De l'Impensé à l'Imaginaire - Entretien avec Lucien Kroll

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ENTRETIEN AVEC LUCIEN KROLL Le mardi 28 mai 2019 20 avenue Louis Berlaimont, Auderghem.

V.S : Votre première rencontre avec Patrick Bouchain a eu lieu à La Friche, comment s’est-elle déroulée ? L.K : J’ai essayé de me présenter à lui oui. Pour le connaitre, j’avais pris le prétexte d’une publication de la revue A+ dont on m’avait chargé1. Je lui ai écrit en lui disant que je devais m’occuper de toute la revue car il y avait une dispute entre les Flamands et les Wallons et ni l’un ni l’autre n’était prêt. J’ai tout fait, j’ai traduit l’anglais et je lui ai écrit une lettre en expliquant que je souhaitais parler et en mentionnant que la revue appartenait à l’ordre des architectes. Le dicton c’est qu’il y a 14 000 publications imprimées pour une bonne douzaine de lecteurs (rire). Il m’a renvoyé ma lettre avec surchargé au crayon, comme il a l’habitude de faire : « Je ne veux rien avoir à faire avec un ordre des architectes » (rire). J’ai évidemment répondu immédiatement : « Moi non plus ». Notre ami commun m’a dit : « Mais vous êtes cinglés ? Vous êtes des gamins ? » Et alors, j’ai été à La Belle de Mai écouter sa conférence, les bras m’en sont tombés. C’était extraordinaire. V.S : C’était aux prémices de La Friche ? En 1992 ? L.K : Oui c’est ça ! Il n’y avait encore rien. Simplement une grande salle et il a dit ce qu’il avait à dire, j’ai couru après mais il était déjà parti… Finalement il m’a invité à une de ses conférences concernant un de ces travaux et on ne s’est plus quitté, c’est un type extraordinaire. Je le connais bien et je le découvre à chaque fois. Il a fait don de toutes ses archives au Fond régional d’art contemporain du Centre-Val de Loire en 2016, c’était une montagne de maquette avec un petit A4 explicatif. On se voit avec beaucoup de plaisir, de temps en temps il fait un crochet il passe par ici. Ça fait longtemps qu’on se n’est pas vu.

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A+, n°156, 1999.

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V.S : J’ai eu la chance de pouvoir m’entretenir avec lui dans le cadre de ce mémoire. C’était une conversation très enrichissante. C’est vrai qu’il a ce double discours à la fois politique et architectural qui facilite le développement des projets. J’ai l’impression qu’il y a une grande partie de la profession qui a du mal à considérer des gens comme Patrick Bouchain en tant qu’architecte. On entend toujours : « Il est architecte mais il est politisé, mais il est dans le social… » L.K : Ça les gêne on dirait. V.S : Ce refus d’admettre les liens très fort entre architecture, politique et social fait écho à l’anecdote sur Mies Van Der Rohe dont vous parlez dans le livre Memories Can’t Wait de Maurizio Cohen. L’architecte avait alors demandé à être nommé Maître-architecte du Troisième Reich, ne voyant pas le lien entre politique et architecture. L.K : Il n’était pas nazi, il était chrétien. Je prends toujours ça comme exemple car il était innocent. Il a écrit au ministre nazi Baldur Von Schirach pour être l’architecte du Troisième Reich (rire). Mais il était innocent. Je m’étais fait engueulé en racontant cette anecdote car on m’avait dit : « Il est sain ce monsieur » et j’avais répondu : « Non il n’est pas sain mais c’est un architecte de cette époque-là, aujourd’hui ce n’est plus pardonnable ». Le Corbusier a bien écrit à Mussolini. Chez Patrick, ce n’est pas violent l’architecture et la politique. Avec ça il a des réalisations incroyables qu’on ne peut pas imaginer. Il y a un projet dont j’ai oublié le nom, c’est une rangée de maison quelque part vers l’ouest qu’il fallait démolir et refaire. Il délègue toujours, en gardant la laisse (rire). Et il y a une fille architecte qui a logé dans une de ces maisons et qui s’est occupée des gens, simplement, qui a fait connaissance d’abord. Qui a expliqué qu’il fallait qu’on améliore leur logement ou qu’on les démolisse. Elle n’imposait pas des choix mais expliquait que du changement était nécessaire sur certains aspects. Pendant des années elle est restée là, elle était la bonne d’enfant. Ils ont fait des travaux, d’intérieurs, d’extérieurs. Ils ont tout retapé lentement avec des petits entrepreneurs selon les conditions de chacun et ce qu’il proposait et acceptait. C’est extraordinaire, c’est ce qu’il faut faire, ça coûte moins cher en plus. Ça les remplis de fierté au lieu de produire des espaces aussi froids que des glaçons. V.S : Vous parlez de confisquer son pouvoir narcissique à l’architecte. Est-ce que ce pouvoir est inhérent à la profession ou pensez-vous qu’il se développe en fonction du caractère de l’étudiant ?

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L.K : Oui… la réponse c’est : « Bouchain existe » (rire). V.S : (rire) Et il y a peu d’architecte qui représente cette pratique. Il y a vous, Bouchain, Poitevin et encore c’est déjà un peu différent. Pourquoi ce mouvement-là est si peu représenté ? L.K : Je n’ai pas de réponse (rire). C’est vrai, c’est triste. C’est peut-être la radicalité de cette pratique qui veut ça. Bouchain ne veut rien avoir à faire avec l’ordre. Il a failli être condamné en justice d’ailleurs. On lui a retiré le droit de s’appeler architecte. Un jour, lors d’une réunion importante, il s’est levé et a dit : « Vous n’avez pas eu la décence d’arrêter votre activité à la Libération donc vous êtes encore Vichyste. Et pendant que vous étiez Vichyste, ma bellemère s’envolait dans les cheminées à Auschwitz. » Ça leur a fait tout drôle. On lui a alors retiré le titre d’architecte et il a répondu qu’il n’était de toutes façons pas « architecte » mais « harchitecte ». C’est à peine si on l’a pas giflé… (rire). Il a failli être condamné en justice à ce moment-là. V.S : Lors de mon entretien avec lui il me parlait de son projet manifeste : la preuve par 7. Une manière d’appliquer sa pratique architecturale à sept échelles différentes. De l’architecture participative à une échelle urbanistique. L.K : C’est dans la manière de le regarder que c’est continu, autrement ça ne l’est pas. C’est totalement séparer les urbanistes des architectes par exemple. Moi j’ai fait à La Cambre de l’urbanisme, on avait deux professeurs qui étaient bien gentils mais qui ne valaient rien du tout. Ça me gênait. Vous connaissez Gaston Bardet ? V.S : Non. L.K : Et bien c’est dommage ! Il a fait des études d’architecture avant de poursuivre vers l’urbanisme. Il a été invité souvent en Amérique du Sud, pas en Amérique du Nord, il ne convenait pas (rire). Fatigué des voyages il s’est décidé à s’installer en Europe, il a choisi la Belgique et la Sint-Lukas School qui avait des lieux libres le soir. C’est là que j’ai fait sa connaissance. Extraordinaire. Et le monde n’en voulait pas. Dans ce milieu, les étudiants ne venaient pas apprendre mais juste obtenir un papier, leur diplôme. C’était des employés communaux, ils voulaient un grade supérieur c’est tout ce qu’ils voulaient. C’était chiant (rire) ! Dans le livre de Gaston Bardet Pierre sur Pierre on peut voir le plan d’une ville du Sud-ouest sur laquelle tout était signifiée : les portes cochères, les boulangeries… Une série de légende des actions urbaines. Il était seul à faire ça et on lui en voulait. Il y avait un autre urbaniste qui était urbaniste des cimetières je ne sais plus comment il s’appelle. Il était pour la participation (rire) ! 3


V.S : Un des questionnements qui découle de mon mémoire c’est celui du patrimoine, de notre rapport aux vides que crée la ville. On assiste à une muséification des centres-villes et on pourrait se demander quelle posture l’architecte devrait adopter face à cela ? L.K : Je n’ai qu’une réponse, la Maison du Peuple. Horta. Elle était presque démontable, c’était de la charpente métallique. Je l’ai visité, j’ai eu cette chance car on l’a vite démolie après. Par acquis de conscience, ils ont stocké toute la structure métallique pour la garder et la remonter ailleurs. Il s’est présenté un monsieur A qui a vendu à un monsieur B le stock disant que ça lui appartenait. C’est comme si elle était morte deux fois. Si on en fait un totem et si ça la conserve, oui c’est la posture à adopter pour éviter ce genre de tragédie. V.S : La notion de totem m’évoque immédiatement la reconstruction de Notre-Dame. On voit les propositions des architectes qui pullulent sur internet sous la forme d’une sorte de concours d’ego. Comment expliquez-vous le consensus selon lequel il faut absolument avoir recours à la reconstruction ? L.K : Je ne sais pas s’il faut aller jusqu’à abattre autant d’arbre pour la réalisation du clocher, là on peut douter. Mais il faut que le volume y soit, c’est un morceau de Paris, il ne faut pas hésiter. Pour moi la reconstruction est nécessaire, peut-être avec des matériaux modernes. Il aurait mieux valu ne pas mettre le feu (rire) ! On n’a toujours pas trouvé le coupable… V.S : Effectivement ils en parlent très peu. J’imagine qu’on va éviter de désigner un coupable qui se ferait lyncher sur la place publique… L.K : Il pourrait se suicider… Pour revenir à la Maison du Peuple ce sont les architectes qui ont exigés qu’on la démolisse. Il faut protéger ces édifices. A propos, la Mémé est classée, je ne sais pas si je dois être fier ou pas, ce n’est pas une question. C’était urgent parce que le principal qui régnait sur tout Louvain m’avait choisi à cause des étudiants en médecine qui était révolté et moi j’étais la clé qui allait faire la paix. V.S : C’était aux alentours de 68 non ? L.K : Oui, c’était en 70. Je n’avais rien à voir avec l’UCL. Je ne connaissais pas, ça ne m’intéressais pas. Finalement il y a un type merveilleux, jésuite, qui m’avait demandé de l’aider à persuader des orateurs architectes français pour faire un petit congrès à la Maison Médicale à Leuven. J’ai réussi à en fournir deux intéressants. Mais je n’ai rien de catholique. On finit par négocier avec l’administrateur général en lui expliquant que si les étudiants peuvent choisir leur architecte on pourrait s’entendre. Il répond alors qu’un architecte ou un

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autre c’est égal. Moi en 68 je n’ai pas été gueuler dans les rues, c’est pas mon genre, mais je suis retourné pour la première fois dans mon école La Cambre et j’ai trouvé que les architectes qui allaient gueuler dans les rues travaillaient la nuit pour réussir leur année. Alors j’ai passé les nuits avec eux pour les aider, et du coup ils étaient persuadés qu’il fallait faire de la participation. Ils sont tous passés, je ne les ai plus jamais vu et on a oublié tout ça. Finalement mes étudiants en médecine ont croisé un de ces architectes qui leur a dit : « Mais tu es fou, c’est Kroll qu’il faut ! ». Mon ami jésuite m’avait dit qu’il allait se passer des choses. Et en effet j’ai été convoqué par l’administrateur général. Pour lui un architecte c’est un autre, il n’y avait pas de différence. Mon jésuite m’avait dit : « Il s’agit de la zone sociale2 autour de Saint Luc » et l’administrateur m’a dit : « On m’a parlé de vous, vous êtes un architecte intéressant ». Par hasard ou par erreur j’avais construit une maison médicale auparavant pour les jésuites de Namur. J’étais donc spécialiste en maison médicale (rire). A la suite de quoi l’administrateur général m’a proposé de travailler sur 1000 métallurgies à Louvain La Neuve. J’ai pris ma chaise et je lui ai dit au revoir (rire). Il me dit : « Vous refusez ? » je réponds « Oui, je ne fais pas ça. Le sud-Luxembourg c’est mon grand-père, on a assez donné ». Une fois chez moi je reçois un nouvel appel : « Revenez, j’ai discuté avec le Conseil d’administration ». Et tout ça c’est faux en plus ! Ça se lit sur la figure du type ! J’ai finalement accepté de travailler sur la zone sociale, on ne s’est plus quitté pendant deux ans et puis après ils m’ont mis à la porte. J’ai appris énormément de chose de la participation. Surtout de ce que ce n’est pas. V.S : Est-ce que vous avez été confronté aux limites de la participation ? L.K : La limite c’est que j’ai été foutu à la porte (rire) ! Ça oui… Mais ils n’ont pas pu me protéger (les étudiants), ils n’ont pas de puissance. C’était des réunions incroyables. Ils parlaient… j’oubliais ce qu’ils disaient oui mais l’atmosphère… oui ! Et puis ils étaient chez eux, ils avaient fêté quelque chose, ils nous ont réveillés, la porte du jardin était encore ouverte. On m’a réveillé, Simone s’est mis à la cuisine et ils étaient 17 à manger par terre (rire). Ce sont des anecdotes mais ça couvre mon attitude qui est d’abord angoissé. Je les questionne, ils me répondent. Je ne sais pas ce que je peux faire avec ça mais ça m’empêche de faire des saletés. D’abord le négatif. V.S : Donc la parole que vous apporte l’usager c’est une indication par rapport à ce que l’architecte ne devrait pas faire ? L.K : Oui c’est ça. Je me suis astreint à ne jamais rien décider sans avoir 2

L’intitulé du plan d’ensemble pour le nouveau campus de l’UCL.

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montré. J’ai été invité à la AA School à Londres pour expliquer ce que je faisais. J’avais fait un résumé de tout ce que je pouvais avoir noté et j’ai intitulé ça « The Soft Zone ». Ça a été édité mais je n’ai jamais vu le livre ! V.S : Avez-vous réussi à vous substituer au maître d’ouvrage dans certains de vos projets ? Comme Bouchain à la Belle-de-Mai. L.K : Oui, il y en a un qui est remarquable dans le fait d’ailleurs. Une école qui était mise en concours que j’ai gagné sur une intention de participation. J’ai dû faire un projet pour gagner le concours, sans participation je ne peux pas. Ou une participation truquée mais on n’a pas été jusque-là. On a mis les choses là où on pensait devoir les mettre. J’ai eu la possibilité d’aller faire la connaissance du maire qui était le maitre d’ouvrage finalement. Je ne l’ai plus revu et j’ai été alors me présenter auprès du préfet des professeurs lors d’une réunion. J’avais préparé une maquette pour les usagers. Je leur dis : « Vous ne me connaissez pas et je vais mettre un temps à me montrer mais je veux faire ce que vous voulez. Essayez de me dire ce que vous voulez. Ce n’est pas simple mais je peux le traduire et vérifier avec vous si j’ai compris quelque chose. » Je ne sais plus combien de mètres carrés ça faisait, je leur ai dit : « Vous changez n’importe quoi, j’essaierai toujours de vous donner raison de vous comprendre. » Je n’ai rien compris évidemment (rire). Et puis, on a commencé à regarder. Je me rappelle le professeur de mécanisme de métallurgie qui m’a dit : « Vous avez mis les machines d’un côté et la classe de l’autre côté du couloir. » Il m’explique alors que ce n’est pas suffisant, qu’il ne faut pas de murs, même vitrés. Ça doit être le même espace. Lui avait compris l’architecture que moi je n’avais pas compris. Donc on a fait ça. Drame ! Il y avait une surface pour les couloirs et une pour les pas couloirs. J’ai réussi à persuader l’administration et on a tout changé. Chacun des usagers a eu son mot à dire, y compris le chauffagiste et la nettoyeuse. C’était normal qu’ils soient là. Le chauffagiste m’a expliqué qu’il était désespéré car il avait l’habitude de régler le chauffage, classe par classe, à l’ouï. Et maintenant on lui donnait un ordinateur qu’il ne savait pas utiliser. V.S : D’ailleurs, est-ce que l’informatique a changé quelque chose à votre pratique ? L.K : L’informatique… Mon informatique n’a rien changé à ma pratique. Je n’ai pas profité de cela. J’ai assisté à une séance d’informatique en Norvège où quelqu’un a dit : « Il y a un objet qui est le lavabo, une annexe qui est le miroir. Ça constitue un élément. On met ceci, puis un lit etc. Une met une porte vers l’extérieur qui donne sur un couloir. On sélectionne l’ensemble et on renverse par un effet miroir les éléments, on multiplie par 25 et on a terminé. » Ce n’est

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pas possible ! Mais c’est comme ça qu’ils font. V.S : Ça me rappelle mon stage en agence à Marseille. 60 collaborateurs répartis en différents pôles. Quand ils faisaient du logement c’était avec des typologies préétablies, un PLU et une emprise au sol à respecter. Il ne restait plus qu’à essayer de « caser » le plus de mètres carrés possible dans le volume… Et les architectes étaient tout à fait lucide sur la non qualité de ce type de projet, arguant qu’il fallait des projets alimentaires aussi. L.K : C’est des crapules, il y a une certaine hygiène dans le métier. C’est impardonnable ça (rire). Mais j’ai été chargé de faire 150 logements pour un concours. Il y avait 4 catégories d’après le financement. Donc il fallait 4 quartiers pour mettre les gens, les mêmes ensembles. Donc j’ai mélangé le tout pour que ce soit impossible de trouver plus ici que là. Et au jury on m’a dit : « Mais vous avez respecté les financements ? - Oui, oui. - Mais où est-ce qu’ils sont ? - Mais là ! - Situez moi le B par exemple ? - Eh bien je ne sais pas… » Et c’est pour ça que j’ai gagné le concours. Un paysan qui faisait partie du jury a dit : « Mais c’est comme ça qu’il faut faire ». C’est lui qui a persuadé le jury. Alors les types qui font leur beurre en faisant de la saleté c’est impardonnable. V.S : Matthieu Poitevin ne considère pas la Belle-de-Mai comme un projet participatif contrairement aux ouvrages écrit sur le projet ce qui est paradoxal. Selon lui, il a écouté, traduit et mis en place un schéma mais qui n’était pas vraiment sujet à débat. Chez Patrick Bouchain on est sur quelque chose de bien plus mesuré. L.K : C’est peut-être avec quelque détail. Bouchain a pris une photo d’un ouvrier avec une perceuse et puis il a été chez lui avec le même ouvrier en remplaçant l’outil de chantier par un outil culinaire. La propagande se fait par l’image. Dans le Pas-De-Calais en France, Bouchain a rénové un ancien abattoir en lieu de vie. La salle de réunion de projet il l’a juxtaposé à l’administration. Et donc le réfectoire était mêlé à l’administration. Les ouvriers étaient alors mêlés aux employés, ils ont fait connaissance. On trouve ça presque miraculeux alors que ça devrait être tout à fait normal. Ça

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fonctionne, il faut peu de chose pour que ça s’amorce. Et j’essaye de définir ce que c’est la participation, je ne sais pas encore. Réunir des cas comme ceux qu’on explique, comme ceux de Bouchain permet d’expliquer ce qu’il s’est passé et comment ces gens se sont rencontrés. Ça change le climat donc l’architecture. V.S : Ça m’évoque le thème de la Biennale d’Architecture de Venise de l’année passée : « Freespace » et aussi le concept des lieux infinis abordé dans mon mémoire. L’architecture figée et visible synonyme de paralysie et de mort opposée à l’architecture ouverte et lisible, transformable et évolutive. L.K : J’ai une histoire triste à ce sujet. Je ne sais plus le nom de la ville mais une employée de la ville m’avait demandé d’améliorer une barre HLM. Je me suis rendu là-bas et on est rentré à l’intérieur, évidemment. Il y avait une dame un peu politique qui faisait partie des critiques et des réunions. Des réunions positives, c’était des gens positifs qui ne pardonnaient pas l’architecture en série. La dame nous a reçu chez elle, l’espace était rempli de chaise. On était 4 et il y avait 30 chaises. C’est son fils qui réparait des chaises. Je lui dis : « Si vous aviez un local plus important pour les chaises et réduit pour la bouffe ? » Elle répond : « Oui. » Et si on allait questionner le voisin ? Peut-être que les enfants sont partis et qu’il a une chambre à coucher en trop ? Ça arrive. Quelqu’un a dit : « Il y a un cordonnier qui veut s’installer », je me suis dit : « C’est formidable, on le met à l’entrée ». Comme ça tout le monde passe devant le cordonnier et en principe il chante (rire). J’ai fait des plans qui supposent des questions qui n’ont pas été posé car on a pas vu beaucoup de monde mais pour montrer qu’on peut mettre du désordre au-dessus, on ajoute, on enlève etc. Il y avait le rapport à la rue à travailler également. Et plus on met de la végétation, plus c’est vivant. Puis on s’est aperçu qu’il y avait une centrale de radio à proximité qui pouvait alimenter tous les ménages. On a pris un technicien et on a fait un programme. L’équipement n’avait jamais fonctionné auparavant. Certain soir il était ouvert aux habitants, gratuitement. Ça c’est un instrument de liaison de prise de connaissance. Il y a des tas de trucs comme ça. On avait donné des appareils photos aux enfants pour qu’ils documentent cette action, ils en ont fait une exposition, les parents sont venus voir. Des occasions naturelles de rencontre ce sont créées. Des occasions normales. Ce qui n’était pas normal c’est que mon représentant de la société d’HLM (le maitre d’ouvrage) a fait de la voile et on a retrouvé son corps quelques jours plus tard et tout est tombé à l’eau… Tout s’est effondré et on n’a pas trouvé de remplacement. On n’improvise pas ça, lui il savait faire parce qu’il était passionné. Les autres font ça froidement.

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V.S : Pensez-vous que la pratique participative va se faire de plus en plus rare ? L.K : Oui. Je dis oui avec force. J’avais rencontré dans le midi des architectes qui se ressemblaient, portaient un nom, avaient une petite revue, pour construire ensemble. Ils sont toujours là, ils ont fait je ne sais pas combien de village. Toujours en autofinancement et avec la participation. J’ai vu une exposition ici à Bruxelles qui se terminait sur ça. Un rapport sur tout ce qu’ils avaient été occupé à faire. V.S : L’individualisme de nos sociétés modernes semble être un frein au développement de l’architecture participative. L.K : Oui, ils ont un découragement justifié ceux qui voudraient essayer. On ne les encourage vraiment pas. V.S : Un conseil pour un étudiant qui termine ses études et se lance dans le monde du travail (rire) ? L.K : (rire) Faire ce en quoi on croit et ne pas se décourager. J’étais un jour dans une réunion provinciale de maitres d’ouvrages sociaux. Il y avait une centaine de personne, j’avais froid dans le dos. On ne se connaissait pas et ça se sentait cette froideur… au niveau des discussions, des sujets dont ils parlaient. J’ai dû assister à ça jusqu’au bout. Ce sont des mauvais militaires d’ailleurs. V.S : C’est-à-dire ? L.K : Leur organisation est militaire. Il y a le général, le colonel etc… jusqu’au plouc (rire). Et on ne se trompe pas de direction. Ce sont ces organisations-là qui sont préfabriqués, plus que le bâtiment. V.S : Est-ce que dans certains cas, l’idée de la participation a été mal reçu par les usagers ou s’est avérée plus compliquée ? L.K : Plus compliquée oui. Les 4 financements (cf. p ?) mêlés on fait du gros désordre. Les habitants se sont concertés automatiquement, il n’y avait pas le quartier des riches et des moins riches. Ils étaient mêlés savamment. Et puis je m’y suis promené, il y avait une dame dans le jardin qui m’a demandé : « Monsieur l’architecte est-ce que vous permettez que je mette mon nain ? » Je lui ai répondu : « Mais vous êtes bénie ! Demandez aux voisins de mettre le leur aussi ! » S’il est dans un F3 au 8e étage, il ne pose pas la question (rire). Ce qui est crapuleux c’est que le préfabriqué n’est pas moins cher. D’abord il y a les pots de vins à payer. Quand même c’est une charge. Si on demande ça à des honnêtes menuisiers ils connaissent le métier beaucoup plus et sont

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bons marchés dans leur pratique. Ils ne font pas du 9 étages mais ce n’est pas nécessaire. On peut faire du concentré mais d’une autre façon. V.S : Pour terminer, j’aimerai discuter de la standardisation des métropoles en France, qu’en pensez-vous ? L.K : Les grandes villes ont encore des choses qui sont compliquées, qui sont diverses. Il y a plusieurs maitres d’ouvrages. Les petites villes là c’est déjà plus criminel. Mais je ne crois pas aux buildings privé ou public ni identique. Le spécialiste de l’habitat en France… J’ai la mémoire qui fout le camp, je vous déconseille de vieillir (rire) ! Henri…. V.S : Henri Lefebvre ? L.K : Oui ! Henri Lefebvre. Il a écrit Le Droit à La Ville, j’ai voulu le connaitre, j’ai été dans une réunion qui comptait des gens de ces orientations-là, je l’ai vu. Je lui ai tendu la main (rire), quelqu’un m’a basculé, ma main à fait ça et je n’ai plus vu Lefebvre. Je lui ai téléphoné pour l’inviter à faire une conférence à Bruxelles, malheureusement il est décédé avant de pouvoir venir. Mais il aurait vécu sous Haussmann il aurait été sur les barricades ! C’est exactement ça, mais en civil. Il se serait fait tué là-bas. J’ai un ami qui a fait une étude sur Lefebvre sous la forme de cinq livrets. Le dernier livret il commence par La Mémé. Pour lui je suis l’exemple absolu de Lefebvre. Parce que lui, il n’a pas de pratique, il écrit. Il écrit juste. Je comprends la moitié évidemment. La bonne moitié (rire). J’ai oublié de vous offrir une tasse de café, on peut faire ça ?

Nous avons donc quitté le sous-sol du bureau des Kroll pour poursuivre l’entretien à l’étage, dans le salon des Kroll, où j’ai pu brièvement rencontrer Simone Kroll. Nous avons ensuite poursuivi notre conversation avec Lucien autour d’un café et de mon mémoire. J’ai pu lui montrer ce qu’était devenu la Belle-de-Mai et comment le projet avait évolué. Il se trouve qu’il avait eu l’occasion de se rendre sur le toit-terrasse de la Friche il y a quelques années…

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Salle de rÊunion, lieu de l’entretien.


Façade extérieure, Auderghem.


Atelier d’architecture et d’urbanisme.


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