bleu - 146 x 114 cm - Fondation « Les Centaures » pour l’art comtemporain - Paris
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SCANACHROMES SCANACHROMES
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a dernière période du travail de Dicrola se caractérise par un retour à l’image mécanique, c’est-à-dire à l’image froide produite par l’appareil photographique, qu’il réinvestit en fonction d’une déconstruction de la représentation mais aussi d’une critique du rôle des mass media dans la société contemporaine. En avril 1996, il présente le projet architectural « Être » les autres, dont il élabore la maquette avec la collaboration des architectes Patricia et Andreï Feraru. Destiné à la Biennale de Venise, le projet est une sorte de somme utopique où il résume et amplifie l’ensemble de ses réflexions sur l’identité, le temps, la mémoire, l’image. Un appareil photographique doit saisir le portrait de tous ceux qui pénètrent, par un chemin initiatique, dans une vaste structure légère, dont la spirale ascendante rappelle la tour de Babel, enregistrant ainsi le devenir de l’être collectif dans l’écoulement du temps. La force d’archivage de l’image assume le rêve d’une mémoire polyphonique du monde.
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he latest period of Dicrola’s work features a return to the mechanical image, that is, the cold image produced by the camera, that he refurbishes for a deconstruction of representation but also as a critique of the role of the mass media in contemporary society. In April 1996 he presented the architectural project “ Being ” Others, developing its demo with the collaboration of the architects Patricia and Andreï Feraru. Planned for the Venice Biennial, the project is a sort of utopian corpus, in which he sums up and amplifies his thoughts about identity, time, memory, image. A camera takes the portrait of each person going through an initiatory path into a huge lightweight framework with an ascending spiral recalling the Tower of Babel, thereby recording the becoming of the collective being in the flow of time. The archiving intensity of the image fulfils the dream of a polyphonic memory of the world. While working on this project he was led to a new reflection on photography and its capacity to crystallize the live moment, to document the actuality of the present that instantly becomes the past and memory. He became interested in the technical innovations created by digital photography, scanning, and ink-jet printing. He thus discovered large-format ink-jet printing using a digital machine, a process that replaced his technique of the emulsified canvas. In the coming months he decided to pay a tribute to Gilles Deleuze in a painting created with this new technique. He had known the philosopher and was influenced by Anti-Oedipus he had just reread. He chose two photographs of Deleuze taken in the last years of his life, in which the philosopher looked weary and thoughtful, as if on the threshold of silence. Dicrola enlarged them and placed them at each end of a very narrow canvas. It is almost a looping of the image, a cinematographic fade-in fade-out, a material visualization of the flow of time. At the center of the composition, forming a triptych, there is a fragment of a page of the first edition of Anti-Oedipus. The printed characters are very enlarged, this disrupting any overall meaning, atomizing the text into mere words, in the midst of which arbitrarily surface “ network ”, “ repression ”, “ undifferentiated ”, “ dislocation ”. Dicrola emphasized this sensation of random juxtaposition by retracing in red three of these words : “ desire ”, “ God ”, “ slide ”. In this way he sought to reformulate a comprehensive meaning of the text through memory.
Dicrola - Batman-Dicrola - 2001- oxydation et impression sur tôle 20 x 14 cm - Collection privée - Bruxelles
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After this work Dicrola began to rediscover the impact of the photographic image and to experiment a new approach to it. His first attempt is a large lengthwise work where he put side by side two photos of Pat Buchanan,
Dicrola - Batman-Dicrola - 2001 - jet d’encre sur toile et voile - 74 x 157 cm - Collection privée - Bruxelles
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the American politician who was a candidate in the New Hampshire primaries and for a while Clinton’s rival. One of the pictures shows him wearing a cowboy outfit in a typical setting of the middle America mythologized by so many movies. But the enlargement of the image, the peremptory character of the document, and its monochrome treatment reveal an almost quotationist approach. The work appears steeped in the context of the Seventies, recalling the heyday of Pop Art, Mec Art, Poesia Visiva, and many other trends of contemporary art that, having worked on the manipulation of mass iconographic materials, each in its own way privileged press photography raised to the status of a modern icon. Dicrola - Culture - 2001 - jet d’encre sur toile - 107 x 150 cm Collection privée - Paris
Le travail pour ce projet le conduit à une nouvelle réflexion sur la photographie et sur sa capacité à cristalliser l’instant vital, à documenter l’actualité du présent qui devient aussitôt passé et mémoire. Il s’intéresse aux nouveautés techniques apportées par la photographie numérique, par la scannérisation et par l’impression à jet d’encre. Il découvre ainsi l’impression à jet d’encre grand format par machine digitale, un procédé qui a remplacé la technique de la toile émulsionnée.
However, Dicrola is aware that the violence of the image, its raw, flaunted character, are no longer appropriate today. Contemporary man, submerged as he is by the multiplication ad libitum of the electronic image, has ceased to be emotionally concerned with the photographic image, its fixed quality no longer stirs him, its message has lost its former pregnancy. In the era of the virtual image, photography no longer offers the least proof of truth, no longer
Au cours des mois suivants, il décide de rendre hommage à Gilles Deleuze par un tableau réalisé avec cette nouvelle technique. Il a fréquenté le philosophe et a été marqué par L’Anti-Œdipe qu’il vient de relire. Il choisit deux photographies de Deleuze saisies lors de ses dernières années. Le philosophe y apparaît fatigué et pensif, comme sur le seuil du silence. Dicrola les grossit et les dispose aux deux extrémités d’une toile au format très étiré. C’est presque une mise en boucle de l’image, un fondu-enchaîné cinématographique, une matérialisation visuelle de l’écoulement du temps. Au centre de la composition, formant un triptyque, se trouve le fragment d’une page de la première édition de L’Anti-Œdipe. Les caractères d’imprimerie sont fortement grossis, avec pour résultat de briser tout sens global, atomisant le texte en de simples mots parmi lesquels surgissent de manière arbitraire « réseau », « répression », « indifférencié », « déplacement », « refoulement ». Dicrola accentue cette sensation de juxtaposition casuelle en redessinant en rouge trois de ces mots : « désir », « Dieu », « glisser ». Il tente ainsi de reformuler, par le fil de la mémoire, une signification d’ensemble du texte. C’est à partir de cette œuvre que Dicrola redécouvre l’impact de l’image photographique et en tente une nouvelle approche. Son premier essai est un grand tableau en longueur où il juxtapose deux photos de Pat Buchanan,
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Dicrola - Oxyder - 2003 - oxydation sur plaque métal - 29 x 21 cm Collection privée - Gand
Dicrola - Oxyder - 2003 - jet d’encre sur toile - 150 x 100 cm - Collection privée - Gand
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l’homme politique américain qui, candidat aux primaires du New Hampshire, fut un moment le rival de Clinton. L’une des deux images le montre habillé en cow-boy dans un décor typique de cette Amérique profonde dont le cinéma a élaboré toute une mythologie. Mais le grossissement de l’image, le caractère péremptoire du document, son traitement en monochromie constituent presque une démarche citationniste. L’œuvre semble plonger dans le contexte des années soixante-dix, rappelant les fastes du Pop art, du Mec art, de la Poesia visiva et de bien d’autres courants de l’art contemporain qui, ayant travaillé sur la manipulation des matériaux iconographiques de masse, ont privilégié, chacun à leur manière, cette icône moderne qu’est la photographie de presse. Néanmoins Dicrola se rend compte que la violence de l’image, son caractère cru et affiché, ne sont plus de mise aujourd’hui. Submergé qu’il est par la multiplication ad libitum de l’image électronique, l’homme contemporain n’est plus affectivement impliqué par l’image photographique, sa fixité ne le flèche plus, son message n’a plus la prégnance d’autrefois. À l’époque de l’image virtuelle, la photographie n’apporte plus aucune preuve de vérité, elle ne documente plus le réel, mais seulement la surface des choses, leur contingence épisodique. Autrement dit, l’image photographique n’est plus pourvue de ce doigt pointé qui faisait sa force politique. Dicrola s’applique alors à voiler l’image par un tissu en tulle très transparent qui la recouvre d’une patine uniforme et blanchâtre, l’éloignant aussitôt dans le temps. Le sourire rustaud de Buchanan apparaît relativisé, son allure de fier cow-boy devient tout à coup une affaire de cinéma. Le voilage correspond à une distanciation ironique, il impose le passage du registre sensible au registre affectif, l’image perçue devient une image évoquée. L’idée du voile, déjà utilisé dans ses performances, lui vient d’un passage de Bergson : « Entre la nature et nous, que dis-je ?, entre nous et notre propre conscience, un voile s’interpose, voile épais pour le commun des hommes, voile léger, presque transparent pour l’artiste et le poète... ». En voilant ses « scanachromes », Dicrola dit vouloir « accentuer la stabilité du dispositif de représentation entre fiction et réalité, entre art et nature ». Son deuxième essai concerne à nouveau l’iconographie politique. Le diptyque juxtapose cette fois un portrait en pied d’Alain Juppé et un profil de François Mitterrand. Le premier sort affairé de Matignon. Le second est figé dans cette pose d’empereur romain rendue célèbre par la cérémonie du Panthéon qui inaugura son premier septennat. Les deux images se détruisent l’une l’autre et le voilage semble matérialiser cette mise en scène des vanités qui est le lot éternel du pouvoir politique. L’actualité est transitoire par définition. Et c’est ce qui rend tout pouvoir éphémère par prédestina-
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documents reality but only the surface of things, their episodic contingency. In other words, the photographic image is no longer the pointed finger that used to be its political drive. So Dicrola proceeds to veil the image with a very transparent tulle fabric that coats it with a uniform, whitish patina, causing it to instantly recede in time. Buchanan’s countrified smile seems relativized, his proud cowboy airs suddenly look like something in a movie. The veiling provides an ironic distancing, imposes the shift from visual register to emotional register, the seen image becomes a reminisced image. The idea of the veil, already used in his performances, came to him from a passage in Bergson : “ Between nature and us, - what am I saying ? -, between us and our own consciousness, a veil intervenes, a thick veil for the common of mortals, a light, almost transparent veil for the artist and the poet…”. By veiling his “ scanachromes ”, Dicrola says he wishes to “ accentuate the stability of the representational device between fiction and reality, between art and nature ”.
Dicrola - Thésée et son fantôme - 2002 - oxydation et impression sur métal - 16 x 11cm - Collection privée - Vienne
His second experiment once again has to do with political iconography. This time the diptych juxtaposes a full-length portrait of Alain Juppé and a profile of François Mitterand. The former is busily on his way out of Matignon. The latter is frozen in the pose of a Roman emperor that became famous at the ceremony of the Panthéon when he inaugurated his first seven-year presidency. The two images cancel each other out, and the veil seems to materialize this representation of vanities, the everlasting lot of political power. Actuality is transitory by definition. And that is what makes all political power ephemeral by predestination. The veil mutes the image, while the monochromes steep it in a dimmed atmosphere : the figures look like the ghosts of History. In this new research Dicrola explores all the possibilities inherent to the medium. The following works, executed in 1996 as well, are thus marked by a greater use of color, always reworked, and a broadening of his themes.
Dicrola - Superman et Persée - 2001 - oxydation et impression sur métal 19 x 14 cm - Collection privée - Vienne
tion. Le voile assourdit l’image, tandis que les monochromies l’engluent dans une atmosphère tamisée : les personnages ont l’apparence des fantômes de l’Histoire. Dicrola explore toutes les possibilités inhérentes au médium dans cette nouvelle recherche. Les œuvres suivantes, également réalisées en 1996, sont ainsi marquées par la prise en compte de la couleur, toujours retravaillée, et par un élargissement des thèmes traités. Dans un diptyque en longueur, la partie supérieure de la composition présente, en couleur, un mannequin. Cette image de l’éternel féminin est en fait une publicité de la maison Dior. Par un artifice de découpage, Dicrola fait apparaître seulement les trois premières lettres du nom du grand couturier parisien : DIO, ce qui, en italien, signifie Dieu. C’est déjà une très forte implication idéologique du contenu de l’image. Dans la partie inférieure, le long d’une diagonale inversée, une photographie en noir et blanc montre des policiers en action. Le voile traduit ici cette dimension feutrée du consensus social qui veut qu’aujourd’hui, tout en connaissant mieux l’injustice, nous sommes devenus indifférents face à elle. Les moyens stratégiques d’agression et de contestation politique, tels que
In a lengthwise diptych, the upper section of the composition presents a model, in color. The image of the eternal woman is actually an advertisement for the Dior fashion house. By an artifice of the cutout, Dicrola shows only the first three letters of the famous Parisian stylist’s name : DIO, in Italian meaning God. This already is a strong ideological implication of the content of the image. In the lower section, along a reversed diagonal, a black and white photograph shows policemen in action. Here the veil expresses the muffled dimension of today’s social consensus that makes us indifferent to injustice, even though we are more aware of it. The strategy of aggressiveness and political dissent, like the amputation of the word Dior, the enlarging of the image, the extreme simplification of its iconography, the double diagonal enhancing the composition with a highly efficient eloquence, are immediately displaced and neutralized by the veil. It gives the work the tonality of a basso continuo, the register of a sort of uneasy conscience, even the impression of a resigned pessimism, of a political awareness henceforth far removed from any determination to action. We encounter something similar in another composition that, again arranged vertically, combines two contrasting images : a political demonstration and a concrete symbol of material comfort. Above, in dark monochrome, the stern faces of the policemen frame the smiling ones of the students. Below, a roast beef loses its reality by both the chromatic toning of its reddish color and the Popstyle enlargement of its dimensions. The work apparently denounces the foundations of our society, were the veiling not there to transform the primary meaning of the image and introduce the second degree of a reflection on the
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l’amputation du mot Dior, le grossissement de l’image, la simplification extrême de son iconographie, la double diagonale enrichissant la composition d’une éloquence fort efficace, sont aussitôt déplacés et neutralisés par le voile. Ce dernier donne à l’œuvre la tonalité d’une basse continue, le registre d’une sorte de mauvaise conscience, voire l’allure d’un pessimisme résigné, d’une conscience politique désormais lointaine de toute volonté d’action. Il en est de même dans une autre composition qui, toujours à la verticale, associe encore deux images en contraste : une manifestation politique et un symbole concret du confort matériel. En haut, en monochromie sombre, les visages sévères des policiers encadrent ceux souriants des étudiants. En bas, un rôti de bœuf déréalisé à la fois par le virage chromatique de sa couleur rougeâtre et par le grossissement pop de ses dimensions. L’œuvre laisserait supposer une dénonciation des assises de notre société si le voilement ne venait transformer le sens premier de l’image pour introduire le second degré d’une réflexion sur l’inanité de l’art et l’inertie du monde. L’art n’est plus un instrument de contestation, puisque la dénonciation elle-même n’a plus cours à notre époque : la mise en exergue des contradictions de la société s’accompagne en fait d’une pleine lucidité de l’inutilité du geste. Autrement dit, l’art n’est plus un support valable et fort, capable d’assumer le désaveu du monde tel qu’il est. Ainsi, par la stratégie linguistique du voile, Dicrola traduit à la fois la conscience en éveil de l’artiste et l’impasse opératoire de l’art face au monde actuel. Puis Dicrola revient à l’univers américain. Il montre une image monochrome où Pat Buchanan est coiffé cette fois-ci du chapeau de l’oncle Sam frappé d’une étoile. Tout en faisant référence au drapeau américain, cette étoile est un symbole mythologique d’origine grecque. Placée au-dessus du front, c’est un signe céleste qui désigne les dieux ou les demi-dieux, voire les êtres au destin exceptionnel, pourvus de la grâce du savoir et de la sagesse. L’image de cet homme politique américain à la tête étoilée et au physique de fermier du Middle-West est d’autant plus dérisoire que l’image la jouxtant, très colorée, montre une séance érotique de Jeff Koons avec la Cicciolina, le couple étant surmonté de l’écriteau « Made in Heaven », c’est-à-dire « fait au ciel ». Dans les deux photographies, l’espace céleste est à chaque fois évoqué en fonction d’un message auto-publicitaire. L’homme politique prend le ciel à témoin pour démontrer ses vertus civiques en tant que candidat au pouvoir. L’artiste fait de même pour prouver son instinct créateur. Le thème de l’art est également traité dans une composition qui juxtapose le fragment agrandi d’un texte de Jean Baudrillard et un tube de rouge à lèvres porté à une dimension pop qui finit par dévoiler la texture même de l’image.
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inanity of art and the inertia of the world. Art has ceased to be an instrument of dissent, because in our day denouncing has become obsolete : actually the underlining of the contradictions of society goes hand in hand with a complete lucidity with respect to the futility of gesture. In other words, art has ceased to be a valid, powerful support, able to disavow the world as it is. In this way, by the linguistic strategy of the veil, Dicrola expresses the artist’s wide-awake consciousness along with the operational dead end of art confronted with the present-day world. Then Dicrola came back to the American world. He displayed a monochrome image in which Pat Buchanan is wearing Uncle Sam’s hat featuring a star. While referring to the American flag, this star is a mythological symbol of Greek origin. Placed above the brow, it is a heavenly sign designating gods or semi-gods or even creatures endowed with an exceptional fate, possessing the grace of knowledge and wisdom. The image of this American politician with his starred head and the physique of a Mid-Western farmer is all the more ridiculous that the image next to it, very brightly colored, shows an erotic scene by Jeff Koons with Cicciolina, the couple being crowned by the sign “ Made in Heaven ”. In the two photographs, the space of the sky is evoked each time as a self-advertising image. The politician takes the sky to witness to demonstrate his civic virtues as the candidate for power. The artist does the same thing to prove his creative instinct. The theme of art is treated as well, in a composition putting the enlarged fragment of a text by Jean Baudrillard next to a tube of lipstick, so enlarged to a PopArt size that the very texture of the image appears. The composition in fact presents a text become an image beside an image become a text. As always, the two photographs are associated vertically with a strong telescopic effect. Actually Dicrola does not effect a sophisticated, meditated choice. His approach is essentially structural. He knows that the juxtaposition of two images, even if they have not been chosen in relation one to the other, will always produce a short-circuit, bring to life a meaning, give itself as language. Another work conjugates an image of Jacques Chirac in the midst of some military officers during an official commemorative ceremony with that of a bottle of the Lancôme perfume Poème. The bottle is over-sized and its ochre and gold colors make it look like a saccharine dream. On the other hand, the dark monochrome of the other image expresses the rigidity of a world where the values are supposed to provide the very meaning of the collective dimension. The hiatus between the two images is political in nature, their dichotomy representing questioning and
Dicrola - Hommage à Versace - 1997 - jet d’encre sur toile - 100 x 102 cm - Collection privée - Milan
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Dicrola - Thésée et son fantôme - 2002 - jet d’encre sur toile - 55 x 109 cm - Collection privée - Vienne
La composition présente en définitive un texte devenu image à côté d’une image devenue texte. Comme toujours, les deux photographies sont associées sur la verticalité, avec un fort effet de télescopage. En fait, Dicrola n’opère pas un choix sophistiqué ou réfléchi. Sa démarche est éminemment structurelle. Il sait que la juxtaposition de deux images, même lorsqu’elles n’ont pas été choisies l’une en fonction de l’autre, provoquera toujours un court-circuit, fera vivre un sens, se donnera comme langage. Une autre œuvre conjugue une image de Jacques Chirac au milieu de militaires, lors d’une cérémonie officielle de commémoration, et celle d’un flacon du parfum Poème de Lancôme. Le flacon est surdimensionné et ses couleurs ocre et or lui donnent une apparence de rêve sucré. La monochromie sombre de l’autre image traduit en revanche la rigidité d’un monde où les valeurs sont censées fournir le sens même de la dimension collective. Le hiatus entre les deux images est d’ordre politique, leur dichotomie équivaut à une interrogation et à une critique. Mais le voile gomme aussitôt l’antithèse qui oppose les deux photographies. En détruisant la force de contestation contenue dans leur contraste, il confère une unité autre à l’ensemble. Le diptyque prend ainsi l’allure apaisée d’une icône. Inaugurant une autre étape de son travail, Dicrola réalise ensuite des diptyques où les images sont toutes deux colorées. Dans l’un d’eux, la partie supérieure présente à nouveau un mannequin de la maison Dior, sorte de synthèse
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criticism. But the veil immediately erases the antithesis opposing the two photographs. In destroying the force of dissent contained in their contrast, he confers on the ensemble a different form of unity. Thus the diptych has the pacified appearance of an icon. Undertaking a new stage in his work, Dicrola then did diptychs where both images are in color. In one, the upper part again presents a Dior fashion model, a sort of sublime, insane synthesis of consumer society, its mythology, and the consecration of its myths in Western society, while the lower part shows Arafat embracing the Pope of the Orthodox church. On one side the fatuity of the idols of fashion, on the other the still active functions of religion and politics. As in the other compositions, the color might be described as crushed, flattened, and deformed by tones turned acid. This remoteness makes the political news events seem extremely relative, as well as the values they represent, while the image expressing them is devitalized and inert like a faded photograph. These works are called “ scanachromes ”, for the technique of the large format ink-jet printing process. Dicrola uses it with a linen canvas support and a quality of printing comparable to the effects of silk-screen printing. Most of these “ scanachromes ” are a kind of personal diary whereby he reacts each day to the most immediate world news. He seizes upon events concerning politics as well as culture, poised between a will to denounce and a critical
sublime et insensée de la société de consommation, de sa mythologie et de la sacralisation de ses mythes dans le monde occidental, tandis que la partie inférieure montre Arafat embrassant le Pope de l’église orthodoxe. Deux échelles de valeur sont ainsi brutalement confrontées l’une à l’autre. D’un côté la fatuité des idoles de la mode, de l’autre les fonctions encore actives du religieux et du politique dans le monde. Comme dans les autres compositions, la couleur est pour ainsi dire écrasée, aplatie et faussée par des tons devenus acides. Cette mise à distance confère une relativisation extrême aux événements de la chronique politique, autant qu’aux valeurs qu’ils représentent, alors que l’image qui les traduit est dévitalisée et inerte à la manière d’une vieille photographie. Ces œuvres sont appelées « scanachromes » d’après la technique d’impression à jet d’encre grand format. Dicrola l’emploie en exigeant un support en toile de lin et une qualité d’impression proche des effets de la sérigraphie. La plupart de ces « scanachromes » tiennent du journal personnel par lequel il réagit au jour le jour à l’actualité la plus immédiate du monde. Il saisit des événements qui concernent aussi bien le champ politique que culturel, oscillant entre une volonté de dénonciation et une analyse critique, voire un sentiment pessimiste de l’inéluctabilité des événements du monde et le choix d’un témoignage de l’intelligence qui ne se rend pas au diktat de la matière. Mais il témoigne aussi de sa conviction la plus profonde : tout n’est qu’écoulement continu et processus d’un devenir sans fin.
analysis, or even a pessimistic sense of the ineluctability of world events, and the choice of a testimony of an intelligence that does not yield to the diktat of matter. But he also attests to his deepest conviction : everything is but a continuous flow and process of perpetual becoming. In this way he uses press cutouts from French or Italian newspapers and magazines, such as La Repubblica, Corriere della Sera, Libération, Le Figaro, Le Nouvel Observateur, L’Express, Le Point, or directly photographs from the most well-known news services like Magnum or F.C.B. Srinagar Photo, or else drawings and other iconographic documents drawn from the mass media or the most erudite art history iconography. In a text document entitled The Clever image genius in Gerardo Dicrola’s art, Michel Hubert Lepicouche assures that his press photographs in the form of scanachromes on canvas, whereby he expresses himself, have already perverted the subject of the referent as soon as they are published in the various newspapers or weeklies. « It is in the redoubling of this perversion (the echo of the perverted echo) that the meaning of his icons will have to be sought. » In addition, these first scanachromes are not given a title. They are designated only by the name of the periodical and the news service, followed by the date of the photographed event. In 1997 after the sudden death of Gianni Versace, the Italian stylist, Dicrola paid him a tribute : a painting arranged in six compartments contrasting by their iconographic content. The three lower ones show three versions
Dicrola - Bill Clinton - 1997 - jet d’encre sur toile - 80 x 165 cm - Collection privée - Berlin
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Dicrola - Superman et les Innocents (triptyque) - 2003 - oxydation et impression sur plaque métal et halogène - 40 x 90 cm - Collection privée - Bruxelles
Il utilise ainsi des coupures de presse provenant de journaux et d’hebdomadaires tant français qu’italiens, comme La Repubblica, Le Corriere della Sera, Libération, Le Figaro, Le Nouvel Observateur, L’Express, Le Point, ou directement des photographies des agences de presse les plus connues telles Magnum ou F.C.B. Srinagar photo, ou encore des dessins et autres documents iconographiques provenant tant des mass media que de l’iconographie la plus savante de l’histoire de l’art. Dans un texte intitulé Le Malin génie de l’image dans l’art de Gerardo Dicrola, Michel Hubert Lépicouché affirme que ces photographies de la presse sous forme de scanachromes sur toile, par lesquelles il s’exprime, ont déjà perverti le sujet du référent dès le moment de leur publication dans les différents journaux ou hebdomadaires : « C’est dans le redoublement de cette perversion (l’écho de l’écho perverti) qu’il faut rechercher le sens de ces icônes ». Par ailleurs, ces premiers scanachromes n’ont pas de titres. Ils sont uniquement désignés par le nom du périodique et de l’agence de presse suivis de la date de l’événement photographié. En 1997, suite à la mort soudaine de Gianni Versace, le couturier italien, Dicrola réalise en son hommage un tableau se composant de six compartiments mis en opposition par leur contenu iconographique. Les trois inférieurs montrent trois versions d’un mannequin de couture non utilisé. L’image du buste, présentée verticalement ou suspendue, est traitée à l’acide pour en faire une effigie rouillée, donc périssable. Les trois compartiments supérieurs sont faits de pages prélevées dans des quotidiens italiens : le compartiment central est un portrait de profil de Versace qui se met en scène dans la posture de l’artiste en quête
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of an unused fashion dummy. The image of the bust, presented vertically or hanging, is treated with acid to turn it into a rusted, therefore perishable effigy. The three upper compartments consist of pages from Italian dailies : the central section is a portrait in profile of Versace posing as the artist seeking inspiration. The one on the left borrows an article praising the retrospective that the Guggenheim devoted to the stylist’s work, thereby consecrating him as an artist, while the third shows another article, upside down, about Saint Sebastian and beauty. The upside-down presentation of this last image alludes to the fall of Icarus, whereas the Saint Sebastian refers to Versace’s homosexuality. So the composition is organized around the theme of the artist and creation, in its craftsmanship aspect as well as its glamour, evoking a symbolic network referring to beauty, grief, the ephemeral, and fame. Series of other “ scanachromes ” arise, with the return of the same iconographical themes as a leitmotif, creating a sort of telescoping of actuality with the emotions or thoughts it stimulates. The theme of the bared heart is repeated, for instance, leading to a painting of the same year titled Bill Clinton, another questioning of the mythologies of our time. From left to right the canvas shows : the drawing of a heart that, treated with acid, gives a corroded but bared image of this vital muscle located at the crossroads of the energies and circulations of the body; at center, a press cutout with photographs of Bill Clinton on the telephone dealing with the Middle East and oil, appearing as the major agent of decisions of our planet; last the advertisement photograph of a sportswoman wearing the colors of
d’inspiration. Celui de gauche reprend un article célébrant la rétrospective que le musée Guggenheim avait dédié à l’œuvre du couturier ainsi consacré comme artiste, alors que celui de droite montre un autre article, présenté tête en bas, traitant de Saint Sébastien et de la beauté. Le renversement de cette dernière image fait allusion à la chute d’Icare tandis que le Saint Sébastien renvoie à l’homosexualité de Versace. La composition s’organise donc autour du thème de l’artiste et de la création, dans son aspect artisanal autant que glamour, évoquant un réseau symbolique qui fait référence à la beauté, la souffrance, l’éphémère et la gloire. Des séries d’autres « scanachromes » s’esquissent par le retour en leitmotiv des mêmes thèmes iconographiques, créant une sorte de télescopage entre l’actualité et les émotions ou les réflexions qu’elle suscite. Le thème du cœur mis à nu se répète, par exemple, aboutissant au tableau de la même année intitulé Bill Clinton, qui est une autre mise en question des mythologies de notre époque. La toile montre, de gauche à droite : le dessin d’un cœur qui, traité à l’acide, donne une image corrodée mais crue de ce muscle vital situé à la croisée des énergies et des circulations du corps ; au milieu, une coupure de presse avec une photographie de Bill Clinton au téléphone traitant du Moyen-Orient et du pétrole, qui apparaît comme l’agent majeur de décisions de notre planète ; enfin la photographie publicitaire d’une sportive portant sur son buste les couleurs des États-Unis. Il s’établit un rapport entre le cœur et le pétrole, tous deux déterminants pour le fonctionnement de l’homme et du monde, puis le
the American flag on her torso. A connection is established between the heart and oil, both decisive for the functioning of man and the world, then the same connection between them and the woman displaying pride and beauty. In this way the metaphoric link is completed, almost setting up a symbolic logic of the image. Dicrola’s favorite method is allusion, allowing him the utmost speed. The images are put together without a comment, their juxtaposition provokes at the same time an esthetic shock and an attempt to meaning. In the same cycle, the triptych Chronicle presents the image of the cardiac muscle at center, flanked on the left by the blasphemous poster of a well-known Milos Forman movie showing a young man eagle-spread upon a woman’s barely concealed genitals, and on the right, the no less famous photograph of a grieving woman, like a Pontormo Madonna, subsequent to a massacre in Algeria. Dicrola’s art expresses a critical perception of contemporary society while challenging the power of the image in the media as the instigator of myths. Publishing his famous “ Mythologies ”, Roland Barthes precisely denounced this metaphorical interplay between Nature and Culture, and even the naturalization of ideology that rules the petit-bourgeois thinking exemplifying our time. It is especially by the mass media that Culture is turned into Nature : “ Myth has the task of founding a historical intent in nature, a contingency in eternity. This approach is
Dicrola - Chronique - 1997 - jet d’encre sur toile - 80 x 160 cm - Collection privée - Berlin
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exactly that of bourgeois ideology. If our society is objectively the privileged field of mythical significations, that is because myth is formally the best-suited instrument for the ideological reversal defining it ”. With his “ scanachromes ”, Dicrola practiced an “ infiltration of myths ”, a strategy which, using the iconography of art and of everyday news, relies above all on the short-circuit created during the juxtaposition of these images. Incompatible by nature, they seem to be connected within this constant process of myth-making, that feeds journalism, social issues, the ruling ideas of our society. The language of immediate communication in the mass media is caught at its own game ; it is, so to say, deconstructed by its own means.
Dicrola - Fashion - 2002 - oxydation et impression sur tôle - 90 x 80 cm Collection privée - Bruxelles
même rapport entre eux et la femme qui agit avec fierté et beauté. La liaison métaphorique se complète ainsi, instaurant presque une logique symbolique de l’image. La méthode préférée par Dicrola est celle de l’allusion qui lui permet le maximum de vitesse. Les images sont rapprochées sans commentaire, leur juxtaposition provoque en même temps un choc esthétique et un travail du sens. Dans le même cycle, le triptyque Chronique présente l’image du muscle cardiaque au centre, flanqué à gauche de l’affiche blasphématoire d’un célèbre film de Milos Forman, montrant un jeune homme en croix sur le sexe à peine couvert d’une femme, et à droite, la non moins célèbre photographie d’une femme en douleur, comme une Madone de Pontormo, au lendemain d’un massacre en Algérie. L’art de Dicrola formule une perception critique de la société contemporaine tout en remettant en question le pouvoir de l’image dans les médias comme déclencheur de mythes. Publiant ses fameuses « mythologies », Roland Barthes dénonçait précisément ce glissement métaphorique entre nature et culture, voire cette naturalisation de l’idéologique qui fait la domination de la pensée petite-bourgeoise caractérisant notre époque. C’est notamment par les mass media que la culture se trouve transformée en nature : « Le mythe a pour charge de fonder une intention historique en nature, une contingence en éternité. Or cette démarche, c’est celle-là même
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In the summer of 2000 his scanachromes are shown at the international exhibition, Arte di fine millennio, held at the Castel Sant’Elmo in Naples. All the movements of the “ art of the end of the millennium ” are represented : Arte Povera with Alighiero Boetti and Jannis Kounellis, the return to painting with Anselm Kiefer and Mimmo Paladino, Minimalism and Conceptual Art with Sol LeWitt and Dennis Oppenheim, performance and photo-performance with Allan Kaprow and Urs Lüthi. Dicrola’s works are grouped in a room of his own. He then pursued his reflection on the function of images in society, but the ulterior developments of his research also indicate a sort of return to his most intimate sensibility. The comparisons implied by his diptychs actually transcend the testimony of cultural, social, and political current events, promoting a more comprehensive view, with philosophical undertones. For instance he executed the painting Repetition, an immediate reaction to a bloody event of the conflict between Palestinians and Israelis : the death of a child. He cut out of the daily Libération the photograph of a soldier shooting a machine-gun straight at the camera lens. He doubled it like a sequence of movie stills, thus exacerbating the violence it expresses and the ineluctable unfolding of the story, while the left-side movie still is a rusted monochrome. In this way he displays a representation of the becoming of human destiny seen as in Greek tragedy. The indifference of Nature to Man’s fate is expressed here by the raw life of matter, that disintegrates and is always regenerated, slowly and invariably, ignoring all that is not itself. Shortly after, in Fashion, he repeated this diptych composition, giving it a more glamorous coloring. He adopted the same partitioned structure : two vertical panels, the second crossed with horizontal lines. On the right he placed a fashion photograph focused on the soaring body of a model wearing an evening gown with a slit showing
Dicrola - Répétition - 2002 - oxydation et impression sur tôle - 90 x 80 cm - Collection privée - Bruxelles
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de l’idéologie bourgeoise. Si notre société est objectivement le champ privilégié des significations mythiques, c’est parce que le mythe est formellement l’instrument mieux approprié au renversement idéologique qui la définit ». Avec ses « scanachromes », Dicrola pratique une « infiltration des mythes » selon une stratégie qui, s’appropriant l’iconographie de l’art et de la chronique quotidienne, mise surtout sur le court-circuit qui se produit lors de la juxtaposition des images. Incompatibles entre elles, elles apparaissent aussitôt reliées au sein de ce constant processus de mythologisation qui alimente le journalisme, les débats de société, les idées dominantes de notre société. Le langage de la communication immédiate qui règne dans les mass média est pris à son propre piège, il est pour ainsi dire déconstruit par ses propres moyens. L’été 2000, les scanachromes de Dicrola font partie de l’exposition internationale Arte di fine millennio, organisée au Castel Sant’Elmo de Naples. Toutes les tendances de « l’art de la fin du millénaire » y sont représentées : l’Arte Povera avec Alighiero Boetti et Jannis Kounellis, le retour à la peinture avec Anselm Kiefer et Mimmo Paladino, le minimalisme et l’Art conceptuel avec Sol LeWitt et Dennis Oppenheim, la performance et la photo-performance avec Allan Kaprow et Urs Lüthi. Ses œuvres sont réunies dans une salle qui lui est consacrée. Il poursuit ensuite sa réflexion sur la fonction des images dans la société, mais les développements ultérieurs de sa recherche témoignent aussitôt d’un retour à sa sensibilité la plus profonde. Les rapprochements impliqués par ses diptyques transcendent en effet le témoignage de l’actualité culturelle, sociale et politique, afin de promouvoir une vision plus globale, à la tonalité philosophique. Il réalise par exemple le tableau Répétition, réaction immédiate à un événement sanglant de la lutte entre Palestiniens et Israéliens : la mort d’un enfant. Il découpe dans le quotidien Libération la photographie d’un militaire actionnant une mitrailleuse lourde pointée vers l’objectif. Il la dédouble à la manière d’une séquence de photogrammes cinématographiques, exacerbant ainsi la violence qui s’en exprime et l’écoulement inéluctable de l’histoire, alors que la moitié gauche est un monochrome rouillé. Ainsi, il met en scène une perception du devenir de la destinée humaine conçue selon la tragédie grecque. L’indifférence de la nature au sort de l’homme s’exprime ici par la vie brute de la matière qui se délite et se régénère toujours, d’une manière lente et invariable, ignorant tout autre chose qu’elle-même. Peu après, dans Fashion, il reprend cette composition en diptyque, lui donnant une coloration plus glamour. Il adopte la même structure compartimentée : deux panneaux verticaux, le second étant scandé de lignes horizontales. Il place à droite une
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her legs. In this second painting, the structural opposition resulting from the two facing contrasting contents - the inexorable perishing of matter and the glare of fashion reporting- expresses in an image the vanity of the world and the vacuity of human actions. The year 2001 marks a very important enrichment in Dicrola’s oeuvre, as he quickly integrated new themes and new approaches. Performed in two stages, this turning point first involved his own existential experience. His new companion, Nathalie Brauld, was expecting a child. The exalting feeling of soon being a father appears in the work Breath of Light (Nathalie and I), in which the biblical idea of the Word of Life as the word of light becomes a representation of the couple. Breath-like creative inspiration associated with the beam of light relates to a very old mythical signification that art appropriated innumerable times. In the famous Annunciation by Simone Martini, for example, the angel bearing the divine word is the source of a golden ray of light that flows over the virgin who is to be a mother, while Titian assimilated the rain of gold whereby Zeus fecundated Danae to rays of light. Expressing a modern vision of this symbolic figure, Dicrola introduced the mythical theme of the ray of light implying the pregnancy of his companion Nathalie Braud, a pregnancy that however would miscarry. He soon returned to it in other scanachromes connected with his personal mythology or other symbolic themes. In the triptych The Luminous Hand, the images of which were derived from a performance, he portrayed himself with a hand extended by claws of light. He was referring to two radically opposed heroes of popular culture. The first is Wolverine, a positive super hero with hands bearing retractile claws, from the group of X-Men created by Stan Lee and Jack Kirby, prefiguring a universe of mutant humans having super powers. The second is Freddy, a monster characterized by artificial claws at the tips of his fingers, who haunts the dreams of American teenagers as a recurrent character in the movie series A Nightmare on Elm Street, invented
Dicrola - La Main lumineuse (triptyque) - 2001 - jet d’encre et voile sur toile - 60 x 180 cm - Collection privée - Rome
Dicrola - Le printemps d’Édouard : Nathalie en Catherinette (polyptyque) – 2005 - jet d’encre sur toile - 150 x 35 cm - Collection privée – Paris
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by the filmmaker Wes Craven. The personal mythology induced an intimate collusion between popular imagination, fantastic character, and the artist’s almightiness.
Dicrola - Guerre - 2001 - jet d’encre sur toile - 60 x 120 cm Collection privée - Rome
photographie de mode centrée sur le corps élancé d’un mannequin en robe de soirée largement fendue sur ses jambes. Dans ce deuxième tableau, l’opposition structurelle résultant de la mise en vis-à-vis des deux contenus en contraste : le dépérissement inexorable de la matière et l’éblouissement de la chronique de mode, traduit en image la vanité du monde et la vacuité des activités humaines. L’année 2001 marque un enrichissemant très important dans l’œuvre de Dicrola, qui intègre alors rapidement de nouveaux thèmes et de nouvelles approches. S’accomplissant en deux temps, ce tournant implique d’abord son propre vécu existentiel. Sa nouvelle compagne Nathalie Brauld attend un enfant. Le sentiment exaltant d’être bientôt père, apparaît dans l’œuvre Souffle de lumière (Nathalie et Moi), où l’idée biblique du verbe de vie comme verbe de lumière est l’objet d’une véritable mise en scène du couple. Le souffle créateur associé au rayon lumineux tient d’une signification mythique fort ancienne que l’art s’est approprié à maintes reprises. Dans la célèbre Annonciation de Simone Martini, par exemple, l’ange qui apporte le verbe divin est la source d’un rayon doré qui investit la vierge destinée à être mère, tandis que Titien a assimilé à des rayons de lumière la pluie d’or par laquelle Zeus vient féconder Danaé. Formulant une vision moderne de cette figure symbolique, Dicrola introduit le thème mythique du rayon lumineux impliquant la grossesse de sa compagne Nathalie Brauld, grossesse qui n’arrivera pourtant pas à son terme. Il le reprend peu après dans d’autres scanachromes liées à sa mythologie personnelle ou à d’autres thèmes symboliques. Dans le triptyque La main lumineuse, dont les images sont issues d’une performance, il se portraitise avec une main d’où partent des griffes de lumières. Il fait ainsi référence à deux héros radicalement opposés de la culture populaire. Le premier est Wolverine, super héros positif aux mains dotées de griffes rétractiles, du groupe des X-Men, créé par Stan Lee et Jack Kirby, préfigurant un univers d’humains mutants aux super-pouvoirs. Le second est Freddy, un
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Thus Dicrola identifies his figure as an artist with the Promethean and diabolical role of Lucifer, the lightbearing archangel cast down by God for having given mankind the fire of knowledge. He enjoys representing the ambivalence of his role as an artist in Luminous Extension, in which he dissipates with his luminous hand the darkness surrounding the word “ culture ”, and in War, in which he lights with his luminous breath the word “ war ”. In other words, art alone can redeem the work of time that engulfs all things, the artist alone can give an existential density to the events of the ceaseless becoming in which the world of the spirit as well as the world of history participates. In Dicrola these works of 2001 involve the appropriation of the theme of light that goes through an entire segment of contemporary research, from Dan Flavin to James Turrell. But his work proceeds from mental archetypes that differ profoundly from those of abstract Minimal Art, tinged with conceptualism, spiritualism, or constructivism, as it is conceived by an American artist. He glorifies the hand, ancestral implement of the artisan-artist, and refuses abstraction, in order to work either on the matter or on the image, not hesitating to remain close to the great mythical themes illustrated by classical art. The other event that provokes a turning pointing in his work is political and ideological in nature : on 11 September 2001 three airplanes crash into the Pentagon in Washington and the Twin Towers of the World Trade Center in Manhattan. A month later, American troops are sent to Kandahar for the war in Afghanistan that will end in mid-November. Dicrola has strong feelings about this rise of violence in the world, accompanied by an ideological debate on the necessity of war, the planetary domina-
Dicrola - Le vieux Silène et l’Homme araignée - 2002 - jet d’encre sur toile et voile - 76 x 141 cm - Collection privée - Paris
Dicrola - Corrosion - 2004 - rouille et impression sur plaque métal - 170 x 65 cm Collection privée - Bruxelles
Dicrola - Superman - 2004 - rouille et impression sur plaque métal - 170 x 65 cm Collection privée - Bruxelles
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Dicrola - Superman en évaporation - 2002 - oxydation et impression sur métal - 40 x 90 cm - Collection privée - Bruxelles
monstre caractérisé par des griffes prothèse prolongeant les doigts de ses mains, qui hante les rêves des adolescents américains en tant que personnage récurrent dans la série de films Les griffes de la nuit, inventé par le cinéaste Wes Craven. La mythologie personnelle induit une collusion intime entre imaginaire populaire, personnage fantastique et toute puissance de l’artiste. Dicrola identifie ainsi sa figure d’artiste au rôle prométhéen et diabolique de Lucifer, l’archange porteur de lumière qui fut déchu par Dieu pour avoir offert aux hommes le feu de la connaissance. Il se plaît à mettre en scène l’ambivalence de son rôle d’artiste dans Extension lumineuse, où il dissipe de sa main lumineuse les ténèbres qui entourent le mot « culture », et dans Guerre, où il éclaire de son souffle lumineux le mot « guerre ». Autrement dit, seul l’art peut racheter le travail du temps qui engloutit toute chose, seul l’artiste peut donner un poids d’existence aux événements de l’incessant devenir auquel participe autant le monde de l’esprit que le monde de l’histoire. Chez Dicrola, ces œuvres de 2001 constituent l’appropriation du thème de la lumière qui traverse tout un pan de la recherche contemporaine, de Dan Flavin à James Turrell. Mais son travail procède d’archétypes mentaux profondément différents de ceux du Minimal Art abstrait, teinté de conceptualisme, de spiritualisme ou de constructivisme, tel qu’il peut être conçu par un artiste américain. Il exalte la main, instrument ancestral de l’artiste-artisan, et il refuse l’abstraction afin de travailler tantôt la matière tantôt l’image, n’hésitant pas à rester attaché aux grands thèmes mythiques illustrés par l’art classique.
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tion of the United States, and the vital role played on the economic level by the oil reserves in the Middle East. But he perceives the eternal stakes involved, with a return to a mythology of mythical heroes and legendary feats, as if the history of the world began over and over. Thus the theme of light reappeared in two major paintings, The Centaur and Superman and The Old Silenus and Spiderman, in which Dicrola depicts himself with a flashlight in his mouth while in a dark room, like an archeologist just entering for the first time an inviolate underground space, he discovers Pompeian frescoes of a new kind. In fact the images on the walls show at once Superman and the centaur, or Spiderman and an old Silenus : the antique heroes of the heroic age, that of the gigantomachia and the clash between savage creature and civilized man, living alongside the new heroes of the modern era. The two pictures recall a memorable sequence in Fellini-Roma, Fellini’s famous movie. Dicrola represents himself as an archeologist, but also as a demiurge who reveals the deeper meaning of present-day events and history. The artist’s luminous word reveals the mythical circularity linking the old and the new in human imagination within the sedimentation of history. The temporal telescoping plays on the cult images of the Western artistic heritage in order to illuminate the chronicle of modern times. The inspiration Dicrola seeks in the popular vein of culture and art appears once again in this new use of images of
L’autre événement qui provoque un tournant dans son œuvre est d’ordre politique et idéologique : le 11 septembre 2001 trois avions s’écrasent sur le Pentagone de Washington et sur les tours jumelles du World Trade Center de New York. Un mois plus tard, les troupes américaines sont déployées à Kandahar pour la guerre d’Afghanistan qui se terminera à la mi-novembre. Dicrola ressent profondément cette montée soudaine de la violence dans le monde, accompagnée d’un débat idéologique sur la nécessité de la guerre, sur la domination planétaire des États-Unis et sur le rôle vital que jouent, au niveau du pouvoir économique, les réserves pétrolières du Moyen-Orient. Mais il en perçoit les enjeux éternels, avec le retour d’une mythologie des héros mythiques et des exploits légendaires, comme si l’histoire du monde n’était qu’un éternel recommencement. Le thème de la lumière revient ainsi dans deux tableaux très importants, Le centaure et Superman et Le vieux silène et l’Homme araignée, où Dicrola lui-même se montre avec une torche lumineuse dans la bouche pendant qu’il découvre dans une salle obscure, comme un archéologue qui viendrait de pénétrer pour la première fois dans un espace souterrain inviolé, des fresques pompéiennes d’un nouveau genre. En effet, les images sur les parois montrent ensemble Superman et le centaure, ou l’Homme araignée et un vieux silène : les héros antiques de l’âge héroïque, celle de la gigantomachie et de l’affrontement entre l’être sauvage et l’homme civilisé, vivant avec les nouveaux héros de l’époque moderne.
American comic strip heroes, such as the alien Superman, Spiderman the mutant, or Batman, the rich orphan with lots of gadgets, all three embodying the ability to move swiftly and adjust to danger. Henceforth his research evolved toward greater complexity, adopting the attitude of a backward motion, in quotationist and iconic terms, so as to move forward all the better, acquiring new formal and esthetic dimensions. He came back to the “ frozen painting ” technique of The Ghost Woman, but only as regards the iconographic rendering. He did several prints of the same image until he reached very refined tone and color gradations, he accentuated the density of a monochrome, he froze the same image several times to achieve the sought effects of evanescent compactness or mat, milky sheen. He introduced acid in the freezing process, thus enriching the stains by an alteration of the matter of the support and even the layer of ice. He multiplied the possibility of developing an image in several pictures, using different techniques. Each work is exhibited in the state of an initial icon, then of a frozen painting, and last as a scanachrome. The process, from the original matrix to the most accomplished version, is shown and enhanced through all of its stages. He executed Batman Dicrola : first a rust painting, then a frozen work, last a triptych scanachrome. He did the same with Theseus and his Ghost and Oxidation or again Superman and Perseus, thus pursuing the different repetition within his own oeuvre, working with a quotationism that resembles a dizzying mise en abyme of his own imagination as an artist.
Dicrola - Le centaure et Superman - 2001 - jet d’encre sur toile et voile - 76 x 180 cm - Collection privée - Paris
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Dicrola - L’or noir - 2003 - jet d’encre sur toile - 100 x 243 cm Collection privée - Paris
Les deux tableaux rappellent une séquence mémorable de Fellini-Roma, le célèbre film de Fellini. Dicrola s’y met en scène en tant qu’archéologue mais également en tant que démiurge qui révèle le sens profond de l’actualité et de l’histoire. Le verbe lumineux de l’artiste dévoile la circularité mythique reliant l’ancien et le nouveau dans l’imaginaire humain et au sein de la sédimentation de l’histoire. Le télescopage temporel joue sur les images culte du patrimoine artistique occidental afin d’éclairer la chronique des temps modernes. L’inspiration que Dicrola puise dans le filon populaire de la culture et de l’art se retrouve dans ce nouveau recours qu’il fait aux images de héros des bandes dessinées américaines, tels que Superman l’extra-terrestre, Spiderman le mutant ou Batman, le riche orphelin aux multiples gadgets, tous trois incarnant la capacité à la vitesse et à l’adaptation face au danger. Dès lors sa recherche évolue vers une grande complexité suivant l’attitude du retour en arrière, en termes citationnels et iconiques, afin de mieux repartir vers l’avant et d’acquérir de nouvelles dimensions formelles et esthétiques. Il revient à la technique du « tableau glacé » de La Donna fantasma, mais uniquement en fonction du rendu iconographique. Il effectue plusieurs impressions de la même image jusqu’à obtenir des gradations très raffinées de ton et de couleur, il accentue la densité d’un monochrome, il glace la même image suivant différentes étapes pour atteindre aux effets voulus de compacité évanescente ou de brillance mate et laiteuse. Il insère de l’acide dans le processus de glaciation, enrichissant ainsi les taches par une altération de la matière du support et de la couche glacée elle-même. Il multiplie la possibilité de décliner une image à travers plusieurs tableaux, selon différentes techniques. Chaque œuvre est exposée à l’état de première icône puis de tableau glacé enfin de scanachrome. Le processus, de la matrice originaire à la version la plus accomplie, est montré et valorisé à travers l’ensemble de ses étapes. Il réalise Batman Dicrola qui est d’abord un tableau rouillé, puis une œuvre glacée, enfin un scanachrome en triptyque. Il fait de même avec Thésée
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Increasingly concerned with what goes on in the world, he did the painting Black Gold, taking a title about the oil crisis from the newspaper Libération. He wrote it in bright gold, synonym of money and wealth, and confronted it with Superman, symbol of power. The work is developed in the form of a frozen triptych and a rust painting, like most of the paintings of the period. Violence and death having become a part of everyday news, on 11 September 2003, anniversary of the attack against the World Trade Center, he designed the triptych Nomads, that belongs to the “ frozen works ” series. He printed therein a sentence treated in gold leaf, looking like an epigraph carved in marble, claiming : “ Let’s ask the nomads for a pause and a moment of reflection before the final massacre ”. He believes we should thus address terrorists of every side, even if he assimilates nomads with Islamic fundamentalism, asking them to take a moment of pause and interrogation on the meaning of all this violence. The other great theme treated in this dawn of a new century, marked by bloody terrorism and the new war in Iraq, is the “ massacre of innocents ”. This is a reference displaying his artistic training, his humanist sensibility, and his conception of world history as an ineluctable repetition of the same, interlocking the fall of time, the ferocity of evil, and the tragic dimension of human destiny. This is why his works perform a transfer between instant news and the mythical or biblical story. He uses the scene of the Massacre of the Innocents by Giovanni Pisano, admirably carved on the pulpit of the church of Sant’Andrea in Pistoia in the late thirteenth century. Photographed with strong light contrasts, the basrelief is repeated as in a triptych. On each end, Dicrola overlays Superman as a figure of authority and justice, but the hero is corroded, made uncertain by rust, whereas in the background the massacre is an everlasting infamy, carved in marble : justice is ephemeral, injustice is eternal. This pessimistic view explains the central panel : the entire scene is corroded by rust, become a metaphor of evil, while a thin ray of light beams from its perforated center, God’s eye on the iniquity of mankind. This work, which is like a representation of the sin and the eternal guilt of the human being, provoked a sudden turn generating another series titled Medusa or Gorgon, that was developed in 2003 and 2003, producing rust paintings, frozen paintings, and scanachromes. The terrifying countenance of this ancestral mythical figure of Mediterranean culture is shown by an antique basrelief that Dicrola discovered one day in Bologna where he staying for a series of performances. Walking by the Torre
Dicrola - L’or noir - 2003 - impression et rouille sur plaque métal et halogène - 27 x 20 cm - Collection privée – Paris
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et son fantôme et Oxydation ou encore Superman et Persée, poursuivant ainsi la répétition différente au sein de son œuvre même, s’appliquant à un citationnisme qui équivaut à une vertigineuse mise en abyme de son propre imaginaire d’artiste. Toujours plus attentif à ce qui se passe dans le monde, il réalise le tableau L’or noir, s’appropriant un titre du journal Libération à propos de la crise du pétrole. Il l’écrit en or lumineux, en tant que synonyme d’argent et richesse, et il le confronte à Superman, symbole de puissance. L’œuvre est déclinée sous la forme d’un triptyque glacé et d’un tableau rouillé, comme la plupart des tableaux de cette époque. La violence et la mort faisant désormais partie de la chronique quotidienne, le 11 septembre 2003, jour anniversaire de l’attentat perpétré contre le World Trade Center, il conçoit le triptyque Nomades, qui appartient à la série des « œuvres glacées ». Il y imprime une phrase traitée à la feuille d’or, ayant l’apparence d’une épigraphe gravée sur du marbre, qui affirme : « Demandons aux nomades d’avoir une pause et un moment de réflexion avant l’ultime massacre ». Ainsi, il pense qu’il faudrait s’adresser aux terroristes de tous bords, même s’il assimile les nomades à l’intégrisme islamiste, pour leur demander un instant de répit et d’interrogation sur le sens d’autant de violence.
degli Asinelli, in the historic center, he was surprised by a Medusa head carved on the base of a fountain, the famous Fontana Vecchia executed by Tommaso Laurenti in 1563 in neo-classical style at the request of the pope Pius IV, who had it built as a tribute to the cardinal Charles Borromeo. Dicrola immediately photographed it to use it in his works. The photograph is printed by transfer on a metal plate, while a halogen applied to the back of the work completes it with two rays of light coming out of the eyes. Developed in several formal versions, its image is either inserted in a sort of rusted oval or isolated and placed in the foreground, but always with eyes out of which beams a light that emphasizes the face’s terrifying appearance. In this way Dicrola revives the classical representation of the myth that he implements for his thesis, furthermore associating it with electricity as it is used in cribs or popular votive altars, as a simple, efficient scenographic means. So he continued to practice the ‘high and low’ hybridization, associating Renaissance and popular art, the high and low of a culture perceived in all its modalities and expressions as a patrimony on a collective scale. As usual,
L’autre grand thème traité en ce début d’un nouveau siècle, marqué par le terrorisme sanglant et par la nouvelle guerre en Irak, est le « massacre des innocents ». Il s’agit d’une référence qui témoigne de sa formation artistique, de sa sensibilité humaniste et de sa conception de l’histoire du monde comme une inéluctable répétition du même où s’enchevêtrent la chute du temps, la férocité du mal et la dimension tragique de la destinée humaine. C’est pourquoi ses œuvres opèrent un transfert entre la chronique immédiate et le récit mythique et biblique. Il utilise la scène du Massacre des innocents de Giovanni Pisano, admirablement sculpté sur le pupitre de l’église Sant’Andrea de Pistoia à la fin du XIIIe siècle. Photographié avec de forts contrastes de lumières, le bas-relief apparaît répété dans un triptyque. Aux deux extrémités, Dicrola y superpose Superman comme une figure d’autorité et de justice, mais il s’agit d’un héros rongé, rendu incertain par la rouille, tandis qu’en arrière plan le massacre est une ignominie éternelle, gravée dans le marbre : la justice est ephémère, l’injustice est éternelle. Cette vision pessimiste explique le tableau central : la scène entière est rongée par la rouille devenue métaphore du mal tandis que de son centre, percé, rayonne un mince filet de lumière, le regard de Dieu sur l’iniquité des hommes.
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Dicrola - Méduse-Gorgone - 2003 - impression sur plaque métal et halogène - 23 x 19 cm - Collection privée - Anvers
Dicrola - Méduse-Gorgone - 2003 - jet d’encre sur toile - 74 x 186 cm - Collection privée - Anvers
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Cette œuvre, qui équivaut à une mise en scène de la faute et de l’éternelle culpabilité de l’être humain, entraîne un basculement à l’origine d’une autre série intitulée Méduse ou Gorgone, qui se développe entre 2003 et 2004, donnant lieu à des tableaux rouillés, des tableaux glacés et des scanachromes. Le visage terrifiant de cette figure mythique ancestrale de la culture méditerranéenne y apparaît par le biais d’un antique bas-relief que Dicrola a découvert un jour à Bologne, où il séjournait pour une série de performances. Passant à côté de la Torre degli Asinelli, dans le centre historique, il a été surpris par une tête de méduse sculptée sur le banc d’une fontaine, la célèbre Fontaine vieille réalisée par Tommaso Laurenti en 1563, en style néoclassique, à la demande du pape Pie IV qui la fit bâtir en hommage au cardinal Charles Borromée. Il l’a aussitôt photographiée pour s’en servir dans ses œuvres. La photographie est imprimée par décalcomanie sur une plaque de métal, alors qu’un halogène appliqué au verso de l’œuvre la complète de deux rayons de lumière sortant de ses yeux. Déclinée à travers diverses solutions formelles, son image se trouve soit insérée dans une sorte d’ovale rouillé, soit isolée et placée au premier plan, mais toujours avec des yeux d’où jaillit une lumière qui renforce l’aspect terrifiant du visage. Dicrola revitalise ainsi la représentation classique du mythe qu’il instrumentalise en fonction de son discours, l’associant en outre à l’électricité telle qu’elle est utilisée dans les crèches ou dans les autels votifs populaires, en tant que moyen scénographique simple et efficace. Il continue de pratiquer ainsi l’hybridation high & low, associant l’art renaissant et l’art populaire, le haut et le bas d’une culture saisie dans toutes ses modalités et ses expressions en tant que patrimoine à la dimension collective. Comme toujours, dès l’accomplissement d’une invention, il varie ensuite son intuition en dédoublant l’image sur des compositions plus complexes, y ajoutant l’idée du temps, de l’éphémère, du destin et du devenir des civilisations. Les codes symboliques qu’il met en œuvre ne rivalisent pourtant jamais avec les qualités esthétiques de ses tableaux qui demeurent ainsi accessibles à une pure approche formelle. Avec la série intitulée Main de velours dans un gant de fer, réalisée en 2002, il revient à sa mythologie personnelle, se mettant lui-même en scène comme « l’homme au gant », à la manière des romans-feuilletons ou des films à série, tels Fantômas ou Mandrake. Ces images fantomatiques et dérisoires le montrent dans une dimension autobiographique, alors qu’il présente à l’objectif sa propre main gantée de fer, ou encore, dans une autre version, avec la même main devenue une simple ombre corrodée par la rouille. La photographie ayant servi à la composition a été prise au Musée de l’Armée de l’hôtel national des Invalides, dans la salle des
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Dicrola - Main de velours dans un gant de fer - 2002 - rouille et impression sur plaque métal - 28 x 19 cm - Collection privée - Anvers
as soon as he hit on an invention, he then varied his intuition by multiplying the work in more elaborate compositions, adding the idea of time, of the ephemeral, of the destiny and becoming of civilizations. Yet the symbolic codes he creates never vie with the esthetic qualities of his paintings, which therefore remain accessible to a pure formal approach. With the series Velvet Hand in an Iron Glove, done in 2002, he came back to his personal mythology, depicting himself as “ the man with a glove ”, in the style of serial novels or movies like Fantomas or Mandrake. These ghostlike, derisory images show him in an autobiographical dimension : he presents to the lens his own hand wearing an iron glove, or else, in another version, the same hand has become a mere shadow eaten away by rust. The photograph he used for the composition was taken in the Museum of the Army at the Hôtel National des Invalides, in the armory room. Taking advantage of the custodian’s absence, Dicrola inserted his hand inside the iron glove of a Renaissance
Dicrola - Main de velours dans un gant de fer - 2002 - jet d’encre sur toile - 74 x 161 cm - Collection privÊe - Anvers
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Dicrola - L’enfant étoilé - 2005 - jet d’encre sur papier - 21 x 28,5 cm - Collection privée - Bruxelles
armures. Profitant de l’absence de gardien, Dicrola a inséré sa main dans le gant de fer d’une armure renaissance. L’œuvre est une allusion évidente au titre d’un célèbre tableau du Titien, L’Homme au gant, et à son propre rôle d’artiste qui peint à l’acide, utilisant pour cela un gant de protection en laine d’acier. Cette autocélébration renvoie aussi au fantastique, avec l’idée de la main gauche du diable, celui-ci la prêtant parfois aux artistes afin de leur accorder, au prix de leur âme, une redoutable virtuosité. Maurice Tourneur avait tiré, en 1943, un très beau film de cette variation vaguement inspirée du Faust de Gérard De Nerval : Pierre Fresnay y incarnait un peintre aux visions expressionnistes ayant acheté au démon une main gauche indépendante, conservée dans un coffre en bois. Il devait la revendre dans le délai d’une année, sinon son âme se retrouvait damnée. Le peintre peignait ainsi par l’intermédiaire d’une main indépendante qui agissait en dehors de sa volonté. Exactement comme Dicrola qui, par l’usage de ce gant de fer, fait de sa propre main un corps étranger à lui-même, tandis que l’acide qu’il utilise continue son œuvre créatrice en toute autonomie, en dehors de la volonté et de la présence même de l’artiste. La mythologie personnelle continue sous d’autres formes. Il réalise le triptyque Le verbe étoilé figurant la force spirituelle de l’art en tant que verbe créateur dont l’artiste assume la charge afin d’éclairer le monde. Il s’y approprie la « stella mattutina », l’étoile du matin également appelée Lucifer parce qu’elle annonce la lumière aux hommes. Il conçoit l’année suivante Le mot lumineux, un autoportrait aveugle afin de paraphraser l’objet de la peinture qui n’est plus vision mais idée. Il crée d’abord, par le biais de la rouille traitée en aplat continu, la silhouette frontale de sa tête sans visage : un autoportrait dépourvu d’identité somatique et physique. Se détachant sur un fond à la teinte plombée, cette tête sans visage est percée, à l’endroit de la bouche, d’un orifice semblable à un œil d’où pointe un rayon lumineux. L’image fusionne ainsi l’idée du verbe créateur et l’iconographie traditionnelle de l’œil rayonnant de Dieu. C’est l’artiste lui-même qui s’iden-
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suit of armor. The work obviously alludes to the famous painting by Titian, The Man with a Glove, and to his role as an artist who paints with acid and to do so uses a steel wool protective glove. This self-glorification also refers to the realm of the fantastic, with the idea of the left hand of the devil, who sometimes lends it to artists, giving them, in exchange for their soul, a fearsome virtuosity. In 1943 Maurice Tourneur made a superb movie with this variation on Gérard de Nerval’s Faust : Pierre Fresnay played the role of a painter with expressionist visions who purchased from the devil an independent left hand, kept in a wooden box. He had to resell it within the year, or else his soul would be damned. In this way the painter painted with an independent hand acting beyond his will. Exactly like Dicrola who, by using this iron hand, turns his own hand into an extraneous organism, while the acid he uses pursues his creative work on its own, outside of the artist’s will and even his presence. His personal mythology continued in other forms. He did the triptych The Starred Word, representing the spiritual energy of art as the creative word of which the artist takes the responsibility in order to enlighten the world. Here he appropriated the “ stella mattutina ”, the morning star, also called Lucifer because it announces the light to men. The following year he conceived The Luminous Word, a blind self-portrait, to paraphrase the object of painting, that is no longer a vision but an idea. First, using rust treated in continuous flat tints, he created the frontal outline of his faceless head : a self-portrait without a somatic and physical identity. Standing out against a lead-hued ground, this faceless head is perforated, in the place of the mouth, with an orifice similar to an eye whence beams a light ray. In this way the image merges the idea of the creative word with the traditional iconography of the radiant eye of God. The artist identifies himself with the divine manifestation, while the rust covering his outlined portrait transcribes the burn resulting from the gaze of the Gorgon. Annihilated from having gazed at it too long, the artist replies with the
Dicrola - Le verbe étoilé (triptyque) - 2005 - jet d’encre sur toile -14 x 42 cm - Collection privée - Paris
Dicrola - Fiat lux (triptyque) - 2004 - rouille et impression sur plaque métal et halogène - 40 x 90 cm - Collection privée - Bruxelles
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tifie à la manifestation divine, alors que la rouille couvrant son portrait silhouetté transcrit la brûlure qui résulte du regard de la Gorgone. Anéanti pour l’avoir trop fixé, l’artiste répond par le verbe lumineux, c’est-à-dire par son message. Autrement dit, la matière a disparu, son visage n’est plus là, mais son verbe et sa propre lumière s’affirment comme retour positif en réponse à l’éclat terrible des yeux de la Gorgone. L’idée est aussitôt reprise avec une plus grande densification dans le triptyque Fiat lux, où le dédoublement de son autoportrait brûlé, directement associé au visage terrifiant de la Gorgone, apparaît comme une réminiscence visuelle des silhouettes de Hiroshima : les morts dont il ne reste que les ombres tragiques empreintes sur le sol par le souffle brûlant de l’explosion nucléaire. Ainsi, la Gorgone incarne le démon de l’histoire. Dicrola retrouve ici le sens du célèbre roman L’Histoire d’Elsa Morante, c’est-à-dire l’histoire comme machine de la fatalité du devenir et des conflits antagonistes qui broie les individus et détruit l’existence humaine. Face à cette histoire en marche qui s’exprime dans les massacres, la violence et la mort, l’artiste répond non pas par la production des objets qui constituent son œuvre, lesquels seront à leur tour frappés de silence, de disparition et de mort, mais par le verbe lumineux de ses idées. De ce tableau naît, la même année, une œuvre bien plus complexe, le polyptique Lux Mundi, sans doute la plus riche du point de vue du citationnisme et de l’appareil symbolique. Dicrola y reprend le schéma du célèbre photomontage publié en 1929 par la revue La Révolution surréaliste, intitulé Je ne vois pas la … cachée dans la forêt, où une femme nue peinte dans un tableau est encadrée par les portraits photographiques des surréalistes aux yeux clos. À cette image célèbre qui traduisait l’idéalisation de la femme par laquelle les surréalistes s’empêchaient de la voir telle qu’elle est dans sa réalité charnelle, Dicrola répond en mettant en scène un regard lumineux qui sort du vagin d’une femme offerte et souveraine, entouré de la même façon par une multiplication de son autoportrait brûlé. L’œuvre est intitulée Lux Mundi, formule latine réservée à la naissance du Christ. Pour les Chrétiens, Noël est en effet « la fête des lumières » par laquelle, en s’incarnant, le fils de Dieu s’est manifesté en tant que lumière. L’évangéliste Jean rapporte ainsi les paroles du Christ : « Je suis la lumière du monde. Qui me suit ne marchera pas dans les ténèbres, mais aura les lumières de la vie » (Jean 8 :12). La formule latine Ego sum lux mundi est l’écriture qui figure dans le livre ouvert de l’icône du Christ Pantocrator, dont l’image en mosaïque ou en peinture fait partie de la plus ancienne iconographie du christianisme. Dans le tableau de Dicrola, le livre ouvert de l’iconographie chrétienne est remplacé par les
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luminous word : his message. In other words, matter has vanished, his face is no longer there, but his word and his own light assert the positive response to the awesome glare of the Gorgon’s eyes. The idea is immediately reiterated in a denser form in the triptych Fiat Lux, where the redoubling of his burned self-portrait, directly linked to the frightening face of the Gorgon, seems to be a visual recollection of the silhouettes of Hiroshima : the dead of whom all that remains are the tragic imprints left on the ground by the burning blast of the nuclear explosion. In this way, the Gorgon embodies the demon of history. Here Dicrola recaptures the meaning of the famous book History - A Novel by Elsa Morante, that is, History as the machine of the fatality of becoming and antagonistic conflicts, that crushes individuals and destroys human life. Faced with this history in motion, expressed in massacres, violence, and death, the artist does not reply by producing objects that constitute his oeuvre, that are in turn afflicted with silence, disappearance, and death, but by the luminous word of his ideas. This painting gave rise the same year to a far more complex work, the polyptych Lux Mundi, doubtless the richest from the point of view of its quotationism and symbolism. Dicrola returned to the scheme of the famous photo-montage published in 1929 by the review La Révolution Surréaliste, titled I don’t see the…hidden in the forest, in which a nude woman painted in a painting is surrounded by the photographic portraits of the Surrealists with their eyes closed. Dicrola responded to this famous image, that expressed the idealization of woman whereby the Surrealists prevented themselves from seeing her as she is in her fleshly reality, by representing a luminous stare issuing from the vagina of a woman, offered and sovereign, framed in the same manner by a multiplication of his burnt selfportrait. The work is titled Lux Mundi, a Latin formula relative to the birth of Christ. Indeed for Christians Christmas is “ the celebration of light ” whereby, in becoming flesh, the Son of God was manifested as light. John the Evangelist thus recorded Christ’s words : “ I am the light of the world. Whoever follows me will not walk in darkness, but will have the light of life ” (John 8 :12). The Latin phrase Ego sum lux mundi is the writing figuring in the icon of the Christ Pantocrator, whose mosaic or painted image belongs to the most ancient iconography of Christianity. In Dicrola’s painting, the open book of Christian iconography is replaced by the open legs of a woman with luminous genitals, framed in a close-up recalling Courbet’s famous picture The Origin of the World, evoked in paraphrase by the title
Dicrola - Le mot lumineux - 2003 - rouille sur tôle et halogène - 97 x 61 cm - Collection privée - Bruxelles
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jambes ouvertes d’une femme au sexe lumineux, cadrée selon une vision rapprochée qui rappelle la célèbre toile L’Origine du monde de Courbet, évoquée en paraphrase par le titre Lux Mundi. L’impact de l’image joue sur la perversion d’une iconographie de tradition chrétienne. Il ne s’agit pourtant pas d’une œuvre blasphème mais d’un hommage à la femme et à la matière en tant que réalité matricielle du monde. Les autres tableaux de ces années, où Dicrola continue à alterner les techniques du scanachrome, du tableau rouillé et du tableau glacé, témoignent parfois du retour d’un thème obsessionnel. Ainsi, dans le polyptique sériel Art il montre, en les tenant dans ses mains à la manière d’un prestidigitateur, les trois lettres du mot « art » faites de glace, en train de fondre. Le processus de leur disparition progressive allégorise la caducité de toute valeur humaine, mais pointe aussi la primauté de l’idée sur l’objet, du travail de l’esprit sur le déterminisme de la matière. Parmi les œuvres des années suivantes, celles consacrées à la naissance de son fils Édouard relèvent d’une tonalité particulière. Dans Le printemps d’Édouard : Nathalie en Catherinette, la grossesse de sa compagne Nathalie Brauld est métaphorisée par des couleurs de fête qui n’ont pas de précédents dans son œuvre. La femme elle-même apparaît rayonnante au point de résister à la glaciation de l’image. Ce visage souriant, individualisé, s’opposant à la vanité du monde par sa simple vitalité, marque l’intrusion inhabituelle d’une véritable altérité dans l’œuvre de l’artiste. Le triptyque L’homme à venir, revisite le thème du verbe lumineux, à présent nourri d’une atmosphère de mystère et d’intensité, alors que Le petit prince témoigne d’une vision apaisée qui, réalisée en plongée, s’accompagne pour la première fois d’une mise en scène de la subjectivité du regard constituant l’image. Autant de promesses d’un nouveau cycle à venir dans une œuvre interrogeant sans cesse le sens de l’être au sein du devenir.
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Lux Mundi. The impact of the image plays on the perversion of an iconography belonging to the Christian tradition. Yet it is not a blasphemous work, but a tribute to woman and to materiality as generating the reality of the world. The other paintings of these years, where Dicrola continues to alternate the techniques of the scanachrome, rust painting, and frozen painting, occasionally betray the return to an obsessive theme. In the sequential polyptych Art, he shows, holding them in his hands like a magician, the three letters of the word “ art ” made of ice, as they are melting. The process of their gradual disappearance allegorizes the deciduousness of every human value, but also points to the primacy of idea over object, of the work of the spirit over the determinism of matter. Among the works of the following years, the ones devoted to the birth of his son Édouard have a special mood. In Édouard’s Spring : Nathalie as a Catherinette, the pregnancy of his companion Nathalie Braud is metamorphosed by festive colors that are unmatched in his work. The woman herself is so radiant she seems to resist the freezing of the image. This smiling, individualized face, contrasting the vanity of the world with her sheer vitality, marks the sudden intrusion of a real change in the artist’s work. The triptych The Man to Come revisits the theme of the luminous word, now nurtured by an atmosphere of mystery and intensity, while The Little Prince displays a serene vision that, executed from a high angle, for the very first time is accompanied by a representation of the subjectivity of the gaze forming the image. Promises of a new cycle to come in an oeuvre that endlessly interrogates the meaning of Being within Becoming.
Dicrola - Lux mundi (polyptique) - 2003 - rouille et impression sur plaque métal et halogène - 120 x 90 cm - Collection privée - Bruxelles
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Dicrola - Art /or - 2005 - jet d’encre sur toile - 14 x 24 cm - Collection privée - Bruxelles
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CONCLUSIONS CONCLUSIONS
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L
’œuvre de Dicrola a su dialoguer avec l’art conceptuel, le retour à la figuration et à la peinture, le travail matiériste sur l’objet, l’image éphémère des mass média, sans jamais céder sur son but essentiel. Ce dernier réside dans la mise en scène du processus de l’éternel devenir. Son travail a cherché à rendre perceptible ou visible la décomposition de la matière, l’instabilité persistante de la forme, la dialectique liant création et iconographie muséale, l’interaction entre la surface matérielle du tableau et le geste concret du peintre puis entre la labilité des images quotidiennes issues des médias et la chronique événementielle du monde. La signification de son art s’incarne dans l’idée que tout est écoulement, métamorphose, évolution, altération, changement. Toute chose est une entité en cours d’actualisation ou de disparition, d’épiphanie ou de perte. Autrement dit, tout est création continue et mort continue, n’existant qu’entre tension et chute, virtualité et concrétude. Dicrola veut ainsi conceptualiser le devenir, le rendre expérience sensible, le présent de l’art n’étant que la pure immanence d’une œuvre enfin dépouillée de son aspiration à l’éternité. À la fin des années soixante, Dicrola crée des cubes, des colonnes et des sphères de glace, réalisant des œuvres où les spéculations sur la transmutation de la matière n’excluent pas la composante ludique d’une expérience cognitive impliquant le spectateur. Matériau éphémère par excellence, la glace lui permet de pousser son investigation sur la mutabilité de la forme dans une ascèse vers l’immatérialité qui correspond aux postulats de l’art conceptuel triomphant à cette époque. Son Processus Art propose une œuvre éphémère, destinée à vivre le temps d’une exposition, fondant sous les yeux du public, se donnant ainsi dans sa précarité même. Une fois disparue, l’œuvre continuera d’exister dans l’esprit des spectateurs, dans une sorte de propriété collective, en tant que pure idée que chacun pourra réincarner afin d’accomplir une nouvelle expérience du processus de dépérissement de la matière. Autrement dit, l’œuvre d’art ne s’identifie pas à sa dimension physique : toujours périssable, elle est destinée à disparaître, à la différence de l’idée de l’artiste qui demeure éternelle. Dicrola pratique ensuite le retour à la figuration et le retour à la peinture. Il réinvestit les pinceaux et la toile à travers différentes phases allant de la citation au désencrage du sens, du matiérisme à la rumination du musée. Il invoque De Chirico, le grand peintre de la mémoire. Il poursuit ainsi une conception de l’œuvre comme palimpseste, comme écran de condensation des images du musée, sans cesser pour autant d’affirmer son propre discours critique sur l’art. Il continue en effet de
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icrola’s work interacted with Conceptual Art, the re turn to figuration and to painting, the matiériste work on the object, the ephemeral mass media imagery, without ever yielding on his essential goal : the representation of the process of eternal becoming. His work strived to render perceptible or visible the decomposition of matter, the persistent instability of form, the dialectics connecting creation and museum iconography, the interaction between the material surface of the painting and the concrete gesture of the painter, and then between the unreliability of everyday images in the media and world news reporting. The meaning of his art is embodied in the idea that everything is flow, metamorphosis, evolution, alteration, change. Each thing is an entity in the course of actualization or disappearing, epiphany or loss. In other words, everything is continuous creation and continuous death, existing only between tension and fall, virtual and concrete. Thus Dicrola seeks to conceptualize becoming, to turn it into a tangible experience, the present of art being but the pure immanence of a work finally delivered of its aspiration to eternity. In the late Sixties Dicrola created frozen cubes, columns, and spheres, making works in which speculations on the transmutation of matter do not exclude the playful component of a cognitive experience involving the beholder. A supremely ephemeral material, ice, enabled him to develop his investigation on the mutability of form in an ascetic progression toward immateriality corresponding with the postulates of Conceptual Art prevailing at the time. His Processus Art proposes an ephemeral work, meant to live the duration of an exhibition, melting before the audience’s eyes, offering itself in its utter precariousness. Once it disappears, the work will continue to live in the spectators’ mind, in a sort of collective ownership, as a pure idea that each person can reincarnate, thus accomplishing a new experience of the process of the decline of matter. In other words, the work of art is not identified with its physical dimension : always perishable, it is destined to disappear, unlike the artist’s idea which remains eternal. Dicrola then practiced a return to figuration and the return to painting. He retrieved brushes and canvas through various stages, ranging from quotation to the uprooting of meaning, from matiérisme to museum rumination. He called upon De Chirico, the great painter of memory. In this way he pursued a conception of the work as a palimpsest, as a condensation screen of museum images, without for that ceasing to assert his own critical discourse on art. Indeed he continued to play with and outwit the traps of representation by pursuing a “ putting in quotes” of painting, thereby questioning its status, its function, and its role in contemporary society.
jouer et de déjouer les pièges de la représentation en poursuivant une « mise entre guillemets » de la peinture qui équivaut à une problématisation tant de son statut que de sa fonction et de son rôle dans la société contemporaine. Par un continuel retournement dialectique de sa recherche, il pointe tantôt les codes visuels de la peinture tantôt son statut physique. Dans le premier cas, il manipule comme un puzzle le contenu de l’image figurée, l’articulant au-delà de toute cohérence afin de signifier son caractère structurel. Il en dénaturalise les signes pour mieux distancier l’œuvre, la montrant comme objet et comme artefact. Dans le second, il surcharge la toile de pigment, soulignant la matérialité du tableau, refusant d’y apposer la fausse clôture d’un achèvement censé idéaliser l’image. Dans les deux cas, il détruit l’innocence de la peinture comme représentation dans l’intention d’en faire un instrument apte à véhiculer une idée. Seule la stratégie diffère : le questionnement du contenu iconographique de l’œuvre alterne avec le questionnement de son statut matériel. Pour ses démystifications citationnistes, Dicrola s’inspire principalement de De Chirico et de son œuvre auto référencée. En revanche, pour ses tableaux matiéristes, il adopte une approche typique d’un certain art moderne italien qui s’applique à porter à épiphanie l’œuvre en tant qu’objet concret afin de mieux en libérer les catégories mentales. Dicrola se comporte en somme comme Lucio Fontana qui, voulant exprimer un « concept spatial », attaque par ses incisions la toile pour en dévoiler la réalité matérielle en opposition dialectique avec sa dimension conceptuelle. En effet, c’est en exaspérant l’aspect physique de l’œuvre que celle-ci peut devenir le support le plus efficace d’un acte de connaissance. De la même façon, dans le travail de Dicrola, la dimension conceptuelle se trouve toujours intimement associée à la maîtrise artisanale de l’œuvre, que ce soit une sphère de glace destinée à fondre, une peinture déconstruite en tant qu’image ou un tableau traité comme objet en fonction de sa matérialité. Ce hiatus qu’il veut instaurer entre le concret et le mental se radicalise avec les tableaux rouillés. Ses sphères glacées misaient sur la disparition pure et simple de l’œuvre. Avec ses tableaux rouillés, il transforme au contraire l’œuvre en un objet immanent à l’acte de perception. Le tableau n’est jamais identique à lui-même, son apparence éphémère étant liée à l’état du processus de corrosion engendré par la rouille. L’œuvre n’est en somme qu’un flash, une vision, à l’intérieur d’une séquence continue et sans fin. À travers ces différentes manières, recourant à la matière périssable, mettant en évidence la fabrication iconographique ou matérielle de l’œuvre, imposant la prise en compte de son statut physique, Dicrola ne fait que déconstruire l’objet artistique afin de
By a continual dialectical reversal of his research, he highlights either the visual codes of painting or its physical status. In the first case, he manipulates the content of the figured image like a puzzle, articulating it beyond any coherence in order to signify its structural character. He denaturalizes its signs to give remoteness to the work, showing it as object and artefact. In the second, he overloads the canvas with pigment, underscoring the materiality of the painting, refusing to add to it the fake closure of a completion meant to idealize the image. In both cases, he destroys the innocence of painting as representation, with the intention of making it an instrument for conveying an idea. The strategy alone differs : the questioning of the iconographic content of the work alternates with the questioning of its material status. For his quotationist demystifications, Dicrola essentially draws his inspiration form De Chirico and his self-referential work. On the other hand, for his matiériste paintings, he adopts an approach that is typical of a certain Italian modern art that endeavors to conduct the work to its epiphany as concrete object, all the better to set its mental categories free. In short Dicrola behaves like Lucio Fontana who, wishing to express a “ spatial concept”, attacked the canvas with his slashes, to unveil its material reality in a dialectic opposition to its conceptual dimension. Indeed, by exasperating the physical aspect of the work, it can become the most efficient support for an act of knowledge. Similarly, in Dicrola’s work, the conceptual dimension is always intimately bound to the masterly craftsmanship of the work, whether it be a frozen sphere destined to melt, a painting deconstructed as image, or a painting treated like an object in keeping with its materiality. This gap he wants to establish between the concrete and the mental is radicalized with the rust paintings. His frozen spheres relied on the utter disappearance of the work. With his rust paintings, on the other hand he turns the work into an object immanent to the act of perception. The painting is never identical to itself, its ephemeral appearance being bound to the stage in the process of corrosion engendered by the rust. In short, the work is just a flash, a vision, within a continuous, endless sequence. In these different manners, calling upon perishable matter, underscoring the iconographic or material fabrication of the work, imposing the recognition of its physical status, Dicrola merely deconstructs the artistic object, in order to show that the process of creation is always unfinished, open, and infinite. The beholder should not let himself be captivated by the deception of a contemplation or a consummation that would sanctify the work according to the parameters of middle-class culture, heir to the religious worship of images.
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montrer que le processus de création est toujours inachevé, ouvert et infini. Le spectateur ne doit pas se laisser prendre par le leurre d’une contemplation ou d’une consommation qui sacraliserait l’œuvre selon les paramètres de la culture bourgeoise, héritière du culte confessionnel des images. Dicrola crée donc la distance par un sentiment d’attente ou de perte afin de rendre plus perceptible le processus d’avènement ou d’évanescence. La dimension conceptuelle de son art joue sur l’opposition entre une extrême présence physique de l’objet et la radicalité d’un absolu mental. Cette stratégie lui permet de faire rejouer en permanence l’épiphanie d’une œuvre et d’un sens s’alternant, s’inversant et se répondant inlassablement. Avec les scanachromes, Dicrola s’approprie des images de magazine et leur donne le caractère d’un fragment découpé et agrandi, ce qui équivaut à une focalisation, avant de les défocaliser par un voilage qui les rend floues et lointaines. Il juxtapose deux images en contraste, mais il les voile aussitôt pour les englober dans une très forte unité iconique. Il choisit un matériau comme la photo de presse, censée serrer au plus près l’urgence événementielle, il en fait pourtant l’instrument d’une simple évocation proustienne de la réalité en devenir. Il crée des compositions qui exaspèrent les dissonances idéologiques, montrant en noir et blanc le refoulé de la société contemporaine et en couleur la peau douceâtre de son absurdité, mais il suspend le travail du sens par une uniformité qui élimine les différences et noie les contradictions. Il voile pour dévoiler le réel dans une démarche voyeuriste où l’art témoigne plutôt de la passivité d’un regard qui se refuse à toute implication dans le monde.
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Dicrola creates distance through a feeling of expectation or loss, making the process of arising or evanescence more perceptible. The conceptual dimension of his art plays on the opposition between an extreme physical presence of the object and the radicalism of a mental absolute. By this strategy he can permanently perform anew the epiphany of a work and a meaning, tirelessly alternating, reversing, and responding to one another. With the scanachromes, Dicrola appropriates magazine images, giving them the character of a cut-out and enlarged fragment, which is like a focusing, before defocusing them by a veiling that makes them blurred and remote. He juxtaposes two contrasting images, but instantly veils them to encompass them in an intense iconic unity. He chooses a material like the press photo, supposed to closely adhere to the urgency of events, yet he turns it into a simple Proustian evocation of reality in becoming. He creates compositions that exacerbate ideological dissonances, showing in black and white the repressed of contemporary society, and in color the sickly sweet skin of its absurdity. On the other hand he suspends the search for meaning by a uniformity that eliminates differences and drowns contradictions. He veils reality to unveil it, with a voyeuristic approach in which art tends to attest the passivity of a gaze that refuses any form of involvement in the world.
En fait, tout événement est déjà passé, déjà englouti par le temps. Rien n’existe vraiment puisque tout passe, se transforme, s’autodétruit, meurt. Quand Dicrola se met en scène, en pointant d’un rayon de lumière un article de journal sur la guerre, ce rayon lumineux activant l’image signifie que tout est déjà révolu au moment même de sa mise en actualité. Ainsi, le rôle de l’art est peut-être de faire vraiment exister les choses, non pas sous l’angle de l’éternité, mais en termes de finitude. Le véritable objet du travail de l’artiste serait alors la sensation révélée du devenir en train d’advenir.
Indeed, every event is already past, already engulfed by time. Nothing really exists since everything passes, is transformed, destroys itself, dies. When Dicrola stages himself, underscoring a newspaper article on war with a light beam, this luminous ray vivifying the image signifies that everything has already gone by, at the very moment it becomes news. So the role of art is perhaps to make things truly exist, not from the viewpoint of eternity but in terms of finitude. Then the authentic object of the artist’s work would be the revealed sensation of becoming while it is happening.
En définitive, le propos de l’art est directement lié, chez Dicrola, à la fragilité de l’être. Puisque la nature de toute chose est dans sa capacité permanente de métamorphose, l’œuvre d’art se doit de faire ressentir le processus alchimique constant qui génère le monde. Impliquant le refus d’une pensée ou d’une œuvre qui clôturerait le sens, son approche héraclitéenne exalte le processus créateur de l’incessante mutabilité des images, des signes, des choses et du vivant qui entourent la conscience en éveil de l’homme.
Finally, in Dicrola the topic of art is directly bound to the fragility of Being. Since the nature of everything is its permanent capacity of metamorphosis, the work of art should render perceptible the constant alchemical process generating the world. His Heraclitean approach, implying the refusal of a thought or a work that would close meaning, glorifies the creative process of the ceaseless mutability of the images, the signs, the things, and the living that surround Man’s awakening consciousness.
Dicrola - Art - 2002 - jet d’encre sur toile et voile - 130 x 140 cm - Collection privée - Bruxelles
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Index des titres cités
Adoration des bergers (L’) 16 Ambiguïté 46, 47 Ambiguïté : Jeanne d’Arc et Superman 48, 49 Amour aux sources de la vie (L’) 52 Annonciation 116 Anti-Œdipe (L’) 34, 102 Anti museological contamination (the) 14, 15 Appropriation d’espace 32 Archéologie d’une ville 74 Art 130, 137 Art /or 132 Art comme expérience (L’) 22 Arc-en-ciel anémique, (poétique éphémère de l’arc-en-ciel) 25 À rebours 40 Arte di fine millennio 114 Apoxyómenos 50 Autocitation : le maître 42 Autoportrait en costume du XVIe siècle 8, 42 Avant-garde historique et nouvelle avant-garde 4 Balcon de Juliette (Le) 53 Batman Dicrola 100, 101 Bel Paese 58 Bill Clinton 109, 111 Boule suspendue 29, 32 Caméléon 60 Caravage 44 Catapulte 70 Cène 6 Centaure et Superman (Le) 119 Cérémonial 50 C’est l’automne, Madame 53 Chambre de la Reine (La) 57, 68 Chambre de Louis XV (La) 68, 69 Cheminée d’usine 80, 81 Cheminée et pylône 84, 86 Cheminée et son fantôme (La) 86 Cheminée ionique 88, 96 Cheminées 76 Cheminées nocturnes 77, 84 Chimneys 83, 87 Chronique 111, 112 Contra academicos 42
Contraste 28 Corrosion 117 Cosmos et devenir 32 Cube de glace qui fond et se reconstitue 25 Culture 78, 79, 94, 102 David 94 De la Tour 11,13,18 De la scatologie à l’eschatologie 20 De la terre à la lune 96 Dialogues 46 Dicrola & Dicrola & Dicrola 62 Dock(s) 48 Donna fantasma (La) 38, 39, 120 Douche froide pour Atala 92 Embarquement pour Patmos 53, 54 Émile Zola 44 Enclume 98 Enclume et marteau 90 Énergies verticales 74 En famille : ma femme, mon neveu et moi 44 Enfant étoilé (L’) 126 Équilibre belliqueux 71 « Être ou ne pas être » 47 Études sur le vol des oiseaux de Léonard de Vinci 24 Éviter, feinter, esquiver 60 Extension lumineuse 118 Fashion (1er de couverture), 112, 114 Faust 126 Fellini-Roma 120 Fiat lux 127, 128 Flash Renaissance 11 Fontaine (La) 90 Fontaine vieille 124 Fournaise 94, 95 Game Over 62 Giovanni Lista 52, 65 Griffes de la nuit (Les) 118 Guerre 116, 118 Haute tension 80 Héros caché (Le) 65
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Hiroshima mon amour 74 Histoire (L’) 128 Hommage à De Chirico 81 Hommage à Léonard de Vinci 28, 30 Hommage à Versace 107 Homme à la médaille (L’) 30 Homme au gant (L’) 126 Homme à venir (L’) 130 Homo a me picto et polito artis coloribus : l’historien de l’art 52, 65 Humain, trop humain 92 Images et dimensions 28 Installation 52 Intervention au Grand Palais 33 Jeanne d’Arc au sacre de Reims 48 Je ne vois pas la... cachée dans la forêt 128 Je vois par là 90 Joconde 16, 28, 30, 52 Jules 96, 97 Kaiser et Kaiserin 70 Kappa, le rêve de Monsieur K 53 Légende dorée 66 Libération, happening 21 Lion mourant (Le) 65 Léonardo, esquisses d’une aile 24 Léonard de Vinci homme de science 28 Lux Mundi 128, 130, 131 Madone au chardonneret 6 Main de l’artiste (La) 36 Main de velours dans un gant de fer 124, 125 Main lumineuse (La) 114, 116 Malin génie de l’image dans l’art de Gerardo Dicrola (Le) 110 Massacre des Innocents 122 Méduse-Gorgone 122, 123 Méduse ou Gorgone 124 Mot ‘art’ en glace (Le) 31 Mot lumineux (Le) 126, 129 M13-Chemin vert 17 Michel-Ange 51 Minéraux 84, 85 Moi je dis qui es-tu ? 40 Monument à Pablo Picasso 26 Mon souffle dans une bulle de savon, chant éphémère 21 Mouvance 4 Musée Grevin 9 Nativité... du faune (La) 65, 72 Nausée (La) 38
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Neptune 70 Nomades 122 Notre arbre 132 Nous nous promenons au milieu des simulacres 40, 42 Nouveaux désordres des duels 60 Nouvel habit pour Atala 92 Nuits polaires 88 Œuvre ouverte 21 Origine du monde (L’) 130 Origines du contre-dire (Les) 71 Or noir (L’) 120, 121, 122 Où es-tu Tristan 70 Oxydation 120 Oxyder 102, 103 Paddock Part 1 4 Paradis 53 Patmos 53 Perte d’identité (Un et multiple, Héraclite d’Éphèse) 28, 40 Petit prince (Le) 130 Poétique futuriste 21 Polichinelle 4 Printemps (Le) 30 Printemps d’Édouard : Nathalie en Catherinette (Le) 115, 130 Processus Art 30, 34 Processus d’évaporation d’eau glacée 35 Projet pour une occupation d’espace réel (bloc de glace) 23 Projet pratique pour le vol de l’oiseau de Léonard de Vinci 24 Projets alternatifs à l’image, au temps et à l’espace 30 Prophétie de Saint Jean (La) 65 Pudicité 45, 46 Pylône foudroyant 82, 88 Pylône haute tension 83 Rêve de Constantin (Le) 65 Rêve de Saint Marc (Le) 65 Roi des avions (Le) 21, 27 Répétition 113, 114 Répétition générale 92 Retour de Lucifer 70,72 Rocambole 96 Saint Georges et... 65, 67 Saint Georges et le dragon 53 Saint Georges terrassant le dragon 65 Saint Gérard et le diable valet 63, 66 Saint Joseph charpentier 16 Saint Sébastien soigné par Irène 16 Sans Famille 96 Sainte Thérèse et l’enfant Jésus 65 Sculpture minimale 12
Sérénade 64, 65 Silentium 50, 59, 61 Solide 71 Sortie de fumée 80, 81 Souffle de lumière (Nathalie et Moi) 116, 132 Sperme congelé pour un futur fils en 2700 20 Superman 117 Superman en évaporation 118 Superman et les innocents 110 Superman et Persée 105, 120, 122 Symbole céleste 71 Tarot 42 Tendue à autre chose que la parole 40, 41 Tension cosmique 71 Thésée et son fantôme 104, 108, 120 Tondo Doni 11 Tosca 53 Trace 89, 90 Transitif-intransigeant 4 Tristes Tropiques 21 Trois âges de l’homme (Les) 52
Trois grâces de Barcelone (Les) 92, 93 Untitled 88 Urbi mon amour 74, 75, 83, 84, 97 Usines industrielles 76 Vénus de Milo 50 Vénus d’Urbin (La) 52 Verbe étoilé (Le) 127 Vestiges de la mémoire 74 Veuve (La) 70 Victoire sur l’hérésie 65 Vidocq 96 Vierge à la chaise 11 Vieux silène et l’Homme araignée (Le) 116, 119 Vingt-cinq ans d’art en France 66 Vision trompeuse de Sainte Thérèse d’Avila 65 Voyage pour l’immortalité 7, 42, 43 Watteau 46 Wien mon amour 74 Zarathoustra 35, 38
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Index des personnes citées
Agam, Yaacov 32, 35 Antonioni, Michelangelo 92 Arafat, Yasser (Mohamed Yasser el Koudouah Arafat el Husseini) 109 Balestrini, Nanni 53 Balla, Giacomo 21, 52 Barcelò, Miquel 56 Battiato, Franco 53 Baudrillard, Jean 53, 106 Benati, Davide 4 Bergson, Henri 104 Bernin (Le) (Gianlorenzo Bernini, dit) 44 Beuys, Joseph 4, 53 Blaine, Julien 3, 48, 53 Blais, Jean-Charles 4 Blanchard, Rémy 4 Biasi, Guido 16 Boccioni, Umberto 52 Boetti, Alighiero 114 Böcklin, Arnold 65 Boisrond, François 4 Boltanski, Christian 17 Bonetti, Mattia 4 Bonito Oliva, Achille 4, 53 Borromée, Charles 124 Bory, Jean-François 3, 48, 53 Botticelli, Sandro (Sandro di Mariano Filipepi, dit) 30 Boudaille, Georges 17 Brauld, Nathalie 116, 130 Buchanan, Pat 102, 104, 106 Buren, Daniel 4 Burri, Alberto 11 Calza, Viviana 45, 46 Caputo, Gildo 16 Caravage (Le) (Michelangelo Merisi, dit) 44, 46 Caso, Carlo 12, 17 César (Cesare Baldaccini, dit) 17 Chirac, Jacques 108 Ciocciolina (Anna Staller, dite) 106 Clément, Thomas 4 Clinton, Bill 104, 111 Corradini, Antonio 46 Courbet, Gustave 130
143
Craven, Wes 118 D’Arc, Jeanne 48 Da Vinci, Léonard 16, 21, 24, 26, 30, 52, 82 De Chirico, Giorgio 6, 8, 10, 42, 43, 52, 58, 64, 65, 66, 68, 71, 74, 80, 83, 92, 134, 135 De Domizio Durini, Lucrezia 53 De la Tour, Georges 16, 94 Deleuze, Gilles 34, 46, 48, 53, 59, 102 Del Pezzo, Lucio 16 De Nerval, Gérard (Gérard Labrunie) 126 Dewey, John 22 Disler, Martin 4 Dubuffet, Jean 64 Dufrêne, François 3 Dürer, Albrecht 6 Eco, Umberto 21 Ernst, Max 16 Faggiano, Antonio 4 Far, Isabelle 6 Fautrier, Jean 64, 70, 71 Feraru Patricia et Andreï 100 Festa, Tano 11 Finkielkraut, Alain 3 Flavin, Dan 118 Fontana, Lucio 11, 135 Fresnay, Pierre 126 Frize, Bernard 4 Fromanger, Gérard 17 Furone, Antonio 4, 50 Galland, André 96 Garouste, Elisabeth 4 Garouste, Gérard 56, 66 Gaudibert, Pierre 17 Gerbaud, Bernard 34 Giorno, John 53 Gramsci, Antonio 96 Granese, Alberto 6, 17 Guattari, Félix 34, 53 Heidsiek, Bernard 3, 53 Héraclite d’Éphèse 32, 34, 40, 136
Higgins, Dick 53 Hölderlin, Friedrich 53 Homère 52 Hortala, Philippe 4
Morin, Brigitte 38, 42, 50 Nagy, Paul 3 Newton, Isaac 24 Nietzsche, Friedrich 32, 34, 38, 48
Ingres, Jean-Auguste-Dominique 48 Janicot, Françoise 4 Jaccard, Christian 4 Jésus 44, 50 Juppé, Alain 104 Kaeppelin, Olivier 4 Kafka, Franz 53 Kaprow, Allan 114 Kiefer, Anselm 56, 114 Klasen, Peter 17 Klein, Yves 10, 34 Kolar, Jiri 53 Koons, Jeff 106 Kosuth, Joseph 22 Kounellis, Jannis 4, 11, 80, 92, 114 Lacalmontie, Jean 3, 4 Lamarche-Vadel, Bernard 3 Laurenti, Tommaso 124 Lebel, Jean-Jacques 3 Lemaire, Gérard-Georges 4 Le Parc, Julio 35 Lévi-Strauss, Claude 21, 24 Lo Savio, Francesco 11 Léotard, Jean-François 59 Lépicouché Michel Hubert 110 Leroy, Eugène 56, 64 Lesniewski, Jean 34 Lewandowski, Tadeusz Andrzej 26, 28, 30 LeWitt, Sol 4, 114 Lista, Giovanni 3, 30, 48, 52, 53 Lista, Pietro 4 Lista, Stanislao 65 Loisy, Jean de 3 Lüthi, Urs 114 Magnasco, Alessandro 6 Manzoni, Piero 11, 21 Marcuse, Herbert 20 Marie-Antoinette, reine 68 Mecarelli, Adalberto 17 Mendini, Alessandro 4 Michel-Ange (Michelangelo Buonarroti, dit) 11, 44, 94 Mitterrand, François 104 Montesano, Gianmarco 4, 17, 42, 53
Paladino, Mimmo 114 Papp, Tibor 3 Paraggio, Enrico 6 Paraggio, Geremia 6 Pascali, Pino 11 Peloso, Fabio 4 Perinotto, Ermanno 46, 47 Picasso, Pablo (Pablo Ruiz Blasco y Picasso) 59, 80 Piguet, Philippe 4 Pisano, Giovanni 122 Platon 44 Poivre D’Arvor, Olivier 4 Portoghesi, Paolo 4 Prat, Thierry 34 Puccini, Giacomo 53 Raphäel (Raffaello Sanzio, dit) 6, 11 Rauschenberg, Robert 11 Renoir, Auguste 64 Resnais, Alain 74 Ronat, Mitsou 3 Rosso, Medardo 80 Rubens, Pierre Paul 6, 64 Salvo (Salvatore Mangione) 4 Saint Antoine 44 Saint Paul 40 Sartre, Jean-Paul 38, 65 Satoru, Sato 4 Schifano, Mario 11 Schopenhauer, Arthur 83 Sciltian, Gregorio 6 Segantini, Giovanni 52 Sens, Jérôme 4 Sicilia, José-Maria 3, 4 Sollers, Philippe 53 Soto, Jésus-Raphaël 35 Soutine, Chaïm 70 Stalder, Anselm 4 Tapiès, Antoni 64 Tiepolo, Giovanni Battista 6 Tintoret (Jacopo Robusti, dit) 6, 53, 65 Titien (Tiziano Vecellio, dit) 52, 126 Titus-Carmel, Gérard 17 Tourner, Maurice 126
144
Turrel, James 118 Twombly, Cy 4 Verne, Jules 96 Versace, Gianni 110, 111 Vigée-Lebrun, Élisabeth 50 Virilio, Paul 62 Von Gloeden, Wilhelm 44, 46 Voragine, Jacques de 66
145
Wagner, Richard 70 Winnewisser, Rolf 4 Woolrich, Cornell 38 Wronowski, Wodek 26, 30 Youssoupoff, Félix 6 Zappia, Gianni 3, 44
Index des thèmes et des noms cités
Aire du Verseau (L’), galerie 59, 76 Anti-Form 22, 25 Antiope, galerie 59 A.R.C. 17 Area, galerie 90 Ariadne, galerie 59, 74 Arte Povera 11, 21, 25, 34, 80, 92, 114 Art-Form, galerie 3 Artiglio (L’), galerie 46, 59 Association des Peintres et Sculpteurs italiens 17 Baroque 8, 16, 44, 46, 65, 66 Berner, galerie 90 Bestetti Editore 6 Biennale de Paris 17, 30 Biennale de Salerne 11 Biennale de Venise 11, 100 Bodenschatz, galerie 59 Body Art 34 Brodard & Tapin 96 Ceramica Artistica Ginella 10 Chapelle San Severo 46 Citationnisme 42, 43, 52, 56, 58, 64, 65, 66, 71, 74, 104 Conceptual Art 22, 34, 60, 114, 118, 134 Corriere della Sera (Il) 110 Costructivisme 118 Dior, parfum 108 École de Fontainebleau 50 Express (L’) 110 Expressionnisme 56, 68 F.C.B. Srinagar photo 110 Figaro (Le) 110 Figuration Libre 3 Framart Studio 7, 90 Galerie de France 16 Groupe 58 16 Groupe 63 11 Hachette, librairie 96 Happening 21, 22 Henry Bussière Art’s, galerie 90
High & low 96, 124 Illustration (L’) 96 Incontri Internazionali d’Arte 17 Informel 22 Intégrisme 122 Journal (Le) 96 Lacourière-Frélaut, galerie 83 Lancôme 108 Lemdl, galerie 59 Lettrisme 25 Libération 94, 110, 114, 122 Living Theatre 43 L’Œil du diaph, galerie 3 Luckman Fine Arts, galerie 90 Magnum 110 Mai 68 20 Mail Art 48 Maniérisme 59 Manifeste 20, 28, 30, 34, 35, 40 Matiérisme 11, 43, 56, 66, 68, 71, 74, 135 Matin (Le) 96 Mec Art 17, 104 Mediterranea, galerie 6 Métaphysique 8, 16, 42 Minimalisme 22, 30, 114, 118 Mnémothèques 16 Musée d’Art moderne de la Ville de Paris 26 Musée de l’Armée de l’hôtel national des Invalides 124 Musée Grevin 44 Musée Guggenheim 111 Musei Vaticani 50 Mythologie 42, 53, 65, 66, 104, 112, 118 New Dada 11, 16 Nouvel Observateur (Le) 110 Performance 35, 43, 44, 46, 47, 51, 53, 114 Petit Journal (Le) 96 Physis 43 Poesia Visiva 3, 48, 53, 104 Point (Le) 110
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Pôle Position 4 Poème 108 Pop Art 11, 14, 16, 17, 104 Postmoderne 42 Process Art 22, 30 Processus Art 30, 32, 34, 35, 38, 134 Promo Art Éditions 4 Quartier Latin 20, 26, 32 Renaissance 8, 11, 21, 24, 28 Repubblica (La) 110 Révolution surréaliste (La) 128 Rigor mortis 40 Risorgimento 65 Salon de Mai 26, 32, 34, 35
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Salon des Grands et des Jeunes d’Aujourd’hui 22, 28, 30, 32, 34, 35 Scuola Ceramica Salernitana 6 Seggiola (La), galerie 11, 16 Situationnisme 48 Spiritualisme 118 Studio Alchimia 4 Tableau vivant 44 Torigny, galerie 59, 92 Trans-avant-garde 56, 59, 60, 62 Trans-Form, galerie 3, 4, 50, 62 Varart, galerie 90 V.I.D. 26, 34, 35 Work in progress 22 World Trade Center 119, 122
Table des matières
Prologue / Presentation par Antonio Furone
3
Un destin d’artiste / Born to be an Artist
5
Processus Art / Processus Art
19
Image et identité / Image and Identity
37
L’obésité de la peinture / The obesity of painting
55
Les tableaux rouillés / Rust painting
73
Scanachromes / Scanachromes
99
Conclusions / Conclusions
133
Index des titres citées / Title index
139
Index des personnes citées / People index
142
Index des thèmes et des noms cités / Theme index
145
148
Promo-Art S.P.R.L Dépôt légal : septembre 2006 Avenue Brugmann, 32 - B-1060 Bruxelles T. +32 (0)2 343 31 10 - F. +32 (0)2 343 31 15 www.promo-art.be ISBN10 : 2-9600631-0-4 ISBN13 : 978-2-9600631-0-3 Tous droits de reproduction, d’adaptation, de traduction des textes et des illustrations réservés pour tous pays. Achevé d’imprimer septembre 2006 par ARTE-PRINT