Sophie Sainrapt
HASHPA
Combien de Yona Friedman
FASHION WEEK PARIS
Google Jacquard Bianca Pucciarelli Menna
Tommaso Binga Artemisia Gentileschi Supplement à l’édition de “Palazzi A Venezia “Mars 2020
PALAZZI A VENEZIA Publication périodique d’Arts et de culture urbaine de l’association homonyme régie par la Loi de1901 ISSN/Commission Paritaire : en cours Distribution postale/digitale
Comité de Rédaction Marie-Amélie Anquetil Arcibaldo de la Cruz Vittorio E. Pisu Rédacteur Mode et Beauté Virginie Bapea Supplement à l’édition de Palazzi A Venezia du mois de Mars 2020 Textes et documents photographiques publiées ne seront pas rendus Tous droits reservés Correspondance palazziavenezia@gmail.com https://www.facebook.com/ Palazzi-A-Venezia https://www.vimeo.com/ channels/palazziavenezia
Photo Luis Vuitton
Président Directeur de la Publication Vittorio E. Pisu
e supplément à la parution du mois de mars de Palazzi A Venezia aurait pu certainement faire plus de place à une certaine actualité anxiogène qui, particulièrement en Italie, mais aussi en France, sevis lourdement et jusque dans les défilés de mode de la Haute Couture, le virus cod-19 ou comment il s’appelle, a fait une brève visite dans le corps d’une riche cliente. Malheureusement dans la volonté de rattraper une actualité artistique, telle que l’exposition de Sophie Sainrapt, nous annonçons aussi le décès d’un peintre qui fut d’ailleurs son mentor il y a des années de cela mais que Sophie avait retrouvé dernièrement avec une exposition en duo, “Corps à Corps” qui fut un véritable succès et une terrible leçon de peinture et d’humanité. D’autres personnages tout aussi importants nous ont quittés, tel l’architecte Yona Friedman, dont il est difficile de parler en quelques pages. Mais pour revenir plus simplement à ce qui nous intéresse le plus, c’est à dire l’Art plastique tout spécialement, en fouillant dans les articles et autres informations dispensées sur le web, nous avons découvert que le monde de la Mode est, de plus en plus souvent, contaminé par le domaine de l’Art. Ainsi nous avons découvert que l’année passée, oui c’est un peu tard, mais cela n’empêche pas de le rappeler, Maria Grazia Chiuri, pour Christian Dior, a utilisées les oeuvres de Bianca Pucciarelli Menna, in arte Tommaso Binga, qu’elle avait connu quelques quarante années au paravent en Italie et plus particulièrement elle a utilisé l’alphabet réalisé avec son corps, dont les gigantographies constituaient le décor du défile haute Couture. Je me souviens que lors de la manifestation Archicouture, où des binômes d’architectes et de créateurs de mode avait été constitués, j’avais demandé à Claude Parent, architecte qui avait été associé à Sonia Rikyel, pourquoi ils se faisaient appeler “créateurs”, chose que je trouvais un peu disproportionnée, puisque ce titre les assimilés carrément à la divinité unique et principale de la religion catholique (je ne suis pas très calé dans les autres déjà nombreuses en cours de par le monde, mais mon origine italienne explique peut-être cela). Il m’expliqua très gentilement qu’effectivement lorsque il fu question de leur trouver une appellation pour les désigner, ce terme suscita l’accord unanime des intéressés et donc voilà. Les défilés de Mode ayant, depuis les années soixante, cessès d’être la vitrine d’une production vestimentaire destinée à une clientèle désormais squelettique (en nombre pas en taille) ils sont devenu des moments de création pure, destiné à nous donner des indications sur les tendances stylistiques mais aussi sociétales et peuvent être comparés à des véritables happenings, se rapprochant de plus en plus à ce que l’on appelés des installations artistique pour devenir des véritables performances. Qui s’en plaindrait ? Vittorio E. Pisu PALAZZI 2 VENEZIA
Photo Sophie Sainrapt
Sophie Sainrapt
ès la fondation de son atelier à Paris en 1995, Sophie Sainrapt se consacre au nu féminin, qui lui donne l’occasion de dépeindre, au travers d’un regard matissien à la pureté enfantine, la puissance de ces corps dans l’amour de la courbe. Le corps de la femme l’émeut et se fait vecteur de ses propres émotions qu’elle explore sans fin, dans la représentation de la beauté et du respect Exposition organisée par qu’imposent ces poses dans lesquelles la chair alterne entre nécessaire lila Galerie berté et jeu du désir. Guyenne Art Gascogne Toutes les œuvres se créent et naissent sur le papier, dans cette volonté de diversité, de matérialité et de sensualité qu’il peut évoquer et ce devant la présence du modèle, des autres femmes qui s’expriment chez Sophie Sainrapt dans la fluidité de la matière et des techniques à l’eau. Les rires d’Éros s’opposent aux larmes de Georges Bataille et présentent l’éros loin de la tragédie souvent évoquée dans l’idée du corps nu, mais au contraire dans la jubilation, la joie et le plaisir de la représentation érotique. Cette exposition verra cohabiter différentes séries, dont les Traces de Femmes, la plus récente, dans laquelle la silhouette se démarque tracée par la puissance de l’encre au dos de l’œuvre sur de superbes papiers d’Asie, dont la matière évoque la sensualité des êtres et le grain de la peau, ou bien encore des encres terre de Sienne brûlée de la série “Nue face au monde”... Sophie Sainrapt nous livre ces corps, nus de tout décor, dans une frontalité au 32 rue Fondaudège qui jamais ne dérange et où l’élégance des courbes nous promet une liberté Bordeaux que jamais rien ne dépouillera du plaisir, sur le chemin de l’exaltation. DU MERCREDI AU SAMEDI 14H à 19H http://galeriegag.fr/ +33 5 57 83 49 63 https://www.youtube.com/watch?v=GKBDWI_uUrc contact@galeriegag.fr
“Les rires d’Éros”
du 7 mars au 11 avril 2020
PALAZZI 3 VENEZIA
epuis que j’ai rencontré Sophie Sainrapt, à la première exposition collective à l’Orangerie du Sénat, où elle avait l’aire d’une gamine pas encore sortie de l’École des Beaux Arts, je n’ai pas arrêté de la croiser à l’occasion de nombreuses manifestations culturelles, expositions, édition de livres, lecture érotiques et inauguration d’estaminet accueillant des artistes et des poètes. J’ai même pu l’inviter à exposer ces œuvres, en fait une série sur Jérôme Bosch et une autre série de nus féminins, à Cagliari (Sardaigne enfin Italie) et bien évidemment filmer ces nombreuses expositions et vernissages comme la première fois au Sénat. J’ai déjà eu l’occasion de commenter certaines de ces manifestations et j’écrivais que ces dessins très crus du corps féminin, au lieu de nous aider à mieux comprendre la nature féminine, ne font qu’épaissir encore plus le mystère. Ainsi, pauvre mec comme tant d’autres, naturellement fasciné et attiré par cette inexplicable beauté qui se dégage d’un corps féminin, dont la nudité irradie l’espace et nous interpelle dans notre être au monde, je ne peux qu’être envouté par son travail et par la maitrise de ses dessins. Dernièrement elle a exposé avec un Maitre chinois, Yuliang Guan, dont les nus calligraphiés d’un seul geste se rapprochent sensiblement de son travail, bien que les œuvres de Sophie Sainrapt apparaissent bien plus imprégnée de féminité que les dessins de Monsieur Guan. Ce n’est pas un hasard je pense et c’est au regret, que je comprends, qu’il existe une limite que seule Sophie est capable de franchir. Dans un moment à la fois cocasse et dramatique, où les réactions parfois stupides vis à vis d’une épidémie pas si dangereuse que l’on voudrait nous faire croire, nous raménent à notre condition charnelle, dont nous ne pouvons pas nous libérer, mais qui n’est pas seulement la proie de virus et autres calamités naturelles, mais aussi le lieu physique dans le quel nous pouvons aussi expérimenter les plus grandes joies. Ainsi en détournant le titre d’un ouvrage bien connus d’un auteur français, elle nous rappelle que nous pouvons aussi trouver une certaine félicité dans ce bas monde. Vittorio E. Pisu
Photo loeildelafemmeabarbe
ashpa, né Jindrich Haspica à Zlín en 1951, est un peintre, graveur et dessinateur tchèque. De 1966 à 1969, il suit des cours à l’école des Beaux-Arts de Uherské Hradiště, puis de Prague jusqu’en 1972. Il dirige un atelier de peinture à l’Hôpital psychiatrique de Bohnice à Prague et suit une formation de psychothérapeute à partir de 1973. En 1979, il quitte clandestinement la Tchécoslovaquie et demande l’asile politique en France. A partir de 1980, il travaille comme professeur d’enseignement spécialisé dans un atelier d’art-thérapie au Centre médico-psychologique du Pré Saint Gervais (93). De 1980 à 1982, il occupe un atelier à la Cité Internationale des Arts à Paris. Il obtient la naturalisation française en 1985. Jusqu’en 1998, il participe à de très nombreuses expositions collecti- Notre ami Hashpa, peintre tchèque a qui ves et individuelles : au Grand Palais (Salon j’ avais rendu hommage des Beaux-Arts, Jeune en 2018 avec Expression), au Musée “L’oeil de la femme a barbe” d’Art Juif (Hommage à nous a quitté Franz Kafka, 1983), en le 5 mars dernier . galeries et librairies en La cérémonie aura eu lieu France et en Allemagne. Vendredi 13 mars 2020 Enfin, après avoir régAu crématorium ulièrement organisé des du Pete Lachaise ateliers d’été, il initie J’espere qu’il voyage léger au dessin et à la peintumaintenant avec re de nombreux élèves ses pinceaux dans son propre atelier dans les nuées. parisien. Sophie Sainrapt Loeildelafemmeabarbe
MA DESHENG HASHPA propos de l’exposition “Corps à Corps” qui a eu lieu du 1er au 13 mai 2018 on pouvait lire : “Depuis 1994, date à laquelle elle a cessé de suivre les cours de dessin et de peinture d’Hashpa, Sophie Sainrapt a parcouru bien du chemin artistique. Elle a développé un univers propre et enchaîne les expositions,explorant sans relâche son thème favori : le corps des femmes. Hashpa de son côté a poursuivi sa route et petit à petit s’est fait très discret, presque oublié ; lui qui pourtant avait été le fer de lance d’un expressionnisme sombre et puissant, qui avait su marquer les esprits et transmis technique et savoir-faire à de nombreux nouveaux talents. L’élève a quitté le « maître » et le temps qui passe les a séparés... Jusqu’à l’été 2017, quand Hashpa reprend contact avec Sophie. Elle lui rend visite, le découvre isolé par la maladie et comme détaché de la passion qui pourtant le dévorait. Elle décide alors - à sa façon – de rendre hommage au peintre en le plaçant de nouveau sous les spots et sur les cimaises, ainsi qu’à l’homme en proposant ce duo d’artistes, d’égale à égal, de nu à nu, de corps à corps. Sont présentés une centaine de peintures et dessins, ainsi que de très nombreuses gravures. La scénographie vise à montrer les œuvres de chacun des deux artistes en regard les unes des autres. La mise en page du livre de l’exposition, édité chez L’œil de la femme à barbe, est le reflet de ce parti-pris.” Loeildelafemmeabarbe PALAZZI 4 VENEZIA
Photo loeildelafemmeabarbe
JINDRICH HASPICA
e maître à élève, naguère, leurs chemins se sont croisés, pour quelques temps de bel apprentissage, pour des partages d’expérience et de création, et pour défricher de l’essentiel en pays-peinture. Deux ou trois décades plus tard, chacun d’eux creuse sa voie et s’éloigne des sentiers battus. Ils font remède à la modernité. Ils vont au bout des possibles de l’œuvre. Et c’est là, sans doute, dans une fragile solitude, qu’ils vivent ce qui réellement les rapproche, l’impossible union du vide et de la plénitude, et la nostalgie du pays des tableaux. Maintenant, en lieu d’art éphémère, en saisissant duo, ils s’accompagnent pour un temps trop court. Hashpa, ou le corps impensable Hashpa, maître en peinture, est-il un Homme-Autre ? Un monstre de fulgurances charnelles ? Un saccageur d’identité ? Un incendiaire des confins ? L’implacable corps qui surgit unit l’altérité la plus inacceptable – le corps seul qui est – au surgissement le plus violent qui soit, immobilisé d’effroi sexuel. Corps toujours répété, exhibé à vif. Ici, on ne s’échappe pas de l’enfer des regards. Corps offert sacrifié aux aveuglantes clartés… Mystique dépassant très loin les souillures, et meurtre absolu du corps narcissique. Dans les veilles de la beauté crue, Hashpa corrode la peau et brûle les surfaces. Il arrache à l’étendue les espaces secrets de la chair. Hashpa dérange par la tension préservée de ce qu’il met en combat: l’insoutenable du nu regard, contre quoi lutte toute culture. Il fouille les sources obscures des fantasmes majeurs, avant même qu’ils ne s’imposent. Il enregistre. Il n’illustre pas, et l’œuvre révèle ce qu’il projette sur ses écrans intérieurs : le champ agrandi des perceptions souterraines. Et parfois, pour la santé de l’immense, viennent les tracés instinctifs des pathologies profondes. La peinture d’altérité de Hashpa, de violence et d’abîme, dit l’impossible de la vie ouverte. Elle fulgure, et l’artiste s’ouvre à l’univers comme une plaie. L’art accidente l’univers. Hashpa fouille le corps impensable, et les hurlements de ses lointains. Corps inatteignable. A jamais inaccessible. Christian Noorbergen 2018 PALAZZI 5 VENEZIA
voire la vidéo https://youtu.be/6gPjqZU6eZY un film de Claude Yvans
a lumière : blanche, livide, brutale. Les corps : roses, blancs, saignants, torturés. Et en même temps doux, caressants, sensuels. Hashpa peint la vie dans ses convulsions, ses extases érotiques et morbides, à la manière de Sainte Thérèse, entre le soupir et l’expiration. Mystique de la chair, ce tchèque en exil, au corps d’athlète et aux vêtements de deuil, balafre les corps des vivants comme autant de victimes sadiennes nouvellement désignées pour d’éternelles « Cent vingt journées de Sodome et Gomorrhe ». Disciple du Bœuf écorché de Rembrandt, Hashpa dénude, brutalise, violente notre pauvre petite peau, cette mince écorce d’un plaisir fugitif. Expressionniste slave, il refuse toutes les séductions de couleurs stridentes, pour mieux saisir quelques fulgurances rapides, blanchâtres, sanguines ou outremer, sur fond de bitume noir. La peinture, chez lui, jaillit d’un néant épais, sombre et impénétrable. Ivre de tristesse inconsolable et d’espoir chevillé au tragique, ses toiles baroques heurtent le sens avant de donner le goût de la mort. Le regard de Hashpa, alternativement porté sur son propre corps et sur cet obscur objet du désir qu’est le corps féminin, ressemble à celui de Chronos le temps, sur ses enfants : dévorateur. Emmanuel Daydé 1991
Photo LifeatHome.ch https://www.doppiozero.com/materiali/quanti-yona-friedman?fbclid=IwAR11IQUF0pzmLGvYNWQMSXB1Uc-e9Jwj2XoTOWvRItVS9AyeUWNfko5Zt7M
Combien de Yona Friedman ? Les aventures intellectuelles auxquelles Yona Friedman a été confrontée au cours de sa longue vie sont si nombreuses que, maintenant qu’il est décédé (le 20 février pour être exact), on se demande si son essence ne ressemble plus à celle des plantes plutôt qu’à celle d’un homme, c’est-à-dire non pas à une entité unique, mais à une communauté d’entités vivantes. Ce raisonnement est peut-être valable pour toutes les grandes figures du passé, en particulier les Léonardes comme la vôtre, mais il vaut la peine d’essayer de les énumérer brièvement, au moins les principales. Étudiant Il y a d’abord Janos-Antal Friedman, né à Budapest en 1923 dans une famille d’avocats, de la classe moyenne juive, pendant le “faux fascisme” de l’amiral Miklós Horthy qui, malgré quelques lourdes concessions comme les lois raciales, conservera une certaine autonomie par rapport à l’alliance avec l’Allemagne nazie jusqu’au printemps 1944. Avant cette époque, le jeune Friedman a eu l’occasion de s’inscrire à l’architecture avec un permis spécial et d’assister aux conférences publiques (où les lois raciales ne s’appliquaient pas) de Károly Kerényi, un opposant conservateur au régime, et à deux conférences importantes de Werner Heisenberg. Ces deux figures laissent une marque indélébile, même des années plus tard Friedman utilisera à nouveau le mythe comme psychologie collective, par exemple dans ses films d’animation réalisés avec sa femme Denise ou sur la physique théorique pour servir d’objectif à la construction d’une image unique du monde avec de fortes répercussions sur l’architecture et l’urbanisme. Combattant Puis vint l’occupation allemande au printemps 1944, le régime fantoche des Croix fléchées de Ferenc Szalasi - responsable d’atrocités indicibles contre les Juifs - et le transfert à Budapest d’Adolf Eichmann lui-même pour organiser la plus grande déportation (500 000 personnes) de la communauté juive, restée jusque-là presque intacte, vers Auschwitz. Friedman a rejoint un petit groupe de résistance sioniste sous le nom de Yona (“colombe”), falsifiant des documents et expérimentant les techniques de communication de la guérilla, mais il a subi une dénonciation et a été sauvé uniquement parce qu’il a été emprisonné par la Gestapo en tant qu’opposant politique et non en tant que Juif. Le chaos qui a accompagné l’avancée rapide de l’Armée rouge, dont Sándor Márai se souvient avec brio à la Libération (Adelphi), lui redonne sa liberté, mais il est vivant par un miracle : un soldat allemand qui aurait pu lui tirer une balle dans la tête le laisse partir, sachant peut-être qu’en quelques heures le même sort aurait pu lui arriver. Réfugié Aigri par la destruction de sa société, il décide d’émigrer vers la Terre promise, mais le Royaume-Uni entrave l’immigration des Juifs européens en Palestine, si bien qu’il est contraint de passer un an à Bucarest où il existe une agence juive pour l’Alya. Il y vit com-
me réfugié avec beaucoup d’autres, forcé de vivre dans de grands appartements avec de nombreuses autres familles qui vont et viennent chaque jour, ce qui stimule son premier projet de vie mobile et flexible où même les installations peuvent être déplacées à volonté pour mieux faire face à l’urgence. Kibbutznik Une urgence qu’il a également rencontrée dès son arrivée à Haïfa en 1946, où des centaines de personnes débarquaient chaque jour pour être hébergées dans des cabanes ou des abris rapidement réadaptés en attendant une destination plus certaine (vous souvenez-vous de quelque chose ?). Yona a ensuite fait l’expérience communautaire du kibboutz de Kfar Glikson avec d’autres juifs hongrois et roumains, s’inscrivant au Technion de Haïfa pour terminer ses études et travaillant comme maçon. Mais celles-ci sont à nouveau interrompues par la guerre d’indépendance de 1948, où il est responsable de la conception des tranchées, qui par nature sont en perpétuel mouvement. Architecte La mobilité devient ainsi le fil rouge de ses études d’architecture, qui se poursuivent avec la remise des diplômes et les conférences passionnantes du professeur invité Konrad Wachsmann, le porte-drapeau de la préfabrication et des structures légères qui peuvent être étendues à volonté. Ses premières idées sur le sujet ont été présentées lors du dernier CIAM à Dubrovnik en 1956, où elles ont suscité beaucoup d’intérêt, surtout parmi la jeune génération. Il y a présenté “La révolution de la colonisation”, qui est une critique radicale de l’urbanisme : “L’autodétermination des usagers fait fonctionner les colonies. L’autodétermination des utilisateurs est préférable à la planification gouvernementale. L’autodétermination des utilisateurs résout des problèmes que les gouvernements ne peuvent pas résoudre... La révolution des colonies est un “vote par les actes” : les utilisateurs font ce que les fonctionnaires ne font pas pour eux. Les problèmes des colonies ne peuvent être résolus que par les utilisateurs réels”. Cela restera le cœur de son Manifeste de l’architecture mobile, publié en cyclostyle après son déménagement à Paris en 1957 entre-temps, le nouveau doyen de l’architecture au Technion l’avait mis à la porte parce qu’il pensait que ses idées étaient futiles -, réimprimé sans cesse avec des mises à jour et distribué non pas comme un livre, mais comme une brochure aux conférences, congrès et expositions qu’il organise frénétiquement ou est invité à tenir dans toute l’Europe. C’est ainsi que se forme le GEAM, Groupe d’étude pour l’architecture mobile, qui n’aura pas une longue vie car il est écrasé par la personnalité de Friedman, qui a entre-temps l’occasion de rencontrer Jean Prouvé, Frei Otto, Constant et aussi Le Corbusier, son idole, qui l’encourage à continuer. Le premier à le publier en Italie est Alessandro Mendini, jeune rédacteur en chef de “Casabella”. Il rejoint ainsi Michel Ragon, lui aussi récemment décédé, animateur du GIAP Groupe International pour l’Architecture Prospective, aux côtés d’architectes comme Paul Maymont et de sculpteurs comme
Nicolas Schöffer. Ses conférences ont été suivies en tant qu’étudiants par les futurs membres d’Archigram, Bernard Tschumi et bien d’autres à qui l’on doit des concepts tels que Urbanisme Mobile (1957) et Ville Spatiale (1959), les idées les plus ambitieuses et les plus radicales de l’optimisme technologique à l’apogée du modernisme, que Reyner Banham a rétrospectivement inclus dans la liste des mégastructures, bien que Friedman ait toujours rejeté cette catégorisation car, contrairement à tous les autres, il envisageait une grande marge d’adaptation de la part des habitants. Professeur À la fin des années 1960, Friedman a commencé sa carrière de professeur dans de nombreuses universités américaines, attiré surtout par les possibilités offertes par les nouveaux ordinateurs qui étaient alors aussi grands qu’une pièce et impossibles à utiliser en Europe, où ils étaient normalement réservés à l’armée. Il a discuté des processus de démocratisation de l’architecture tels que le Flatwriter et les mécanismes urbains, qui ont été inclus dans le volume intitulé “Lecorbusieri Per una architettura scientifica” (Officina 1971). Friedman a ainsi rencontré Nicholas Negroponte, un diplômé en architecture, qui, avec son groupe The Architecture Machine Group, a développé un logiciel d’auto-conception par les habitants qu’il a appelé “Le système Yona”. Un fonctionnaire de l’UNESCO Puis, au début des années 70, Friedman s’est soudainement mis à ne s’occuper que de techniques pauvres, de technologies simples et de participation, à l’instar d’autres architectes et designers de ces années-là (Riccardo Dalisi, Enzo Mari, Ugo La Pietra, Victor Papanek, les Superstudios de culture matérielle extra-urbaine, etc.) et a donc commencé à collaborer avec l’UNESCO dans le cadre de divers programmes d’auto-construction consacrés aux pays en développement, notamment en Afrique et en Inde. Ainsi est née l’architecture de survie. “A Philosophy of Poverty” (1978) et “Energy Alternatives” (1982), tous deux publiés en italien par Bollati Boringhieri ainsi que “Tetti” (sous la direction d’Andrea Bocco, Quodlibet 2017), qui rassemble des documents sur la réutilisation des déchets de matériaux de construction destinés à l’Inde, notamment dans la région de Madras/Chennai où il a construit en 1987 le Musée de la technologie simple avec Eda Schaur à des fins de démonstration et d’éducation. En cela, Friedman a également été un précurseur de la durabilité, en explorant des voies alternatives à celles imposées par le progrès technologique : “Les problèmes du foyer ne concernent pas seulement les pauvres. Nous voulons offrir des solutions intéressantes pour toutes les sociétés. Mais parce que nous devons fixer des priorités, nous avons donné la priorité aux techniques qui sont accessibles aux plus pauvres”. Giancarlo De Carlo, qu’il connaît depuis l’époque du CIAM, l’a publié dans son magazine “Espace et société”. Essayiste Mais c’est peut-être “Utopie réalisables”, réédité en 2000 avec la maison d’édition L’éclat de Michel Valensi et Patricia Farrazzi, qui a inauguré un long et solide partenariat éditorial - ce sont eux qui ont finalement donné un toit à ses publications erratiques-, le texte le plus ambitieux et un peu son résumé théorique. L’originalité fondamentale de “Utopie realisabili” (Quodlibet 2003)
et “Come vivere con gli altri senza essere né servi né padroni” (édité par Franco Bunčuga, Elèuthera 2017), qui a également frappé Ivan Illich, consiste à trouver une position autonome et très personnelle. Elle traite de l’organisation de la société, mais contrairement à toute analyse sociologique, elle renonce à l’utilisation de chiffres et de statistiques, rejetant même le concept de l’homme moyen. Ce que Friedman analyse, c’est d’abord la langue et la communication, avec les effets relatifs que leurs distorsions impliquent également en termes de ville et de territoire. Si, par exemple, la ville représente l’utopie par excellence, “peutêtre même la première utopie humaine réalisée”, alors elle doit être comprise comme une synthèse de l’organisation humaine (logiciel) et du territoire (matériel) à la lumière des deux concepts intimement liés de “groupe critique” et de “village urbain”. Dans ces deux livres apparentés - l’un est en fait la transposition en bande dessinée de l’autre - on peut lire à contre-jour une proximité idéologique avec les positions du kulturzionisme de Martin Buber, Moshe Sharett et d’autres, une ligne politique et culturelle plus conciliante envers la minorité arabe, mais perdante dans la construction de l’État d’Israël. Artiste Au tournant de l’année 2000, sa figure intellectuelle anormale et originale a été découverte par le monde de l’art contemporain, voir la participation de Friedman à la Documenta de Kassel en 2002 ou à la Biennale de Venise en 2003, 2005 et 2009, à l’invitation de commissaires tels que Catherine David, Hans Ulrich Obrist et Daniel Birnbaum. En 2006 au Mart de Rovereto et cette année encore aux galeries Minini de Milan et Brescia, Maurizio Bortolotti a organisé des rétrospectives de son travail d’un point de vue artistique similaire à celui de Hou Hanru au MAXXI en 2017, de Caroline Cros et d’autres dans différents musées en France et aux Pays-Bas ou de María Inés Rodríguez au MUSAC de Léon en 2011. Des artistes individuels lui rendent visite par affinité ou pour étudier de près son travail, comme Camille Henrot, Margherita Morgantin, Stefano Graziani, Emmanuele Lo Giudice et bien d’autres. Dans le sillage de cette nouvelle circulation, la culture architecturale a également commencé à s’intéresser à son travail et son œuvre est revenue sur le tapis, comme en 2004 lorsqu’il a été invité par la Fondazione Targetti à Florence, puis analysé dans des manuels, dans des revues comme “Domus” dirigée par Stefano Boeri (20042007) et ré-exposée (par exemple par Nader Seraj et Cyril Veillon à la galerie Archizoom de l’EPFL à Lausanne en 2012 et dans “La città nuova/oltre Sant’Elia”, dont le commissaire est Marco De Michelis à la Villa Olmo à Côme en 2013), après avoir pratiquement disparu dans les années postmodernes. Ses articles, en plus des livres, ont également fait l’objet d’une anthologie et ont été publiés dans différentes langues, voir par exemple l’anthologie Pro Domo publiée par Actar en 2006 en anglais et en espagnol. En 2008, le Getty Center de Los Angeles a acquis l’ensemble des archives papier de Yona Friedman, ainsi que les fonds d’Aldo Rossi, Bernard Rudofsky, Lebbeus Woods, Pierre Koenig, etc. Récemment, la librairie A&M Edizioni di Milano a publié le livre Sans titre, édité par Maurizio Bortolotti, Jean-Baptiste Decavèle . Manuel Orazi
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a fashion week de Paris édition automne-hiver 2020-2021, c’est terminé ! Pour fermer le bal, un défilé Chanel sans décor thématique, Miu Miu plus mutin que jamais, Lacoste sport chic et Louis Vuitton anachronique ont rythmé cette journée du 3 mars. Retour sur cette semaine marquée par le coronavirus, l’anxiété ambiante mais bien heureusement également la créativité, dans notre résumé des défilés. Après le défilé Stella McCartney où la créatrice a renouvelé ses vœux pour une mode plus engagée, mardi 3 mars marquait le dernier jour du calendrier officiel. Mais certainement pas le moindre. Il s’est ouvert avec un très attendu défilé Chanel automne-hiver 20202021 dépourvu de décor thématique pour faire place aux silhouettes. ”Du mouvement, de l’air… Pour le défilé, pas de cadre. Je n’aime pas ce qui encadre.” déclare Virginie Viard. Moderne, enrichi de détails chatoyants, le défilé a laissé la critique divisée entre ses silhouettes efficaces, ses bijoux désirables et certains looks aux détails plus opaques. Ce week-end, les shows ont été le reflet d’une époque tourmentée où la brutalité des contingences comme l’urgent besoin de beauté se font ressentir. Le défilé Balenciaga automne-hiver 2020-2021 en est à lui seul l’illustration parfaite. Dans le studio de la Plaine Saint-Denis, les premiers rangs se noient dans une crue où défilent les mannequins. Cela pourrait faire penser à Alexander McQueen et son défilé “Golden Shower” en 1998, sauf que, 20 ans plus tard, la douche est froide. Animé par un plafond led aux effets des plus angoissants, le spectacle est celui d’un monde orageux où l’élégance parvient tout de même à ne pas boire la tasse. Car dans cette semaine de parade où le coronavirus sévit, l’espoir se niche dans une forme de beauté refuge. L’esthétique impeccable des couleurs élémentaires chez Hermès, la couture adapté en prêt-à-porter chez Givenchy, les intemporels d’Hedi Slimane chez Celine, l’épure élégante chez Valentino, sont autant d’actes de résistance. Dimanche matin au théâtre des Bouffes du Nord, c’était “Sunday Service” pour tous. Kanye West avait convié le gotha mode à une messe dominicale musicale qui a convaincu de sa ferveur les plus sceptiques. Gloire à la mode au plus hauts des cieux et paix sur la terre aux hommes qui l’aiment. Pour sa dernière collection Balmain automne-hiver 2020-2021, Olivier Rousteing a retrouvé son don d’équilibriste entre extravagance et sexyness, sans tomber dans le surfait. Son interprétation des codes bourgeois, du foulard au cachemire café, en passant par le matelassé, a ce qu’il faut d’opulence et d’exa-
Google Jacquard, la technologie qui rend le textile connecté endant l’édition de février, Pascal Morand, Président exécutif de la Fédération de la Haute Couture et de la Mode, a rejoint Camille Bénech, de Google Jacquard Europe, pour échanger avec elle sur le futur du vêtement connecté. Google Jacquard, la technologie qui rend le textile connecté Nous vivons une époque où l’informatique est omniprésente, où tout devient plus intelligent et plus utile, explique Camille Bénech. Pour faire évoluer l’univers de la mode dans ce sens, Google a lancé Jacquard, un fil connecté qui peut être cousu dans n’importe quelle matière. « Aujourd’hui, nous touchons nos téléphones plus de 500 fois par jour, ce qui est une perte de temps considérable. Les gens veulent toucher de vrais objets, ceux qu’ils utilisent au quotidien. Et les vêtements et autres meubles appartiennent assurément à cette catégorie. » La technologie : un ordinateur réduit à la taille d’un demi-paquet de chewing-gum Google Jacquard se compose de trois grandes parties. La première est une zone de commande, intégrée et cousue dans différents textiles. C’est cette surface tactile, interactive, qui communique avec la Jacquard tag, la puce du micro-ordinateur, qu’il aura fallu trois ans pour miniaturiser pour lui donner la taille de la moitié d’un paquet de chewing-gum. Ce tag communique avec la zone tactile — selon des modalités qui varient en fonction du type de textile sous lequel elle se niche — et via le Bluetooth avec le smartphone de l’utilisateur. C’est aux acteurs de la mode qu’il revient d’imaginer des usages novateurs Plutôt que de créer de nouveaux textiles connectés, Google Jacquard s’attèle à incorporer à tout type de vêtements et accessoires une connexion digitale invisible. C’est cette technologie que Levi’s a mise à profit pour concevoir à l’intention des motards ayant difficilement accès à leur téléphone une veste permet par exemple de passer à la chanson suivante d’un simple geste de la main le long de la manche. Le sac à dos urbain de Saint-Laurent a conservé ses atours et a simplement intégré dans sa bretelle un dispositif de commande du smartphone de l’utilisateur. « Nous collaborons avec les marques pour lancer diverses expérimentations. Nous ne sommes toujours qu’un laboratoire d’innovation au sein du géant qu’est Google, et c’est aux marques de mode qu’il appartiendra de définir comment tirer parti de notre technologie. » PALAZZI 8 VENEZIA
Photo Amica
Voué à équiper les vêtements conçus pour durer Google Jacquard travaille sur des tissus suffisamment robustes pour durer plusieurs années (des vestes, des sacs à dos) ce qui laisse à sa technologie le temps de profiter de mises à niveau. Dans le cas de la veste Levi’s, la première version de 2016 permettait d’effectuer cinq commandes depuis la manche. Aujourd’hui, elle embarque 25 fonctions. Le produit évolue grâce aux mises à jour logicielles. « Et du jour au lendemain, il est capable d’accomplir six choses qu’il ne pouvait effectuer jusqu’alors. » La mode, cependant, n’a pas vocation à être fonctionnelle, objecte Pascal Morand « La mode n’a pas vocation à être utile : plus on met l’accent sur la dimension créative de la mode, plus on s’éloigne de celle de la fonctionnalité, objecte Pascal Morand. Quand il devient connecté, agrémenté de nouvelles fonctions, un produit perd une partie de son identité, ajoute-t-il. Si l’intégration de fonctionnalités à la mode fait débat, c’est qu’elle porte en elle un paradoxe. » Il y a beaucoup trop de produits sur le marché à l’heure actuelle. Concernant Google Jacquard, en revanche, l’idée est d’enrichir un produit d’une fonctionnalité supplémentaire, et non de créer de nouveaux vêtements connectés. « On aura toujours besoin de chaussures, mais celles-ci iront au-delà de leur raison d’être initiale pour accomplir d’autres tâches. Cette innovation de rupture, explique Bénech, est un défi de taille pour les maisons de mode, les stylistes, les écoles et les créateurs, qui doivent s’approprier la technologie et l’introduire là où elle n’avait jamais eu sa place jusqu’alors. C’est la raison pour laquelle nous avons besoin du concours des acteurs du secteur. On parle ici d’un segment où tout reste à faire. » Du sportswear à la gamification. Après l’acquisition par Google de Fitbit, Google Jacquard peut s’aventurer sur des terrains plus ludiques, au-delà des domaines du monitoring médical et du sportswear. « Rien n’est impossible » assure Bénech. « Nous en avons envie. Nous avons réalisé quantité d’études auprès des utilisateurs. Si c’est réalisable sur le plan technique et si cela répond à un besoin, nous lancerons davantage de produits axés sur la gamification et l’introduction d’éléments réels dans le digital. » Publié le 4 mars 2020 dans Programmation - Smart Creation https://www.premierevision.com/fr/news/programmation/google-jacquard-to-make-anyclothing-smart/ PALAZZI 9 VENEZIA
gération pour être décalée, mais n’en devient pas caricaturale. Jeudi soir, Isabel Marant a livrée une collection aux épaules toujours aussi 80’s mais aux accents folks atténués qui offre une certaine sensation d’épure efficace. Aux antipodes, le très cool label Off-White persiste et signe pour ses collages pop, entre tapis rouge et street culture, ponctués de gimmicks années 2000 et de robes audacieuses, destinées à taper dans l’œil de Rihanna et Beyoncé. Parmi les nouveautés, le premier défilé Kenzo de Felipe Oliviera Baptista (ex Lacoste) a offert une vision à la frontière de la jungle urbaine, métissée et confortable qu’a salué le fondateur Kenzo Takada lui-même au premier rang. Chez Lanvin, Bruno Slalelli prend ses aises et c’est la collection automne-hiver 2020-2021 qui en bénéficie. Un éloge du bon goût dépoussiéré et minutieux fort apprécié sous les tapisseries des Gobelins. Un vent frais souffle également chez Guy Laroche qui s’essaye avec succès à l’upcycling. Retrouvées et rachetées, des pièces resurgissent du passé et sont brillamment réinterprétées avec des matières que possède la maison. Un parti-pris circulaire intelligent également aperçu chez Benjamin Benmoyal. Le jeune créateur a dévoilé ses créations scintillantes dont la matière (qu’il a lui-même développé) est faite de VHS recyclées. Des collections séduisantes qui peuvent en plus se targuer d’une vraie valeur ajoutée. Chez Saint Laurent, les mannequins du défilé apparaissaient et disparaissaient à mesure qu’ils traversaient des faisceaux de lumière, une installation qui offrait au show une atmosphère graphique et dramatique. Anthony Vaccarello a un goût pour le risque, la poésie du danger et ses frontières et il l’a prouvé pour sa collection Saint Laurent automne-hiver 2020-2021. Exit les micro-shorts, cette saison, le directeur artistique introduit une matière sulfureuse : le latex. Il habille presque toutes les jambes et vient rompre l’allure bourgeoise des vestes et des lavallières comme adorait le faire Yves Saint Laurent lui-même. Le tout, développé sur une palette de couleurs si vives qu’elles en deviennent piquantes. Une transposition actuelle de l’esprit de détournement élégant qui fait la maestria de la maison. Lundi soir, c’est le nouvel entrant nigérian Kenneth Ize qui a ouvert la fashion week de Paris avec Naomi Campbell. Avec Thebe Magugu (prix LVMH 2019), il est une des jeunes pousses du continent Noir à suivre à Paris cette semaine. Du côté des maisons bien établies, Dior a livré un show aux slogans féministes, teinté des années 70 de l’enfance romaine de Maria Grazia Chiuri. Mitia Bernetel https://www.journaldesfemmes.fr/
Bianca Pucciarelli, alias Tomaso Binga. Née en 1931, poète sonore et interprète, elle a mis sa créativité au service des luttes pour les droits des femmes. Le nom de scène, consacré avec son premier spectacle solo en 1971, est une protestation du monde machiste masculin, non pas une négation de sa propre condition féminine, mais une manière de l’affirmer avec une ironie et une désorientation profanatrices. “Même avant cela, je me signais “Binga”, comme m’appelaient les enfants avec lesquels je travaillais à l’école. Avec ma première exposition, je voulais ajouter un nom masculin à Binga et j’ai choisi Tommaso en hommage à Marinetti et à ses écrits, que j’aime depuis mon enfance grâce à mon père. Je l’ai adoucie en enlevant un “m”, parce qu’elle semblait un peu trop rigide. C’est la chute de la côtelette d’Adam dont nous, les femmes, sommes nées. J’ai enlevé cette côte en commençant par le nom”. Quand cela a-t-il commencé ? “Depuis que je suis petite fille. Mon père était artiste au Venezuela, il faisait des vitraux Art Nouveau, mais il est retourné en Italie pour épouser ma mère, qu’il connaissait déjà. Ils étaient censés partir ensemble pour les États-Unis, mais il y a eu des problèmes avec la douane et ils n’ont pas pu partir. Alors, il a commencé à faire ce pour quoi il avait étudié, le comptable, mais à la maison il respirait toujours l’air de l’art, il a continué à travailler pour nous les filles. Il m’a appris les bases lui-même. J’ai commencé à écrire de la poésie à l’âge de dix ans et depuis lors, je cherchais déjà des éléments aliénants, déconcertants, quelque chose qui casserait la langue, l’objet. Cela a toujours été au centre de mes intérêts et j’ai continué à le faire tout en m’appliquant à mes études, car mon père nous répétait constamment, à mes deux sœurs et à moi, que nous devions étudier pour être indépendants. Un enseignement précieux pour cette époque”. Vous n’avez pas toujours été un artiste à plein temps, n’est-ce pas ? “Non, en effet. Après avoir terminé le lycée, mon père m’a fait passer l’examen de maîtrise et j’ai commencé à enseigner, puis j’ai passé un concours à Rome et je suis devenu surveillant d’école”. Qu’est-ce que c’est ? “Je pense que c’était une chose purement romaine. C’était un rôle similaire à celui d’un directeur, mais j’étais également chargé de la supervision et
Photo Triennale di Milano
oète sonore et artiste, elle a choisi à 88 ans un nom de scène masculin pour protester contre le machisme des artistes. “Tomaso est en l’honneur de Marinetti.”
Tommaso Binga
Bianca Pucciarelli Menna
Museo Madre
Via Luigi Settembrini 79
80139 Naples www.madrenapoli.it http://bit.ly/iwdmadre #museoMadre #IntenationalWomenDay #Spotify
des soins de santé des écoles, avec un médecin. D’une certaine manière, c’était un travail privilégié. On m’a aussi donné un beau bureau, mais avec de très vieux meubles, que j’ai repeints en bleu et blanc. Sur les murs, j’avais accroché certaines de mes peintures et des œuvres d’enfants, qui étaient des choses extraordinaires. Imaginez qu’une mère aille également se plaindre parce qu’elle pensait que j’avais dépensé l’argent de l’école pour les peintures et les meubles de mon bureau au lieu des enfants. À vrai dire, il m’arrivait donc d’écrire de temps en temps quelques poèmes, au lieu des rapports que je devais rédiger, avec la machine à écrire que j’avais sur mon bureau... Je n’ai jamais cessé de créer de nouvelles œuvres et de me battre contre des performances comme Oggi spose ou Il confessore elettronico, À tel point que mon mari Filiberto Menna - l’un des critiques d’art les plus influents de l’époque - me disait “soit j’ai épousé un professeur et je me suis retrouvée à vivre avec un artiste” et moi, je lui répondais que j’avais épousé un médecin et que je me retrouvais à vivre avec un critique d’art”. Qu’avez-vous demandé en tant
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que femmes et artistes ? “Le droit à la droite. Nous avons senti le vent du changement et la vitesse différente avec laquelle ce changement nous a investis par rapport aux hommes, en termes de droits et de reconnaissance. Au début, nous n’étions pas vraiment un groupe de féministes, mais les émeutes de Soixante-huit ont été comme un choc électrique qui a généré la floraison d’expositions, organisées principalement par des collectifs féministes et des moments d’agrégation spontanée qui ont eu lieu partout, dans la rue, à l’école, dans les cinémas, et où des groupes de conscience de soi se sont immédiatement formés”. Mais à l’époque des femmes artistes, on n’entendait pas beaucoup parler d’elles... “Bien qu’il y ait eu tant de femmes artistes de grande valeur ! Personne ne les a pris en considération. La courageuse Romana Loda a été la première galeriste à saisir ce signe de changement et à s’imposer à l’attention du public avec ses expositions internationales entièrement féminines, commencées avec Coazione pour montrer ‘75’.” Auriez-vous jamais pensé que, 44 ans plus tard, elle travaillerait avec une maison de couture
comme Christian Dior et sa directrice de création, Maria Grazia Chiuri ? “Non, absolument pas. Ce fut une véritable surprise. Maria Grazia est une femme d’une grande sensibilité et elle sait parfaitement que l’égalité des sexes est un droit qui est constamment menacé. Son recueil est un hommage et un avertissement, amusé et troublant, comme mes poèmes. Nous nous sommes tout de suite compris. Cela a immédiatement déclenché une compréhension complice et affectueuse et a donné lieu à l’intuition d’utiliser mon travail Scrittura vivente pour la mise en scène du défilé de mode”. De quoi s’agit-il ? “C’est une œuvre que j’ai réalisée en 1976 avec la photographe Verita Monselles, qui a représenté mon corps nu en imitant les lettres de l’alphabet. À partir de ce noyau original, j’ai créé au fil du temps de nombreuses œuvres et alphabets différents sur lesquels se concentrent toutes mes recherches Verbo/visuel et Poétique/performatif. Ces lettres recouvraient les murs du défilé, composant en français la poésie féministe que je récitais alors, et furent rebaptisées “Alphabet poétique monumental”.
Photo Fashion Press Comment était-ce de travailler avec vous ? “Très drôle, parce que derrière son regard concentré et un peu sévère se cache une femme souriante, rigoureuse et en même temps téméraire, qui ose s’engager allègrement avec plaisir... un vrai plaisir. Pendant une séance photo, j’ai commencé à plaisanter avec elle et à lui dire “Souris ! Souris davantage”, puis nous avons tous les deux mis les mains et les pieds en l’air, “Suis-moi, fais ça !”, lui ai-je dit. Nous nous sommes amusés comme des fous et elle a continué à dire à tout le monde, en riant, que je lui faisais faire tout ce que je voulais”. Elle rit. Quant au poème qu’elle a récité avant le début du défilé, en italien, devant toute la presse internationale “Oui. C’était un moment de panique, car je lui ai demandé une demi-heure avant le spectacle, alors que la répétition générale était déjà faite. Je lui ai dit : je voudrais réciter le poème utilisé pour la mise en scène et j’aimerais avoir deux grands mannequins à mes côtés, car je dois paraître petit au milieu d’eux”. Et qu’avez-vous répondu ? “Sans hésitation : “Très bien, allons-y! J’ai déjà en tête qui mettre à côté
de vous”. Puis il a appelé les gens de la production et ils ont tout arrangé en un instant”. Que récitait votre poème ? “C’est un acrostiche féministe de 1976, où chaque mot devait commencer par une lettre de l’alphabet dans l’ordre suivant : Nous avons besoin / Comme les femmes et les féministes nous gèrent / Elles ont l’impunité / La seigneurie du monde / Ne fonctionne pas / Positivement / Cette révolte / Marquer encore / Une victoire / Tais-toi”. Une victoire réduite au silence un peu comme cette biennale historique de 1978 où Mirella Bentivoglio a organisé la première exposition réservée aux femmes, Materialisation of Language ? “Dans un certain sens, oui. Cette exposition a été créée parce que les organisateurs de la Biennale craignaient la réaction des collectifs féministes qui avaient constaté l’absence totale des femmes artistes de l’exposition et menaçaient de provoquer des émeutes et des protestations. Ils ont donc appelé Bentivoglio pour mettre immédiatement en place un collectif pour les représenter. Elle a fait de son mieux, mais l’exposition a ouvert en septembre au lieu de juin et a été accueillie à la Corderie
au lieu des Giardini, au milieu de l’ostracisme des hommes qui ont commencé à nous dénigrer et à nous faire sentir inférieurs, prétendant que les expositions de femmes étaient un ghetto et que participer signifiait se ghettoïser... Mais ce n’était pas un choix, il fallait sortir d’une manière ou d’une autre !” Cette situation a-t-elle changé aujourd’hui ? “Aujourd’hui encore, dans les expositions collectives, le pourcentage de femmes est assez faible, le préjugé selon lequel nous ne sommes pas à la hauteur est toujours vivant. Des quotas roses devraient également être introduits dans les expositions, car les changements sont lents et les préjugés ont la vie dure. Après cette Biennale, rien ne s’est passé. Il a fallu encore 41 ans pour que quelque chose se produise”. Vous parlez de l’exposition Il soggetto imprevetta ai Frigoriferi milanesi (jusqu’au 26 mai, dans la via Piranesi, 10, Milan) et où allez-vous exposer avec d’autres artistes de cette période ? “Oui, les thèmes liés à l’inégalité entre les sexes sont redevenus très actuels. Dans le monde entier, on assiste à une forte reprise du féminisme. Pour cette exposition, tous les artistes des années
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70 ont voulu exposer, une décennie autour de laquelle se concentre l’attention du marché de l’art, mais elle n’est pas la seule à être prise comme référence, comme le montre la collection de Maria Grazia Chiuri inspirée par les Teddy Girls des années 50 et 60”. Le féminisme et la lutte pour les droits des femmes sont des choses qu’elle a dans son ADN. “Bien sûr, déjà à partir des histoires de famille. Les parents du village de mon père ont cessé de parler à mon arrière-grand-mère parce qu’elle avait choisi d’aller vivre, puis de se marier avec le fils du fermier, ce qu’ils n’approuvaient pas. Elle a quitté la maison, a eu le courage de suivre son souhait, mais bien qu’ils se soient mariés, ils ne lui ont plus jamais parlé pour le reste de leur vie. Et ces parents étaient aussi des gens qui avaient étudié... Elle a souffert de quelque chose d’incroyable”. La façon d’être féministe a-t-elle changé depuis ? “C’est certainement plus facile pour les filles d’aujourd’hui que pour les femmes de ma génération. Elles sont plus libres, elles peuvent choisir la profession qu’elles veulent exercer, décider si et quand elles veulent être mères, couvrir des postes politiques importants. Mais leur tâche est encore délicate il leur faut d’être vigilantes et de continuer à se battre parce que les droits et les possibilités dont ils bénéficient aujourd’hui ne sont ni prévisibles ni sûrs pour toujours”. Giacomo Andrea Minazzi ode, art et engagement féministe ne faisaient qu’un lors du salon du prêt-à-porter Automne-Hiver 2019-2020 de Dior, qui s’est tenu dans les jardins du musée Rodin à Paris. Dès l’entrée, quatre lettres majuscules, simulées par les poses de quatre corps féminins, ont écrit le mot Dior. C’est une célébration de l’œuvre de Bianca Pucciarelli Menna, alias Tomaso Binga : c’est le pseudonyme que l’artiste a choisi dans les années 60 pour se moquer d’un système artistique qui - alors plus que jamais - désavantageait la présence féminine, menant un travail militant et hors normes. La série Scritture Viventi et Alfabetiere Murale ramène à l’essentiel le concept de son travail, qui s’est toujours concentré sur le pouvoir du langage et le corps de la femme comme véhicules de sens. Dans ce scénario évocateur, la nouvelle collection Dior a été dévoilée, inspirée par la Teddy Girl, l’une des premières sous-cultures anglaises, et les influences des années 50. Un vocabulaire également cher à Maria Grazia Chiuri, créatrice de mode et directrice de la marque, dont l’idée de la féminité est liée à la culture avant le genre et le corps. Cet alphabet artistique sera présenté à partir du 4 avril au Centre d’art contemporain FM, à Milan, en parallèle avec l’exposition collective “The Unexpected Subject 1978” Art et féminisme en Italie, soutenu et parrainé par Dior. Giulia Ronchi https://www.vogue.it/…/ paris-fashion-week-autunno-inverno-19/
Exposition
“Revision” consacrée à RosyLamb Vernissage
Mercredi 18 mars 2020 à partir de 18h Exposition
du 19 mars au 11 avril 2020
du mardi au samedi de 11h à 19h
Coffeexhibits présente
Paloma Kuns, Dans l’espace du Café Lomi, elle a desiré nous inviter dans un espace intime jamais exposée, une série des rêves traduits avec l’éncre. Des expériences oniriques puissantes que, non seulement ont permis à l’artiste de créer ces magnifiques dessins «cathartiques» mais aussi ouvrir une porte vers nouveux projets créatifs. C’est d’ailleurs ses poémes dans son livre «Gouttes de sein» nous ont inspiré pour nomer chaque un de dessins de la série
Exposition
du 04 Mars au 04 Mai 2020 Au @cafelomi 3, ter rue Marcadet 75018, Paris Entrée Libre 9h *18h infos : coffeexhibits@gmail.com Laura Vasquez 0658124197
Photo Simon Gillespie Studio
37 rue Chapon, 75003 Paris Guido Romero Pierini
ARTEMISIA GENTILESCHI
l est attribué depuis des décennies à Francesco Guerrieri, un élève apprécié d’Orazio Gentileschi. Mais des études plus approfondies et des restaurations récentes ont révélé qu’il était erroné pendant tout ce temps. Il s’agit de David et Goliath, un tableau qui a fait son apparition en 1975 lors d’une vente aux enchères chez Sotheby’s. Le premier doute sur la paternité de l’œuvre est apparu en 1996, lorsque le connaisseur Gianni Papi a reçu une reproduction de l’œuvre et s’est mis sur sa piste. “Le propriétaire actuel, qui souhaite rester anonyme, a acheté le tableau en 2018 lors d’une vente aux enchères à Hampel Fine Art à Munich. Il m’a demandé de l’étudier”, dit-il au Corriere della Sera. “Ensuite, la restauration a commencé. J’ai immédiatement reconnu la main d’Artémisia : la couleur ocre de la robe de David, par exemple. Et la figure centrale de David lui-même fait référence aux célèbres autoportraits d’Artémisia. Mais derrière elle, il y a une grande quantité de documents qui attribuent au peintre plus d’un tableau ayant un sujet similaire”. Des preuves inequivocables ont émergé suite aux récentes restaurations et au travail de nettoyage de Simon Gillespie, qui ont révélé sur la toile - une fois la poussière et les particules sombres enlevées et déposées à la surface au fil du temps - la signature d’Artemisia Gentileschi placée sur l’épée de David, qui est représentée immergée dans une attitude réfléchie et reposante après avoir décapité le géant Goliath (dont la tête apparaît à ses pieds)”. Selon les études, l’œuvre, datée de 1693, remonte à la période londonienne de Gentileschi, lorsqu’elle avait rejoint son père, aujourd’hui âgé, dans l’intention de décorer un plafond dans une résidence de la Cour. Selon le même pape, le tableau aurait même pu faire partie de la collection de Charles Ier, qui possédait plusieurs œuvres du peintre romain. Cette histoire, en plus d’être une découverte heureuse qui ravive la préciosité de l’œuvre londonienne, nous rappelle le caractère unique qu’Artemisia Gentileschi a représenté dans l’histoire, étant l’une des très rares femmes artistes - et certainement la plus célèbre à ce jour - à embrasser le métier de peintre au XVIe siècle, malgré les nombreuses difficultés qu’elle a dû affronter au cours de sa vie. Et comme il est encore naturel aujourd’hui, avec le recul, d’attribuer un travail de qualité à un peintre masculin. Cependant, au moment de son engagement dans les grandes redécouvertes de l’art et de l’histoire, la nouvelle attribution se rapproche au hasard de la rétrospective Artemisia (du 4 avril au 26 juillet 2020) que la National Gallery lui consacre, avec une large sélection de ses œuvres les plus précieuses, de sa jeunesse à sa pleine maturité. La même National Gallery qui, en 2018, avait acheté - pour la somme de 3,6 millions de livres - un rare autoportrait d’elle en Sainte Catherine d’Alexandrie. Les David et Goliath récemment redécouverts ne seront pas inclus dans l’exposition. Néanmoins, Art Net News affirme avoir réussi à joindre le propriétaire anonyme, qui a déclaré qu’il serait heureux qu’un musée approprié se présente pour exposer l’œuvre au public. Nous en entendrons très probablement parler bientôt. Giulia Ronchi PALAZZI 12 VENEZIA