14 -18 NOTRE RÉGION DANS LA GRANDE GUERRE TOME 10
Communes picardes dans la Guerre
HORS SÉRIE - NOV. 2018 - 5,90€
NOUVEAU HORS-SÉRIE
Une région dans la guerre n 1914, la Picardie ne découvre pas la guerre. La région est depuis des siècles traversée par des bandes armées et connaît les ravages que celles-ci causent.
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11,90
512 PAGES
Mais avec la Première Guerre mondiale, c’est une autre dimension des combats qui vient bouleverser la région. Il ne s’agit plus d’attaques ou d’offensives, qui peuvent être sanglantes et destructrices mais demeurent passagères. La « modernité » de ce conflit, sa guerre des tranchées qui va figer le front durant quatre ans va profondément bouleverser le paysage et les habitants. La Picardie, de l’automne 1914 à l’automne 1918 va être ainsi coupée en deux. Et même en trois. A l’est, en zone allemande, il va falloir composer au mieux – ou au moins pire – avec l’occupant. A l’ouest, derrière les lignes françaises, si la vie quotidienne est moins impactée, c’est toute la société
Sommaire
qui va se transformer selon les besoins militaires : aérodrome ici, hôpitaux de campagne là, zones de cantonnements ailleurs. Enfin, la guerre se vit de façon ultime et radicale sur la ligne de front, dans un no man’s land lunaire, au sol déchiqueté. Et les évolutions des offensives et contre-offensives vont aussi faire évoluer cette troisième zone, occasionnant exil et convois de réfugiés. Et au-delà de cette situation générale, il existe autant de cas particuliers que de communes concernées. De novembre 2015 à juillet 2018, le Courrier picard a consacré une longue série d’articles à ces « communes dans la Grande Guerre ». Ce sont une partie d’entre elles que vous retrouverez dans les pages suivantes, dans ce numéro spécial qui marque pour nous la fin de cette évocation de « Notre région dans la Grande Guerre ».
DANIEL MURAZ
38 Chippily
78 Moulin-sous-Touvent
40 Clermont
80 Noyelles-sur-Mer
42 Compiègne
82 Noyon
Ce livre est réalisé à partir des centaines de milliers de documents et d’objets confiés par Les Français aux Archives nationales ou départementales.
04 Entretien avec Philippe Nivet
44 Craonne
84 Ovillers-la-Boisselle
06 La carte des communes
46 Davenescourt
86 Péronne
48 Doullens
88 Pozières
08 Amiens
50 Dury
90 Querrieu
Tous ces documents, lettres, photos, dessins... dévoilent 4 années de guerre et racontent une multitude d’histoires particulières.
12 Abbeville
52 Flixecourt
92 Ribemont
14 Albert
54 Framerville-Rainecourt
94 Roye
16 Beauvais
56 Gauchy
96 Rubempré
18 Belleau
58 Guise
98 Rue
20 Blérancourt
60 Ham
100 Saint-Quentin
22 Bohain-en-Vermandois
62 Harbonnières
102 Saint-Riquier
24 Bouchavesnes-Bergen
64 Laon
104 Suzanne
26 Bray-sur-Somme
66 Le Crotoy
106 Tergnier
28 Breteuil
68 Le Tréport
108 Valines
30 Bus-lès-Artois
70 Mailly-Maillet
110 Vermand
32 Cachy
72 Mers-les-Bains
112 Vignacourt
34 Cantigny
74 Misery
114 Villers-Bretonneux
36 Chantilly
76 Montdidier
116 Yvrench
Produit par
centenaire la Mission du erre mondiale Gu de la Première
dans la guerre
ONT PARTICIPÉ À CE HORS-SÉRIE Directeur de la publication : Jean-Dominique Lavazais. Rédaction en chef du hors-série : Daniel Muraz. Coordination : Véronique Villain. Textes: Marion Bertemes, Guillaume Carré, Aude Collina, Jean-Claude Crépin, Jeanne Demilly, Lucile Descamps, Christelle Dufourg, Jacques Dulphy, Vincent Fouquet, Denis Girette, Thierry Griois, Julien Gris, Vincent Hervé, Cécile Latinovic, Stéphane Le Barber, Marion Lemaître, Orianne Maerten, Alexandra Mauviel, Benjamin Merieau, Alice Meunier, Sylvie Molinès, Pascal Mureau, Karine Néel, Nadia Nejda, Anne-Marie Quemener, Xavier Togni, Nicolas Totet, David Vandevoorde. Infographie : Boeki, Sains-en Amiénois. Mise en page: Studio PMP. Impression: Imprimerie Presse flamande, Hazebrouck. Photo en couverture : « Street in Noyon mined by germans” : photo prise lors du déminage de la rue de Paris en 1917, à Noyon. Editions Courrier picard, 5 boulevard du Port d’Aval, CS 41021- 80010 Amiens Cedex 1 - Tél 03 22 82 60 00 www.courrier-picard.fr Tous droits réservés. Aucune partie de ce livre ne pourra être reproduite ni diffusée sous aucune forme ni par aucun moyen électronique, mécanique ou d’autre nature, sans l’autorisation écrite des propriétaires des droits de l’éditeur © 2018 - Courrier picard. Tous nos remerciements vont aux différents services d’archives sollicités pour les illustrations de ce hors-série.
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Ces communes plongées
dans la Grande Guerre Front à la fin du printemps 1918
Béthune
Villes alliées Villes occupées par les Allemands
Rue
Arras
Le Crotoy
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Saint-Riquier
mm
Mers-les-Bains
Abbeville Le Tréport
Doullens
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Valines
BouchavesnesBergen
Albert Rubempré
Blangy-sur-Bresle
Ovillers-la-Boisselle Pozières
Mailly-Maillet
Vignacourt
Flixecourt
Dieppe
Cambrai
Bus-lès-Artois
Querrieu Braysur-Somme
Péronne
Suzanne Guise Framerville-Rainecourt Misery Saint-Quentin Cachy Villers- Harbonnières Bretonneux Ribémont Gauchy Davenescourt Ham Tergnier Montdidier Roye
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Noyelles-sur-Mer
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La Manche
Zone de front (batailles)
Yvrench
Amiens Dury
Neufchâtel-en-Bray Breteuil
CharlevilleMézières
La Fère Noyon Moulinsous-Touvent
Gournay-en-Bray Compiègne
Beauvais
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Amiens Amiens, vaincue en 1914, fut au départ de la victoire finale en 1918
Abandonnée lors de la poussée allemande de septembre 1914, alors que l’état-major n’avait pas jugé sa défense stratégique, la ville d’Amiens sera associée à l’offensive victorieuse de l’été et l’automne 1918. Entre les deux dates, sa position de ville d’arrière-front lui conférera un rôle prépondérant.
L
e printemps et l’été 1914 sont paisibles à Amiens, tout juste réveillés par des manœuvres en mai avec 25 généraux et 230 officiers supervisés par le général Joffre. Le 14 juillet célèbre ses troupes dans cette ville de garnisons. On s’enchante d’un ballon s’envolant de la Hotoie avec trois passagers. La foire de la Saint-Jean devant le cirque met fin au mois de juillet. La police spéciale y surveillera les forains étrangers. Puis tout s’accélère. Amiens s’est préparé à la guerre depuis l’état de siège décrété partout en France le 2 août 1914. Les arrêtés passent sous la plume des militaires comme celui interdisant la vente de l’absinthe. L’hôtel de ville est cerné de panneaux d’affichage en bois. Les Amiénois y liront vite les comptes rendus des combats s’approchant. Depuis la mobilisation du 1er août, des Amiénois combattent en Belgique où les Allemands ont percé. Le dragon Olivier, dont les parents sont commerçants sur Caussin-dePerceval, est abattu à Daverdike.
Le 10 août, le 1er corps expéditionnaire britannique passe devant des habitants qui commencent à chercher des nouvelles de fils, frères, oncles, pères partis au front. Les casernes, Friant, Dejean et Stengel débordent de matériels et rations. Dejean abrite le 8e et 48e bataillon de chasseurs en tenue de campagne. L’avancée allemande vers l’Ouest les régiments de Sedan, Valenciennes… Des centaines d’hommes et leur monture transitent par les gares d’Amiens et Longueau. Les bulletins officiels se font rares. Cela renforce les inquiétudes nées du passage de réfugiés belges et du Nord qui, terrorisés, ne restent pas. Fin août, des cavaliers chantent la Marseillaise rue Saint-Leu. Il y a tant de troupes que les rations sont vite épuisées. Mais elles ne défen-
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dront pas Amiens. Joffre a tranché. Il faut bloquer faut l’accès à la mer, pas Amiens. Des uhlans si redoutés depuis 1 870 sont pris sous le feu du Génie pont Beauvillé. Amiens tombe. Des autorités, seuls le maire Alphonse Fiquet et ses adjoints restent. Le lundi 31 août 1914, le 4e corps de réserve allemand du général Von Groneau de l’armée de Von Kluck entre à grands pas malgré les ponts détruits. Les cavaliers chantent le « Deutschland ûber alles ». Alphonse Fiquet, radicalsocialiste qui a combattu en 1870, ordonne de mettre les écharpes. Les Allemands prennent 13 otages, le maire et ses adjoints, et exigent des tonnes de ravitaillement jusqu’au dernier jour d’une occupation courte mais
oppressante. Les canons menacent de représailles. Les allers-retours de Foch entre Doullens et Dury La bataille de la Marne fait reculer Von Kluckqui songe à garder Amiens où, le 8 septembre, une Kommandantur est installée. Mais il se ravise. Épisode tragique, Il restait 5 000 mobilisables en ville. Les Allemands, qui redoutent les francstireurs, en rassemblent près de 1 200 le dernier jour d’occupation, à la citadelle. Des centaines seront envoyées Outre-Rhin. Le 11 septembre, les gendarmes de Gamaches constatent la fin de l’occupation ! Tout juste deux officiers allemands sont venus récupérer à la hâte des affaires oubliées à l’hôtel du Rhin (place Goblet). Après sa libération par le 81e régiment d’infanterie, la ville se transforme. C’est la liesse.
La rue des Trois-Cailloux et ce qu’il reste des Nouvelles Galeries après le bombardements intensif du 5 juin 1918 où les bombes incendiaires ont déclenché un incendie.
De mars à août 1918, toute la ville a subit les raids aériens et les tirs par canons.
Des prisonniers allemands passent en colonne. Quel changement en deux jours. Amiens devient une base à deux pas du front. Des avions allemands sont abattus, d’autres sauront lâcher leurs bombes tout au long du conflit. Le lycée de jeunes filles et la chapelle du collège de la Providence deviennent des hôpitaux militaires. L’œuvre de secours aux prisonniers civils se met en place pour des Amiénois retenus au camp de Minden en Westphalie. Amiens devient laborieuse. Soumis au rationnement et restrictions, ses usines embauchent des milliers de femmes. La capitale du velours a des confectionneurs qui possèdent des stocks pour 80 000 complets livrables en 45 jours ! De 20 à 27 francs selon la
taille. Une importante maison rue des Jacobins dispose de pantalons taupe. La 8e et 10e armée s’y rhabilleront. Toutes les villes envoient des coursiers se fournir à Amiens. Culotte cheval, vareuses, capotes d’infanterie… les machines tournent. Et les chaussures! En 1918, l’établissement le plus imposant en aura livré 30 000 paires. Les ateliers de la rue Henri-Daussy fournissent de quoi cacher les tranchées : des filets métalliques en tiges de raphia. Les Britanniques ont officiellement nommé Amiens ville d’arrièrefront. Trois cinémas-théatres ouvrent. L’Omnia rue des Verts-Aulnois, l’Alhambra rue Delambre, le Nivel à SaintSPierre… D’autres suivront. Entre les bombardements et les tirs anti aviation
(notamment en 1915), les magasins reprennent vie en bilingue. La population s’échange la monnaie fabriquée ici : cinq, deux, un franc et cinquante centimes. En 1916, les batailles de la Somme, à deux pas à l’Est, font rage. Amiens et ses gares forment le plus important réseau de ravitaillement du Nord. La ville ravitaille, soigne, distrait, mais souffre. En 1917 la peur d’une invasion refait surface. Mais les Allemands battent en retraite derrière la ligne Hindenburg. C’est au printemps 1918 que la ville va se retrouvée plongée dans le chaos. Et de façon bien pire qu’en 1914. DAVID VANDEVOORDE
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Abbeville La ville ouvre les bras aux troupes britanniques
Les premiers Anglais arrivent à Abbeville en octobre 1914. Ils sont suivis de tout l’Empire britannique. Abbeville devient une ville cosmopolite où des hôpitaux militaires s’installent en masse.
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LA POPULATION PASSE DE 20 000 À 30 000 HABITANTS
Au carrefour de deux axes ferroviaires stratégiques qui relient Rouen-Béthune et Amiens- Calais, Abbeville accueille des troupes armées, des munitions, des ravitaillements pour les soldats qui se battent sur le front. Des milliers de bombes transitent chaque jour par la gare de triage.
En moins de trois mois, des tentes et baraquements en bois sont construits sur trois hectares, chacun d’entre eux étant voué à une spécialité. Ce fut le cas entre autres d’une très large parcelle entre la route de Doullens et la route d’Amiens où s’est installé le « 3 th Australian hospital general ». En tout et sur toute la ville d’Abbeville, 96 sites logistiques (ravitaillement, hôpitaux) sont dévolus à l’armée britannique. Un hôpital militaire peut comprendre un état-major de 29 officiers et de médecins, de 190 hommes de peines, de 38 infirmières et 1 500 lits pour les malades.
bbeville n’est pas en première ligne pendant la Première Guerre mondiale mais sa position géographique, entre les côtes anglaises et le front à l’est de la Somme, lui confère un rôle primordial. La présence britannique marquera fortement la cité à cette époque. Dès le mois d’octobre 1914, les Britanniques débarquent. L’armée anglaise loue des terrains dont les baux sont de trois ans. L’idée d’une courte guerre semble écartée.
Abbeville devient surtout une base d’arrière-front cruciale pour les blessés. Les hôpitaux militaires se multiplient. Ils sont sous le commandement du Colonel Hulton et dédiés à l’ensemble des ressortissants de l’empire britannique (Anglais, Canadiens, SudAfricains, Hindous…). Un choc pour les habitants. « Et maintenant on ne voit plus que des Australiens avec leur grand chapeau de feutre kaki, les uns sans ornement, les autres ornés de plumes de vautours gris. Il y a quelques années je n’aurais jamais imaginé que je verrais un jour des Hindous, des Australiens dans cette bonne ville d’Abbeville qui prend un aspect de grande ville cosmopolite », raconte Magdeleine Tacquet le 4 avril 1916, qui avait 18 ans à l’époque, et dont le journal intime tenu pendant la guerre a été publié (« Avoir 20 ans pendant la Grande Guerre,
carnets intimes 1914-1918 AbbevilleCayeux-sur-Mer », ed. La Vague verte)
Des bâtiments publics sont également réquisitionnés. L’hospice Dumont accueille un hôpital militaire. Des écoles, le lycée Saint-Pierre, un hôtel particulier rue des Capucins reçoivent les nombreux blessés. La population d’Abbeville passe de 20 000 à 30 000 habitants.
Destructions Place Amiral Courbet en 1918_Sources : Archives municipales d’Abbeville
sieurs fois par semaine, les concerts dans les cafés, les guinguettes… la vie continue pour les Abbevillois. Les soldats doivent oublier les combats, la guerre amplifie la vie culturelle. Magdeleine Tacquet écrit à ce sujet en janvier 1916 : « Nous sommes allés jeudi dernier au camp du Champ de Mars. C’est maintenant une cité anglaise (…) sur les talus se sont élevés théâtre, guignol, cinéma, bars, casino, salle de clubs ; enfin rien ne manque. » La population locale en profite. En 1917, plus de 100 000 personnes ont assisté au moins à une séance de cinéma. Le sport occupe aussi une grande place. Chaque communauté importe son sport national : cricket, boxe, lutte, natation et football. L’activité agricole est très forte.
Abbeville compte le 128e régiment d’infanterie. Le bureau du recrutement se trouvait place Saint-Pierre (actuelle place Clémenceau). Un hôpital vétérinaire, l’un des plus importants du nord de la France, est installé à Mautort (sortie d’Abbeville vers Cambron). Un grand centre de remonte, faubourg de Thuison, permet de rééquiper un cheval complet. Au quotidien, jamais Abbeville n’aura connu un tel bouillonnement culturel. La ville possède deux théâtres : le nouveau est celui existant aujourd’hui et l’ancien était situé rue Millevoye. Les séances de cinéma plu-
La « production est très bonne » affirme le chanoine Lesueur dans « Abbeville et son arrondissement pendant la guerre » (1 927). Le commerce explose. Le colonel Hulton importe même des épiceries britanniques pour faire face à la hausse des prix. DERNIER BOMBARDEMENT EN MAI 1918 En 1918, Abbeville a été le siège de deux conférences franco-britanniques, qui ont eu lieu dans l’hôtel de la chambre des Notaires (disparu après 1 940) place du Guindal. Le 25 mars 1918, le Maréchal Haig et les Généraux Foch et Wilson y ont préparé la Conférence de Doullens, prévue le lendemain, pendant laquelle fut signé le Commandement unique des forces
alliées sur le front occidental. Les 1er et 2 mai 1918, la cinquième session du Conseil suprême de la Guerre se réunit à Abbeville. En mai, la ville est bombardée. « Troisième bombardement d’Abbeville. Terrible : trois heures durant, les boches ont bombardé la ville. (Dans la maison où nous sommes, des femmes se lamentent et des enfants pleurent ; dans les pâtures aux alentours tombent des éclats d’obus », écrit le 20 mai 1918 Suzanne Tacquet, la sœur de Magdeleine qui termine son journal intime en 1921 par cet ultime témoignage : « Comme c’est loin ce printemps terrible de 1918 ! Et cependant si vivace encore à l’esprit.» KARINE NÉEL
Concert à l’hôpital anglais
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Beauvais Ville de l’arrière proche du front, entre paniques et subsistance
Ce n’est pas la ville martyre de l’Oise que fut Noyon. Beauvais, place d’armes devenue ville hospitalière, a vécu au rythme des flux de réfugiés et des blessés. Elle compta elle-même plus de 700 morts.
C
’est jour de grand marché lorsque le tocsin sonne la mobilisation générale, le samedi 1er août 1914 à Beauvais. Le 3, la proclamation de l’état de siège transfère tous les pouvoirs civils à l’autorité militaire. Le 5, les trois bataillons du 51e régiment d’infanterie quittent la ville en train pour s’engager dans la bataille des frontières. Deux jours plus tard affluent dans la ville préfecture de l’Oise les premiers groupes de réfugiés de Verdun et de Belgique. LA RUMEUR DES MAINS COUPÉES Les récits terrifiants de l’avancée allemande – comme la rumeur des « mains coupées » – affolent les habitants privés d’informations sur le déroulement exact des opérations. C’est le sauvequi-peut. La vie urbaine se délite. Les retraits bancaires se multiplient. Les administrations ferment. Le maire, Cyprien Desgroux, entouré de onze conseillers restés sur place, centralise à la mairie les services publics, y compris le service postal.
Kluck. Elle recule jusqu’aux plateaux surmontant la rive droite de l’Aisne et creuse ses retranchements. S’engage à partir de la mi-septembre la « course à la mer » qui étire une ligne fortifiée de tranchées entre la mer du Nord jusqu’à la frontière suisse. LES RÉFUGIÉS AFFLUENT Fin septembre 1914. Les réfugiés affluent. La place d’armes de Beauvais retrouve sa fonction hospitalière. Près de trois cents lits ont été installés pour les militaires blessés. À l’Hôtel-Dieu, dans l’internat du lycée Félix-Faure (200 lits), à la préfecture, à l’Institution Saint-Esprit, des religieuses et des infirmières laïques apaisent les souffrances. Celles de la population civile dépendent beaucoup du ravitaillement, placé en concurrence avec celui des Les hommes du 51e Régiment rejoignent le front, en août 1914.
armées et tout ce qui concourt à « l’effort de guerre ». La réquisition des hommes et des chevaux a prélevé les forces vives dans les fermes. Les circuits habituels de distribution sont désorganisés. Les pénuries engendrent la « vie chère », la spéculation des retournements de fortune. En octobre 1916, une boucherie municipale et un magasin d’approvisionnement en denrées de base sont créés par Cyprien Desgroux, comme cela se fait à Paris. Le charbon et le bois de chauffage sont mis également sous tutelle publique.
À la fin du mois d’août, les liaisons ferroviaires sont suspendues vers l’est, les hôpitaux évacués. Environ trois mille habitants, sur 20 000 un mois plus tôt, demeurent dans la ville saisie de panique. Des casques à pointes ont été vus en reconnaissance jusqu’à Bresles. Plus loin à l’est, la première armée allemande a envahi le Noyonnais, le Compiégnois et le Valois. Elle menace Paris. Mais l’effet mécanique de l’allongement de ses colonnes, deux millions de soldats provenant d’Allemagne, joue contre l’ennemi. Les troupes alliées se regroupent après trois semaines de retraite. La possibilité d’un renversement de situation apparaît enfin. La première bataille de la Marne repousse l’armée de Von
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Beauvais poursuit son existence de ville de l’arrière, proche du front, durant quatre ans.
Les dégâts d’un bombardement rue de la Madeleine, en 1918
Cette situation lui vaut par deux fois d’accueillir le Grand Quartier Général (GQG). Plusieurs centaines d’officiers y règlent les mouvements et l’intendance
pour des millions de soldats. Début janvier 1917, le général Nivelle vient de succéder à Joffre. Il s’installe pendant trois mois dans les locaux de l’institut agricole et au lycée Félix-Faure. Le président Poincaré accompagné de Briand lui rendent visite le 25 février. FOCH GÉNÉRALISSIME Le deuxième séjour du GQG, alors commandé par Foch, se situe entre le 29 mars et le 7 avril 1918. Son principal fait d’arme est toujours inscrit sur une plaque apposée dans l’entrée de l’hôtel de ville de Beauvais. Le 3 avril, le généralissime y reçoit le commandement suprême des armées alliées sur le front occidental, de la mer du Nord à l’Adriatique. La décision a été prise par les trois gouvernements alliés représentés par le général américain Bliss, Lloyd George pour les Britanniques et Clemenceau pour les Français. Ce dernier se rend à Beauvais à cinq reprises,
dont le 30 mars, en présence de Winston Churchill. Ce resserrement du commandement est dicté par l’offensive déclenchée depuis mars par les Allemands. Ils exploitent leur victoire à Saint-Quentin par une avancée très rapide, 60 kilomètres en dix jours au cours desquels ils raflent 90 000 prisonniers. Le front se rapproche. Beauvais subit un premier bombardement dans la nuit du 18 au 19 avril. Sept autres suivront entre mai et juin. Les obus détruisent quelque 80 maisons. Trente-cinq civils et militaires sont tués. C’est à nouveau la panique. Des Beauvaisiens campent dans les carrières de Saint-Jean et l’inquiétude ne tombera pas avant l’armistice du 11 novembre. Beauvais recensait 743 tués à l’issue de la Première Guerre mondiale. DENIS GIRETTE
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Blérancourt Une longue occupation avant l’aide américaine
Occupée de fin août 1914 à début 1917, puis aidée par les Américaines avant de revoir les Allemands, la population de Blérancourt a largement souffert pendant la Première Guerre mondiale.
C
onnu pour son château du XVIIe siècle construit par l’architecte de Marie de Médicis, Blérancourt est un bourg commerçant de quelque 1 400 habitants entre Noyon (Oise) et Coucy-leChâteau (Aisne) quand se déclenche la Première Guerre mondiale. La France est vite envahie par l’armée allemande. Quand la ligne de front se stabilise, notamment sur le plateau soissonnais de Nouvron-Vingré, Blérancourt se situe à peine à une dizaine de kilomètres du front, mais côté allemand. « La commune est un lieu de repos pour les Allemands qui s’installent chez les habitants. Ils prennent les meilleures places. Les habitants dorment dans les greniers et travaillent le jour dans les champs. La nourriture est réquisitionnée par l’occupant. Les habitants sont obligés d’indiquer sur leur porte d’entrée le nombre de poules et de lapins qu’ils possèdent », raconte Hervé Paturé, photographe et guide à l’office du tourisme. LES ALLEMANDS SONT CHEZ EUX Les Allemands sont en terrain conquis. Un hôpital militaire est installé à l’hôtel de Foucrois et devant le bel immeuble, les soldats profitent de bains de vapeur avec piscine. Le Kronprinz, Guillaume de Prusse, fils du Kaiser Guillaume II et prince héritier, loge dans le village voisin de Troslysur-Loire. L’occupant a même l’intention de germaniser la population locale de Blérancourt. « Des cours d’allemand sont donnés dans les rares écoles encore ouvertes, mais ça ne prend pas », explique Hervé Paturé. La population qui a vu partir des cen-
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taines d’hommes mobilisables pour des camps de travail en Allemagne, souffre et apparaît de plus en plus démunie au fil des mois. Des aides des ambassades des Pays-Pas et d’Espagne les soulagent un peu, par l’entremise de la Croix rouge. Quand en février 1917, les Allemands décident de reculer sur la ligne Hindenburg, ils cassent et dynamitent, avant de déménager et de quitter Blérancourt. Ils détruisent des maisons, des fabriques, des matériels agricoles, mais aussi la sucrerie et la ligne de chemin de fer. Ils coupent aussi les arbres. Les Allemands dévastent beaucoup et une grande partie de la population, à l’exception des vieillards et des enfants, est évacuée vers les Ardennes. Où elle sera mal accueillie, considérée comme « des Boches du Nord ». ANNE MORGAN PARCOURT LE FRONT AVEC PÉTAIN C’est dans ces conditions précaires qu’arrivent les Américaines du Card (Comité d’aide aux régions dévastées) sous l’impulsion d’Anne Morgan, fille d’un riche et célèbre banquier américain, John Pierpont Morgan, reçue par le receveur des impôts resté à Blérancourt. Anne Morgan a en fait sillonné le front en compagnie du général Pétain et l’armée française lui confie le château de Blérancourt, sur la route de Compiègne, pour agir au plus près du front en faveur d’une population démunie à soulager. Elle s’y installe dès juillet 1917. Essentiellement composées de femmes, les équipes du comité américain entreprennent leurs actions d’aide humanitaire. Leurs priorités : acheminer des vêtements, des couvertures, des ustensiles de cuisine, des semences, des outils agricoles, du
Blérancourt après la Grande Guerre 1914-18 - La rue Neuve
bétail. Les premiers baraquements en bois du Card sont à peine positionnés, que les Américaines sont contraintes d’évacuer Blérancourt en mars 1918. Les bienfaitrices ne reviendront ensuite qu’en février 1919. La seconde bataille de la Marne a en effet permis aux Allemands de réaliser une nouvelle percée en direction de Paris. Ils ont traversé Blérancourt pour s’arrêter du côté de Château-Thierry. « Là c’est la bataille
du Bois Belleau et les Allemands sont repoussés par l’armée américaine entrée dans le conflit en mars 1917. La reconquête est terrible. L’armée française est sur les trousses des Allemands et son artillerie les pilonnent », raconte Hervé Paturé. « Blérancourt est un village détruit au tiers et s’en sort finalement pas si mal par rapport à d’autres villes et villages rasés ou détruits à 80 %, comme Noyon, Chauny, Coucy-le-Château, Trosly-sur-Loire ou Saint-Aubin. »
La population de Blérancourt ne revient dans son village qu’à partir de 1919. Elle va découvrir les Ford T, les Américaines chapeautées dans leur uniforme bleu cintré, les brosses à dent fournies aux enfants, les infirmières, le scoutisme et la bibliothèque ambulante. Les Américaines rachètent en 1919 le château en ruines, QG de l’organisation, qu’elles restaurent et en 1925, Anne Morgan en fait don à la commune de Blérancourt qui le déclare musée d’État en 1931. La reconstruction dans
la région doit beaucoup à Anne Morgan et à son amie Anne Murray Dike qui repose près de l’église de Blérancourt. Cette présence d’outre-tombe témoigne du lien indéfectible qui lie pour toujours ce coin charmant du département de l’Aisne, à la frontière de l’Oise, avec les États-Unis d’Amérique. Le musée franco-américain du château de Blérancourt entretient cette amitié indéfectible. NICOLAS TOTET
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