Nouveau rating ESG:
un premier pas
ISABELLE CABIE, CANDRIAM INVESTORS GROUP
La notation durable des fonds va dans le bon sens. Mais il s’agira d’être rigoureux dans l’interprétation des résultats.
L
a firme Morningstar, spécialisée dans l’analyse et la notation des fonds, lance une nouvelle notation basée sur les critères environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG). Une telle initiative va évidemment dans le bon sens et on ne peut que s’en féliciter. En effet, comme elle souligne elle-même: «les investisseurs ont besoin de meilleurs outils pour les aider à déterminer si les fonds qu'ils possèdent ou envisagent de faire entrer dans leurs portefeuilles reflètent les meilleures pratiques de développement durable». L’outil est donc d’un intérêt certain pour les investisseurs qui, au-delà d’une prise de conscience marginale, peuvent mettre en perspective leurs choix d’investissement à la lumière des critères ESG. Il l’est aussi pour l’industrie de la gestion d’actifs qui, si cette notation s’avère pleinement efficiente, pourra ainsi mettre en évidence – et au ban par la même occasion - des produits de placements ESG «light», autrement dit ces fonds qui ont été soumis à un processus de green-washing et qui ne respectent que peu, voire très peu, les critères ESG.
92
20’000 FONDS ANALYSÉS Pour son lancement, la démarche
initiée par l’agence de notation permet de couvrir un univers d’investissement de 20’000 fonds, gérés de manière active ou passive. Pour obtenir le «Morningstar Sustainability Rating», ceux-ci doivent, parmi leurs sous-jacents, compter au minimum 50% d’entreprises notées par Sustainalytics, un fournisseur indépendant en recherche ESG. Chaque fonds étudié est ensuite comparé à ses pairs et obtient une évaluation qui va de un à cinq globes, cinq globes étant la meilleure appréciation. Une fois la méthodologie posée, chacun sait néanmoins qu’appréhender les critères ESG n’est pas chose facile tant les approches sont nombreuses et parfois complexes. Il est donc nécessaire d’être rigoureux quant à l’interprétation des résultats obtenus et de veiller à une vraie cohérence lorsqu’on souhaite comparer plusieurs fonds entre eux. ÉVITER LES BIAIS D’INTERPRÉTATION Selon nous, une première exigence est de respecter un réel équilibre entre les différents critères ESG pour une même famille de fonds, tout comme le font les gérants «best in class» lorsqu’ils sélectionnent, dans chaque secteur, les entreprises les plus vertueuses du point de vue de l’investissement socialement responsable (ISR). Chaque fonds ayant ses spécificités sectorielles, il est impératif de ne pas introduire de biais d’interprétation, ce à quoi s’est attelé Morningstar. Ainsi, les notes ESG sont établies au sein de chaque secteur et
FINANCE DURABLE
[ Fournir aux investisseurs la note attribuée à leurs indices de référence afin qu’ils apprécient au mieux le profil ESG des fonds dans lesquels ils souhaitent investir permettrait d’aller un pas plus loin
]
cela ne pénalise pas les fonds qui affichent une neutralité sectorielle à l’image de certains fonds «quant» ou de fonds indiciels. Cela ne pénalise pas non plus – loin s’en faut! – les fonds qui n’investissent pas dans des entreprises présentant des risques de réputation. On constate en effet un bon positionnement global de ceux-ci, même s’ils sont au final plutôt dispersés dans les classements. On parle ici, par exemple, des fonds qui excluent les entreprises pour violations – ou controverses - sérieuses des normes internationales en matière de droits humains ou du travail, d’environnement et de gouvernance/corruption sur la base de principes comme ceux du Pacte mondial des Nations-Unies. ALLER PLUS LOIN Et pourquoi ne pas aller un peu plus loin?
Par exemple, en fournissant aux investisseurs, en plus de la note des fonds, celle attribuée à leurs indices de référence afin qu’ils apprécient au mieux l’objectif d’amélioration de la qualité ESG et le profil ESG des fonds dans lesquels ils souhaitent investir. Cela mettrait en évidence le manque de transparence de certaines catégories d’actifs, telles que les actions émergentes. Les investisseurs prendraient ainsi pleinement conscience qu’il s’agit bien d’un univers d’investissement spécifique où les normes ESG sont moins répandues, les réglementations en la matière moins contraignantes, et où l’accès à l’information est donc plus restreint, ce qui est encore souvent accentué par la barrière de la langue. Le mieux étant l’ennemi du bien, il n’est pas souhaitable de mettre en place une «usine à gaz» ou de vouloir impérativement tendre vers l’exhaustivité. Néanmoins, les pratiques ISR sont multiples et si l’investisseur se penche – à raison – sur les critères ESG appliqués aux entreprises, il est tout aussi légitime qu’il se sente concerné par ceux qui s’appliquent aux fonds d’investissement. En effet, à ce stade rien n’est dit par exemple de la prise en compte des activités du fonds en matière d’actionnariat actif tel que l’exercice du droit de vote ou le dialogue avec les entreprises. Une simple mention de ces activités de type «oui/non» serait la bienvenue.
Une voie à suivre: le dialogue Le dialogue entre les investisseurs et les entreprises prend une importance croissante car les investisseurs sont de plus en plus concernés par les critères de durabilité 1. Pour renforcer l’impact de cet échange, deux innovations ont été introduites en 2015. La première consiste à promouvoir trois thèmes particulièrement importants pour la création de valeur durable au niveau des entreprises. Il s’agit des politiques et pratiques d’entreprise en matière de lutte contre la corruption, de la transition énergétique et du bien-être au travail. Ces sujets sont dorénavant au centre des activités de dialogue des analystes ISR ainsi que de l’analyse traditionnelle des émetteurs dans tous les secteurs. La deuxième innovation réside dans l’engagement d’un dialogue spécifique avec les entreprises qui parviennent tout juste à se classer dans l’univers de l’investissement durable. Elles sont «en ligne» puisqu’elles se placent dans la moitié supérieure de leur catégorie mais restent clairement en retard dans certains domaines par rapport aux leaders en matière de critères ESG. Ce dialogue spécifique devrait avoir un impact particulièrement important du fait que les entreprises cotées ont pris conscience qu’un manque de transparence ou un comportement non responsable pourrait entraîner leur exclusion de l’univers d’investissement des gérants d’actifs ISR et de leurs clients. Elles sont par conséquent plus enclines à communiquer. Sur l’année 2015, Candriam a initié un dialogue proactif avec 64 entreprises du monde entier (56% en Europe, 30% en Amérique du Nord, 12% dans la région AsiePacifique et 2% dans les pays émergents). Dans 86% des cas, cette initiative a visé l’amélioration de la publication des données ESG fournies par les entreprises. Dans 8% des cas, il s’agissait d’étoffer l’information nécessaire aux décisions d’investissement et, dans 6% des cas, d’encourager l’adoption de meilleures pratiques au sein des entreprises.
1 - Rapport sur le dialogue avec les entreprises (en anglais): https://www.candriam.be/siteassets/medias/publications/ brochure/corporate-brochures-and-reports/engagementreport/engagement-activities_annual-report_def.pdf
ISABELLE CABIE Isabelle Cabie est responsable mondial de l’investissement socialement responsable chez Candriam depuis 2010. Elle a entamé sa carrière en tant que macro-économiste auprès de la Banque Artesia en 1992, avant de devenir gérante de fonds en 1995. En 1998, elle a rejoint Cordius Asset Management en tant que gérante senior de portefeuilles institutionnels, puis elle a été promue responsable de la gestion de portefeuilles institutionnels à revenu fixe chez Candriam en 2003. En 2007, elle prenait la responsabilité, au niveau mondial, de la gestion de portefeuilles institutionnels.
93