THE BELGIAN CONNECTION : Cinq artistes bruxellois proches de l’architecture

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THE BELGIAN CONNECTION Cinq artistes bruxellois proches de l’architecture

La Première Rue


Peter Downsbrough Marthe Wéry Gilbert Fastenaekens Philippe De Gobert Jean Glibert

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N°ISBN - 978-2-9579645-0-5


14 juin - 25 septembre 2021 Galerie Blanche Exposition collective à la Cité Radieuse Le Corbusier de Val de Briey

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Un lieu Corbuséen

La Cité Radieuse de Briey-en-Forêt

L’association La Première Rue

Le Corbusier (1887-1965) est parmi les architectes du XXe siècle, le plus

L’association La Première Rue est née en 1989 du parrainage

connu. Sa notoriété dépasse le cercle des spécialistes pour atteindre

international d’une trentaine d’architectes et d’artistes qui ont voulu

le grand public. Cette situation, rare pour un architecte, n’est pas

contribuer à la protection et à la valorisation de cette oeuvre majeure

uniquement française. Elle se vérifie sur le plan international. Les

du patrimoine architectural moderne : l’Unité d’habitation de Briey-en-

historiens de l’architecture ont vu dans «l’unité d’habitation» l’une des

Forêt, inaugurée en 1960. L’association s’est fixée un double objectif :

«hypothèses les plus intéressantes» de la période moderne. Elle est

premièrement, participer au rayonnement de l’architecture moderne

l’aboutissement d’un long travail théorique. Après Marseille, quatre

par l’organisations d’expositions, de salons, de conférences et de

unités nouvelles seront construites : à Nantes, à Berlin, à Briey et à

visites guidées des lieux, et deuxièmement, permettre aux scolaires,

Firminy. A travers ces cinq réalisations (nettement différentes les unes

étudiants, architectes, chercheurs et au grand public de s’immerger

des autres), Le Corbusier a donné forme à l’une des recherches les plus

dans l’œuvre de Le Corbusier. Pour ce faire, l’association dispose au

originales de l’architecture et de l’urbanisme du XXe siècle.

premier niveau de plusieurs appartements en «duplex» imbriqués de manière caractéristique autour d’un long couloir (inscrit à l’Inventaire supplémentaire des Monuments Historiques), que Le Corbusier assimilait à une "rue" d’où le nom adopté par l’association.

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Cité Radieuse de Briey-en-forêt.

© Vitale Design

La Première Rue, couloir inscrit à l’inventaire des Monuments Historiques.

© Vitale Design

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Façade Ouest de la Cité Radieuse.

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© Fondation Le Corbusier

© Vitale Design

La Galerie Blanche, appartement 101.

© David Angeletti


La Galerie Blanche

La Première Rue, les deux entrées de la galerie.

© Vitale Design

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Projets d’exposition et d’édition

UN CONTEXTE ARCHITECTURAL ET CULTUREL PARTICULIER En 1997, lors de sa visite à la Cité Radieuse de Briey, l’architecte et ingénieur André Wogenski (1916-2004), qui a été l’un des plus proches collaborateurs de Le Corbusier, a tenu à faire savoir, que ce bâtiment, malgré les contraintes financières drastiques qui ont demandé un grand effort pour sa conception, représente bien un aboutissement architectural conforme à la vision de Le Corbusier. Il en résulte une version plus épurée, plus géométrique, que ce qui a été proposé pour les quatre autres Unités d’habitation. L’identité architecturale de la Galerie Blanche est conditionnée par la façade. En extérieur cette dernière présente une grille suspendue au-dessus de la forêt dont les flancs intérieurs sont colorés de façon aléatoire. Des lignes de loggias, dans un jeu de séquences et d’inversions, viennent partiellement couvrir ces alvéoles orthogonaux dans lesquels sont encastrées des boiseries vitrées. La promenade architecturale commence au pied du bâtiment, lorsqu’on est surplombé par cette multitude de logis tournés vers l’horizon. Elle se termine lorsqu’on arrive dans un appartement, face à un de ces compositions de bois et de vitres, dont le cadre de béton se prolonge à l’extérieur pour saisir le paysage. Et là, le hasard laisse découvrir quelles teintes de la façade viennent décorer l’intérieur du lieu de vie en s’associant à la part de nature qui s’offre au regard. La galerie occupe, dans le premier niveau de l’immeuble, deux appartements duplex standards aux volumes similaires, reliés par un percement dans leur mur mitoyen. En leurs parties hautes, ils traversent le bâtiment de part en part, pour chercher une lumière changeante qui rase les murs en béton blanc. Dans ce lieu évidé, les boiseries de façade composées de panneaux vernis et de carreaux

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vitrés, sont beaucoup plus présentes au regard que dans les appartements habités. Les escaliers dessinés par Jean Prouvé, taillés dans le bois brut, sont eux aussi très expressifs. Au contraire du «white space» classique, le lieu n’est pas neutre. Les contenus exposés sont en résonance avec la plastique de l’espace et ce qu’il représente.

UNE EXPOSITION COLLECTIVE L’opportunité d’utiliser cette galerie pour dialoguer avec sa plastique et son concept moderniste existe depuis 30 ans. Elle a attiré de nombreux architectes, historiens et designers. Du côté de l’art contemporain, la Première Rue a, au fil des occasions, invité des artistes aux carrières accomplies, issus d’un réseau bruxellois qui entretiennent un lien particulier à l’architecture. Si leurs pratiques peuvent être très différentes, ces créateurs ont eu en commun de présenter des travaux qui s’adressent directement à la plastique du lieu. 2001 - Peter Downsbrough : «ET» 2002 - Marthe Wéry : “Utrecht 92 / Briey 02” 2004 - Gilbert Fastenaekens : «temps photographique / retards en papier» 2005 - Philippe De Gobert : «photographie construite» 2010 - Pierre Toby : «Yonder» 2011 - Gilbert Fastenaekens : “Libre de ce monde ?” 2013 - Jean Glibert : “Abstraction, matières et contingences” En cette année 2021, l’exposition “The Belgian Connection” propose la mise en espace dans la galerie de nouvelles œuvres de cinq de ces auteurs. Elles sont choisies et prêtées par les artistes pour cette occasion. Malheureusement, Marthe Wéry nous a quittés en 2005.


L’une de ses filles, Françoise Debuyst, et Pierre-Olivier Rollin, directeur du BPS22, Musée d’art de la Province de Hainaut, à Charleroi, ont collaboré pour sélectionner les pièces issues de la collection du Musée.

Cette publication répond à l’occasion unique offerte par l’exposition The Belgian Connection de formuler une somme de visions créatives née d’une suite de collaborations, de rencontres, de découvertes, de passions et d’efforts partagés durant une vingtaine d’années autour de la Galerie Blanche, entre la Première Rue et ses amis de Belgique.

CE CATALOGUE COMME OUTIL D’EXPLORATION En plus de l’intérêt de voir rassemblées des œuvres d’une telle qualité, ce projet propose de mettre en valeur les différences et les points communs qui existent entre eux, leurs pratiques, et leurs liens avec l’architecture.

Vincent Dietsch et Steven Vitale, commissaires de l’exposition Le 28 août 2021

Le présent catalogue, est voué à être présenté pour la première fois lors du finissage, car il n’est pas conçu comme beaucoup d’autres, en amont de l’exposition. Ici, le but est d’explorer l’expérience vécue de cette mise en espace. Pour en saisir la richesse, il convenait d’inviter plusieurs critiques. Aussi, pour que le faisceau de leurs approches soit en sympathie avec les artistes, nous avons demandé à ces derniers d’inviter chacun un auteur. Pour qu’ils écrivent librement à propos de l’exposition, du point de vue de l’artiste qui les aura choisis. Le compte-rendu photographique a de l’importance car cette publication sera diffusée après l’exposition. C’est pourquoi nous avons souhaité croiser les regards de deux photographes aux sensibilités complémentaires, et prolonger ainsi, l’esprit de la démarche rédactionnelle. Le pari du projet étant que les répétitions occasionées par les différents points de vue, autant en texte qu’en image n’apparaissent pas redondantes, car ces variations permettent de mieux saisir la complexité sensorielle et théorique de l’exposition.

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Crédits

Direction de publication & design graphique

Textes

Vitale Design / Steven Vitale, Vincent Dietsch

Richard Klein (FR) Architecte, docteur en histoire de l’art, professeur et chercheur à l’Ensapl, auteur, président de l’association Docomomo France.

Photographie Cyrille Lallement Diplômé d’architecture et auteur photographe. Vit et travaille à Paris. Il réalise des photos de commande sur l’architecture et mène un travail personnel en parallèle. David Angeletti (La Compagnie Générale De Photographie)

Benoît Dusart (BE) Maître assistant en sociologie à la Haute Ecole Condorcet, conférencier à l’ensav-la Cambre. Critique d’art et commissaire indépendant. Co-curateur de l’espace d’exposition Incise à Charleroi.

Diplômé de l’École des Beaux-Arts de Metz. Résident à Val de Briey, installé au Luxembourg. Produit des images pour l’architecture et la communication corporate.

Vincent Dietsch (FR) Designer, plasticien, curateur. Co-commissaire de l’exposition.

Remerciements : Merci à Michel De Visscher pour ses précieux conseils, au BPS22 et son directeur Pierre-Olivier Rollin pour le prêt d’œuvres de Marthe Wéry, merci aussi à Philippe De Gobert pour le prêt d’une des œuvres de Marthe Wéry, et enfin à Bernard Nectoux, Thomas Dietsch et Cécile Vandernoot pour leurs généreuses assistances dans la réalisation de cet ouvrage.

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Septembre Tiberghien (BE) Critique d’art et curatrice, membre de l’AICA Belgique, Vice-présidente de la Commission des Arts Plastiques de la Fédération Wallonie-Bruxelles, Enseignante à ARTS², Mons. Cécile Vandernoot (BE) Architecte, auteure et curatrice indépendante. Doctorante et enseignante à la faculté d’architecture LOCI de l’UCLouvain.


Photographies

Textes

Auteurs invités par :

Promenade architecturale p 13

Peter Downsbrough

Portraits des œuvres

Marthe Wéry

p 75

p 45

p 49

Gilbert Fastenaekens

p

53

Philippe De Gobert p

59

p

65

Jean Glibert

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Promenade architecturale Compte-rendu photographique par Cyrille Lallement Ses images cherchent à restituer fidèlement la scénographie de l’exposition et à mettre en relation les œuvres exposées avec l’espace dans la cité radieuse de Le Corbusier. Elles orientent un cheminement possible parmi les œuvres.

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Comptes-rendus libres Protocole d’écriture Chaque auteur approche l’exposition à partir de l’artiste qui l’a invité. Les témoignages s’appuient sur la visite de l’exposition. Il n’y a pas de contraintes relatives à la quantité de texte ou à son style.

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Photographie : Pascal Volpez

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Peter Downsbrough, 2001, Galerie Blanche, «ET».


Artiste américain vivant à Bruxelles, Peter Downsbrough (né en 1940) expose aux Etats-Unis

Two Pipes, One Standing

depuis 1962, en Europe depuis 1972. Depuis le

THEN, AND

les lieux aussi bien que l’espace du livre ou de

début des années 1970, ses œuvres investissent la photographie, celui du son ou de l’image en mouvement à partir de thèmes récurrents : la limite, la dualité, la ligne et la lettre. Deux lignes parallèles sont déclinées sur les surfaces ou

Richard Klein

dans l’espace, les mots entiers ou découpés sont ajoutés à ces dispositifs à partir de 1977 et ne

invité par Peter Downsbrough

cessent depuis, d’impliquer le spectateur dans les structures, les configurations, l’échelle et le sens des lieux où ils sont présentés. À la fois construite et conceptuelle, cette œuvre est aussi caractérisée par une précision et une justesse qui trouve un écho particulier dans les espaces, qu’ils soient d’une grande neutralité architecturale ou issus d’une spatialité savante comme ceux de la galerie blanche de l’unité d’habitation de Le Corbusier à Briey-en-Forêt, le lieu d’exposition de La Première Rue. Les Two Pipes de Peter Downsbrough ont déjà une histoire. Ces deux lignes dans l’espace sont le fruit d’un long processus de réduction depuis les premières sculptures métalliques de l’artiste jusqu’à cette forme de modèle dont la simplicité peut absorber toutes formes de déclinaisons. Les deux tubes peints en noir sont en aluminium,

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ce sont des sections de produits industriels, en

De ce dispositif minimum naît ainsi un nombre

signification et tirer de son emplacement - au sol

l’occurrence depuis que Downsbrough réside en

infini d’interactions visuelles et corporelles

cette fois-ci - de nouveaux points de vue sur le lieu

Belgique, leur diamètre est de 19 millimètres.

entre l’œuvre et le spectateur, entre le visiteur

d’exposition. La police Helvetica, généralement

Certains connaisseurs pourront même y déceler

et l’architecture, entre le paysage intérieur et

choisie par Downsbrough, a été inventée par le

une curiosité normative puisque ce diamètre

celui du lointain, entre les lignes, les plans et les

typographe suisse Max Miedinger en 1957. Linéale

n’existe qu’en Belgique alors que partout ailleurs

volumes. Les Two Pipes sont donc une structure

sans empattement, elle doit son nom à ses

dans le monde, c’est le diamètre de 20 mm qui

au sens spatial du terme, une sculpture dont

origines suisses mais correspond à la volonté de

est adopté pour ce genre de produits dont les

la matérialité réduite au minimum modifie la

réduire le sens que l’on peut attribuer au caractère

utilisations les plus courantes sont celles de

perception des architectures où elles sont placées,

en tant que tel et de privilégier le contenu du

canaliser les fluides.

une architecture au sens le plus évolué du terme

texte au service duquel elle a été conçue. Cette

mais aussi une partition au sens le plus prosaïque.

police, la plus utilisée au monde depuis sa date

Peter Downsbrough a donc inventé un instrument

Si Peter Downsbrough en détermine dans un

de conception, correspond à un idéal d’objectivité

artistique dont les principes reposent sur une

premier temps la position exacte, on peut ensuite

qui, déclinée dans l’environnement urbain, la

forme volontaire d’objectivité et dont l’importance

déplacer l’œuvre comme on déplace un tableau

signalétique et le livre, a permis la production

matérielle est toute relative. Les deux tubes

pour l’accrocher au mur en jouant ainsi d’une

d’une multitude de codes, de signaux de toutes

écartent l’idée de composition et de subjectivité

autre sorte d’interaction, celle de l’accrochage et

sortes. Downsbrough a cette fois-ci utilisé un

du geste artistique, ce sont des lignes que l’on

du déplacement, du commissaire d’exposition, du

instrument existant, un standard typographique,

ne peut confondre avec un volume mais dont la

conservateur ou du collectionneur. De ce langage

une lettre globalisée adaptée à ses objectifs et à

présence crée des partitions de l’espace figées par

si ténu qui repose sur une présence discrète,

la volonté de multiplier les situations localisées.

la photographie et la fixation du regard comme

Peter Downsbrough tire les possibilités infinies

La biographie de Peter Downsbrough comporte

mouvantes et cinétiques avec le déplacement

d’appropriation du visiteur. De la partition qui

un passage par l’architecture, l’intérêt pour de

du spectateur. La présence des deux tubes, l’un

divise l’espace en autant de vues singulières, de ce

célèbres architectes américains, un début d’étude

suspendu au plafond, l’autre posé au sol est plus

partage d’un ensemble qui, des mathématiques à

et la conception d’une maison d’habitation. Sa

importante que les deux tubes en eux-mêmes.

la géographie, peut évoquer la géométrie comme

pratique artistique investit en architecte mais avec

Le spectateur en général ne s’y trompe pas. Son

la politique, Downsbrough se joue inlassablement

frugalité, l’espace, le temps et l’architecture. Une

regard ne se concentre pas sur les tubes mais sur

en architecte.

architecture rare dans un monde contemporain

ce qu’ils montrent, découpent ou cadrent dans le

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marqué par l’intempérance.

lieu : à Briey, l’arrière-plan boisé de la vue depuis

Avec THEN et AND, Downsbrough utilise les lettres

les fenêtres et leurs partitions harmoniques

et les mots comme des objets sortis de leur

menuisées, la rampe oblique d’un escalier ou

contexte sémantique. De nouveau, le spectateur

les figures humaines qu’à l’occasion les tubes

actif peut construire une poésie sonore et spatiale

peuvent révéler, découper ou accompagner.

à partir de cette structure, y trouver ou non une

Richard Klein


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Photographie : Philippe De Gobert

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Marthe Wéry, 2002, Galerie Blanche «Utrecht 92 / Briey 02»


Tout l’intérêt, mais aussi tous les problèmes que me posent les expositions à la Cité Radieuse,

Habiter l’exposition

tiennent à tous mes fantasmes liés au site, à la difficulté d’y être et d’y vivre, indépendamment des idées et des attentes incommensurables qu’il hâte en moi – vivre en Utopie – et des usages contingents qui semblent parfois le submerger.

Benoît Dusart

Dans le hall d’entrée, trois rangées d’une douzaine

invité par Pierre-Olivier Rollin pour Marthe Wéry

en béton dont la fonction initiale se voit déportée

de caddies sont logées derrière un large comptoir par le besoin de ramener facilement ses courses chez soi. Commence alors un travail d’enquête qui, en guise d’accueil, interroge à tel point le lieu qu’il en devient presque fantomatique : d’une poignée de porte aux revêtements du sol, du choix d’une lasure à celui d’une ampoule, j’ausculte la validité des choix, sous-pèse leur praticabilité esthétique à l’aune d’une économie qui serait celle du raccord, de coutures plus ou mois souples et visibles, unissant les usages aux idéaux qui les portent encore, ou plutôt les encadrent, à la manière d’un dispositif qui lui, reste implacablement souverain. La mesure est partout, radicale, et l’on sait à quelle « rationalité » elle doit : de Van Doesburg à Mondrian, Léger, Arp et tant d’autres… autant d’attaches formelles au service d’une ambition qui, au risque d’une sociologie des plus normatives, scénographie la vie même. Une vie

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radieuse certes, mais continuellement arrimée

tourne irrépressiblement vers la couleur miel

problème) ou y génère, plus témérairement peut-

aux divisions structurant le rapport au temps, aux

des châssis, le pare soleil et le balcon, la rampe

être, de quoi le faire oublier.

loisirs, à la famille, au travail… Au-delà et de façon

tubulaire de l’escalier, le ciel et le bois alentour …

Marthe Wéry s’est souvent exprimée sur les

plus intime encore, l’espace est affaire de corps, il

Au risque d’inverser complètement l’écrin et son

liens qu’elle a tissés entre l’architecture et sa

les enveloppe, les guide, les porte au point de les

contenu, de faire de l’art le décor.

peinture. Pour autant, son travail ne relève pas

travestir comme autant d’éléments d’architecture.

tout à fait de l’intégration et ses œuvres n’ont, à

Peu importe finalement la couleur des portes,

Lors de ma dernière visite à Briey, en 2013 pour

ma connaissance, jamais été créées in situ. La

l’authenticité du lieu est d’abord relationnelle.

l’exposition de Jean Glibert, je n’avais pas vécu

disparition de l’artiste en 2005 n’implique pas

Il serait faux d’écrire que l’architecture fait de

cette situation de façon si intense. La proposition

nécessairement de reproduire les scénographies

ses usagers des acteurs. Bien plutôt, elle en fait

s’appuyait sur une intégration in situ qui parvenait

d’accrochage élaborées de son vivant. Pour peu

ses agents. La différence est sociologiquement

à jouer magnifiquement avec l’architecture,

qu’on respecte l’intégrité des séries et, surtout,

importante mais on peut rapidement la résumer

déportant dès l’entrée toutes les attentes que

la dynamique qu’elles induisent, l’œuvre reste

comme suit : pour la plupart des personnes qui

j’avais vis-à-vis d’elle. La question de l’autonomie

infiniment ouverte et fertile en terme d’exposition.

la visitent, la Cité Radieuse est une institution.

de l’œuvre ne se posait pas. Les termes du

C’est le cas à Briey, indubitablement.

Elle se matérialise et agit dans l’objectivité de

contrat ayant changé, de très vieilles questions

sa géométrie mais aussi dans la subjectivité des

refont surface. Pour faire simple, la peinture et

On retrouve donc ce travail avec le même

consciences, au point de freiner, voire d’abolir,

les images peuvent-elles déborder réellement

enchantement, la même impression de rigueur

le recul et la distanciation. On peut faire preuve

du cadre ou, à l’inverse, la clôture des bords leur

et de force qu’auparavant. La disposition des

de réflexivité critique, mais « la machine » finit

permet-elles d’atteindre le terme de leurs effets,

tableaux, parfois décalés du mur, posés sur des

toujours par gagner. Y vivre, ne serait-ce que

indépendamment de tout contexte ?

cales en bois, accrochés « trop bas », isolés ou en

quelques jours, constitue un terrain d’expérience

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groupe, épouse la triple exigence qu’appelle à mon

fabuleux : être de corps et d’esprit corbuséen. Non

Lors de la préparation de The Belgian Connection,

sens l’œuvre de Marthe Wéry : stimuler le regard,

pas en en faisant consciemment le choix, mais –

Vincent Dietsch m’a demandé d’écrire un texte

se tenir au plus près de l’acte de création, se

presque inévitablement - en exerçant sa propre

sur l’exposition, et plus spécifiquement sur le

soutenir de la spécificité de l’espace d’exposition.

liberté dans l’accomplissement du programme.

travail de Marthe Wéry. J’avoue être intimidé à l’idée d’évoquer sa peinture, mais Briey offre

Pour désamorcer l’équivoque qu’il pourrait y avoir,

La Cité Radieuse n’est pas un bâtiment mais

un laboratoire parfait, comme a pu l’être son

la place qu’occupe telle ou telle peinture relève

un Monde en soi. Pour les artistes, s’y exposer

exposition au Musée des Beaux-Arts de Tournai

du choix retenu pour la faire voir et non du désir

n’est jamais anodin. En tant que spectateur, je

en 2004. Ces lieux ont en commun d’être

de « faire installation ». On peut apprécier le tout

peux facilement me laisser distraire. Malgré

symboliquement si chargés qu’ils font déjà

comme un ensemble, mais les tableaux doivent

les murs immaculés de la Galerie Blanche et

tableau, exigeant dès lors de l’artiste qu’il ou elle

se lire un à un. D’une fluidité et d’une profondeur

l’absence de mobilier attaché, mon regard se

s’y soumette (ce qui n’est pas nécessairement un

sans fin, le travail de Marthe Wéry ne semble


jamais s’épuiser. Via de très subtiles trouées,

en appellent aussi à cette démarche active.

des effets de vagues et d’infimes empâtements,

Comme chez Marthe Wéry, elles exigent du temps,

les tableaux détaillent la matière et la couleur

une grande disponibilité réceptive et, surtout,

de façon potentiellement infinie, sans redite

s’inscrivent dans l’architecture sans fusionner

aucune. Cela ne se gagne pas toujours à hauteur

complètement avec elle.

du regard. Il faut parfois adopter une stratégie oblique, et l’accrochage y aide : parcourir, via

C’est lors de ma deuxième visite de l’exposition,

1000 détours, la singularité des mouvements,

alors dans la pénombre et peut-être pour cette

de la matière et des couleurs…tout est affaire

raison, que la magie opéra. Peut-être aussi grâce

de concentration. S’il y a bien un chemin

à l’image si douce d’un couple photographié par

contemplatif, il est aussi subtil que sinueux. Cela

Gilbert Fastenaekens, logée dans la première

ne fonctionne que physiquement, le corps penché,

salle et voisinant avec la série des bleus réalisée

à reculons, ou le nez presque collé à la surface du

par Marthe entre 1995 et 2004. Mon portable

tableau.

en témoigne, je viens de le vérifier, je n’ai pris sur le moment aucune note, aucune image. Le

Chacun témoigne du temps de sa réalisation, un

fantôme du Corbusier n’avait plus d’importance,

temps qui semble se prolonger, tant la fixité est

ne restait que le lieu, la lumière, les couleurs, le

absente. Cela reste mouvant, disponible et frais

silence. À toute idée de programme, aussi exaltant

comme au plus près de l’atelier, comme si l’artiste

soit-il, s’opposait une scénographie nouvelle,

cherchait à en déterritorialiser l’énergie, à en

largement ouverte et, surtout, la liberté d’en être

déporter l’intensité.

concrètement acteur.

Cette continuelle revitalisation de la peinture

Benoît Dusart

convoque bien l’architecture. L’espace et la lumière offrent toujours une nouvelle amplitude, une autre histoire aux tableaux, comme autant de prolongements, spécifiquement liés à l’espace. Celui-ci agit alors comme ressort perceptif, source d’émerveillements, de recherches et de surprises, au gré d’une relation ouverte, stimulante, généreuse. Les dernières œuvres sur papier de Jean Glibert, bien que très différentes,

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Photographie : Vitale Design

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Installation - Gilbert Fastenaekens, 2011, Galerie Blanche, «Libre de ce Monde».


La réalité comme introspection. Gilbert Fastenaekens est un photographe du réel

La perspective du cadre

dans le sens où il veut en témoigner. Cela signifie que la beauté de ses images en procède, et qu’il ne triche jamais avec, il l’aborde tel qu’il est, avec les outils du photographe. Mais pour tirer le meilleur de lui-même en tant qu’artiste, il s’est

Vincent Dietsch invité par Gilbert Fastenaekens

toujours donné des approches, des pratiques, des sujets, et des façon de l’aborder qui résonnent avec son monde intérieur. On peut deviner en filigrane de son œuvre, sa quête de lui-même à travers l’évolution de ses approches, dont il compare parfois certaines à des thérapies. Le premier grand sujet qu’il s’est donné dans sa jeunesse l’a plongé pendant deux ans au milieu des foules en procession. Juste après, au début des années 80, il fit volte-face pour se retrouver seul, la nuit, dans des quartiers déserts, à produire son premier succès, la série Nocturne. À partir de là, il réalisera tout au long de sa carrière, plusieurs grandes séries, souvent développées sur des années, pour lesquelles il se fait l’explorateur de tranches oubliées du réel. La majorité des photographies de Gilbert Fastenaekens présentées dans l’exposition sont tirées des deux séries “Site I” (1991-94) et “Site II” (1999-2004).

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Site I - Paysages urbains Cette série présente de nombreuses vues en noir et blanc qui explorent les vides de la ville de Bruxelles. Elle se lit comme un flux d’images, qui varient doucement de l’une à l’autre ou carrément s’opposent. L’intérêt de l’artiste pour cette écriture sérielle est rendu tangible par le dispositif interactif qu’il créa pour la présenter : 8 cahiers de 1.06m x 1,40m posés sur lutrins, dont on peut tourner les pages. C’est une invitation à explorer les sites urbains page à page, et en même temps, à contempler un panorama contrasté offert par l’apparition simultanée de 8 endroits différents. Ces images se déclinent sur trois grands pôles d’intérêts visuels. 1- La nature sauvage , friches, végétations de terrains vagues, ou seulement le ciel gris pris à la verticale … 2 - Les chantiers de construction, des lieux où tout est provisoire, où contrastent le chaos et

des photos de rues et d’immeubles de plus en

et l’orthogonalité urbaine. Les sujets étaient,

plus encombrées. Ce monde urbain disgracieux,

à quelques rares exceptions près, des vues de

presque sans présence humaine ne parait pas

façades de rues, de végétation (soumise aux

laid, il est capté et restitué de façon vivante et

formes urbaines cette fois), et souvent de pignons

créative, composé avec le talent du photographe,

aveugles. En plus, il se libéra de toute contrainte

comme si la meilleure façon de supporter la

géographique, il arpenta encore Bruxelles, mais

grisaille, c’est de lui soutirer toutes ses richesses

aussi Charleroi, la côte belge et la France.

de nuance.

Dans l’exposition, face à cette photographie de la côte belge de 2002, (cf. p. 119) nous ressentons

C’est probablement pendant ce travail que

presque physiquement la frontalité de ce pignon

Gilbert Fastenaekens a rencontré un intérêt

aveugle. Il provoque déjà par lui-même cette

pour la mise en tension entre deux sortes de

sensation de poussée vers le regard. Il est mis

vide : celui de l’espace, la distance entre les

sous tension par un premier cadrage composé

choses, qu’il maîtrise parfaitement, et le vide de

par les éléments qui s’emboîtent autour de lui

sens de certains endroits urbains qui s’exprime

(les vides du ciel, le rectangle vert de l’herbe, les

plus fortement avec des vues ou des éléments

bandes d’arbres … ). Ces éléments plastiques

frontaux.

sont cernés entre le format défini par la façade aveugle et le cadrage de la photo. En touchant

Site II - Compositions abstraites

l’organisation, et où étrangement, tout semble

La série Site II a été mise en œuvre cinq ans après,

plus naturel et spontané que dans les rues. On y

en reprenant (entre autres), les thématiques de la

voit parfois un ouvrier actif, rendu un peu comique,

frontalité, abordées dans Site I. On peut imaginer

perdu qu’il est dans toute cette complexité.

que c’est le temps qu’il a fallu à l’artiste pour

3 - Et enfin, des immeubles ordinaires aux

méditer la meilleure façon de faire évoluer le

façades fermées faisant front aux regards. Ils

sujet afin de pouvoir régler ses comptes avec lui.

se définissent par les vides entre eux et la façon

Il décida de passer à la couleur, alors qu’il avait

qu’ils ont d’être étrangers les uns aux autres.

toujours travaillé en noir et blanc, en l’utilisant dans cette série, d’une façon qui «neutralise»

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Si l’on explore les clichés dans l’ordre

la spatialité. Et il choisit de concentrer ses

chronologique, on découvre une progression qui

recherches sur la frontalité en exacerbant le jeu

part des vues les plus dégagées, pour aller vers

de composition entre le cadre photographique

presque le haut de l’immeuble, il empêche le ciel de donner de la profondeur de façon à augmenter encore plus la tension visuelle vers l’avant. La vigoureuse et élégante force plastique qui en résulte, contraste de façon presque délirante avec l’absence totale de sens du lieu représenté. La photo de la côte belge de 2003, visible page 130, propose la même structure visuelle avec une variante : à la place d’un pignon aveugle, on a la coupe d’un immeuble à moitié détruit, protégée provisoirement dans l’attente de la suite des travaux. Sa surface contient un monde visuel où l’on retrouve dans une version plate et frontale, le chaos organisé et transitoire, presque joyeux des


chantiers de Site I.

Cadres d’architecture

L’horizon intérieur

Le Corbusier peignit toute sa vie et s’intéressait

Philippe De Gobert a une démarche

aussi beaucoup à la photographie. Il était

diamétralement opposée à celle de Gilbert

familier de ces questions de cadrage, il les

Fastenaekens vis-à-vis de l’architecture.

appliquait au conditionnement du regard dans

Il construit des maquettes à l’échelle, des

ses espaces. D’autant plus qu’il rechignait à ce

interprétations libres inspirées d’environnements

que ses constructions servent de promontoires

architecturaux parmi les plus connus. Il les utilise

qui embrassent le paysage, ce qu’il réservait à la

pour produire ses photographies en studio. Il

nature, l’architecture devant servir à organiser les

s’intéresse au cœur du désir des architectes, au

sensations. Quand, depuis l’intérieur de la galerie,

travers de leurs conceptions idéalisées, et des

on observe la manière dont notre regard est capté

rêveries construites qu’elles lui inspirent. Une

Les photographies noir et blanc de Site I, (quand

vers l’extérieur, on peut constater qu’ont été

très grande partie de ce qu’il a produit durant sa

elles ne sont pas présentées dans une installation

utilisées deux façons de cadrer et de composer

carrière d’artiste sont des maquettes d’intérieurs.

ou un livre), sont imprimées sur papier photo et

qui peuvent se référer à ce que l’on vient de

Donc des lieux clos, systèmes architecturaux

collées bord à bord sur des plaques d’aluminium,

décrire juste avant chez Gilbert Fastenaekens.

fermés, en cohérence avec eux-mêmes. À tel

favorisant une sensation de continuité de

Les boiseries des châssis de la galerie viennent

point que les fenêtres ou baies vitrées de ces lieux

l’environnement représenté hors du cadre (all-

domestiquer la nature dans une composition

ne montrent presque jamais l’image du monde

over), alors que celles de Site II sont entourées

abstraite, très dessinée, alternant les pleins et

extérieur, elles sont très souvent obstruées par

d’une marge blanche et d’un cadre en bois, dans

les vides transparents. Nous avons bien là une

une sorte de calque opaque qui laisse rentrer

un système pictural sous tension se suffisant

composition équilibrée, qui fonctionne dans un

seulement la lumière. Dispositif onirique qui

à lui-même, pouvant être facilement comparé

cadre fermé. Et en même temps, juste derrière,

donne une prestance très forte à ces images, les

à la peinture abstraite (ou à celle de la pré-

sur l’extérieur, nous avons la nature cadrée dans

compositions qui en résultent ont souvent comme

renaissance).

sa continuité, en all-over, par le format de la grotte

sujet central ces fenêtres ou ces baies vitrées

Ces décors humbles et insignifiants, figés dans leurs aspects transitoires, nous donnent à voir une esthétique abstraite à la beauté saisissante. Ces œuvres plastiques représentent, à mon sens, un moment d’accomplissement dans la confrontation esthétique que Gilbert Fastenaekens a entrepris face aux refoulements collectifs de l’urbanisme. Système ouvert vs encadrement pictural

orthogonale dans lequel nous nous trouvons. Il est

mêmes. Elles dessinent un vide frontal, dans une

C’est en partant du thème de cette dualité

intéressant de comparer ce cadrage architectural,

position centrale qui masque l’horizon. Je propose

complémentaire, que je propose de comparer,

avec la photo de Bruxelles de 2002, tirée de Site

de comparer cette façon de composer, évidente

en associations libres, le travail de Gilbert

II que l’on voit dans ce contexte pages 24 et 25.

avec Journée radieuse - 2009, et celle d’un pignon

Fastenaekens avec celui des autres artistes de

Dans les deux situations, l’une picturale, et l’autre

aveugle de Site II, (cf les deux photographies page

l’exposition, tout en explorant leurs rapports

architecturale, la verdure est mise sous tension

29). La frontalité de la composition de Gilbert

respectifs avec l’architecture.

frontale, et elle jaillit vers celui qui la regarde.

Fastenaekens semble faire avancer l’image vers le spectateur, elle est tenue par la contrainte du

55


cadre qui fait le lien avec le plan de réalité du lieu

un sorte de contradiction fusionnelle entre la

l’architecture. Avec humour, mais aussi avec le

d’exposition, donnant à cet immeuble l’échelle

dynamique diamétralement opposée des deux

très grand respect qu’il a pour les savoir-faire

d’une maquette. À son côté, la composition

objets, et le fait que le dyptique apparaît comme

artisanaux, il se définit lui-même comme peintre

photographique de Philippe de Gobert utilise

une pièce unique.

en bâtiment. Toute sa vie, il a pratiqué les liens

l’ouverture centrale, frontale et lumineuse, comme

Les cinq rectangles bleus, Calais - (1995-2004),

entre l’abstraction visuelle et la réalité de la

point d’appui pour projeter les lignes de fuites

(Cf pages 100 à 103), sont issus d’une pièce

perception, dans l’acte de recouvrir les volumes

de la perspective vers l’extérieur du cadre de

composée de plus d’éléments (21 en tout). Marthe

et les surfaces du bâti, avec comme palette toutes

la photo. Cela induit mentalement un transfert

Wéry prévoyait que ce type de pièces soit adapté

les matières applicables à des surfaces qu’il peut

d’échelle, qui incite le spectateur à s’imaginer lui-

par le nombre d’éléments et par leur disposition

trouver dans ses incessantes recherches.

même à l’intérieur de ce rêve matérialisé.

en fonction des espaces qui les reçoivent. Pour

Ces dernières années, il s’est jeté avec

leur disposition, l’exercice consiste, en partie, à

enthousiasme dans des compositions sur

éviter d’avoir affaire à des motifs rectangulaires

papier. Heureux de ce rapport direct, loin des

formant un dessin, mais au contraire, de faire

contraintes des chantiers du bâtiment, où il peut

en sorte que les rectangles restent assimilés

vivre lui-même le geste de peindre, et mieux faire

à des tableaux disposés dans l’espace. Pour

correspondre sa pensée, ses gestes et ce qu’il

favoriser cette tendance, Marthe Wéry prend soin

obtient de la matière ... Les questionnements

de laisser visible des imperfections propres au

soulevés entre le all-over et le format fermé qui

moment d’application de la peinture sur chaque

nous occupent ici, peuvent aussi donner une

format, ce qui limite les effets de all-over de ces

grille d’interprétation intéressante pour aborder

monochromes et renforce leurs statuts d’objets

l’ensemble que forment les trois dessins qu’il a

uniques. Et pour les mêmes raisons, elle fait

proposés pour l’exposition. Encore plus quand

en sorte que les formats soient toujours un peu

on sait qu’ils sont tirés d’une suite d’œuvres

différents, mais pas trop ... Ainsi, comme avec

plus nombreuses, toutes de formats identiques,

l’exemple du diptyque précédent, le statut de la

issues du même rouleau de papier industriel.

peinture d’art est autant remis en question que

Les mouvements dessinés avec du goudron, des

révélé par l’ambiguïté fusionnelle entre cadre et

vernis et des solvants décolorants sur la matière

surface.

du papier, sont presque tous orthogonaux. Les

L’ambiguïté fusionnelle Marthe Wéry était artiste peintre. Comme les autres artistes de l’exposition, son travail est très reconnu en Belgique et à l’étranger. Elle s’est efforcée, toute sa vie, de repousser les limites de sa discipline, sans jamais les briser. Parmi les très nombreuses thématiques qui traversent son travail, on peut retrouver les questions soulevées par les rapports entre all-over et cadrage fermé. Avec le petit diptyque sans titre de 1976, visible à la page 90, on peut considérer les deux images traversées, l’une par des lignes horizontales, l’autre par des lignes verticales, comme des (ou bien un ?) all-over dont les lignes pourraient se croiser. Il semble qu’elles le font un peu. Peut-être à cause des effets de mouvement délicats dans le sens opposé, au-dessus ou au-dessous, des lignes principales des deux tableaux.

56

gestes horizontaux donnent une sensation de Surfaces et matières en mouvement ...

L’étrange ambiguïté qui résulte du traitement

Jean Glibert a une très grande expérience des

de cette éventuelle spatialité commune, donne

intégrations plastiques et artistiques dans

continuité et les arrêts de la spatule, verticaux, interrompent ces glissements. Contrastant avec des supports papier suspendus au mur seulement par le haut, afin que l’on puisse en appréhender


la légèreté et la finesse, la force plastique qui

Avec son autre installation, « AND THEN », Peter

l’horizon, et que c’est de cet aspect de notre

résulte de l’ensemble dialogue vigoureusement

Downsbrough évoque des lignes droites induites

condition humaine, que procède l’angle droit de

et sans complexe avec le dispositif architectural

par l’orientation des deux mots, disposés au sol

son poème.

proche qui donne sur l’extérieur. Dans lequel on

et alignés au rectangle formé par les limites de la

retrouve, joué différemment, des contrastes entre

salle. Quand on prolonge ces axes orthogonaux en

mouvements et moments d’arrêt, par exemple

imagination, ils sont infinis. La géométrie pure a

entre l’aspect fixe des portes (qui se répètent), et

repris les pouvoirs qu’elle avait cédés à la matière

les claustras, qui derrière, continuent au-delà du

pour permettre sa mise en forme, à l’avantage

cadre, en nous laissant pressentir l’échelle de la

d’une déstabilisation poétique de notre perception

façade.

de l’architecture.

Lignes pures et facétieuses

L’angle de Marthe Wéry

Peter Downsbrough, plasticien abstrait, est

Elle a souvent présenté des formats, inclinés,

Outre leurs talents exceptionnels et la qualité

architecte de formation. Même s’il est aussi

posés au sol contre le mur. Cette possibilité faisait

de leur engagement artistique, un des points

photographe et vidéaste, ses installations

partie intégrante de son vocabulaire plastique.

communs le plus significatif entre ces cinq

semblent affranchies de la question du cadre de

Cet acte, parmi tant d’autres qu’elle a développés

artistes, est le fait que leur travail

l’image, car elles s’inscrivent dans celui de la

dans une voie émancipatrice liée à la présence

intègre activement ce principe de réalité

galerie.

physique du corps comme regard, interroge les

fondamental de notre environnement construit.

Il a tout au long de sa carrière utilisé des tuyaux

relations entre la peinture et son conditionnement

d’aluminium suspendus au plafond qui viennent

à l’architecture orthogonale.

Le cadre de vie comme condition de l’art Il faut voir, comme une notion propédeutique à l’art, que pour le meilleur et pour le pire, la très grande majorité des lieux habités sont conditionnés par des géométries orthogonales. Leurs présences constantes conditionnent notre perception du réel (sans parler des livres et des écrans).

Vincent Dietsch

frôler le sol, garantissant une ligne parfaitement droite qui traverse l’espace dans toute sa hauteur. Pour cette exposition, il en rajoute une petite, parallèle, du même diamètre, qui sort du sol juste au côté. La pièce s’intitule «Two Pipes, One Standing». Nous avons un contraste de sensation entre le regard qui file sur l’une, et qui s’arrête avec l’autre. Cette dynamique incite l’imagination à les suivre au-delà du cadre de la salle ... Ainsi, ce repère nous invite a conscientiser par l’abstraction, notre environnement orthogonal.

L’angle de Le Corbusier Le concept omnipotent de la boite tridimensionnelle de l’architecture laisse à penser que si nous habitons dans un monde orthogonal, c’est seulement parce qu’il est pratique et rationnel, donc pas humain. Il est important de rappeler ici que la philosophie moderniste de Le Corbusier, avait comme principe fondateur l’idée de l’équilibre de l’homme debout face à

57


Photographie : Philippe De Gobert

58

Philippe De Gobert, 2005, Galerie Blanche, «photographie construite».


C’est grâce à la lumière que Philippe de Gobert (né en 1946 à Bruxelles) est venu à l’architecture

Jamais ciel ne nous aura semblé plus orageux que cet été-là

moderniste. Le problème de la lumière, c’est qu’elle est par essence instable, du moins lorsqu’elle est naturelle. Impossible à contrôler, seulement par la ruse on peut réussir à en atténuer les effets néfastes ou en augmenter au contraire la puissance. Faire pénétrer la plus

Septembre Tiberghien invitée par Philippe De Gobert

grande quantité possible de lumière dans un espace, que ce soit par souci d’hygiène ou par choix esthétique, pose dès lors à l’architecte une quantité de questions, que ne se posent guère la plupart des gens - à l’exception des artistes. Peintres, sculpteurs, dessinateurs ou artisans ont toujours privilégié des endroits lumineux pour travailler - qu’il s’agisse d’anciennes usines réaménagées ou d’ateliers munis de verrières afin de bénéficier d’un éclairage diurne optimal. C’est ainsi que les besoins matériels des uns se conjuguent avec le goût pour le progrès et l’innovation des autres. Ces trivialités une fois rappelées, il faut ajouter que c’est en tant que sculpteur que Philippe de Gobert démarre sa carrière artistique au début des années 1970, construisant de petits assemblages à partir d’objets trouvés, parfois motorisés, qui le conduiront ensuite à créer de toutes pièces des maquettes miniatures d’ateliers d’artistes célèbres (la série des Artists’

59


rooms). Plusieurs de ces studios sont déjà

dans la démarche de l’artiste, déjà passablement

À cet égard, la rencontre avec l’architecture de la

percés de fenêtres ou de porches (Brancusi,

chronophage. Au perfectionnisme que nécessite

Villa Wittgenstein, construite à Vienne en 1927,

Calder, Fontana…), certains sont même pourvus

la miniaturisation d’une architecture s’ajoute

via une documentation essentiellement livresque,

d’un éclairage zénithal (Lohaus, Dotremont).

l’étape de la prise de vue, décisive dans le choix du

fut décisive pour le travail de Philippe de Gobert.

Parallèlement à ses recherches plastiques, il

cadrage, mais également dans le réglage précis

C’est en découvrant en 1999 les photographies

poursuit une activité de photographe professionnel

des diverses sources d’éclairages afin de créer

noir et blanc d’époque de la villa que l’artiste

dans le milieu artistique, reproduisant œuvre

l’ambiance recherchée. Comme au théâtre ou sur

perçoit pour la première fois une similitude entre

et vues d’exposition pour des institutions, des

les plateaux de télévision et de cinéma, la gestion

les images d’ateliers fictifs qu’il créait alors

galeries et des artistes. Puis, ce sont les ateliers

de la lumière requiert une expertise propre et des

et ces dernières du point de vue du traitement

tout court, dépouillés de leurs occupants aux

moyens techniques souvent colossaux. Même si

de la lumière. Il décide de refaire en maquette

égos surdimensionnés, auxquels il s’intéresse à

Philippe de Gobert vise une certaine économie de

des parties de la villa afin de pouvoir lui-même

partir des années 1990 (série des Ateliers). Plus

moyens, lui permettant d’accomplir seul dans son

la photographier. Une image de cette série,

libres car moins soumises aux contingences de

studio ce qu’une armée de techniciens feraient,

sobrement intitulée LW, fut d’ailleurs montrée

la reproduction, ces constructions ne lui servent

ses dispositifs de prise de vues impressionnent

dans la Galerie Blanche de Briey à l’occasion de

alors plus que de modèles. C’est la photographie

par leur ingéniosité. Il s’agit donc de mettre en

la première exposition dédiée à l’artiste en 2005.1

qu’il privilégie désormais en tant qu’œuvre,

scène des modèles à échelle réduite pour leur

Cette démarche heuristique, qu’il n’a jamais cessé

celle-ci prenant la forme de grands tirages

donner une apparence de vraisemblance, mais

depuis d’explorer, participe de l’ensemble du

photographiques, en noir et blanc. Ce changement

également de permettre à l’observateur de

travail de l’artiste, qui appréhende ses sujets « de

de paradigme a un impact fort sur sa démarche

pouvoir s’y projeter comme s’il était à l’intérieur

l’intérieur », après les avoir longuement observés,

artistique, non seulement d’un point de vue

de la maquette. La lumière, son inclinaison,

disséqués, puis reconstitués. Elle nécessite de la

conceptuel, mais également esthétique. C’est à ce

sa température, sont donc des éléments

part du regardeur un même laisser-aller dans la

moment que la lumière fait son entrée en scène

capitaux dans cette recherche de trompe-l’œil.

contemplation, pour in fine se laisser absorber par

- à plusieurs titres - et que la pensée de l’artiste

Contrairement aux photographies d’architecture,

l’image et pénétrer par la douce rêverie qu’elle

rejoint d’une certaine manière celle de l’architecte.

qui donne à voir une image plus petite que son

procure.

modèle, Philippe de Gobert montre une vue très Premièrement, dans le sens étymologique du

agrandie (de 80 x 100 à 150 x 200 cm) à partir d’un

De la même manière, les images et maquettes

terme, puisque la photographie est « écriture de

modèle ne mesurant que quelques centimètres

qui sont présentées dans l’exposition actuelle

lumière » et procède à l’origine de l’impression

dans la réalité. Devenu sculpteur de lumière en

s’inscrivent dans cette tentative de reconstruction

d’une source lumineuse sur une surface

même temps que bricoleur patenté, l’artiste crée

historique, bien qu’elle ne respecte pas

photo-sensible, révélée à partir de substances

ainsi des ambiances poétiques qui s’éloignent de

scrupuleusement tous les détails de leurs

chimiques. Cette lente apparition de l’image ou

la froideur des espaces aseptisés sur papier glacé.

modèles d’origine. À commencer par la Cité

« révélation » induit un nouveau rapport au temps

60

Radieuse elle-même, dont on retrouve deux


clichés à l’étage et une maquette au rez-de-

énigmatique. Et on se rappelle une phrase glanée

sculpture, sous toutes ses coutures. On peut ainsi

chaussée. C’est en voyant l’exposition pour la

dans la biographie de l’artiste : « Génétiquement

en admirer les finitions, en faire le tour comme un

seconde fois que l’introduction de la couleur dans

programmé pour être peintre, j’ai très tôt choisi la

objet en trois dimensions et s’adonner au jeu des

ces images m’est apparue comme quelque chose

photographie comme métier de survie : le moins

sept erreurs. Car le spécialiste ou le connaisseur

d’étrange, voire d’anti-naturaliste. D’où me vient

éloigné de mes préoccupations. » Ce que peintre

distingueront sans doute de légères différences

cette impression d’être face à de vieilles cartes

et photographe ont en commun, c’est bien sûr cet

entre l’original et la maquette ; Philippe de Gobert

postales colorisées à la main ? Un indice est livré

appétit pour la lumière, qui rend les sujets plus

n’étant ni architecte ni historien, son souci n’est

dans le titre de l’œuvre : « Matinée radieuse ».

désirables.

pas celui de la reproduction servile, mais bien

4

C’est grâce à la lumière qu’il manipule aisément

de rendre compte d’une certaine « ambiance »

dans son studio, que l’artiste arrive à produire

Contrastant avec cette vision solaire, « Journée

dans ses photographies. Aussi, la véracité n’est

cette sensation d’irradiation propre au lever du

radieuse », qui se trouve un peu plus loin dans

pas le propre de l’art ; la liberté d’interprétation,

jour par temps clair. C’est plus particulièrement

l’exposition, ne provoque pas la même sensation

l’imagination et la poésie sont au contraire les

le jaune qui attire ici le regard. Il s’agit d’une

de joie de vivre. Pourtant, il s’agit du même

valeurs cultivées par l’artiste.

face du mur extérieur - qui se situe dans l’exact

modèle, mais le point de vue en est légèrement

prolongement du mur intérieur, mais côté balcon -

différent : plus frontal, alors que la perspective

Invité il y a trois ans par le Musée d’art moderne

peint dans une teinte claire tirant sur l’orangé,

dans la première image était décalée vers la

André Malraux à proposer sa version de la

qui illumine ainsi toute la composition. On pense

gauche. Par ailleurs, les rayons de lumière

reconstruction de la ville du Havre, Philippe de

évidemment à Vermeer et à la description que

frappent ici le mur ouest de manière oblique,

Gobert livre un conte en plusieurs actes, partant

fait Proust de la Vue de Delft. C’est en admirant

laissant supposer que la course du soleil est

des décombres des ruines jusqu’à l’érection de la

ce morceau de bravoure que le personnage de

déjà bien entamée et que nous nous trouvons

ville nouvelle et des unités d’habitation d’Auguste

Bergotte succombe d’une attaque d’urémie en

en fin d’après-midi. On remarque aussi que

Perret.5 Ces paysages de brumes et d’orages

plein musée. Il réalise que son œuvre littéraire

l’harmonie qui se dégage de la première image

mettent en exergue la passion de l’auteur pour

est à jamais gâchée : « C’est ainsi que j’aurais dû

fait place à la rigueur des lignes géométriques

les années cinquante, avec ses voitures chromées

écrire, disait-il. Mes derniers livres sont trop secs,

et à leur aspect statique. Autant d’éléments qui,

et ses films noirs, qui rappellent la peinture

il aurait fallu passer plusieurs couches de couleur,

outre le passage de la couleur au noir et blanc,

d’Edward Hopper. Trois images présentées au

rendre ma phrase en elle-même précieuse,

confèrent aux deux images des atmosphères

sein de l’exposition, dont l’une ouvrant l’horizon

comme ce petit pan de mur jaune ». Si l’on devait

singulièrement différentes. Pour parachever ce

sur le port, à la nuit tombée, incite à faire ce

juger l’œuvre entière de Philippe de Gobert à

jeu de mise en abîme, la maquette ayant servi à

rapprochement. L’éclairage des réverbères, ainsi

l’aune de cette photographie, c’est à la conclusion

prendre les clichés se trouve exposée, non pas à

que celui des appartements contrastent avec le

inverse qu’on arriverait ; car elle contient aussi

proximité des tirages, mais à la fin du parcours.

ciel ténébreux et une source de lumière latérale,

bien la douceur, la sensualité et la rigueur des

S’ouvrant sur les larges baies vitrées et le décor

qui pourrait bien être celle d’un rayon de coucher

tableaux du maître hollandais, que leur caractère

qui l’a vu naître, le modèle s’exhibe telle une

de soleil agonisant. Ce clair-obscur fait place,

2

3

61


dans une autre image, à un ballet mécanique de

Philippe de Gobert, on la retrouve à plusieurs

Septembre Tiberghien

grues dans un chantier désert. Les tons ocre et

endroits dans l’exposition, notamment et en

Août 2021

gris dominent. Enfin, la troisième photographie

premier lieu à travers ce principe de recouvrement

en noir et blanc cette fois, présente l’intérieur

d’une partie de la surface bétonnée extérieure,

d’un appartement « témoin » avec ses fenêtres

appliqué par le Corbusier et dont les actuels

ouvrant sur un autre immeuble d’habitation et le

occupants de la Galerie Blanche ont tiré parti en

port. L’invitation au voyage s’y fait plus soutenue.

prolongeant cette même couleur à l’intérieur du

Comme dans la série des Ateliers déjà citée plus

bâtiment. Cela a pour conséquence de produire

haut, quelques outils déposés au sol disent le

un véritable champ coloré qui vibre en écho avec

retour prochain des occupants. Au mur, un dessin

le travail plastique des artistes dont les murs

signé Perret en format affiche achève de nous

sont garnis. Mais il est d’autres apparitions, plus

convaincre de l’autorité du père de ces lieux et

subtiles peut-être, qui requièrent de passer du

donne également l’échelle. La référence n’est pas

temps et de fréquenter l’espace à différentes

anodine, puisque la reconstruction du Havre fut

heures du jour (et de la nuit ?) pour en faire

contemporaine des recherches amorcées par le

l’expérience. C’est que la nature capricieuse et

Corbusier autour de ses unités d’habitation. Basée

changeante de la lumière que nous évoquions en

sur des principes similaires de construction et des

introduction est un facteur ou plutôt une donnée

mêmes matériaux de fabrication industriel, dont

essentielle dont tiennent compte les artistes

le béton et le verre, les deux architectes furent les

cités, à la fois au moment de la pose (ou de la

apôtres du modernisme en France.

dépose) de la couleur, que de la prise de vue ou du placement des œuvres et qui en modifie

62

C’est ici qu’il convient finalement d’évoquer la

ostensiblement les conditions de réception.

présence et la proximité - au sein de la Galerie

En témoigne la documentation de l’exposition,

Blanche - de l’œuvre de quatre autres artistes,

confiée à deux photographes émérites, qui ont su

dont deux peintres, Marthe Wéry et Jean Glibert,

capturer toutes les nuances qui agitent, à l’instar

un photographe, Gilbert Fastenaekens et un

des émotions, la vie des œuvres. Il faut ajouter à

sculpteur, Peter Downsbrough. Ce que nous

cela l’humeur du spectateur qui le guidera tantôt

en dirons n’a pas valeur de jugement. Il est

vers un rouge écarlate, tantôt vers un gris de ciel

d’heureux compagnonnages qui ne nécessitent

nuageux. C’est peut-être au fond ce qui relie les

guère d’avoir un cerveau bien formé pour en

cinq artistes exposés en ces murs : chacun.e à

goûter la substantifique moelle. Cette irruption

leur manière explore la relation entre l’espace et

de la couleur dont il a été question chez

le temps dans une quête quasi-méditative.

1 Philippe de Gobert, Photographie construite, 8 juillet 5 septembre 2005. Commissariat : Steven Vitale / Vincent Dietsch, Texte : Jean-Marc Huitorel.

2 Marcel Proust, La Prisonnière in A la recherche du temps perdu, éd. Jean-Yves Tadié, t. IV, Paris, Gallimard, Pléiade, 1988, p. 692.

3

Ibid.

4 Philippe de Gobert, voir site internet de l’artiste : www.philippedegobert.be

5 L’exposition intitulée « Du merveilleux en architecture au conte photographique » est visible jusqu’au 7 novembre 2021 au MUMA, Musée d’art moderne André Malraux, du Havre


63


Photographie : Vitale Design

64

Jean Glibert, 2013, Galerie Blanche, «Abstraction, matières et contingences».


À Ixelles, en octobre. Jean Glibert m’avait convié à l’atelier « de Beco ». Là où il avait suffisamment

Quand le ciel change

d’espace pour travailler à plat sur une table d’assez grandes dimensions. Dans l’enfilade des trois pièces, il travaillait dans la dernière, devant la baie vitrée1. Sur la haute étagère murale où sont alignés des pots de peinture, de solvants ou

Cécile Vandernoot invitée par Jean Glibert

contenant des pigments, les montants métalliques lui permettent de fixer son travail en cours à l’aide de simples aimants. Ce qui a été réalisé se confronte alors au regard, sous un autre angle de lumière. Une partie de la série de noirs – comme il l’appelait avant que l’on ne se creuse la tête pour trouver un titre à cette série2 – avait déjà rejoint l’entresol. Dans les maisons bruxelloises classiques, se sont les annexes, les avancées qui accueillent généralement les salles d’eau, empilées, ultérieures à la construction de la maison, grignotant un bout de cour ou de jardin. Dans cette petite avancée, étroit espace qui ne doit pas dépasser deux mètres cinquante de large, un mur est dédié à l’accrochage. Jean monte l’escalier, il a déjà préparé quelques « spécimens » qu’il veut me montrer. Ils sont trois et j’en vois d’autres, attendant leur tour, temporairement superposés dans de grandes fardes, d’impressionnants cartons assemblés,

65


bricolage assumé pour ces nouvelles pièces qui

l’exposition à BOZAR, orientée sur ses travaux

autour, exploite les limites des outils, mène

dépassent les formats standard.

dans l’architecture pour présenter sa démarche

une recherche contradictoire jusqu’à trouver

de peintre. J’avais compris son irréductible

les points de rupture des idées, des principes,

En arrivant de biais dans la pièce, une lueur

besoin de se remettre au travail après les deux

des matériaux. Les intuitions sont nombreuses,

vibre dans les papiers suspendus au mur. Le

années pratiquement consacrées à faire advenir

bien sûr, mais il faut les vérifier. La conviction

passage de Jean les fait se soulever doucement,

cet événement . Et de se remettre au travail

d’être « juste » pour Jean s’objective par un

comme un poumon qui reçoit un peu d’air, une

« seul », dans la maison de son enfance à Ixelles,

travail « laborieux », en rupture avec la définition

inspiration, puis doucement, ils retrouvent leur

à distance des contingences d’un chantier ou des

de l’art moderne, en termes de refus d’une

quiétude, dans une expiration. Le bruissement

équipes plurielles.

production artisanale, totalement autonome de

3

du papier est léger, c’est comme une matière qui

la part de l’artiste dont le savoir-faire devient

se craquèle, fragile, vaporeuse. Jean m’explique

Jean explore et questionne les matériaux qu’il

élément majeur de reconnaissance. Son oeuvre

les caractéristiques de ce papier industriel, un

utilise. Une seule entreprise ne suffit donc pas

prend place dans la période postmoderne avec

rouleau d’un mètre vingt de kraft goudronné qu’il

pour formellement avoir épuisé les possibles.

une dimension supplémentaire, héritée, d’une

avait conservé depuis plusieurs dizaines d’années.

Il démultiplie ainsi les exemplaires, créant une

part, des Arts décoratifs, initialement considérés

Son utilisation initiale est liée à la construction :

série sur une période qui peut être entrecoupée

comme les arts présents dans les lieux de vie, et

dernière pellicule posée en sous-toiture pour

de travaux d’architecture. Rarement l’entreprise

d’autre part du Bauhaus, qui unifie les techniques

combattre l’humidité. Il présente une grande

ne s’arrête à une pièce unique. Jean « use »

et l’art.

résistance malgré son fin grammage mais il a

littéralement de la peinture, seule manière pour

beau être solide, sa manipulation requiert une

lui de s’emparer de ce que celle-ci peut provoquer

Il déjoue ces principes qui catégorisent l’art car

extrême délicatesse. Tout déplacement dans

sur différents supports ou de ce qu’elle peut

ses recherches, ses études le mènent ailleurs.

la pièce fait frissonner ces papiers suspendus.

apporter, engendrer en d’autres quantités ou

Dans la perception de spatialités, la mesure du

C’est un ballet qui s’entame pour permuter

lorsqu’elle est appliquée avec d’autres outils.

déjà-là, la prise en compte du corps dans l’espace,

l’accrochage : bras écartés d’une envergure d’un

En quelque sorte, l’artiste met ces matières à

à destination des personnes qui l’habitent, qui le

mètre vingt, faire glisser l’aimant, un petit pas de

l’épreuve, il les éprouve. Un terme qui contient

vivent au quotidien ou ne font que simplement

côté, une pause pour que le papier retrouve sa

aussi toute la dimension poétique qu’il fait

le traverser. Son travail, à l’évidence, ne rentre

verticalité, puis d’un grand geste souple, tel celui

apparaître dans cette série.

dans aucune case toute faite. Il s’agit autant de

qui déploie la nappe sur une table, il se gonfle à

66

dessins sur calques que d’œuvres monumentales,

nouveau et rejoint son support plane, cette fois-ci

Il y a quelque chose de machinal, de compulsif

d’œuvres produites à la demande de particuliers

horizontal.

mais aussi de complet dans la démarche de

que des réponses à des commandes publiques ou

l’artiste pour qui n’existe de réelle satisfaction

à la demande d’architectes. Dès les années 1960,

Le ballet n’en finit pas, Jean travaille déjà depuis

sans une copieuse production. À partir du moment

il développe une pratique qui s’ancre aux lieux

plus d’un an sur cette série, entamée peu après

où un sujet l’intéresse, il ne le lâche plus, il tourne

réels, hors des institutions consacrées à l’art. Il


occupe un parking4 avec plus d’enthousiasme

Ainsi le travail de Jean échappe aussi bien

nouvel accrochage, sont pointées les nuances, les

qu’une galerie par exemple. Cette posture en

à la marchandisation qu’aux manipulations

surprises, les récurrences, les accidents et les

marge d’un monde mercantile de l’art l’a mené

politiques pour emprunter une nouvelle voie.

libertés encore non explorées, celle de sortir du

à d’autres expérimentations, à des dimensions

Son originalité ne résulte jamais de choix

cadre de la feuille notamment, en prolongeant le

monumentales notamment en intervenant

arbitraires, ni d’une posture affirmative. Elle

mouvement du bras, de la main, hors du papier.

directement sur de vastes infrastructures dont

grandit de ses études formelles, des échanges,

L’émerveillement tient à la sobriété des pièces,

des ponts, des viaducs, des parkings et même

notamment avec ses complices à l’atelier mais

à la retenue d’un geste qui reste visible, qui est

une écluse. Ne signant pas son travail dans

aussi avec les architectes avec qui il partage,

donc aussi compréhensible. Je me dis qu’il faudra

l’espace public, cela lui vaut aussi aujourd’hui

pour certains, beaucoup d’affinités plastiques.

repasser un autre jour, à une autre heure, sous un

d’être moins connu que certains qui ont développé

Peu d’artistes en Belgique ont exprimé avec

autre ciel.

un langage de la couleur assujetti à des formes.

une telle lucidité la nécessité de soumettre la

Par comparaison avec les interventions de Daniel

peinture aux contextes plus vastes dans lesquels

Les peintures techniques utilisées ici (peintures,

Buren ou les dessins muraux de Sol LeWitt, par

elle s’insère, qu’ils soient naturels ou culturels.

vernis, solvants) servent en temps normal à

exemple, son travail est moins identifiable a priori.

Dans le rapport que ses réalisations établissent

l’entretien ou la protection contre l’usure que

Chez certains artistes, les intégrations d’oeuvres

avec leur environnement, chacune d’elle est

peuvent provoquer le climat, les changements

sont dépendantes d’un concept qui permet de

différente mais conjugue trois « données » :

de température, la corrosion, etc. Ces fonctions

les réactiver ailleurs, séries et combinaisons

couleur, matière, lumière. Elles transmettent un

spécifiques le fascinent totalement. Les

d’éléments géométriques rigoureuses et

sentiment d’adéquation, qui constitue le caractère

nuanciers de peinture anti-rouille qu’il collecte,

cohérentes selon n’importe quel espace et

le plus extraordinaire de ses visions picturales et

de marchands de peintures spécialisées, sont les

support. Cette manière de faire n’est pas celle

spatiales, indissociables.

démonstrations d’une beauté rigoureuse, brute

qui stimule Jean. Dans la recherche des idées, il

en quelque sorte, que Jean apprécie car ils font

partage bien plus d’affinités avec Ellsworth Kelly

Dans l’étroit espace où s’exposent les

d’intéressants petits tableaux abstraits. Dans

ou Sonia Delaunay.

« spécimens », ce que je vois dans les noirs

cette série de grands formats, les outils choisis

provient aussi de la lumière. Peu de recul est

pour appliquer la peinture sont des couteaux

Ce qui est intéressant, mais moins su sans doute,

possible dans ce lieu et une fenêtre apporte

à enduire de peintre en bâtiment. L’usage des

c’est que parallèlement à cette pratique inscrite

des nuances de vert dans mon dos, provenant

couteaux s’apparente intentionnellement à celui

à l’environnement bâti, guidée par des principes

sans doute de la végétation des jardins, selon le

d’une plume rigide ou d’un pinceau dru quand

issus d’une orientation de fond vers l’architecture

passage des nuages. Nous n’avons pas la place

l’artiste trace une ligne droite. Plus ou moins

Jean continue à l’atelier à produire des pièces,

pour s’asseoir. Nous changeons constamment de

appuyé, le trait est précis, plus ou moins rapide

des dessins ou des peintures, sur divers supports,

position dans l’espace et les œuvres s’animent.

et charge le support à degré variable. La peinture

notamment sur calque, une série qui a précédé

Les noirs changent selon les reflets. Entre nos

se voit étalée, étirée, raclée. Cette « efficacité »

celle sur kraft.

déplacements et les pauses accordées à chaque

du geste s’oppose au temps long de séchage qui

67


le suit. Sans dictature du protocole suivi, Jean

demande un temps d’acclimatation et parfois

ces constructions, à leur usage qu’elle assure et

me confie qu’il s’est aussi amusé à reprendre

aussi un peu de chimie. Catalyseur, épaississant,

prolonge. Couche de peinture pour la pérennité,

certaines pièces, en effaçant de précédents

siccatif, cire d’abeille et maïzena entrent dans

couleur fonctionnelle, ainsi Jean voit le noir.

passages, en diluant une première couche. Et si

les compositions. Ce sont des ressources

Pour lui la couleur sonne effectivement plus

un retrait de matière a lieu, il s’effectue lui aussi

glanées directement chez les marchands de

juste dans un contexte où son recours est lié aux

dans le sens de la lecture, de gauche à droite. Le

couleurs ou chez les carrossiers. Toute épaisseur

caractéristiques qui en déterminent la teinte.

raffinement de la matière de ce papier industriel

effacée induit aussi le passage d’un liquide, d’un

une fois effacé ou lavé laisse penser parfois aux

solvant, d’un outil. L’artiste assemble de manière

À La Louvière, en mars. Une sélection d’œuvres

veines du bois, à une peau tannée. Par cette

inédite des supports et matières apparemment

de Série 2019-2021 s’expose pour la première

écriture, Jean cherche à mettre en relation des

inconciliables.

fois au Centre d’art Keramis5, au sein des pièces de céramiques contemporaines de

contrastes entre lisse et rugueux, mat et brillant,

68

etc. Il rend aussi visible, à même la surface, la

Il aime exploiter les contradictions ou les

l’exposition permanente, à même les hauts murs

teneur de son geste… Quoique, sans explication

contrastes, les rapports chromatiques davantage

de béton brut. Dans ce nouvel environnement

de sa part, la couche de goudron présente sur

que la couleur elle-même. Il n’y a pas à chercher

la couleur apparaît différente, et d’autres

le papier industriel interpelle, ses fines marges

de symbolique dans l’usage qu’il en fait, ce sont

nuances apparaissent, en fonction de la lumière

restées brutes comme seuls indices de l’encrage

les caractéristiques, les qualités, les relations

naturelle. Elle glisse ou tombe autrement selon

mécanique. L’attention qu’il porte à cette matière

entre ce qui existe et ce qu’il y a à révéler qui

les ouvertures tangentes ou zénithales de ce

première est de l’ordre du ravissement, tant de

conduisent à une couleur plutôt qu’une autre,

bâtiment, de ce qui charge le ciel. Longtemps

beauté déjà dans un simple rouleau. Des choses

qui peut selon l’environnement préférablement

était restée en suspens la question de laisser ce

incroyables apparaissent à la surface du papier

être mate, brillante ou fluorescente. Ce noir

béton brut à l’extérieur. Finalement, les voiles de

traité. Le geste qu’il exécute a pour unique

goudron, ce noir terreux et profond qu’il utilise

béton le sont à l’intérieur, et c’est sur ceux-ci, au

entreprise de ne pas mentir, de livrer la peinture

pour Série 2019-2021 est lié à des souvenirs

« verso » de son intervention6 (à moins que l’on ne

sans y mettre d’effet et d’un trait noir arriver à

marquants : c’est le noir qui recouvre des cabines

s’accorde pour l’inverse), que Jean accroche onze

activer toute la surface du papier industriel.

de pêcheurs sur une plage en Angleterre, celui

de ses pièces aux murs, de la même manière qu’à

d’une imposante porte d’un corps de ferme aux

son atelier, par deux aimants discrets sur le bord

Le protocole simple que Jean s’est imposé,

Pays-Bas ou des infrastructures ferroviaires,

supérieur qui laissent libre le tombé du papier.

suivant quelques règles strictes, a donné place

prouesses métalliques de par le monde. Le noir

à une production intense à partir de ce support

robuste et industriel est peinture professionnelle

Dans la grande nef, une table occupe le centre

choisi étonnant, d’une minceur extrême qui

et ce qui dans celle-ci intéresse Jean est lié à

de l’espace, axée sur le milieu du voile de béton

reçoit une couche de peinture, forcément lente

ces cabanons et ces portes de bois, ces ponts

qui cerne et condense cet espace. Sur celle-ci,

à sécher sur un papier qui, à l’origine, est censé

d’une grande technicité de l’âge d’or de l’acier. La

ce sont les « notes », comme Jean les appelle,

n’absorber aucune humidité. Pareille fusion

peinture est liée à l’entretien de ces éléments, de

qui sont alignées. Les mêmes qu’il a exposées à


Briey-en-Forêt, en 20137. Ces notes, ce sont des

dans la Galerie Blanche, aux côtés d’artistes

jusqu’à son nom s’en trouve lui aussi autrement

recherches géométriques, des volumes noirs,

belges (ou qui le sont d’adoption) qui eux aussi

révélé. Étonnant phénomène : ce blanc des murs

sur des cartons de la taille de cartes de visite.

y ont présenté leur travail dans la décennie le

et du sol voit sa luminosité accrue de celle du noir

Typiquement ce que l’on gribouille machinalement

précédent, s’enclenche une réflexion différente.

de l’intervention dans laquelle tout l’espace se

lorsqu’on est au téléphone, lance Jean, comme

C’est que lui est ailleurs. Il n’a pas pour élan de

reflète. Cette surface s’amuse comme un miroir10.

s’il pouvait objectivement être détaché de sa

se répéter et, dans le temps imparti et le contexte

production. Toujours est-il que sur cette table,

de la crise sanitaire, d’entamer une toute nouvelle

À Briey-en-Forêt, en juin. Des peintures, il y en

ce ne sont pas moins de deux cent seize figures

installation monumentale (bien que deux trois

aura trois. Un nombre suffisant pour induire la

qui sont présentées, sur les cartes rangées selon

points de vue d’une intervention sur la façade

série dont l’ensemble n’a pas encore été exposé

une trame, espacées par un vide qui correspond

ouest sont néanmoins mis au point ). Bien sûr

dans sa totalité. Le choix de l’espace est laissé

à leurs exactes mesures. Toutes légèrement

le petit volume cubique au seuil de la forêt, au

libre aux artistes invités. Jean pointe à nouveau

différentes et pratiquement les mêmes, variations

pied de la Cité Radieuse, lui plaît toujours autant,

l’espace à l’étage, côté est, sur le mur en face

sur un même thème, à petite dimension, intime.

mais il est tenté de montrer son travail récent. La

de celui sur lequel existe sous les couches de

C’est de ces études qu’est inspiré le « sous-

série des noirs sur papier industriel est celle qu’il

blanc son intervention précédente. Quelque

marin » qui occupa le grand hall du Palais des

souhaite présenter, non sans hésitation. Dans

chose se rejoue dans le noir des krafts, avec la

Beaux-Arts. Non pas comme une transposition,

sa première exposition à Briey, l’intervention in

lumière rasante du matin, dans les reflets qu’ils

mais une même recherche qui trouve dans un

situ proposée est puissante, relativement petite

produisent sur le sol blanc. Les appartements, en

nouveau support l’occasion de se formaliser

mais en dialogue avec tout le monument, pas

majorité traversant et en duplex, bénéficient d’une

différemment, avec d’autres matériaux, en regard

seulement l’espace de l’appartement-galerie. Elle

double exposition à l’est et à l’ouest (l’orientation

des mesures qu’appelle le lieu. Ainsi Jean Glibert

génère une forme basée sur une extension du

de l’édifice a été déterminée selon un axe nord-

intègre ses réflexions à l’architecture, il pense

pan rectangulaire de la loggia en deux triangles,

sud, principe moderniste appliqué dans les

la couleur, la matière, la lumière pour révéler la

à partir d’une vue géométrale qui rabat le plan

immeubles du Corbusier). Cette configuration

dimension physique d’un espace, existant ou à

de plafond . Ce vert 8579 de la gamme Perlane

induit une ventilation naturelle, un tirage

venir. Dans les meilleures de ses collaborations,

s’étend au mur et au plafond. Pour compléter le

thermique immédiat entre une porte donnant

le plasticien dispose d’une sorte d’autonomie,

vert mat, Jean choisit un noir brillant qui réfléchît

sur l’une des rues intérieures de distributions et

de carte blanche, qui lui permet une réelle

des lumières saisissantes et qui attire l’extérieur

une fenêtre à l’étage. Ce passage d’air naturel

réinterprétation : l’ajout d’un point de vue. Le

à l’intérieur. Ces deux triangles rencontrent le

fait frissonner le papier et soulève doucement

contraire ne donne pas lieu à de moins heureuses

pli des deux surfaces, ils deviennent un volume

les pièces exposées au mur ici aussi.

interventions, parfois c’est même l’intrication des

articulé à l’espace. Les sensations physiques du

échanges qui mène tout le projet un « cran » plus

lieu, parfois pesant sous les deux mètres vingt-six

Dans l’espace corbuséen aux dimensions de

loin, constructivement et poétiquement.

du Modulor, sont totalement modifiées. L’espace

mon corps, je prends la mesure du mur de

Lorsqu’il reçoit la proposition d’exposer à nouveau

est amplifié. Le blanc que la galerie assume

béton, bien plus long que haut et de l’accrochage

8

9

69


établi d’après ces proportions pour y trouver le

favorable au livre, medium qui démocratise l’art,

traversent la surface, modifie la perception globale

centre. L’une des trois peinture est différente,

et le fait circuler différemment. Elle coïncide

de l’espace et de l’architecture corbuséenne. Les

une exception dans la série. Une moitié de la

avec un moment décisif dans l’œuvre de Peter

mots AND et THERE trouvent leur place aux pieds

surface du kraft a été lavée de son goudron et sa

Downsbrough, alors tout jeune sculpteur mais

d’un escalier. Un escalier dessiné par Jean Prouvé

limite suit une ligne verticale légèrement inclinée.

qui travaille déjà depuis un temps sur les thèmes

et dont les mains courantes tubulaires noires

Détachée des autres, elle répond davantage à la

de localisation et d’orientation dans l’espace

montrent une familiarité fugace avec les éléments

menuiserie de la fenêtre menant au balcon, ses

mais qui, insatisfait des grandes pièces en acier

disposés verticalement. AND, conjonction de

partitions mais surtout sa teinte, due à l’usure du

qu’il faisait jusque là, met au point d’abord sur le

coordination, conforte son rôle grammatical qui

bois. Au-delà du cadre de la loggia, la frondaison

papier ce qui deviendra la base d’un vocabulaire

réunit des éléments et qui, ici, THERE, rassemble

de fin de printemps, encore fraîche et pleinement

minimal. Cette recherche d’une grande économie

les étages et les œuvres qui s’y placent.

verte, puis un ciel entièrement bleu. Seules ces

de moyens interroge l’espace et le marque,

trois pièces occupent ce mur, calibrées selon l’axe

avec une précision millimétrée : c’est que Peter

Il est une autre confrontation réussie dans cette

horizontal qui le divise en deux. De loin en proche,

Downsbrough est plus préoccupé par la structure

partie de la galerie. Deux acryliques de Marthe

toute une série de détails apparaissent, ces gestes

que par la matière. Tout est dans la justesse et

Wéry font face aux trois multiples de Jean. Ils

horizontaux du passage de la main et de l’outil,

la retenue des éléments disposés, structures

proviennent de la collection privée de Philippe

l’effet soyeux du kraft, les boursouflures du papier,

tubulaires et quelques mots de langage isolés,

De Gobert. La matière du support n’est pas une

les nuages dans la pellicule de goudron. A les

parfois divisés de l’intérieur, qui entrent en

confrontation systématique dans la pratique

regarder, Léa, avec qui je découvre l’exposition,

relation avec l’espace construit. Les sculptures,

de l’artiste, ce qui rend ces deux oeuvres sur

me dit qu’elle voit le dessin du mouvement, que

comme les livres, les photographies, les films de

papier buvard un peu différentes. Dans le travail

l’artiste parvient littéralement à représenter ce

l’artiste font de l’espace, l’architecture, la ville et

de Marthe Wéry, il est question d’expérimenter

mot « mouvement ».

leurs imbrications ses sujets de prédilection.

comment et quoi peindre, un peu moins souvent sur quoi peindre. Marthe Wéry joue cependant

Cette logique horizontale me fait penser à un

A proximité des trois pièces de Série 2019-2021,

avec ce papier à l’aspect duveteux qui boit la

petit ouvrage de Peter Downsbrough : « Notes on

qui agissent sur les abscisses et les ordonnées

peinture, l’infuse et la diffuse. À l’opposé du

location » . Ses notes, lignes fléchées, donnent

du lieu, les Two Pipes, lignes parallèles de

papier industriel hydrofuge qu’utilise Jean comme

des directions. J’y vois les variantes du protocole

Peter Downsbrough, verticalités sobres dont

support. Ce qui relie les deux plasticiens, sans

de Jean qui s’est majoritairement concentré sur

l’une mesure (presque) les fameux deux mètres

entame ici d’un discours sur la couleur, c’est

le déplacement de la gauche vers la droite. Un

vingt-six, créent un pivot sur le plateau. Dans

l’aventure de la peinture, la perspective d’une

insert dans la publication, avant-propos du plus

ce rapport longiligne du niveau supérieur de la

exploration sans but prédéfini mais l’envie de

récent éditeur, précise que si cette première

galerie, l’installation fonde un foyer. Là aussi,

chercher sans relâche à produire du sens.Ce

publication est née un peu par hasard, le contexte

le déplacement des personnes qui observent

sont des œuvres expressives qui invitent, qui

du début des années 1970 est lui, par contre,

l’intervention, s’il n’est pas question de reflets qui

que ce soit, à projeter ses propres questions, à

11

70


y voir ce qu’il peut, ce qu’il veut. Ces démarches

grande histoire de la peinture pour s’y inscrire en

dessins de Jean. Elles sont initiations, ressources,

intensifient le rôle de la peinture abstraite.

osant la modifier.

états des choses, entendues comme photos de

Inintelligible, mais profonde et chargée, elle ne

travail, sur le terrain, qui montrent sans équivoque

donne pas qu’une seule interprétation possible,

Plus loin, dans l’alcôve, il y a encore une autre

l’une de ses convictions : la couleur est partout.

elle ne cherche d’ailleurs pas à en formuler une.

interprétation qui me mène à une connexion avec

Dans l’observation fine, quotidienne (l’appareil

l’une des photographies de Gilbert Fastenaekens.

est systématiquement rangé dans la poche de

Dans les feuilles de buvard pliées, le protocole

Il s’agit d’un mur aveugle, en attente à la suite

la chemise ou du veston de Jean), de l’espace

reste là aussi présent. La marge centrale,

d’une démolition, qui laisse apparaître les

urbain et de l’architecture, il révèle la couleur

correspondant à une bande d’un demi-centimètre

couleurs pâles des anciens papiers peints des

dans ses usages. Tous ces exemples glanés,

de part et d’autre du pli, fut sans doute nécessaire

pièces et leurs dimensions, la logique dans

puisés dans le réel, sont assurément une source

au placement des doigts pour retenir la feuille au

leur distribution. Le tout est recouvert d’une

sans fin. Ce qui anime Gilbert Fastenaekens

passage du pinceau ou du rouleau. Elle rappelle

bâche transparente pour que les intempéries ne

est fort similaire, lui qui livre les motifs trouvés

les bords du kraft industriel. Dans la première,

détériorent pas outre mesure la maison voisine.

tels quels, les formes sobres et étonnantes que

un passage, puis deux, puis trois, d’une même

Elle est maintenue verticalement sur le mur par

l’on peut saisir dans les surfaces abstraites, la

couleur sature progressivement la surface et la

des lattes de bois, fixées à intervalle plus ou moins

cadence de couleurs, la texture de matières,

découpe en trois pans ; dans la seconde, deux

régulier. Elles rythment ce mur encore habité.

la forme de volumes. Ces images rassemblent

pages ouvertes apparaissent, l’une livrant une

L’impression grand format nous expose à l’espace,

autant des murs pignons que des murs-rideaux,

couleur et l’autre l’addition de cette dernière à

à l’architecture, à l’état temporaire et fragile de

des maisons perdues parmi des immeubles

une autre qui fusionne à la première couche,

ce morceau de tissu urbain. Si Jean n’a jamais

hauts, que des situations déclenchées par des

grâce à la nature du support. Ce sont peut-

exposé de photographies, il est friand de ces

changements d’état ou perturbées par des lieux

être des pièces plus méthodiques pour Marthe

situations et ses propres images sont nombreuses

en mutation, des chantiers. La démarche est

Wéry qui a manifestement pour habitude de

et variées . Elles forment un travail de terrain, de

loin du documentaire, il n’y a pas de volonté de

mélanger la couleur, de parvenir à des tonalités

recherche continue sur plusieurs décennies sur

classer, de ranger, d’inventorier mais l’artiste

par des procédés de bain, de trempage, de

les formes-couleurs issues de l’environnement

produit des ensembles cohérents (Nocturne,

manipulation dans de grands bacs où s’écoule

qui nous entoure, dans la compréhension de ce

Site I et II, Correspondance) dont ici aucun n’est

la peinture sur les supports qu’elle incline sans

qui génère le bâti, de ce qui définit un rythme

exposé dans son intégralité mais dont les clichés

prédétermination. Elle aussi joue avec des règles

adéquat pour des éléments qui ont une couleur, et

soumis au choix des curateurs forment famille. Le

et s’octroie une liberté maîtrisée. Les deux

une fonction précise. Malgré leur statut différent,

point de vue du photographe apparaît clairement

peintres s’adressent l’un comme l’autre aux

car jamais l’artiste n’a défini ces prises de vue

dans le cadrage établi selon un rapport frontal au

conventions de leur médium, en expérimentant

« rapides » ou « en mouvement » (on pensera

paysage local : pas d’exotisme dans les clichés

les procédés techniques, les outils, les matières,

notamment aux culs de camions), elles sont

de Gilbert Fastenaekens, il observe les territoires

ce qui questionne les traditions picturales et la

tout aussi essentielles que les notes et les petits

qu’il fréquente régulièrement en y posant un

12

71


regard qui trouve à exprimer la poésie du patrimoine

réfléchit un monde majoritairement par sa

architectural, domestique comme industriel. La

marge. Guidée par une réflexion sur la mesure,

précision, la haute définition, de ses prises de

sous tendue par l’architecture du lieu, je prends

vue tient de la technique particulière utilisée – la

finalement conscience que ce qui émane de

chambre photographique – qui permet de capter

cette exposition est un sentiment de flottement

une infinité de détails. L’impression grand format

indicible, d’une grande douceur.

1

Vue de l’atelier rue Émile de Beco, Ixelles.

des œuvres invite à se laisser totalement absorber. Cécile Vandernoot La Galerie Blanche occupée par les travaux de Marthe Wéry, Philippe De Gobert, Peter Downsbrough, Gilbert Fastenaekens et Jean Glibert est un microcosme qui réagit à des préoccupations diverses, des médiums – peintures, photographies, maquettes – qui le sont également. Chaque groupement d’œuvres, sans chronologie aucune, laisse entrevoir des renvois subtils aux démarches respectives et aux sujets développés. Je lis actuellement Julien Gracq et l’on dit de lui qu’il figure parmi les contrebandiers habiles à faire passer les frontières séparant les époques13. Dans les œuvres récentes et celles qui le sont moins, dans cette exposition qui ne répond à aucun enjeu d’actualité, le temps montre qu’il n’a pas eu, ici non plus, de prise sur les démarches poursuivies. Elles forment des continuités sur des décennies où l’une des volontés marquantes est de lire le monde toujours devant nous. Les perspectives dans la galerie achèvent de générer les liens spatiaux et formels d’un accrochage posé. Chacune des pièces exposées nourrit une pensée conceptuelle de l’art, qui

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Août 2021 Série qui finalement est restée sobre et efficace « Série 2019-2021 », les dates correspondant à la période de réalisation des multiples. 2

Jean Glibert . Peintre en bâtiment s’est tenu au Palais des Beaux-Arts de Bruxelles - Bozar du 27 octobre 2017 au 7 janvier 2018.

3

En 1971, Jean Glibert trouve un parking en état de réception provisoire avenue d’Italie à Bruxelles pour exposer ses travaux les plus récents. L’exposition « 85 Panneaux-Circulations » matérialise ses préoccupations pour l’art et l’architecture, faisant suite à une dizaine d’années d’expérimentations « circulations-couleurs ». 4

Réalisation de l’association momentanée des architectes Coton-Lelion-Nottebaert / De Visscher & Vincentelli avec comme plasticien Jean Glibert, réceptionnée en 2015. Le nouvel édifice intègre deux bâtiments classés abritant des fours-bouteilles de l’ancienne faïencerie Royal Boch, les seuls subsistant de cette manufacture réputée, créée en 1841, dont le déclin se fait sentir dans les années 1970. 5


L’artiste s’est attaché à modifier la perception visuelle des nouveaux volumes de béton par un camouflage disruptif, aussi connu sous le nom de Razzle Dazzle (une technique destinée à protéger les navires des tirs d’artillerie et de torpilles, en empêchant l’adversaire d’estimer avec précision sa position et son cap). Les motifs sur le béton sont issus d’une application différente de celui projeté en finition extérieure. Ils perturbent la lisibilité formelle et leur taille agit directement sur la dimension de ce vaisseau en le rendant moins imposant. 6

Abstraction, matières et contingences, La Galerie Blanche, Association La Première Rue, Appartements 101 et 103, Cité Radieuse Le Corbusier, Briey-en-Forêt, du 19 octobre 2012 - 31 janvier 2013.

Effet miroir de l’intervention dans l’espace de la Galerie Blanche. © Atelier Jean Glibert 10

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Photomontage d’une intervention possible étudiée à l’occasion de l’exposition The Belgian Connection © Atelier Jean Glibert

Notes on location, première parution publiée en 1972 par Ted Castel et Leandro Katz, TVRT, New York, et publiée à nouveau en 2012 par Zédélé, Brest. 11

8

Voir à ce sujet la série de feuillets éditée à l’occasion de l’exposition à Bozar. L’un d’eux est consacré aux photographies de Jean Glibert et se déplie en leporello, recto verso. 12

13

Angelo Rinaldi dans « L’express », 1980.

Coupe de travail pour l’intervention dans l’espace de la Galerie Blanche en 2013 © Atelier Jean Glibert 9

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Portraits des œuvres Compte-rendu photographique par David Angeletti Pour aborder les œuvres dans leurs matérialités, il s’inspire de la notion de portrait. Il témoigne d’elles, et explore ce que peuvent en dire les variations de vues, d’émotions et de lumières ...

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Peter Downsbrough

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Marthe Wéry

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Philippe De Gobert

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Gilbert Fastenaekens

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Jean Glibert

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Catalogue des œuvres

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Peter Downsbrough

AND THEN Word piece, réf. : 3.2021 Lettres en acier

Two Pipes, One Standing Room piece, réf. : 3.2021 Tuyaux en aluminium

© Peter Downsbrough & Artists Rights Society (ARS) New York

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Marthe Wery

Calais - 1995-2004 5 éléments tirés d’un ensemble de 21. Peinture sur plaque d’aluminium Collection de la Province de Hainaut. Dépot BPS22.

Diptyque. 4 pièces de MDF : supports non peints et éléments peints en peinture acrylique bleue Collection BPS22, Charleroi, (BE)

Sans titre - C.1976

Sans titre - 1986

Peinture acrylique sur toile Collection BPS22, Charleroi, (BE)

Deux pièces, acrylique sur papiers pliés fabriqués par l’artiste Collection privée, Philippe De Gobert

Venise - 1982

Venise - 1982

Polyptique, 6 pièces, acrylique sur toile Collection BPS22, Charleroi, (BE)

Polyptique, 5 pièces, acrylique sur toile Collection BPS22, Charleroi, (BE)

Sans titre - C. 1976 Diptyque. Peinture acrylique sur toile Collection BPS22, Charleroi, (BE)

Sans titre - C. 2002 Peinture sur support bois Collection BPS22, Charleroi, (BE)

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Sans titre (ad Drecht) - 1988-89


Gilbert Fastenaekens

Fiorano, Italie - 2000 #1831/18

Bruxelles - 2000 #2278d

Nuage, Bruxelles - 1991 #1068a

Pièta, Fiorano - 2000

Zeebrugge, Belgique - 1980 #00881

Côte belge - 2003 #2528d

Côte belge - 2002 #2351b

Bruxelles -1994 #1440c

Bruxelles, Belgique - 1991 #1135d

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Philippe De Gobert

Sans titre - 2019 Le Havre / LH 5241

Maquette Cité Radieuse - 2009

Sans titre - 2019 Le Havre / LH 1317

Journée radieuse - 2009

Sans titre - 2019 Le Havre / LH 1636

Maquette Maison de thé

Matinée radieuse - 2009

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Jean Glibert

Série 2019-2021 Goudrons vernis et solvants décolorants, (...), appliqués avec des outils de couvreur sur papier industriel.

Série 2019-2021 # 10

Série 2019-2021 # 15

Série 2019-2021 # 5

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Copyright 2021 - La Première Rue Tous droits réservés selon les crédits textes et photographies Design graphique Vitale Desgin 2, avenue du Docteur Pierre Giry appt 133 - Cité Radieuse Le Corbusier 54150 Val de Briey - France Imprimeur Imprimerie Heintz 15 Rue Robert Krieps L-4702 Pétange - Luxembourg Achevé d’imprimer le 15 septembre 2021 Édité par : éditions La Première Rue 2, avenue du Docteur Pierre Giry Appt 131 - Cité Radieuse Le Corbusier 54150 Val de Briey - France Dépot légal 09/2021

VITALE DESIGN

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Publication

Publication et exposition

Exposition

La Première Rue Appt 131 - Cité Radieuse Le Corbusier 2 Avenue Du Docteur Pierre Giry 54150 Val de Briey / France tél. : + 33 (0)3 82 20 28 55

mail : lapremiererue@gmail.com

site : www.lapremiererue.fr 147


« The Belgian Connection » est le titre d’une exposition qui a eu lieu du 15 juin au 10 novembre 2021. Elle a regroupé cinq artistes bruxellois de renom qui ont tous un lien particulier à l’architecture, pour une mise en espace de leurs œuvres dans la Galerie Blanche, à la Cité Radieuse Le Corbusier de Val de Briey. Pour prolonger cette occasion unique, le présent ouvrage constitue une rétention mémorielle reflétant la complexité de l’expérience sensible offerte par l’exposition. Il présente les approches croisées de cinq auteurs et de deux photographes qui témoignent des œuvres exposées, de ce qui résonne entre elles, de leurs interactions avec l’architecture et bien sûr de leurs auteurs :

Peter Downsbrough, Marthe Wéry, Gilbert Fastenaekens, Philippe De Gobert, et Jean Glibert.

Édition imprimée à 400 exemplaires, produite grâce aux soutiens de La Première Rue.

20 Euros

ISBN


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