Magie Cherfi dans Nous, mars 2017

Page 1

L’invité Le rêve déçu d’une République Black-blanc-beur

Les mots de Magyd Cherfi

Magyd Cherfi

Zebda. À près de 55 ans, Magyd Cherfi jonglent toujours entre les mots et les sons. Mais pas seulement. Conteur invétéré, il transforme ses soirées en occasion. Occasion de parler fraternité et de se demander « pourquoi on y arrive pas dans le monde, pourquoi ça ne fonctionne pas ? » Occasion également « d’interpeller sur des questions de société » telles que la sexualité, la religion, la culture, l’identité. Derrière son piano droit, armé de sa voix et de ses textes, l’éternel Toulousain n’a pas abandonné son rêve d’une république généreuse et black-blanc-beur.

Le sésame républicain et l’attente d’une société pour tous

L’éternelle fêlure : « être Français et devoir le devenir »

Récit haut en couleur, à la verve poétique et décomplexée, l’ouvrage est un acte intentionnel : « Je raconte aux Français une histoire de Français. Personne ne le fait, alors nous faisons nous-mêmes les historiens pour raconter l’histoire de ceux qui sont venus d’ailleurs », assume t-il. Un acte qui ne cache pas la fêlure originelle. Celle de « n’être jamais vraiment Français parce que l’on s’appelle Magyd ou Mohammed », celle de la suspicion qu’il « croise toujours dans certains regards dans la rue », celle de l’exclusion « du marché du travail et des instances politiques. » Après les attentats de novembre 2015, il publie une vibrante tribune intitulée « Carnages » et déclare devenir « solennellement français. » Dans la foulée, les débats sur la déchéance de nationalité et l’accueil des migrants ruinent son allant. « Mon militantisme est aujourd’hui plus personnel, confie t-il, mais j’attends encore d’une gauche digne de ce nom qui se batte pour une République de la multitude. »

l a entamé une tournée en octobre dernier. Un spectacle de lectures musicales dans lequel il mêle des textes issus de ses trois récits littéraires et des titres de ses albums solo ou hérités de

S’il s’avoue « fatigué » de voir demeurer et se banaliser les discours des politiques et des quidams sur « la France éternelle qui serait blanche et catholique », Magyd Cherfi ne baisse pourtant pas les bras. En 2016, il a publié « Ma part de Gaulois ». Un récit personnel dans lequel il évoque le passage de son bac. « Un des moments les plus importants de ma vie. Ma mère se serait pendue si je ne l’avais pas eu », reprend-il. Une aventure qui traverse l’année 1981 et l’élection de François Mitterand, premier président de gauche de la cinquième république. « Mes potes de lycée me disait, « vous les magrébins, vous allez voir ce que c’est que la fraternité. Le soir mon père me disait, « faisons nos valises, nous rentrons en Algérie (1) », répète Magyd Cherfi à l’envi.

Toulouse et l’amour des mots

De Zebda aux albums solo

Un engagement politique motivé

Son nouvel et troisième album solo « Catégorie Reine » est annoncé pour la fin mars. Mais c’est avec Zebda que le chanteur et parolier débute sa carrière musicale. Magyd Cherfi y cultive sa verse et sa plume. Découverte du Printemps de Bourges en 1990, le groupe enchaîne les succès avec Le Bruit et l’Odeur, en 1995, et Tomber la chemise, en 1999. Attachés à un héritage communiste, les Toulousains de Zebda participent au projet Motivés en 1997, dont l’album éponyme regorge de chants de lutte, dont le célèbre chant des partisans. En 2014, le groupe a sorti son huitième opus, Comme des cherokees.

En 2001, il rejoint les soixante-neuf candidats de la liste Motivé-e-s aux élections municipales de Toulouse. Original, le mouvement est né dans les quartiers nord de la ville et associe salariés, demandeurs d’emplois, artisans, étudiants, professions libérales, militants associatifs, ingénieurs et employés et porte un projet de démocratie participative. En 2008, Magyd Cherfi rejoint pourtant la liste du candidat socialiste Pierre Cohen. Après José Bové en 2007, il soutient l’ouverture large du Front de Gauche à la Présidentielle de 2012. En 2017, c’est en Benoît Hamon qu’il reconnaît ses valeurs.

Il a chanté à l’unisson avec Zebda, s’est engagé avec Les Motivés et a trouvé dans la plume un chemin plus personnel. À bientôt 55 ans, Magyd Cherfi veut encore une France pour tous.

I

L’artiste et écrivain, né en 1962 à Toulouse, a grandi avec ses parents kabyles et ses frères et sœurs dans la cité d’urgence des Izards, au nord de la ville rose. Nourri d’une culture algérienne, de la réalité de l’immigration autant que du savoir qu’il ingère à l’école publique, Magyd Cherfi évoque souvent une « schizophrénie identitaire ». Est-il « arabo-beur, francomusulman, berbéro-toulousain, gauloisbeur, franco-kabyle, maghrébo-apostat » ? Dans l’écriture, il trouve une manière constante de naître à lui-même. En 2004 et 2007, il publie successivement Livret de famille et La Trempe. 22

Virginie Jourdan (1) Durant la guerre d’Algérie, François Mitterand a été successivement ministre de l’intérieur et ministre de la justice et a consenti à l’envoi de contingents militaires en 1956.

NOUS n°216 - 1er trimestre 2017


Turn static files into dynamic content formats.

Create a flipbook
Issuu converts static files into: digital portfolios, online yearbooks, online catalogs, digital photo albums and more. Sign up and create your flipbook.