Savoir faire picard

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Artisanat en Picardie

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EDITO

ARTISAN À DEUX MAINS ET À JAMAIS OLIVIER HANQUIER JOURNALISTE

À

part l’électricité, le travail est le même depuis mille ans », explique Xavier Questiaux tailleur de pierre dans ce hors-série dédié aux artisans picards. Des artisans dont le premier outil est leur main. Gantées, usées, massives, musclées, ridées. Bref, des mains de travailleurs. Comme Xavier Questiaux, vingt-huit autres « créateurs » font vivre des savoirfaire séculaires au fil de ces 76 pages alors que dans le même temps, une étude dévoile que 80% des élèves actuellement en primaire pratiqueront demain un travail qui n’existe pas aujourd’hui... De quoi renforcer encore un peu plus l’importance de l’artisanat sous toutes ses formes, l’importance de la matière première à l’heure du tout plastique, du tout jetable ; l’importance du travail des mains à l’heure des robots intelligents et connectés ; l’importance de la transmission par l’apprentissage, encore et toujours en mal de reconnaissance. Rien ne remplacera les mains quand il s’agit de façonner un bloc de granit, de terre cuite, de coudre une robe de mariée unique, de redonner le bon son à un violon, une nouvelle âme à un livre usé par le temps... Et des mains pour demain afin de préserver des métiers ancrés dans la tradition d’une région (les chaisiers, les souffleurs de verre dans la vallée de la Bresle), d’une ville (la fabrication des tapisseries nationales à Beauvais), d’une saga familiale avec les frères Oger, ébénistes au chevet des châteaux et des églises. Dix doigts aussi pour une simple poignée de mains - rien de mieux- pour sceller l’accord entre l’artisan et son client. Une poignée de mains encore à l’heure des mails et des textos : juste pour remercier ces artisans picards d’avoir consacré un peu de leur temps. Un temps précieux qu’ils utilisent autant qu’il faut pour créer de leur main notre bonheur de demain.

SAVOIR-FAIRE PICARD, DES ARTISANS AUX MAINS D’OR Novembre 2018 Hors-série édité par le Courrier picard Directeur de publication : Jean-Dominique Lavazais. Rédacteur en chef : Mickaël Tassart. Coordination rédactionnelle : Olivier Hanquier. Maquette et mise en page : Olivier Hanquier. Infographies : Agence Boecki. Photo de une : Fabrice Julien. Crédit photos : Magali Mustioli Hercé, Thierry Griois, Phi-

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lippe Fluckiger, Matthieu Hérault, Denis Desbleds, Camille Pineau, Fabrice Julien, Léa Cazanas, Aude Collina, Nicolas Totet, Mélanie Carnot, Gaël Rivalain, Gautier Lecardonnel, Anne Kanaan, Raphaël Nappey, Fred Haslin, Fred Douchet, Olivier Hanquier, Sylvie Molines, Pascal Mureau, Vincent Héry, Julien Gris, Amélie Soirant, Emilien Lortal.

Editions Courrier picard, 5 boulevard d’Aval CS 41021-80 010 Amiens Cedex 1 - Tél 03 22 82 60 00 www.courrier-picard.fr Impression : Imprimerie Presse Flamande, rue du Milieu 59190 Hazebrouck. Tous droits réservés. Aucune partie de ce livre ne pourra être reproduite, ni diffusée sous aucune forme, ni par aucun mouyen électronique, mécanique ou d’autre nature, sans l’autorisation écrite des propriétaires des droits de l’éditeur ©2018 - Courrier picard.

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LES ARTISANS AUX MAINS D’OR DANS LA RÉGION D’AMIENS Mathieu Bricheux, luthier à Amiens Page 10 Laure Bruas, céramiste à Vers-sur-Selle Page 12 Cédric Despagne, ferronnier d’art à Poulainville Page 14 Carine et Sébastien Chevalier, bijoutiers à Amiens Page 16 Famille Tourneur, chaisiers à Neuville-Coppegueule Page 18 Julien Magnier, charcutier à Poix-de-Picardie Page20 Walter Blanger, artisan métallier à Beauquesne Page 22 Émilie Rousseaux, sérigraphiste à Dury Page 24 CPIHSEA4_Artisans.indd 9

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MATHIEU BRICHEUX RÉPARER, SON VIOLON D’INGRES Depuis dix ans, Mathieu Bricheux bichonne les instruments de musique dans son atelier amiénois. Avec comme leitmotiv, la perfection, toujours la perfection.

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e pas aller plus vite que la musique. C’est un des secrets de Mathieu Bricheux, talentueux luthier installé à Amiens depuis dix ans. Dans les yeux clairs de ce grand jeune homme de 38 ans, sommeille un perfectionniste acharné. Dans son petit atelier de la rue Frédéric-Petit, à la lueur d’une lampe, loin du regard des passants, Mathieu bichonne, répare, redonne vie à des trésors, avec patience et minutie, humilité aussi : « On reconnaît le travail d’un luthier à sa constance, à la régularité, la précision, la perfection de son travail ». Mathieu est né luthier, sans le savoir. Originaire du Vimeu, terre d’industrie et de verts pâturages, il s’oriente vers des études de gestion, à Amiens. « En faisant un stage en entreprise, j’ai compris que je ne pourrai faire cela toute ma vie, ce n’était pas ma voie ». Le jeune homme n’a pas

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vraiment une âme de gestionnaire. Son truc, c’est plutôt la musique. Il aime jouer de la guitare. Et comme le fou de bolides qui veut percer le mystère d’un moteur de Ferrari, Mathieu nourrit un rêve : fabriquer son propre instrument. C’est cette idée qui va tracer son destin professionnel. Renseignements pris, il ne peut intégrer l’École française de lutherie, qui, à cette époque là, n’accepte pas de candidats de plus de 17 ans. Direction l’Angleterre, dans un lycée technique situé dans les environs de Nottingham, où il passera cinq années et enchaînera deux cursus, guitare, puis violon. « J’avais enfin trouvé ma voie », raconte Mathieu, qui effectuera sa première expérience professionnelle chez un luthier de la région parisienne, avant de s’installer à Amiens en 2009, tout près du Conservatoire de musique.

C’est ici, dans ce petit local d’une vingtaine de mètres carrés qu’il répare chaque année des dizaines de violons, en fabrique aussi, quand le temps le lui permet. « La création est certainement la partie la plus intéressante de mon métier, mais réaliser une seule pièce peut prendre de un à trois mois de travail, malheureusement, je n’ai pas ce luxe. »

Créer est un luxe Outre son activité de réparation, et de vente, Mathieu passe également beaucoup de temps à régler des instruments. Le réglage, dernière étape de la conception d’un violon, peut être la plus importante, car c’est elle qui va donner sa sonorité, sa singularité à l’instrument. « Le bois, même issu d’un même arbre, ne donnera pas forcément le même résultat, il y a une infinité de pa-

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PIÈCES D’EXCEPTION

Legende LEGENDE CREDIT

Mathieu Bricheux, un perfectionniste acharné.

Si le mot luthier provient de luth, instrument du Moyen-Âge tombé en désuétude, c’est bien le violon qui tient la corde dans le métier. Et parfois, pas n’importe quels violons. Au cours de sa jeune carrière, Mathieu Bricheux a eu la chance, mais aussi la lourde responsabilité, de devoir réparer des pièces d’exception. À commencer bien sûr par le célèbre Stradivarius, la Roll’s du violon. « J’ai eu l’occasion de travailler sur une pièce du 17e siècle, c’est assez vertigineux, mais il faut arriver à s’en détacher, confie le luthier. Il y a dans ces cas-là une pression particulière, mais j’y apporte le même soin que pour n’importe quelle pièce. » Et comme le bon vin, il paraît que la qualité d’un tel trésor s’améliore avec le temps. Ces « grands crus » peuvent parfois atteindre des sommes qui dépassent l’entendement. En 2011, lors d’une vente aux enchères, un Stradivarius de 1721 a été attribué à 11,1 millions d’euros.

ramètres très difficiles à maîtriser. » Pour mettre au point ses violons, Mathieu travaille en étroite collaboration avec les musiciens. « Ils ont un impact sur le résultat final et développent une sorte de sixième sens, c’est assez bluffant et fascinant, raconte le luthier. Ils ont tout de même besoin de moi pour tendre vers le meilleur, il y a une complicité à trouver, et c’est aussi ce qui est passionnant. » Il arrive également que des musiciens en panique viennent lui confier leur instrument à la veille d’un concert. Le genre de miracle que le luthier se refuse de promettre. « Je dois savoir répondre sagement, je ne peux pas dire oui à tout, une réparation demande du temps. » Ne jamais aller plus vite que la musique. FABRICE JULIEN

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LAURE BRUAS CÉRAMISTE DE LA MER

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e hasard et les maux de la vie ont amené Laure Bruas à devenir céramiste. À 52 ans, elle vend la beauté de la baie de Somme au travers de ses réalisations : phoques, avocette, martin-pêcheur, en version raku. « C’est l’effet domino », chante Bénabar dans sa chanson. Laure Bruas, 52 ans l’a connu à sa manière. Des effets douloureux avec la perte de sa mère puis de son père en quelques années. Survient dans la même période un licenciement pour cette visiteuse médicale. « C’est dur à accepter. Cela ne fait jamais plaisir. Mais finalement, j’avais envie d’autres choses, cela a été l’occasion de faire le point, explique cette acharnée du travail. Quand on travaille beaucoup on s’en sort toujours ». Encore plus quand sa maison prend feu. Nouveau coup dur. « Il ne pouvait plus m’arriver grand-chose. Ma compagne m’a dit “toi qui aimes bien travailler de tes mains, il y a un atelier de céramique. Vas-y. Tu verras bien.” » Nous sommes en 2008. D’atelier en atelier, Laure apprend le métier sur le tas. « J’ai toujours aimé travailler de mes mains, du bois, du métal. La céramique s’est imposée très vite à moi. » Et pas question de parler de crise de la quarantaine « Je crois que j’ai toujours fait ce que je voulais faire finalement. » Comme quand elle décide entre deux contrats de visiteur médical de se lancer dans l’humanitaire. Cela durera cinq ans.

« À chaque fois, on donne naissance à quelque chose » En 2012 Laure Bruas est auto-entrepreneuse. Pour devenir « vraiment » artisan et passer le cap, elle a l’idée de façonner avec ces pains d’argile des phoques, devenus depuis plusieurs années l’un des emblèmes de la baie de Somme. Le visionnage de vidéos de cet animal dans son écosystème apporte plus de réel, plus de vie aux créations. L’émail et les craquelures données avec la méthode japonaise du raku font le reste. « J’ai tout de suite su que cela allait marcher. Je ne suis pas picarde de souche, mais la région recèle de belles choses qu’on ne met pas assez en valeur. »

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Laure Bruas en pleine façonnage de son animal préféré : le phoque.

D’expositions en boutique éphémère, l’artiste vante désormais la baie de Somme avec les phoques. « Et façonner des animaux. Cela vient tout seul. Je fais travailler mes pouces et c’est parti, poursuit celle qui réalise d’autres animaux comme des mésanges, des ours polaires, des avocettes des vaches, des ânes. Et aussi quelques objets de design. Une fois l’idée trouvée, il fallait « travailler pour

s’en sortir ». Comme toujours. Et c’est dans son atelier au fond de son jardin à Vers-sur-Selle dans la Somme que Laure donne vie à ses animaux. « Le travail des mains avec l’argile procure toujours de la magie. On donne naissance à quelque chose. » En tout cas, celle qui gagne « moins bien sa vie qu’auparavant » n’est pas prête d’en changer. « Avec l’âge nos centres d’intérêt évoluent. Au-

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CHOC THERMIQUE SUJETS UNIQUES

jourd’hui mon travail m’apporte la sérénité. » Pour la prolonger le plus longtemps possible, elle prend soin de ses mains. « J’ai arrêté le tricot le soir. » Et quand elle regarde ses mains, « je vois les traces de l’âge, cela m’amuse. De toute façon, avoir les mains dans la terre cela ne doit pas être très mauvais. »

« Le bonheur dans le hasard ». C’est la définition du raku, méthode utilisée par Laure Bruas. Une fois les animaux modelés, façonnés, et séchés pendant une quinzaine de jours, place à une première cuisson électrique à 1000 degrés. C’est l’obtention des « biscuits ». Ces derniers passent à l’émaillage soit au pinceau, par aspersion ou trempage. Ensuite les objets repassent dans un four à gaz à1000 degrés pendant une heure. En sortant les pièces du four, l’émail subit un choc thermique, se craquelle, se rétracte de façon aléatoire. Les créations sont alors enfumées avec des copeaux de bois. Les craquelures formées par le choc thermique se noircissent. « La cuisson avec sa part d’inattendu et accidentel donne aux animaux la force et la beauté des choses non maîtrisables. Les craquelures d’une pièce raku sont uniques. Chaque animal comme dans la nature a sa propre identité », détaille Laure Bruas. C’est pourquoi elle ne travaille pas sur commande. « C’est le hasard qui termine le travail. »

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