14 -18 NOTRE RÉGION DANS LA GRANDE GUERRE TOME 9
Code : Nom du produit : Prix :
37829302
Les dernières batailles
Date de parution :
3HIMTNA*cafjae+[A\Q\L\I\F HORS SÉRIE - JUIN 2018 - 5,90E
CP - Les dernières batailles Tome 9
5,90 €
mercredi 20 juin 2018
L’année oubliée où rien ne s’est passé comme prévu D
ans cette guerre de 14-18, cette longue guerre, cette trop longue guerre, chaque année a vu un événement passer à la postérité, ou plutôt s’imposer dans la mémoire collective de générations en générations, occultant le reste. 1 914 c’est la Marne et le coup d’arrêt miraculeux à l’offensive allemande ; 1 915 l’échec allié dans les Dardanelles ; 1 916 Verdun et en Picardie au moins la bataille de la Somme ; 1917, le Chemin Des dames et la chanson de Craonne. Et 1 918 ? L’Armistice du 11 novembre, bien sûr. Un point final (même si des combats se poursuivirent en Russie notamment), qui a tendance à faire oublier largement les onze mois qui ont précédé et qui se sont avérés de multiples façons décisifs dans le tournant et l’aboutissement de cette guerre. Année finale, année décisive de ce fait, 1 918 a aussi été une année imprévue, aux multiples surprises. Après l’échec sanglant des grandes offensives des années précédentes, c’est l’attentisme qui domine. Chacun attend l’arrivée des Américains et table sur une victoire des alliés pour 1919, lorsque la machine industrielle et militaire des États-Unis aura été pleinement déployée. Mais divers faits vont bouleverser ces prévisions. À l’Est, la situation se dégage pour l’Allemagne qui parvient à faire céder la toute jeune URSS, lui permettant de mettre toutes ses forces à l’Ouest, lors de la violente offensive du 21 mars. Une attaque qui surprend, là encore, par sa percée. C’est la fin de la guerre de positions. Retour à une guerre de mouvement, mais dans une autre approche, l’expérience aidant. Bientôt, on verra même (au Hamel, le 4 juillet) une interaction totale entre infanterie, artillerie et aviation. Et à la fin de l’été, le renversement est total. La contre-offensive alliée laisse espérer que les soldats ne passeront pas un nouvel hiver au front. Une chose, cependant, n’aura pas changé, cette année-là. Une fois encore la Picardie, de l’Oise au sud de l’Aisne jusqu’à la frontière des Flandres, aura été au cœur de ces dernières batailles. Ce sont ces quelques mois que nous allons évoquer dans ce numéro, qui, lui aussi, préfigure la fin de notre série. Avant un numéro spécial sur les communes picardes dans la guerre en novembre.
DANIEL MURAZ
Sommaire 04 La carte des offensives de 1918 06 Le grand entretien : Jean-Yves Le Naour 12 Le commandement unique, décision cruciale 14 Là où les chars s’affrontèrent pour la première fois 16 Amiens sous les bombes et évacuée 26 La fin controversée du Baron Rouge 28 Nouvelle déferlante allemande au Chemin des Dames 30 La Marne, dernière étape avant Paris 31 Porté disparu pendant 88 ans 32 Le plateau picard à feu pendant la bataille du Matz 34 Guillaume II à Foreste 35 Cantigny, premier test pour l’armée américaine 36 La « bataille d’Amiens » à Montdidier et Moreuil 38 Le retournement de l’été 1918 40 Le Hamel, toute première bataille combinée 41 John Monash, l’ingénieux général 42 Un regard neuf sur l’Australie dans la guerre 48 L’Oise, premier département libéré 50 La bravoure des Australiens à Péronne 52 Saint-Quentin libérée 55 Au hameau d’Haudroy, prémices de la reddition 57 Pierre Sellier, le clairon de l’Armistice 58 La pause des plénipotentiaires à Homblières 62 Le jour où la guerre s’est arrêtée 66 La grippe espagnole, dernier fléau de la guerre 70 Quand Corto Maltese trinquait dans la Somme 71 Corto Maltese : Côtes de Nuits et roses de Picardie
ONT PARTICIPÉ À CE HORS-SÉRIE Directeur de la publication : Jean-Dominique Lavazais. Rédaction en chef du hors-série : Daniel Muraz. Coordination : Véronique Villain. Textes: Flavien Belpaume, Vincent Danet, Jacques Dulphy, Thierry Griois, Eric Jonneau, Anne Kanaan, Cécile Latinovic, George Lucas, Benjamin Merieau, Pascal Mureau, Daniel Muraz, Félix Pennel, Nicolas Totet, David Vandevoorde, Véronique Villain. Infographie : Boeki. Portfolio photos : Dominique Touchart. Mise en page: Studio PMP. Impression: Presse Flamande. Nous remercions les Editions Casterman d’autoriser la post publication de «Côtes de nuit et roses de Picardie» Photo de une : DR, malgré nos recherches nous n’avons pu déterminer les détenteurs éventuels de droits.
DANS LE CADRE DE LA COMMÉMORATION DE LA GRANDE GUERRE, LE COURRIER PICARD EST EN PARTENARIAT AVEC :
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Le commandement unique, décision Le 26 mars 1918, les chefs d’états et militaires français et anglais se retrouvent à Doullens, au nord de la Somme, pour mettre au point un commandement unique des forces alliées du front occidental.
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e 21 mars 1918, 4 h 40. Entre la Scarpe au Nord et l’Oise au Sud, 6 200 canons allemands crachent leur feu. La mort s’abat sur les positions britanniques. Le bruit est lourd, assourdissant, il réveille même les militaires français du Grand Quartier Général de Compiègne et s’entend jusqu’à Paris. La grande bataille, lancée par le général allemand Erich Ludendorff, est commencée, elle porte le nom de « Michaël ». Elle vise à séparer les Britanniques des Français, rejetant les premiers vers le nord et leurs bases portuaires et les seconds vers Paris. Même si l’opération n’est pas un franc succès pour l’armée allemande, elle permet de désorganiser les troupes alliées qui sont contraintes à un repli d’ampleur. Face à la défaite qui se fait sentir, l’entente franco-britannique a déjà montré ses failles et les tensions existant entre Pétain, commandant des troupes françaises, et Douglas Haig, chef du corps expéditionnaire britannique. Et cette entente se fissure progressivement. Amiens est menacée. La situation est grave. C’est alors que Foch, chef d’état-major et conseiller militaire du gouvernement français, insiste sur la nécessité d’un organe entièrement consacré à la conduite de la guerre alliée. C’est la naissance du commandement unique. Et l’aboutissement d’une longue et fastidieuse mise en place. Une réunion dans l’urgence « On y pensait déjà au début de la guerre, mais il y avait des tensions qui ont fait que chacun donnait les ordres dans son coin, sans concertation », explique Vincent Vasseur, directeur de l’office de tourisme du Doullennais et à ce titre aujourd’hui responsable de la valorisation de la fameuse salle, dans la mairie de Doullens.
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Dès avril 1916, lors de la troisième conférence interalliée à Chantilly (Oise), le général Joffre avait imposé un « plan d’action commun », mais chaque nation conservait le commandement de ses troupes. Un an plus tard, en novembre 1917, un Conseil supérieur de la guerre est à son tour constitué, afin d’améliorer la coordination stratégique sur le front occidental. Mais, là encore, la cohésion demeure insuffisante. Ne serait-ce que parce les objectifs des uns et des autres ne sont pas identiques. Les Anglais veulent avant tout assurer la protection et la liaison avec les ports de la Manche. Pour les Français, la priorité, c’est de protéger Paris. Mais avec l’attaque allemande qui bouscule grandement les lignes, il est plus que temps de passer à l’étape supérieure. Clemenceau obtient la mise en place de ce commandement unique. Le 25 mars, une conférence est au départ envisagée à Compiègne, dans l’Oise. Les différents dirigeants, vont en fait d’abord se réunir à Abbeville, le 25 mars, pour les prémices de la conférence qui aura lieu le lendemain. La réunion des chefs d’États mais aussi des militaires français et anglais devait se faire au départ à Dury, près d’Amiens. Ce sera finalement à Doullens, à la demande de Douglas Haig qui tenait son quartier général à Beauquesne. Le 26 mars 1918, les plus hauts responsables des deux pays se retrouvent dans ce qui était à l’époque la salle de mariages de l’Hôtel de ville. Côté français, on trouve Raymond Poincaré (président de la République), Georges Clemenceau (président du Conseil et ministre de la Guerre), accompagnés de Louis Loucheur (ministre de l’Armement) et, pour les militaires, du général Pétain (commandant des armées du front ouest), du général Foch (chef d’Etat-major) et de son adjoint, le
cruciale prise dans l’urgence
Détail du vitrail de Gérard Ansart, aujourd’hui présent dans la salle du Commandement unique à Doullens, représentant les principaux protagonistes de cette rencontre historique.
À Doullens… puis Clermont et Beauvais
PHOTO © DOMINIQUE TOUCHART
général Weygand. Les Britanniques sont représentés par le maréchal Haig, Lord Milner (pour le gouvernement anglais) ainsi que les généraux Wilson, Lawrence et Montgomery. La décision qui y sera prise scellera l’union des forces alliées et participera, entre autres, à éviter une défaite face aux Allemands. Le texte qui en sort précise que « le Général Foch est chargé par les gouvernements britannique, français et américain de coordonner l’action des armées alliées sur le front occidental. Il s’entendra à cet effet avec les généraux en chef, qui sont invités à lui fournir tous les renseignements nécessaires ». À 66 ans, Ferdinand Foch devient donc généralissime des troupes françaises et britanniques. « Tout s’est fait dans l’urgence et sans en parler. Il n‘y avait pas de service de presse présent », précise le directeur de l’Office. C’est pourquoi il n’existe aucune photo de la réunion qui s’est tenue presque secrètement. « Et il n’y avait pas le mobilier que vous pouvez voir aujourd’hui. Ils avaient pris une table d’école, tout s’est fait très vite », insiste Vincent Vasseur. Il fallait trancher et, pour une fois, laisser les ego de côté. « Foch a remporté toutes ses batailles, il était diplomate, c’est finalement lui qui a été désigné », poursuit le responsable de l’OTSI. « Les tableaux que vous voyez dans la salle ont été peints par Lucien Jonas, un portraitiste des armées. On voit que Foch tient son mouchoir en haut, alors que celui de l’Anglais tombe. » Pour lui, c’est un signe, une évidence que Foch allait devenir le chef suprême des forces armées alliées. ANNE KANAAN
Le 26 mars, Foch a donc été désigné comme généralissime par les « gouvernements britannique, français et américain ». Sauf que les Américains n’étaient pas présents à Doullens. Lorsque le général Pershing, commandant du corps expéditionnaire américain apprend la nouvelle, il décide de se rendre au quartier général de la 3e Armée, à Clermont, dans l’Oise, le 28 mars, pour, comme il l’écrit dans ses Souvenirs de guerre : « informer le général Foch de notre désir de faire tout le possible pour renforcer les armées alliées. J’avais déjà, le 25, offert nos troupes à Pétain ; mais il me sembla convenable de renouveler avec force cette offre et d’aviser Foch que j’étais prêt à jeter dans la bataille tous mes hommes disponibles… ». La démarche de Pershing est désormais gravée dans la pierre, sur une plaque commémorative posée au 29 de la rue qui porte son nom à Clermont. Désormais fort de cette légitimité complète, Foch obtient la direction stratégique des opérations militaires lors d’une nouvelle réunion, à Beauvais (toujours dans l’Oise) cette fois, le 3 avril et le 14 avril, il prend officiellement le titre de général en chef des armées alliées en France. Un rôle étendu, début mai, au front italien. Derrière ses différentes étapes, il faut voir aussi la lutte de Foch pour obtenir une véritable direction des opérations militaires, face à des chefs d’armée toujours pas forcément décidés à lui abandonner leur pouvoir, ni leurs idées sur la conduite de la bataille.
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Là où les chars s’affrontèrent pour Le 24 avril 1918, les chars allemands A7V affrontent les tanks Mark IV et les Whippet anglais à Villers-Bretonneux, pour le premier affrontement de blindés à s’être jamais déroulé sur des champs de bataille.
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out commence le 29 mars 1918 quand la 9e brigade australienne est envoyée à proximité de Villers-Bretonneux, à 20 km au nord-est d’Amiens, désertée par ses habitants, prête à contre-attaquer si la ligne de front était rompue dans le secteur de Marcelcave, ce qui se produit finalement le 30 mars mais à Aubercourt dans la vallée de la Luce. Le 4 avril, une nouvelle offensive allemande est stoppée par les troupes anglo-australiennes qui auront finalement réussi à protéger VillersBretonneux. « Cette première bataille de Villers-Bretonneux, moins connue que celle qui va suivre, a cependant déjà coûté la vie à près de 5 000 soldats dont 2 000 alliés… », détaille Yves Taté, de l’association du Musée franco-australien de Villers-Bretonneux. Il faudra y ajouter les 2 000 morts des 17 et 18 avril 1918 quant à partir de 4 heures le 17 avril les Allemands commencent à déverser sur les ruines de la ville 12 000 obus à gaz moutarde, gaz asphyxiant ou phosgène… La deuxième bataille La seconde bataille de Villers-Bretonneux débute le 24 avril. Elle fera 10 600 morts côté allemand et 12 000 côté alliés. Après un intense bombardement d’artillerie, les Allemands, partis à l’assaut dès 6 heures du matin, percent la ligne de front et investissent la ville, avec ensuite Amiens comme objectif. Ce succès rapide est dû notamment à la présence de treize énormes chars A7V de 30 tonnes et de 3,50 m de haut, chacun avec vingt et un hommes à bord : le pilote, le commandant, douze servants de mitrailleuses, trois servants de canons, trois mécaniciens et un transmetteur ! Ces treize « tanks » sont alors répartis en trois groupes : trois blindés dans le premier groupe, six dans le deuxième et quatre dans le troisième, engagé en pointe. Les tanks de ce dernier groupe
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ont pour noms Elfriede, Nixe, Schnuk et Siegfied. Egaré, L’Elfriede basculera sur son côté droit, à 9 h 45, dans une petite carrière, près de Hangard, tuant dans sa chute son commandant de bord. Quant au Nixe, c’est vers midi, après avoir réduit un nid de mitrailleuses, qu’il engage le combat contre trois chars lourds Mark IV anglais au sud du bois d’Aquenne pour le premier affrontement de blindés de l’histoire mondiale. Rapidement, le char allemand prend l’avantage sur les Mark IV anglais, des modèles dits « femelles » (car seulement armés de sept mitrailleuses alors que les Mark IV dits « mâles » sont armés de deux canons et de trois mitrailleuses). La bataille se termine en duel entre le Mark IV du lieutenant Mitchell et le Nixe qui touche d’abord le char anglais avant d’être lui-même atteint en retour. Le tank allemand peut cependant encore manœuvrer et bat en retraite sur 2 500 mètres avant d’être abandonné par ses occupants. Un peu plus tard, toujours dans ce secteur de Cachy, le Siegfried est opposé à sept chars légers Whippet qui viennent de désorganiser un regroupement en cours de deux bataillons allemands. Deux chars anglais sont détruits par le Siegfried, deux autres par l’artillerie allemande et trois seulement parviennent à regagner leurs lignes. Une contre-offensive historique Ces deux affrontements de blindés retardèrent l’avancée allemande après Villers-Bretonneux, qui ne fut plus significative. Contrairement à la contre-offensive nocturne de l’armée australienne qui, elle, le sera, puisque le 25 avril est considéré en Océanie comme une des dates les plus importantes de sa jeune histoire militaire. Depuis 1914, cette date rappelait la bataille de Gallipoli, dans les Dardanelles. Premier engagement au feu des « Anzacs » (l’Australian and Neo-Zeland
Army Corp, le corps d’armée de volontaires, formé d’abord en Egypte) et première défaite terrible, mais qui actait de l’existence de l’Australie et de la Nouvelle-Zélande comme parties prenantes à la Première Guerre mondiale. Quatre ans plus tard, c’est galvanisés par le souvenir de Gallipoli que les Anzacs montent à l’assaut à VillersBretonneux, pour emporter cette fois une victoire militaire et symbolique. Vingt ans plus tard, c’est Villers-Bretonneux qui sera ainsi retenu comme site d’érection du mémorial national australien pour le front occidental. Et c’est là aussi qu’a lieu tous les ans, le 25 avril à l’aube, une importante cérémonie du souvenir lors de l’Anzac Day – devenu une sorte de 11 novembre pour Australiens et Néo-Zélandais. La bataille des 24-25 avril 1918, quand elle se termina il y a un siècle, laissa deux chars allemands quasi-intacts sur le terrain : L’Elfriede, renversé, qui fut récupéré par les Français et servit de cible pour tester son blindage face aux armes et munitions françaises et le Mephisto, tombé en panne. Récupéré par les troupes australiennes, ce dernier fut ensuite envoyé comme trophée de guerre en Australie. Il est toujours exposé au Queensland Museum de Brisbane. C’est, aujourd’hui, le seul char A7V visible et rescapé du ferraillage après la Première Guerre mondiale. Sa reproduction en maquette est visible au musée franco-australien de Villers-Bretonneux. Quant à cette première bataille de chars de l’Histoire, une stèle la rappelle, érigée, depuis avril 1998, sur la route départementale 168 reliant Cachy à Villers-Bretonneux. THIERRY GRIOIS
la première fois dans l’Histoire
Les combats des deux batailles de Villers-Bretonneux vont transformer la ville en un champ de ruines, comme en témoigne cette image. En dessous, un des chars de la bataille. PHOTOS © COLLECTON Y.TATÉ
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