Graines de lecteurs Récits
École John Kennedy (Lyon) - Classe de CM1
Quinze lutins sur le papier peint
Aujourd’hui, comme d’habitude, la maîtresse demande qui sont les messagers pour aller porter la feuille de cantine chez le directeur. Comme chaque jour tout le monde veut y aller. « Moi, moi » hurlent tous les élèves. « C’est bon, Rose et Enzo, allez-y. On changera les services demain », décide la maîtresse. Nous commençons à descendre au premier étage quand, tout à coup, par la fenêtre, on aperçoit les arbres de la rue qui grandissent, grandissent… Ils cassent les vitres et se mettent à pousser dans les escaliers. Nous voulons faire demi-tour pour vite retourner en classe mais une branche nous pousse et nous oblige à avancer. Nous résistons mais soudain tout le sol s’écroule sous nos pieds.
Tout devient sombre, puis nous tombons et nous nous retrouvons assis dans un nuage de coton. Des petites voix désagréables passent près de nous et deviennent de plus en plus fortes, elles remplissent nos têtes avec des « Esssssst-ce que ? Essssssst-ce que ? Essssssst-ce que ? » Soudain le brouillard disparaît et un silence retentit. Nous voyons alors des formes noires sauter d’arbres en arbres partout autour de nous. Ces formes venues on ne sait d’où, se posent par terre. Nous découvrons alors des petits bonshommes semblables à des lutins bizarres. Ils sont alignés sur des souches d’arbres et ils portent tous un manteau noir. Tous pareils avec leur torche rouge, leur bonnet rouge, leurs chaussures recourbées, leur grand nez pointu, leurs yeux ronds étonnés et leur silence terrifiant. Nous en avons froid dans le dos.
Les lutins se rapprochent de nous pas à pas avec leur nez pointé en avant et ils nous indiquent une direction sans parler. Nous sommes effrayés et nous les suivons tout tremblants. Enzo me sert la main très fort. Nous arrivons à une porte gigantesque. Il y a des milliers de points d’interrogation dessus. Un des lutins s’approche, il lève les bras en l’air et la porte s’ouvre. Nous voyons alors une pièce immense et sombre. Il y a un trou énorme au plafond, dehors il fait complètement nuit. Les petits hommes se placent en rond autour de la salle sauf deux qui restent derrière pour nous bloquer le passage. Tout autour de nous les murs sont formés par des lettres épaisses en pierre. En regardant bien ces drôles de parois nous voyons que ces lettres forment des mots et ces mots des phrases qui se terminent toutes par un point d’interrogation. Encore des questions ! Est-ce que le rouge est un démon qui bouge ? Est-ce que les yeux sont des miroirs ? Est-ce que la lune est timide ? Est-ce que les nuages sont des voyages ? Est-ce que les étoiles sont des souvenirs ? Est-ce que les chats sont des caresses ? Est-ce que le vent est vivant ? Quelle cage faudrait-il pour le capturer ? Comment peut-on réveiller un arc en ciel sans couleur ? Et encore plein d’autres questions qu’on n’arrive pas à lire à cause du
manque de lumière Au fond de la pièce il y a un roi, un roi tout gris, tout triste, il gémit : « Aidez-moi. » - Que pouvons-nous faire ? demande Enzo - Je suis prisonnier de ces lutins maléfiques. Ce sont les gardiens des questions. La fée rouge m’a rempli la tête de questions. Elles me rongent le cerveau, je deviens fou, plus rien ne me donne de la joie. Je vois ces lutins tourner devant moi et se moquer de moi sans arrêt. Je n’en peux plus. Je lui demande à nouveau : - Que pouvons-nous faire ? - Je viens du monde de l’insouciance et de l’innocence. Il y a longtemps, cette fée était mon amie. Elle riait tout le temps et son rire ressemblait à mille clochettes de bonheur. Nous étions dans la même classe à l’école. J’aimais apprendre, je répondais toujours aux questions de la maîtresse, je posais plein de questions. Un jour, Violetta devint jalouse de moi, je n’ai jamais compris pourquoi. Alors un jour elle se mit à me poser plein de questions sans réponses. Ses joues devenaient de plus en plus rouges et elle était tellement enragée que son corps entier semblait se couvrir de flammes rouges qui dansaient autour d’elle. Une vraie sorcière ! A la fin de cette colère elle me dit « C’est bon, tu as compris ? Tant que tu n’auras pas trouvé une solution à toutes mes questions tu seras mon prisonnier. Les gardiens des questions te garderont dans un monde sans gaité, ça t’apprendra à ne pas avoir fait attention à moi.» Je ne la revis jamais et voilà des années que je m’ennuie ici. - Si je comprends bien elle était une petit fée angélique et elle s’est transformée en monstre rouge, dit Enzo. Je demande avec un sourire : - Alors, le rouge peut donc être un démon qui bouge ? A ces mots cinq gardiens se mettent à taper des pieds et disparaissent en fumée, aspirés par le mur qui perd ses lettres et devient lisse à l’endroit où se trouvait la première question. Et à la place, une frise apparaît, formée par cinq lutins aux bonnets rouges et aux manteaux colorés qui se donnent la main. Une lueur naît dans les yeux du roi. Il soupire : - Vous avez trouvé une réponse. Peut-être qu’il faut que j’arrête de vouloir penser et répondre à ces questions. Peut-être qu’on peut trouver des réponses sans réfléchir, dans nos souvenirs ou autour de nous. Mais je suis trop fatigué.
On a l’impression que la flamme des torches devient plus claire et que le ciel au-dessus de nous est moins noir. Enzo et moi nous nous regardons. Il dit : - Je me vois dans tes yeux. - Et moi je vois tout dans les tiens : les flammes des torches et même ce lutin derrière moi qui rêve de te sauter dessus et de t’étrangler. Les yeux sont des miroirs car ils regardent les autres et les miroirs nous voient aussi. Nous entendons à nouveau des tapements de pieds, une question disparaît et cinq autres nains se retrouvent peints sur le mur. La lumière grandit encore un peu. Par le trou du plafond nous apercevons des étoiles. Enzo se couche parterre et fixe les lumières, il ferme les yeux. - Et oh, que fais-tu ? - Chut ! Je rêve. - Moi, je crois que tu es fou . - Ma maman me disait, quand j’allais me coucher et que je ne voulais pas dormir parce que j’avais peur : « Regarde le ciel, chaque étoile te surveille et te protège. Leur lumière arrive de l’infini. » Ça me calmait et je m’endormais. Le soir où ma grand-mère est morte, j’ai vu une grosse étoile, une nouvelle, elle clignotait un peu comme pour me dire « Salut ! » Alors
chaque fois que je vois un ciel comme ça, je pense à ma grand-mère et oui, oui, mille fois oui, les étoiles sont de merveilleux souvenirs. Nous entendons à nouveau des tapements de pieds, une question disparait et cinq autres nains se retrouvent peints sur le mur. La frise fait presque le tour de la pièce. La lumière grandit encore un peu. Par le trou du plafond, entre les étoiles, nous apercevons une lueur. Enzo saute sur ses pieds et il me dit : - Pssst, Rose, regarde là-haut, c’est la lune, on dirait qu’elle est entrain de fondre, elle craint peut-être le soleil ? - Ou elle joue à cache-cache avec lui. Le plus souvent on la voit la nuit quand il n’est pas là. - Oui, ils sont différents mais on dirait qu’ils se taquinent et se cherchent. Et ça arrive qu’ils se rencontrent. L’autre jour, dans le monde d’avant, le soleil brillait de toutes ses forces devant la lune et elle, à côté essayait de lui ressembler et de se faire belle mais elle ne faisait qu’une petite lumière. - Enzo, tu sais à quoi ça me fait penser ? Ca me fait penser à mon enfance avant, quand j’étais amoureuse d’un très beau garçon. Je voulais toujours être à côté de lui mais en même temps j’avais très, très peur, alors je n’osais rien lui dire. - C’est la timidité de l’amour, peut-être que la lune est amoureuse du soleil et que ça la rend timide comme tout le monde.
Nous entendons à nouveau des tapements de pieds, la question disparait et cinq autres nains se retrouvent peints sur le mur. La lumière grandit encore un peu. On entend alors des cris, deux nains se disputent en regardant leurs compagnons aplatis sur le mur : - Je te l’avais dit que tes questions étaient nulles. Ce vieux roi a le cerveau tout endormi, mais qui a eu la bonne idée de faire venir ces deux gosses ? Ils sont trop malins et bavards. C’est qui, hein qui ? - C’est pas moi ! - Qui alors ? - C’est ces deux gros malins de Splich et Splach qui voulaient voir ce que c’était une école. Ils n’avaient pas le droit de s’approcher de la zone, mais ils ont désobéi à Violetta. Pour les punir et elle a voulu les transformer en pierre mais son sort était trop fort et il a fait effondrer la porte interdite. Ça a fait une poussière énorme et les deux gamins sont tombés du ciel. - Il faut les empêcher de parler, sinon ils vont tous nous faire disparaître avec leur blabla. » Enzo et moi nous blottissons l’un contre l’autre, les deux nains s’avancent vers nous l’air menaçant. Soudain on entend une grosse voix : « Fermez les portes, ce vent est insupportable ! » Les nains retournent vers leurs compagnons à toute allure et criant : « Il se réveille, il se réveille ! » - De qui est-ce qu’ils parlent ? me demande Enzo - Du roi, regarde- le, il est tout redressé et sa barbe n’est plus grise mais brune. - On dirait qu’il rajeunit. - Regarde là-haut, il fait presque jour ! - On voit les nuages qui passent. - Où vont-ils ? - Quand j’étais petit, j’observais les nuages avec mes parents. C’est rigolo, ils changent de formes, ils s’étirent, ils bougent tout le temps. - Mais oui, je me souviens, avec ma petite sœur, nous allions tous les samedis au Parc, on s’allongeait dans l’herbe verte et on regardait le ciel. On aurait dit que les nuages étaient toujours pressés, comme des voyageurs. - On dirait que leur forme représente des animaux ou des monstres et qu’ils vont à un endroit, peut-être pour pleuvoir et continuer leur chemin dans les rivières. On peut partir avec eux dans des rêves.
- Moi, dit Rose je dis que les nuages sont des voyages, on peut aller très loin avec notre imagination. Tapements de pieds. La lumière augmente encore et il me semble bien que le roi a fait un petit sourire rapide en disant « merci ! » - Et c’est grâce au vent qu’ils bougent et avancent, dit Enzo qui n’a rien vu. - Oui, il a du souffle et de la force, il fait bouger les nuages, les feuilles des arbres, il nous rafraîchit l’été, il est bien présent dans la nature. On ne pourra jamais l’arrêter. - Mais les ailes des oiseaux ? Ce sont bien des pièges à vent ? Des pièges oui mais pas des cages. Jamais on ne pourra l’enfermer dans une cage. - Oui le vent est bien vivant. Des tapements de pieds encore plus forts qu’avant et hop quinze lutins sur le papier peint ! Et moi je me mets en boule : - Je veux rentrer à la maison - Ne pleure pas, il faut qu’on se parle encore pour tous les scotcher sur le mur. - Et après ? On ne pourra jamais retrouver le chemin. J’ai froid, j’ai peur, je veux rentrer à la maison. - Tu ne veux pas ton doudou ou ton chat en plus ? - Tu pourrais être gentil ! Mon chat il me fait plein de câlins, il ronronne et me calme. - Oui, et aussi il griffe et il crache ! - C’est quand on l’embête. Avec moi ses coussinets sont tendres et quand il vient sur moi et qu’il se blottit en me regardant en arrière pour que je le caresse il est tellement doux que c’est lui la caresse. A ce moment le sol tremble et en plus des nains évaporés et collés sur le mur on voit que le roi se met debout, il ressemble à un jeune homme, il essaie de marcher mais il retombe sur son siège. Des gouttes de pluie tombent par le trou du plafond. Il ne reste presque plus de nains mais ils nous surveillent encore. Le roi se met à parler : - Là-bas on a des sentiments, dans ces sentiments on a du cœur, dans ce cœur, on a de l’amour. Dans notre amour il y a les personnes qu’on aime.
Pour moi, il y a mes parents. Dans notre amour il y a l’aventure et dans l’aventure il y a le danger, dans le danger il y a des cauchemars. Dans les cauchemars il y a des rêves et dans les rêves, il y a la joie de vivre. Dans cette joie de vivre, il y a Violetta et avec elle tout devient beau et lumineux. Tout est possible même éclairer un arc-en-ciel sans couleur. Tapements de pieds, fumée et frise colorée. Le trou du plafond devient encore plus grand, le soleil se lève et un immense arc en ciel multicolore en forme de pont apparaît. Enzo me dit : - Viens vite on va se sauver ! - Mais, et le roi, on ne va pas l’abandonner, et il y a encore des questions sur les murs : Est-ce que le blanc est différent ? Qui console le ciel quand il a des larmes ? Est-ce que le bazar est dû au hasard ? Est-ce que ……… - Ne t’inquiète pas, il va se débrouiller. Allez dépêche-toi ! Je dis à Enzo : - Je crois que c’est le chemin pour rentrer à l’école, - Oui, dit Enzo, nous avons aidé le roi alors nous pouvons repartir. Enzo me donne la main et nous courons sur l’arc-en-ciel à toute vitesse, comme si on était aspirés. On passe au-dessus de la forêt et on voit une forme rouge voler à toute allure et entrer dans la salle du roi. Puis des milliers de couleurs comme des feus d’artifice pleins de bonheur sortent de la pièce.
On arrive au bout de l’arc-en-ciel qui disparaît tout d’un coup. Et on se retrouve devant le bureau du directeur qui nous dit : «Bonjour ! » Nous lui donnons la feuille de cantine qui est revenue dans nos mains. On se regarde, on ne sait pas quoi dire, on ne sait pas quoi faire. Il nous dit : - C’est bon, merci, vous pouvez retourner dans votre classe. On remonte l’escalier, il est redevenu normal, le couloir est normal, les manteaux sont pendus de chaque côté . On arrive à la classe, on entre et la maîtresse nous dit de prendre nos cahiers du jour. Je regarde Enzo, on dirait que rien ne s’est passé. Le soir je n’ose rien dire à la maison. Le lendemain matin, comme d’habitude, la maîtresse demande qui sont les messagers pour aller porter la feuille de cantine chez le directeur. « C’est Rose et Enzo » dit Ali pour faire son intéressant. Il ne pourrait pas se taire un peu ? Enzo me chuchote : - Vas-y toi, moi j’ai mal à la jambe, - Pas question espèce de lâche, tu viens avec moi ! - Je peux pas, ma jambe est bloquée. - C’est pas vrai. - Si. - Menteur ! - Arrêtez ! crie la maîtresse. Je ne comprends pas d’habitude vous vous battez pour porter la feuille donc vous y allez tous les deux Rose et Enzo, allez hop, hop hop! On n’a pas le temps de changer les services ce matin, on le fera demain.». « Ou jamais ! » murmure Ali. Enzo marmonne : - J’espère que ça ne va pas encore s’effondrer ! Il commence à sortir de la classe, je n’ai pas très envie de descendre. On avance avec prudence. Tout se passe bien dans l’escalier puis dans le couloir. Mais devant la porte du directeur, j’entends Enzo dire « Oh, oh ! », je m’approche et je reste paralysée : sur la porte il y a une frise de nains peinte de toutes les couleurs, il y en même un qui a l’air de se moquer de nous. On jette la feuille et on remonte à toute allure dans la classe. - Maîtresse, le directeur a dit qu’il faut que tu changes les services !
7è m e s A s s i s e s I n t e r n at i o n a l e s du R o m a n 27 mai - 2 juin 2013
17 classes primaires du département du Rhône ont lu, rencontré et écrit avec :
Gilles Abier, Jean-Philippe Arrou-Vignod, Audren, Hélèna Villovitch Les versions intégrales des histoires écrites par les enfants sont disponibles sur www.villagillet.net Avec les Éditions Célestines : http://petits livres.free.fr