Un projet « domestique » pour les malades d’Alzheimer ? Du modèle institutionnel à une architecture normale, domestique et sensible en contexte urbain Mémoire de master présenté par Virginie SABIN le 25 janvier 2017 sous la direction de Vinicius RADUCANU Domaine thématique : Habiter
Composition du jury : M. Vinicius RADUCANU, docteur, architecte, maître-assistant à l’ENSA Montpellier M. Nicolas PAULI, docteur, ingénieur structures, professeur à l’ENSA Montpellier M. Alexandre NEAGU, architectue, maître-assistant associé à l’ENSA Montpellier M. Guillaume CALAS, architecte, maître-assistant associé à l’ENSA Marseille
« Je suis convaincu qu’un bâtiment réussit doit être capable d’absorber les traces de la vie humaine et qu’il peut acquérir ainsi une richesse particulière. Je pense bien sûr à la patine que l’âge donne aux matériaux, aux petites égratignures, à l’éclat terni et écaillé de la laque et aux arêtes polies par l’usure. Mais lorsque je ferme les yeux et essaie d’oublier ces traces physiques et mes premières associations d’idées, il me reste une autre impression, un sentiment plus profond : la conscience de l’écoulement du temps, la sensation de la vie humaine qui s’accomplit dans les lieux et dans les espaces qu’elle charge à sa manière » Peter Zumthor
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REMERCIEMENTS
Je tiens à remercier avant tout, mon directeur de mémoire
Monsieur Vinicius Raducanu, enseignant à l’ENSAM, de m’avoir accompagnée tout au long de cette réflexion, et de n’avoir eu de cesse de me faire rebondir dans l’avancée de ce travail. Son soutien, son esprit critique et ses qualités humaines ont été d’une grande aide. Je remercie aussi le Conseil Départemental des Landes, et tout particulièrement Monsieur Francis Lacoste et Madame Tiphaine Chatton, pour leur accueil au sein de leur service, et la confiance qu’ils m’ont témoigné. C’est grâce à leur confiance que j’ai pu réaliser un diagnostic qui a été une immense source d’information pour la réalisation de ce mémoire. Je tiens à remercier également toutes les personnes qui ont nourri ces recherches : directeurs d’EHPAD, personnel soignant, résidents, aidants, pour leur accueil et le courage dont ils font preuve au quotidien. Ces échanges ont été d’une richesse et d’une aide inestimable, renvoyant toujours vers de nouvelles perspectives. Je remercie également toutes les personnes, amis et famille, qui ont contribué de près ou de loin à ce travail.
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AVANT-PROPOS
Travailler au sein d’une maison de retraite durant plusieurs
étés a fait naître en moi un intérêt particulier pour l’importance du cadre de vie des « personnes avançant en âge »1, à la fois au niveau du bien-être physique que moral. La question de la prise en charge des personnes atteintes par la maladie d’Alzheimer s’est rapidement imposée tant par son importance croissante qui en fait un enjeu de société, que par la nécessité d’un environnement architectural et paysager sensible et de qualité. Cette étude se concentre sur la prise en charge des malades dans les unités spécialisées au sein d’Etablissement d’Hébergement pour Personnes Agées Dépendantes publics (EHPAD) représentant la majorité de l’accueil en Institution. Ils existent en effet d’autres typologies tels que les villages situés par exemple aux Pays-Bas, en Suisse, et prochainement à Dax en France. On trouve aussi des résidences dédiées à Alzheimer « Parentèles » (privées) dont l’accès financier reste dédié à ceux qui en ont les moyens, des Maison d’Accueil pour Personnes Agées Dépendantes (MAPAD) souvent remplacées par les EHPAD. Ce mémoire s’appuie sur un travail de diagnostic préalablement réalisé durant un stage au sein du Conseil Départemental des
1. F. CERESE, et EYNARD, Domicile, habitats intermédiaires, EHPAD : quelles mutations à opérer pour soutenir l’autonomie dans le parcours résidentiel, 2014, dans Environnement architectural, santé et domesticité. Etude des effets d’un aménagement architectural domestique sur la qualité de vie, l’usage et la perception de l’espace dans les lieux de vie institutionnels pour personnes âgées, 2016 p.42
Landes à l’été 2016. Ces deux mois m’ont offert la chance de suivre 7
le projet du Premier Village Alzheimer de France, mais aussi de visiter 17 unités spécialisées pour les malades d’Alzheimer et passer une journée complète dans une unité. J’ai ainsi rencontré une cinquantaine de personnes passionnées par leur travail : directeur d’établissements, personnel soignant, résidents, psychologues, aidants, bénévoles, et familles. Ces rencontres m’ont permis de comprendre le fonctionnement d’une unité, la pratique de l’espace que peuvent avoir les résidents et le personnel soignant. Elles ont aussi approfondi la connaissance que j’avais des établissements pour personnes âgées tant en termes d’organisation interne, administrative, pratique, spatiale, que des ressentis des différents acteurs. Ce travail de diagnostic a développé un véritable respect et une reconnaissance envers le courageux personnel soignant qui a à coeur de prendre soin de nos aînés au quotidien. Il a aussi éveillé un regard critique sur le fonctionnement de l’institution, et a permis de soulever des questions plus larges quant au rapport que nous entretenons aujourd’hui avec le troisième, voire quatrième âge. Cette réflexion a été nourrie de lectures scientifiques et romanesques, de
films
cinématographiques,
d’émission
radiophoniques,
de
documentaires, de témoignages, de rencontres, de visites, permettant une immersion sensible et réelle au plus proche du sujet. Ce mémoire a été conçu majoritairement à partir du cas d’étude des unités spécialisée Alzheimer landaises mis en parallèle avec le manuel de conception réalisé par Brigitte Chaline2. Il n’a pas pour but de faire de ce cas d’étude une généralité, mais plutôt de s’y appuyer pour soulever un questionnement et émettre quelques prémices d’hypothèses.
2. B. CHALINE, Unités d’accueil spécialisé Alzheimer : Manuel de conception architecturale, Edition PFIZER France, 2001
Il s’agit d’une réflexion sur la possibilité d’un modèle de vie alternatif, au travers d’une architecture normale, domestique et sensible.
9
SOMMAIRE INTRODUCTION
01
P.13
UN UNIVERS D’ESPACES INSTITUTIONNELS CLOS : LE MIMÉTISME P.21 URBAIN ET SOCIAL ACTUEL A) Genèse de la maladie et imaginaire collectif
·· Les débuts d’Alzheimer, une relation étroite avec la psychiatrie ·· De l’asile psychiatrique à l’unité : l’Institution totalitaire entre sentiment d’enfermement et lieu de protection
B) Des équipements centripètes en rupture avec leur milieu
·· Un lieu «vers», pour la vie et la fin de vie : terminologie des lieux de vie pour personnes âgées
P.23 P.24
P.29 P.29
·· Des tissus d’implantation peu dynamiques : pavillonnaire, bourg, périphérie présentant peu d’équipements à proximité
P.30
·· Un ersatz de vie sociale à petite échelle ne permettant que peu d’interactions
P.34
C) Un équipement, deux mondes
·· Le positionnement de l’unité dans l’établissement, une influence sur le cheminement physique et mental
P.41 P.41
·· Un autre monde derrière la porte close
P.49
·· Des espaces extérieurs clos, des degrés d’ouverture à la vie extérieure
P.53
D) L’unité, des espaces domestiques institutionnalisés ·· «L’unité», une terminologie qui enferme
P.59 P.59
·· Le lieu de vie : un mimétisme des espaces domestiques
P.60
·· La déambulation et morphologie d’unité, le dessin du cheminement thérapeutique
P.65
·· La chambre : la disparition de l’initimité
P.69
Conclusion : des espaces institutionnels vecteurs d’un «enfermements inavoué»
02
P.23
P.73
VERS UNE COHABITATION URBAINE, PROGRAMMATIQUE ET HUMAINE P.75 : LA NÉCESSITÉ D’UNE AUTHENTIQUE RELATION AVEC LA VILLE A) Construire aujourd’hui pour les générations de demain : quels besoins ? B) Deux entités, une relation à double sens et des apports réciproques ·· Les apports de l’EHPAD à la ville : mixité et dynamisme ·· Les apports de la ville à l’EHPAD : le théâtre urbain
C) L’entrée du bâtiment, pivot d’une interface clefs dans la relation ville-institution et la perception de la maladie
P.77 P.81 P.81 P.82
P.85
·· La façade d’entrée, le premier contact visuel
P.87
·· Le hall d’accueil : le premier contact physique avec l’intérieur
P.90
·· L’entrée comme espace tampon permettant sécurité et ouverture sur la ville
P.92
D) Une possible relation de mutualisation ·· Mutualisation de l’espace public
·· Mutualisation d’espaces dans la structure ·· Mutualisation et externalisation : vers une nouvelle programmation plus éclatée ?
P.95 P.95 P.98 P.102
E) Des hybridations pour de nouvelles associations humaines ·· Association de typologies d’habitat à court terme
P.107
·· Association de typologies d’habitat à long terme
P.108
·· Cohabitation communautaire : les modèles suédois et allemand
P.109
Conclusion : Intégration du vieillissement au quotidien, un nouveau rapport aux ainés pour une meilleure perception de la maladie
03
P.107
P.111
VERS UNE ARCHITECTURE DES ÉMOTIONS : LA NECESSITÉ D’UN P.115 HABITAT SENSIBLE A)
La
perception
·· La perte de repères
de
l’espace
par
le
malade
P.119 P.119
·· Une sensibilité accrue à l’environnement
P.119
·· Les besoins variés amplifiés par la maladie
P.121
B) Le besoin de liberté : un environnement ouvert et en lien avec l’extérieur
P.125
·· Des jardins paysagers : thérapie du bien-être entre paysage sonore, saveurs, et senteurs
P.125
·· Des espaces intermédiaires : du jardin d’hiver à la circulation semiextérieure
P.130
·· Un espace extérieur pour chaque échelle du collectif à l’intime
P.131
·· Le traitement de la limite
P.133
C) Le besoin de l’intimité d’un chez soi : un environnement domestique ·· Un écho à ce que nous sommes dans des lieux qui nous façonnent ·· Les principes de domesticité
D) Le besoin d’être soutenu et rassuré : un environnement support
·· Le besoin d’espaces contenants : transition et hiérarchisation pour un retour du rapport à soi, entre sécurité et liberté
P.137 P.137 P.137
P.141 P.141
·· Le besoin de déambulation : des espaces liés à des fonctions pour inciter à l’exploration
P.143
·· Le besoin de stabilité et de modularité : des espaces adaptables, adaptés et évolutifs jusqu’à la fin de vie
P.144
E) Le besoin de repères stimulant : un environnement sensoriel
P.147
·· Les espaces Snoezelen : une technique de stimulation sensorielle ·· Ressentir le réel par les sens tactiles et visuels
·· Eprouver l’immatériel par le paysage sonore, le paysage olfactif, et l’atmosphère ·· Les objets et le mobilier : stèles à l’identité et au repérage
Conclusion : conception sensorielle pour un retour à de la normalité et de la qualité
CONCLUSION GÉNÉRALE BIBLIOGRAPHIE ANNEXES
P.148 P.149 P.155 P.158
P.161 P.165 P.171 P.181
INTRODUCTION
13
« L’empathie profonde et la reconnaissance de ce que ressent un malade atteint d’Alzheimer font de cet accompagnement une aventure humaine sans pareille. » Françoise FORETTE, gérontologue tiré de C. ROUMANOFF, Le bonheur plus fort que l’oubli. Comment bien vivre avec Alzheimer, Neuilly-sur-Seine, Ed. Michel Lafon, 2015
Introduction
ALZHEIMER.
Neuf lettres. Neuf innocentes lettres qui
disposées les unes à la suite des autres représentent bien plus qu’un nom propre. Aloïs Alzheimer, a en effet levé le voile en 1906, sur ce qui s’est inscrit au fil des ans, comme une des maladies les plus effrayantes, devenue la 4ème cause de mortalité en France. Alzheimer a d’abord représenté la folie, la psychiatrie, et la « démence sénile ». Le terme est ensuite devenu synonyme de fin de vie, d’oubli, d’oubli de l’oubli, de peur, de tristesse, de perte d’autonomie, de contrainte, d’enfermement. Ces mots ont été complétés par des symptômes, on parle alors d’apathie, de dépression, de conduites régressives, de perte du langage, la liste est longue, à n’en plus finir. Autant de termes négatifs, et ternes qui ne reflètent que peu le véritable visage de la maladie et de tout ce qui gravite autour. Alzheimer représente bien plus que cela. Elle n’a pas qu’un visage, puisqu’il y a autant de formes de maladie que de personnes touchées. Ce n’est pas seulement 44 millions de « cas » dans le monde, 900 000 en France, 250 000 « diagnostics de démences» chaque année, un toutes les trois minutes, avec une grande proportion pour les maladies d’Alzheimer. Les statistiques parlent de tranches d’âge, de sexe, de stades, de CSP, en pourcentages, réduisant parfois l’humain au quantitatif, et non au qualitatif qui le caractérise pourtant. Ce sont des hommes, des femmes, des familles, des aidants, des professionnels, des humains et non des « cas ». Ce sont des souvenirs, des traits de caractère, des sentiments, des tranches de vie, et des tranches de bonheur. Scientifiquement, Alzheimer est une maladie neuro-dégénérative, dont les lésions affectent le comportement et font naître des troubles cognitifs. (cf annexe 1) Elle entraîne une modification du comportement et de la perception (émotive, visuelle, sensorielle) : pertes de repères, pertes
de
mémoire,
distorsions
perceptuelles,
déambulation,
diminution de l’autonomie. C’est « une lente déconstruction dans le cerveau des repères qui ont été acquis pendant l’éducation et la vie active ».
3
3. C. ROUMANOFF, Le bonheur plus fort que l’oubli. Comment bien vivre avec Alzheimer, Neuilly-sur-Seine, Ed. Michel Lafon, 2015
15
Alzheimer est bien plus qu’une histoire de lésions, de neurones et de peptides amyloïdes. C’est une maladie qui touche les hippocampes, points d’entrée de la mémoire. La mémoire permet à l’individu de construire son histoire. La mémoire est le fait même de l’humain. Une lésion qui touche la mémoire touche bien plus qu’un organe, il touche une âme, une histoire, une vie toute entière. Les souvenirs se consument lentement, et à terme, ne s’ancrent plus. L’encre s’efface, et laisse une page blanche sur laquelle les proches tentent de réécrire les passages manquants. Si les nouveaux événements ne s’impriment pas, certaines émotions perdurent et des souvenirs lointains évoqués par les « malades » ressurgissent. Les bribes de souvenirs ne sont pas inventées, elles sont seulement mal situées dans le temps. Non, Monsieur X n’était pas à Etretat le weekend dernier, c’était en fait il y a quinze ans, mais il y est allé, l’émotion est toujours là. Une des conséquences de la maladie est donc la modification des perceptions. La perception émotionnelle change. Les émotions sont décuplées, la personne ressent les choses de façon beaucoup plus directe et forte, elle a le souvenir de la « charge émotionnelle ». La perception spatio-temporelle est aussi modifiée. Ne plus reconnaître son appartement, ou une plage que l’on a vue chaque été pendant dix ans. Les repères s’en vont, et les horloges n’ont plus d’aiguilles, mais l’architecture, l’espace reste, et a probablement un rôle « prothétique » à jouer, quelque chose sur lequel on va pouvoir s’appuyer. Penser que l’architecture pourrait guérir, faire revenir les souvenirs, aider à les ancrer, est une belle idée toutefois naïve. C’est de façon naïve que l’on se prend à rêver que traverser un patio dans le froid mordant pour rejoindre la cuisine pourrait rappeler ce café avalé à la fenêtre de l’ancien studio les matins d’hiver. Il est parfois rassurant de conférer aux choses une sorte de pouvoir, de possible, et se laisser penser que l’espace pourrait avoir cet effet stimulant. L’intuition innocente est finalement contrariée en rencontrant des gens, des soignants, des familles, des malades. Toutes ces personnes qui ont chacune un regard, 16
Introduction
une position sur la maladie, tant du point de vue émotionnel que réel, et fonctionnel. La maladie a un coût en temps, en argent, en stress, culpabilité, en amour, émotion, patience, fatigue. Toutes ces personnes participent au rouage du mécanisme de prise en charge. D’abord les familles, les aidants, qui portent leur proche, en mettant en place des systèmes à domicile tant bien que mal, avec l’organisation, le coût des 1300 € par mois qui pèsent chaque jour sur ces 4,3 millions d’aidants en France, jusqu’à l’épuisement. L’épuisement de répéter chaque jour les mêmes choses. L’épuisement d’être aux côtés de quelqu’un après 60 ans de vie qui parfois ne se souvient plus, de vous, des enfants, des petits enfants. Ne se souvient plus de ce qui finalement a nourri ces 60 ans de vie à deux. Et puis un jour il suffit d’un mot de Jacqueline pour « ouvrir les tiroirs » et faire que Louis se souvienne, de leur rencontre un jour de foire il y a 62 ans, de leur appartement à Paris, de leur maison dans les Cévennes. Jusqu’à ce que Louis retourne dans sa bulle, s’éloignant du réel, de la vie. Lorsque la vie au domicile n’est plus possible, que le dernier moment est arrivé, les aidants se résolvent à installer leur proche dans des maisons de retraite spécialisées. Il faut parfois attendre qu’une place se libère, et que le malade soit le premier sur la longue liste d’attente 4 due au manque de place (qui s’élevait à 34 000 en 2008 ), dans une
société qui tend pourtant à rallonger l’espérance de vie. La famille choisit une maison, en se raccrochant aux quelques points positifs : le joli jardin à l’entrée, la cheminée en pierre dans le salon, le petit banc appuyé au muret où ils imaginent que les résidents viendront
4. Données de la fondation Médéric Alzheimer, dans Dr D. TREUSSARD M A R C H A N D, C o n c e p t i o n architecturales des établissements accueillant des personnes âgées atteintes de la maladie d’Alzheimer : revue de la littérature, 2007-2008
se souvenir, quand ces derniers n’aspirent qu’à une chose : sortir des quatre murs qui ferment l’établissement. Les aidants se résignent avec le sentiment de culpabilité dans cette phase ultime « d’abandonner son proche à l’oubli »5 dans un lieu où l’on sait que Louis, Claude, Marie
5. D. GANNAY, Alzheimer ou la maladie oubliée, Documentaire vidéo France 3
viendront s’éteindre. L’équipe soignante prend alors le relais, le stress, l’anxiété, la fatigue physique et morale, mais aussi et surtout les moments de rire, l’humour de certains malades, les sourires, les échanges verbaux et tactiles, les souvenirs et parcours différents. « Chaque jour est différent, chaque 17
minute, il faut improviser » dit une aide soignante de l’unité Alzheimer de l’EHPAD de Vielle-Saint-Girons quelque part dans les Landes. Son quotidien est le même que celui des 341 219 autres personnels soignants d’EHPAD. Chaque jour ils accompagnent les résidents, qui eux, sont en permanence sur le départ. 10H45, dans l’unité de Tartas, Claudine erre à proximité de la porte, son chapeau mordoré vissé sur la tête, et son sac noir en bandoulière. Prête à partir. Quand vient-on me chercher ? Les malades d’Alzheimer « font leurs valises en permanence », les soignants le savent et ont à cœur de leur permettre une réappropriation de leur nouveau lieu de vie, dans lequel ils ne feront finalement qu’un bref passage. Ces rencontres riches, brutes, sincères, permettent de se rendre compte de la réalité parfois dure. Se rendre compte qu’il est impossible de faire revenir la mémoire, les souvenirs. Réaliser que le bien-être et la liberté du résident sont bien plus essentiels. L’espace ne pourra pas faire revenir les souvenirs, mais pourra permettre de stimuler les sens, les sensations des ces « éponges émotionnelles » que sont devenus les résidents. Les enjeux sont nombreux : répondre au besoin grandissant de places d’accueil ; offrir un cadre de vie agréable et stimulant pour les familles, les aidants, les malades, en sortant des limites de l’enfermement et de « l’ersatz » de vie simulé dans les unités. Retrouver un vrai sentiment d’habiter. Donner un espace permettant la liberté et la poursuite de la vraie vie dans une structure quand la vie à domicile n’est plus possible, tout en offrant un autre visage à la maladie. Il convient donc de s’interroger quant au fonctionnement institutionnel et à l’adéquation du mode de prise en charge actuel des malades d’Alzheimer et voir dans quelle mesure un modèle alternatif répondant aux enjeux de la maladie serait possible. Pour ce faire, une première partie sera consacrée à l’analyse des espaces institutionnels actuels et de leur tendance à engendrer un mimétisme social et urbain, fondée sur l’étude des dispositifs spatiaux à différentes 18
Introduction
échelles, au travers notamment du cas d’étude des unités landaises. Dans un second temps, nous étudierons les enjeux de l’intégration de structures en tissu urbain favorisant une nouvelle perception de la maladie, en analysant les possibilités de mutualisation. Pour terminer, une troisième partie traitera de l’importance du travail des ambiances domestiques et sensibles des espaces, mis en parallèle avec les besoins et spécificités qu’engendre la maladie d’Alzheimer.
19
01
UN UNIVERS D’ESPACES INSTITUTIONNELS CLOS : LE MIMÉTISME URBAIN ET SOCIAL ACTUEL
21
Figure 1 : Aloïs Alzheimer (source : wikipédia)
Figure 2 : Auguste Deter, première patiente Alzheimer (source : wikipédia)
22
I.A. Genèse de la maladie et imaginaire collectif
A. GENÈSE DE LA MALADIE ET IMAGINAIRE COLLECTIF LES DÉBUTS D’ALZHEIMER, UNE RELATION ÉTROITE AVEC LA PSYCHIATRIE
Lorsque le 18 mars 1901, Aloïs Alzheimer (figure 1) médecin
aliéniste, rencontre celle qui sera la première patiente diagnostiquée « Alzheimer », la frontière entre psychiatrie et neurologie demeure encore floue, et deux écoles s’opposent :
certains médecins
cherchent à établir des parallèles entre les symptômes et de probables lésions neurologiques, quand d’autres soutiennent que troubles du comportements et traumatismes psychiques sont liés. Le comportement de cette première patiente, Auguste Deter, a été scrupuleusement décrit, noté dans un dossier durant tout son internement à l’asile de Francfort. Tous les symptômes bien connus aujourd’hui sont inscrits dans ce dossier : anxiété, agitation, déambulation, oubli instantané, etc, et une photographie (figure 2) permet de mettre une image sur cela : maigreur, regard vide, air hébété. « Un esprit fantôme dans un corps fantôme, un air perdu que 6 toutes les familles d’un patient Alzheimer connaissent trop bien » . Voilà
les premières images de la maladie d’Alzheimer. A la mort d’Auguste Deter, Aloïs Alzheimer peut enfin examiner le cerveau et son
6. B. CROISILE, Alzheimer : que savoir ? que craindre ? qu’espérer ? Paris, Editions Odile Jacob, 2014 p.32
microscope révèle des lésions neurologiques caractéristiques de la maladie et responsables de l’état démentiel. Le vocabulaire utilisé pour parler des différents aspects de la maladie (symptômes, prise en charge, etc.) est proche de ce qui s’apparente au champ lexical de la folie : « médecin aliéniste, internement, asile, démence, état démentiel, enfermement, contention physique... » puisque la limite entre neurologie et psychiatrie fut mince pendant de nombreuses années. Aujourd’hui encore, le terme « démence » a conservé le sens que son origine latine « dementia » lui conférait : la perte de l’esprit, autrement 23
dit la folie, l’aliénation mentale. L’imaginaire collectif reste imprégné de cette signification, alors qu’en terme médical une démence est la combinaison de déficits cognitifs et de troubles comportementaux, mais les démonstrations médicales ne suffisent pas à changer la signification du langage parlé. Les démences sont bel et bien des maladies neurologiques. Au terme « dément » Colette Roumanoff préfère utiliser celui de « Confusionite », plus léger pour donner un nouveau regard sur la maladie et ne plus enfermer le malade dans un univers anxiogène.
DE L’ASILE PSYCHIATRIQUE À L’UNITÉ : L’INSTITUTION TOTALITAIRE ENTRE SENTIMENT D’ENFERMEMENT ET LIEU DE PROTECTION
L’image de la folie, de l’enfermement, est due à la relation qu’a
entretenu la maladie d’Alzheimer avec le domaine psychiatrique mais aussi au mode de prise en charge des démences au début du XX ème siècle mélangeant troubles psychiatriques et neurologiques : l’asile. L’asile est le lieu d’enfermement de la folie par excellence, il lui donne un cadre. Les « aliénés » y étaient placés afin de les protéger d’euxmêmes mais aussi protéger la communauté, le reste du monde de leurs actes involontaires. Parallèlement à l’image négative que l’asile psychiatrique peut avoir, le 7. Définition «Asile» dans le dictionnaire Littré
terme « asile » représente aussi la protection. C’est un « lieu inviolable où l’on se réfugiait.»7 Le dictionnaire Littré définit l’asile comme un lieu de protection, dans lequel l’individu fragilisé et vulnérable, se sent en sûreté contre les dangers qui le menacent. Temples païens, églises, territoires, pays, l’asile a pris différentes formes et échelles au fil du temps. L’asile protège, enveloppe, il offre des murs à ceux qui n’en ont plus, et donne un cadre sécuritaire infranchissable depuis l’extérieur. Il apparaît comme imperméable, des échanges sont difficilement imaginables.
24
I.A. Genèse de la maladie et imaginaire collectif
Alliant enfermement et protection, l’asile semble appartenir au domaine de l’Institution. Si l’on prend alors en compte la définition de l’Institution que donne Erving Goffman, l’asile est apparenté à une institution totalitaire : « On peut définir une institution totalitaire comme un lieu de résidence et de travail où un grand nombre d’individus, placés dans la même situation, coupés du monde extérieur pour une période relativement longue, mènent ensemble une vie recluse dont les modalités sont explicitement et
8. E. GOFFMAN, Asiles, Etudes sur la condition sociale des malades mentaux et autres reclus, Paris, Les Editions de Minuits, 1979, p.47
minutieusement réglées. »8 En effet, l’aliéné « est placé » dans un asile psychiatrique, la forme passive de l’expression souligne le non-choix de ce placement. Le réfugié demande lui aussi l’asile en dernier recours, lorsqu’il n’a plus le choix. L’aliéné, lui, n’est pas forcément en mesure de choisir, de prendre une décision, son quotidien est désormais régit par l’Institution, or le choix incarne la définition de liberté. Un être est libre lorsqu’il peut choisir. Si le réfugié s’exile souvent à contre coeur, l’aliéné n’a plus le coeur de choisir, c’est là le début de son enfermement psychique. A cet « exil intérieur »9 vient s’ajouter l’enfermement physique, symbole de l’institution totale : « Signe de leur caractère enveloppant ou totalitaire, les barrières qu’elles dressent aux échanges sociaux avec l’extérieur, ainsi qu’aux entrées et aux sorties, et qui sont souvent concrétisées par des obstacles matériels : portes verrouillées, hauts murs, barbelés, falaises, étendues d’eau, forêts ou landes. »10
9. A. GAYET, Psychiatrie, architecture, environnement, dans Autres Temps. Cahiers d’éthique sociale et politique. N°58, 1998, p.111
10. E. GOFFMAN, op. cit., p.52
Si l’institution totale enferme, coupe du monde, enveloppe, prend en charge les besoins, dresse des barrières et des limites infranchissables aux résidents, dispose d’un fonctionnement bureaucratique, efface les frontières entre travail/loisir/logement, alors l’asile est en tout point un exemple d’Institution. (Figure 3) Même si les débuts de la prise en charge spécifique de la maladie d’Alzheimer en 1960 s’est largement appuyée sur le modèle psychiatrique (établissements fermés, faible activité durant la journée, utilisation de sédatifs et de contention physique) elle a rapidement 25
Figure 3 : Asile «Irrenchloss» pour aliénés et épileptiques en 19864 à Francfort, Allemagne. Irrenchloss signifie «château des égarés». Il s’agit de l’endroit dans lequel la première patiente d’Alzheimer, Auguste Deter a été placée par son mari. source : wikipédia
26
I.A. Genèse de la maladie et imaginaire collectif
tendu à s’en éloigner. Les premières unités (ou « Special Care Units ») ont vu le jour dans les années 1960 d’abord aux Etats-Unis puis rapidement en Europe, lorsque les médecins se sont rendus compte de la complexité de la cohabitation entre dépendants psychiques et dépendants physiques. Il est d’ailleurs étonnant de voir que cinquante ans après ce constat, les malades d’Alzheimer sont toujours en cohabitation dans les services classiques des EHPAD, créant un mélange qui dérange, agace, parfois certains, lorsque l’espace n’est pas traité de sorte à offrir suffisamment d’intimité pour favoriser une bonne cohabitation. En 1980, de petites unités apparurent, mettant en avant l’ambiance familiale, l’activité, le bien-être, en parallèle à la loi du 30 juin 19755
11
concernant l’humanisation des hospices. Dignité des personnes et
11. Dr D. TREUSSARD MARCHAND, op. cit.
épanouissement, sont au coeur des réflexions qui tentent de s’éloigner de l’image négative et anxiogène de l’asile, de l’hospice pour se rapprocher de ce qu’on appelle aujourd’hui « lieu de vie ». Si l’Institution a connu des mutations, elle est aujourd’hui souvent considérée de façon ambivalente comme un espace de dernier recours, un lieu de protection, de bienveillance, et ce dans un cadre évoquant l’enfermement, souvent en rupture avec son environnement.
27
B. DES ÉQUIPEMENTS CENTRIPÈTES EN RUPTURE AVEC LEUR MILIEU UN LIEU "VERS", POUR LA VIE ET LA FIN DE VIE : TERMINOLOGIE DES LIEUX DE VIE POUR PERSONNES ÂGÉE
Dans un de ses ouvrages12, Louis Kahn parle des « lieux d’où »
et des « lieux vers ». Des lieux d’où l’on vient, l’école, le foyer, des lieux vers lesquels on va.
12. L. KAHN, Lumière blanche, ombre noire : Entretiens, Marseille, Editions Parenthèses, 2016, p.19
La maison de retraite, l’unité Alzheimer, incarnent des lieux vers lesquels chacun se dirige. Ce sont des lieux de fin de vie avant même d’être des lieux de vie. Des lieux qui ont longtemps oublié d’être des espaces vivants. Des lieux où l’on attend, plus que l’on est. Ce sont, dans l’esprit collectif, des lieux de dernier recours, qui symbolisent le moment tant repoussé, retardé au maximum. Ceux où l’on va lorsqu’on ne peut vraiment plus, où l’être n’est finalement que de passage. Le séjour moyen d’une personne âgée qui entre vers l’âge de 85 ans en EHPAD est d’environ 3,4 ans13 . Court passage dans une vie. Cette notion de temporalité brève se retrouve dans l’appellation
13. Observatoire des EHPAD, Paris, Etude KPMG, avril 2014
même de l’espace dédié aux personnes âgées : EHPAD. Etablissement d’Hébergement pour Personnes Agées Dépendantes. La définition donnée par le Larousse au terme « héberger » est le fait de « donner un logement provisoire à quelqu’un, l’accueillir provisoirement. » L’EHPAD est donc un lieu de vie provisoire, en attendant, et les résidents savent trop bien ce qu’ils attendent. Cette notion de temporaire, en plus d’être angoissante, ne favorise pas le sentiment de chez-soi que les institutions tendent pourtant à mettre en avant dans ces nouveaux lieux de vie. Si la terminologie « lieu de vie » est venu embellir l’image de ce que certains appellent encore « mouroir », n’est-ce pas pour faire oublier que ces espaces ont conservé certains codes de l’institution totale :
29
la porte de l’unité, la grille qui encercle la jardin, le digicode, etc. Le sentiment d’enfermement est toujours présent et cet exil intérieur est exacerbé pour les résidents atteints de la maladie d’Alzheimer. Ces derniers sont à mesure du temps, happés dans un monde qui n’appartient plus qu’à eux, ont une pratique et une perception particulière de l’espace, des choses, des émotions, des personnes. Quelque part en France, dans un des 7752 EHPAD, Claude erre 14. O. BARTHELEMY, La mémoire qui flanche, documentaire vidéo France 3,
dans le jardin, on l’entend murmurer « Ca doit faire 10 ans que je suis enfermée », et le journaliste de demander : enfermée où ? Enfermée 14
partout. Je n’peux pas rester enfermée, étouffer ici.»
Claude est dans l’EHPAD depuis seulement quelques heures mais la suffocation est déjà là, presque permanente. L’angoisse, l’asphyxie spatiale persiste. Ce n’est probablement pas en changeant le nom d’un espace, que l’angoisse de l’enfermement va s’apaiser, mais peut-être en changeant de forme, de morphologie, de codes de conception, d’image.
15. B. CHALINE, op. cit.
Il faut, d’après Brigitte Chaline15 , « rompre avec l’image de l’institution impropre à donner aux malades désorientés des repères spatio temporels ». Depuis une quinzaine d’années, les maisons de retraite ont amélioré et travaillé à l’humanisation de leur image, accumulant restructuration, modernisation, embellissement de façades, etc. Une place plus importante a été conférée aux jardins, aux couleurs, à la lumière, dans l’optique de s’éloigner de l’ambiance hospitalière, et tenter un rapprochement vers l’ambiance hôtelière. Si un travail des ambiances semble se dessiner, la source du problème ne semble pas encore traitée. La source, autrement dit l’enracinement, la terre, le lieu sur lequel l’établissement est implanté. Ce paramètre apparaît comme déterminant. Il est de ceux dont le choix ne devrait pas être négligé, ou pris au gré des opportunités foncières.
30
I.B. Des équipements centripètes en rupture avec leur milieu
DES TISSUS D’IMPLANTATION PEU DYNAMIQUES : PAVILLONNATIRE, BOURG, PÉRIPHÉRIE PRÉSENTANT PEU D’ÉQUIPEMENTS À PROXIMITÉ
L’accroissement de l’espérance de vie a eu comme
conséquence une augmentation du besoin de places en EHPAD. Le territoire français s’est vu recouvert d’un nombre croissant d’établissements aussi bien dans les métropoles, villes, ou villages. Le nombre de places en France a été porté à 589 575 par deux moyens : la restructuration-extension d’établissements existants, ou la construction neuve. Le principe de restructuration-extension est plus limitant. Il ne permet pas la modification du tissu d’insertion qui peut néanmoins être enrichi par la greffe de nouveaux programmes. La construction neuve, permet de choisir un site, un milieu, le plus approprié possible et réunissant les conditions favorables au développement d’un embryon de vie. Trois conditions semblent principales dans le manuel de conception architecturale réalisé par Brigitte Chaline en 2001 : --
l’implantation géographique : quartiers de centre ville, coeur de village, zone à forte densité pour éviter les sites isolés
--
l’accessibilité : accès voiture, transport en commun
--
l’implantation par rapport aux ressources : proximité des lieux de rencontre, de commerce, de loisirs, d’équipements publics etc.
Eviter l’isolement en favorisant la proximité aux coeurs de villes, et pôles d’attractions (divers équipements) tout en reliant facilement le projet au reste de la vie urbaine, est un pré-requis au fonctionnement d’une structure. Cependant, comment faire lorsqu’un projet est lancé dans un territoire à faible densité, rural, où l’activité est parfois limitée ?
31
LA RÉPARTITION DES ÉTABLISSEMENTS À DÉPARTEMENTALE : UNE INÉGALITÉ ENTRE TISSUS
L’ÉCHELLE
Le département des Landes, situé dans le sud-ouest de la
France est un territoire de 9346 km² recouvert pour 60 % d’espaces boisés (figure 4) : la forêt des Landes qui créée cette ambiance si particulière, et les terres agricoles. Ce paysage en a fait l’un des territoires les moins denses de France (43 habitants au km²) avec une Figure 4 : Localisation du départment des Landes source : cartesfrance.fr
population très rurale et agricole. On recense plus d’une cinquantaine d’EHPAD répartis, dont 22 disposent d’une unité d’accueil spécialisée Alzheimer (ASA). En analysant les milieux de ces 22 structures, 4 types de tissus ressortent (figure 5) : - tissu pavillonnaire / tissu naturel : 45 % - centre ville / tissu naturel : 27 % - centres villes ou centres de villages : 18 % - tissu pavillonnaire : 9 %
Figure 5 : Répartition des établissements avec unités Alzheimer dans les Landes selon : les tissus et les types de construction. Panel de 22 établissements. (source: personnelle)
La majorité des établissements prennent place à la croisée des tissus pavillonnaires diffus et naturels, mais il est à noter que la plupart de ces structures sont des restructurations-extensions datant de 2005 à 2016 (construites dans les années 1970-1990). Même s’ils offrent un environnement calme qui peut paraître propice aux personnes avançant en âge, les tissus pavillonnaires ne semblent pas vecteurs d’animation durant la journée, il n’y a que peu d’équipements entraînant des déplacements, des flux de personnes favorables à une vie de quartier. Ces tissus pourraient favoriser le sentiment d’isolement et d’éloignement par rapport à la vie urbaine, et rendre compliqué la 32
I.B. Des équipements centripètes en rupture avec leur milieu
création de liens, d’échanges entre ville et EHPAD, et la logistique des flux (organisation de sortie des résidents pour une activité à l’extérieur par exemple). Parallèlement, les constructions neuves (2007-2013) sont plus nombreuses dans les tissus mixtes centres villes/tissu naturel, il semble donc y avoir une modification des pratiques de construction, qui tendent à se rapprocher des centres villes, et du dynamisme qu’ils peuvent véhiculer et insuffler.
L A RÉPARTITION À L’ÉCHELLE NATIONALE : UNE INÉGALITÉ ENTRE COMMUNES
Dans la Revue de Gériatrie16 , un article présentant la
répartition des établissements pour personnes âgées dépendantes en France, souligne une dualité entre les communes rurales et les communes urbaines. Pour mener cette comparaison, le taux d’équipements ainsi que la répartition de la population de plus de 75 ans (population visée par l’entrée en établissement) est mis en parallèle. Le taux d’équipement représente le nombre de lits pour 1000
16. L. MORIN, Les établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes en France métropolitaine en 2014, paru dans La Revue de Gériatrie, Tome 40, n°9, Novembre 2015
personnes âgées de plus de 75 ans, la moyenne nationale est à 99 ‰. La comparaison révèle un écart considérable, où le taux d’équipements des communes rurales (178‰) est 2,3 fois plus élevé que celui des communes urbaines (79‰ en moyenne). (figure 6)
Figure 6 : Une répartition inégale des équipements pour personnes âgées selon les tissus selon l’étude de L.MORIN source : personnelle
33
D’après l’auteur, la situation est paradoxale, puisque les communes rurales (42 % des lits d’EHPAD), n’abritent que 24 % de la population de plus de 75 ans, alors que les communes urbaines (58 % des lits d’EHPAD) abritent 76 % des plus de 75 ans. L’offre se situe dans les départements les moins denses, et ne semble pas être répartie en fonction des besoins de lits, obligeant ainsi des mouvements de populations qui ont vécu leur vie en ville et vont 17. Observatoire National de la Fin de Vie. Vivre en maison de retraite jusqu’à la fin de sa vie : le point de vue des proches, 2014, dans La Revue de Gériatrie, Tome 40, n°9, Novembre 2015
devoir « financer de leur poche plus de 2300 euros par mois en moyenne 17
pour vivre dans un lieu qu’elles n’ont dans leur grande majorité pas choisi »
Malgré cette connaissance des données statistiques, on remarque qu’un tiers des EHPAD construits en 2010 continue d’être implanté en zones rurales, même si des efforts ont été faits. Les contraintes liées à la construction d’EHPAD (le coût, leurs importantes surfaces nécessaires et la disponibilité de terrains) justifient la complexité de l’insertion de tels projets en zone urbaine. Construire le modèle actuel de l’EHPAD en ville semble donc délicat et pourtant nécessaire puisque les besoins se situent dans les tissus urbains. Ce constat souligne la remise en cause du modèle de l’Institution, qui pour s’insérer plus facilement dans des tissus urbains pourrait voir sa morphologie évoluer. Cela permettrait peut-être de limiter le recours actuel à la re-création d’un ersatz de vie sociale et urbaine à l’échelle du bâti.
UN ERSATZ DE VIE SOCIALE À PETITE ÉCHELLE NE PERMETTANT QUE PEU D’INTERACTIONS UN MONDE DANS UN MONDE
Pour des questions de sécurité particulièrement liées aux
risque de fugues, et parfois à cause d’une situation en site isolé, les établissements ont eu pour but de recréer une vie sociale au coeur de la structure.
34
I.B. Des équipements centripètes en rupture avec leur milieu
Ces structures sont recensées au travers de deux types d’échelles : un bâtiment (avec une ou plusieurs unités) dans son tissu, ou un ensemble de bâtiments formant un village pour recréer un tissu à part entière. Il y a là, la tentative de faire du bâtiment « un monde dans un monde »18 . La vie sociale simulée se rapproche plus d’un ersatz de la vie d’avant, en reprenant les codes de la ville à une échelle réduite. L’établissement
18. Louis I. KAHN, Lumière blanche, ombre noire : Entretiens, op. cit., p.24
tente de devenir un petit univers protégé, molletonné, limitant parfois les possibles de se cogner à la vie, qui font se sentir pourtant vivants. N’avons nous pas tous le souvenir de cette maison de retraite, où le silence étouffant prend à l’âme ? Une maison où quelques résidents regroupés autour du poste télé somnolent au son de la voix du présentateur télé meublant cet épais silence ? Cela n’est probablement pas l’ambiance qu’un architecte projette dans son dessin, et pourtant, cela en est parfois la résultante. (figure 7) Les personnes âgées entrent donc au dernier moment dans ces structures, fatiguées, et souvent très dépendantes. Est-il possible d’imaginer créer une vie sociale au coeur d’un projet destiné à ce type de personnes, en ne misant que sur leur envie et vitalité, et sur le personnel dont chaque minute est déjà très sollicitée ? Pour reprendre les codes de l’échelle urbaine, la programmation requiert la présence d’espaces dédiés. On retrouve parfois le salon de coiffure et le centre de soins beauté servant aux professionnels extérieurs, le cabinet du médecin, le centre de kinésithérapie équipé, le bureau de la psychologue, le réfectoire-restaurant, parfois même une petite boutique, un espace Snoezelen, etc. (figure 8) Finalement ces espaces restent parfois trop peu utilisés : salle de kiné vide (figure 9), salon de coiffure (figure 10) sans l’animation permanente qui le caractérise, espaces Snoezelen non rentabilisés. Les résultats ne semblent pas être à la hauteur des moyens mis en place pour fournir ces équipements qui ne servent finalement que ponctuellement. 35
Figure 7 : Le salon de l’unité de l’EHPAD de Biscarosse source : photo personnelle
Figure 10 : Salon de coiffure de l’EHPAD de Tartas, Landes source : photo personnelle
36
Figure 8 : Espace de stimulation Snoezelen de l’EHPAD de VielleSt-Girons source : photo personnelle
Figure 9 : Salle de kinésithérapie de l’EHPAD de Sore source : photo personnelle
37
L A CRÉATION D’UN VILL AGE AL ZHEIMER
La France a pour projet de construire le premier village
Alzheimer du territoire, en s’inspirant du modèle hollandais ouvert en 2009. Le projet intégrera la ville de Dax (Département des Landes) et sera conçu suivant le modèle d’un village landais traditionnel reprenant la morphologie typique : bastide centrale, quatre quartiers reprenant les ambiances du territoire (océan, terres agricoles, etc.) en y insufflant un caractère contemporain et éviter ainsi l’effet « pastiche ». (figure 11).
La morphologie rappellera ce
que
les
habitants
du territoire auront eu l’habitude de vivre et de pratiquer, pour conforter leurs repères. Figure 11 : Plan masse du projet du village Alzheimer de Dax. Quatre quartiers, une place centrale et de nombreux espaces naturels source : Conseil Départemental des Landes
Un
des
axes
forts
de
la conception pour des personnes
atteintes
d’Alzheimer réside en la création de repères. Le projet du village Alzheimer des Landes va recréer un village traditionnel landais, et cela soulève ainsi la question du mimétisme esthétique territorial A l’heure où les individus sont de plus en plus mobiles et n’hésitent plus à quitter leur région natale pour trouver un emploi, les personnes âgées sont parfois obligées de quitter leurs régions pour entrer dans un établissement plus proche de leurs enfants et petits enfants afin que ces derniers soient plus à même de prendre part à leur vie quotidienne. La conception doit-elle alors attacher autant d’importance à la retranscription d’une modénature liée à un territoire ? Comment concevoir un établissement favorisant les repères et offrant un cadre stable à même de maintenir les repères établis auparavant ? Les générations qui entreront dans les établissements de demain auront eu une vie mobile, changeant plusieurs fois de villes ou même de région. Il semblera alors moins important de reproduire des
38
I.B. Des équipements centripètes en rupture avec leur milieu
modénatures architecturales pour maintenir certains repères, que de créer des repères spatiaux au sein même de la structure. En plus de recréer un village traditionnel proche de l’identité architecturale landaise (figure12), le programme prévoit l’intégration d’équipements. L’espace public sera animé entre autres par un restaurant, une médiathèque, un auditorium, une épicerie, etc. Le village sera ouvert aux habitants de Dax, mais sécurisé pour éviter les fugues des résidents. Ces espaces publics et équipements seront valorisés et utilisés au maximum de leur potentiel par les 120 résidents et 120 soignants, familles, habitants, bénévoles.
Figure 12 : Perspective du concours de l’équipe lauréate. La création d’une bastide landaise. source : Conseil Départemental des Landes
Les conditions propres à la naissance d’une vie sociale semblent réunies : population nombreuse et variée, équipements ouverts aux habitants extérieurs. Il convient cependant de s’interroger quant à l’effet que pourrait avoir l’idée même de créer quelque chose exnihilo, loin de la vraie ville, sans véritable histoire, avec le risque de se rapprocher plus d’un équipement à taille urbaine que d’un véritable village avec l’âme et l’ambiance qui le caractérise. Si l’Institution semble être parfois en rupture avec son environnement proche, on constate un second niveau de rupture au sein même de son fonctionnement par la présence de deux mondes parallèles peu communicants : l’hébergement classique de l’établissement et l’unité de vie spécialisée pour la maladie d’Alzheimer.
39
Figure 13 : UnitĂŠ regroupĂŠe source : Brigite Chaline, op.cit
40
C. UN ÉQUIPEMENT, DEUX MONDES
Les unités d’accueil spécialisées dans la maladie Alzheimer sont
souvent intégrées à un Etablissement d’Hébergement pour Personnes Agées Dépendantes. L’intégration dans un cadre plus large, offre une échelle intermédiaire à l’échelle urbaine. Cela permet un entre-deux entre le public, la vie dehors, et l’intime, le coeur de l’unité, support à l’animation, à la vie sociale, et à la distraction, pourtant les interactions semblent parfois limitées.
LE POSITIONNEMENT DE L’UNITÉ DANS L’ÉTABLISSEMENT, UNE INFLUENCE SUR LE CHEMINEMENT PHYSIQUE ET MENTAL
Lorsqu’elle prend place dans une structure, l’unité peut avoir
deux positionnements. Ces derniers diffèrent selon la temporalité de construction de l’unité : unité rajoutée lors d’une extension de l’EHPAD ou unité intégrée à la conception d’un établissement neuf. Ce positionnement influence l’atmosphère et l’intégration de l’unité, mais aussi l’image de la maladie que renvoie l’établissement. L’incorporation de l’unité peut parfois générer l’angoisse des résidents, mais aussi des visiteurs. LE POSITIONNEMENT DE L’UNITÉ, UNE DÉCISION INFLUENCÉE PAR L’ASPECT ÉCONOMIQUE
Dans son manuel de conception19, Brigitte Chaline présente
plusieurs situations d’unités en mettant en avant les avantages et
19. B. CHALINE, op. cit.
désavantages de chacun, concernant la reconnaissance de l’unité, les possibilités de mise en commun, et les influences sur le fonctionnement de l’établissement. On recense trois types de fonctionnement d’unités : --
les unités intégrées : elles sont attachées physiquement et
fonctionnellement aux locaux communs de l’établissement, et facilitent les possibles interactions entre résidents de la partie classique et de l’unité sécurisé. (figure 13) 41
Figure 14 : Unité isolée source : Brigite Chaline, op.cit
Figure 15 : Unité isolée source : Brigite Chaline, op.cit
Figure 16 : Plan schématique. La flèche noire indique le chemin parcouru jusqu’à l’unité source : schéma personnel
42
Figure 17 : Un éclairage majoritairement artificiel source : photo personnelle
I.C. Un équipement, deux mondes
--
les
unités
attachées
isolées :
elles
sont
attachées
fonctionnellement mais détachées physiquement des locaux communs de l’établissement. En détachant physiquement l’unité, il est possible de créer une échelle moindre et plus domestique tout en conservant des liens avec la partie classique. Cela pose des questions en termes de gestion du personnel de nuit, qui peuvent être réglées en détachant plusieurs unités sécurisés et en faire un petit ensemble. (figure 14) --
les unités délocalisées : elles sont détachées fonctionnellement
et géographiquement des unités polyvalentes. Elles permettent de facilité l’intégration urbaine de part leur petite taille, et ainsi la participation à la vie urbaine, mais en termes de fonctionnement, elles engendrent des surcoûts (livraison des repas, surveillance de nuit non optimisée, etc.) qui peuvent se ressentir sur le prix de journée. (figure 15) On constate donc que l’aspect économique du fonctionnement, et le manque de moyen humain influence la décision d’implantation, et ainsi le mode de vie et l’ambiance plus ou moins institutionnelle qui en découle. Il semblerait intéressant de concevoir une architecture économique permettant l’investissement dans le fonctionnement, le personnel.
INTÉGR ATION DE L’UNITÉ À L A CONCEPTION : LES RÉALISATIONS NEUVES
Dans des établissements neufs, il semble plus facile d’offrir
un positionnement optimal à l’unité. Analyser l’accès de deux établissements neufs, permet de comparer les différentes ambiances créées. La distance à parcourir et les vues : L’EHPAD Saint Pierre, situé à Saint Pierre Du Mont dans le département des Landes est un établissement neuf, réalisé en 2008. Pour accéder à l’unité, le chemin parcouru est long, (figures 16 et 17) il s’assombrit à mesure que le visiteur s’enfonce dans l’établissement, par 43
Figure 18 : Plan schématique. Un accès rapide jusqu’à l’unité (flèche noire) source : schéma personnel
Figure 19 : Eclairage naturel et animation sur le parcours jusqu’à l’unité source : photo personnelle
Figure 20 : Plan schématique. Accès rapide jusqu’à l’unité source : schéma personnel
Figure 21 : L’entrée à l’unité. Une ouverture zénithale et une petite échelle source : photo personnelle
44
I.C. Un équipement, deux mondes
manque d’ouverture sur l’extérieur. Les espaces longeant la circulation ne sont pas transparents, l’animation qui s’y déroule sûrement ne jaillit pas sur le chemin. Le parcours et le silence qui s’épaissit à mesure de la traversée, débouchent sur quelques marches et une porte close. Les variations de volumétrie et morphologie du cheminement A contrario, un autre exemple de réalisation neuve, est celui de l’EHPAD des 5 rivières situé à Souprosse (Landes) (figures 18 et 19). L’accès à l’établissement donne dans le hall d’accueil, animé par le vaet-vient des résidents venant relever leur courrier. Le parcours est lumineux, clair, rythmé par les différentes hauteurs des volumes traversés : un hall bas de plafond, le réfectoire et son grand volume soutenu par les charpentes bois, un petit espace de transition à nouveau bas, intime mais lumineux, comme s’il avait été destiné à préparer l’entrée du visiteur. Le parcours se dilate, se gonfle, se rétrécit, les ambiances varient. Le chemin sillonne des espaces pleins de vies : à gauche les conversations des derniers résidents qui petitdéjeunent, à droite les rires qui s’échappent de l’animation théâtre dans le salon. Autant de bribes de vie qui animent le parcours, le rendent chaleureux, et familier.
L A GREFFE DÉLICATE D’UNITÉS : LES RESTRUCTUR ATIONSEXTENSIONS :
Nombreux sont les établissements qui ont subi des
restructurations-extensions
dans
les
quinze
dernières
années,
s’accompagnant souvent de la greffe d’unité spécialisée Alzheimer. Il est plus difficile de composer avec l’existant pour ce genre de programmes nécessitant des surfaces importantes, des espaces extérieurs plantés etc. Plusieurs composantes rentrent alors en compte : la configuration du terrain, l’espace disponible, l’organisation des circulations existantes, la répartition interne des espaces, etc. Les ambiances sonores et lumineuses : L’EHPAD Les Magnolias situé à Hossegor (Landes), est un exemple réussi d’intégration. L’établissement restructuré en 2009, positionne son unité Alzheimer à l’entrée de la structure (figures 20 et 21). L’accès 45
Figure 22 : Plan schématique. Un accès confus à l’unité source : schéma personnel
46
Figure 23 : Une entrée sombre source : photo personnelle
I.C. Un équipement, deux mondes
est direct depuis le hall d’entrée. Pas de couloir, pas d’espaces sans vie à traverser. La position valorise l’unité, elle n’est pas masquée, ou reculée. En sortant de celle-ci, les familles discutent parfois au comptoir de l’accueil, devant la petite boutique tenue par des résidentes et l’espace coiffure. Le positionnement renforce l’animation de l’accueil, son ambiance. Les types d’espaces le long du parcours : L’EHPAD de Tartas dans les Landes propose un autre exemple de restructuration-extension. Lors de sa restructuration en 2008, l’établissement a ajouté une unité Alzheimer à son fonctionnement. On remarque sur le plan masse (figure 22) qu’elle constitue un volume à part entière, dont l’unique lien est un étroit couloir. L’unité peut donc être considérée comme physiquement isolée même si son fonctionnement reste attaché à l’établissement. Le parcours débute dans le hall d’accueil (figure 23) qui semble encombré (mobiliers, poteaux structurels), il se poursuit en se dédoublant. Deux possibilités s’offrent alors aux visiteurs : longer l’espace soins, ou un petit salon. La circulation n’est pas intuitive, hésitante. Le chemin traverse ensuite les espaces de services : buanderie, cuisine, stockage. Le doute est semé : allons-nous dans la bonne direction ? L’ambiance sonore est celle qui, bruyante, laisse s’échapper les tintements des casseroles, et les crachements de vapeur des fers de la buanderie. Ce n’est pas une ambiance chaleureuse, elle semble plus dire « attention au chariot qui va sortir de la cuisine » que « vous-êtes ici chez vous ». Le chemin aboutit à un mince couloir vitré, lumineux, agréable, qui est comme une respiration après un « parcours du combattant » sombre.
« Je revois comme si c’était hier, les couloirs, la ligne jaune qui dirige vers le service, le code de sécurité pour entrer. Les odeurs, les bruits. Les bruits du silence. Les cris parfois. Et quelque part parmi toutes ces portes, la porte de sa chambre. »20
20. D.GANNAY, op. cit.,
Qu’il s’agisse de restructurations ou de constructions neuves, des paramètres communs semblent influencer l’atmosphère du parcours, et conditionner l’état d’esprit, le ressenti des visiteurs, des résidents, 47
48
Figure 24 : Porte de l’unité de l’EHPAD d’Aire sur l’Adour source : photo personnelle
Figure 25 : Porte de l’unité de l’EHPAD de Gamarde les bains source : photo personnelle
Figure 26 : Porte de l’unité de l’EHPAD de Mimizan source : photo personnelle
Figure 27 : Porte de l’unité de l’EHPAD de Saint-Pierre-du-Mont source : photo personnelle
Figure 28 : Porte de l’unité de l’EHPAD de Saint-Paul-Lès-Dax source : photo personnelle
Figure 29 : Porte de l’unité de l’EHPAD de Tarnos source : photo personnelle
I.C. Un équipement, deux mondes
du personnel. Ce sont des paramètres essentiellement spatiaux : positionnement dans l’ensemble, volumétrie, apports lumineux, liens à l’extérieur qui créent l’ambiance. L’accès à l’unité laisse parfois un souvenir qui s’imprime de façon impérissable dans l’esprit des familles. Ces familles qui sont venues tous les dimanche pendant un, deux, ou trois ans. Le travail d’accès est une préparation à l’entrée dans l’unité, qui fait naître un sentiment positif ou au contraire qui peut être parfois anxiogène, souvent renforcé par la porte close face à laquelle le visiteur tombe.
UN AUTRE MONDE DERRIÈRE LA PORTE CLOSE L’ÉPAISSEUR DE L A PORTE : SOURCE COMPORTEMENT ET D’ISOLEMENT :
DE
TROUBLES
DU
La porte close est l’élément ultime de l’enfermement. Dans
l’imaginaire collectif, la porte de l’institution symbolise la limite entre deux mondes. Elle canalise les angoisses, stimule l’imagination. Elle semble parfois incarner une épaisseur derrière laquelle naissent des choses énigmatiques. D’un côté comme de l’autre, elle interroge. Que se passe-t-il derrière ? Que se passe-t-il dans l’unité ? Comment est la vie à l’extérieur ? Les digicodes ont remplacé les serrures, et les frustrations des âmes s’amplifient. Lorsque l’angoisse crépusculaire arrive, à la fin des journées d’hiver, il est fréquent de retrouver certains résidents de l’unité agrippés à la barre de la porte, tentant d’ouvrir, de s’échapper, d’être libres. Les portes ont souvent la même typologie d’une unité à l’autre : deux vantaux, percés par deux hublots de forme ronde, parfois carrée, parfois absentes. (figures 24 à 29). Les couleurs varient, rose, beige, blanc, jaune, rappelant toujours inconsciemment les portes de l’hôpital. Des portes d’institution, qui ne rappellent pas celles de la maison. Comment vivre paisiblement, sans le sentiment étouffant d’être enfermé lorsque le lieu de vie donne à voir la porte ? N’y-a-t-il pas la nécessité de transition entre les deux pour améliorer l’existant ? 49
L A TR ANSITION ENTRE L A PORTE ET LE COEUR DE L’UNITÉ :
Certaines unités proposent une entrée directe dans le lieu
de vie, le coeur de l’unité où la majorité des résidents passent leur journée. On remarque dans l’unité de l’EHPAD de Saint-Paul-Lès-Dax (figure 30), que l’accès à l’unité, pourtant rapide et agréable depuis l’accueil de l’établissement, fait entrer le visiteur directement dans le lieu de vie. Il tombe nez-à-nez avec les résidents, assis autour des tables de l’espace repas, préféré par les résidents car il est l’endroit le plus lumineux de l’unité. Le visiteur est plongé de façon brutale dans un monde « parallèle », intime, confiné, dont la rupture brutale est accentuée par le principe même d’organisation d’espaces clos par la porte. La relation instaurée entre le visiteur et le résident n’est pas préparée, elle n’est pas douce. L’entrée surprend, elle agresse presque, puisque le résident est habitué à un mode de vie relativement confiné, protégé. Lorsque nous sommes entrées dans l’unité, le temps semble s’être arrêté, et une dizaine de visages se sont retournés à notre rencontre. Quelle relation peut s’instaurer quand un tel premier contact se fait de cette façon entre deux personnes ? Les unités proposent à leurs manières, des transitions plus ou moins douces permettant d’apaiser les angoisses, de créer un meilleur contact humain.
Figure 30 : L’entrée sans transition entre l’intérieur et l’extérieur source : schéma personnel
Une porte reculée : L’unité de l’EHPAD de Saint Vincent de Tyrosse (Landes) propose une entrée reculée. 50
I.C. Un équipement, deux mondes
La porte d’entrée donne sur un petit espace intime en creux, qui prépare le visiteur à entrer. Il est situé entre deux espaces logistiques, et débouche sur l’espace d’animation assez sombre et semble peu pratiqué par les résidents qui préfèrent rester dans l’espace repas très lumineux grâce à la verrière dont il dispose en toiture (qui malheureusement est souvent source de surchauffe…). Cette transition est plus douce qu’une entrée directe dans le lieu de vie des résidents. (figure 31)
Figure 31 : L’entrée reculée, une relation plus douce source : schéma personnel
La porte en bout de circulation : L’unité de l’EHPAD de Aire-sur-l’Adour (Landes), aménage une entrée sur la circulation, qui même légèrement reculée reste encore très visible et proche du parcours de déambulation et des espaces fréquentés par les résidents comme le petit salon (figure 32). Lors de notre entrée, nous avons pu avoir un aperçu de l’activité manuelle qui se déroulait dans le petit salon très animé, quand une résidente déambulant a dévié son parcours pour se rendre près de la porte que nous venions d’ouvrir. L’obsession de la sortie est là, palpable et met en lumière le manque d’une transition.
Figure 32 : Une entrée à mi parcours de la déambulation source : schéma personnel
51
Aménagement d’un espace d’entrée : L’aménagement d’un véritable petit hall d’entrée semble être une bonne solution. Le hall rappelle celui d’une maison, un petit espace où l’on peut suspendre son manteau, déposer ses paquets. C’est ce que le personnel de l’EHPAD de Tartas (Landes) a essayé de retranscrire. Le projet de l’architecte prévoyait une entrée reculée très lumineuse et agréable, mais la porte restait toujours visible depuis le coeur de l’unité où les résidents aiment passer du temps. Les membres du personnel ont installé un simple rideau dont la couleur est similaire à celle de la peinture du mur. Le rideau se confond, mais sa présence est toujours marquée par sa légère transparence qui laisse entrevoir la lumière (figure 33). Le personnel ne cherche pas à cacher l’entrée, juste à apaiser l’obsession de la porte.
Figure 33 : Une transition douce masquée par un rideau qui rappelle les portes des appartements parisiens recouvertes par des grands rideaux source : schéma personnel
Dans ce petit hall, les visiteurs peuvent effectivement accrocher leurs manteaux, déposer leurs affaires encombrantes et se préparer à entrer dans de meilleures dispositions. Ils n’ont plus leurs manteaux, et ne 52
I.C. Un équipement, deux mondes
rappellent plus ainsi aux résidents qu’ils sont seulement de passage, et que, eux, peuvent sortir de l’unité quand bon leur semble. La relation qui s’instaure est plus douce, plus familière et chaleureuse. La porte est un élément récurrent dans les unités spécialisées d’aujourd’hui. Si elle symbolise l’enfermement et donne accès à un environnement d’espaces tout aussi clos intérieurs ou extérieurs, il ne s’agit pas de la faire totalement disparaître du cadre de vie, car se trouver dans un environnement sans portes serait tout aussi angoissant.
DES ESPACES EXTÉRIEURS CLOS, DES DEGRÉS D’OUVERTURE À LA VIE EXTÉRIEURE «Le jardin f igure le contact essentiel de l’ être avec la nature, la proposition juste entre le petit monde intérieur et l’ immensité du monde extérieur af in que l’ équilibre soit rétabli et la sérénité atteinte». Rober to Burle Marx
Les espaces extérieurs intégrés aux unités, appartiennent aussi au registre de l’enfermement. Bien qu’ils tendent à ouvrir l’unité sur l’extérieur, leurs différentes formes demeurent closes et les contacts avec le monde extérieur restent parfois faibles. LE PATIO CENTR AL
Une grande majorité des unités encercle en leur coeur un
patio autour duquel gravitent les différents espaces : chambres, lieu de vie, déambulation, logistique, etc. Le patio fait de l’extérieur un pivot central de composition (figures 34 et 35). Il permet la présence continue, et la pratique visuelle ou physique du dehors. La jardin clos Figure 34 : (à gauche) Le patio de l’unité de l’EHPAD de Hossegor source : photo personnelle
Figure 35 : (à droite) Le patio de l’unité de l’EHPAD de Saint Martin de Seignanx (La martinière) source : photo personnelle
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apporte une lumière naturelle aux espaces, et crée une ambiance agréable. C’est aussi un moyen sécuritaire, qui permet de laisser les résidents libres, sans surveillance et sans risque de fugue. S’il met l’extérieur et le sentiment de liberté associé, au coeur de l’unité, le patio reste un espace clos qui fait fi de l’environnement alentour. LE JARDIN ACCOLÉ : REL ATION AU MILIEU ET DÉAMBUL ATION
Le jardin accolé, ou longeant l’unité, encourage les
interactions avec le milieu mais met cependant en avant la limite qui devient alors un élément à traiter. La limite devient un espace d’interaction, pouvant créer des relations de voisinage bénéfique à l’insertion de la maladie dans son tissu. Le jardin de l’unité de l’établissement de Tarnos (Landes) (figures 36 à 38) est accolé à un grand parc public animé de jeux pour enfants. Il est très fréquenté par les familles le week end, qui viennent y pique-niquer. L’animatrice de l’unité nous fait part des relations qui s’instaurent entre
Figure 36 : Une limite transparente entre l’établissement et la ville source : schéma personnel
Figure 37 : Un parcours pratiquable source : photo personnelle
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extérieur
Figure 38 : Un grillage comme limite avec vue sur un jardin d’enfant source : photo personnelle
I.C. Un équipement, deux mondes
les promeneurs et les résidents. Les enfants viennent à la limite de l’unité, les personnes âgées discutent, profitent de la vie générée par les activités des enfants. La limite devient une épaisseur propice aux relations intergénérationnelles. Le jardin accolé a aussi un autre avantage qui est celui de créer une promenade. Le jardin de l’unité de l’EHPAD de Gabarret (Landes), jouxte l’unité, et celui de la partie classique. Les résidents peuvent sortir dans le jardin par un endroit et rentrer par un autre, ce qui vient compléter la déambulation intérieure, pour créer une vraie circulation en boucle. (figures 39 à 41) Le jardin devient alors proche de celui que les résidents ont connu dans leur maison avant d’entrer en établissement.
Figure 39 : Une promenade intérieureextérieure source : schéma personnel
Figure 40 : Une petite terrasse ombragée source : photo personnelle
Figure 41 : Vue sur le jardin de la partie classique source : photo personnelle
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LE JARDIN ENGLOBANT
Ce jardin permet de faire le tour de l’unité, comme un
résident faisait le tour de sa maison avant. Il donne la possibilité de voir l’extérieur depuis chaque pièce de l’unité, et ouvre l’espace sur le milieu. Il fait naître avec ce dernier, des relations visuelles qui peuvent être très bénéfiques à l’insertion. Dans l’unité de l’établissement de Rion-des-Landes (figures 42 à 44), les espaces sont entourés par un jardin. Cela crée une grande promenade variée et rythmée par différentes activités : un poulailler, un espace potager en pleine terre, des bacs de fleur, un petit chemin qui longe les
Figure 42 : Plusieurs sorties sur le jardin donnant accès à un parcours extérieur en boucle avec divers activités source : schéma personnel
Figure 43 : Le parcours se resserre et donne à voir sur le «jardin thérapeutique» de la partie classique. source : photo personnelle
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Figure 44 : Deux types de potagers (pleine terre et bac à hauteur) créent de l’animation source : photo personnelle
I.C. Un équipement, deux mondes
chambres et le jardin de la partie classique, pour finir par une terrasse. La promenade en boucle est très appréciée par les résidents. Le directeur indique qu’ils peuvent se promener longuement en discutant et qu’ils aimeraient encore plus de distance. Si les unités spécialisées tendent à offrir des espaces extérieurs, leurs formes restent toujours closes, et les traitements des limites sont parfois sommaires. L’unité et son jardin incarnent le cadre de l’enfermement et un cercle vicieux se met en place. La logistique complexe de l’organisation de promenades à l’extérieur de l’unité et le manque de personnel, restreint le nombre de sorties. Les résidents se déshabituent et reviennent parfois agités. On déclare alors qu’ils sont perturbés en rentrant, ce qui limite encore plus les envies d’organisation de sorties. Le cercle vicieux est alimenté. Le choix du tissu d’insertion semble essentiel. En plus d’appartenir au langage de l’enfermement, les espaces de vie qui tentent de reproduire les espaces de vie domestiques, semblent, malgré leur volonté, avoir du mal à s’éloigner des espaces institutionnels.
57
D. L’UNITÉ, DES ESPACES INSTITUTIONNALISÉS
DOMESTIQUES
Cette étude porte sur le fonctionnement des unités protégées
en EHPAD, qui représentent une grande part de la prise en charge des malades d’Alzheimer depuis leur apparition dans les années 1970.
« L’UNITÉ », UNE TERMINOLOGIE QUI ENFERME
Le terme « unité » vient du latin unus, qui signifie un seul,
unique, et par extension, isolé qui est synonyme d’unique. Au travers de ce terme, on peut lire le caractère atomique de « l’unité Alzheimer », qui existe seule, sans la nécessité de proximité à un environnement, ou l’appartenance à un ensemble. Unité de vie se rapproche du terme cellule d’habitation, et tend encore une fois à être du domaine de l’Institution qui enferme, et dispose des individus dans un espace clos pour mieux les surveiller grâce à de grands espaces visuellement libres. La terminologie utilisée si elle n’est que symbolique, peut influencer la perception que l’on va en avoir, puisque « les mots déclenchent des images, provoquent des réactions de rejet ou d’attirance, créent, renforcent les représentations sociales négatives».21
21. B. PUIJALON, Alzheimer, Ethique et Société, Revue de presse nationale et internationale n°11 de la Fondation Médéric Alzheimer, novembre - décembre 2011 p.29
Aujourd’hui, le modèle de l’unité protégée s’inspire du modèle du CANTOU crée par Georges CAUSSANEL en 1977, qui signifie « Centre d’Animation Naturel Tirées d’Occupations Utiles », mais aussi « coin du feu » en occitan. Il en reprend le fonctionnement familial basé sur la participation à des tâches domestiques quotidiennes dans un espace familier proche d’une maison. L’unité est constituée de trois espaces majeurs, un lieu de vie commun, une déambulation, et des chambres.
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LE LIEU DE VIE : UN MIMÉTISME DES ESPACES DOMESTIQUES « On n’a jamais autant voulu en institution montrer aussi ostensiblement les signes du domicile (…) en introduisant dans l’espace collectif de l’unité le simulacre des autre pièces du logements : séjour, (…) coin repas, qui par ailleurs trahit souvent sa nature originelle et ses
22. C. EYNARD, D. SALON, Architecture et gérontologie. Peut-on habiter une maison de retraite ? Paris, Edition l’Harmattan, 2006 p.135
22
intentions en se justifiant de thérapeutique » UN VASTE ESPACE ENTRE BIENVEILL ANCE ET SURVEILL ANCE
Le lieu de vie d’une unité est composé de trois espaces :
un espace salon, une petite cuisine, et un espace repas dans lequel l’ensemble des activités va pouvoir se dérouler. Cette multi-fonctionnalité qui semble bénéfique, n’est peut-être pas la plus adaptée. Tout d’abord, cette organisation nécessite une grande surface qui parfois est laissée libre et très fluide. La fluidité, si elle n’a pas été partitionnée physiquement en sous ensembles, permet une vue globale, et ainsi une meilleure surveillance. Cette caractéristique s’avère être à double tranchant : il est effectivement pratique pour l’équipe soignante d’avoir une vue d’ensemble sur leurs résidents, mais quelle place ce dispositif spatial laisse-t-il à l’intimité des résidents ? Le lieu de vie peut rapidement apparaître comme un espace de contrôle, qui malgré l’intention bienveillante frôle parfois l’ambiance sécuritaire, confirmant la proximité du lieu de vie au domaine de l’Institution. 23. C. BASTIEN, O. RICK, La spatialisation de la violence symbolique en maison de retraite, dans Colloque Doc’Geo sous la direction de Guy di Méo, Espaces d’enfermement, espaces clos, Bordeaux, Cahier ADES, 2008 p.92
Lorsque l’aspect fonctionnel prend le dessus sur l’ambiance, l’appropriation des lieux semble difficile. Le lieu de vie, devient alors un « espace officiel de convivialité, (…) qui ne constitue ni un lieu d’intimité, ni un lieu de sociabilité, mais bien plus souvent un lieu de parcage des résidents, alignés des heures durant sur des chaises adossées à l’un des murs (…) permettant au personnel de les avoir sous les yeux pendant les 23
tâches diverses de la journée. »
60
I.D. L’unité, des espaces domestiques institutionnalisés
TROIS SOUS-ESPACES : LES ESPACES DE INSTITUTIONNALISÉS, QUELLE APPROPRIATION ?
LA
MAISON
Les trois sous-espaces sont donc parfois confondus, peu
hiérarchisés, et vastes. Ils permettent l’appropriation par le collectif, une flexibilité des activités, mais ne favorisent pas l’appropriation de l’intime, malgré l’évocation qu’ils font des espaces domestiques. Un réfectoire plus qu’une salle à manger : S’ils ne sont pas dans le salon, les résidents sont bien souvent assis aux tables de la salle à manger. Les repas sont des temps forts dans la vie du résident puisqu’ils rythment et occupent une grande partie de la journée. Il s’agit souvent de l’espace situé au coeur du lieu de vie, entre la cuisine et le salon, et souvent proche des sources de lumière naturelle, il est donc favorisé par les résidents. La tendance aujourd’hui est au « thérapeutique », et les repas n’ont pas échappé à cet estampillage. Les équipes soignantes prennent depuis quelques années leur repas en compagnie des résidents, pour ne plus être dans l’aide mais dans le partage, et favoriser une ambiance familiale, dans un cadre qui malgré de grands efforts reste pourtant peu propice à cela. La salle à manger se rapproche en effet bien souvent du réfectoire (figure 45), et n’est seulement matérialisée que par la présence de tables et de chaises, dénuée parfois de l’idée de convivialité et de
Figure 45 : Réfectoire de l’unité Alzheimer de l’EHPAD à Aire-surl’Adour source : photo personnelle
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Figure 46 : La cuisine semi-ouverte de l’unité de l’EHPAD de Souprosse source : photo personnelle
Figure 47 : La cuisine ouverte de l’unité de l’EHPAD de Biscarosse source : photo personnelle
62
I.D. L’unité, des espaces domestiques institutionnalisés
partage qu’incarne le repas. Comment espérer redonner l’envie de déjeuner dans un tel cadre ? On sait aujourd’hui que la dénutrition touche plus de 270 000 résidents d’EHPAD24 , et entraine parfois des infections, des chutes, jusqu’au risque de décès. Le traitement de l’espace des repas peut donc jouer un rôle clefs vers un retour au plaisir de manger, et de la possibilité
24. D. QUILLOT, R. THIBAULT, P. B AC H M A N N , E. GUEX, G. ZEANANDIN, P. C OT I - B E RT R A N D, Traité de nutrition clinique à tous les âges de la vie, Paris, SFNEP, 2015 p.737
d’échanges humains qu’il représente. Une cuisine pour un repère olfactif La cuisine présente dans tous les lieux de vie, permet l’organisation d’ateliers cuisine, la stimulation des praxies (éplucher des légumes, pétrir une pâte), et celle des sens par les odeurs qui peuvent s’en dégager mais aussi par les sons du quotidien (lave vaisselle, etc.). Elle centralise les activités domestiques. Si elle reste visible à l’oeil des résidents, elle ne leur est parfois pas accessible, ce qui en plus d’être frustrant, limite le potentiel intérêt de cet espace. On relève trois dispositifs de cuisine, de la plus fermée à la plus ouverte : - La cuisine entièrement fermée par une porte, le résident ne peut voir ce qu’il s’y déroule et n’y a pas accès. - La cuisine semi ouverte (figure 46), fermée par une porte, elle n’est pas entièrement visible, mais sa présence est matérialisée par un dispositif bas comme un bar. - La cuisine ouverte (figure 47), rend son organisation visible, mais l’accès peut être fermé par une paroi vitrée ou un dispositif bas, l’accès est sécurisé et se fait accompagné d’un soignant. L’accès à la cuisine peut-être favorisé grâce à un environnement adapté et sécuritaire, tout en restant à l’image de la cuisine courante d’un
25. B. CHALINE, op. cit.
25 logement , pour qu’elle redevienne l’espace de partage qui fait sens
dans un domicile. 63
Figure 48 : Le «salon» de l’unité de l’EHPAD de Saint-Pierre du Mont source : photo personnelle
Figure 49 : Le salon séparé de l’unité de l’EHPAD de Souprosse source : schéma personnel
Figure 50 : Le salon séparé de l’unité de l’EHPAD de Souprosse permet l’intimité dans le collectif source : photo personnelle
64
I.D. L’unité, des espaces domestiques institutionnalisés
Un salon pour le collectif Le lieu de vie présente plusieurs degrés d’intimité, la salle à manger est le lieu du collectif, du convivial. Le salon quant à lui, incarne la possibilité d’une intimité dans le collectif, un endroit pour être seul sans pour autant se sentir seul, un espace dans lequel on peut être là sans avoir l’obligation de participer à une activité, pour voir sans être vu. Un endroit dans lequel les familles pourraient avoir plaisir à s’installer lors de leurs visites au lieu d’aller dans la chambre de leur proche. Les aménagements possibilité
de ces espaces traduisent peu souvent cette
d’appropriation,
et
sont
éloignés
de
l’ambiance
domestique. Le salon est seulement souvent matérialisé par la présence de fauteuils disposés en rang-d’oignon (figure 48) qui font parfois face à un écran de télé-vision et sont ainsi peu utilisés. La différence entre le salon et la salle à manger n’est traduite qu’en termes de mobilier. L’espace est le même et l’ambiance lumineuse varie peu. Les espaces « salon » des unités n’incarnent que peu la richesse des échanges et des actions qui s’y déroulent et pourraient s’y dérouler de façon simultanée. On remarque d’ailleurs, que lorsque le salon est différencié de l’espace cuisine/salle à manger, celui-ci semble plus apprécié (figures 49 et 50) par les familles et les résidents. Le besoin de fonctionnalité et d’organisation les transformer en espaces institutionnels, au détriment de l’ambiance familière.
LA DÉAMBULATION ET MORPHOLOGIE D’UNITÉ, LE DESSIN DU CHEMINEMENT THÉRAPEUTIQUE UN ÉLÉMENT STRUCTUR ANT :
Les programmes de conception préconisent la présence d’un
espace de déambulation dans les unités protégées pour répondre au besoin de promenade des résidents. En effet, les personnes touchées par la maladie deviennent pour la plupart à un certain stade, très 65
Figure 51 : Circulation centrale de l’unité de l’EHPAD de Gabarret, un parcours avec vue sur toutes les activités source : schéma personnel
Figure 52 : Circulation en boucle autour d’un patio source : schéma personnel
66
I.D. L’unité, des espaces domestiques institutionnalisés
déambulants, et peuvent marcher plusieurs kilomètres par jour. L’espace de promenade intérieure est un élément structurant en ce qu’il permet de prendre soin des résidents en favorisant une activité physique libre, mais il va aussi et surtout structurer l’espace de l’unité et induire sa morphologie. Selon le positionnement de la déambulation et des espaces extérieurs, on relève trois morphologies d’unité : La circulation centrale et l’unité traversée : Le positionnement central de la circulation permet une traversée de tous les espaces de vie de l’unité, des plus collectifs au plus intimes. Elle permet une promenade variée, rythmée, qui va pouvoir distraire le résident tout au long de sa balade. L’unité de Gabarret (figure 51) est structurée ainsi, le parcours est animé, mais présente à une de ces extrémité un cul-de-sac qui de l’autre côté à été évité par une boucle. La circulation englobante : On trouve ce type de circulation lorsque l’unité dispose en son coeur d’un patio. La circulation va alors faire le tour du patio, et le réunir au lieu de vie. Grâce à ce positionnement, le parcours présente plus de chances d’être rythmé, d’offrir une plus grande variation d’ambiance, et des séquences d’intimité et de vie collective. (figure 52) La circulation au coeur de l’unité : L’unité ne dispose pas d’un patio central mais de jardins accolés, la circulation se positionne au coeur de l’unité tout en offrant un parcours en boucle et fait partie intégrante des espaces de vie. La promenade peut ainsi bénéficier de l’animation des espaces tout en conservant des espaces d’intimité. 10h, dans l’unité de l’établissement de Souprosse. Notre visite est suspendue par une résidente. Monique, 88 ans, nous raconte sa matinée, elle se promène depuis maintenant une heure, et ne semble pas lassée de sa balade. Elle longe les murs de façon discrète, s’arrêtant à chaque petit détail, une poignée de porte, une grille d’aération, une fenêtre sur le 67
potager, une baie vitrée sur la terrasse. La promenade intérieure semble suffisamment riche pour s’éloigner de l’errance. L’unité située dans l’EHPAD de Souprosse présente une circulation en son coeur (figure 53). Les possibilités de parcours sont multiples grâce au positionnement des différents espaces, mais aussi au mobilier. Les ambiances varient tant en terme de lumière, que d’espace. Les hauteurs sous plafond changent, les largeurs se dilatent et se resserrent, donnant naissance à des espaces où l’intime peut trouver sa place dans le collectif.
Figure 53 : Une multitude de possibilité de promenade dans l’unité de l’EHPAD de Souprosse source : schéma personnel QUELLE PL ACE L AISSÉE À L A LIBERTÉ :
Le dessin du parcours parfois rigide, incarné par une simple
boucle desservant les différents espaces, semble ne laisser que peu de place à la liberté du résident. Le parcours est tracé. Le résident tourne en rond, dans une ambiance plus ou moins dynamique, plus ou moins familiale. Les circulations restent néanmoins pour la plupart, proches d’un espace de circulation institutionnel. Les espaces collectifs appartiennent au langage du domestique « salon, salle à manger, cuisine », mais restent pourtant marqués du fer de l’Institution. La trace de l’Institution se fait au travers de la présence de vastes surfaces libres dont l’aménagement n’incarnent pas la richesse de fonction du lieu. Le salon pourrait être un jour salon, le lendemain salle de réunion. L’idée même du lieu n’est pas encore suffisamment incarné, et le simple ameublement ne suffit pas à y faire naître certaines 68
I.D. L’unité, des espaces domestiques institutionnalisés
pratiques. A cela, s’ajoutent les couleurs et matières utilisées, dont la colorimétrie rappelle celle du milieu hospitalier, bleu pâle, vert, parfois rose. Du lino uniforme au faux plafond 60x60 en passant par le néon encastré, quelle chance est vraiment donnée à une possible ambiance domestique et familiale tant recherchée ?
LA CHAMBRE : LA DISPARITION DE L’INTIMITÉ
L’entrée en établissement est souvent un moment difficile à
vivre pour le résident. Il s’agit d’un moment de rupture. Rupture avec le domicile, les voisins, le quartier, parfois même la ville. Elle amène parfois le résident à se dé-saisir des objets qui faisaient son quotidien. C’est un moment qui peut être alors vécu comme une sorte de dépouillement « symbolique et matériel.»26
26. C.BASTIEN, RICK, op. cit. p.93
O.
Les objets et le mobilier sont cependant ce qui permet la personnalisation d’un espace, son appropriation, et le fait qu’on s’y sente chez soi. Comment alors, se retrouver, dans un espace qui ne nous correspond pas ? Qui n’incarne ni notre histoire, nos goûts, ce qui nous anime et nous habite ? Certains établissements permettent aux résidents d’apporter un ou deux meubles dans la « limite du raisonnable » 27 qui est souvent lié à la facilitation justifiée de la logistique institutionnelle : ménage, soin des personnes, encombrement. Mais est-il vraiment raisonnable de penser
27. Interview infirmière coordonatrice d’un EHPAD à Saint Martin de Seignanx, Landes
des chambres pleines d’un mobilier hôtelier qui ne traduisent pas la richesse de l’espace le plus intime ? Est-il raisonnable de fournir le même mobilier au douze chambres d’une unité lorsqu’on espère créer des repères à des personnes à qui cela manque ? Il est 11h quand nous entrons dans la chambre de Marie. Sa chambre d’une vingtaine de mètres carrés, est loin de l’idée que l’on se fait d’un chez-soi. Marie n’a pas décoré sa chambre, elle est restée telle que l’établissement lui a donné : d’un minimalisme standardisé et homogène. Le mobilier dans les tons clair est standard : un lit médicalisé au milieu de la pièce, un fauteuil en vinyle à l’angle du mur, un petit bureau face au mur peint, une salle d’eau cabine. Sa chambre se rapproche plus de la pureté d’une cellule 69
Figure 54 : Une chambre de l’unité de l’EHPAD de Saint-Paul-lès-Dax source : photo personnelle
Figure 54 : Salle d’eau avec syphon central de l’unité de l’EHPAD de Saint-Paul-lès-Dax source : photo personnelle
70
Figure 56 : Salle d’eau «cabine» de l’unité de l’EHPAD de Saint Martin de Seignanx source : photo personnelle
I.D. L’unité, des espaces domestiques institutionnalisés
monacale que du désordre de la vie quotidienne. Elle ressemble à celle de sa voisine, et parfois Marie ne s’y retrouve plus. C’est pourtant l’espace privilégié par les familles lorsque le salon ne permet pas de profiter d’intimité dans un espace collectif. La chambre présente deux organisations courantes qui ont un rôle clef dans la possibilité d’intimité : la chambre dont la porte donne directement à voir sur la tête de lit ; la chambre inversée, dans laquelle la porte donne sur le bout du lit (figure 54) La première permet un degré d’intimité moindre que la seconde. Elle semble faciliter la bienveillance des soignants sur les résidents, facilitée par des portes souvent ouvertes. « La chambre de ces résidents n’est plus alors qu’une extension de l’espace collectif de prise en charge » 28 La chambre dispose d’une salle d’eau (figures 55 et 56) dont
28. C.BASTIEN, O.RICK, op. cit. p.94
l’aménagement se rapproche parfois d’une cabine par soucis encore une fois d’hygiène, de normes, d’entretien. Le lino du sol devient plinthe, parfois mur. Un espace proche de l’hygiénisme et bien loin de l’idée du moment de détente, de plaisir qui permet à l’individu de retrouver un rapport à un corps qui lui devient parfois étranger. La salle d’eau est sans doute l’espace le plus intime, un espace où le corps se met à nu en la présence d’une tierce personne. Un espace qui devrait véhiculer autant de chaleur, et de bien être possible pour transformer le temps de l’hygiène en un moment de plaisir, de soin de soi, d’intimité pure. L’unité semble disposer de nombreux espaces domestiques, cependant leurs potentiels de bien-être, de confort et d’interactions humaines restent parfois peu exploités. Le fonctionnement institutionnel l’associe à l’image d’enfermement, source d’angoisse et de troubles. L’unité oscille donc entre domesticité et institution. Elle se trouve « déchirée entre les objectifs contradictoires et des nécessités contraires : puiser sa justification dans un registre thérapeutique tandis que ses références formelles et visibles doivent s’inspirer de l’ordre du familier, du
29. C. EYNARD, D. SALON, op. cit. p.135
29 domestique » .
Les deux identités ne semblent pas pouvoir cohabiter pleinement et exister l’une autant que l’autre. N’y voit-on pas là la nécessité d’abandonner l’une des deux ? 71
Figure 57 : La mise en place d’un cercle vicieux par le fonctionnement institutionnel source : schÊma personnel
72
CONCLUSION : DES ESPACES INSTITUTIONNELS VECTEURS D’UN « ENFERMEMENT INAVOUÉ » Si les établissements pour personnes touchées par la maladie d’Alzheimer ont tendu à s’éloigner du modèle psychiatrique et de l’image véhiculée, ils n’en restent pas moins des espaces clos. Des espaces clos dont l’enfermement structurel est matérialisé par des portes, des grilles, « autant d’éléments visibles et tangibles » 30 , qui sont pourtant pensés pour la bienveillance, le soin, la sécurité de la personne, et pesés selon la balance bénéfice/risque. Les unités Alzheimer sont aussi caractéristiques d’un enfermement invisible, qui transparaît au travers des terminologies utilisées, de l’insertion des espaces dans un établissement et dans leur milieu. La structure, souvent éloignée des espaces denses en population et en
30. M.MUS, La localisation des structures d’accueil pour les populations d é f i c i e n t e s . L’enfermement inavoué, dans Colloque Doc’Geo sous la direction de Guy di Méo, Espaces d’enfermement, espaces clos, Bordeaux, Cahier ADES, 2008 p.100
services, dispose en effet souvent d’un environnement proche et d’un espace public inadapté à la pratique, démotivant ainsi certains résidents et parfois le personnel à en sortir. Les résidents sont alors en quelque sorte marginalisés, et victimes d’une « mise à l’écart indirecte (…) par les producteurs des espaces d’accueil » 31
31. M. MUS, Ibid. p.105
Si le contenu programmatique semble louable et plein de bonnes intentions, le fonctionnement institutionnel tend inconsciemment à limiter l’intimité et par cela la liberté des résidents en ne mettant parfois l’accent que sur le collectif. L’Institution transforme ces espaces de vie, et produit des espaces d’enfermement à la fois avoués et inavoués menant à un cercle vicieux (figure 57), qui pousse à une remise en cause du modèle prescrit, en allant vers un modèle plus ouvert sur la ville, la vie, et l’humain.
73
02
VERS UNE COHABITATION URBAINE, PROGRAMMATIQUE ET HUMAINE : LA NÉCESSITÉ D’UNE AUTHENTIQUE RELATION AVEC LA VILLE
75
A. CONSTRUIRE AUJOURD’HUI POUR LES GÉNÉRATIONS DE DEMAIN : QUELS BESOINS ?
Généralement, les constructions d’EHPAD sont prévues
pour être financièrement amorties sur une cinquantaine d’années. Un EHPAD construit en 2016 devrait être toujours fonctionnel d’ici 2066 afin d’accueillir des résidents qui ont aujourd’hui entre 25 et 30 ans. Ils auront eu un mode de vie urbain, dynamique, mobile. Une vie urbaine appuyée sur les nouvelles technologies, l’habitude d’être à proximité de tout : services, commerces, transport, vie sociale. Jusqu’à récemment, les constructions d’EHPAD étaient entre autre destinées à une part importante de population rurale, habituée aux grands paysages naturels, à franchir des distances parfois importantes pour des actes de la vie quotidienne (faire des courses, aller au cinéma, aller travailler, etc.) Les besoins des résidents d’aujourd’hui et ceux d’hier ne semblent pas être exactement les mêmes, avec une population de demain très urbaine. Cette évolution des modes de vie est à prendre en compte dans la programmation et dans la conception d’établissements pour personnes âgées qu’elles soient atteintes d’Alzheimer ou non, et fera partie des facteurs favorisant le maintien des repères. Les besoins de la personne doivent être au coeur de la conception. Il convient donc de les requestionner à chaque projet. Pour qui construiton ? Comment vivent-ils ? Dans l’imaginaire collectif, le besoin de sérénité est incarné par l’image de la tête blanche regardant, impassible, l’étendue de forêt de pins à perte de vue derrière la fenêtre. Mais n’est-ce pas un mythe romantique qui sert plus à se rassurer ? Les personnes âgées ont comme tout un chacun, besoin de belles vues derrière leurs fenêtres, mais elles ont aussi et surtout besoin de vie, d’une dynamique qui les anime et les motive à garder un pied dans la vie réelle. Ce n’est d’ailleurs pas anodin si la télévision est toujours allumée dans le salon 77
de Catherine 89 ans, que Paul s’endort et se réveille avec la radio sous l’oreiller, que Geneviève s’assied toujours dans le hall d’entrée de la maison de retraite, pour voir passer les gens. Observer le passage, les va-et-vient des soignants, des visiteurs, le livreur qui décharge le camion, l’employé d’entretien qui change l’ampoule du couloir. Les personnes âgées semblent avoir besoin, plus que tous autres éléments, de ces petites choses, ces trois fois rien qui font la vie quotidienne et semblent parfois anodins à 20, 30, 40, 50 ans. Pierre, 88 ans, a passé ses étés assis à des terrasses de cafés, partout où il avait pu en trouver, observant la marche des passants, leur inventant des histoires, saisissant des bribes de conversation. 32. Collectif d’auteurs, La philosophie de A à Z, Paris, Edition Hatier, 2000
Les habitudes ne devraient pas avoir à s’arrêter. Elles sont les « manières d’être, une seconde nature » 32, elles caractérisent la vie et la personnalité de l’individu. Ce qu’ils sont. L’habitude est support à la création et au retour de souvenirs. Retirer la liberté de poursuivre ses habitudes à l’entrée en EHPAD, ne reviendrait-il pas alors à limiter la possibilité de l’humain à exprimer ce qu’il est, à être lui-même ?
33. Extrait d’interview « Architecture : Marc Barani, qui êtesvous ? », Clément Falize sur Culture.fr
L’architecture se doit de mettre le vivant, l’utilisateur, au centre de la conception, c’est donc « à la façon dont les gens vivent qu’il faut d’abord s’intéresser » 33 , et dans le cas d’un EHPAD à ce que les personnes âgées sont vraiment. Comment vivent-elles quand l’avancée en âge ne permet plus autant de mobilité qu’avant, mais que les habitudes doivent toujours faire partie du quotidien ? Comment éprouver les relations sociales qui caractérisent la vie réelle, lorsque l’on est « enfermé » dans une institution, et que la relation entre la ville et le résident change, le faisant passer d’acteur à spectateur ? Une des réponses aux besoins réside dans le frottement, la relation que la ville et l’Institution entretiennent, et que ces dernières devraient mutuellement nourrir. Les préoccupations de densification urbaine, de fin de mitage et de limitation de consommation de terres vierges actuelles, poussent les collectivités à construire de plus en plus proche des centres ville
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II.A. Construire aujourd’hui pour les générations de demain : quels besoins ?
et coeurs de village. Cette tendance ne doit pas être considérée comme une contrainte ne permettant plus d’offrir de larges paysages naturels aux fenêtres des maisons de retraite, mais comme une chance, un possible : celui de créer une dynamique urbaine grâce à un établissement, en répondant aux besoins des résidents, qui sont parfois mis à l’écart de la programmation et des choix de conception architecturale. Ces enjeux soulignent l’importance de l’intégration en tissu urbain d’établissement pour personnes âgées. Construire en ville répondrait à la fois aux besoins et à la demande des personnes avançant en âge, qui finalement sont les premières concernées, mais aussi favoriserait la naissance de nouvelles relations entre la ville et l’Institution, diminuant le sentiment de rupture entre ces deux entités. Pourquoi alors ne pas s’appuyer sur ce que la ville existante a à offrir, sur le « déjà-là » dont les couleurs teintées de la patine du temps, les habitudes, les authentiques battements de vie jaillissent ?
79
B. DEUX ENTITÉS, UNE RELATION À DOUBLE SENS ET DES APPORTS RÉCIPROQUES LES APPORTS DE L’EHPAD À LA VILLE : MIXITÉ ET DYNAMISME
La greffe d’un projet de ce genre dans un centre urbain
pourrait être vu comme un moyen pour re-dynamiser des centres parfois peu attractifs. L’EHPAD (avec une unité Alzheimer) est un équipement qui s’adresse indirectement à toutes les générations. Les utilisateurs gravitant autour de cet équipement ne sont pas seulement les résidents, ce sont aussi leurs proches, le personnel, les personnes qui permettent son fonctionnement quotidien. Ce sont des enfants, des adultes, des adolescents, un flux de personnes variées qui viennent à différentes temporalités (visiteurs en journée, relais du personnel, livraison le matin etc.). C’est donc un lieu de mixité générationnelle. C’est aussi un lieu de mixité sociale, puisqu’il rassemble sous un même toit des personnes d’horizons divers : professions, cultures, milieux sociaux. L’Institution pourrait devenir bien plus qu’un espace de passage où les familles viennent visiter leurs proches, une heure enfermés dans une chambre triste, et bien plus qu’un lieu où l’on va parfois à reculons. Les flux et mobilités divers qui y sont liés, peuvent ainsi être vecteurs de dynamisme urbain dans certains centres-villes parfois délaissés, en amenant les villes à se restructurer, par la création de voiries praticables par tous, et adaptées aux différentes mobilités. Il ne s’agit bien sûr pas de créer une rue uniquement piétonne pour former un environnement calme autour de la structure, tout d’abord parce que les personnes âgées à mobilité parfois réduite ont besoin d’être attendues ou déposées devant les portes de l’établissement, mais aussi car les circulations de voitures, de piétons, vélos, participent à l’animation de la rue. La création d’un espace public amènerait de la vie aux portes de l’établissement. 81
LES APPORTS DE LA VILLE À L’EHPAD : LE THÉÂTRE URBAIN
La personne atteinte de la maladie d’Alzheimer est, plus que
toute autre, touchée par son environnement. Il ne s’agit pas seulement de son environnement proche (l’unité par exemple), mais aussi de son environnement global, le milieu à plus grande échelle qui l’enveloppe. Le milieu que l’on voit depuis l’intérieur de l’institution, depuis le jardin. Celui que l’on entend sans forcément le voir en ouvrant la fenêtre d’une chambre. Le milieu qui parfume. L’odeur du pain qui cuit dans la boulangerie de l’autre côté de la rue, et qui met l’eau à la bouche. Le milieu est une question de sens, de sensations et d’émotions jaillissantes. La relation du résident à la ville pourrait être alors de deux natures, différentes selon l’évolution de ses capacités d’autonomie : être acteur ou spectateur de la vie urbaine. Intégrer un établissement pour personnes âgées dans un tissu urbain dynamique permettrait au résident de devenir acteur de la ville, et de retrouver ainsi une prise sur son milieu, son territoire. Il s’agirait par exemple de rendre possibles et pratiques les sorties : aller faire trois courses, traverser la rue pour acheter un journal, aller chez le médecin, etc. Bien sûr, c’est toujours grâce à la présence d’un personnel accompagnant que ces sorties seraient possibles. En réintégrant les structures dans les centres villes et en s’appuyant sur la vie urbaine existante qui se déroule quotidiennement, le résident aurait la possibilité de devenir spectateur, d’éprouver la rue, la ville depuis son lit, son fauteuil. Il pourrait entendre, sentir, voir le théâtre urbain et la vie qui se déroule sous ses fenêtres. Ce rôle de spectateur est possible selon le tissu d’implantation et les équipements qui le constituent. Le choix du positionnement est décisif. La dynamique à l’intérieur de la structure ne sera pas la même si les branches éparses dans la haie du jardin donnent à voir l’entrée de l’école voisine : les allées et venues des parents qui récupèrent leurs enfants, créant ensemble une sorte de balais urbain organisé, et rythmé par les cris 82
II.B. Deux entités, une relation à double sens et des apports récproques
des enfants, et les claquements des ballons rebondissant sur le bitume de la cour. L’éloignement physique des structures rend les sorties des résidents complexes, nécessitant une logistique importante parfois démotivante : louer des mini bus pour effectuer le trajet jusqu’au marché du village d’un petit groupe de résidents, libérer du personnel pour encadrer la sortie, etc. Or, si l’unité était plus ouverte sur son milieux, avec la possibilité de sortir facilement dans un quartier assez dynamique et animé (demandant ainsi peu de logistique), le résident ne se déshabituerait pas au rythme de la vie urbaine, et serait alors peut-être moins perturbé. La situation d’un EHPAD à portée de rue de la vie urbaine favoriserait le maintien du lien à la vie réelle, limitant la rupture souvent brutale de l’entrée en établissement qui fait parfois ressentir que la vie s’arrête. Si les fonctionnements de la ville et de l’Institution peuvent s’enrichir l’un et l’autre, la relation pourrait être encore plus forte, faisant de la limite ville/Institution quelque chose de plus poreux et perméable aux échanges et interactions, qui ne sont aujourd’hui matérialisés bien souvent que par le traitement de l’entrée.
83
C. L’ENTRÉE DU BÂTIMENT, PIVOT D’UNE INTERFACE CLEFS DANS LA RELATION VILLE-INSTITUTION ET LA PERCEPTION DE LA MALADIE
Donner naissance à une telle structure en ville, va permettre
de réintégrer les résidents dans la société, mais va aussi donner un nouveau visage au fait de vieillir, qui dans notre société semble effrayer, angoisser, et n’est pas associé à quelque chose de positif. Il suffit de consulter un dictionnaire pour y trouver quelques synonymes des termes « vieillir » et « vieillesse » : « déchoir, décliner, sénescence, déchéance, etc. » qui suffisent à traduire l’image que l’on peut avoir du fait de grandir en âge. La plupart des individus repoussent l’entrée en établissement, peutêtre en partie car l’histoire est écrite : être chez soi jusqu’au dernier moment, puis à la maison de retraite à reculons, pour finir sous terre. L’image des établissements médico-sociaux pour personnes âgées semble déterminante dans le processus d’acceptation, d’intégration et de réconciliation avec le vieillissement. L’interface est « une limite commune à deux ensembles permettant des échanges entre ceux-ci. » L’entrée, joue ce rôle d’interface, et est un élément clé dans l’amélioration de l’image véhiculée. C’est une épaisseur qui va permettre au visiteur de créer un premier contact, d’avoir un premier avis général, qui parfois ne change pas. Cette épaisseur présente deux dimensions : sa dimension extérieure : la façade, et sa dimension intérieure : le hall d’accueil.
85
Figure 58 : Entrée accueillante de l’EHPAD de Biscarosse source : photo personnelle
Figure 59 : Entrée à petite échelle de l’EHPAD de Gamardeles-Bains source : site internet Jack Bellocq Architecture
Figure 60 : Entrée de l’institution de Gabarret source : photo personnelle
86
II.C. L’entrée du bâtiment, pivot d’une interface clefs dans la relation ville-institution et la perception de la maladie
LA FAÇADE D’ENTRÉE, LE PREMIER CONTACT VISUEL
Elle véhiculera une ambiance plus ou moins positive selon
plusieurs paramètres : la morphologie,
la hauteur, le traitement
paysager de l’entrée, les matériaux et couleurs utilisés. De nombreuses morphologies sont possibles, en comparant quelques établissements, on s’aperçoit que le langage architectural utilisé transmet un discours différent d’un bâtiment à l’autre. La morphologie en U : EHPAD Léon Dubedat à Biscarosse (figure 58) La morphologie en U de cet établissement réalisés en 2012 par TLR Architecture, délimite entre ses deux bras, un espace extérieur de taille moyenne, que le corps peut facilement s’approprier. Il semble dire aux visiteurs « bienvenue, ici vous pouvez être chez vous ». L’ambiance intime créée est agréable, les tons orangés utilisés renforcent cette atmosphère. Le balcon filant tout du long sépare la hauteur du bâtiment en deux parties, ce qui redonne un échelle appropriable, domestique à la façade. En plus de cette morphologie, l’entrée est traitée par un bloc qui se démarque en avançant de quelques mètres, et délimite un porche. Addition d’un bloc en façade pour marquer l’entrée : EHPAD du Louts à Gamarde les Bains (figure 59) L’entrée de ce projet réalisé en 2013 par l’agence Bellocq Architectes, se démarque grâce à l’addition d’une boite en bois. Les tasseaux de bois adoucissent le revêtement blanc éclatant des murs en béton. L’échelle proposée est celle du corps, elle diffère du reste de l’établissement, qui semble plus monumentale et se revendique en temps qu’Institution. La boite permet une échelle plus petite qui crée une transition douce entre l’extérieur et l’intérieur. La façade d’entrée en longueur : EHPAD Les ajoncs à Gabarret (figure 60) La façade de l’EHPAD situé à Gabarret et restructuré en 2009 par l’architecte Champagnat, donne a voir depuis le grand parvis d’entrée une façade en longueur qui véhicule l’image d’une institution. 87
Figure 61 : Entrée protégée de l’EHPAD de Sore source : photo personnelle
Figure 62 : Insertion dans le centre ville de Nice. En turquoise les équipements et rues commerçantes source : schéma personnel Figure 63 : (à gauche) Transparence depuis la rue source : photo V. Sabatier
Figure 64 : (à droite) Transparence depuis l’intérieur source : site internet Institut Claude Pompidou
88
II.C. L’entrée du bâtiment, pivot d’une interface clefs dans la relation ville-institution et la perception de la maladie
Le bâtiment s’offre entièrement au regard, il s’affiche comme une institution, quelque chose de fort, de très présent. La partie entièrement vitrée est la zone d’accueil, elle permet une grande transparence et joue le rôle de pivot entre deux corps de bâtiment. Cette échelle que l’on pourrait qualifier de monumentale est atténuée par le auvent soulignant la séparation horizontale du bâti. Au fur et à mesure que le visiteur va s’approcher du bâtiment, la vue du R+1 ne sera plus entière, et l’échelle sera ainsi réduite. Le dialogue avec le corps se fait dans le mouvement, l’image véhiculée reste tout de même assez institutionnelle. L’entrée reculée protégée par un porche : EHPAD les balcons de la leyre Sore (figure 61) Dans ce projet réalisé par TLR Architectes en 2011, l’entrée est en creux protégée par un débord de toiture qui joue le rôle de auvent et protège la façade du soleil. A une échelle plus grande, le code de l’entrée de la maison est retranscrit : le auvent, une hauteur de bâti faible, une fenêtre avec allège pleine. La taille de l’entrée modeste, ne perd pourtant pas de son importance grâce en partie à la couleur rouge brique utilisée. La transparence de l’entrée et du rez-de-chaussée : l’Institut Claude Pompidou à Nice : (figure 62) L’architecte Marc Barani a réalisé ce projet en 2014 en plein coeur de Nice. Le bâtiment se situe à l’angle d’une rue dont les rez-dechaussée sont constitués de petits commerces. C’est une rue passante, empruntée par les piétons, voitures, vélos. L’architecte a choisi de traiter le rez-de-chaussée de façon transparente, tout comme le hall d’accueil, pour donner à voir la maladie d’Alzheimer, la faire participer à la vie urbaine. Grâce à cette transparence, l’établissement s’ouvre sur la ville, un dialogue se crée entre cette dernière et l’institution. Les résidents peuvent être spectateurs de rythme urbain. Le dialogue entre le bâtiment et le piéton se fait donc par l’interface de la façade (figure 63 et 64). Cet échange est réel, et essentiel, puisqu’il dessine parfois les prémices de ce que sera la relation. 89
34. Alain de Botton, L’architecture du bonheur, Paris, Edition Le Livre de Poche, 2009
Alors « de quoi voulons-nous que nos bâtiments nous parlent ? »34 . Quelle histoire, quelle relation voulons-nous raconter au travers de cette épaisseur ? Quelle lecture choisit-on de donner à la structure ? Estce la lecture de « l’EHPAD », de l’Institution, ou bien la lecture de la « maison » de retraite ? Pour tendre vers un nouveau modèle, la deuxième solution semble être une réponse. Redonner à lire l’idée de la maison au travers de la façade, et par là, l’idée même d’habiter. D’habiter la maison de retraite et non plus d’y « séjourner ». Comment habite-t-on la maison de retraite ? Doit-elle être semblable à une maison ? Reprend-elle simplement les codes, les séquences du domicile, à une échelle sensiblement plus grande ? Quels sont ces codes ? Comment entrons-nous dans une maison de retraite ? Quels filtres traversons-nous ? Quels sont les éléments qui donnent la sensation de rentrer dans un chez soi partagé avec 70 autres personnes et de bien s’y sentir ? Comment habitons-nous à 80, 90, ou 100 ans ? La façade et son échelle plus petite, plus réconfortante, et rassurante incarne un premier élément de réponse. Si son travail est important il tend parfois à mettre en valeur, en vitrine, des espaces plein de vie au rez-de-chaussée, délaissant parfois les espaces communs des étages, menant à une dichotomie entre les deux.
LE HALL D’ACCUEIL : LE PREMIER CONTACT PHYSIQUE AVEC L’INTÉRIEUR « A ce poste d’observation privilégié sur les liens de l’établissement avec le vaste monde, on peut être spectateur sans être acteur, visible sans être impliqué, présent sans pouvoir être
35. C. EYNARD, D. SALON, op. cit. p.178
35
ignoré »
La deuxième dimension de l’entrée est le hall d’accueil,
qui est le premier espace intérieur pratiqué. Là aussi, plusieurs paramètres interféreront dans le ressenti véhiculé, plus ou moins hospitalier,
hôtelier ou domestique. Parmi de nombreux facteurs,
nous nous intéressons particulièrement à trois d’entre eux : le volume de l’espace, les couleurs et matières utilisées, et le mobilier 90
II.C. L’entrée du bâtiment, pivot d’une interface clefs dans la relation ville-institution et la perception de la maladie
et son agencement proposé, en les croisant au travers de quelques exemples. Le hall d’accueil de l’EHPAD « Les magnolias » d’Hossegor, présente une grande hauteur sous plafond, avec en plus une ouverture zénithale (figure 65) qui accentue l’effet cathédrale. L’employée dédiée à l’accueil, le revendique d’ailleurs dans son discours de présentation : « notre établissement est agréable, le hall d’accueil crée une ambiance hôtelière et non hospitalière. »
36
L’atmosphère est effectivement
hôtelière, la hauteur, les couleurs
36. Extrait d’interview réalisée le 28.06.16 à l’EHPAD Les Magnolias, SoortsHossegor (40)
dans les tons bruns véhiculent une image quelque peu luxueuse de l’établissement, qui pourrait d’ailleurs impressionner.
Cette
ambiance
favorise-t-elle le sentiment de chez soi ? L’appropriation du lieu ? Figure 65 : Le hall de l’EHPAD d’Hossegor source : photo personnelle
La hauteur d’un espace si elle est importante n’est pas quelque chose de négatif, elle peut-être utilisée afin de créer une animation, le hall d’accueil devient alors une scène vue depuis un balcon. (figures 66 et 67) On retrouve ce dispositif dans plusieurs établissement comme par exemple celui de Rion-des-Landes. Le résident peut voir sans être directement vu, participer indirectement à la vie sociale qui se déroule en bas.
Figure 66 : Des vues courtes sur le hall et la vie qui s’y déroule et des vues longues sur le parvis de l’établissement source : schéma personnel
Figure 67 : Le hall de l’EHPAD de Rion-des Landes source : photo site internet Jack Bellocq architecture
91
Les couleurs utilisées dans le hall sont aussi déterminantes, certaines étant associées dans l’imaginaire collectif au monde hospitalier : bleu clair, rose, jaune. Cet effet est renforcé lorsqu’elles sont associées à certaines matières comme le vinyle. Dans l’EHPAD du Louts à Gamarde-les-bains (figures 68 et 69), les couleurs utilisées sont dans les tons bleus pâle et jaune. L’ambiance hospitalière
est
présente
et
renforcée par la disposition du
Figure 68 : Le couloir depuis le hall d’accueil de l’EHPAD de Gamarde les Bains source : photo personnelle
mobilier, qui fait de l’accueil un espace du type salle d’attente plus qu’un petit salon où l’on va s’asseoir et discuter avec son voisin. Les chaises sont positionnées en rang d’oignon face au secrétariat,
Figure 69 : Le hall d’accueil de l’EHPAD de Gamarde les Bains source : photo personnelle
sur le carrelage qui glace l’ambiance de la pièce. La vue depuis les assises est celle d’un long couloir dont l’infinité est marquée par les mains courantes sur les murs bleutés. Le mobilier et son agencement participent donc activement à l’ambiance.
L’ENTRÉE COMME ESPACE TAMPON PERMETTANT SÉCURITÉ ET OUVERTURE SUR LA VILLE
En plus de son rôle dans la naissance du sentiment de chez-soi
et de la qualité de la relation entre le visiteur et l’établissement, l’entrée ne pourrait-elle pas être l’élément d’une possible ouverture de la structure sur son environnement ? L’accueil matérialiserait le lieu d’interpénétration de deux milieux : le milieu ouvert du quartier et le milieu sécuritaire de l’institution, et surtout de l’unité spécialisée Alzheimer. Un espace tampon composé d’une multitude de filtres, dessinant et effaçant la limite imposée entre les deux. Les filtres pourraient être transcrits par l’ancrage d’activités variées. 92
II.C. L’entrée du bâtiment, pivot d’une interface clefs dans la relation ville-institution et la perception de la maladie
L’entrée deviendrait un lieu pondérateur, entre l’effervescence de la ville et la douceur de l’espace plus protégé, tout en conservant la transparence. La transition serait une gradation des degrés d’intimité (figure 70). Cet espace permettrait un autre dessin de l’unité sécurisée. Différent du dessin qui enferme, qui sépare, qui se replie au lieu de s’appuyer sur un déjà là, un milieu qui existe.
Figure 70 : Un possible entre deux source : schéma personnel
L’entrée matérialise donc les prémices de la relation ville/ institution, mais en allant encore plus loin, des espaces pourraient être mutualisés favorisant les échanges, et ouvrant peut-être la porte à une nouvelle morphologie.
93
D. UNE POSSIBLE MUTUALISATION
RELATION
DE
« Il a été constaté que conserver un même type de malades dans un espace confiné sans lien avec le quartier, le tissu social n’était pas favorable. Le contraire ralentit l’évolution de la maladie.»
37
37. B. CHALINE, op. cit
Ville et Institution semblent actuellement entretenir des
relations majoritairement difficiles et peu fructueuses : l’institution se replie sur elle-même par nécessité de sécurité et par simplicité, les échanges sont limités. L’EHPAD, éloigné du centre, ne bénéficie pas pleinement de ce que la ville a à offrir, du déjà-là, de la vie rythmée. Ce sont bien souvent les activités de la ville qui se déplacent jusqu’à la structure : une représentation de l’école de danse du quartier dans le réfectoire transformé pour l’occasion en scène ; un concert des élèves du conservatoire ; l’association de scrabble le mercredi aprèsmidi. Ces activités sont ponctuelles et de courte durée. La pièce de théâtre des élèves terminée, le rideau tombe, l’estrade de fortune est rangée et la « vie » reprend faiblement son cours dans l’établissement. En basant le fonctionnement d’une structure sur un principe de mutualisation, (autrement dit de mise en commun de l’espace public, d’espaces propres à l’établissement) et de partenariats, la relation ville / institution pourrait créer un cercle vertueux riche de sens.
MUTUALISATION DE L’ESPACE PUBLIC « L’acte d’habiter ne se limite pas à la maison : il s’étend à a rue, à la ville, au quartier. Nos 38
racines sont humaines, à la ville comme à la campagne »
Le premier élément qui est le trait d’union entre ville et
institution, est l’espace public. La situation éloignée dans des tissus diffus induit parfois que le traitement de l’entrée de la structure se résume à une étendue de goudron, un petit carré de pelouse, un ou
38. P. CLERY-MELIN et F. MELLIER, Les cliniques privées : des maisons pour se réhabiter, dans Architecture et psychiatrie, KOVESSMOSFETY et al., Paris, Edition Le Moniteur, 2004
deux arbres, une avancée de toiture, un petit banc avec vue sur le 95
parking prêt à accueillir une trentaine de voitures. L’espace n’est parfois pas traité pour être un lieu où les visiteurs vont s’arrêter, pour s’asseoir, attendre qu’un autre membre de la famille arrive avant d’aller visiter leur proche. On remarque d’ailleurs que les résidents qui attendent leurs familles pour une sortie, patientent à l’intérieur et peu sur le petit banc à l’entrée qui semble avoir été prévu pour. Cela pourrait s’expliquer d’abord par le manque d’animation devant l’établissement, pourquoi rester assis sur un banc à regarder l’absence de passants quand à l’intérieur il se passe déjà plus de choses ? Il pourrait aussi s’expliquer par le manque de traitement
Figure 71 : L’entrée minérale de l’EHAPD Léon Lafourcade de Saint Martin de Seingnanx (landes) source : photo site internet
paysager. (figure 71) Les visiteurs paraissent faire, au fur et à mesure du temps, abstraction de cet espace. Il ne compte réellement que le jour où ils viennent visiter la structure et font attention à l’image que véhicule l’entrée, le parvis. Le prix de la meilleure réalisation médico-sociale : La Caisse Nationale de Solidarité pour l’Autonomie a décerné en 2016, le prix de la meilleure réalisation médico-sociale pour personnes âgées à l’EHPAD « La Sérigoule » située à Tence en Haute-Loire.
96
II.D. Une possible relation de mutualisation
La structure est située en coeur de village, sa forme contemporaine bardée de zinc constitue une « nouvelle accroche urbaine » et véhicule une image dynamique à la fois pour la ville et pour l’équipement et ce qu’il représente : le grand-âge. (figure 72) L’agence d’architecture Genius Loci a dessiné ce projet avec à coeur l’idée que « vivre dignement impliquait une participation à la vie en société, l’insertion et la reconnaissance des personnes ».
Figure 72 : L’entrée de l’EHPAD de la Sérigoule source : photo google maps
En positionnant cette structure en coeur de village, le projet offre un large espace public, qui joue le rôle de transition entre la ville et l’institution, ouvre la porte à de possibles interactions sociales. On peut voir sur le plan de masse schématique (figure 73) que l’établissement est au milieu d’une zone majoritairement constituée d’habitat. Le centre village, bien-que situé à 3 minutes à pied, constitue une poche le long de l’axe de circulation majeur du village. L’EHPAD semble un peu décentralisé, mais le rôle de son parvis n’est pas moindre pour autant.
Figure 73 : Plan masse schématique. Un EHPAD à proximité d’un centre village source : schéma personnel
97
En effet, il est une transition entre les maisons, les habitants et l’Institution. On peut d’ailleurs imaginer que le parvis pourrait constituer un terrain de jeu pour les enfants de cette rue, en installant peut-être quelques structures légères, amenant ainsi de la vie au pied de la structure. En greffant une structure dans un tissu urbain, l’espace public attenant pourrait avoir un sens, une vraie utilité. Il pourrait devenir un espace d’interaction, favorisant une pratique nouvelle d’un quartier par leurs habitants qui ne sont pas forcément utilisateurs de la structure. Les commerces, équipements à proximité pourraient investir l’espace, l’animer. En plus de favoriser le lien entre l’établissement et la ville, l’espace public viendrait nourrir le besoin de vie urbaine du résident spectateur et acteur.
MUTUALISATION D’ESPACES DANS LA STRUCTURE
Les EHPAD intègrent des espaces dédiés tels que le salon de
coiffeur, la salle de kiné, etc. Comme dit précédemment, ces espaces cherchent à recréer une vie sociale animée au sein même de l’EHPAD, quelque chose de factice qui ne reste parfois que peu utilisé, et ne répond pas aux enjeux de dynamisme. Or, l’investissement dans du matériel par exemple de coiffure, a été fait : un bac à cheveux, des sièges particuliers, des casques, etc, alors pourquoi ne pas transformer le factice en réel, et rendre ce salon de coiffure accessible aux habitants du quartier. L’espace coiffure retrouverait alors sa véritable utilité : l’animation d’un quartier, les échanges et les interactions sociales. Imaginez un petit salon de coiffure au rez-de-chaussée de la structure, suffisamment chaleureux, avec deux ou trois fauteuils face à un grand miroir pour échanger des regards, une pile de magazines. Trois personnes : une résidente, une habitante du quartier, la coiffeuse. La conversation pourrait s’engager, on pourrait parler de la vie, des enfants, échanger, rire, se revoir la prochaine fois. 98
II.D. Une possible relation de mutualisation
Ce genre de lieu peut réunir les conditions de l’interaction sociale, ouvrir la structure sur l’extérieur, maintenir le lien à la vie, créer de nouveaux flux au sein même de l’établissement. Ces espaces sont présents dans la plupart des établissements, autant les utiliser au maximum de leurs potentiels. En plus des espaces que l’on retrouve de façon récurrente dans les établissements, la programmation pourrait prévoir l’addition d’autres programmes qui ne sont pas forcément nécessaires aux personnes âgées, mais pourrait attirer différentes personnes, toujours dans l’optique de créer des entrées et sorties dans l’établissement, et des rencontres naturelles. Cas d’étude : EHPAD de Rion-des-Landes, un double programme Dans le département des Landes, la commune de Rion-des-Landes a lancé un projet d’EHPAD particulier, réalisé en 2007 par l’architecte Bellocq. Située dans un tissu diffus (pavillonnaire et agricole) à quelques minutes du centre-village, la structure est néanmoins entourée d’équipements (accueil de loisirs, collège, crèche, etc.) (figures 74 et 75).
Figure 74 : Plan masse schématique. Un EHPAD entouré de nombreux équipements source : schéma personnel
Figure 75 : Une façade, deux entrées source : photo site internet jack bellocq architecture
99
Figure 76 : Organisation des espaces source : schéma personnel
Figure 77 : Organisation des espaces : de possibles mutualisations pour une ouverture de l’établissement existant sur son milieu source : schéma personnel
100
II.D. Une possible relation de mutualisation
Le dynamisme du centre bourg s’étend sur le village, et rend possible l’intégration de l’EHPAD, pourtant situé en limite. Le programme double, prévoyait d’accoler la maison de retraite à une médiathèque de 280 m². Dans la transcription spatiale du programme, une porte communique entre les deux programmes au niveau de l’accueil de la maison de retraite, donnant la possibilité aux résidents de s’y rendre. La médiathèque a tout de même sa propre entrée de l’autre côté. La démarche d’un programme double est intéressante, mais elle ne semble pas poussée jusqu’au bout. En effet, on peut imaginer que si l’entrée des deux programmes avait été commune, et qu’un espace d’accueil mutuel desservait d’un côté et de l’autre, cet espace aurait été riche en interaction sociale, en possibles rencontres et en animation. L’environnement est fort d’un riche potentiel que l’établissement pourrait valoriser, en mutualisant par exemple des activités et des espaces dans la structure. Cette mutualisation renforcerait la relation entre le village et l’institution. (figures 76 et 77) Il apparaît donc réalisable d’hybrider des programmes, en s’interrogeant : qu’est-ce qu’il est possible de faire rentrer ou sortir d’une structure pour personnes âgées ? Il apparait possible d’ajouter des programmes, de les ouvrir aux externes : un café, un petit commerce, une crèche pour enfant, etc. La mixité de programme soulève donc plusieurs interrogations quant aux associations possibles : - Tous les programmes sont-ils associables à du logement pour personnes âgées atteintes de troubles ? Certains critères de décisions comme par exemple le niveau sonore généré par un programme semble pertinents et à prendre en compte. - Les programmes doivent-ils être tous dédiés à l’utilisation par les personnes âgées ? La position de spectateur semble 101
déjà parfois suffisante quand il devient difficile d’être acteur. Il ne s’agit pas là de sur-stimuler les résidents qui sont parfois en grande souffrance physique (douleurs liées à l’avancée en âge) et morale (angoisse de la vie qui passe, des souvenirs qui
39. Extrait de l’interview du directeur de l’EHPAD de Rion-des-Landes, réalisée le 09.06.16
disparaissent). Il s’agit plutôt de les distraire, et ainsi de « faire diminuer l’angoisse de la recherche des souvenirs »39 - Les programmes sont-ils fixes ou destinés à changer ? On voit apparaître aujourd’hui de nombreux « pop-up store » qui permettent un renouvellement et une attractivité continuels des flux de personnes (un jour un café, l’année suivante une librairie, etc.). Cependant, une temporalité longue semble préférable au bénéfice de l’ancrage de repères pour les résidents atteints d’Alzheimer. Les réponses à toutes ces questions seront différentes et orientées selon le tissu d’implantation (coeur de village ou centre ville), le site donné, son environnement, les besoins de la ville et des habitants, pour donner une réponse bénéfique aux deux entités (ville et institution) et que le programme hybride soit une réussite à la hauteur de l’investissement financier mais surtout humain.
MUTUALISATION ET EXTERNALISATION : VERS UNE NOUVELLE PROGRAMMATION PLUS ÉCLATÉE ? En consultant la répartition des surfaces d’un établissement type pour personnes âgées construit neuf en 2008 de 4734 m² et de 80 lits (figures 78 et 79), il apparaît que les surfaces sont réparties en cinq pôles : - le pôle logement : 48 % - le pôle soin : 5 % - le pôle administration : 4 % - le pôle logistique : 8 % - le pôle d’espaces fonctionnels de vie : 17 % - les circulations : 18 %
102
II.D. Une possible relation de mutualisation
L’essence
même
d’un
EHPAD est sa capacité à offrir du logement. Les surfaces dédiées à cet
effet
représentent
d’ailleurs presque la moitié de la surface totale de l’établissement. Ce dernier existe pour permettre à des personnes dépendantes
Figure 78 : Répartition des surfaces d’un établissement en 6 pôles source : schéma personnel
d’habiter
dans un cadre sécurisant, adapté et dynamique grâce à la présence continue de personnel soignant. Le
logement
personnel par
sont
et
le régis
Figure 79 : Composition des pôles « fonctionnels» et «logisitque» source : schéma personnel
l’administration
qui gère à la fois le personnel
(embauche,
emploi du temps etc.) et les emménagements des résidents. L’administration apparaît donc comme un pôle important, une fonction support autrement dit, nécessaire à l’existence d’un établissement de logement pour personnes âgées. Les circulations représentent une grande partie des surfaces d’un établissement, elles ne sont cependant pas toujours valorisées alors qu’elles pourraient être supports à des activités ou interactions sociales riches. Le pôle soin se constitue d’une infirmerie (espaces de stockage et de préparations « propre » des piluliers ; un bureau pour les transmissions et l’administration ; un local retour de soins « sales ») et d’espaces de soin particuliers (kiné, psychologue/ergothérapeute, bureau du 103
médecin, bureau de l’infirmière coordonatrice). La tâche de préparation des piluliers contenant les médicaments, prend beaucoup de temps au personnel qui ne peut alors le consacrer à l’animation et au partage avec les résidents. On note que les salles de kiné sont parfois peu utilisées car les massages se font en chambre (souvent comme les soins particuliers), et les activités motrices dans les circulations. Le bureau du médecin quant à lui, n’est parfois occupé qu’une journée dans la semaine, car le médecin est souvent à mi temps sur plusieurs établissements. On remarque alors qu’à part l’infirmerie, les espaces de soin sont utilisés à des temporalités ponctuelles, et pourraient alors peut-être être mutualisés (en utilisant par exemple le bureau du médecin à des fins de cabinet de consultation ouvert aux personnes extérieures) voir même externalisés (par exemple détaché de l’établissement). On remarque d’ailleurs que la volonté d’atténuer l’aspect médical dans les établissements est présente par exemple en essayant de faire porter des tenues civiles au personnel soignant, et non plus des blouses blanches qui symbolisent encore trop le côté hospitalier. Un autre pôle important est celui des espaces dits « fonctionnels », ce sont les espaces qui permettent le fonctionnement de tout espace de vie, mais qui ne sont pas propres à un EHPAD : le salon de coiffure, la lingerie, la cuisine, les espaces d’animation, les espaces de restauration. Dans cet établissement, la lingerie représente une part minime car le linge des résidents est laissé au soin des familles, et le linge plat est sous-traité. La lingerie est donc un espace qui peut être externalisé de l’établissement, tout comme le salon de coiffure qui n’est pas présent dans toutes les structures. La cuisine est difficilement externalisable de part les régimes alimentaires spécifiques des résidents, mais peut-être mise en commun (par exemple la préparation de repas pour des personnes âgées à domicile, etc.). Les espaces d’animation (principalement les espaces collectifs) et les espaces de restauration ne sont pas non plus externalisables mais peuvent être ouverts et mis en commun à des temporalités ponctuelles, par exemple loués à une association pour y présenter un 104
II.D. Une possible relation de mutualisation
spectacle, organiser une exposition, etc. Ces
espaces
potentiellement
mutualisables
ou
externalisables
représentent dans ce cas d’étude 17 % de la surface totale de l’établissement, soit au total 824 m² dans lesquels d’autres échanges humains et partenariats pourraient avoir lieu. Eclater les fonctions de l’établissement, permettrait la création de flux entrants et sortants, d’échanges, mais aussi « l’utilisation des ressources de l’environnement »40 , l’incitation à la sortie des résidents, et finirait par créer un réseau à l’échelle d’un quartier. L’établissement et le quartier retrouveraient alors leurs essences à savoir l’offre de logement adapté de l’établissement, et l’offre de services de la ville. La mutualisation semble présenter de nombreux avantages comme par exemple :
40. ANESM, Recommandations de bonnes pratiques professionnelles, l’accompagnement des personnes atteintes d’une maladie d’Alzheimer ou apparentée en établissement médicosocial, février 2009, p.14
« le maintien de la vie sociale des personnes fragilisées par l’âge (…) la mutualisation des moyens humains et matériels et des locaux ; l’enrichissement de l’offre locale de services pour les personnes âgées vivant dans un domicile ordinaire (…), la création locale de nombreux emplois etc. »41 La mutualisation serait donc une source de dynamisme pour un quartier et tendrait à renforcer l’image domestique du logement en le déshabillant de ses espaces logistiques qui l’institutionnalisent, et ne garder ainsi que son essence. L’établissement pourrait avoir une superficie moindre, alors plus
41. F. CERESE, Environnement architectural, santé et domesticité. Etude des effets d’un aménagement architectural domestique sur la qualité de vie, l’usage et la perception de l’espace dans les lieux de vie institutionnels pour personnes âgées, 2016 p.52
économique, ce qui faciliterait peut-être une intégration dans un tissu urbain et de nouvelles morphologies et associations.
105
E. DES HYBRIDATIONS POUR DE NOUVELLES ASSOCIATIONS HUMAINES « Il est possible de bien vivre avec la maladie, pourvu que l’entourage humain soit à l’écoute et l’accueil adapté » 42 Georges Patat, gérontologue
42. Dans l’article « Les Parentèles : des résidences spécialement adaptées aux malades d’Alzheimer » sur senioractu.com 2007
Externaliser et mutualiser certaines fonctions reviendrait
finalement à ouvrir l’établissement sur son milieu. L’atomisation des fonctions de l’établissement permettrait un fonctionnement à l’échelle d’un quartier en travaillant la densité, les distances entre fonctions, revalorisant ainsi l’importance de la notion d’habiter. (figure 80) Figure 80 : Les fonctions d’un EHPAD atomisées à l’échelle d’un quartier, la naissance de partenariats et d’échanges humains. Un nouveau fonctionnement pour une nouvelle morphologie source : schéma personnel
Une échelle plus petite permettrait l’insertion ponctuelle dans un tissu existant, et ainsi éviter le regroupement car « plus les logements sont regroupés, qu’ils le soient dans un seul bâtiment ou dans un lotissement, plus le risque d’institutionnaliser l’habitat est grand »
43
On peut imaginer que cette atomisation de l’institution pourrait donner lieu à de nouvelles associations d’habitat proche de l’habitat intermédiaire, menant à une programmation hybride44 , riche en interactions humaines.
43. F. CERESE, op. cit. p.52
44. Définition hybrider : mélanger deux entités et leurs caractéristiques pour obtenir une nouvelle forme
ASSOCIATION DE TYPOLOGIES D’HABITAT À COURT TERME
Certains programmes tels que les résidences universitaires,
les appartements temporaires (type « Appart-Hotels ») situés de 107
façon similaire entre le court et le long terme nécessitent eux aussi la création du sentiment de chez-soi, l’appropriation, le confort et le bien-être. Leurs typologies semblent être associables, permettant une superposition programmatique, favorisant la mixité sociale, générationnelle, au travers d’un possible partage d’espaces.
ASSOCIATION DE TYPOLOGIES D’HABITAT À LONG TERME
La ville d’Issy-Les-Moulineaux a tenté de réaliser une nouvelle
association au travers d’un projet réunissant un EHPAD (131 lits) et des logements locatifs (43 appartements). Le bâtiment se lit comme un ensemble (figures 81 à 83), il ne différencie pas les deux programmes en façade, ce qui tend déjà à apaiser l’image institutionnelle.
Le
bâtiment en forme de U dispose d’un jardin central dans lequel tous les habitants peuvent se réunir, se retrouver. C’est un premier pas vers de nouvelles morphologies en France, même si le fonctionnement réservé aux personnes âgées est toujours celui de l’Institution.
Figure 81 : Une façade uniforme ne différenciant pas les programmes source : photo site internet naud&poux architectes Figure 82 : (à gauche) Le jardin intérieur commun à tous les résidents source : photo site internet naud&poux architectes
Figure 83 : (à droite) Des balcons filants pour se rencontrer source : photo site internet naud&poux architectes
108
II.E. Des hybridations pour de nouvelles associations humaines
COHABITATION COMMUNAUTAIRE : LES MODÈLES SUÉDOIS ET ALLEMAND
Certains pays, et notamment la Suède (qui s’est engagée depuis
1970 « dans une politique de désinstitutionnalisation »45) et l’Allemagne ont été confrontés au problème de vieillissement de la population, et ont du trouver de nouveaux modes de prise en charge comme par exemple des appartements thérapeutiques « gruppboende »
45. S.COHU, D. LEQUET-SLAMA, D. VELCHE, La Suède et la prise en charge sociale du handicap, ambitions et limites, article societesnordiques. wordpress.com, 2008,
(modèle suédois) dédiés aux personnes âgées atteintes de troubles dans lesquels elles séjournent jusqu’à leur fin de vie. Ces appartements constituent des colocations permettant de sortir d’une « organisation collective néfaste »46 depuis plus de vingt ans. A Berlin, les colocations sont des appartements regroupant 6 à 8 personnes. Chaque personne dispose de sa chambre et tous les
46. M.W PUILLANDRE, Les colocations de malade d’Alzheimer en Allemagne, article sur aidonslesnotres.fr mai 2013
habitants partagent des espaces communs. Les soins médicaux sont fournis par des services extérieurs. Le logement est donc déshabillé de sa fonction médicale. En suède, le projet Vitruvius situé à Malmö, propose un immeuble de dix-sept appartements de type locatif réservé au plus de 55 ans. Ce projet n’est pas destiné au personnes atteintes de démences, mais est très proche des modes de vie des « gruppboende ». Les ambiances et les transitions entre l’intime et le communautaire sont travaillées de sorte à offrir une ambiance familiale, domestique. (figures 84 et
Figure 84 : (à gauche) Une morphologie d’habitat collectif et non d’EHPAD source : photo site internet Bergkrantz Arkitekter Figure 85 : (à droite) Ambiance domestique dans les appartements source : photo site internet Bergkrantz Arkitekter
109
85). Le mode de vie semble intéressant, mais destiner un immeuble à une certaine catégorie d’âge ne favorise pas la mixité générationnelle, et peut concourir à l’isolement. Cette exemple pourrait cependant être encore plus riche de sens en mélangeant les typologies d’appartement au sein de l’immeuble : grands appartements pour familles, couples, etc. Si durant de nombreuses années « la réponse institutionnelle aux 47. L. GULBRING, Le modèle suédois réhabilite l’utopie communautaire, dans L’Architecture d’aujourd’hui, n°341 « Vieillir » / « getting old », juillet-aout 2002, p.60
grandes questions de sociétés telles que le vieillissement s’est bornée à identifier le problème et à l’isoler (…) par l’institutionnalisation »47 on assiste aujourd’hui dans certains pays à une modification de ce modèle. La désinstitutionnalisation semble possible et permettrait ainsi de tendre vers de nouvelles formes d’associations humaines, et programmatiques. Ce nouveau modèle inciterait à un retour à la solidarité, à l’échange, à l’humain, et réinjecterait l’idée domesticité dans l’habitat.
110
de
CONCLUSION : INTÉGRATION DU VIEILLISSEMENT AU QUOTIDIEN, UN NOUVEAU RAPPORT AUX AINÉS POUR UNE MEILLEURE PERCEPTION DE LA MALADIE « Le comportement d’une société envers ses déviants est un des meilleurs témoignages de son 48
degré de civilisation »
L.Bonnafé
La cohabitation programmatique, urbaine et humaine
présente donc plusieurs enjeux. Tout d’abord, celui de répondre au besoin d’urbanité des habitants, mais aussi à la nécessité de redynamisation de certains quartiers parfois délaissés. L’insertion d’un établissement pour personnes avancées en âge, favoriserait la création de flux, d’échanges, de mutualisation de fonctionnements et
48. M. PETIT, Les paysages thérapeutiques : éléments de différenciation de l’offre de soins ? L’exemple des unités d’accueil spécialisé Alzheimer en Haute-Normandie, Mémoire universitaire, Université de Rouen, UFR des Lettres et Sciences Humaines, Département de géographie, 2010 p.21
d’espaces, amenant à la mise en place d’un cercle vertueux, bénéfique aux deux entités (figure 86).
participe et profite de la
L’Insertion en tissu urbain comme dynamique
qui facilite une nouvelle morphologie loin de l’institution
en favorisant
Les bénéfices d’une insertion urbaine Pratique de l’espace public et la création de flux
qui permet
à
une nouvelle perception de la maladie
cohabitation programmatique urbaine et humaine
grâce
grâce à
Vie urbaine authentique
C’est d’ailleurs dans cette logique d’ouverture et d’échange, que l’Institution pourrait tendre vers un affaiblissement de l’image autoritaire dont elle souffre aujourd’hui tout en « participant à l’organisation d’un territoire »49.
Figure 86 : Le cercle vertueux d’une insertion en ville source : schéma personnel
49. D. SEVERO « Les métaphores de l’hôpital psychiatrique » dans KOVESS-MASFETY et al., Architecture et psychiatrie, Paris, Ed. Le Moniteur, 2004
111
II.Conclusion : Intégration du vieillissement au quotidien, un nouveau rapport aux ainés pour une meilleure perception de la maladie
En allant plus loin dans cette logique, l’institution médico-sociale pour personnes âgées pourrait alors changer de morphologie, retrouver son essence même qui n’est autre que sa fonction à loger et prendre soin de personnes en aboutissant à une structure atomisée à l’échelle d’un quartier par exemple. Ce sont d’ailleurs les contraintes d’une insertion en tissu urbain, qui inciteraient à un changement de morphologie. En plus de créer de l’activité dynamique, et une nouvelle pratique de l’espace public, le positionnement d’une structure dédiée au grand âge en ville pourrait favoriser l’intégration d’une nouvelle image du vieillissement de la population dans la vie quotidienne. C’est en ce sens que l’Institution détient aussi un rôle pacificateur des échanges : apaiser les relations entre personnes d’horizons différents, entre générations qui ne se comprennent parfois pas, entre milieux. Il y a là, la possibilité de transformer le rapport que la ville et ses habitants entretiennent avec leurs aînés, et le fait même de vieillir, crainte de la société actuelle. Intégrer et ouvrir à la ville un bâtiment de logements dédiés ou typologiquement mixtes, pour personnes âgées, présentant parfois des troubles, des comportements marginaux qui dérangent et que l’on préfère parfois cacher, inciterait à réhabituer à la cohabitation, à la solidarité. Cela permettrait de « renouveler le regard et rendre attentif »
50
à la vieillesse, à la maladie d’Alzheimer et à la dépendance qui dérange
50. P. CLERY-MELIN et F. MELLIER, op. cit.
aujourd’hui alors que nous dépendons finalement tous les uns des autres dans nos relations. Cela entrainerait « une réappropriation du territoire (…) et un maintien de soi dans l’espace du réel »51, pour les
51. A. GAYET, op. cit.
personnes atteintes. Changer de morphologie, dessinerait un nouveau mode d’habiter la maison de retraite basé sur le sentiment de chez-soi, le retour à une petite échelle humaine et une ambiance domestique que l’EHPAD actuel, malgré ses tentatives et volontés, semble avoir du mal à trouver, prisonnier de son carcan institutionnel. 113
« La maladie entraine la disparition progressive de la mémoire qui sait, la mémoire cognitive, au profit de la mémoire qui ressent, la mémoire émotionnelle. » D. TREUSSARD, op. cit.
03
VERS UNE ARCHITECTURE DES ÉMOTIONS : LA NECESSITÉ D’UN HABITAT SENSIBLE
115
Si elle garde quelques traces de l’ambiance hospitalière,
l’image des établissements pour personnes âgées tend vers « des qualités hôtelières qui doivent se rapprocher du comme à la maison »52. Plus élégante, un peu plus chaleureuse, son cadre n’apparait pourtant pas toujours comme familier. Hôtelier et « comme à la maison », ne sont-ils pas antinomiques ? En effet, l’hôtel appartient au domaine des logements temporaires, car, à part quelques individus, peu de personne habite les hôtels. Les séjours ont une fin, et les clients des hôtels ne sont pas amenés à se
52. J.M. VETEL, Vers une architecture gériatrique idéale, la revue de la gériatrie n°12-194 1987 dans G. BASTIER, D’une MAPA à un EHPAD avec une Unité Alzheimer en zone rurale : un projet pour vieillir sur son territoire, Ecole Nationale de la Santé Publique, CAFDES 2007 p.49
sentir chez eux, puisque les espaces sont impersonnels, et souvent produits en série à travers le monde. On retrouve d’ailleurs un champ lexical proche de celui utilisé pour les établissements pour personnes âgées : « séjours, temporaire, résider, etc. ». Paradoxalement, on assiste aujourd’hui à une explosion de la location temporaire de logements particuliers de type « Air-bnb » qui matérialise au travers de sa campagne de pub « Chez-vous, ailleurs », le désir prégnant de sentiment de chez-soi des voyageurs dont les séjours sont pourtant temporaires. C’est un fait, chacun a besoin du confort d’un vrai chez-soi et du sentiment de bien-être qu’il procure, même pour de brèves durées. Il semble évident que ce besoin se retrouve et soit une nécessité chez les personnes âgées dont les temporalités d’habiter s’inscrivent sur la longueur. Pour faire basculer les résidents en habitants, il semble essentiel de se rapprocher d’un espace plus domestique en prenant en compte des besoins humains amplifiés par la maladie.
117
A. LA PERCEPTION DE L’ESPACE PAR LE MALADE « Comment offrir à celui qui n’est nulle part la parcelle d’espace où son corps puisse se repen53
ser ? » J. Oury, psychanalyste
LA PERTE DE REPÈRES
La maladie d’Alzheimer a pour particularité d’altérer la
53. V. KOVESSMASFETY, Architecture et qualité des soins en psychiatre, dans KOVESS-MASFETY et al., Architecture et psychiatrie, Paris, Edition Le moniteur, 2004
perception de l’espace à cause de la perte de repères spatiotemporels qu’elle produit. Or l’espace, « objet de notre perception, sujet de nos représentations, est notre élément premier, image de notre expérience sensible »54 . La perception de l’espace est propre à chacun, et influencée par ce que nous sommes et notre vécu et permet à chacun de trouver sa place,
54. J.D DEVAUX, Les espaces de la folie, Paris, Editions l’Harmattant, 1996, p.9
d’y prendre part. Lorsque la perception de l’espace est déformée, comment redonner une échelle, une sensibilité à l’espace pour que les personnes atteintes par la maladie puissent ressentir l’espace sans être agressées, mais émues, touchées, animées par des sensations spatiales, permettant à chacun de s’ancrer dans son territoire ?
UNE SENSIBILITÉ ACCRUE À L’ENVIRONNEMENT
Les personnes atteintes d’Alzheimer répondent comme
des miroirs à leur environnement, à leur entourage. Ainsi, un environnement ou une ambiance triste, aura une influence néfaste, et pourra faire naître de l’agitation, que l’on décrit souvent comme un symptôme de la maladie, et qui n’est qu’en fait la réponse formulée, un moyen de s’exprimer, un signal d’alarme face à un environnement désagréable qu’on leur impose et « dont on ne voudrait pour soi-même
55. C. ROUMANOFF, op. cit., p.218
sous aucune prétexte. » 55 L’étude de la relation au milieu et de l’impact de l’environnement sur ses habitants, plus connue sous le nom de psychologie 119
environnementale, est apparue dans les années 1970, elle correspond à « la prise de conscience de la nécessité de prendre en compte la dimension 56. Psychologie environnementale, article sur m é d e c i n e s culturespaysages. wordpress.com
humaine dans l’aménagement de l’environnement » 56. L’environnement prothétique est un exemple d’application possible.
DÉFINITION D’UN ENVIRONNEMENT PROTHÉTIQUE
La notion d’environnement prothétique a été décrite par
les chercheurs Lindsey et Lawton dans les années 1970, partant de 57 et 58. Dr L. MIAS, Une architecture « prothétique » pour les personnes présentant des déficits cognitifs, 2009 p.2
plusieurs constats. Tout d’abord celui selon lequel « plus la personne est atteinte, plus elle est sensible ou vulnérable aux déficiences de son environnement parce que moins adaptable »
, ensuite « qu’un
57
aménagement environnemental adapté peut produire une amélioration considérable dans le comportement d’une personne ayant des habiletés diminuées. » 58 « Un environnement prothétique est conçu en fonction des lacunes intrinsèques de la personne en vue de permettre une optimalisation de ses performances, en utilisant des mesures extrinsèques qui sont appliquées de façon permanente et continuelle. » Dr L. MIAS La définition que donne le Dr MIAS d’un environnement prothétique, met en lumière le fait que les qualités d’un espace peuvent être un
59. Reimer, Slaughter et al, 2004 dans Unités Spécifiques Alzheimer en EHPAD et prise en charge des troubles sévères du comportement. Réfléxion sur les critères de définitions et mission, Gérontopôle Hôpitaux de toulouse, 2008
60. Etude « Effets de l’environnement sur la santé comportementale des résidents des unités de soins spécifiques pour la maladie d’Alzheimer » dans Daniel TREUSSARD, op. cit.
120
support permanent, un cadre soutenant tant physiquement que psychologiquement le résident, palliant certaines déficiences, en leur apportant confort et bien-être. C’est sur cette notion d’environnement prothétique qui soutient donc qu’ « un environnement adapté diminue la perte d’autonomie fonctionnelle et améliorerait la qualité de vie des patients »
59
, que les
unités spécialisées ont été conçues.
IMPACT DE L’ENVIRONNEMENT SUR LE MAL ADE
Cet impact de l’aménagement d’un espace sur les personnes atteintes de la maladie d’Alzheimer, a d’ailleurs été évalué dans une études américaine
publiée dans la Revue de Gériatrie en 2004.
60
III.A. La perception de l’espace par le malade
L’étude portait sur 15 unités spécifiques et mettait en parallèle certains éléments d’aménagement et les comportements (agitation, agressivité, retrait social, etc.) des résidents. Sont ressortis de cette étude 3 éléments importants : --
la présence d’espaces privatifs en nombre important favorise la personnalisation de l’espace, et la baisse de l’anxiété
--
la variation des ambiances et la taille des espaces communs limitent le retrait social
--
le niveau d’agressivité diminue considérablement lorsque la cohabitation est à taille humaine (entre 7 et 15 personnes)
Cette étude souligne donc l’importance de la qualité des espaces, et d’autres éléments tels que les transitions, les ambiances, l’échelle, la gradation de l’intimité etc. L’environnement doit être un outil, mis à la disposition des résidents et également du personnel soignant qui participe à l’animation de l’espace. Personnel dont le turn-over
61
est plus important que celui
des soignants de la partie classique d’un établissement, très sollicité et préoccupé par, par exemple les risques de chutes et de fugues des résidents liés à la déambulation. Il s’agit d’offrir un environnement adapté permettant de rassurer l’habitant lui-même, le personnel, et les
61. Hanna, Norman et al, 2001 dans Unités specifiques Alzheimer en EHPAD et prise en charge des troubles sévères du comportement. Réfléxion sur les critères de définition et missions, Gérontopôle, Hôpitaux de toulouse, 2008
familles, tout en répondant aux besoins des personnes atteintes de la maladie d’Alzheimer, et en valorisant les interactions humaines.
LES BESOINS VARIÉS AMPLIFIÉS PAR LA MALADIE
Le malade d’Alzheimer est avant tout humain, et présente
ainsi des besoins multiples, augmentés par la maladie. La fondation Roi Baudouin a mené un travail de recherche 62 sur l’accueil des personnes âgées atteintes de troubles. Après avoir effectué une revue de la littérature, elle propose un modèle intégratif soulignant huit groupes
62. V. CHARLOT, C. GUFFENS, J. DRIESENS, Où vivre entouré ? L’accueil des personnes âgées atteintes de démence dans les lieux de vie résidentiels collectifs, Bruxelles, Fondation Roi Baudouin et Ed. Namuroises, 2013 p.45-48
de besoins :
121
--
des besoins communicationnels : parler, écouter, recevoir des messages, etc.
--
des besoins émotionnels : les personnes atteintes de troubles ressentent énormément d’émotions, la mémoire affective étant conservée bien plus longtemps
--
des besoins physiologiques : manger, dormir, marcher, etc.
--
des
besoins psychologiques : autonomie, vie intime, liberté
individuelle, estime de soi, etc. --
des besoins relationnels : poursuite des relations sociales, valorisation de soi par des activités, être accompagné et entouré
--
des besoins de sécurité : sécurité physique, financière, affective,
--
des besoins sensoriels : communication non verbale par les sens du toucher, etc.
--
des besoins situationnels : espaces privés, environnement calme et stimulant, appropriation de l’espace, liberté de déplacement, liberté de sortie à l’extérieur. »
Finalement, on constate que les besoins des personnes atteintes de 63. C. ROUMANOFF, op. cit., p.216
troubles sont de même nature que ceux d’une personne non touchée par la maladie. Ils sont cependant ressentis d’une façon plus accrue et ce en raison de leur difficultés à les satisfaire eux-mêmes, de part la perte de repères et autres troubles (difficulté d’organisation, de projection, de reconnaissance, etc.). Ils ont le besoin « d’exister dans
64. B. VIAU, La maison Alzheimer idéale, dans La Revue Canadienne de la maladie d’Alzheimer et autres démences.
l’univers mouvant qui est le leur ».
63
« Il s’agit surtout d’accompagner le patient dans sa descente cognitive et non de lui rappeler qu’il a été autrefois davantage capable d’agir en société. »
64
L’aménagement de l’espace doit tenir compte de la dimension aléatoire de la maladie. Ce qui se passe un jour, ne se répétera pas de la même façon le lendemain car certaines connexions dans le cerveau se font et se défont. Si le cerveau ne s’adapte plus à l’environnement, c’est donc à ce dernier de s’adapter. La conception architecturale doit alors dessiner des réponses cohérentes et adaptées au fait de vieillir tout en restant 122
III.A. La perception de l’espace par le malade
simples, sensibles, et de qualité pour faciliter l’utilisation du lieu. Les solutions doivent avoir à coeur de répondre à la nécessité de liberté, d’intimité, de repères qui rassurent, et d’adaptabilité, afin de satisfaire les huit besoins précédemment cités en vue d’adoucir le quotidien d’un malade d’Alzheimer. Cela doit se faire dans le respect de l’individu qui demeure libre, en évitant les contraintes et interdictions, propices au comportements agités. Ces besoins apparaissent finalement normaux dans le but de vivre une vie la plus normale possible.
123
B. LE BESOIN DE LIBERTÉ : UN ENVIRONNEMENT OUVERT ET EN LIEN AVEC L’EXTÉRIEUR « La maison fermée est aussi celle qui s’ouvre, car habiter n’est pas seulement se recueillir mais 65
accueillir et être accueilli : sens de l’hospitalité de la maison. »
65. P. CLERY-MELIN et F. MELLIER, op. cit.
Les espaces extérieurs sont présents dans les unités, mais
leurs différentes formes n’apparaissent pas encore optimales tant en termes de morphologie que de traitement paysager. L’extérieur semble trop peu présent, et sortir dehors n’est pas un réflexe pour les résidents. En effet d’après les soignants, il faut souvent proposer et inciter à sortir. En visitant plusieurs unités, on remarque que les jardins sont parfois peu attractifs (manque d’ombre, sol moyennement praticable, essences peu variées, etc.) et qu’ils devraient tendre à des jardins paysagers et redevenir ainsi des outils de soin.
DES JARDINS PAYSAGERS : THÉRAPIE DU BIEN-ÊTRE ENTRE PAYSAGE SONORE, SAVEURS, ET SENTEURS HISTOIRE ET BIEN-FAITS DES JARDINS « THÉR APEUTIQUES » : « La nature a des vertus thérapeutiques par sa simple présence »
66
Les jardins thérapeutiques trouvent leur origine au XVIII
ème siècle. Les hôpitaux psychiatriques, les sanatoriums et autres
66. Ch. ANDRE, Notre cerveau a besoin de nature, Cerveau et psycho n°54 novembre décembre, p.12-13
formes d’institutions offraient à leurs patients de grands et beaux jardins. Avec le temps et les réglementations hygiéniques, la place forte donnée aux avancées scientifiques, et le fonctionnalisme des nouvelles architectures hospitalières, ont diminué la part offerte au naturel dans les institutions médicales. Depuis 1980 des études ont été menées aux Etats-Unis, au Canada et au Japon, mettant en évidence l’influence positive que les espaces naturels pouvaient avoir pour les patients et résidents des institutions médico-sociales et hospitalières. Certaines études révèlent en effet les différents bénéfices qu’engendre l’aménagement d’un jardin, qu’ils soient médicaux ou sociaux au travers 125
notamment de la diminution des durées de séjours hospitaliers et de l’amélioration de la satisfaction des utilisateurs. L’impact de ces études et l’apparition croissante de jardins « thérapeutiques » dans les établissements qu’elles ont engendrés, sont lisibles dans le Plan Alzheimer 2008-2012. En effet, ce dernier a fait du jardin une obligation comme accompagnement thérapeutique de la maladie d’Alzheimer.
LE JARDIN, UN TERREAU FERTILE AU LIEN SOCIAL : « Les jardins sont souvent le lieu de l’amitié. On y échange des paroles, et aussi des fruits,
67. Gilles CLEMENT, et al., Des jardins et des hommes, Montrouge, Ed. Bayard, 2016 p.32
des légumes, des graines. »
67
La création d’un jardin peut donner naissance à un vrai projet
social s’il est imaginé, conçu et entretenu en mettant en synergie tous les utilisateurs : équipe soignante, familles, résidents, professionnels du jardin, associations extérieures. Si le jardin est un moyen d’éviter l’isolement, le sentiment de solitude, qui sont souvent les prémices du phénomène de glissement, il est aussi un moyen de communiquer, de créer des liens intergénérationnels et interculturels, de favoriser les échanges de savoir, de souvenirs.
UN JARDIN DES SENS AUX SOUVENIRS : 68. C. BOBIN, Tout le monde est occupé, France, Gallimard, 2001
« Le bout du monde et le fond du jardin contiennent la même quantité de merveilles »
68
Concevoir un jardin paysager propice au soin et au bien être,
c’est travailler tous ses aspects pour stimuler les sens en utilisant une grande variété d’essences aux caractéristiques variées : couleurs, odeurs, fruits, tailles, textures, formes. Au travers de sa palette de couleur infinie, le paysage peut offrir des repères à la fois visuels qui épauleront les résidents, pour ne pas se perdre dans le jardin, pour savoir où l’on est, mais aussi des repères temporels : rapport au temps, à la saisonnalité. Le jardin permet d’observer le temps qui passe, de voir les plantes changer, pousser. Le travail du paysage olfactif et des textures est aussi essentiel en ce sens qu’il pourra permettre l’évocation de souvenirs : l’odeur des 126
III.B. Le besoin de liberté : un environnement ouvert et en lien avec l’extérieur
fraises qu’on ramassait à la fin de l’été, l’oranger qui fleurissait dans le jardin d’enfance, le piquant des roses dans la paume des mains, la fragilité d’un pétale entre les doigts, la douceur d’un fruit dans la bouche. Les textures et les odeurs appellent au goût, elles pourront aussi stimuler l’appétit qui manque parfois aux personnes âgées. La composition d’un jardin a aussi la capacité de créer un paysage sonore agréable, propice au calme, à la gaieté, de par les végétaux mais aussi grâce à la faune qu’ils attirent (possibilité d’intégrer des animaux de compagnie, poulailler, etc.). L’assemblage de différentes essences permet de mettre en musique un paysage : le bruissement des feuilles, le léger choc des tiges de bambous, le roucoulement des moineaux posés sur les branches, les gouttes d’eau après la pluie. Stimuler les sens, faire jaillir les émotions et les souvenirs. Voilà bien la quintessence d’un jardin. Un jardin dont chaque élément est autant de repères visuels, et temporels qui incitent les résidents à s’y promener, entretenant ainsi leurs capacités cognitives et physiques.
LE JARDIN, UNE PROMENADE DU CORPS À L’ESPRIT : « Je jardine dans mon âme » Jules Renard
La présence d’un extérieur convivial et attractif permet donc
d’inciter le résident à sortir, et les bénéfices sur la santé sont nombreux. Le jardin engendre une pratique physique, un mouvement, qu’il s’agisse du jardinage, de la promenade ou de l’observer. Ces mouvements permettent d’entretenir les capacités motrices ralentissant ainsi le déclin. C’est aussi par le mouvement, notamment dans le jardinage, que des gestes, des actions peuvent resurgir. Des gestes répétés pendant des années, et puis oubliés. Creuser la terre, planter une graine, arroser. Les capacités physiques mais aussi cognitives sont stimulées doucement. Le rapport du corps et de l’esprit renait. La pratique de l’hortithérapie favorise l’amélioration des capacités de concentration, la stimulation douce de l’attention, l’ancrage de repères, 127
permettant parfois de retarder l’avancée de la maladie. Le jardin peut être un véritable outil s’il intègre les résidents dans sa conception, son évolution, son entretien. Le résident peut alors entretenir une relation au soin au travers du jardin. Il pourra lui aussi prendre soin de quelque chose, qui comme lui grandit et change, et ainsi n’aura plus le sentiment d’être le seul à être soigné.
Figure 87 : vue aérienne du jardin thérapeutique du CHRU de Nantes : couleurs, promenades variées, essences caduques etc. source : site internet faculté de lorraine
Offrir un jardin, avec un
parcours
varié
(figures 87 et 88), c’est
donner
une
vraie promenade, des choses à voir, regarder, sentir, toucher, et c’est délivrer le résident de l’errance physique et
Figure 88 : Un jardin très coloré, le jardin thérapeutique du CHRU de Nantes, source : site internet faculté de lorraine
mentale permanente.
UN JARDIN POUR APAISER :
Grâce à cette stimulation émotionnelle des sens, un des
autres bénéfices est l’apaisement des troubles psychologiques et comportementaux. Des études canadiennes ont démontré que la présence d’un jardin travaillé, permettait de réduire les incidents 128
III.B. Le besoin de liberté : un environnement ouvert et en lien avec l’extérieur
violents de 19 %. Le stress, l’angoisse s’apaisent. Le syndrome crépusculaire (angoisse de fin de journée) décroît et l’utilisation de médicaments diminue. La pratique d’activité en extérieur permet aux résidents de s’exposer au soleil, et de cette façon, d’assimiler de la vitamine D, de l’énergie, de chasser le stress et d’avoir un bon sommeil69. Or on sait que les résidents atteints de la maladie d’Alzheimer présentent souvent des agitations et déambulations nocturnes. Des études réalisées en 1998 par Cohen-Mansfield et Werner70 ont d’ailleurs démontré que la présence et l’utilisation récurrente de jardins permettait de réduire la déambulation, et les tentatives de fugues. En plus d’être bénéfique aux résidents, le jardin permet d’améliorer la qualité de l’environnement de travail du personnel, même s’il demande parfois un entretien supplémentaire. Il est aussi bénéfique aux familles des résidents, et peut constituer un espace à mutualiser.
69. Etude de l’Institut Douglas, Canada sur Fondationtruffaud.fr 70. L. MANGIN, Prise en charge psychomotrice et non médicamenteuse de le déambulation, Mémoire en vue de l’obtention du Diplôme d’État de Psychomor ticien, Université Toulouse III, Institut de Formation en Psychomotricité, 2013 p.36
Créer un jardin, c’est offrir un parcours thérapeutique à contempler ou à vivre, sans pour autant basculer dans l’ersatz de jardin, très coloré et infantilisant (figure 89) comme il advient parfois.
Figure 89 : Jardin thérapeutique de l’EHPAD St Barnabé à Marseille par Baogarden source : site internet baogarden
Un jardin pour voir le temps qui passe, sentir, goûter, toucher, éprouver les souvenirs, la relation aux autres et à soi, l’interaction avec le milieu. On peut imaginer qu’en ponctuant de façon plus régulière les espaces intérieurs par des jardins, des espaces intermédiaires, sortir redeviendrait un réflexe plus intuitif.
129
DES ESPACES INTERMÉDIAIRES : DU JARDIN D’HIVER À LA CIRCULATION SEMI-EXTÉRIEURE
Les espaces intermédiaires matérialisent des transitions
entre l’intérieur et l’extérieur. En plus de leurs avantages thermiques, ils permettent d’intégrer en milieu urbain des espaces semi-extérieurs utilisables tout au long de l’année, lorsque le tissu d’insertion limite les possibilités d’aménagement d’un jardin en pleine terre, ou que le temps ne permet pas aux personnes avancées en âge parfois frileuses de sortir. Ces espaces sont aussi porteurs de fonctions multiples permettant de plus grands possibles d’appropriation. Ce sont par exemple 71. Agence Régionale de Santé PoitouCharentes, Guide architectural des EHPAD, 2016
des serres (figure 90), des loggias vitrées, utilisées tout au long de l’année, « permettant un accompagnement du dedans vers le dehors et inversement. »71 Le jardin d’hiver permettrait une pratique du jardinage, une relation à l’extérieur dont les bienfaits thérapeutiques ne sont plus à prouver. Tout au long de l’année les habitants prendraient soin d’une plante, d’un bac de potager. Ils auraient le sentiment de s’occuper de quelque chose, de prendre part à leur environnement, de se l’approprier. Dans l’intention de diminuer l’angoisse générée par les espaces clos évoqués plus haut, ces entre-deux pourraient être une solution permettant d’accroitre le sentiment d’ouverture et de fluidité au travers de différentes morphologies, comme par exemple la circulation semi-extérieure. L’analyse d’un programme d’EHPAD (cf p.100-101) a d’ailleurs mis en évidence l’importance des surfaces dédiées à la circulation (20%) sur la surface totale. Leur caractère n’est pas simplement structurant (desserte et organisation des espaces), ce sont surtout des espaces porteurs d’un grand potentiel de sociabilisation, mais leurs morphologies actuelles restent proches de l’ambiance hospitalière, peu propice à la rencontre. Il serait souhaitable de leur donner une nouvelle forme plus ouverte, dilatée, laissant place à l’appropriation, à la rencontre, aux échanges.
130
III.B. Le besoin de liberté : un environnement ouvert et en lien avec l’extérieur
Figure 90 : Serre la cité manifeste, de Lacaton Vassal à Mulhouse, un espace conviviale, source : site internet lacaton vassal
UN ESPACE EXTÉRIEUR POUR CHAQUE ÉCHELLE DU COLLECTIF À L’INTIME « Eviter l’impression d’enfermement en affirmant les relations du bâtiment avec son environnement et en donnant à tous les lieux de vie un extérieur de référence : les jardins paysagers irriguent l’édifice (…) et en retour renforcent l’idée d’abri, de peau protectrice, 72
liée au bâti »
Le prolongement à l’extérieur apparaît comme essentiel dans
le sentiment de liberté qu’il peut provoquer. C’est aussi un véritable outil thérapeutique à la disposition du personnel soignant, aussi bien pour l’esprit que pour le corps. En associant les espaces intérieurs à leur homologue extérieur, une gradation, hiérarchisation de forme d’espaces naturels permettrait peut-être de faire naître de nouvelles pratiques : être seul dehors
72. J-F. BONNE et R. AYACHE, Création du service de psychiatrie du centre hospitalier d’Arras et restructuration du pavillon Ferrus-Joffroy du centre hospitalier Sainte Anne à Paris, dans KOVESS-MASFETY, Architecture et psychiatrie, Paris, Edition Le moniteur, 2004 p. 114
et dans sa chambre, faire une séance de gym douce entre la salle de kiné et le jardin, cuisiner dehors et retrouver ainsi de nombreuses sensations. En plus de permettre de plus nombreux apports lumineux qui limiteraient les espaces sombres encore présents dans certaines unités et qui en font des espaces peu pratiqués, ces espaces naturels permettraient d’offrir aux résidents plus de repères, notamment dans le temps. Ils pourraient vivre au fil des saisons, au plus proche de la temporalité réelle. 131
Figure 91 : (à gauche) Le patio vue du premier étage, une source de lumière douce source : photo personnelle Figure 92 : (à droite) Le patio décoré selon la saison source : photo personnelle
Le village
La place centrale du village
Le quartier
Le jardin commun
Les maisons
La terrasse de la chambre
Figure 93 : L’association des espaces extérieurs à chaque échelle, source de rencontres humaines source : Conseil Départemental des Landes
132
III.B. Le besoin de liberté : un environnement ouvert et en lien avec l’extérieur
L’établissement de Vieille-Saint-Girons (Landes) dispose d’un patio intérieur dans sa partie classique. Le patio est central et se situe au niveau de la circulation verticale. Il n’est pas accessible aux résidents, mais l’équipe d’animation le décore d’une façon différente à chaque saison. En plus d’offrir un repère spatial, le dispositif permet un repérage des saisons et du temps, et l’évocation de souvenirs. (figures 91 et 92) A une échelle plus large, le projet du village Alzheimer à Dax, dont la première pierre ne va pas tarder à être posée, propose d’associer un espace extérieur à chaque échelle, du village à la chambre. Le programme prévoyait la composition d’un village avec une place centrale et quatre quartiers autour, chaque quartier étant séparé en plusieurs maisons. L’équipe d’architectes sélectionnée (Nord Architects Copenhagen et Bernard Champagnat) a choisi l’association d’espaces extérieurs comme fil conducteur (figure 93). Les équipements du village sont donc tournés vers une place centrale reprenant les caractéristiques de la bastide landaise. Chaque quartier a pour élément fédérateur un grand jardin. Les maisons disposent toutes d’une terrasse ombragée, et les chambres sont prolongée par une petite loggia. Les espaces extérieurs permettent de se retrouver à plusieurs, ou d’être plus au calme. Ils sont vecteurs d’échanges, de rencontres, de vie sociale et offrent une plus grande liberté des habitants. Ils ont aussi de grandes vertus sur l’esprit, permettant à l’individu de se reconnecter à un monde palpable et à la limite qui le borne.
LE TRAITEMENT DE LA LIMITE
La présence d’espaces extérieurs dans un établissement
donne naissance à des limites physiques qui matérialisent la sécurité, la prévention des fugues. La limite est l’épaisseur qui va permettre ou non de créer des liens avec le milieu environnant. Son traitement est ainsi essentiel à la fois pour permettre de créer une bonne relation à l’environnement, mais surtout ne pas être un élément susceptible de faire naitre l’angoisse. 133
Figure 94 : (à gauche) Un jardin ressemblant a celui d’une maison avec une haie comme limite (unité de l’EHPAD de Biscarosse) source : photo personnelle Figure 95 : (à droite) Une grille comme limite (unité de l’EHPAD de Saint Pierre du Mont) source : photo personnelle
Figure 96 : (à gauche) Un grillage comme limite (unité de l’EHPAD de Tartas) source : photo personnelle Figure 97 : (à droite) Une grille recouverte de fibres naturelles comme limite. Peu de vues sur l’extérieur. (unité de l’EHPAD de Saint Paul lès Dax) source : photo personnelle
134
III.B. Le besoin de liberté : un environnement ouvert et en lien avec l’extérieur
La limite découle de la morphologie des espaces extérieurs : un patio au coeur d’une unité ne va pas créer de limite et donc de contact avec un milieu, au contraire d’un jardin accolé ou enveloppant. Il semble toute fois préférable de ne pas borner les espaces extérieurs aux patios limitant les interactions avec le milieu, et de prendre le risque de traiter une limite. Elle est souvent incarnée par un grillage, parfois doublé d’une haie (figures 94 à 97). Le grillage permet de voir au travers, mais il représente aussi l’enfermement, les lieux où l’on ne peut aller, et ne semble pas être la meilleure matérialisation. L’utilisation du végétal est souvent prescrite dans les programmes, permettant à la fois la séparation, les vues sur l’extérieur et la diminution des angoisses. L’extérieur joue un rôle essentiel dans le soin et l’amélioration du bienêtre des personnes atteintes de la maladie d’Alzheimer, mais aussi de leurs familles et du personnel soignant. L’aspect thérapeutique du naturel en fait un outil clef dans la conception des espaces, même s’il est à l’origine de certaines problématiques d’entretien, de limite, de sécurité, etc. La nécessité d’espaces extérieurs ponctuels et de la présence du naturel soulève la question de l’intégration de ce type d’établissements dans les tissus urbains denses et parfois très minéraux. Ces établissement peuvent être envisagés comme un moyen de déminéraliser certains quartiers, d’améliorer les qualités paysagères, mais aussi d’ancrer une séparation franche avec l’image institutionnelle. L’établissement pourrait redevenir une maison, où l’on vient habiter, vivre dans un environnement plus domestique, et non résider dans une logique temporaire.
135
C. LE BESOIN DE L’INTIMITÉ D’UN CHEZ SOI : UN ENVIRONNEMENT DOMESTIQUE « Se sentir chez soi relève de deux choses : avoir l’impression que l’endroit nous appartient, qu’il 73
fait partie de nous et avoir l’impression d’appartenir au lieu »
UN ÉCHO À CE QUE NOUS SOMMES DANS DES LIEUX QUI NOUS FAÇONNENT
Le terme domestique, du latin « domesticus »
dérivé de
« domus », qui signifie la maison, est utilisé pour parler de ce « qui concerne la famille, la vie privée »74 . L’espace domestique représente
73. F.Cérèse, L’architecture : un levier pour améliorer la qualité de vie en maison de retraite ? Article paru dans Le journal de la maison de retraite protestante de Montpellier, septembre 2013, dans F. CERESE, op. cit., p 19 74. Larousse
l’intime, l’appropriation et est associé à un sentiment de « chez soi ». D’après Alain de Botton, « parler de chez-soi à propos d’un bâtiment ou d’un lieu public, c’est simplement reconnaître qu’il est en harmonie avec notre chant intérieur » vision des choses. »
76
75
Ce sont des lieux « qui correspondent à notre
Des lieux qui nous ressemblent, et incarnent ce
que nous sommes, notre moi, un médiateur avec le monde extérieur
75. Alain de Botton, L’architecture du bonheur, Paris, Mercure de France, 2011, p.133 76. Alain de botton , ibid p.133
selon Freud. L’habitat représente ainsi une façon de voir le monde, d’habiter, d’être. Il incarne « un refuge pour conforter nos états d’âme »,
77
un
77. Alain de botton , ibid p.133
environnement protecteur, qui à son tour nous façonne avec le temps, nous soutient, réconforte, apaise. La relation entre l’habitant et son domicile est mutuelle : chacun façonne l’autre, parle de lui, exprime ce qu’il est. Cette relation de soin, d’échange bienveillant qui se tisse peut alors faire naître un sentiment d’arrachement lorsque l’habitant est contraint de partir.
LES PRINCIPES DE DOMESTICITÉ 78. F. CERESE, op. cit.
La domesticité repose sur quatre grands principes
78
, qui
favorisent la naissance du sentiment de chez soi, et l’appropriation d’un espace. 137
III.C. Le besoin de l’intimité d’un chez soi : un environnement domestique
Il y a tout d’abord l’échelle, la dimension de l’espace. L’échelle d’un logement est celle du corps, une petite échelle propice au réconfort, à l’enveloppement, à l’appropriation Cette dernière semble difficile à retranscrire dans une maison de retraite dont l’échelle collective tend à institutionnaliser les espaces et leurs qualités. En effet, comment retrouver une petite échelle dans un équipement qui en moyenne dispose de 78 lits ? Comment offrir des petits espaces pour trouver une place à l’intime quand le collectif semble primer ? Quelles relations sont-elles instaurées selon les distances possibles entre les habitants ? Vient ensuite l’ambiance du lieu, qui qualifie sensiblement les espaces. Le lieu et la capacité à se l’approprier sont déterminés par un ensemble d’éléments parfois invisibles, impalpables mais qui pourtant influencent indéniablement le ressenti, l’émotion et la capacité à s’y sentir bien, amenant jusqu’au sentiment de chez-soi. Les ambiances domestiques sont entre autres les odeurs, les sons, la lumière, les matières, leurs qualités et singularités, leur aspect quotidien. L’image domestique participe aussi au sentiment de chez-soi. L’image est ce que l’on perçoit d’une chose, d’un objet, d’un lieu bâti ou non. L’image domestique est familière, elle signifie quelque chose pour celui qui l’observe, elle est évocatrice de ressentis, de souvenirs, d’habitude. Enfin, les usages, la pratique d’un lieu et les gestes induits, incarnent la notion de domesticité. Ce sont les activités de la vie quotidienne qui semblent insignifiantes mais traduisent l’appartenance de l’habitant à son chez-soi. Habiter est un travail des mains , et c’est au travers 79
de la possibilité à agir sur son espace, à en prendre soin, à l’organiser,
79. BESSE, Habiter un monde à mon image, Paris, Flammarion, 2013 p.13
l’aménager, que l’individu se sentira habitant. L’architecture a donc un rôle à jouer dans la définition du lieu, pas simplement dans son esthétique mais dans la capacité réelle à y habiter.
139
D. LE BESOIN D’ÊTRE SOUTENU ET RASSURÉ : UN ENVIRONNEMENT SUPPORT
Si les principes de domesticité sont essentiels dans la
constitution d’un chez-soi, que ce soit une maison, une maison de retraite, ou n’importe quel autre espace habité, d’autres qualités s’ajoutent à ces principes lorsqu’il s’agit d’espaces destinés aux personnes atteintes de la maladie d’Alzheimer. Ces derniers ont besoin d’espaces adaptés, en réponse à leur troubles cognitifs , agissant comme un support, une béquille sur laquelle ils vont pouvoir s’appuyer pour faire le lien avec le réel.
LE BESOIN D’ESPACES CONTENANTS : TRANSITION ET HIÉRARCHISATION POUR UN RETOUR DU RAPPORT À SOI, ENTRE SÉCURITÉ ET LIBERTÉ. « Les murs ne soignent pas mais protègent de l’extérieur et rassurent par l’espace contenant qu’ils désignent. »
80
Si les espaces « ne doivent pas être sous-dimensionnés (...) ni sur-
dimensionner, ce qui tend à diminuer le repérage » 81, un juste milieu est à trouver pour répondre au besoin d’espaces contenants récurrent
80. A. DENIAU, L’architecture psychiatrique comme structuration de l’intérieur, dans Architecture et psychiatrie, op. cit. 81. B. CHALINE, op. cit.
chez la plupart des personnes touchées par la maladie. Un espace contenant est qualifié par sa dimension. Comme nous l’avons vu précédemment, les résidents ont du mal à s’approprier l’espace du lieu de vie de l’unité qui est souvent vaste et loin de l’échelle du corps, de la petite échelle qui soutient, conforte. Il est donc intéressant de partitionner les espaces par des aménagements pérennes, comme par exemple des demi cloisons, des claustras. Ces dispositifs permettent l’intimité, l’appropriation, mais aussi la position de spectateur et offrir ainsi la possibilité d’être spectateur d’une activité qui se déroule, sans être forcé d’y prendre part. C’est permettre d’être seul et non isolé, de favoriser des relations douces et non brutales. 141
Le partitionnement suggère le travail de transitions, de seuils, qui préparent l’esprit et le corps à pénétrer dans un espace, et mieux se l’approprier. Les transitions sont autant de micro-espaces dans lesquels chaque corps pourra trouver sa place, se sentir bien. N’est-ce pas là le principe d’habiter : trouver sa place, appartenir à un lieu, se sentir en harmonie avec son espace, ne pas se sentir de trop, gênant ? Ces espaces jouent 82. A. GAYET, op. cit., p.112
un rôle clef dans le rapport au corps et à soi que la maladie altère avec le temps. Cette maladie de l’âme 82 amène l’individu à ne plus reconnaître son visage, son corps, son histoire, et les micro-espaces peuvent alors incarner un moyen de se reconnecter à soi, à se retrouver. Les transitions se font entre deux espaces, deux fonctions, mais aussi entre les différents degrés d’intimité de la porte de la chambre au salon. Les espaces eux mêmes jouent le rôle de transition : la déambulation est la liaison entre la chambre et le salon, mais des éléments clef matérialisent plus finement ces entre-deux et apportent toute la richesse spatiale de l’espace. Ce sont par exemple les embrasures de portes (entre la chambre et le collectif), les creux et renfoncements (figure 98), les appuis de fenêtre entre l’intérieur et l’extérieur. Plus les espaces seront contenants, plus les habitants pourront les appréhender facilement.
Figure 98 : Petits bancs encastrés le long de la circulation de l’unité de l’EHPAD de Tartas source : photo personnelle
Ces successions de transitions et d’espaces offrent un espace riche, une déambulation variée, et un parcours stimulant. Les habitants peuvent alors disposer d’une multitude d’espaces dans lesquels se promener, opérant le rôle de filtre, répondant à la fois au besoin de sécurité et de liberté d’aller et venir. 142
III.D. Le besoin d’être soutenu et rassuré : un environnement support
LE BESOIN DE DÉAMBULATION : DES ESPACES LIÉS À DES FONCTIONS POUR INCITER À L’EXPLORATION « Il y a des endroits dont vous savez qu’ils doivent être polyvalents. (…) Il y en a aussi qui devraient être complètement déterminés. »
83
83. Louis I. KHAN, op. cit.
Le besoin de liberté s’exprime aussi au travers de la
déambulation. Il semble très prégnant chez les personnes atteintes de la maladie d’Alzheimer, qui peuvent passer de longues heures à errer et « parcourir jusqu’à 20 km par jour »84 .
84. B. CHALINE, op. cit.
Offrir des espaces riches en ambiances mais aussi dédiés à certaines fonctions permettent de donner un but à la promenade, d’occuper l’esprit vagabond, effaçant les regards inquiets nés dans l’errance. Selon Louis Kahn, certains espaces doivent être polyvalents, et laisser place au déroulement de nombreuses activités, qui sont généralement de courte durée en réponse à la capacité de concentration diminuant des habitants touchés par la maladie. En revanche, certains espaces pourraient être déterminés, qualifiés par leur fonction et multipliant les possibles occupations : le coin bibliothèque, le coin où l’on va pouvoir regarder par la fenêtre, l’endroit ou l’on verra passer les gens. Multiplier les fonctions revient à donner un but, inciter les habitants à se déplacer d’un endroit à l’autre, et ainsi entretenir leurs capacités motrices, leurs envies d’exploration. Il ne s’agit pas forcément de lieu où faire, puisqu’il ne faut pas sur-stimuler au risque de mettre en échec une personne et générer des troubles, il peut juste s’agir « de lieux où être. »
85. Louis I. KAHN, op. cit.
85
Le parcours architectural, ne doit pas pour autant contraindre, forcer, il doit en effet toujours « être possible de revenir en arrière ou bifurquer, s’arrêter ou poursuivre »
86
pour permettre une exploration et une
appropriation progressive d’un espace libre.
86. N. SONOLET, Programmation, études architecturales et réalisation d’institution de soins pour malades mentaux, dans Architecture et Santé mentale, sous la direction de E.A. SAND, Editions universitaires de Bruxelles, 1982
143
LE BESOIN DE STABILITÉ ET DE MODULARITÉ : DES ESPACES ADAPTABLES, ADAPTÉS ET ÉVOLUTIFS JUSQU’À LA FIN DE VIE 87. J-F. BONNE et R. AYACHE, Création du service de psychiatrie du centre hospitalier d’Arras et restructuration du pavillon Ferrus-Joffroy du centre hospitalier Sainte Anne à Paris, dans Architecture et psychiatrie, op. cit. p. 114
« L’évolutivité des espaces, selon les besoins du jour, donne vie et liberté au bâtiment »
87
Les besoins des personnes atteintes de la maladie d’Alzheimer
sont en effet des besoins paradoxaux : entre sécurité et liberté, entre stabilité et modularité. L’environnement actuel de l’unité n’est pas suffisamment adaptable pour permettre au résident de rester dans le même endroit tout au long de son séjour. Son parcours résidentiel peut évoluer selon les stades de la maladie. Parfois, le résident séjourne dans la partie classique d’un établissement, puis lorsque la maladie évolue et que les troubles et le besoin de déambulation augmentent, il est parfois déplacé dans une unité sécurisée, pour ensuite retourner en partie classique lorsqu’il n’est plus déambulant, jusqu’à sa fin de vie. Or, on sait cependant que la capacité d’adaptation à un environnement est de plus en plus limitée à mesure que la maladie avance. Un aménagement, une solution pourra convenir un temps, et ne plus être adaptée, rien n’est définitif. Si le logement particulier a la capacité de pouvoir être adapté à son habitant, le cadre de l’institution rend difficile cette adaptation, pourtant on sait que la maladie est évolutive. Il semble donc préférable d’imaginer un logement adaptable à la fois à chaque personne qui est unique et à la fois dans le temps pour qu’une personne puisse conserver les repères qu’elle a difficilement acquis, ne nécessitant plus de déracinement supplémentaire. Cela inciterait l’habitant à prendre part s’il le peut à l’aménagement de
88. C. ROUMANOFF, op. cit. p.147
son logement et ainsi investir son territoire, puisque « la possession d’un territoire est source de sécurité et d’identité »
88
Cette adaptation pourrait être permise grâce à des éléments parfois modulables, coulissants, démontables, pour répondre de façon plus personnalisée aux besoins fluctuants tout en prenant en compte les 144
III.D. Le besoin d’être soutenu et rassuré : un environnement support
problèmes (acoustiques, olfactifs) que peuvent engendrer les éléments modulables. Si ces mutations semblent possibles à l’échelle du logement, de la chambre, elles pourraient être concevables pour les espaces collectifs, en leur permettant de changer momentanément de taille, de fonctions de façon ponctuelle, et ainsi ne pas être trop immuables. La difficulté réside en la constitution d’un espace de vie qui doit être à la fois partitionné pour permettre l’appropriation et le repérage, tout en faisant quelque chose de parfois modulable. Les repères sont essentiels pour les personnes atteintes de la maladie d’Alzheimer, et si les espaces et leurs fonctions semblent déterminants dans l’appropriation, d’autres facteurs tels que les ambiances, permettent la création de repères sensibles dans l’espace.
145
E. LE BESOIN DE REPÈRES STIMULANT : UN ENVIRONNEMENT SENSORIEL « La diversification des lieux, des ambiances favorise le repérage »
89
89. D. TREUSSARD MARCHAND, op. cit.
Si l’espace offre un cadre stable pour effectuer les diverses
activités du quotidien, se nourrir, dormir, etc. il demeure riche en sensation, porteur d’une grande capacité à toucher, émouvoir. « Les fonctions originaires, essentielles et existentielles d’une maison ne sont-elles pas à la fois plus gratuites et plus vitales ? En vérité, il s’agit d’autre chose que de fonctions : recevoir la lumière, respirer, sentir l’espace autour de soi et son corps dans l’espace, apercevoir un lointain, se recueillir, s’abandonner, entendre les frémissements de la nature, les bruits de la rue… Entretenir entre l’espace et le temps une relation non seulement existentielle mais existentiale, c’est-à-dire constitutive de la subjectivité. Relation proprement inutile mais indispensable : d’où la nécessité, pour penser et agir l’architecture, de revenir au sentir, à la sensation, au corps. »
90
90. P. CLERY-MELIN et François MELLIER, op. cit.
L’espace de vie, apparaît avant tout comme un lieu de la réappropriation de soi, un lieu pour être ému, touché, au travers de la stimulation douce des sens, des émotions, et ainsi des souvenirs. La conception sensorielle semble particulièrement adaptée aux personnes atteintes par la maladie, hypersensibles à leur environnement, au confort comme à l’inconfort, et à qui le moindre détail n’échappe pas. Elle comprend des paramètres physiques tels que la lumière, les matières, mais aussi des paramètres invisibles qui semblent plus difficiles à qualifier. Tous ces éléments tendent parfois a être homogènes et « il reste (...) à faire dans tous ces domaines pour échapper à la monotonie née trop souvent d’une standardisation stérilisante qu’imposent les normes de fonctionnement, et maintenir cette tradition, de bâtir autour du patient un environnement qui respire l’harmonie (…) pour lui permettre de « se 147
91. P. CLERY-MELIN et F. MELLIER, op. cit.
92. U COHEN et G. WEISMAN, Holding on to home. Designing environments for people with dementia, Baltimore & London, The Johns Hopkins University Press, 1991 93. L. MANGIN, op. cit. p.33
réhabiter » et faire éclater les couleurs de la vie. » 91 Les chercheurs Pynoos et Stacey, ont d’ailleurs démontré en 1986, que certains symptômes étaient liés à la privation sensorielle des environnements répétitifs standardisés, et au manque de variété. 92 Les chercheurs Burns et Byrne ont démontré l’efficacité des thérapies sensorielles utilisant les cinq sens qui sont « un moyen d’entrer en communication avec un résident » 93 faisant naître les conditions propices au bien-être.
LES ESPACES SNOEZELEN : UNE TECHNIQUE DE STIMULATION SENSORIELLE
Développé dans les années 1970 dans les Pays-Bas, le concept
« Snoezelen » est la contraction des termes « Snueffelen » (renifler, sentir) et « Doezelen » (somnoler, se détendre). Cette notion se concrétise en un espace de stimulation multisensorielle des cinq sens grâce a du mobilier, des projection d’images, la diffusion d’odeur et de sons. (figure 99)
Figure 99 : Espace Snoezelen de l’unité de l’EHPAD de Tarnos source : photo personnelle
Cette méthode a pour objectif « d’induire la relation à autrui qui passe souvent par une communication non verbale, dans un environnement 94. L. MANGIN, op.cit., p.33
confortable, rassurant, pour apprendre à se détendre et à réduire les tensions » 94 Des études réalisées en 2001 par Baker, ont démontré que la
148
III.E. Le besoin de repères stimulant : un environnement sensoriel
stimulation des sens améliorait les capacités cognitives des personnes atteintes par la maladie d’Alzheimer, ainsi que leurs humeurs et leurs comportements, diminuant ainsi les manifestations de comportements qui semblent parfois inadaptés à la réalité du lieu. Aujourd’hui, la plupart des établissements pour personnes âgées investissent dans cette méthode selon deux possibilités : des chariots mobiles, ou un espace dédié, et forment leur personnel à son utilisation. Cet investissement représente un coût important pour une structure. Si les bénéfices de la stimulation sensorielle ont été prouvés, il semble intéressant de s’en servir au travers d’une conception sensorielle à grande échelle. Pourquoi ne pas faire du cadre bâti, un environnement sensible et sensoriel, permettant une stimulation douce et continue pour ses habitants grâce au travail équilibré des ambiances ?
RESSENTIR LE RÉEL PAR LES SENS TACTILES ET VISUELS
La stimulation des sens tactiles et visuels peut se faire au
travers du travail des couleurs, des matières, de la lumière. Ces trois paramètres sont indissociables, la couleur qualifie la matière, et la lumière révèle leurs aspects, « autant d’éléments de repères permettant une compréhension rapide des fonctions. »95
95. Agence Régionale de Santé, Guide architectural PoitouCharentes p.2
DES COULEURS POUR L A STIMUL ATION VISUELLE :
D’après Brigitte Chaline, les couleurs agissent de trois façons
sur la perception d’un espace : le caractère du lieu, la lecture d’un espace, et la création de repères. Elles vont tout d’abord influencer sur le caractère du lieu, influençant alors le ressenti et le comportement de l’individu dans l’espace. Les couleurs vives vont appeler au mouvement, à l’activité, les couleurs plus froides véhiculeront le calme, l’apaisement. On remarque que l’utilisation des couleurs a été très fortement 149
employée
dans
établissements
les
construits
il ya quelques années : les palettes de couleurs oscillent
entre
le
bleu
layette, le jaune soleil, ou le rose pâle. (figure 100) Dans l’imaginaire collectif,
Figure 100 : Réfectoire de l’EHPAD de Tarnos source : photo personnelle
ces
couleurs
ont
été
associées à l’ambiance hospitalière, affirmant fortement le caractère institutionnel du lieu et ainsi la limite au sentiment de chez-soi, à l’ambiance domestique. Néanmoins, aujourd’hui la tendance va vers des tons plus neutres : blanc, beige, etc. Les couleurs facilitent aussi la lecture d’un espace qui est diminuée avec la baisse de certaines capacités visuelles des personnes âgées qui ne sont pas pour la majeure partie, propres à la maladie mais au simple fait d’avancer en âge : comme la cataracte qui accentue les tonalités jaunes, la vision floue, et d’autres comme le champ de vision rétréci ou « hémichamp visuel » (propre à la maladie d’Alzheimer). Travailler les contrastes permet d’attirer l’attention sur certains éléments, et l’uniformité colorimétrique tend à les faire disparaître. Les contrastes permettent une pratique plus facile de l’espace, la reconnaissance d’objets, pour des personnes dont l’acuité visuelle diminue. La perception des couleurs par une personne atteinte de la maladie d’Alzheimer n’est pas différente de la notre. Le langage des couleurs conserve la même symbolique mais sera probablement ressenti de façon plus intense, le rouge évoquera toujours la colère, le vert le repos, la paix, etc. En revanche, l’utilisation de motifs, rayures etc.notamment au sol, semble perturbatrice dans la perception. L’uniformité et la simplicité, apparaissent préférables. Les couleurs participent enfin à la création de repères, et de signalétiques, il est par exemple fréquent que les portes des toilettes d’une unité soient de la même couleur partout, pour que les résidents 150
III.E. Le besoin de repères stimulant : un environnement sensoriel
associent cette couleur à un lieu, une fonction, et se repèrent plus facilement. Aujourd’hui la peinture est utilisée de façon récurrente pour démarquer et signaliser certains éléments alors que les matières, qui offrent pourtant une grande palette de sensation sont encore utilisées de façon uniforme.
DES MATIÈRES POUR L A STIMUL ATION TACTILE : « Le choix des matériaux ne dépend pas simplement de la pérennité et de l’hygiène »
96
96. S. DEOUX, Maladie d’Alzheimer, pour une architecture aide-mémoire », Revue Ecologik, aout/ septembre 2009
Les matières des institutions d’aujourd’hui sont en effet
uniformes, et les murs sont souvent recouverts de papiers peints. Dans certaines unités, le personnel soignant met parfois en place un « mur des sensations » qui consiste à assembler sur une petite surface d’un mur des échantillons de matières : brique, moquette, velours, etc. Il est intéressant de voir que les résidents ont plaisir à toucher les différentes matières, ce qui fait naître des discussions avec le personnel, des échanges, stimulant les fonctions cognitives, l’expression, etc. Ce dispositif met en lumière l’importance significative de la stimulation tactile, et serait encore plus pertinent à grande échelle, celle de l’habitat, celle du corps. Pourquoi ne pas utiliser les matières et leurs caractéristiques tactiles pour ce qu’elles sont, sans les recouvrir de papier ou de plaques de plâtres qui unifient, et stérilisent l’ambiance, annihilant alors leur capacités intrinsèques à offrir un repérage sensoriel, et une stimulation cognitive ? La sensibilité cutanée de la peau intervient dans l’exploration des objets par le toucher. Elle permet de deviner les caractéristiques de forme, de taille, de matière, de température d’un objet. L’individu à l’habitude depuis l’enfance de toucher, d’appréhender son environnement avec les mains, et ce sens s’avère très développé chez les malades d’Alzheimer. En effet, les sensations éprouvées depuis toujours au contact d’une matière font partie du quotidien. Elles accompagnent, d’abord pour découvrir, puis par habitude. La matérialité s’appréhende avec le regard qui va d’abord mettre un 151
nom sur la matière, et lui associer ensuite un ressenti : doux, soyeux, froid, élastique. La main va ensuite donner la vérité et y associer un sentiment : agréable, désagréable, apaisant, pour finalement rappeler parfois des souvenirs, faire des associations, et ainsi stimuler les fonctions cognitives. Réveiller les sensations tactiles par la matière permet de stimuler les émotions, les souvenirs, et ce n’est d’ailleurs pas un hasard si le toucher est un terme à double sens, synonyme d’éprouver, émouvoir, atteindre. La matière stimule le bout des doigts, et les souvenirs jaillissent : le souvenir du muret en pierre du jardin d’enfance où l’on faisait courir ses doigts, la fraîcheur de la vitre d’une fenêtre par laquelle on regardait les enfants partir à l’école le matin. La matière donne vie à la forme : un mur courbe et lisse qui appelle la main, les irrégularités et maladresse d’un béton brut qui nous rappelle nos propres hésitations. La variation de sensation est infinie même pour un même matériau, ce qui répondrait à la fois au besoin d’homogénéité, de repères et de stimulation des personnes. Quels aspects donner aux bouts des doigts ? Quel sentiment faire émerger ? A quels souvenirs se raccrocher ? La matière est riche en réponses même dans ses aspects les plus bruts. En Suisse, l’architecte Peter Zumthor a construit une maison pour personnes âgées. Les matières sont brutes : du bois, de la pierre. L’ambiance chaleureuse se rapproche de celle d’une maison.(figure 101)
Figure 101 : Maison de retraite réalisée par Peter Zumthor en 1994, à Chur, Masans, Suisse source : photo site internet rumschluss
152
III.E. Le besoin de repères stimulant : un environnement sensoriel
La maladie a pour conséquence l’exacerbation de la sensibilité à l’environnement, mais aussi la diminution des capacités de communication verbale. Souvent les sourires, les contacts physiques avec les gens, les objets, demeurent parfois les dernières possibilités d’expression lorsqu’il n’y a plus les mots. Or, on se rend compte que si la sensibilité au milieu s’accroit, la richesse spatiale tend en termes d’ambiance et de matière à s’appauvrir parfois, offrant un environnement dans lequel tout semble lavable, immuable. Comment alors espérer de la part des résidents, l’appropriation d’un espace qui demeure en rupture avec les lieux qu’ils ont habité auparavant, riches en matières, textures, couleurs, et variétés ? DE L A LUMIÈRE POUR MAGNIFIER ET APAISER :
La
qualité et l’intensité de la lumière jouent un rôle
déterminant dans la pratique des lieux par des résidents atteints de la maladie d’Alzheimer. Certains espaces selon leur éclairage naturel peuvent être répulsifs ou attractifs. En effet les espaces lumineux attirent lorsque les zones plus sombres repoussent et sont délaissés des résidents. Il est 14h lorsque nous entrons dans l’unité d’Hossegor (Landes), les résidents somnolent dans les fauteuils positionnés au plus proche des baies vitrées et de la lumière douce qui les berce de sa chaleur. Les fauteuils dans la pénombre du fond du séjour sont désertés. Les bienfaits de la lumière ont d’ailleurs été démontrés au travers de l’émergence de la luminothérapie dans les années 1920, qui consistait à exposer des personnes régulièrement à une lumière reproduisant celle du soleil. Les résultats d’une étude de 2012 menée par Laborie sur 189 personnes âgées en établissement sont éloquents et ont « mis en évidence un déclin cognitif et une perte d’autonomie moins important (…) et un bénéfice sur les troubles de l’humeur, de la nervosité tout en favorisant l’amélioration des troubles du comportements »
97. L. MANGIN, op. cit., p.35
97
A la différence d’une personne non atteinte par la maladie, l’aspect angoissant qu’incarne l’ombre est plus fort. L’ombre symbolise l’inconnu, ce que l’on ne maitrise pas et qui peut faire tanguer vers 153
l’inquiétude, le doute, l’effroi. Cependant, l’ombre ne peut être totalement absente puisque sa relation avec la lumière est indissociable. L’une existe grâce à l’autre et cette relation est créatrice d’ambiance, l’ambiance d’une maison où chaque pièce dispose de sa lumière propre, qui la caractérise. Si le niveau d’éclairement doit être relativement constant pour que l’environnement soit adapté à la maladie, il s’agit de ne pas de sur-éclairer les espaces, et d’accroître ainsi les risques de surchauffe, d’éblouissement, de brillance et de reflets perturbateurs. Pour conserver une différenciation des espaces favorisant le repérage et un rythme dans l’ambiance du lieu, il faut cependant prévoir des transitions lumineuses douces qui permettent ainsi d’éviter les écarts lumineux parfois agressifs. « La beauté du travail avec la lumière réside dans la nature changeante de celle ci.» 98. Richard MEIER
98
La lumière naturelle change selon les heures de la journée, et le traitement des apports de lumière peut influencer la pratique, le repérage journalier des résidents selon sa course naturelle. Capter la lumière motiverait des déplacements, pour façonner et enrichir le parcours, la déambulation durant la journée. Créer des rythmes, de la variété dans la promenade.
99. Louis I. KAHN, Silence et lumière, Paris, Edition du Linteau, 2006
« La lumière et le matériau appartiennent l’un à l’autre. La matériau existe dans la lumière qui le reflète et le colore »
99
La lumière est aussi révélatrice de matières. Elle affirme leurs singularités, qualités, défauts : les noeuds dans un éléments en bois, l’aspect de velours d’un acier Corten. Elle révèle les matières, mais aussi les formes et peut ainsi favoriser le repérage dans l’espace, et colorer le quotidien. Il semble préférable d’utiliser des surfaces mates, pour éviter les effets d’éblouissement dus à la lumière. La lumière naturelle a pour qualité de révéler la couleur d’origine d’un objet, sans la modifier, ainsi la perception n’est pas altérée, au contraire de la lumière artificielle. La lumière artificielle modifie parfois les couleurs, et si elle n’est pas adaptée (trop vive, crue, etc.) peut être désagréable, éblouissante,
154
III.E. Le besoin de repères stimulant : un environnement sensoriel
incitant à fermer les yeux, ce qui peut être angoissant. Selon les chercheurs Torrington, Trengenza et Brawley, la conception de l’éclairage artificiel doit se faire selon trois critères : « - augmenter le niveau d’éclairement pour compenser la baise de l’acuité visuelle des personnes très âgées - éviter l’éblouissement de manière directe ou indirecte ainsi que les zones d’ombres (…) pour obtenir une distribution uniforme de la
100. Dr D. T R E U S S A R D MARCHAND, op. cit.
lumière (…) et privilégier des surfaces mates - pour répondre aux difficultutés d’adaptation aux contrastes lumineux des personnes âgées, créer des transitions entre les zones fortement éclairées et les zones moins lumineuses. » 100 De façon semblable à une maison, l’éclairage artificiel doit donc être ponctuel et réparti plutôt que très vif en un seul point, pour créer une lumière diffuse et ainsi une ambiance plus douce, intime, et familière.
101. P. ZUMTHOR, Atmosphères, Basel, Birkhaüser, 2008
« La lumière sur les choses me touche parfois tellement que je crois y sentir quelque chose de spirituel »
101
Si la lumière présente de nombreuse qualités physiques qui nourrissent les espaces, leurs ambiances, le confort physique qu’elle fait naître, elle a aussi un impact sur l’esprit, le bien être mental. Elle fait jaillir des émotions particulières, positives et rassurantes qui peuvent apaiser les troubles et les angoisses crépusculaires dont souffrent les malades d’Alzheimer. L’environnement est un ensemble de paramètres physiques : couleurs, matières et formes mis en lumière, qui favorisent le repérage, l’identification d’objets, de lieux, le bien-être. Il est aussi un ensemble de paramètres immatériels.
EPROUVER L’IMMATÉRIEL PAR LE PAYSAGE SONORE, LE PAYSAGE OLFACTIF, ET L’ATMOSPHÈRE « Les espaces qui nous entoure est signifiant d’une force invisible, qui nous fait sentir tour à tour bien ou mal, et qui nous dicte en quelque sorte notre conduite d’une façon 102
instinctive »
102. B. VIAU, op. cit.
D’autres facteurs participent à l’ambiance d’un lieu, et à la 155
stimulation douce de ses habitants. Il s’agit d’éléments qui malgré leur invisibilité, et immatérialité, façonnent véritablement un espace, leur donnent une identité forte.
LE PAYSAGE OLFACTIF 103. HALL, La dimension cachée, Lonrai, Edition du Seuil, 1971 p.66
« Les odeurs ont le pouvoir d’évoquer des souvenirs beaucoup plus profonds que les images 103
ou les sons »
L’odeur est l’un des premiers ressentis lorsqu’on découvre un lieu, et « des recherches en aromathérapies prouvent que la mémoire 104. VIAU, op. cit.
olfactive persistent beaucoup plus longtemps que les autres mémoires ».104 A l’égal des individus, les espaces ont leur parfum, et c’est d’ailleurs parfois un mélange des deux. Quelque chose qui flotte dans l’air, émane d’un éléments précis : le flacon de parfum sur la table de chevet d’une grand-mère, le cirage de l’escalier principal de la maison de famille. Il suffit de retrouver ces senteurs quelques part pour qu’une bouffée de souvenirs éclate à la figure. Elles sont de celles auxquelles on s’habitue rapidement et que l’on oublie pourtant presque instantanément : l’odeur du bois brûlé dans la cheminée, le sol en coco de l’ancien appartement, la peinture fraîche sur les murs. Autant de souvenirs inconsciemment ancrés dans la mémoire, qui peuvent ressurgir, donnant naissance à des conversations, des échanges. Chaque étage disposait de chambres ordonnées les unes à côté des autres, et derrière chaque porte des petits morceaux de vie. Derrière la porte orange, il y avait la chambre de Françoise. C’est à ce troisième étage, derrière cette porte qu’un petit coin de paradis avait trouvé refuge. Il n’avait pourtant rien de particulier, juste l’odeur singulière et exceptionnelle dans un établissement, des bâtons aux huiles essentielles aux fruits des bois mêlée à son parfum. A chaque visite, l’essence de framboise éclatait à la figure en ouvrant la porte, se distinguant de l’odeur d’hôpital des couloirs. Il n’y avait pas de doute, nous étions chez Françoise. L’odeur de l’unité, de l’EHPAD, est pourtant bien souvent celle des produits ménagers de l’institution qui prennent à la gorge des familles qui viennent visiter leur proche et ne reconnaissent parfois plus l’odeur rassurante qu’il y avait dans l’ancien domicile.
156
III.E. Le besoin de repères stimulant : un environnement sensoriel
Si elles permettent une stimulation douce, les odeurs créent aussi des repères familiers dans le temps et l’espace comme l’odeur du linge frais, du gâteau qui cuit, du feu de cheminée. Certains établissements positionnent des tisaneries à chaque étage de la structure, dans lesquelles les soignants vont par exemple faire couler du café, ou cuire un gâteau. L’odeur va se répandre dans les couloirs, symbolisant le matin, le moment du petit déjeuner, ou le goûter de l’après midi. Les odeurs du quotidien participent au sentiment de chez soi. Les matières mais aussi le végétal sont créateurs de parfums qui influencent la perception de l’espace, les souvenirs.
LE PAYSAGE SONORE : BERCER LE QUOTIDIEN « Il y a des bâtiments qui ont un son magnifique, qui me disent : je suis à la maison, je ne suis pas seul »
105
105. P. ZUMTHOR, op. cit., p.31
Si les jardins sont caractérisés par un paysage sonore riche, les
espaces intérieurs sont eux aussi bercés par leur propre petite musique particulière qui est le résultat des qualités acoustiques des éléments qui les composent, mettant en musique le quotidien. Un environnement adapté aux personnes âgées nécessite une attention particulière au traitement de l’ambiance acoustique. La capacité auditive diminue souvent avec l’avancement en âge, et lorsque les bruits de fond sont trop importants, ils limitent la capacité d’une personne à entendre, et à pouvoir suivre une conversation, menant parfois à l’isolement. Les personnes atteintes de troubles, seraient d’après certains chercheurs, « plus sensibles aux bruits, qui à une certaine intensité pourraient engendrer de l’anxiété »106 et parfois des cris qui nécessitent un travail particulier pour éviter la réverbération (le temps de réverbération doit être inférieur a 0,6 secondes) et la résonance.
106. Dr D. T R E U S S A R D MARCHAND, op. cit., p.28
Le paysage sonore est aussi composé de la mélodie des sons quotidiens qui berce un individu depuis son enfance. On ne prête souvent pas attention à la symphonie ménagère, le tintement des 157
casseroles, le bruit de l’eau qui boue, et ce n’est que lorsqu’on ne les entend plus, parfois à l’entrée en établissement que quelque chose manque et que le silence devient celui de l’institution. L’ATMOSPHÈRE : 107
« L’atmosphère agit sur notre perception émotionnelle. »
107. Peter ZUMTHOR, op. cit., , p.11
La température d’une pièce va affecter la pratique de l’espace : Comment vais-je m’y sentir ? S’il fait bon, je vais peut-être m’y attarder, s’il fait frais, c’est ici que je viendrai m’asseoir pour sentir l’air filer sur la peau, ou que je ne m’y attarderai pas. Proposer une multiplicité d’ambiances thermiques peut inciter au déplacement, et favoriser une stimulation douce, et le repérage. Les matériaux influencent cette atmosphère et la pratique d’un lieu. Certaines études menées par Edward T. Hall ont d’ailleurs démontré cela. En effet, les matériaux et la chaleur véhiculée permettent parfois aux personnes aveugles de se repérer dans l’espace, par exemple « un mur de briques (…) constituait un repère pour les aveugles parce qu’il irradiait 108. E.T HALL, op. cit., p.82
de la chaleur sur toute la largeur du trottoir » 108 Le traitement des ambiances participe au confort, au bien-être, au sentiment d’appartenance à un lieu, et permet d’éloigner l’habitat de l’image institutionnelle, en incitant au déplacement, à l’exploration, au repérage. Cette pratique de l’espace est aussi induite par la qualité du mobilier de l’aménagement intérieur.
LES OBJETS ET LE MOBILIER : STÈLES À L’IDENTITÉ ET AU REPÉRAGE « Habiter requiert à la fois de la permanence dans l’environnement matériel et la possibilité de l’investir, de le transformer, de l’arranger, à notre manière, de lui laisser notre 109. F. CERESE, op. cit., p.61
109
empreinte »
Le repérage et la stimulation peuvent aussi être favorisés par
les objets qu’ils soient personnels ou non. Ces derniers permettent, en plus de participer à la signalétique, de personnaliser les espaces, de
III.E. Le besoin de repères stimulant : un environnement sensoriel
raconter ce que nous sommes, et sont des « stèles à l’identité ».110 C’est au travers de nos objets que nous nous reconnaissons, que nous
110. Alain de BOTTON, op. cit., , p.154
pouvons reconnaître notre domicile, et ainsi entretenir un « rapport aux choses (qui) détermine une manière d’habiter ». 111 Les espaces devraient pouvoir permettre à l’habitant de créer ses
111. Benoït Goetz, Théorie des maisons, Paris, Verdier, 2011, dans J-M BESSE, op. cit., , p.18
propres repères en entreposant des choses, en laissant sa trace et en prenant part à l’aménagement de son espace (en choisissant un « mobilier léger pour être facilement déplacé selon les affinités » 112 ), mais aussi à l’entretien de celui-ci. Prendre soin, s’occuper de quelque
112. Dr. D. TREUSSARDMARCHAND, op. cit.,
chose, de son environnement est l’un des principes sur lequel repose le sentiment d’habiter. Aujourd’hui, les équipes soignantes amènent les résidents à participer aux tâches quotidiennes pour leur donner le sentiment d’être actif. Le repérage peut donc être favorisé par la présence d’un mobilier domestique éloigné de celui de l’institution, de l’hôtellerie, ou de l’hôpital, dont les couleurs, les matières, seront celles que l’on peut trouver dans une maison, que l’on mettrait chez soi. Lors de la conception architecturale, il semble d’ailleurs essentiel de se poser cette question : mettrais-je cela chez moi ?
159
CONCLUSION : CONCEPTION SENSORIELLE POUR UN RETOUR À DE LA NORMALITÉ ET DE LA QUALITÉ « L’objectif est de privilégier le bien-être et l’épanouissement sensoriel, favoriser les émotions positives, éviter les troubles du comportement et ralentir l’évolution de la maladie. »
113
Il s’avère finalement que la maladie ne modifie pas tout.
Certes, elle désoriente, elle efface les souvenirs, diminue les capacités cognitives et d’adaptation avec le temps, et accroît la sensibilité au milieu
113 Repenser l’architecture des établissements accueillant les patients atteints d’Alzheimer, Technische Universitat Dresden, article sur senioractu.com
qui est perçu de façon beaucoup plus pleine, et forte. Cependant, le malade reste avant tout humain avant même d’être malade, et « nous avons souvent tendance à oublier ce point et à croire que tout dans notre approche du dément doit être spécifique ». 114 L’environnement devient prothétique, les jardins et les activités
114. Dr M. CAVEY, Le lieu de vie du dément : quelle architecture ? Article paru sur aloi.a.free.fr, 2004
deviennent thérapeutiques. On parle aujourd’hui d’animathérapie, musicothérapie, luminothérapie, arthérapie, qui associent alors le simple fait d’écouter de la musique, de colorier, de prendre le soleil à un cadre institutionnel qui semble étudier, observer. Cette terminologie ne reflète que peu la richesse de toutes ces activités qui se déroulent dans les établissements, et la notion de plaisir qui en découle. Si les personnes atteintes de la maladie, sont avant tout des personnes, elles ont comme tout un chacun des besoins. Ce sont des besoins qui sont bien sûr influencés par la maladie : Alzheimer désoriente, et le plus grand besoin est celui d’apporter de la stabilité et des repères. Ce sont aussi et surtout des besoins induits par le simple fait d’avancer en âge et ce que cela occasionne naturellement : moins bien voir, moins bien entendre, être fatigué, avoir du mal à se déplacer. Ce ne sont finalement que les besoins normaux qui découlent du cycle même de la vie, et ne nécessitent d’autres réponses que des réponses normales adaptées. Il s’agit de créer un espace normal et non normalisé, non-lavable, non-aseptisé. On remarque d’ailleurs que certaines normes si elles renforcent l’institutionnalisation, posent problème au quotidien dans 161
les unités de vie (ex : norme incendie). Certains chercheurs associent le phénomène de marginalisation et 115. Dr M. CAVEY, op. cit.,
de différenciation des besoins du malade par la peur inconsciente de l’image que nous renvoie le malade de notre propre avancée en âge. En effet, « la démence nous fait peur et pour cette raison, nous essayons de nous en démarquer en montrant en toute occasion qu’il est différent de nous ».
115
A l’inverse, on pourrait penser que c’est parce que l’on
traite le malade d’une façon marginale, que cela effraie, et souligne l’importance et le besoin de normalité dans le traitement des espaces. On tente aujourd’hui de recréer des lieux de vie « comme à la 116. Dr M. CAVEY, op. cit.,
maison » en reproduisant des milieux familiers. Or il est difficile de « lui construire un lieu de vie qui ressemble à son milieu habituel : il n’est pas dans son milieu habituel ». 116 L’enjeu n’est-il donc pas d’offrir des milieux de vie normaux, confortables, agréables, qui répondent au besoin de bien-être de l’humain, qu’il s’agissent de l’habitant, du personnel et
117. C. EYNARD, op. cit., p.213
des familles et résultant d’une « observation sensible plutôt que d’une traduction normative ou une mise en scène de règles implacables » 117 ? On ne pourra pas reconstruire un milieu de vie similaire au milieu habituel puisqu’il y a autant de manière d’habiter que d’habitants, mais on peut tenter d’offrir un habitat riche en qualité, pour stimuler, apporter des
118. Parfaite au sens d’achevée, accomplie
repères, sans pour autant le transformer en une machine à guérir institutionnelle aseptisée ou en trompe l’oeil factice. C’est en se rapprochant de l’aménagement d’un environnement domestique réel, de la petite échelle, du travail des ambiances, de la matérialité, que l’image institutionnelle parfaite
118
, immuable, pourra
s’estomper, et laisser place à l’imperfection du quotidien., « tendant vers 119. M. TRIANTAFYLLOU et B. LAUDAT, L’exemple du nouveau service de psychiatrie de Dreux, dans KOVESS MASFETY, op. cit., p.171
une humanisation grandissante avec pour conséquences, une diminution du stress des patients, de meilleurs conditions de travail pour le personnel et donc de meilleurs soins » 119 Cette notion d’imperfection est essentielle, au sens où elle participe à laisser place à l’appropriation des lieux par ses habitants. On la retrouve dans la possibilité de personnalisation des espaces communs qui sont parfois tintés du désordre normal du quotidien.
162
III.Conclusion : conception sensorielle pour un retour à de la normalité et de la aualité
Elle est aussi présente dans les singularités des matières et des ambiances, qui rappellent à l’homme qu’il n’est pas le seul à avoir des failles, des craquelures, agissant comme autant de « révélateurs nostalgiques, stimulant des perceptions et des réminiscences »120
120. N GILSOUL, dans l’article L. COEN, « L’architecture gagnée par l’émotion », , publication Le temps, janvier 2011
C’est dans sa simplicité, sa normalité et sa subtilité la plus fluide que l’environnement architectural pourra offrir le meilleur des cadres à tous 121 ses utilisateurs, « contribuant au bien-être physique et psychique » ,
121. S DEOUX, op. cit.
permettant d’instaurer des relations humaines plus douces (figure 102). C’est au travers d’une conception sensible, intégrant tous les utilisateurs, sobre et économique, que l’investissement pourra être fait dans la plus riche des ressources à savoir le personnel soignant, l’humain.
122. P. ZUMTHOR, op. cit.
« Je me souviens de beaucoup de choses construites dans le monde, qui m’ont touché, animé, soulagé, aidé »
grâce
à
Nouvelle morphologie
122
n é c e s s i t e
Repérage et appropriation de l’espace permettant
Petite taille et petite échelle
Les bénéfices d’une architecture domestique de qualité Architecture sensible stimulante : Rythme, variété
offrant
d’espaces domestiques et normaux
pour se rapprocher
pour
une vie normale et ouverte sur le reel
Figure 102 : LE cercle vertueux d’une architecture domestique source : schéma personnel
163
« L’important n’est plus d’imaginer une architecture ordinaire pour un homme idéal, mais une architecture idéale pour un homme ordinaire » Michel Ragon tiré de F. CERESE, op. cit.
CONCLUSION GÉNÉRALE
165
IV. Conclusion générale
Considéré à la fois comme un espace de dernier recours,
un lieu de protection, de bienveillance et de bien-être, le cadre de l’Institution évoque l’enfermement, et parfois la rupture avec son environnement. Qu’il s’agisse de l’analyse terminologique ou spatiale des établissements pour personnes âgées et plus particulièrement des unités spécialisées Alzheimer, les réponses s’avèrent être encore très marquées par l’image institutionnelle. Cette dernière incarne en effet l’enfermement, la finalité d’un lieu de fin de vie, le mimétisme urbain et social d’un environnement qui malgré de bonnes intentions nourrissent un cercle vicieux. L’Institution semble marquée d’une incertitude, oscillant entre deux tendances antinomiques à savoir institution et domesticité, sans réussir à se positionner et incarner son essence même, l’habiter, le logement. Ce constat porte à croire que l’Institution d’aujourd’hui n’est peutêtre pas le modèle le plus adéquat, et qu’il est possible de l’améliorer, voire même peut-être nécessaire d’imaginer un nouveau modèle de prise en charge de la maladie. Un modèle répondant à la fois au besoin d’urbanité, de sentiment d’habiter, de repères et de liberté des générations d’aujourd’hui et de demain. Tendre vers des modèles nouveaux, de plus petite échelle permettrait aussi de répondre aux enjeux économiques qui restent souvent prépondérants sur la prise de décision. C’est en se rapprochant des tissus urbains que cette mutation morphologique serait possible. Elle délivrerait la structure de son carcan d’institution pour s’ouvrir sur la ville, et créer ainsi une relation dynamique forte et économiquement, fonctionnellement mais surtout humainement fructueuse. Cette ouverture sur la ville, permettrait de mettre au grand jour la maladie, de la faire participer au quotidien de la population, pour pacifier le rapport à la vieillesse, à l’angoisse de la maladie, et ainsi la démystifier.
167
La démystification de la maladie d’Alzheimer découlerait d’un retour à la normalisation des espaces, à un traitement domestique, à une petite échelle, pour tendre vers un mode d’habiter normal. C’est au travers de cette normalité que l’architecture doit apporter une réponse aux besoins des malades qui sont avant tout humains. L’hébergement
redeviendrait
un
vrai
logement,
symbole
de
l’appropriation, et de la possibilité du sentiment d’habiter. 123. Echange de mail avec le réalisateur du film « Architecture Alzheimer, tour et détours » Patrick Boriès
L’accent est donc à mettre sur la qualité architecturale, la simplicité, l’authenticité, la stimulation douce dans une juste mesure, pour apaiser, créer des repères, faciliter l’appropriation des lieux, en délaissant l’image immuable et aseptisée de l’Institution. Le sensoriel et le sensible doivent être au coeur de la conception, même si bien-sûr « le béton ne soigne pas, mais l’espace est la lumière peuvent être agencés pour retarder l’évolution des troubles mnésiques et cognitifs et apporter sérénité dans les services et confort pour les malades 123
et les aidants.»
En offrant un cadre de travail agréable et moins stressant au personnel 124. Interview Hélène BRODIER, Psy c ho l og u e clinicienne à l’EPHAD Les Landiers, Bron (69) réalisée le 16.12.16
soignant « très sollicité»
124
rouage pourtant essentiel au bien-être des
habitants, l’espace jouerait ainsi son rôle d’outil. Finalement, l’architecture ne pourrait-elle être présente, réelle, passive et silencieuse, pour donner place à la vie et aux interactions humaines, laissant la possibilité à l’humain d’être actif, d’explorer, de contempler, de toucher, d’habiter, redonnant naissance à un vrai rapport entre l’habitant, son esprit, son corps, et l’habitat ? Bien sûr, les freins à ce changement sont plus grands, le problème est plus global et bien souvent avant tout économique et politique. On peut imaginer que tendre vers un modèle plus simple, plus petit, sobre, mutualisable se situerait dans une logique plus économique, permettant d’investir dans des moyens humains en mettant en synergie tous les acteurs de la productions des espaces de vie pour personnes avançant en âge (programmistes, élus locaux, personnel soignants,
168
IV. Conclusion générale
familles, malades, population, etc.) (figure 103). C’est en s’appuyant sur les exemples à l’étranger de politiques de désinstitutionnalisation,
que
l’équilibre
institution/domesticité
pourra basculer vers quelque chose de plus vrai, d’authentique, pour ne plus vivre dans un monde d’illusion. Alzheimer ne doit donc pas être seulement synonyme de fin, mais du début d’une tranche de vie où il faut réapprendre à vivre, composer au quotidien, autant pour le malade, pour la famille que pour la société. Colette Roumanoff dit d’ailleurs dans son livre
119
, que la maladie ne
doit pas être « l’angoisse de l’avenir, mais le bonheur du quotidien », c’est une question de regard, de perception. Il appartient à chacun d’entre nous de participer à ce changement.
L’Insertion en tissu urbain comme dynamique authentique
à la possibilité de
Moyens humains essentiels
nécessite
Architecture de qualité sobre pour
nouvelle morphologie petite échelle pour se rapprocher
pour investir
le Cercle vertueux d’un nouveau modèle et une nouvelle image
une
Partenariats et cohabitation programmatique
grâce à
architecture “normale” loin de l’institution
Figure 103 : Cercle vertueux d’un nouveau modèle source : schéma personnel
169
#
BIBLIOGRAPHIE
171
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TREUSSARD
MARCHAND,
Conception
architecturale
des
établissements accueillant des personnes âgées atteintes de la maladie d’Alzheimer : revue de la littérature, Diplôme inter-universitaire de médecin
coordonnateur
d’Etablissement
d’Hébergement
pour
Personnes Agées Dépendantes. Université René Descartes Paris V, 2007/2008 M. TRIANTAFYLLOU et B. LAUDAT, L’exemple du nouveau service de psychiatrie de Dreux, dans KOVESS-MASFETY et al., Architecture et psychiatrie, Paris, Ed. Le Moniteur, 2004 P. ZUMTHOR, Atmosphères, Basel, Birkhaüser, 2008 VIDÉO ET FILMS : D. Gannay, Alzheimer ou la maladie oubliée, Documentaire vidéo France 3 Olivier BARTHELEMY, La mémoire qui flanche, documentaire vidéo France 3 Still Alice, W. Westmoreland et R. Glatzer Se souvenir des belles choses, Z. Breitman La vie à l’envers, A. Giafferi Milles et une vie, spéciale Alzheimer, France 2 21.09.16
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ANNEXES
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ANNEXE 1 : INFORMATIONS SUR LA MALADIE D’ALZHEIMER EVOLUTION : DE PLUS EN PLUS DE PERSONNES ATTEINTES
source : personnel
schéma
ALZHEIMER UN FAIT DE SOCIÉTÉ, 4ÈME CAUSE DE MORTALITÉ
source : personnel
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schéma
UNE MALADIE NEURODÉGÉNÉRATIVE
source : personnel
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source : personnel
schéma
source : personnel
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UNE MALADIE EVOLUTIVE
DES BESOINS AU COEUR DE LA CONCEPTION
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