Treize grands procès racontés dans un hors-série

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Le procès des frères Pollet 1908


LA TERRIFIANTE DÉRIVE DE LA BANDE DES FRÈRES POLLET Tout au début du siècle dernier, du Pas-de-Calais aux bords de la Belgique, les frères Pollet et leurs complices ont semé la terreur chez les petits bourgeois et les paysans pendant un an et demi. Une terreur telle que ces quelques mois sont gravés dans l’histoire criminelle de cette région et leur procès en demeure l’un des plus terrifiants. Verdict : quatre condamnations à mort.

L

es journaux en font des tonnes. L’Humanité, Le Petit Parisien, Le Réveil du Nord, Le Matin, Le Petit Journal... tous titrent sur l’ouverture d’un procès qui passionne la France. Il y a ici tellement de violence ! Le Figaro, ce matin du 16 juin 1908, écrit en sous-titre : « Ils ont étranglé des vieillards, égorgé des femmes, des jeunes filles. Et partout, le vol, le pillage. » C’est un procès démesuré. Dans le box, ils sont vingt-sept hommes et femmes et autant de gendarmes puisque c’est ainsi que le président Maxime Lefrançois l’a voulu. À côté de chaque accusé, un gendarme. Il a fallu deux omnibus et deux fourgons pour amener tout le monde ici. Il a fallu aussi aménager la salle des assises de Saint-Omer et le président Lefrançois le fait remarquer d’emblée à Abel Pollet, installé au premier rang des accusés. Il

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lui reproche même les frais engagés par l’État pour les juger, lui est ses complices. Puis il donne lecture de l’acte d’accusation qui porte sur cinq assassinats, sept tentatives et, en tout, plus de cent crimes et délits. La lecture dure cinq heures et demie. « Le rouge nous monte au front d’insister sur de telles barbaries », s’excuse presque le président. Mais il en faut plus pour impressionner Abel Pollet. Après la suspension, à la reprise de l’audience, il croit bon de préciser : « On a bien mangé ! De la charcuterie, du fromage, très bien. » Le procès de la bande des frères Pollet s’ouvre à Saint-Omer le 16 juin 1908. On comptera 27 accusés... et autant de gendarmes pour les garder dans le box. Repro La Voix du Nord

« EN PRISON, J’AI RENCONTRÉ DES VRAIS ! » C’est un cas, Abel. À 33 ans, il a toute une vie de débauche et de délinquance derrière lui. Il la raconte d’ailleurs, avec une pointe de


Abel Pollet, une vie de crimes : « À l’école déjà, j’étais un petit voleur. Je chapardais à mes camarades. Mais c’est à onze ans que j’ai commencé vraiment ce métier », dira-t-il lors de son procès. Repro La Voix du Nord

fierté peut-être, à l’invitation du président. « À l’école déjà, j’étais un petit voleur. Je chapardais à mes camarades. Mais c’est à onze ans que j’ai commencé vraiment ce métier. » Abel Pollet est né à Vieux-Berquin, près d’Hazebrouck, en 1873. C’est là qu’il commet un cambriolage plus osé que les autres en 1901 et qu’il est arrêté. Il est alors condamné à trois ans de prison qu’il purge à Loos-lez-Lille, comme on disait à l’époque. « Là, j’ai rencontré des vrais ! » Des cadors de la pègre qui se moquent de ses pauvres larcins : des légumes pour manger à sa faim, des jambons dans des fermes et quelques objets de peu de valeur – des bicyclettes, des montres – parfois. À sa sortie de prison en décembre 1904, il n’est plus le même. « Il m’a tout de suite emmené dans des repérages », dit son frère Auguste. Il est plus vieux de deux ans mais plus réservé. N’empêche : Auguste suit Abel dans sa drôle de destinée et s’enchaînent alors les cambriolages de nuit chez les petits bourgeois de la région, du bassin minier au bord de la Belgique en passant par toute la plaine flamande. « QUAND ILS RÉSISTENT, ON COGNE ! » Dans la salle surchauffée, le président a bien du mal à faire garder le silence. Le public est stupéfait par la rudesse du récit d’Auguste, par le détachement d’Abel. Pour connaître l’endroit où sont cachées les économies, ils brutalisent. « Quand ils résistent, on cogne ! » Et dur, à l’occasion. Alors vient le premier crime de sang. C’était le 17 juillet 1905 à Calonne-sur-la-Lys. Ce jour-là, les deux frères ont laissé pour mort un vieil homme qu’ils ont frappé à coups de tisonnier. Mais M. Drelon, miraculeusement, s’en sortira. Deux semaines plus tard, avec Canut Vromant, un jeune Belge de leurs amis, ce sera le même miracle pour une vieille dame de Merville. Et toujours, ils racontent. Ainsi, Abel dit le calvaire du couple Lenglemetz qui tient un cabaret à Locon, près de Béthune. Le vieux succombera sous les coups et son épouse, trouvant son corps supplicié, en perdra la raison. C’est le premier cadavre derrière eux. Entre-temps, Théophile Deroo a rejoint le sinistre trio. Ce sont ces quatre-là qui forment le noyau de la bande Pollet. Les autres, à ce procès, sont des complices d’occasion, leurs compagnes aussi qui savent tout de leurs

LE 17 JUILLET 1905, À CALONNE-SUR-LA-LYS, LES DEUX FRÈRES LAISSENT POUR MORT UN VIEIL HOMME QU’ILS ONT FRAPPÉ À COUPS DE TISONNIER. 13 GRANDS PROCÈS

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Les agissements de la bande des frères Pollet vus par la presse de l’époque. Repros La Voix du Nord

DATES CLÉS DÉCEMBRE 1904 : après avoir purgé une peine de prison pour cambriolage, Abel Pollet entraîne son frère Auguste dans une série de vols avec violences. 20 JANVIER 1906 :Les frères Pollet et leur complice Canut Vromant s’introduisent chez les époux Lecocq à Violaines pour les cambrioler. Ils s’emparent de bijoux, de pièces d’or et d’argent et de 6 300 francs (près de 25 000 €) en liquide après avoir tué les Lecocq et leur fille. 3 MAI 1906 :Les frères Pollet sont arrêtés à Hazebrouck. 16 JUIN 1908 :Le procès

d’Abel et Auguste Pollet et de vingt-cinq complices débute à Saint-Omer devant les assises du Pas-de-Calais.

26 JUIN 1908 :Auguste

et Abel Pollet ainsi que Canut Vromant et Théophile Deroo, leurs principaux complices, sont condamnés à mort.

11 JANVIER 1909 :Les quatre

hommes sont guillotinés en place publique à Béthune. Quelque dix mille personnes assistent à leur exécution par décapitation.

LA SALLE EST SOUS LE CHOC, TÉTANISÉE PAR LE RÉCIT DES COUPS DE TISONNIER À LA TÊTE, DES IMPLORATIONS DES VIEUX ET... DU REPAS QUE LES TROIS AGRESSEURS ONT PRIS DANS LA CUISINE, AU REZ-DE-CHAUSSÉE, AVANT DE PARTIR. •••

agissements ou des indicateurs, des receleurs. Autant de seconds couteaux ulcérés d’être embarqués dans une histoire criminelle qui les dépasse, si bien que les noms d’oiseaux volent à l’intérieur même du box des accusés. Le président Maxime Lefrançois doit déployer des trésors de patience et d’autorité conjugués auxquels l’avocat général Beylot rendra d’ailleurs hommage quelques années plus tard. « LES VIEUX NOUS AVAIENT VUS, IL FALLAIT LES ACHEVER » Le point d’orgue de ce déballage de sauvagerie vient sans doute du récit d’un véritable carnage le 20 janvier 1906 à Violaines, près de La Bassée. Les frères Pollet, avec Vromant, s’introduisent dans la maison des époux Lecocq, 81 et 79 ans, où vit également leur fille Euphrosine, 55 ans. Vromant raconte comment il s’en est pris à elle : « J’avais trouvé une lourde poêle et c’est avec ça que j’ai frappé. À la tête. Mais elle se défendait, alors j’ai frappé encore... » Les deux autres n’ont guère de mal à maîtriser les deux vieilles personnes et le butin, ce jour-

là, est important. Ils trouvent des bijoux, des pièces d’or et d’argent, ainsi qu’une petite boîte de fer contenant plus de 6 300 francs (près de 25 000 €). « Mais les vieux nous avaient vus, dit Abel. Il fallait les achever. » La salle est sous le choc, tétanisée par le récit des coups de tisonnier à la tête, des implorations des vieux et... du repas qu’ils ont pris tous les trois dans la cuisine, au rez-de-chaussée, avant de partir. Des femmes s’évanouissent, d’autres crient ou pleurent... Ce procès tourne au drame. Les épouses ou compagnes des quatre principaux accusés sont bien obligées d’admettre qu’elles savaient, qu’elles n’ont rien dénoncé : les hommes parlaient ouvertement devant elles de ce qu’ils allaient faire, la nuit, dans les campagnes, revenant les chaussures crottées avant de se répartir le butin. Ce sont elles qui tiraient les draps devant les fenêtres pour être plus tranquilles. Il y a là aussi Louise Matoret, la maîtresse d’Abel. Elle qui a la tête haute. Qui a toujours imploré son amant de l’emmener. Elle s’était d’ailleurs accusée du terrible crime de Violaines mais ici, c’est Abel qui dit qui a fait quoi. Un peu comme il distri-

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Le procès des frères Jourdain 2000


LES FRÈRES JOURDAIN, « BRACONNEURS » DE QUATRE VIES INNOCENTES Dans la nuit du 10 au 11 février 1997, quatre jeunes filles d’Outreau, âgées de 17 à 20 ans, allaient s’amuser au carnaval du Portel. Elles y ont croisé les deux frères ferrailleurs de Dannes, partis « en chasse », selon le terme de Luc Frémiot, avocat général à leur procès. Même si ces deux-là n’ont rien voulu en dire, on devine que les derniers moments des quatre gamines ont été atroces. Douze jours plus tard, leurs corps sont retrouvés dans le sable des dunes, près de la plage de Saint-Gabriel.

«É

POUVANTABLE » En capitales. En gras. Ce mot si douloureux, si inquiétant barrait la une encore en grand format de La Voix du Nord , au matin du samedi 22 février 1997. Et au-dessus de ce mot, les quatre visages de Peggy, Amélie, Audrey et Isabelle. Souriantes, jolies, innocentes. La veille, Jean-Louis Jourdain avait indiqué aux policiers l’endroit où leurs corps suppliciés étaient ensevelis. La Voix du Nord n’a pas pour habitude de provoquer l’inquiétude ou la colère de ses lecteurs. Ce n’était d’ailleurs pas le but, cette fois-là non plus. Mais dans cette rédaction comme ailleurs, on était bouleversé, en ce foutu vendredi où il fallait bâtir la une comme

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si d’autres choses comptaient encore – les remous d’une loi Debré que tout le monde a oublié, un match nul du RC Lens soudain si dérisoire. Une semaine plus tard, le doute n’était plus permis : ces quatre gamines étaient devenues les enfants de toute une région, les filles de tout un peuple. Parties pour faire la fête au carnaval du Portel, elles avaient rencontré leur malheur, arrivé par deux hommes marginaux et déjà criminels dans le passé. À la basilique de Boulogne-sur-Mer, trop petite pour tant de chagrin, cinq mille personnes étaient venues signifier ce que le père Leprêtre dit avec ses mots, regardant les quatre cercueils posés devant lui : « Vous étiez au cœur de vos familles, de vos amis et, par un acte d’atroci-

té, vous êtes entrées dans le cœur de beaucoup d’autres. Vous avez pris place dans la conscience collective. » MÈRES COURAGE Alors, le 16 octobre 2000, quand s’ouvre le procès des auteurs de cet acte d’atrocité, c’est un peu comme si toute une région, tout un peuple était partie civile. La salle des assises de Saint-Omer est trop petite, elle aussi. Mais, dans cette foule, on ne voit que deux femmes, assises l’une contre l’autre au premier rang, échangeant parfois quelques mots inquiets et douloureux. Forcément douloureux. Laure Lamotte et Marie-Josée Merlin ont accédé au rang de mères courage. Au statut


Le procès d’Alexandra Lange 2012


LES TROIS JOURS QUI ONT MENÉ À L’ACQUITTEMENT D’ALEXANDRA LANGE En mars 2012, Alexandra Lange était jugée devant les assises du Nord pour avoir poignardé, trois ans plus tôt, son mari qui la battait régulièrement. Son procès est rapidement devenu celui des violences conjugales. Pascale Robert-Diard et Farida Chadri ont suivi les audiences, respectivement pour « Le Monde » et « La Voix du Nord ». Elles reviennent pour nous sur ce moment si spécial dans leur carrière de journaliste.

A

lexandra Lange a tué son mari une nuit de juin 2009 d’un coup de couteau dans la gorge. Ce mari, Marcelino Guillemin, était un homme violent et c’est au cours d’une énième dispute que le coup fatal lui a été porté. Le père de la jeune femme l’a aidée à maquiller le crime en posant un couteau près du corps de son gendre. Y a-t-il eu légitime défense ou pas ? Toujours est-il que trois ans plus tard, Alexandra Lange et son père sont renvoyés devant la cour d’assises de Douai. Et c’est un procès totalement atypique qui va avoir lieu

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pendant trois jours... Celle qui se trouve sur le banc des accusés se transforme très vite, presque malgré elle, en un symbole des victimes de violences conjugales. EXCEPTIONNELLEMENT FILMÉ C’est l’avocat général Luc Frémiot qui se retrouve face à elle dans ce procès, en tant que représentant de la société. On ne devrait d’ailleurs pas écrire « face à elle » car ce procureur, investi depuis des années dans la défense des victimes de violences conjugales, s’est comporté comme un véritable allié pour

Alexandra Lange... jusqu’à requérir son acquittement. Tous les voyants étaient au vert pour faire de ce procès – qui, exceptionnellement, fut filmé – un procès historique. Pour le comprendre, il nous semblait incontournable de partir à la rencontre de deux chroniqueuses judiciaires qui ont suivi les audiences minute après minute : Pascale RobertDiard, pour Le Monde, et Farida Chadri, pour La Voix du Nord. Ces deux journalistes ont accepté de se prêter au jeu de l’interview croisée (1) et de nous raconter ce moment si spécial dans leur carrière.


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