Vacance n°9

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V O YA G E U R S D U M O N D E

Côte Lycienne BAIN TURC

Six mois autour du monde São Tomé-et-Príncipe / Lac Léman / Sunset Boulevard Hyderabad / Côte Lycienne / Séoul


{ VAC A N C E } Nom féminin, du latin “vacare” Moment de disponibilité, parenthèse de reconnexion au monde, invitation à marquer une pause dans la course au temps.


citation

J’ai tout de suite su que c’était mon pays. Il y a quelque chose dans l’air. Le ciel ici est différent, les étoiles sont différentes, le vent est différent.

Georgia O’Keeffe, peintre (1887-1986)

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© Jérôme. Galland/Voyageurs du Monde

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Dans la forêt L’an 2820, quelque part entre la France, l’Italie et l’Allemagne… Une forêt de plus de 70 000 hectares, peuplée d’arbres centenaires, foisonnante d’espèces végétales, de petits et très grands animaux, bat au cœur de l’Europe. Libre de toute exploitation, elle se visite à pas légers, abrite des nuits discrètes sur la canopée. Retour aux cimes originelles. Ce précieux patrimoine vert a contribué à freiner le réchauffement climatique menaçant l’espèce humaine depuis le XXIe siècle et a permis au Vieux Continent de retrouver une forme de végétation disparue depuis près de mille ans. Totale utopie ? Oui, lorsqu’on peine à se projeter dans dix ans, comment entrevoir l’avenir à l’échelle séculaire ? Pourtant, ce projet de grande forêt primaire en Europe de l’Ouest existe bel et bien. Initié par le biologiste Francis Hallé (p. 144), il représente une solution de très long terme face à l’urgence environnementale. C’est également un acte de transmission aux générations futures, à l’encontre des réflexions de profit immédiat. L’idée d’un nouveau paradigme, un appel à agir et ralentir, qui rejoint celui d’autres penseurs tel Matthieu Ricard (p. 44) et, plus modestement, notre vision du voyage. Jean-François Rial Pdg de Voyageurs du Monde

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© Anne Piquet - Stephen Tayo/Accra Festival - Alexandre Guirkinger/Voyageurs du Monde

Vacance n° 9 — Printemps-Été 2020

8 Tips Avant-garde ghanéenne, haute cuisine, artisanat berbère, expo engagée, huttes de paille pour Robinson Crusoé dans l’âme… : une sélection inspirée pour esprits curieux.

30 Planète Elle inquiète autant qu’elle fascine… Espèce en voie de prolifération, la méduse en dit long sur l’état de nos océans.

26 Société La cartographie : un puissant outil de pouvoir, de communication, mais aussi de militantisme pour plus d’équité.

34 Vintage story Portrait de Rio de Janeiro en pleine effervescence carnavalesque, Orfeu negro, film musical et solaire, est une ode à la beauté.

40 Initiative Sous le nom de CaiRollers, de jeunes Égyptiennes font leur propre révolution. En roller.

44 Petite conversation Rencontre entre le pdg de Voyageurs du Monde, Jean-François Rial, et le moine bouddhiste Matthieu Ricard, à l’occasion de la sortie de son recueil Émerveillement.

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Vacance n° 9 — Printemps-Été 2020

Six mois autour du monde 50 São Tomé-et-Príncipe Le plus petit des États africains, ancienne colonie portugaise à la nature extravagante, se tourne vers le voyage écoresponsable.

96 Hyderabad Son nom évoque les fastes des nizams, les jardins moghols, les rivières de diamants… Déambulation dans une Inde méconnue.

144 Portrait Depuis soixante ans, le biologiste Francis Hallé répertorie la biodiversité des forêts primaires équatoriales. Ses dessins botaniques sont à la lisière de l’art.

66 Lac Léman Flânerie sur les rives du plus célèbre lac helvète qui, de Stravinsky à Freddie Mercury, a inspiré les plus grands.

114 Côte Lycienne Collection de vestiges antiques et d’îles discrètes au sud de la péninsule turque : une invitation à l’itinérance tranquille.

154 Musique Calypso, salsa, reggae, biguine, zouk… Balade chaloupée dans les îles des Caraïbes, les oreilles grandes ouvertes.

80 Sunset Boulevard Marcher sur cet axe mythique de L. A. : une randonnée urbaine de 39 kilomètres proche de l’expédition intersidérale.

130 Séoul Comment la jeunesse séoulite vit et voit son avenir ? Plongée dans la plus futuriste des capitales asiatiques.

164 Hôtels Elle est loin la mer ? Une sélection au mètre près des plus belles plages de l’été.

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Vacance n° 9 Printemps-Été 2020 Directeur de la publication Jean-François Rial Rédactrice en chef Nathalie Belloir Rédacteur en chef adjoint Raphaël Goubet Directeur artistique Olivier Romano assisté de Camille Nordin et Faustine Poidevin Responsable éditorial Baptiste Briand Secrétaire de rédaction Stéphanie Damiot Coordinatrice fabrication Isabelle Sire Responsable photo Marie Champenois Iconographes Alix Aurore Pardo, Daria Nikitina Ont contribué à ce numéro Stéphane Deschamps, Raphaëlle Elkrief, Førtifem, Jérôme Galland, Adrien Gombeaud, Alexandre Guirkinger, Osma Harvilahti, Jessica Jouve, Isaac Marley Morgan, Sarah Van Rij, Pierre Sorgue, Patrick Swirc, Marion Vignal.

© Isaac Marley Morgan/Voyageurs du Monde - Sarah Van Rij/Voyageurs du Monde - Osma Harvilahti/Voyageurs du Monde

Photogravure : Cesar Graphic  Impression : Imprimerie Peau  Édition : mars 2020.

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Crédits photos couverture/4e de couverture : Isaac Marley Morgan. Pp. 22-23, 1re ligne : Robinson House/ The Island Houses/Gili Meno ; Faustine Poidevin ; Nihi Sumba/Indonésie ; The Impossible Beach House/The Islande Houses/Bali ; Playa Viva/ Mexique ; 2e ligne : Habitas/Mexique ; Nay Palad Hideaway/Philippines ; Mnemba Island Lodge/Tanzanie ; Las Islas/Colombie ; Crusoe House/The Island Houses/Gili Meno ; 3e ligne : Greystoke Mahale/Tanzanie ; The Impossible Beach House/The Islande Houses/Bali ; Habitas/Mexique ; The Impossible Beach House/The Islande Houses/Bali ; Isleta El Espino/Nicaragua. Les prix indiqués sont en vigueur à la date d’édition de Vacance n° 9, et susceptibles de modification. Se reporter aux conditions de vente et assurance sur voyageursdumonde.com Voyageurs du Monde S.A. au capital social de 3 691 510 €. 55, rue Sainte-Anne, 75 002 Paris. Tél. : 01 42 86 17 00 - RCS Paris 315459016. Immatriculation Atout France IM075100084. Assurance RCP : MMA – 14, boulevard Marie-et-Alexandre Oyon, 72030 Le Mans, Cedex 9 - Contrat n° 146 161 560. Garantie financière : Atradius Credit Insurance NV - 44, avenue Georges-Pompidou, 92 596 Levallois-Perret Cedex. “Voyageurs du Monde s’est engagée dans une gestion responsable de ses achats papiers en sélectionnant des papiers fabriqués à partir de fibres et de bois provenant de forêts gérées durablement. Le choix d’éditer notre brochure à l’imprimerie Peau, imprimeur écoresponsable, labellisé Imprim’Vert et certifié FSC, s’inscrit dans la continuité de notre engagement en matière de protection de l’environnement. Brochure imprimée avec des encres végétales.”

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S’imprégner de l’avant-garde ghanéenne, rencontrer un maître du feu, faire retomber la température en savourant des glaces de rêve, renouer avec la simplicité dans une hutte de paille, flâner dans une expo engagée… Sélection inspirée pour esprits curieux. 8

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Tous au Chale Wote Chaque été depuis bientôt dix ans, le quartier de Jamestown à Accra (Ghana) est le théâtre du plus grand festival de rue de l’Afrique de l’Ouest. Une semaine de fête et de créativité, à laquelle participent des milliers de personnes et plus de deux cents artistes. Avant-premières de films, expositions photo, concerts, démonstrations de boxe ou de skate, le rendez-vous est aussi un immense podium où s’exprime l’extravagance ultramoderne et joyeuse des Ghanéens. “Une façon de régénérer l’espace public”, selon les organisateurs. Et la formule “Chale wote” (“Ami, lève-toi, allons” en langue nga) marche à merveille. Chale Wote Festival, du 24 juillet au 2 août, à Accra (Ghana)

© Stephen Tayo/Accra Festival

© G. Begotti/Gamma-Rapho/Camera Press

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L’arrivée, magique, dans le port de Gialos.

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2. GREEK STYLE

Symi, éloge d’une île Symi n’a pas attendu l’invention du hashtag pour caracoler dans les “bestof ” des îles grecques. Si les stars hollywoodiennes autres newcomers s’y croisent chaque été, Homère en son temps en faisait déjà la louange. Bordé de falaises abruptes et de façades néoclassiques italiennes aux couleurs pastel, terracotta, ocre, ou mauves, le port de Gialos est un éloge à l’harmonie et la beauté naturelle. Ainsi, la kalistrata (“le bon chemin”, en grec), large allée d’escaliers de marbre de 375 marches qui mène à la partie haute du village, le Chioro (le vieux village), est parcourue chaque été de milliers de visiteurs à la journée… Le vrai visage de cette perle du Dodécanèse se révèle pourtant lorsque repart le dernier ferry. Trouver alors la bonne taverne, une chambre sur l’Égée, le meilleur itinéraire à travers les cyprès, vers les plages et les monastères méconnus : voilà l’art de voyager.

© Vincent Leroux/Voyageurs du Monde

Voyageurs du Monde – Grèce 01 84 17 21 63

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3. ARTISANAT

Sumano, de terre en fil Transmis de mères en filles, les gestes n’ont quasiment pas changé depuis l’âge du bronze. Dans la région du Rif marocain, les potières continuent de récolter dans les pentes de l’Atlas la matière première – terre, pigments, plantes – avec laquelle elles confectionnent des pièces uniques à l’aide d’un outil irremplaçable : leurs mains. De la même manière, les tisserandes de l’Anti-Atlas perpétuent l’ancestral filage de la laine et utilisent encore des teintures végétales. L’an dernier, une soixantaine de femmes berbères étaient invitées à habiller le décor du défilé Dior au Palais El Badi de Marrakech. L’atelier Sumano propose d’aller à la rencontre de ces artisanes en participant chez elles à des workshops d’une semaine. Un apprentissage façonné par la rencontre.

© Floral styling & set design Amy Humphreys/Lights Guillaume Pitel/Photo Eve Campestrini

sumano.co

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© R. Valerio/Fazenda Catuçaba

4. RETOUR À LA NATURE

La Fazenda Catuçaba : aux racines du Brésil Dans un contexte gouvernemental climatosceptique et une déforestation amazonienne qui a pratiquement doublé en un an, le Brésil appelle à la résistance par des initiatives privées. Dans l’État de São Paulo, perchée sur les collines de São Luiz do Paraitinga environnées de forêt atlantique primaire, la Fazenda Catuçaba s’affirme comme l’un de ces bastions. Le domaine de 1850, alors consacré au café, cultive désormais l’art de se reconnecter à la terre. Une terre sacrée pour les ancêtres locaux et pour les propriétaires d’un lieu qui propose désormais des expériences de trois jours à plusieurs mois. Un véritable voyage, guidé par la spiritualité, la beauté brute des paysages et des maisons posées près d’une cascade ou d’un lac. Leur motto : “We are Nature”. WAN invite ses hôtes (et tous les autres) à un retour essentiel aux racines. À prolonger sur la côte sauvage, à Picinguaba, dans la propriété jumelle, pour renouer avec l’océan. wearenature.com

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5. CRYOTHÉRAPIE

L’été 2020 s’annonce brûlant et les grandes maisons givrées rivalisent de créativité pour rafraîchir des papilles qui ne savent plus à quel cornet, pot ou bâtonnet se livrer. Rien de tout cela, ça tombe bien, avec un fruttini pêche. Un frutti quoi ?! Un fruit glacé, véritable trompe-l’œil qui vous expédie en deux coups de petite cuillère en Italie, d’où il est originaire. Ananas, fruit de la passion, kaki, pomme, poire ou cabosse de cacao : toute la corbeille de fruits semble être passée au freezer  ! Do-it-yourself et très simples à réaliser, les nice creams, mélange de fruits en purée, de banane et de yaourt, sont aussi très précieuces en cas de coup de chaud. Venues d’Amérique latine, les paletas sont, elles, présentées en bâtonnets et élaborées avec beaucoup de fruits, du sucre et de l’eau. Notre coup de cœur pour cet été va aux glaces plus healthy, voire vegan (sans crème, lait, œufs, gluten). Bios et légères, car turbinées minute, leurs saveurs sont surprenantes – pétale de rose, jasmin, persil ou encore yuzu –, naturelles et 100 % irrésistibles. En somme, de quoi contenter les Français, qui se délectent d’environ six litres par personne chaque année (un chiffre stable depuis six ans). Et si les fruits givrés et autres fantaisies vous laissent de glace, il reste toujours l’éternel duo vanille-chocolat, généreux en crème et en lait. Fruttini by Mo à Paris 6e ; Bi-Rite à San Francisco ; Caffeteria del Corso à Palerme ; Caffè Sicilia à Noto ; Hana Mitri à Beyrouth ; Le Café de la Plage à Los Angeles ; Helad’oro à La Havane

© SStajic/Getty Images/iStock

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© La Isla Patagonia

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CUISINE INCANDESCENTE

La Isla, le foyer patagon de Francis Mallmann À l’origine de la cuisine était le feu. En Argentine, il est resté un élément essentiel de préparation. L’asado, barbecue argentin, connaît diverses variantes et un grand maître : Francis Mallmann. Formé à la haute cuisine en France, cet enfant patagon a vite retrouvé sa terre et l’élément sacré qu’il considère aujourd’hui comme “le prolongement de ses mains”. À 64 ans, le virtuose poursuit sa quête de maîtrise des braises. Encensé de Buenos Aires à Miami, à la tête de dix restaurants (dont un en Provence), Mallmann reste un chef “sans foyer fixe”. Mais La Isla, île perdue sur le lac La Plata, en Patagonie, tient une place à part. Une retraite privée totalement isolée (deux vols, six heures de van et une traversée) où il reçoit au compte-gouttes les aspirants à la simplicité. Faire fi de la technologie et se réunir autour d’un feu nourricier et en apprendre les subtilités. Aujourd’hui, Francis Mallmann concède une pointe de confort à ses hôtes avec trois “cabanons” sobres et chaleureux. Sa brigade s’étoffe aussi d’une poignée d’experts – anthropologue, géologue, instructeur de tango, de ski… De quoi attiser l’envie d’explorer La Isla.

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À LA CARTE

Librairie Voyageurs Hier encore au centre de tout voyage, dépliées sur un coin de table ou le capot d’une voiture, les cartes ont aujourd’hui changé de forme et de fonction. Dans un monde dématérialisé, l’outil technique, interactif, disponible depuis un téléphone mobile, a dépassé le papier. Pour autant, qu’elle soit marine, aérienne ou terrestre, la cartographie imprimée reste un choix de spécialistes et intéresse les collectionneurs. Trouver une 1/500 000 de l’Iran produite en 1973 par l’armée américaine est un sacré jeu de piste. Suivant ce fil, certains éditeurs ont fait de la carte un objet artistique, tantôt design (chez Viction:ary, ou WIJCK), tantôt rétro (Reliefs), qui une fois au mur, donne simplement envie de partir. Avec près de six mille références, la Librairie Voyageurs du Monde dispose de l’un des fonds les plus importants de France. Lire aussi notre sujet société, pp. 26-29

© Markus Kirchgessner/LAIF RÉA

Librairie Voyageurs du Monde 48, rue Sainte-Anne, Paris 2e

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8. MINIMALISME

Collection Panza : l’art et la lumière Quand la fine fleur de l’art moderne s’invite dans les jardins et salons de la Renaissance italienne… Le comte Giuseppe Panza di Biumo (1923-2010), parmi les plus grands collectionneurs européens d’art abstrait, minimaliste et pop art américain (Carl Andre, Robert Rauschenberg, Mark Rothko, Bruce Nauman…) a cédé des centaines d’œuvres à travers le monde, du MOCA de Los Angeles au Guggenheim de Bilbao. Sa villa du XVIIIe, logée aux portes de Milan sur les collines de Varèse, réunit ses dernières acquisitions. Elle héberge notamment les monumentales installations aux néons de Dan Flavin et les monochromes métalliques de David Simpson. Un lieu haut en couleur et en lumière (la base de travail de ces artistes), à l’image des paysages de Lombardie.

© Getty Images/iStockphoto

Villa e Collezione Panza 1, Piazza Litta, à Varèse

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BEACH HUTS

Hôtels de paille 4

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En cabanes tressées, nids perchés, ou bungalows éco, un retour à la simplicité et à la nature, tout près du paradis.

De Bali aux îles Gili Faite de cannage et de paille tressée, l’Impossible Beach House (2, 4, 12, 14), bicoque balinaise accrochée aux falaises, s’ouvre sur le mythique spot de surf de Bingin Beach. Installées sur l’île de Gili Meno, petit paradis indonésien que l’on atteint en bateau, les maisons Robinson (1) et Crusoe (10), sont de vrais repaires familiaux. Au programme : ambiance tropicale, meubles chinés, hamac et sieste à l’ombre des palmiers.

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Paillottes et paillettes Pour les esthètes souhaitant allier hippie et chic, direction Tulum. La gypset s’installe au Habitas (6, 13), bungalows branchés, mobilier vintage, tapis brodés et lampes en fer forgé. Du côté de la Tanzanie, on opte pour le fabuleux Mnemba (8), glamping haut de gamme et sable farine. À Sumba, les villas en chaume, teck et rotin du Nihi Sumba (3) sont perchées au milieu d’un écosystème ultrapréservé et tournées vers l’océan Indien. Vitamine Sea Pour réaliser son rêve d’un cabanon face à la mer ? On file à Las Islas (9) en Colombie ou à Playa Viva (5) au Mexique. Eau douce à la Isleta El Espino (15), îlot confetti du lac Nicaragua. Coraux colorés au Nay Palad Hideaway (7), au cœur de la mer des Philippines. En Tanzanie, retraite au Greystoke Mahale (11), sur le lac Tanganyika.

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10. EXPOSITION

Alice Neel, peintre des outsiders © Photo by Alfred Eisenstaedt/The LIFE Picture Collection via Getty Images

“Que je peigne ou non, j’ai cet intérêt démesuré pour l’humanité.” En ces quelques mots, Alice Neel résumait l’essence de son travail. Née en Pennsylvanie au tournant du XXe siècle, l’artiste a passé sa vie à (dé) peindre les “outsiders”. Anonymes de la communauté portoricaine du Spanish Harlem, militants communistes, mères célibataires, écrivains noirs ignorés, réfugiés politiques : autant de portraits reflétant les blessures et l’engagement de sa propre vie. Reconnue sur le tard, l’œuvre d’Alice Neel est un regard sans concession sur la lutte des classes, des races et des sexes qui perdurent en Amérique et ailleurs. Alice Neel – Un regard engagé, du 10 juin au 24 août au Centre Pompidou, Paris 4e

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La peintre Alice Neel, Ă 79Â ans, dans son studio new-yorkais, en janvier 1979.

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Buenos Aires

© Lucy Laucht

Quelques fondamentaux pour décoder les 48 barrios de la capitale argentine. Buena onda garantie  !

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l ’usage du monde

Pour un apéro typiquement local, optez pour

Se traduisant affectueusement par “Imbécile ”,

“CHE BOLUDO !” LE FERNET véritable boisson nationale

est une expression que vous entendrez trente-cinq fois par jour, minimum

Les habitants de Buenos Aires, surnommés

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MILONGA (là où l’on danse le tango), on prend quelques leçons privées avec des locaux

argentine explose sur la scène latino-américaine

sont les descendants d’immigrés européens arrivés par bateau

Buenos Aires serait la ville qui possède le plus de

meilleurs joueurs de polo du monde sont tous argentins

Mélange de hip-hop, de rap, d’électro et de reggaeton,

LA TRAP

LES PORTEÑOS

Les

Avant de s’aventurer dans une

LIBRAIRIES au monde (coup de cœur pour El Ateneo, installée dans un ancien théâtre)

Quel club de foot ?

BOCA JUNIORS OU RIVER PLATE ?

À Buenos Aires, quand on rencontre quelqu’un, c’est une des premières questions à poser

Ici on parle le

Synonyme de partage et d’amitié,

LE MATÉ

LUNFARDO Un argot aux racines espagnoles, italiennes et françaises. Il est aussi la langue du tango

est une infusion ancestrale qui ne se refuse jamais

L’expérience ultime pour les carnivores ?

Avant de rentrer dans les ordres, l’Argentin Jorge Mario Bergoglio, aka

L’ASADO PAPE FRANÇOIS ou l’art d’un barbecue argentin

a été videur dans une boîte de nuit

avec les meilleures pièces de bœuf du monde

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© Armelle Caron, Le Monde rangé

Dès 2012, l’artiste plasticienne Armelle Caron s’est attelée à un travail cartographique étonnant. En segmentant et en mettant à plat les pays, elle bouscule les représentations et nous incite à revoir notre lecture du monde.

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Vision du monde subjective, la carte dessine, au-delà des frontières, les contours et les rouages du pouvoir. Discipline éminemment politique, longtemps aux mains des grandes puissances, la cartographie s’est démocratisée, notamment via les outils numériques, devenant un instrument de militantisme œuvrant pour plus d’équité.

La carte n’est pas le territoire L

géographes ont été contraints de rappeler que, comme pour tous les territoires contestés, les frontières Google Maps sont indiquées en pointillé. En quelques années, l’application est devenue malgré elle un sous-émissaire des Nations unies. Et les anecdotes ne manquent pas : en 2010, des soldats nicaraguayens plantent leur drapeau sur une île jusqu’alors costaricaine (le Nicaragua et le Costa Rica se la disputent depuis de nombreuses années), au motif que la zone aurait été placée du côté du Nicaragua par Google Maps ; en 2013, en vue des J.O. de 2016, le maire de Rio parvient à faire bannir le mot “favela” des cartes de sa ville ; en mars 2019, deux maires islandais venus des fjords se plaignent de voir leurs villes représentées enneigées de façon permanente (pas très bon pour le tourisme). “On a l’impression que ces polémiques se multiplient, mais le sujet de la représentation cartographique est en fait tendu depuis des siècles, explique Fabrice Argounès, chercheur associé à l’UMR Géographie-Cités. Sous la Renaissance, seuls les riches avaient accès à ces documents, aujourd’hui cet accès s’est démocratisé.” Exercice complexe et onéreux, la cartographie moderne a longtemps été l’apanage des grandes puissances, capables de l’encourager et d’en développer les techniques. Les outils numériques ont laissé davantage de place aux firmes privées. Mais il ne faut pas s’y tromper,

ONDON SCHOOL OF ECONOMICS, MARS 2019. ALORS QU’UN IMMENSE GLOBE TRÔNE au milieu de la prestigieuse école de commerce, des chuchotements commencent à se faire entendre parmi les étudiants rassemblés dans le campus de l’université à l’occasion du dévoilement de l’œuvre. The World Turned Upside Down est une immense sculpture de quatre mètres de haut, qui comme son nom l’indique est un globe retourné, posé sur le Pôle Nord. Derrière l’œuvre, l’artiste britannique Mark Wallinger, qui souhaite vraisemblablement désorienter son audience, habituée à ce que chaque pôle soit à sa place… À la London School of Economics, si l’intention n’a l’air de déranger personne, la réalisation, elle, est soumise aux critiques et réclamations des étudiants (la Palestine est absente du globe, la représentation de Taïwan est très controversée…). Pétitions et actes de vandalisme se sont multipliés. Google Maps, sous-émissaire des Nations unies Ça n’est pas la première fois qu’un tel sujet pose problème. En 2016, Google Maps, champion de la mappemonde toutes catégories, se retrouve sous le feu des critiques après qu’un collectif gazaoui lui reproche d’avoir supprimé la Palestine de la carte. La firme américaine ainsi que des 27

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ce sont toujours ces mêmes puissances étatiques qui détiennent le pouvoir de dessiner le monde. La preuve : sur Google Maps, chaque pays peut avoir un droit de regard sur ses frontières. Si vous vous connectez sur le site américain depuis la Russie, vous pourrez voir que la Crimée lui est rattachée. Depuis l’Ukraine, il en est autrement… Un biais qui existe chez le géant américain, mais aussi chez ses concurrents. Le chinois Baidu Maps a, lui, produit une carte de Chine qui englobe à la fois Taïwan et la Chine méridionale.

“Cette projection a d’abord été une grande réussite scientifique qui a permis aux navigateurs maritimes de se diriger plus facilement, explique Laurent Jégou, ingénieur cartographe à l'université Toulouse-II Le Mirail et docteur en géographie. Malgré son incapacité d’y faire figurer les pôles, elle a toujours été utilisée dans l’histoire, les cartes les plus répandues étant celles des navigateurs. Or, elle pose un vrai problème géopolitique : les surfaces des pays dits ‘du Sud’ se sont retrouvées sous- représentées et, à l’inverse, celles des États-Unis, de l’Europe ou de la Russie agrandies. Une carte de propagande américaine célèbre datant de la Guerre froide a même utilisé cette distorsion pour donner une image inquiétante des territoires sous influence soviétique.” Il faudra attendre 1973 et la projection Gall-Peters pour que les proportions entre représentations cartographiques et surfaces réelles des pays et continents soient rééquilibrées et donc plus fidèles à la réalité. Et Laurent Jégou de poursuivre : “Quand les premiers sites internet ont créé des cartes interactives, c’est la projection de Mercator qui a été choisie par Google Maps et ses concurrents. Récemment, le site a pris en compte les soucis de représentativité et a proposé un globe, 3D, interactif dans son application.”

Pays du Nord vs pays du Sud Des faits qui nous apprennent que, de tout temps, la carte est loin d’être un simple document que l’on plie et que l’on oublie dans les greniers ou que l’on chine sur une braderie d’antiquaires. Une carte du monde, c’est avant tout le choix d’une projection, donc d’une forme de subjectivité, avec ses distorsions, son centrage. Une sorte de trahison du territoire lui-même. Antérieures aux grandes expéditions colonisatrices, les premières mappemondes, apparues dès le VIIIe siècle, et les premières cartes produites au Moyen Âge, sont de véritables pépites. En 1569, Gérard Mercator, éminent géographe, crée depuis les Pays-Bas la “projection de Mercator”. Tout le monde – ou presque – s’étant accordé pour dire que la Terre était ronde, l’enjeu était maintenant de pouvoir la représenter à plat. Ce faisant, pour des raisons géométriques, le procédé augmente sensiblement la représentation de la taille des régions éloignées de l’Équateur. La Russie semble immense, bien plus que le Brésil par exemple. Pourtant, le temps de vol est long entre Boa Vista au nord et Porto Alegre au sud (environ huit heures)…

repères —

Un moyen d’inverser le pouvoir Le projet du cartographe allemand Arno Peters s’inscrit rétrospectivement dans un courant plus large, à mi-chemin entre la géographie et les sciences sociales, connu sous le nom de “cartographie critique”. Développé à la fin des années 1980 par le géographe, cartographe et historien des cartes Brian Harley, ce courant critique défend l’idée qu’aucune carte n’est neutre ou innocente. Son ouvrage, Le Pouvoir des cartes, est devenu une réfé-

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Le géographe et mathématicien flamand Gerard De Kremer, connu sous son nom latinisé de Gerardus Mercator, met au point un procédé, la projection Mercator, pour représenter la surface de la Terre (sphérique) sur une carte (plane). En somme, l’invention du GPS.

La projection Mercator déformant la réalité, le cartographe allemand Arno Peters propose la projection Gall-Peters qui, elle, maintient la proportion entre les surfaces sur la carte et les surfaces réelles. Mais ça n’est pas encore assez précis…

Créé en 1999 (mais seulement médiatisé à partir de 2016) par l’artiste et architecte japonais Hajime Narukawa, l’AuthaGraph, inspiré de la projection Fuller (1946), est aujourd’hui considéré comme la plus fidèle représentation de la Terre. Cette carte est désormais utilisée dans les écoles japonaises.

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Non, le Groenland ne fait pas la taille de l’Afrique, contrairement à ce que vous a indiqué votre sous-main en plastique durant toute votre scolarité.

L’enjeu climatique dans la balance Si vous souhaitez voir à quoi ressemble vraiment la Terre, à plat, la représentation la plus juste serait celle de du Japonais Hajime Narukawa, qui s’est lui-même inspiré de la projection de Fuller (1946) ou Dymaxion Map (qui représente la Terre sur un icosaèdre, ou polyèdre à vingt faces. Ces vingt faces deviennent des triangles sur lesquels sont projetés vingt morceaux de Terre, qui de cette manière subissent très peu de distorsion). La projection AuthaGraph conserve ainsi les tailles des continents et océans tout en réduisant la distorsion de leurs formes. Un planisphère qui implique donc une perception de lecture universelle, sans hiérarchisation des terres émergées. Tous les Terriens sont ainsi à égalité de traitement (cartographique). Dans une conférence TED de 2017, Hajime Narukawa rappelle surtout que cette projection permettrait de repenser la question du changement climatique. En inversant le rapport entre la terre et la mer, c’est-à-dire en représentant la mer comme une immense étendue océanique positionnée au centre de la carte et non coupée en deux en son centre (un peu de Pacifique à gauche des États-Unis, un peu à droite de la Corée), l’eau reprendrait alors toute sa place sur notre planète. Et toute son importance dans les enjeux environnementaux.

rence en la matière. Laurent Jégou : “Ce courant est né de la prise en compte du rôle de la cartographie comme outil de pouvoir ou de préservation du pouvoir, de communication, voire de propagande…” “Nous vivons dans un nouvel âge d’or des cartes”, écrivait en 2013 pour Slate. com le journaliste Will Oremus en attaque de l’un de ses articles. Ainsi, le site Reddit propose le forum “MapPorn”, sur lequel des centaines de cartes sont partagées quotidiennement. À l’heure de l’open source, des sites comme The True Size of… souhaitent par exemple remettre les choses à leur place : en tapant le nom d’un pays et en le portant sur un planisphère, chaque État se trouve représenté à sa juste envergure. L’occasion de réaliser que, non, le Groenland ne fait pas la taille de l’Afrique, contrairement à ce que vous a indiqué votre sous-main en plastique durant toute votre scolarité. La carte, cette “data” comme les autres, connaît donc un véritable regain d’intérêt. En quelques années, la cartographie est devenue un instrument de militantisme et sa production, décentralisée, un moyen d’inverser le pouvoir. “Avec les premiers récits d’explorateurs, les noms locaux ont progressivement disparu au profit de nouveaux noms, européens, précise l’universitaire Fabrice Argounès. Aujourd’hui, certaines populations demandent une réhabilitation du nom de leur territoire, comme en Nouvelle-Zélande, par exemple, avec des noms maoris.” À l’instar aussi des Amérindiens, dépossédés de leur histoire (et de leurs terres) par des hommes et des cartes qui les ont longtemps ignorés…

Par RAPHAËLLE ELKRIEF

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L’alien des mers Elle inquiète autant qu’elle fascine. Espèce en voie de prolifération, la méduse en dit long sur l’état de nos océans. Elle cache cependant, dans ses étranges bulbes, des trésors complexes et insoupçonnés.

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Des qualités médusantes — Chironex fleckeris, la mortelle Ses millions de miniharpons sont chargés d’une toxine mortelle. Surnommée “main de la mort” ou “guêpe de mer”, elle serait responsable de centaines de morts chaque année. Elle sévit surtout en Australie où elle aurait tué plus de monde que les requins et les crocodiles de la région réunis.

Turritopsis nutricula et Turritopsis dohmii, les immortelles Si elles sont considérées ainsi, c’est qu’elles sont dotées d’une étonnante faculté de rajeunir et de se régénérer. Bien que certaines finissent tout de même par mourir, le mécanisme de leurs cycles de vie demeure mystérieux. En attendant, elles envahissent silencieusement la planète.

Aequorea victoria, la guérisseuse Sa beauté luminescente, atout indispensable pour éblouir ses prédateurs, est due à deux protéines, l’aéquorine et la GFP (green fluorescent protein). Cette dernière est déjà beaucoup utilisée dans la recherche contre le cancer. Et a valu aux chercheurs le prix Nobel de chimie en 2008.

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A PREMIÈRE PUISSANCE MONDIALE N’EST PAS TOUJOURS CELLE QUE L’ON CROIT. Le 27 juillet 2006, le porte-avions amé-

ricain à propulsion nucléaire USS Ronald Reagan, en exercice dans les eaux territoriales australiennes, fut contraint d’évacuer le port de Brisbane sous la menace d’une armée… de méduses. Neuf tonnes de plancton gélatineux, aspirées dans le système de refroidissement du navire qui, l’espace d’un instant, firent tanguer l’Amérique. Au-delà des piqûres urticantes, voire mortelles chez la minuscule Chironex fleckeri (l’animal le plus dangereux d’Australie capable de foudroyer un homme en trois minutes), les exemples apocalyptiques ne manquent pas : centrales nucléaires obstruées en Écosse, en Suède, au Japon, black-out général aux Philippines… Des scénarios loin de l’épiphénomène, notamment dans l’archipel nippon qui fait face à une invasion massive de Nemopilema nomurai. Ces mastodontes atteignant plus de deux tonnes pour deux mètres de diamètre, dérivent à foison dans la mer Jaune depuis les côtes chinoises et ont déjà entraîné par le fond un chalutier persuadé d’avoir dans ses filets la prise du siècle… Maigre revanche de la mer sur les hommes : “La prolifération des méduses est un marqueur bien visible des conséquences de l’activité humaine et du réchauffement climatique sur les océans”, lance Étienne Bourgouin, biologiste spécialisé de l’Aquarium de Paris. Avec une trentaine d’espèces représentées, le médusarium créé en 2019 sous l’influence de son propriétaire japonais, est à ce jour le plus important d’Europe. Une attraction éducative de plus en plus convoitée, qui en coulisse permet aux scientifiques d’en savoir plus sur ces “aliens marins”, dont le règne a commencé en silence il y a 650 millions d’années. À la conquête des océans… et du monde Les colloques qui se multiplient à travers le monde soulignent trois facteurs de prolifération. En tête, la surpêche. La réduction drastique du nombre de leurs prédateurs – requins, thons, sardines, harengs – est une aubaine pour ces mangeuses de zooplancton, mais aussi de larves de poissons (l’Irlande et la Norvège ne comptent plus le nombre d’élevages de saumons décimés). Souvent citée, la Namibie paye les frais de sa pêche excessive depuis un demi-siècle. Les “blooms” (éclosions massives) d’Aequorea victoria ont accéléré la disparition des bancs de sardines et d’anchois. Le voisin sud-africain, plus sensible à la problématique, limite la casse. Autre facteur aggravant : le réchauffement climatique. “Les variations de températures et les tempêtes sont deux éléments déclencheurs du processus d’éclosion”, explique Étienne Bourguoin. Les études menées ces trente dernières années en Méditerranée sur la Pelagia noctiluca, par l’éminente ichtyologue française Jacqueline Goy, confirment : le cycle de prolifération de ce petit cauchemar récurrent de nos étés serait passé de douze à trois ans. Troisième grand facteur d’expansion : la pollution. Si, comme d’autres pélagiques, elles sont sensibles à la qualité de l’eau, les méduses supportent parfaitement l’eutrophisation (l’asphyxie de l’écosystème marin). Une grave augmentation de soufre

dans l’eau aurait par exemple très peu d’impact sur une espèce qui a déjà survécu aux cinq extinctions de masse. Dans les étuves du médusarium parisien, les polypes de méduses en devenir croissent tranquillement sur des supports en plastique, un matériau qu’elles affectionnent particulièrement. Ainsi, le vortex de déchets du Pacifique Nord (d’une superficie égale à trois fois la France) constitue une gigantesque pouponnière composite. Frissons. La gélification des océans semble bien difficile à stopper. Et les tentatives de parades font flop. À coups de millions, les ingénieurs chinois ont mis au point un filet broyeur réduisant en pièces l’ennemi décérébré. C’était mal connaître les capacités d’un organisme simple mais d’une redoutable ténacité. Issues de la même branche que les coraux, les méduses maîtrisent le clonage… Coupez-leur un tentacule, il repousse ; tranchezleur la tête, elle bourgeonne ; hachez-les menu, vous libérez leurs gamètes et en faites des milliers. Il se passe des choses étranges chez ces démogorgons des mers. Les scientifiques s’y intéressent de près Si leur inventaire a débuté en 1800 (voir les spectaculaires dessins de Charles-Alexandre Lesueur et de Ernst Haeckel), la génomique aide les scientifiques à s’en approcher de plus en plus près. Et le fond des océans n’a pas fini de surprendre. L’an dernier, au large de l’île Socorro, Halitrephes maasi, véritable ovni aux allures de feux d’artifice, a été aperçu pour la première fois. Les biologistes maîtrisent désormais le cycle de reproduction des méduses (une fécondation donnant un polype, fixé tel un corail, dont les larves se détachent en pétales), mais les mystères subsistent. La classe des cubozoaires (la plus évoluée et la plus redoutable) est dotée d’un œil à la base de chaque tentacule, avec lentille et cornée capables de composer des images en couleurs, mais dans quel but ? Une oreille interne lui permet de percevoir sa position dans l’espace, mais comment synthétise-t-elle la roche complexe qui la constitue ? Pourquoi est-elle dotée du goût ? Généreuses, les méduses livrent pourtant de précieux secrets. La pharmaceutique s’intéresse beaucoup au collagène de leurs ombrelles, qui représente aussi une solution de captation des microplastiques de l’océan. Composées d’eau à 90 % et de quelques vitamines B, elles font saliver l’Asie du Sud-Est vers qui le Mexique exporte 250 000 tonnes de Stomolophus meleagris, substitut idéal face à la pénurie de crevettes. En 2008, un prix Nobel de chimie a été obtenu grâce aux recherches menées sur la protéine fluorescente de l’Aequorea victoria qui sert en médecine à isoler des cellules. Enfin, la Turritopsis nutricula a aussi son point fort : capable de se régénérer, elle serait immortelle… Dernier atout de ces monstres : leur beauté. De nombreux médusariums ont ainsi ouvert à travers le monde, et face au ballet doré des Chrysaora fuscescens, aux pulsations zen des Lychnorhiza lucerna, les regards, médusés, plongent dans une autre galaxie.

Par BAP TISTE BRIAND

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Les sublimes sublimes Marpessa Marpessa Dawn Dawn Les et Breno Breno Mello, Mello, incarnations incarnations et rêvées d’Eurydice d’Eurydice et et d’Orphée d’Orphée rêvées pour le le réalisateur réalisateur français français pour Marcel Camus. Camus. Marcel

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Le mythe du Brésil Portrait d’une ville, Rio de Janeiro, en pleine effervescence carnavalesque, Orfeu negro, film solaire de 1959 signé Marcel Camus, est aussi une ode à la beauté. Une parenthèse sensuelle dans laquelle s’égrènent les prémices de la bossa. N CETTE FIN DES ANNÉES 1950, LE BRÉSIL MÈNE LA DANSE. Sur les terrains de foot d’abord, en remportant la Coupe du monde 1958 grâce à un joueur de 17 ans nommé Pelé, qui se distingue par sa ginga, un jeu de jambes inspiré par la capoeira. Et l’année suivante, au Festival de Cannes, dont le jury unanime décerne sa Palme d’or au “film brésilien” de Marcel Camus, Orfeu negro, alors que deux futurs classiques étaient en lice (Les 400 Coups de Truffaut et Hiroshima mon amour de Resnais). En 1960, Orfeu negro reçoit l’Oscar du meilleur film étranger à Hollywood. Ultime consécration pour un film qui agit sur le public et les jurés des festivals comme un enchantement. En cette fin des années 1950, la France et les ÉtatsUnis sont rattrapés par le passé : guerre coloniale pour la première et luttes raciales pour les seconds. Film solaire, musical et plein de beaux sentiments, Orfeu negro offre une parenthèse idyllique, un antidote au pré-

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sent. Dans le Brésil filmé par Marcel Camus, des Noirs beaux comme des dieux innocents dansent, chantent et s’aiment jusqu’à la mort. Orfeu negro est une adaptation du mythe antique d’Orphée et Eurydice, transposé dans une favela de Rio de Janeiro au moment du carnaval. Beaux à faire fondre le Pain de Sucre La genèse du projet remonte à 1942, quand le poète et diplomate brésilien Vinícius de Moraes, troublé par la beauté des corps cariocas qu’il compare à ceux des sculptures antiques, imagine le mythe d’Orphée sur fond de carnaval. Douze ans plus tard, en poste à Paris, il souffle son idée au producteur de cinéma Sacha Gordine, qui veut en faire un film. En 1956, Vinícius de Moraes écrit, puis fait jouer la pièce Orfeu de conceição. C’est la première fois que des acteurs noirs montent sur la scène du Théâtre municipal de Rio de Janeiro, et c’est un succès.

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Le film Orfeu negro sera tiré de la pièce. Son financement est difficile. Au Brésil, certains craignent qu’il nuise à l’image de leur pays. De plus, Marcel Camus veut mettre en scène la classe populaire noire et est en quête d’acteurs amateurs. Pour les trouver, il fait publier des annonces dans la presse locale, en vain. Finalement, c’est sur un terrain de sport que s’incarne Orphée, à travers le corps élancé de Breno Mello, un footballeur professionnel ami de Pelé et vierge de toute expérience au cinéma. Quant à Eurydice, ce sera une comédienne chanteuse américanophilippine installée à Paris, la sublime Marpessa Dawn. Tous deux sont beaux à faire fondre le Pain de Sucre, et c’est tout ce qui compte pour Camus. Une BO envoûtante Car Orfeu negro est d’abord un film sensuel, de corps qui dansent, se touchent, s’exposent, se découvrent. Dès les premières minutes du film, des jambes de femmes ondulent sur les chemins escarpés du morro. La chemise ouverte sur le torse de Breno Mello n’est pas moins attirante que la chevelure noire de Marpessa Dawn. Tous deux sont des statues en mouvement. Même la guitare d’Orphée, qui passe de mains en mains dans une belle scène du film, appelle la caresse. Orphée est musicien et un peu magicien. Les enfants, qui l’adorent autant que les femmes, pensent qu’il a le pouvoir de faire naître l’aube avec sa musique. Quelques notes de guitare sur une mélodie de soleil voilé, qui sont la signature sonore et la vraie postérité d’Orfeu negro.

Orfeu negro peut se regarder les yeux fermés, en se laissant guider par la musique qui l’anime du début à la fin.

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Les enfants adorent Orphée, qu’ils voient comme un magicien capable de faire naître l’aube avec sa musique.

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© Bridgeman Images

En salles en 1959, le film a reçu la Palme d’or cannoise la même année. En 2016, une version restaurée rend hommage aux teintes vives de Rio.

Cette musique a été composée par Luiz Bonfá, Vinícius de Moraes et Antônio Carlos Jobim, qui se sont connus à l’occasion. Ces hommes, associés à Elizeth Cardoso et João Gilberto, sont en train d’inventer la bossa. Les mélodies du film en sont l’exquise esquisse. Orfeu negro peut ainsi se regarder les yeux fermés, en se laissant guider par la musique qui l’anime du début à la fin. On y entend aussi des batucadas, le frevo du Nordeste, les percussions des écoles de samba ou une cérémonie macumba (le vaudou carioca). D’ailleurs, au Festival de Cannes, le film fut projeté en portugais sans sous-titres. Le jury a-t-il récompensé le film, ou d’abord son envoûtante BO ?

naval ont été reconstituées et celles d’intérieur jouées en studio. Pas de propos ouvertement politiques ici. À moins que réaliser un film sur une communauté noire dans le Brésil des années 1950 soit un acte politique en soi… Pas de lendemains qui chantent Après Orfeu negro, Marcel Camus épousa son actrice Lourdes de Oliveira (qui jouait Mira, la rivale d’Eurydice) et réalisa plusieurs films sans renouer avec le succès public avant 1970 et Le Mur de l’Atlantique. Breno Mello fit un peu l’acteur, puis revint à sa carrière de footballeur, pour finir vendeur d’encarts publicitaires à Porto Alegre. De retour en France, Marpessa Dawn sortit des disques, joua dans de rares films, interpréta le premier rôle de la pièce Chérie noire en 1966, et eut cinq enfants tout en restant la plus belle femme au monde. Aucun des trois n’a connu le statut de star que pouvait annoncer le succès d’Orfeu negro – point culminant, sans lendemains qui chantent. L’unique superstar née dans ce film est la musique brésilienne. Troublant épilogue pour Breno Mello et Marpessa Dawn : ils sont tous deux morts en 2008, à un peu plus d’un mois d’intervalle. Réunis dans la mort une seconde fois. Les poètes de l’antiquité n’auraient pas imaginé mieux.

Entre contestation et succès Mais au Brésil, Orfeu negro est mal reçu. On lui reproche son exotisme naïf, son goût pour les panoramiques de carte postale, ses couleurs trop vives. Le cinéma brésilien vit alors sa nouvelle vague, dont les protagonistes voient d’un œil mauvais ce film français si classique dans sa forme, qui vient leur montrer leur pays. Peut-être que la classe dominante blanche n’apprécie pas cette esthétisation poétique de la peau noire. Avec ses figurants aux grands sourires édentés et ses scènes de préparatifs de carnaval, Orfeu negro ressemble parfois à un documentaire. Pourtant, comme dans la tragédie antique et le théâtre dont il est issu, le film n’est qu’illusion, décor, artifice, parfois aux confins du fantastique. Les scènes de car-

Par STÉPHANE DESCHAMPS

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© Matthieu Salvaing

flash-back

Rio en Carioca — Depuis plus d’un siècle, chaque mois de février, le carnaval de Rio embrase la ville. Quatre jours durant, l’ensemble de la cité est une immense liesse. Vivre pleinement l’événement requiert cependant une certaine maîtrise, et Voyageurs du Monde propose de suivre les pas d’un Français installé sur place. Loger dans le quartier arty de Santa Teresa, accéder aux coulisses et aux répétitions d’une école de samba, rencontrer les musiciens, découvrir les meilleurs spots et moments des parades… La meilleure façon d’expérimenter le carnaval en bon Carioca.

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© Laura Boushnak/The New York Times-Rédux-Réa

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Les CaiRollers à l’entraînement.

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Les résistantes du Caire Une Néfertiti rouge en patins à roulettes. C’est le logo du seul club de roller derby féminin d’Égypte. Sous le nom de CaiRollers, elles font depuis 2012 leur propre révolution, et envoient valser les diktats d’une société ultraconservatrice.

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LLES ONT DE DRÔLES DE SURNOMS, TYPIQUES DES JOUEUSES DE ROLLER DERBY : Susan Nofeartiti , Naughty Van Close, Minnie Mean, etc. Sous les patins, la rage de vivre. Un peu plus libres, un peu moins seules. Deux fois par semaine, une trentaine de jeunes femmes chaussent leurs patins à roulettes, passent un minishort sur des collants noirs, ajustent leur hijab sous leurs casques ou dénouent fièrement leurs cheveux. Ainsi habillées, les CaiRollers sont des résistantes. Seule et unique équipe de roller derby d’Égypte, les CaiRollers ont toujours été déterminées à vivre leur passion, et ce malgré les galères : coût du matériel, difficultés à trouver des équipes adverses et des lieux où s’entraîner, faire face aux préjugés dans une société très conservatrice… Faire progresser les mentalités Créé en 2012, dans la foulée de la révolution égyptienne, ce club de roller derby fut un exutoire pour de nombreuses femmes, même si convaincre des Égyptiennes de se joindre au jeu fut parfois compliqué. “Encore aujourd’hui, je n’en reviens pas des réactions et du débat sur l’indépendance de la femme que la création de cette équipe a suscités, explique Shaneikiah Bickham, 34 ans. Je voulais juste rouler, me faire des amies car j’arrivais seule des États-Unis pour travailler en

Égypte comme enseignante. Je me rappelle encore de nos premiers entraînements : nous nous retrouvions le soir au centre sportif d’al- Gazira, qui était fréquenté par des hommes qui jouaient au football ou au basket. On se moquait de nous, de la manière dont nous étions habillées, de nos chutes. Pareil en extérieur : des voitures s’arrêtaient pour nous siffler et lancer des remarques désobligeantes. Ce n’est qu’au bout de quelques mois que les gens ont commencé à nous poser des questions sur le jeu et ses règles.” Car des règles, il y en a beaucoup. Le roller derby, discipline apparue aux États-Unis aux débuts des années 1930, est une course de contact entre deux équipes qui se pratique sur un terrain de forme oblongue. Chaque équipe compte quinze joueuses s’affrontant au cours de jams de deux minutes (un match est composé de deux périodes de trente minutes, avec une pause de quinze minutes). Sur la piste, cinq joueuses, quatre “blockeuses”et une “jammeuse” qu’on identifie grâce à son casque-étoile. Chaque joueuse de l’équipe adverse dépassée rapporte deux points. Tout l’enjeu étant d’aider sa jammeuse à passer et bloquer celle de l’adversaire. Nouran Elkabbany intègre l’équipe deux ans plus tard, en 2014, à une époque où le sport pour une femme se limitait encore au ballet ou à une activité en salle – yoga, aérobic, zumba. Comme beaucoup de nouvelles recrues, cette

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“Encore aujourd’hui, je n’en reviens pas des réactions et du débat sur l’indépendance de la femme que la création de cette équipe a suscités.” – Shaneikiah Bickham, cofondatrice des CaiRollers

jeune trentenaire a découvert le roller derby sur les réseaux sociaux. Lors de ses premiers matchs, elle avait pris l’habitude de dire à ses parents et ses proches qu’elle se rendait à un cours de danse, puis de skate, avant de prendre son courage à deux mains, au bout d’un an : “C’était un secret au début. Mais très vite, le roller derby est devenu une passion. Ce sport faisait partie de ma vie. Un soir, alors que mes parents étaient tranquillement assis à discuter, j’ai crié : ‘Je fais du roller derby et quoi que vous direz, je ne changerai pas’. Ils ne s’y sont pas opposés. Ils ont compris que je ne leur demandais pas la permission. Désormais, mes amis viennent me voir lors des événements que nous organisons et ils trouvent cela très cool.” Solidaires et fortes ensemble Plus qu’un sport, certaines trouvent dans le roller derby une nouvelle famille, ou des amies qu’elles n’auraient jamais rencontrées autrement. “Lorsque j’étais à l’hôpital, elles sont toutes venues me voir… Lorsque ma mère est morte, elles m’ont apporté des petits plats pendants des mois, c’est ça aussi le roller derby”, ajoute Shaneikiah Bickham. Un esprit d’entraide qui favorise la mixité : dans l’équipe, les joueuses viennent de tous les milieux – aisés et plus pauvres, catholiques et musulmans, jeunes et moins jeunes, célibataires et mères de famille, sportives, simples amateurs. D’autres équipes n’hésitent pas à apporter du matériel de roller, former des joueuses à l’arbitrage, organiser des entraînements communs, du partage de connaissances. Ce qu’a fait le MRDC (le Marseille Roller Derby Club) avec ses Bloody Skulls en avril 2017. Les deux équipes se sont rencontrées pour jouer le premier match de la discipline au MoyenOrient. Au-delà de la passion qui les unit pour ce sport, elles avaient la volonté d’exprimer leur combat commun,

de chaque côté de la Méditerranée, d’affirmation et d’empowerment féminin. Montrer qu’on peut être une femme, pratiquer un sport de contact, accuser le coup, se relever et continuer à jouer. Une révolution intime Aujourd'hui, il existe près de 400 ligues de roller derby sur la planète. Le monde arabe en compte deux : un club aux Émirats arabes unis et les CaiRollers en Égypte. Toujours aussi déterminées, elles ont lancé au printemps 2019 un appel aux dons pour tenter de participer aux premiers jeux de roller derby trans-africains de l’histoire, à Johannesburg. Malheureusement en vain – la campagne de crowdfunding n’ayant pas atteint le niveau de financement escompté. Alors, elles continuent de s’entraîner dur. “Nous avons peu l’occasion de nous mesurer à de grandes équipes, mais nous nous inspirons beaucoup de ce que nous voyons sur internet et Instagram. Dans un premier temps, le plus important est de faire connaître le roller derby et d’encourager les gens à venir nous voir au Caire”, commente la coach. En plus de porter une révolution intime – le roller derby leur permet de se réapproprier leurs corps, de prendre confiance… –, les CaiRollers ne cessent de se lancer de nouveaux défis, revendiquant leur indépendance et leur fonctionnement collectif (une prouesse dans un pays où tous les sports sont gérés par de gros clubs privés affiliés au gouvernement). Un combat mené patins aux pieds. À chacun ses armes.

Par JESSICA JOU VE

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Faire du roller derby dans un pays où quasiment aucune femme ne pratique un sport au-delà de l’école primaire est un acte de revendication puissant. Les CaiRollers dictent leurs règles. Et leur logo est un clin d’œil à une autre femme forte d’Égypte.

en chiffres —

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ligues de roller derby existent dans le monde arabe contre 400 sur toute la planète.

© Laura Boushnak/The New York Times-Rédux-Réa

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minutes. C’est la durée maximale des jams au cours desquels les joueuses s’affrontent.

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mois de salaire minimum sont nécessaires pour pouvoir se payer une paire neuve de patins (soit environ 250 euros).

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Matthieu Ricard “Envisager l’harmonie durable”

Moine bouddhiste, écrivain, humanitaire et photographe, Matthieu Ricard est également un homme de sciences. Face à la situation environnementale actuelle, son analyse touche juste. Des solutions clairvoyantes à méditer. Rencontre avec le pdg de Voyageurs du Monde, Jean-François Rial. 44

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Š Patrick Swirc

Paris, novembre 2019.

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© Patrick Swirc

Matthieu Ricard et Jean-François Rial. Paris, novembre 2019.

se motiver émotionnellement face à des événements qui se produiront dans trente ou cinquante ans. Qui plus est, les individus ne se sentent pas directement responsables. La dilution de la responsabilité dans le temps et le nombre de personnes concernées est un vrai défi à la détermination d’agir. Nous faisons face à l’ignorance et à un certain égoïsme institutionnalisé. Je parle des gouvernements et des banques qui financent encore à 75 % les énergies fossiles. Cela représente 500 milliards de dollars par an, alors qu’ils refusent de trouver le budget pour aider les pays en voie de développement à exploiter davantage des sources d’énergies renouvelables. Les lobbies restent très puissants.

Jean-François Rial – Parmi les problèmes écologiques auxquels nous sommes confrontés, lequel vous paraît le plus urgent ? Matthieu Ricard – Tous ces problèmes sont liés. L’acidification des océans, l’augmentation des gaz à effets de serre, tous ont une importance capitale. Pour autant, la perte de biodiversité me paraît être la première urgence car elle est irréversible et va transformer la planète que nous connaissons. Nous avons perdu 30 % des espèces et assistons à une régression des populations, 40 % en moyenne, jusqu’à 80 % en ce qui concerne les insectes en Europe dans les trente dernières années. Ce phénomène n’est pas anodin car il déséquilibre l’ensemble de notre monde. Les causes des disparitions sont multiples : le réchauffement climatique, l’appauvrissement des sols, la destruction des biotopes…

Peut-on encore changer le cours des choses ? Oui, sur certains points. Dans le meilleur des cas, l’inversion de la courbe climatique prendra du temps, cent cinquante ans… Ni nous ni nos petits-enfants ne verrons le changement, mais sans doute les générations suivantes. À condition, bien sûr, d’agir dès maintenant. Comme l’explique le professeur Johan Rockström, l’Holocène, cette période de grande stabilité climatique qui a duré dix mille ans avant que nous mettions tout par terre en cent ans, représente notre paradis. Elle a permis la sédentarisation, le développement de l’agriculture, l’accumulation des richesses qui – avec le progrès scientifique et médical – nous ont amenés à croître de 5 millions d’individus à plus de 7 milliards. Les périodes précédentes étaient beaucoup plus “rock’n’roll” avec des chocs de 4 à 5 degrés, menaçant l’espèce humaine dont la population a chuté parfois à 50 000 individus. Nous avons failli ne plus exister. En revanche, même si le climat est rétabli, les espèces disparues ne reviendront pas. Or, si nous les laissons tranquilles, les

Comment est-on arrivé à une telle situation, sans réagir ? Le drame tient à ce qu’elle se produit graduellement. Les événements très soudains – un incendie, un tremblement de terre – alarment car ils sont immédiats, visibles et impressionnants. Malheureusement, l’augmentation du CO2, elle, est impalpable. Un exemple : la lente destruction des haies dans nos campagnes retire aux oiseaux leurs lieux de nidification avec des conséquences irréversibles. Si je me souviens de mes promenades adolescentes, sur les traicts du Croisic, j’observais des milliers de limicoles et de bernaches. Aujourd’hui, il en reste à peine quelques centaines. C’est un choc pour moi, mais pour celui qui assiste progressivement à la régression, cela n’a pas le même impact. Il est difficile de

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petite conversation

animaux prospèrent rapidement. C’est le cas aux environs de Tchernobyl, où la faune a augmenté. Idem dans la zone démilitarisée entre les deux Corée, on trouve une espèce d’ours qui avait presque disparu. Dans les océans, depuis que la communauté internationale tente de protéger les grands cétacés, ils sont plus nombreux. Un article de la revue Nature a montré récemment que si l’on compare le taux de prédation des espèces sur les autres, l’homme est de loin le plus grand prédateur.

Faites-vous partie des scientifiques qui considèrent sérieusement le risque d’extinction de l’Homo sapiens ? Nous savons que la plupart des espèces ont une durée de vie de 4 à 5 millions d’années. À long terme, nous allons donc disparaître. Il faut reconnaître que les chiffres sont frappants. Si vous ramenez les 3,5 milliards d’années de vie sur terre à l’échelle de 24 heures, l’homme est apparu dans les cinq dernières secondes ! Et nous avons fait pas mal de dégâts en si peu de temps. Le scénario d’une augmentation de températures de cinq degrés est loin d’être improbable. Il mène à une réduction de la population mondiale à un milliard en un siècle et demi. La sixième extinction de masse est bien là. Cela résout le problème de surpopulation, mais imaginez la souffrance humaine, les conflits, les famines pour y parvenir. Il serait trop facile de baisser les bras sous prétexte de l’inévitable disparition de l’espèce ou du Big Crunch (théorie de l’effondrement de l’univers – ndlr). À l’échelle cosmique, notre disparition ne représente finalement pas grand-chose. Mais que l’on soit bouddhiste ou tout simplement humain, il est impossible de garder un point de vue aussi abstrait face aux souffrances que cela implique. Il faut donc se poser la question : qu’allons-nous faire dans les cinq prochaines secondes ?

Quels sont les leviers qui peuvent faire avancer les gouvernements sur le sujet ? La question se pose face à des dirigeants qui ne semblent pas concernés par le sort de leurs arrières petits-enfants qui seront en droit de dire “nos ancêtres savaient et ils n’ont rien fait”. Lorsque Greta Thunberg dit aux chefs d’État qu’ils sont en train de trahir les générations à venir, elle a raison à 100 % ! On veut nous faire croire qu’elle est manipulée alors qu’elle revendique les droits des générations futures et invite à écouter les scientifiques. En attendant, que font ses détracteurs ? Rien. Ils bavardent. Premièrement, nos dirigeants ne devraient pas être rééligibles. Si les mandats étaient limités à cinq ou sept ans et que les élus avaient du courage, ils prendraient des mesures, parfois impopulaires, mais nécessaires. La bonne nouvelle, c’est que la génération des Greta Thunberg va bientôt voter. Lors des dernières élections européennes, la majorité des moins de 30 ans a choisi les partis écologistes.

Ce sont ces citoyens de demain qui font bouger les choses. Mais l’heure tourne, les points de basculement sont atteints. Sur le plan économique, les études prouvent que plus nous attendons, plus il coûtera cher d’agir. Ce levier aura une influence lorsque politiques et acteurs des énergies fossiles réaliseront qu’à défaut d’action immédiate vers la transition écologique, ils ne pourront pas rattraper le retard. La technologie, elle, est déjà au point. Les scientifiques de Stanford ont fait une découverte majeure pour produire de l’hydrogène bon marché. D’autres recherches sur le thorium, un élément présent en abondance dans les océans, démontre la possibilité d’alimenter des centrales nucléaires de façon beaucoup moins polluante et risquée. Mais le développement nécessite une volonté politique.

Quelles sont vos solutions, que penser de la reforestation ? Reboiser est une bonne solution transitoire, mais il faut commencer par cesser d’abattre les forêts ! Envisager non pas à un développement durable, mais à une harmonie durable. “Faire mieux avec moins”, ce concept me tient à cœur. Il rejoint la sobriété heureuse de Pierre Rabhi et les travaux de Tim Kasser sur le rapport entre matérialisme, bonheur et conscience écologique. Cela consiste à établir un équilibre entre les pays, en aidant ceux qui sont en retard. À l’inverse, aux États-Unis et en Europe, il faudrait réduire de moitié la consommation des ressources. Il ne s’agit pas de diaboliser le capitalisme, mais d’arriver à une modération du superflu. Au Népal, un pays confronté à un grand problème d’eau, la conscience écologique n’est pas inscrite dans un agenda politique, mais trouve des réponses au quotidien. L’utilisation de l’énergie solaire progresse. Notre association Karuna-Shechen forme des femmes de villages au montage de panneaux photovoltaïques. Cela a un impact social, économique et environnemental – les trois indices de l’harmonie durable. Au Bhoutan, la valeur des forêts représente dix fois le PIB, mais plutôt que de les couper, le pays privilégie son capital environnemental. Se référer à ce triple index plutôt qu’à la seule notion économique permet de progresser sur la qualité de vie. C’est un petit pays dans lequel le respect d’une superficie naturelle minimale de 60 % est inscrit dans la constitution. Une autre façon de prospérer. Il faudrait d’ailleurs arrêter de parler de décroissance, mais plutôt de modération des besoins non nécessaires. Lors d’une table ronde sur le bonheur national brut à l’ONU, j’ai soulevé cette question : “Être un pays riche et puissant dans lequel tout le monde est malheureux, à quoi cela sert-il ?”. S’émerveiller face à la beauté naturelle de l’Islande ou de l’Himalaya est une solution modeste, mais c’est un premier pas vers une nouvelle façon de penser l’environnement.

Émerveillement de Matthieu Ricard (recueil photographique, La Martinière, 2019)

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Š Isaac Marley Morgan/Voyageurs du Monde

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Six mois autour du monde

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Feuille géante idéale pour s’abriter du soleil ou des pluies tropicales.

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São Tomé & Príncipe : tropisme vert

Mystérieuses îles de basalte posées sur l’équateur, São Tomé et Príncipe affichent une nature extravagante. Ancienne colonie portugaise, le plus petit des États africains, longtemps premier producteur mondial de cacao, se tourne aujourd’hui vers le voyage écoresponsable. 51

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e “milieu du monde” est chaud et moite. Il pleut sur São Tomé, la petite île qui doit cette appellation prestigieuse au fait d’être posée au croisement de l’équateur et du méridien de Greenwich, dans le golfe de Guinée. Un voile lumineux brouille la silhouette des cargos à l’ancre dans la baie que soulignent les toits de tuiles d’une capitale aux airs de bourgade tropicale. Une averse drue rince les murs colorés des bâtisses coloniales et vide les rues en un instant. Les petites motos chinoises sont massées devant le marché couvert où les badauds se sont abrités, dans les odeurs mêlées de poissons et de fruits. “Chuva homem”, “pluie d’homme”, dit-on de cette radée qui “va fort mais ne dure pas”. Puis, après une éclaircie éclatante, une bruine tiède s’installe que chacun ignore pour vaquer en robe ou t-shirt : “chuva mulher”, “pluie de

femme” qui, malgré sa douceur, est toujours sur votre dos… Les lycéens en uniforme grège et bleu se croisent sur la Marginal, l’avenue qui longe la baie derrière sa balustrade blanche effondrée par endroits. Les uns reviennent des cours, les autres y vont faute de salles de classe et d’enseignants en nombre suffisant. En revanche, les petits revendeurs de la compagnie de téléphonie mobile sont à chaque coin de rue derrière leurs banques bleu-ciel. L’archipel de São Tomé-et-Príncipe, l’un des pays les plus pauvres du globe, n’échappe pas au progrès pas plus qu’aux bruits de la modernité mondialisée : les antennes paraboliques s’accrochent aux balcons de la capitale comme aux cabanes des campagnes perchées sur leurs pilotis. Mais les femmes vont toujours à la rivière pour laver le linge, de l’eau jusqu’à micuisses, pendant que les gamins barbotent

et que les vêtements sèchent sur l’herbe des rives. Les filles vont chercher l’eau aux fontaines de faïence blanche, toutes les mêmes de village en hameau. Les gamins marchent sur le chemin de l’école, une feuille de bananier en guise de parapluie. Les hommes arpentent les sentiers jusqu’à l’océan pour pêcher, s’enfoncent dans la forêt pour cueillir les noix de coco ou les fruits à pain – “Un homme qui ne sait pas grimper à l’arbre n’est pas un Santoméen, peut-être même pas un homme…”, glisse en riant notre accompagnateur. Offrande des pluies tropicales, la nature est généreuse dans “les îles du milieu du monde”. C’est peut-être pour cela que les jours semblent y couler entre fatalisme et patience, au rythme que décrit si bien l’expression “léve léve”, quelque chose comme “doucement-doucement”. Ce temps différent nourrit le sentiment de lointain autant

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Une nature impressionnante et généreuse. L’île produit aujourd’hui, pour la seule filière bio, 30 000 tonnes de fèves de cacao par an.

que le paysage de premier matin du monde, souvenir de volcans éteints qui serrent leurs flancs de forêt vierge pour dessiner une silhouette d’île mystérieuse. Lorsque les nuages lourds s’y accrochent et que l’étrange pico Cão Grande (pic du Grand Chien), dressé comme un phallus, se perd dans la brume, São Tomé prend des airs de contrée fantastique où un King Kong amoureux rêverait d’enlacer Jessica Lange. Passé colonial, roças et renouveau Si l’on ne sait pas le temps qu’il faisait lorsque les Portugais abordèrent les rivages déserts, en 1470 ou 1471 – “Les textes ne sont pas clairs, il se pourrait que d’autres, Phéniciens ou Arabes, les aient vus avant”, regrette l’historien Fernando d’Alva –, les jours des découvertes en revanche sont précis. Les îles furent baptisées selon le calendrier chrétien : le 21 décembre pour São Tomé (saint

Thomas), le 17 janvier pour Santo António qui deviendra Príncipe, l’île du prince. Fernando d’Alva survole les siècles entre café et cigarettes à la terrasse de l’hôtel Omali qui regarde la baie. Comme chaque dimanche, la plage bruisse de familles rassemblées pour le pique-nique et la baignade, les couleurs de peau déclinent la palette des bruns, reflets des métissages : “Les Portugais ont d’abord encouragé les unions avec les femmes noires afin de créer une race suffisamment costaude pour ces latitudes. Les enfants qui en naissaient furent affranchis, certains devenant trafiquants d’esclaves pour les colonies d’Amérique”, précise l’universitaire qui sait que l’histoire des “forros”, les “fils de la terre” natifs de l’île, ne s’est pas écrite en noir et blanc. De l’autre côté de la baie, une église se souvient de deux mille enfants issus de familles juives expulsées d’Espagne, déportées ici en 1495 pour être converties au mes-

sage d’amour catholique. Tout près, la forteresse Saint-Sébastien, devenue musée national, raconte l’exploitation des hommes et de la terre au temps des épices, de la canne à sucre, puis du cacao. Mais São Tomé, modeste africaine, enseigne ce que le temps et la nature peuvent faire de l’orgueil des hommes : le réduire à quelques vestiges délabrés. Au gré de l’île, cernés par la végétation, des bâtiments démesurés, incroyable patrimoine, sont à l’abandon. Des maisons de maîtres, des hôpitaux, des chapelles, des entrepôts jusqu’où courent des rails de chemin de fer sertis dans les pavés… Les roças, immenses plantations, couvraient des milliers d’hectares dédiés au cacaoyer importé du Brésil en 1822. Au début du XXe siècle, São Tomé-et-Príncipe, premiers producteurs mondiaux de cacao, devinrent “les îles chocolat” au prix de milliers de vies venues d’Angola, du Mozambique ou du

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Bouffée chlorophyllée sous l’œil majestueux de l’étrange pico Cão Grande.

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Cap-Vert, d’abord asservies par l’esclavage, puis par des “contrats” iniques. Les longs baraquements qui les logeaient sont encore occupés par des descendants. Agua Izé fut l’une des plus grandes de ces roças de la côte est, et José, né au Cap-Vert il y a soixante-dix-huit ans, en a tout connu. Avec sa fine moustache, ses longs cheveux blancs noués en natte qui tombe sur son torse nu, il ressemble à un vieux pirate. Il a travaillé dans les vergers, a conduit les trains qui reliaient les plantations aux séchoirs, fut surveillant et employé dans l’hôpital qui dresse encore son escalier monumental et sa façade néo-classique ouverte à tous les vents. Il a vécu la servitude de la colonie, les joies de l’indépendance en 1975, les espoirs d’un régime marxiste qui a tout laissé perdre, le libéralisme souvent corrompu… “J’ai tout gardé là”, dit-il en serrant le poing contre son cœur. C’est pour lui et

les exilés que Cesária Évora chantait “ce long chemin pour São Tomé” et la nostalgie d’une terre lointaine au Cap-Vert : Sodade… Mais certaines roças portent un présent plus souriant lorsqu’elles deviennent hôtel ou restaurant. Comme celui de João Carlos Silva, célèbre grâce à ses émissions culinaires pour la télévision portugaise. L’homme au bandana rouge et au visage sombre des “angolares”, ces descendants de marrons qui avaient fui l’esclavage et se sont faits pêcheurs, forme des jeunes de son village à une gastronomie qui marie l’espadon ou le thon à tous les légumes et fruits de l’île. C’est chez lui que l’on découvre la saveur reine de l’archipel, le chocolat de Claudio Corallo, vénéré par des chefs du monde entier. Cela aussi est un voyage : le goût puissant porte toutes les richesses végétales des tropiques – bois, humus, fleurs… L’ingénieur agronome, qui a

quitté sa Toscane natale en 1974 pour se lancer dans la caféiculture au Zaïre, vit ici depuis les années 1990. Comme dans un tableau caribéen À une demi-heure d’avion à hélices, l’île cadette, Príncipe, 9 000 habitants tout au plus, est un autre bout du monde, plus languide encore. La “capitale”, Santo António, est un village lové autour de sa baie, dos à la forêt. Les maisons aux tons pastel et les rues propres ignorent la cohue. Entre Antilles et Afrique, une échoppe ou un café laissent échapper une musique imprégnée de rumba congolaise, de roucoulements du zouk-love ou de battements du kuduro d’Angola. Lors de la messe du dimanche, dans l’église blanche, le seul curé de l’île lutte en chansons contre la concurrence des adventistes et évangélistes présents jusque dans les hameaux.

Quand elles ne sont pas occupées par les tortues qui viennent y pondre en fin d’année, les longues plages sont fréquentées par les baigneurs et les jeunes surfeurs.

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Sur les hauteurs, au bout d’une piste de terre ocre, la plantation de Claudio Corallo domine une côte de pains de sucre dressés face au large. Les arbustes et les cabosses profitent de la brise marine, les fèves fermentent et sèchent sous les hangars. Quand il est là, l’homme aux allures de prince florentin “campe” dans l’ancienne maison de maître posée sur sa colline, avec ses murs décrépis, ses fenêtres privées d’huisseries mais qui encadrent un paysage de belle solitude, entre les arbres pour perroquets et le ciel bleu que fendent les aigrettes blanches.

Car ici, la jungle est bienveillante, sans animal venimeux, peuplée de dizaines d’espèces d’oiseaux colorés dont vingt-cinq endémiques. Elle exhale les parfums de l’ylang-ylang et des orchidées sauvages après la pluie du matin. Les fonds marins sont riches pour les pêcheurs dans leurs pirogues taillées aux troncs des fromagers. À les voir glisser le long des grèves et des palmiers aux reflets de bronze, on a l’impression d’entrer dans de Peter Doig. Les longues plages sont moins fréquentées par les baigneurs que par les tortues qui

viennent en fin d’année pondre dans le sable blond. Dès le mois de septembre, Alcides, 26 ans, arpente celui de Praia Grande pour repérer les sites de ponte qui seront protégés des prédateurs, hommes ou animaux. Dans la petite cabane-musée posée sous les cocotiers, il explique régulièrement le grand voyage et le cycle de reproduction. Les touristes sont invités à laisser cinq euros pour participer à cet important projet de conservation. Désormais, affirme Alcides, les tortues rapportent plus vivantes que mortes.

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Le pari de la nature et de la beauté Car pendant que São Tomé rêve d’investissements chinois et de pétrole, Príncipe et ses îlots ont été déclarés réserve de la biosphère par l’Unesco en 2012, ayant ainsi fait le pari de la nature et de la beauté. Aidé en cela par un homme tombé de la lune, le Sud-Africain Mark Shuttleworth, qui après avoir fait fortune dans la high tech et s’être offert un séjour à vingt millions de dollars à bord de la station spatiale internationale en 2002, a décidé d’investir massivement à Príncipe (pour rallonger la piste de l’aéroport, construire une centrale électrique, installer internet…) . Sa compagnie s’appelle HBD (pour “Here Be Dragons”) – inscription qui indiquait les territoires inconnus sur les cartes médiévales –, et gère trois superbes hôtels, des projets agricoles et forestiers, finance des formations pour les jeunes. Elle est devenue le premier employeur local : “Développer l’économie de manière durable, privilégier un tourisme respectueux de la nature et des traditions, assure Chris Taxis, le directeur général. Notre succès sera qu’un Santoméen dirige un jour l’organisation.” On veut le croire sur parole en posant nos valises à la roça Sundy, une plantation re-

prise par HBD avant qu’elle ne soit transformée en exploitation d’huile de palme. Derrière des remparts dressés comme un château fort de cinéma, les hommes sont assis à l’ombre d’un arbre, sur le “banco ma língua” (le banc des palabres). Ces jours-ci, elles portent sur le projet soutenu par l’ONU de reloger 136 familles qui vivent dans les longs bâtiments vétustes face à la maison de maître convertie en hôtel. Ermelindo, 34 ans, est partagé : les demeures en bois seront plus confortables et saines, mais loin de la mer et des arbres nourriciers. Les 500 euros alloués semblent peu pour repartir de zéro. Cheira, la jeune femme qui s’affaire sur le brasero pour cuisiner sa divine soupe de poisson aux parfums de coriandre et de citron vert, dit qu’elle les investira dans un restaurant. La communauté a choisi le nom du futur lotissement : Terre promise. Le nouvel hôtel, lui, a gardé la galerie, les beaux carrelages et les plafonds ouvragés de la maison de maître. Les colons portugais n’étaient pas que des brutes épaisses. Un jour de 1919, ils reçurent Sir Arthur Eddington, astronome britannique qui profita d’une éclipse pour être le premier à démontrer la

théorie d’Einstein sur la relativité. On occupe la même chambre que lui, dont la véranda se perd dans les frondaisons des bananiers et des érythrines aux fleurs scintillantes comme des flammèches. Le soir, on plonge dans Equador, le roman de Miguel Sousa Tavares, pour retrouver les fantômes du passé. Au pied de la colline, l’un d’eux hante les ruines de Ribeira Izé, premier lieu où s’implantèrent les Portugais. De la demeure de Maria Correira, riche mulâtresse esclavagiste deux fois veuve qui, dit la légende, jeta un amant noir dans l’océan du haut d’un promontoire, il ne reste que quelques pans de murs et une volée de marches avalés par la forêt. Sur la plage, un pêcheur et son fils préparent filets et pirogue, indifférents à ce passé enfoui comme ils le sont à la pluie délicate. On dirait la chanson de Brel aux Marquises et l’on aimerait qu’elle dure longtemps.

Par PIERRE SORGUE Photos OSMA HARVILAHTI

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L’hôtel Roça Sundy, à Santo António sur l’île de Príncipe, a conservé l’architecture coloniale de l’ancienne maison de maître portugaise.

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SÃO TOMÉ & PRÍNCIPE carnet pratique

À votre arrivée Alcinda, concierge Voyageurs du Monde

• Superficie : 1 001 km² • Population : 204 454 (en 2018), soit 204 habitants/km2 • Monnaie : nouveau dobra • Point culminant : pico de São Tomé (2 024 m)

Alcinda assure le service conciergerie Voyageurs du Monde à São Tomé, une île où elle a grandi avant de s’envoler pour des études à Lisbonne et Montpellier. Parfaite maîtrise du français, empathie, grande culture des différents lieux et bon carnet d’adresses… Une alliée hors pair.

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lieux

Agua Izé, à São Tomé Cette plantation impressionne avec son hôpital et ses entrepôts à l’abandon alors que les habitations des travailleurs palpitent encore comme un village.

Oque Daniel, à Príncipe Derrière les palmiers et les fleurs des érythrines, les montagnes viennent lécher l’océan dans les parfums d’ylang ylang. Un panorama magique.

Sur place À voir Diogo Vaz. Récemment reprise par un Français, cette belle plantation de cacao de São Tomé est ouverte à la visite et offre quelques chambres. En vente en boutique, le chocolat fabriqué sur place, primé au Salon du chocolat de Paris.

Dormir Sundy Praïa. Pour HBD, l’architecte Didier Lefort a dessiné à Príncipe un hôtel 5 étoiles intégré à la nature. Quinze magnifiques bungalows en bord de plage, un restaurant dont l’architecture a été saluée par le prix Versailles 2019, un accueil aussi attentif que chaleureux…

À faire Bom Sucesso. Le jardin botanique de São Tomé, sublime, est le point de départ de plusieurs randonnées vers le lac Amélia ou le Pic São Tomé.

Shopping Claudio Corallo. Pour son chocolat, en vente dans son labo-boutique de São Tomé. Mais aussi son café, le gingembre confit enrobé de cacao brut ou les carreaux au raisin macéré dans un marc de Toscane.

Baía das Agulhas. Sur Príncipe, une sortie en bateau vers la “Baie des aiguilles” offre une vue sur l’île hérissée de pics et de pains de sucre que l’on dirait sortis d’un film fantastique. Pour les fonds marins aussi, qu’un simple masque suffit à admirer.

À lire Coup de théâtre à São Tomé de Jean-Yves Loude (récit de voyage, Actes Sud), São Tomé et Príncipe, les îles du milieu du monde de Dominique Gallet (monographie/guide, Karthala), Equador de Miguel Sousa Tavares (roman, Points).

Le chiffre C’est à peu près, en kilomètres carrés, la superficie du parc naturel Ôbo (qui signifie bois sauvage, impénétrable) créé en 2006 sur les deux îles afin d’en protéger la flore et la faune très riches.

Praïa Banana, à Príncipe Cocotiers, sable de carte postale, eau émeraude, voici l’archétype de la plage tropicale. La preuve, elle servit de décor à une publicité pour le rhum Bacardi…

Focus Les masques du tchiloli Chaque fête, à São Tomé, est le prétexte d’une étonnante forme de théâtre, le tchiloli, pilier de l’identité nationale. Les acteurs, masqués et grimés en personnages européens, dansent et récitent un drame de la Renaissance, en vieux portugais, à la gloire de Charlemagne et de son sens de l’équité (il doit juger le meurtre commis par son fils contre un page). Ou comment l’empereur du nord à la barbe fleurie traverse les siècles et les océans pour incarner le besoin de justice et de respect d’un peuple perdu en mer…

Inspirations botanique, cacao –, le tout bordé par une assistance 24/7. 10 jours à partir de 3 000 €. Voyageurs en Afrique 01 42 86 16 60 Toutes les douceurs de l’île Chocolat Voyageurs du Monde propose une exploration de l’île en profondeur. Une sélection d’hébergements sensibles à leur environnement, des rencontres et des activités pensées selon vos goûts – histoire,

Des voyages zéro carbone Les émissions de CO2 générées à chacun de nos voyages sont absorbées à 100 % par des actions de reforestation.

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Mélomane Léman

L’eau est porteuse de sons. De Stravinsky à Freddie Mercury, tous ont composé les mouvements de la mélodie du Léman. Une onde qui rejaillit jusque dans les palaces, les montagnes et les rues de la Riviera vaudoise, et atteint son climax en juillet au Montreux Jazz Festival. Flânerie sur les rives du lac helvète.

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dagio : l’archet de Tchaïkovski et le Soldat de Stravinsky Si l’on garde des traces de passages de Mozart ou Mendelssohn dans la région, l’histoire qui lie le lac à la musique s’ouvre véritablement en 1878. Par un jour d’hiver, Tchaïkovski emménage à Clarens. En attendant le printemps, il noie la douleur d’un mariage raté dans l’écriture d’un concerto pour violon. Sans le savoir, Piotr Ilitch Tchaïkovski ouvrait, en ré majeur, la voie à la diaspora de musiciens d’Europe de l’Est. Dans Chroniques de ma vie, Igor Stravinsky écrivait : “La musique est le seul domaine où l’homme réalise le présent. Par l’imperfection de sa nature, l’homme est voué à subir l’écoulement du temps – de ses catégories de passé et d’avenir – sans jamais pouvoir rendre réelle, donc stable, celle de présent.” Aujourd’hui, la maison de l’auteur du Sacre du printemps est devenue un hôtel, La Maison d’Igor. Fin 1917, le compositeur traverse des années douloureuses – son frère est mort sur le front roumain, la révolution russe l’a coupé de ses revenus, son épouse est atteinte de tuberculose. C’est dans ce contexte qu’il compose L’Histoire du soldat, un opéra-ballet miniature sur un livret de son ami vaudois Charles Ferdinand Ramuz. Passé l’orage de la guerre, après six années suisses, il ouvrira un autre mouvement dans la symphonie de sa vie : “Je résolus de transporter mes pénates en France où alors battait le pouls de l’activité mondiale…” Cependant, chaque année, des mélomanes se rendent en pèlerinage à La Maison d’Igor, prendre le petit déjeuner à l’endroit même où se trouvait son piano, puis marcher au ras de l’eau, le long du quai qui porte son nom, le regard tourné vers les sommets d’un paysage inchangé. Un voyage en Suisse, entre le ciel et l’eau, la montagne et le lac, nous offre l’occasion d’éprouver cet instant où chaque note est à sa place dans le moment présent : l’harmonie.

L’histoire est aujourd’hui mythique : atteinte d’une tumeur au cerveau, elle est opérée en 1941, sous anesthésie locale. Durant l’opération, pour s’assurer de ne perdre ni ses mains, ni sa mémoire, elle pianote du bout des doigts le concerto en mi-bémol majeur de Mozart. “Mon concerto”, dira-t-elle. L’année suivante, fuyant les rafles et l’Occupation, elle s’installe à Vevey. “Le public la découvre aprèsguerre. Elle accompagne de grands chefs, comme Karajan qui fera son grand retour à ses côtés.” Voyageant dans le monde entier, Clara Haskil devient une personnalité veveysane sur le tard. Face aux TroisCouronnes trône une statue d’un autre mythe de la ville : Charlie Chaplin. Clara Haskil et lui se sont rencontrés en 1953 : “Je ne savais rien de Clara, mais fus présenté à une très frêle petite dame”, écrit l’acteur. Plus tard, Chaplin dira n’avoir connu que deux génies dans sa vie : Albert Einstein et Clara Haskil. Le 6 décembre 1960, la pianiste trébuche dans l’escalier de la gare de Bruxelles. Depuis, son héritage s’évapore doucement. “Aujourd’hui, les gens savent que Clara Haskil est un concours de piano, une station de bus… Mais souvent, on me demande d’épeler son nom.” Peut-être est-ce là le destin de l’interprète : disparaître derrière la musique. La postérité lui offre ainsi la quiétude qu’elle a cherché toute sa vie… et sans doute trouvé en Suisse. Au bout de la rue Clara-Haskil, des passants s’assoient sur un banc, respirent, regardent la crète des montagnes, la lente course du couchant sur la ligne du Léman, un voilier… Peut-être atteignent-ils cette plénitude du présent dont parlait Stravinsky. Allegro : de Sissi l’impératrice à Deep Purple À la mort de Clara Haskil, Claude Nobs n’est qu’un modeste employé de la ville de Montreux, responsable des événements culturels. Il a débuté comme cuisinier et rien ne le prédestinait à bouleverser l’histoire de sa ville. En 1963, Nobs, qui programme les concerts du festival de télévision de la Rose d’Or, repère un jeune groupe à Londres : les Beatles. Mais la mairie refuse de les programmer : ils ne sont pas assez célèbres. Furieux, le malicieux Vaudois décide de se passer de comité. L’année suivante, il parvient à imposer les Rolling Stones, cinq gars encore parfaitement inconnus sur le continent. Nobs ne parviendra à remplir la salle qu’en couplant leur prestation avec celle de Petula Clark. Cependant, il voit déjà beaucoup plus grand. En 1967, il lance la première édition du Montreux Jazz Festival. Au fil du temps, la manifestation va s’ouvrir aux musiques latines, au rock, à l’électro… pour devenir l’un des plus importants rassemblements musicaux au monde. De Miles Davis à Ella Fitzgerald, de Marvin Gaye à Nina Simone, de Stevie Wonder à Leonard Cohen, de David Bowie à Sting… Même le kid de Minneapolis, Prince, est venu jouer de nombreuses fois sur les plus belles scènes

Moderato : les mains de Clara Haskil Néanmoins, pour la plupart, les musiciens ont moins cherché à l’est des Alpes la beauté du monde que la protection des mécènes et, plus tard, le secret des banques. De tous les virtuoses qui ont arpenté la corde qui relie Lausanne à Montreux, nul n’est plus attachant que la pianiste roumaine Clara Haskil. À Vevey, Patrick Peikert dirige aujourd’hui le concours qui porte le nom de l’artiste. Sur la terrasse de l’hôtel des Trois-Couronnes, à l’endroit même où ont joué Saint-Saëns, Fauré ou Paderewski, il évoque le destin d’une femme fragile qui a vécu pour la musique, mais qui n’a pu en vivre qu’à l’âge de 50 ans. “Clara Haskil est née en 1895, commence-t-il. Elle a donc connu deux conflits mondiaux à l’âge adulte. Sa carrière a toujours été empêchée par les guerres ou la maladie…” Incomprise à Paris, elle trouvera à Lausanne des protecteurs, mais restera longtemps une pianiste sans piano. 68

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Un salon du Montreux Palace transformÊ en studio d’enregistrement.

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À Vevey, l’hôtel des Trois-Couronnes vu depuis le lac Léman.

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En Suisse, la musique déborde le lac et infuse les vignobles du Lavaux. Initié en 1983, Cully est ainsi un festival purement jazz… et authentiquement vin.

du festival, à l’Auditorium Stravinski, mais aussi improviser dans l’arrière salle du Jazz Café… et pianoter, un matin, seul sous la véranda du Montreux Palace. La région lui a même inspiré une chanson (Lavaux). En imaginant, année après année, les plus beaux line-up de l’histoire des festivals, Claude Nobs a fait de sa ville une véritable mecque musicale. En décembre 1971, Deep Purple décide d’y enregistrer son nouvel album. Le 4, Frank Zappa se produit au casino lorsqu’un spectateur pas bien malin lance une fusée de détresse vers le plafond. En quelques minutes, la salle est en feu. Aucun mort, mais l’incendie du Casino a emporté le studio et les projets du groupe. La fumée sur le Léman leur avait au moins inspiré un refrain et un accord de guitare : “Smoke on the water… and fire in the sky !” L’album Machine Head est finalement enregistré au Grand Hôtel Territet, sans électricité, laissé à l’abandon. L’ancien palace désolé où Sissi eut autrefois ses habitudes est aujourd’hui un immeuble d’habitation chic où la baignoire de l’impératrice d’Autriche côtoie une plaque en l’honneur d’un groupe de hard-rock. Le disque d’or de Deep Purple se pavane quant à lui dans les collections du musée de la ville. Et le “Funky Claude” de Smoke on the Water n’est autre que Claude Nobs, pour qui rien n’était impossible. “Quand on y pense, se souvient Jean-Paul Marquis, ami d’enfance et complice de toujours, on aurait pu abandonner : l’incendie, les flics qui nous ont délogés du Montreux Palace… Mais il y avait chez lui cette envie, toujours, d’aller au bout. Et cet hiver-là, au bout, il y eut Smoke on the Water.” Nobs est mort en 2013, après une chute de ski dans les montagnes de son enfance. Selon Mathieu Jaton, qui lui a succédé à la tête du festival, “il est resté un fils de boulanger, capable de s’adresser aux plus grandes stars comme au staff avec la même générosité. Il y avait chez lui ce côté vaudois, proche de la terre, et aussi un art d’éveiller chez les ar-

tistes et tous ceux qu’il côtoyait une part d’enfance. Je l’ai vu jouer au train avec Jamiroquai et le directeur des chemins de fer suisse !” Thierry Amsallem, son compagnon, est devenu le gardien de la mémoire du festival et de la Fondation Claude-Nobs. Il vit dans le mythique chalet du Picotin, parmi un bric-à-brac ahurissant où l’on aperçoit un disque d’or de Madonna, des trains miniatures, des guitares de BB King ou Santana, un téléphone offert par Sheryl Crow, un piano de Freddie Mercury… Presto : le crépuscule de Mercury La musique déborde le lac et infuse les vignobles du Lavaux. Initié en 1983 par deux mélomanes du village, Cully est resté un festival purement jazz… et authentiquement vin. D’une scène et 250 places, la manifestation, tout en restant chaleureuse, est passée à trois scènes, dont la plus grande peut rassembler 1 500 spectateurs. Ici, on pousse les tables et on joue jusque dans les caves. Certains particuliers ouvrent aussi leurs maisons et les concerts ont lieu dans les salons. Encore plus haut dans les vignobles, là où le paysage n’a pratiquement pas changé depuis un siècle, travaille Alain Chollet, un mélomane qui élève son vin au saxophone. Dans ses caves, il joue sur un modèle américain des années 1920 qu’il tente “d’apprivoiser”. Et l’on en revient à la terre, à ce mélange de douceur et de rusticité qui fonde le canton de Vaud : “J’ai commencé à travail-

Dans le mythique chalet du Picotin, l’antre de Claude Nobs, le fondateur du Montreux Jazz Festival. Un bric-à-brac ahurissant où voisinent un disque d’or de Madonna, des trains miniatures, des guitares de BB King ou Santana, un téléphone offert par Sheryl Crow, un piano de Freddie Mercury…

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Ă€ la recherche de trĂŠsors chez Yoo Doo Right Records, disquaire de Lausanne.

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Face au Léman, la statue en bronze de Freddie Mercury, inaugurée en 1996, a fait de Montreux un lieu de pèlerinage pour les fans du groupe Queen.

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La façade du prestigieux Montreux Palace. Au rez-dechaussée, le Montreux Jazz Café, lieu incontournable pour savourer une cuisine de chef et vibrer au rythme du festival. 3

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“Les luthiers sont un peu les psychanalystes des violonistes…” – Sébastien Lavielle, artisan à Lausanne.

ler en musique à l’époque où les barriques devenaient à la mode. Je voulais que mon vin garde le goût de la terre, du terroir. Mais je ne sais pas vraiment si les vibrations changent la saveur du vin, c’est un peu un mystère…” Parmi les autres mystères du lac, Freddie Mercury occupe une place particulière. “Montreux ne lui ressemblait pas”, témoigne Norbert Muller, propriétaire du Bazar Suisse et qui, dans la cité lacustre, garde la mémoire du chanteur de Zanzibar. “Il trouvait Montreux ennuyeuse. Ici, rien ne correspondait à son style de vie festif.” Le groupe Queen est arrivé en Suisse en 1978, pour travailler au Mountain Studios avec David Richards, ingénieur du son surdoué. Après l’enregistrement de leur septième album (Jazz), ils décident de racheter l’endroit. Tous leurs albums suivants seront enregistrés face au Léman. En 1988, dans le studio même, Freddie annonce à ses amis le mal qui le frappe. À cette époque, bien avant les trithérapies, le verdict du sida est imparable : Mercury est condamné. “La maladie l’a forcé à ralentir, et peut-être a-t-il appris à aimer le Léman”, ajoute Norbert Muller. À Montreux, la rock-star achève sa vie loin des flashs et des caméras. Lorsqu’il marche du Montreux Palace au Mountain Studios, il s’étonne que personne ne l’arrête dans les rues. Le soir, on le voit dîner à la Bavaria ou prendre un verre au White Horse. Discrets, les Suisses n’osent pas le déranger. Il finit par quitter la suite du Palace qui portera son nom pour acquérir un appartement à Territet, face aux Alpes et au Léman. Quand il ne compose pas, le chanteur aménage et décore avec passion cette dernière demeure. Le Mountain Studios n’existe plus, il est devenu un petit musée au sein du Casino de Montreux. On y voit des costumes, des pochettes de disques, des instruments de musique… Les carnets et papiers froissés sur lesquels Mercury a jeté ses dernières forces sont les plus émouvants. Son ultime chanson décrit l’hiver à Montreux : les sommets enneigés, les oiseaux, le ciel qui rougit, les volutes qui s’élèvent doucement des cheminées, les rires des enfants, la fraîcheur de la pluie sur son visage… Chant d’amour aux paysages des Alpes, bouleversant

adieu à la vie, A Winter’s Tale figurera sur l’album Made in Heaven, en 1995. Le 10 novembre 1991, David Richards accompagne Freddie Mercury à l’aéroport pour une ultime fois. Le chanteur meurt à Londres quatorze jours plus tard. Le 25 novembre 1996, Montreux inaugurait une statue en bronze en l’honneur du leader de Queen. Désormais, Mercury fait face au Léman, tel un survivant, le poing levé pour défier le crépuscule. “Montreux est devenu le lieu de pèlerinage des fans du groupe”, sourit Norbert Muller. Finale : l’âme du Léman En 2017, après dix années passées à New York, le luthier Sébastien Lavielle s’installe à Lausanne. Rue-de-Bourg, il a repris le prestigieux atelier de Pierre Gerber et Pierre Mastrangelo. Au mur, des photos des visiteurs passés : les violonistes Yehudi Menuhin, Isaac Stern, Arthur Grumiaux... C’est un petit endroit hors du monde, tranquille. Une planète qui sent bon le bois, comme une Suisse à l’intérieur de la Suisse. Le crin des archets vient de Chine ou de Mongolie, l’épicéa des forêts d’Italie ou de France… et les musiciens d’un peu partout. Ce matin-là, Sébastien Lavielle effectue une opération à la fois routinière et délicate : sa “pointe aux âmes” vient happer “l’âme du violon”, minuscule pièce de bois cachée dans les entrailles de l’instrument. On se rend chez lui pour “accorder cette âme” car, sourit-il, “les luthiers sont un peu les psychanalystes des violonistes”. Et l’on repense au spleen d’Igor Stravinsky à Morges, à la bohème de Clara Haskil à Vevey, aux derniers jours de Freddie Mercury à Montreux : ne venaient-ils pas tous au bord du lac pour accorder leur âme eux aussi ? Et, peut-être, trouver sur le Léman, toute la grandeur du silence.

Par ADRIEN GOMBEAUD Photos JÉRÔME GALLAND

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LAC LÉMAN carnet pratique

À votre arrivée Giana, concierge Voyageurs du Monde

• Superficie : 41 285 km² • Capitale : Berne • Population : 8 544 527 (en 2018), soit 207 habitants/km2 • Lac Léman : 580 km2. Il s’étend sur 348,4 km² en Suisse romande et 234 km² en France (Haute-Savoie).

Italienne d’origine, Giana assure le service conciergerie de Voyageurs du Monde en Suisse. À l’écoute 24h/24, elle vous aiguille vers une Suisse humaine et conviviale. Organiser une rencontre avec un local à Zurich, réserver une croisière privée sur le Léman, conseiller les plus belles balades en raquettes… Une aide précieuse qui facilite votre voyage.

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lieux

Hôtel des Trois-Couronnes Le palace de Vevey. Inauguré en 1842, il fut un haut-lieu de la musique sur le lac. Et également le décor de la nouvelle de Henry James, Daisy Miller.

Statues de Freddie Mercury et de Claude Nobs Au bord du lac, à Montreux, le leader de Queen et le fondateur du Montreux Jazz Festival sont représentés côte à côte.

Sur place À faire Les festivals Comme chaque, des rendez-vous incontournables en 2020 : Montreux Jazz (3 au 18/07), Septembre Musical, Montreux (22 au 30/09), Concours international de piano Clara-Haskil, Vevey (en août), Cully (27/03 au 4/04), Label Suisse, Lausanne (18 au 20/09). Dormir Le Coucou. Sur les hauteurs de Montreux, à deux pas de la fondation Claude-Nobs, un hôtel dans la plus pure tradition suisse : un,chalet ultra cosy avec terrasse surplombant le lac et les pâturages. À écouter La playlist du Léman. Piotr Ilitch Tchaïkovski, Concerto pour violon en ré majeur ;

Le chiffre C’est le nombre de bouteilles de vin vendues pendant les neuf jours du festival de Cully.

Igor Stravinsky, L’Histoire du soldat ; Ignacy Paderewski, Menuet célèbre en sol majeur, op 14 n° 1 ; Mozart, Concerto n° 9 en mi bémol majeur k 271 par Clara Haskil ; Deep Purple, Smoke on the Water ; Prince, Lavaux ; Queen, A Winter’s Tale. Shopping Montreux Bazar. Magasin de souvenirs d’apparence assez ordinaire, le Montreux Bazar reçoit aussi les fans de Freddie Mercury, qui peuvent y trouver quelques objets de collection. Surtout, le patron, Norbert, est une mine d’informations intarissable sur la musique dans la région (montreuxcelebration.com). Yoo Doo Right Records À Lausanne, une caverne d’Ali Baba sympathique pour les collectionneurs de vinyles, CD, etc. En farfouillant, on trouve toujours quelques raretés.

20 000

Domaine Alain Chollet Des vignobles du Lavaux élevés au son du saxo. Une promenade y est organisée avec de petites bouteilles pour se servir un verre en admirant la vue sur le Léman.

Focus Le Montreux Palace, suite 60 Véritable labyrinthe de luxe inauguré en 1906, ce grand hôtel luxueux accueille traditionnellement les invités du Montreux Jazz Festival. Il fut aussi, et peut-être surtout, la résidence principale de Vladimir Nabokov de 1961 à 1977. L’auteur habitait la suite 60 et des admirateurs du monde entier se pressent encore autour de son bureau. Certains vont jusqu’à prendre en photo une tache d’encre – une des rares maladresses de l’auteur de Lolita.

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Une Suisse à votre mesure Voyageurs du Monde propose de (re)découvrir la Suisse en abordant le pays sous plusieurs angles (la musique en est un) et selon vos envies. Implantée à Genève et bientôt à Lausanne, l’équipe est aux premières

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Interview express

Avec Marie Stravinsky, arrière-petite-fille du célèbre compositeur et présidente fondatrice de la Fondation IgorStravinsky, à Genève. Igor Stravinsky a-t-il aimé vivre au bord du Léman entre 1914 et 1920 ? Igor Stravinsky s’est installé en Suisse à cause de la guerre, et surtout de la révolution russe. Le climat fut également un élément important eu égard à la santé fragile de sa femme atteinte de tuberculose. Ses deux derniers enfants sont nés à Lausanne. Il a aimé la Suisse, ses paysages, sa douceur de vivre et bien sûr ses amis, comme l’écrivain Charles-Ferdinand Ramuz, les peintres René Auberjonois, Alexandre Cingria, Jean Morax et le chef d’orchestre Ernest Ansermet… qui lui ont permis d’avoir une vie sociale malgré les circonstances.

Était-ce une période créative ? Ce fut une période de renouvellement. Les plus importantes œuvres qu’il compose alors sont Renard, L’Histoire du soldat, dont nous avons célébré les 100 ans en 2018, mais également Ragtime et Piano Rag-Music, influencées par le jazz. Il travaille aussi à une œuvre d’envergure, Les Noces, qui voit le jour en 1923.

Quelle langue parlait-on chez les Stravinsky ? La langue maternelle était le russe, mais la “niania” (nounou) parlait allemand aux enfants, qui ont aussi appris l’anglais. Le français était également parlé de façon courante.

La famille Stravinsky est-elle principalement installée en Suisse ? Seul mon grand-père Théodore, fils aîné d’Igor, s’y est définitivement installé. Les autres membres directs (son petit-fils et ses arrière-petits-fils) vivent aux États-Unis. Les Stravinsky qui vivent en Russie sont des descendants de son frère.

Quelle est l’activité de la fondation ? Perpétuer la mémoire du compositeur et former un lien entre la famille, le public et les éditeurs, pour tout projet et toutes questions liés à son œuvre ou sa vie. fondation-igor-stravinsky.org

À Lausanne, dans l’atelier plein d’âme(s) du luthier Sébastien Lavielle.

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On a marché sur Sunset

Trente-neuf kilomètres de repaires hipsters, de studios de cinéma et d’hôtels mythiques croisés au cours d’une randonnée urbaine dans la capitale du drive. Axe mythique de Los Angeles, Sunset Boulevard est un concentré d’entertainment à l’américaine. 81

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ue venez- vous faire ici ?”, marmonne l’agent d’immigration. “Je viens marcher.” Voilà la réponse la plus incongrue de la journée ! “Vous… vous allez à la montagne ?” – “Non, je compte marcher sur Sunset Boulevard.” Soudain, l’officier Gomez part d’un grand rire. Un rire de film américain. “Croyez-moi, vous n’irez pas bien loin !” Clac ! Le tampon tatoue mon passeport. Welcome to Los Angeles ! Sunset Boulevard s’étire sur trente-neuf kilomètres, du centre-ville au Pacifique. Une piste à travers la ville la moins adaptée à la randonnée. “Le métro est très bien, mais il ne va pas partout”, m’explique la jeune artiste Nelly Zagury, qui vit depuis deux ans à Los Angeles, sans voiture. “Ici, on a un mode de vie très communautaire. En fonction de son travail, on choisit l’endroit où s’installer et on a tendance à rester dans son quartier. Alors si vous marchez, on vous prend un peu pour un fou.” Nelly travaille actuellement au livret d’un opéra érotique inspiré de ses rêves. En l’écoutant, L.  A. me fait l’effet d’un écran géant où chacun projette ses fantasmes. Comme celui, bizarre, d’aller à la plage à pied en partant de la gare.

Echo Park, vrais ogres et demi-dieux De bon matin, je quitte donc l’Union Station et son élégant décor mexicain. Le fleuve motorisé a remplacé l’onde qui, partout ailleurs, porte les passants ensommeillés vers le métro. Sunset commence officiellement dans le nid de serpents des Pasadena, Harbor et Hollywood Highways. “Si vous habitiez ici, vous seriez déjà chez vous”, lit-on sur un panneau publicitaire. Je passe devant une enfilade de lavomatiques, garages et marchands de pneus, et croise deux mythes au cœur de nulle part : Sunset épouse ici un pan de Route 66. Au bout d’une petite heure, une fée en short jaillit sur un skateboard. Son Smith & Wesson tatoué sur la cuisse m’escorte vers Echo Park. Stigmates d’un temps où le quartier était infréquentable, quelques fenêtres ont conservé des barreaux, quand les sinistres liquor stores sont devenus des bistrots chics. Voilà, c’est là ! La planète hipster que décrivait l’acteur Ryan Reynolds : “À L. A., tout le monde a peur du gluten. Je vous jure, on peut braquer un caviste avec un bagel !” Chez Echo Park Time Travel, on vend toutes sortes d’objets pour se préparer à un voyage dans le temps comme, par exemple, des œufs de dinosaures. Les bénéfices servent à organiser

des cours du soir pour les gamins du quartier. Derrière le comptoir, Wilson me raconte la saga d’un ghetto transformé en île branchée. Echo Park retrouve désormais son ancienne identité. Dans les années 1950, l’architecte Frank Lloyd Wright y croisait le photographe Edward Weston. La première hipster fut peut-être Anaïs Nin qui vivait là, sans voiture. À l’autre bout de Sunset, le destin d’Henry Miller s’achevait sur Pacific Palissades. Vieillis, les amants de Paris partageaient leur dernière ville, séparés par la vie et l’océan du boulevard. Passée la colline, les lettres bancales de Hollywood jaillissent derrière une pub pour cannabis. Le premier studio que l’on aperçoit est le Scientology Media Productions. L’Église de scientologie règne en effet sur une artère ponctuée de cabinets psychiques et de gourous New Age. Elia Kazan, dès 1940, l’avait remarqué : “Ici, Dieu est à vendre comme une voiture d’occasion ou un savon.” La scientologie possède aussi un curieux musée de la psychiatrie, dédale effrayant de trains-fantômes où Freud se grime en Belzébuth, tandis qu’une voix d’outre-tombe accuse les psychiatres de la mort de George Washington et Kurt Cobain, de la Shoah et du 11 Septembre. Régulièrement, les feux de circulation me

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renvoient à ma fragilité de piéton. J’attends de longues minutes qu’ils m’accordent vingt secondes. Si je me retourne sur le chemin parcouru, la ville me tire jusqu’à l’horizon sa langue de béton. Quand je lève la tête, j’aperçois, là-haut, la tignasse des palmiers chatouiller les hélicos. On se sent tout petit à marcher dans L. A. Je progresse pourtant : les lettres de Hollywood ont basculé sur le trottoir de droite. Au bar du Griddle Cafe, je commande les “World Famous French Toasts” et je comprends que je suis chez les ogres ! Tout le monde mange géant. Une femme aux ongles violets démesurés survole de son iPhone un Manhattan de pancakes. À ses côtés, un beau gosse bodybuildé tronçonne la soucoupe volante de son omelette. Le Griddle est au petit-dej ce que Hollywood est aux vedettes. On en fabrique un maximum pour en jeter la moitié. “Vous arrive-t-il de débarrasser des assiettes vides ?”, ai-je demandé à la serveuse. Elle hésite, puis désigne un Pantagruel penché sur son repas : “Il a parié avec son ami qu’il pouvait manger sans s’arrêter jusqu’à la fermeture. Il y a pas mal d’argent en jeu et il en a pour deux heures de pancakes !” Du Chateau Marmont à la villa de Brad Au 8221, le Chateau Marmont marque l’entrée du “Strip”. Dans les prudes années 1930, cette portion échappait au LAPD et dépendait d’un shérif peu regardant. Esquisse de Vegas, le Strip a conservé son délicieux parfum d’illicite. C’est au Marmont que Billy Wilder écrivit Sunset Boulevard, son requiem à l’âge d’or du cinéma. Curieux palace, meublé de gazinières et autres réfrigérateurs vintage, où des gars tatoués jusqu’aux épaules jouent au ping-pong torse nu, où Helmut Newton a déshabillé des beautés dans la buanderie avant de finir ses jours en Cadillac, encastré dans le mur d’en face. Plus loin, au 8358, le Sunset Tower, élégante tour Art déco, trône là depuis 1929. L’hôtel a vu défiler le gangster jet-setteur Bugsy Siegel, qui y abritait son casino ; l’acteur John Wayne, accompagné d’une vache qui lui donnait quotidiennement du lait frais pour son café ; ou encore la légende rock Iggy Pop, qui tenta de plonger dans la piscine depuis sa suite… pour atterrir à l’hôpital. Le Strip est ainsi scandé de chutes et de scandales. On y trouve des endroits où l’on fait

semblant de ne pas vouloir être vu, et ceux où l’on se cache vraiment. Comme le bar totalement sombre du Sunset Marquis ou l’arrière-cour de la Viper Room – l’acteur Leonardo DiCaprio y flambait des millions au poker avec l’ex-Spider-Man Tobey Maguire. Encore plus discrète, au 8826, une allée mène à la librairie Mystery Pier Books. On y vend à prix d’or des éditions exceptionnelles. Johnny Depp vient ici souvent, ainsi que Natalie Portman, Jude Law, Daniel Craig… Dans la ville des stars, les comédiens dédicacent volontiers des romans. Peu importe qu’ils n’en soient pas les auteurs s’ils ont travaillé à l’adaptation. Une pratique symbolique du pouvoir des images sur les lettres. Mais si Los Angeles n’aime pas les écrivains, les écrivains adorent détester Los Angeles. Brecht a comparé la ville à l’enfer et Fitzgerald y a noyé son spleen dans le champagne. Pour Erich Maria Remarque : “Que Hollywood regorge de grands musiciens, de poètes et de philosophes célèbres ne signifie rien. On y compte autant de pseudo- mystiques, d’illuminés et d’escrocs. Qui que vous soyez, Hollywood vous dévore.” Et L. A. demeure une capitale du polar, au cœur des récits de Dashiell Hammett, Michael Connelly ou James Ellroy, un fidèle de Mystery Pier Books. À moins que le grand roman de Los Angeles ne soit Chroniques martiennes ? Ray Bradbury vivait à L. A. sans savoir conduire. Si la folie de sa ville lui a inspiré ses descriptions de Mars, notre voyage est une randonnée intersidérale. Je passe devant l’immeuble de Tinder où se nouent les solitudes du monde entier. West Hollywood s’achève au 9255, adresse des Studios TriStar. L’ombre se fait plus douce, plus moelleuse. L’air est rafraîchi par les arroseurs qui valsent sur les pelouses. J’entre dans Beverly Hills. Pendant des heures, je vais longer des kilomètres de palais, de colonnes romaines ou de sphinx incongrus. Machinalement, je fredonne le refrain d’un groupe punk des années 80 : “Walking in L. A., walking in L. A… Nobody walks in L. A…”, quand soudain, au numéro 10001, le trottoir disparaît. Pour Sunset, le piéton n’existe plus. Les habitants du quartier ne sortent qu’en voiture ! J’effectue un détour prudent dans le labyrinthe luxueux. Passent des minibus où des guides indiquent au hasard les villas de Brad Pitt ou George Clooney. Une patrouille de police qui roule au pas me rappelle qu’en 1960,

l’écrivain Italo Calvino s’était fait coffrer… car il marchait dans L. A. À partir du campus de UCLA, Sunset retrouve un maigre trottoir. Un seul pour deux côtés. Les kilomètres défilent et, enfin, derrière un temple hindou, scintillent les vagues du Pacifique. Au premier passant, je pose la question dont je connais la réponse : “C’est bien la fin de Sunset Boulevard ?” Comme s’il avait deviné mon long trajet, il répond en souriant : “C’est là ! Vous êtes arrivé à la plage !” Après quatre jours de macadam, il me prend l’envie de courir vers la mer. Encore quelques mètres et je sens le sable tiède sous mes pieds. Trois pas plus loin, la caresse glacée de l’océan m’enlace les chevilles. Mon podomètre indique 99 999 pas. Il refuse d’aller plus loin. À la terrasse du Gladstone’s, je commande six huîtres et lève un verre de chardonnay au chemin parcouru. Clochard céleste et plans sur la comète Parmi tous les passants que j’ai croisés sur Sunset, aucun n’incarnait mieux Los Angeles que Michael Bayonne. Le pauvre homme mendiait sur un banc, face au Beverly Hills Hotel, devant les toilettes publiques où George Michael s’était fait serrer en virile compagnie un soir de 1998. Sur un bout de carton, il avait écrit qu’il était comédien depuis vingt-six ans. Clochard parmi les stars, star parmi les clochards, il m’a montré sa carte du syndicat des acteurs et raconté sa vie. Le mois d’avant, Billy Bob Thornton lui avait filé six dollars. “Un billet de un, et un de cinq. Je ne vais pas les dépenser. J’attends d’avoir assez d’argent pour les encadrer.” Et, mystérieusement, sur le ton de la confidence, Michael a chuchoté : “Billy Bob a un gros projet avec Netflix.” Je termine mon chardonnay. Derrière moi, face à la mer, une productrice à l’accent britannique évoque un film qui se fera peut-être – hélicoptères, images de synthèse… Tandis qu’elle parle, une à une, les lumières de la ville tracent sur la côte une grandiose galaxie. Ce soir, comme tous les soirs, le soleil tombe sur Sunset Boulevard.

Par ADRIEN GOMBEAUD Photos SARAH VAN RIJ

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FraÎcheur et confort d’un salon ouvert, sous les arches et les plafonds traditionnels du Dar al Hossoun.

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Pour se réveiller au chant des nombreux oiseaux, les pavillons du jardin de DarZahia, imaginés par Marc Belli, s’ouvrent totalement sur la nature.

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SUNSET BOULEVARD carnet pratique

À votre arrivée La conciergerie Voyageurs du Monde

• Superficie : 423 970 km² • Capitale : Sacramento • Population : 39 557 045 (en 2018), soit 93,30 habitants/km2 • Sunset Boulevard : 39 km de long. Depuis Hollywood, il permet de gagner l’océan Pacifique et d’y admirer le coucher de soleil…

Présente sur l’ensemble du continent, l’équipe conciergerie francophone de Voyageurs du Monde est bien implantée à L. A. Une team rodée aux demandes de dernière minute (trouver un médecin, modifier une réservation), dont la mission va plus loin. Dotés d’un bon carnet d’adresses, Christophe et son équipe ne manquent pas de ressources pour mettre sur pied une Californie à votre rythme.

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lieux

Union Station (notre point de départ) Construite dans un style néo-mexicain, elle est sans doute l’une des plus belles gares des États-Unis. Elle apparaît dans de nombreux films, dont Blade Runner.

Stories Book and Café, au n° 1716 Jolie librairie qui propose aussi de petits snacks bio servis sur des tables en bois ou dans un patio. La population hipster d’Echo Park y vient en nombre.

Sur place À faire Aller au cinéma ! Le Cinerama Dome, au 6360 Sunset Boulevard, ouvert en 1963, était une salle pionnière des projections “cinérama” sur des écrans géants semi-sphériques. Le Cinerama Dome apparaît notamment dans le film de Quentin Tarantino, Once Upon a Time… in Hollywood. À voir The Flamingo Estate Dans un jardin foisonnant perché sur les hauteurs de Eagle Rock, cette villa des années 1940, propriété de Richard Christiansen remodelée par le studio KO, mixe créativité et horticulture. Le lieu poursuit sa vocation en accueillant régulièrement tournages, expositions et événements. Dormir Mama Shelter. Situé au 6500 Selma Avenue, entre les boulevards

Le chiffre En dollars, c’est le prix d’un scénario original de La La Land dédicacé par les acteurs Ryan Gosling et Emma Stone (chez Mystery Pier Books).

de Sunset et Hollywood, cet hôtel de la chaîne française cultive une atmosphère ludique et gentiment coquine. Très beau (et très disputé) rooftop avec vue sur les collines et les fameuses lettres de Hollywood. Shopping Amoeba Music. Au 6400, ce gigantesque magasin conçu comme un hangar aligne des kilomètres de DVD, VHS, disques, livres, t-shirts… Depuis la mezzanine, on surplombe la mémoire de Hollywood.

The Rainbow, au n° 9015 Célèbre trattoria, où Di Maggio séduisit Marilyn, devenue cantine favorite de la scène metal, avec statue de feu Lemmy Kilmister (Motörhead) à l’appui.

Focus L’hôtel Sunset Tower, au n° 8358 Un mythe du boulevard qui vit passer au cours de son histoire tout le show-business de la Cité des anges (et quelques figures de la pègre). Situé au cœur du quartier du Strip, voisin de la branche ouest de l’Actors Studio, l’endroit a été magnifiquement restauré, tout en gardant son lustre Art déco. Depuis la piscine, se déploie une vue phénoménale sur l’immensité de la ville avec, au loin et comme un autre monde, les tours de Downtown.

Inspirations L. A. reste bien sûr un parfait point d’entrée et/ou de sortie pour poursuivre un périple en Californie. 13 jours à partir de 3 600 €.

Boot Star. Magasin spécialisé dans les bottes de cow-boys (on y trouve aussi des chemises), où Johnny Hallyday avait ses habitudes. Au n° 8493. À lire City of Quartz : Los Angeles, capitale du futur de Mike Davis (sociologie urbaine, La Découverte).

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Los Angeles sous tous les angles Voyageurs du Monde propose d’aborder Los Angeles sous de multiples angles. Des voyages toujours accompagnés de rencontres avec des locaux. Dans leurs pas, vous découvrez leurs quartiers et adresses de prédilection.

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Hyderabad, le trésor des nizams Son nom évoque le faste des palais, les jardins moghols et les rivières de diamants… Si l’ancienne cité princière à la culture indo-persane s’est muée en une mégapole high-tech, Hyderabad a su garder le goût de son passé et des chemins inexplorés.

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Le Laad Bazaar by night. Ambiance bouillonnante aux effluves d’épices sur le plus ancien marché de la ville.

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L

a nuit, les sons s’élèvent comme une rumeur jusqu’au sommet de la colline sur laquelle se dresse avec majesté le palais de Falaknuma. Les chants des prières des mosquées avoisinantes se mêlent aux bruissements du vent dans les arbres. Des rythmes instrumentaux échappés des temples hindous s’ajoutent à ce concert improbable, comme sorti d’un conte des mille et une nuits. Ici, le soleil se lève escorté par les ondulations mélodiques de la flûte indienne d’un musicien en faction aux portes de la salle du petit déjeuner. Il se couche emporté par l’effervescence des chanteurs soufis du Qawwali et de leur hymne à l’amour de Dieu, joué tous les soirs sous la monumentale coupole du belvédère. Construit à la fin du XIXe siècle, puis abandonné, le palais de Falaknuma a été rénové de fond en combles et transformé en hôtel par le groupe Taj en 2010. Il se découvre dans les hauteurs du sud de la ville en lieu et place d’une ancienne forêt où les tigres ont depuis longtemps cédé la place aux paons plus civilisés. Falaknuma – le “miroir du ciel”, en urdu – est le souvenir intact de l’époque fastueuse pendant laquelle Hyderabad, capitale de la région du Deccan, au centre de l’Inde, était placée sous l’autorité des nizams – titre musulman équivalent à celui de maharajah. De 1724 jusqu’à l’indépendance de l’Inde en

1947, cette dynastie fit de cette cité un hautlieu du raffinement esthétique et culturel aux croisées des influences islamiques, perses, mogholes et européennes. Depuis, le patrimoine de la ville est peu à peu tombé dans l’oubli, mais quelques passionnés se mobilisent pour préserver les derniers joyaux d’Hyderabad. Fermé pendant vingt ans, Falaknuma aurait pu rester une belle endormie si une femme – pardon, une princesse – n’avait pas entrepris de lui redonner une seconde vie. Première des cinq épouses de Mukarram Jah, huitième et dernier nizam propriétaire du lieu, la princesse Esra se donna comme mission, à la fin des années 1990, d’exhumer les vestiges du patrimoine de son exmari. Ce dernier, émigré en Australie, puis en Turquie, avait fini par tout bonnement abandonner ce trop lourd héritage. Le palais de Falaknuma était resté figé pendant des années dans sa splendeur déchue, comme par malédiction. Les superstitieux racontent que le plan en forme de scorpion, à partir duquel fut construit le palais entre 1884 et 1893, serait à l’origine des épreuves du site. Avec son assentiment, la princesse Esra reprit la main sur les quelques palais de son ex-mari avec le projet de les rénover et de donner à découvrir au public ces lieux exceptionnels. C’est ainsi que Falaknuma s’est mué en hôtel et que les visiteurs – principalement des Indiens, la ville n’ayant pas en-

core cherché à se promouvoir en destination touristique, contrairement au Rajasthan qui a valorisé son patrimoine à cet effet – sont autorisés, depuis 2004, à déambuler dans l’enceinte du Chowmahalla Palace. Les lustres en cristal et le trône en marbre du nizam y figurent parmi les derniers témoins de la folie des grandeurs de cet état princier. Autant dire une goutte d’eau dans un océan disparu de perles et de diamants. Falaknuma, l’extravagance à l’indienne Les nizams d’Hyderabad étaient réputés pour construire les plus beaux palais, organiser les plus belles réceptions, posséder les plus beaux bijoux et vêtements, les plus belles armes, les plus belles femmes… Séjourner à Falaknuma, c’est entrouvrir la porte de cette histoire d’extravagance à l’indienne, très inspirée du luxe à l’européenne. On n’y entre pas comme dans un hôtel, mais plutôt comme dans un château. D’ailleurs, c’est une calèche qui attend les hôtes à l’entrée de la propriété pour les emmener jusqu’aux portes du palais. Chaque jour, à 17 heures, monsieur Prabhakar, l’historien officiel, explique aux clients de l’hôtel la genèse de cette demeure de style italien et Tudor construite avec l’ambition d’être le plus bel édifice de la ville. Il guide les hôtes à la découverte de ses plafonds peints, de ses lustres en cristal, de son escalier monumental, de sa salle de bal en parquet, de son bar anglais,

Les fleurs inondent les rues pour Divali, la fête des lumières, qui marque le Nouvel An hindou. Avant Hyderabad, il y eut la cité de Golkonda, première capitale du royaume éponyme, de 1364 à 1512. La ville fut définitivement abandonnée en 1687. Le fort, lieu plein d’âme, donne un éclairage passionnant sur les origines de la fondation d’Hyderabad.

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La salle de bal du palais de Falaknuma, tÊmoin royal des fastes des nizams d’Hyderabad.

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Un vendeur du marché aux fleurs d’Hyderabad.

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Collection de tableaux anciens dans la maison traditionnelle de la famille Das, qui fut proche des nizams.

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inde du sud La nécropole majestueuse de la dynastie des Qutb Shahi compte près de quarante sépultures, dont sept mausolées spectaculaires coiffés de bulbes. Ces tombeaux en granit, construits dans des styles architecturaux persans et hindous, font partie des plus anciens monuments historiques d’Hyderabad.

de son salon de jade, de sa bibliothèque de 300 livres reliés, de sa salle à manger pour 101 convives. La visite se termine sur la terrasse panoramique surplombant la ville à 180 degrés. De là, on aperçoit dans le soleil couchant une ribambelle de tourelles à bulbe, typiques du style moghol, coiffant le toit d’un petit palais annexe. Ce dernier avait été ajouté en 1906 en l’honneur des 4 ans du couronnement d’Edouard VII, roi du Royaume-Uni et empereur des Indes. Pour l’heure, le lieu est fermé au public, n’ayant pas encore trouvé sa vocation. Iconique Charminar Aux pieds du palais, s’étend la ville contemporaine, ses quelque 9 millions d’habitants – dont 40 % de musulmans – et sa musicalité cacophonique, orchestrée par le tintamarre incessant des klaxons. Depuis une décennie, Hyderabad, capitale du Telangana, connaît un boom économique et démographique sans précédent. En Inde, on lui prête un statut de Silicon Valley (Google et Facebook y sont notamment implantés) et de Genome Valley, via son pôle d’excellence en biotechnologie. Si bien que deux villes semblent cohabiter dans cette immensité. La High Tech city, qui ne cesse d’édifier des tours sans âme, et la vieille ville qui, elle, impressionne par sa singularité et son orientalisme volubile. À cinq kilomètres à vol d’oiseau vers le nord, on aperçoit les quatre gigantesques minarets de Charminar. Cette porte monumentale, construite en 1591, est devenue le monument iconique d’Hyderabad et le centre névralgique de sa vieille ville. Autrefois, l’une de ses tours abritait 103

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Le palais de Falaknuma a été rénové par la princesse Esra avant de devenir la propriété du groupe hôtelier Taj qui l’entretient comme un bijou précieux.

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Minoo, élégante Hyderabadi et experte ès biryani, reçoit les hôtes de passage dans sa maison au décor raffiné pour des déjeuners indiens authentiques.

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une mosquée princière, mais les fidèles se sont toujours rendus en face, à la Mecca Masjid, vaste mosquée qui fait partie des lieux de culte musulmans les plus importants du sud de l’Inde. Accolé au pied d’une des tours du Charminar, un temple hindou provisoire s’est installé le temps de Divali. La fête des lumières, qui marque le Nouvel An hindou, dure presque une semaine au cours de laquelle les maisons et les boutiques sont décorées de guirlandes de fleurs. La nuit, les pétards retentissent de toutes parts et des centaines de feux d’artifices jaillissent dans le ciel. Sur le parvis de Charminar, une queue de plusieurs centaines d’Indiens serpente à la porte du petit temple. Tous tiennent à se prosterner devant la déesse Lakshmi, symbole de prospérité et de richesse. Les familles les plus fortunées organisent chez elles les cérémonies et offrandes aux divinités. Pour les Mangatrai, joailliers à Hyderabad depuis cinq générations, le célébration du puja de la déesse Lakshmi fait partie des moments clés de l’année. La famille se rassemble dans ses habits de fête et se consacre tout entière à cette adoration dans le pur respect des codes hindouistes. Mohit Gupta, le plus jeune fils, aime se souvenir que sa famille doit sa prospérité à un ancêtre qui, après être venu à Hyderabad depuis le nord de l’Inde à pied, avait ouvert une petite boutique de bijoux. Aujourd’hui, les Manga-

trai possèdent treize enseignes et font partie des marchands les plus importants de perles de la ville qui en a fait sa spécialité. Mines de diamants et forteresse de pierre À Hyderabad, les communautés musulmanes et hindoues se mélangent depuis plusieurs siècles avec bienveillance et ouverture. La ville est connue pour son accueil, son art de recevoir, sa gastronomie raffinée, inspirée de la culture perse. Autour du Charminar, des petits cafés iraniens rappellent ces origines. On y vient pour prendre un café noyé de lait sucré et déguster un biscuit osmanien, selon la tradition gastronomique des nizams. Au marché aux légumes vieux de deux cents ans, les vendeurs attendent leurs clients assis sur des pavillons en bois au milieu des couleurs flamboyantes des aubergines, des piments verts, des citrons, des chariots de tomates et de courges surdimensionnées. La nuit, dans les ruelles du Laad Bazaar, entre les stands jonchés de bracelets indiens et ceux remplis d’épices locales, règne une ambiance orientale surannée. Pour comprendre , il faut aller vers l’ouest, à dix kilomètres du centre, sur la colline où se dresse depuis le XIIe siècle le fort de Golkonda. Deux dynasties de conquérants musulmans d’origine perse venus du nord de l’Inde – les Qutb Shahi – s’y sont succédé à partir du début du XIV e siècle. Ils firent du

fort de Golkonda le siège de leur capitale et y installèrent leur résidence, leur armée, leur harem. Surtout, la forteresse était connue pour être la place forte du commerce des diamants. La fortune des sultans, puis des nizams, venait des mines de Golconde, à l’est, dans les alluvions du fleuve Krishna. Jusqu’au XIXe siècle, ces mines étaient quasiment les seules sources au monde de diamants et Hyderabad le seul lieu de négoce. Les acheteurs de pierres venaient de partout pour trouver ces raretés. Gravir les hauteurs de Golkonda, c’est se projeter quatre siècles en arrière dans une forteresse de pierre construite sur d’énormes rochers granitiques, au cœur d’une végétation sauvage. Sur la terrasse la plus haute du fort, on surplombe une immensité verte, souvenir d’une époque où la nature avait encore tous ses droits. Au coucher du soleil, un doux voile de lumière recouvre les vestiges de l’ancienne citadelle. Les prières des mosquées environnantes s’élèvent jusqu’au fort et s’engouffrent dans ses chemins tortueux. Comme pour mieux donner à sentir aux visiteurs de passage l’âme de ces pierres chargées de mystère. On se souvient de Taramati, célèbre maîtresse et courtisane du sultan. Celui-ci avait fait construire pour elle, à quelques kilomètres du fort, un palais à ciel ouvert duquel il pouvait l’entendre chanter jour et nuit.

Comme souvent à Hyderabad, on explore les lieux quasiment seul, dans une atmosphère hors du temps. Avec, pour seul escorte, le gardien souriant qui veille sur ces tombeaux depuis quarante ans et ne se lasse pas d’en humer les mystères. 106

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Délicatement ouvragé, le site des tombeaux de Paigah est sans doute l’un des plus beaux et aussi des plus secrets de la ville. Vestige architectural du XVIIIe siècle, il est tel un palais à ciel ouvert, doté d’une mosquée et d’un bassin aux ablutions (ci-contre). Ci-dessous, les grenades du marché d’Hyderabad.

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Le Coronation Hall, au style moghol, petit palais annexe ajouté au Falaknuma en 1906 en l’honneur des 4 ans du couronnement d’Edouard VII, roi du Royaume-Uni et empereur des Indes.

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Dans la vieille ville, les vendeurs du marché aux légumes, qui se tient depuis deux cents ans, prennent la pose.

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Pendant toute la période de Divali, les habitants affluent vers le temple dédié à la déesse Lakshmi, installé pour l’occasion au pied de Charminar.

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Vue sur la ville contemporaine depuis l’une des portes du Charminar, monument emblématique d’Hyderabad. Sur la gauche, le Government Unani Hospital, aux allures de palais et toujours en activité depuis 1938.

Le sultan et sa belle reposent désormais dans les tombes majestueuses de la nécropole de Qutb Shahi, à deux kilomètres de la citadelle. Celle-ci compte près de quarante sépultures, dont sept mausolées spectaculaires coiffés de bulbes où reposent les souverains. Certains édifices funéraires sont posés sur des dalles de 4 mètres de haut. Pour être au plus près du ciel, les dômes peuvent atteindre jusqu’à 65 mètres de hauteur. Loin de ces architectures monumentales, le cimetière musulman dévolu à la famille Paigah – famille princière, très proche des nizams, à qui appartenait originellement le palais de Falaknuma – fait office de chefd’œuvre miniature. Construit au XVIIIe siècle, il abrite une petite mosquée et 27 tombeaux enclos dans une sorte de palais à ciel ouvert en marbre blanc, délicatement ouvragé comme une robe de mariée en dentelle. Au-

cune tombe ne possède le même décor, chaque porte, façade, fenêtre et moucharabieh est sculpté de motifs en stuc des plus raffinés. Les styles indien et islamique s’associent dans une harmonie de formes et de détails. Comme souvent à Hyderabad, on explore les lieux quasiment seul, dans une atmosphère hors du temps. Avec, pour seul escorte, le gardien souriant qui veille sur ces tombeaux depuis quarante ans et ne se lasse pas d’en humer les mystères. Si ces précieux tombeaux possèdent la beauté fanée des lieux non restaurés, ils ne sont pas en danger contrairement à de nombreux sites historiques d’Hyderabad, menacés de destruction. Il y a un an, Deepak Gir a fondé l’association Heritage Trust afin de préserver le patrimoine de sa ville (et de celle de ses ancêtres depuis six générations). Il vient d’obtenir la protection de 137 édifices que

l’État du Telangana prévoyait de détruire. Les havelis, ces maisons de maîtres typiques de la société huppée d’Hyderabad, sont également en voie de disparition. Jyoti Das, jeune collectionneuse et curatrice, pense à transformer la vaste demeure de ses parents, construite en 1903 dans la vieille ville et restée intacte, en guest-house. L’occasion pour les visiteurs étrangers d’y découvrir une rare collection d’art hindou ancien et contemporain. Sans compter les deux ingrédients principaux de la culture locale : l’hospitalité et la spiritualité.

Par MARION VIGNAL Photos ALEXANDRE GUIRKINGER

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Sur l’une des terrasses de l’hôtel Falaknuma Palace.

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HYDERABAD carnet pratique

À votre arrivée

• Superficie : 3 287 263 km² • Capitale : New Delhi • Population : 1 296 834 042 (en 2018), soit 395 habitants/km2 • Hyderabad : à 11 km, les mines de Golkonda ont offert parmi les plus gros diamants au monde, dont le Koh-i-Noor (ornant la couronne britannique) et le diamant Jacob de 187 carats.

La conciergerie Voyageurs du Monde L’Inde compte parmi les pays sur lesquels Voyageurs du Monde a bâti le savoir-faire d e s o n s e r v i c e c o n c i e r g e r i e. D e u x interlocutrices francophones assistent les voyageurs en permanence. Leur connaissance, leur réseau et une réactivité à toute épreuve permettent d’ouvrir les portes et ne rien laisser au hasard. Un véritable atout pour explorer Hyderabad.

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lieux

British Residency - Koti Womens College Ce ravissant palais néoclassique du XIXe siècle est né de l’histoire d’amour d’un Britannique et d’une noble indienne musulmane. En cours de restauration.

Secunderabad Club Club créé par les Britanniques en 1878 devenu QG des notables indiens de la ville, le décor colonial est typique : trophées de chasse, tennis, cricket…

Sur place À faire Simply South. Ce restaurant a fait de la cuisine du sud de l’Inde sa spécialité. On y vient pour goûter les meilleurs plats du Telangana, du Kerala, de l’Andhra Pradesh… Le chef Chalapathi Rao est un fin connaisseur de la culture d’Hyderabad et des différentes influences culinaires de la région. Son restaurant ne propose que des aliments de provenance locale et issus de l’agriculture biologique. Un délice de saveurs savamment pimentées. Dormir Palais de Falaknuma. Propriété du groupe Taj, le Falaknuma n’est pas seulement un hôtel, mais une destination en soi, tant le lieu possède un caractère exceptionnel. Construit sur une colline, à l’écart des bruits de la ville, au cœur d’une végétation luxuriante, ce palais princier rempli d’œuvres

Le chiffre En millions, c’est le nombre actuel d’habitants à Hyderabad, mais il tend à augmenter à vitesse record. Hyderabad étant la ville de l’Inde dont la croissance économique est la plus rapide.

et d’objets rares vaut autant pour son décor historique que pour son confort de palace. Petit déjeuner sous la coupole monumentale, thé dans la salle de bal, digestif dans le bar anglais… À Falaknuma, on fait l’expérience d’une vie de palais, escorté par la simplicité et le sourire d’un service indien raffiné. Shopping Mangatrai. La famille Mangatrai fait partie des plus anciens joailliers d’Hyderabad, capitale de la perle et longtemps plateforme du commerce du diamant. Leurs différentes boutiques proposent le plus vaste choix de perles et de pierres précieuses ou semi-précieuses. À lire Le Moghol blanc de William Dalrymple (littérature de voyage, Noir sur Blanc).

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Les rochers de Fakhruddin Gutta On y vient pour escalader et contempler d’énormes rochers en granit datant d’il y a 2,5 millions d’années. Le site sacré abrite des temples hindous et soufis.

Focus Le biryani de Minoo Les villes de l’Inde se livrent à une véritable compétition sur le biryani. Chacune pense détenir la vraie recette et en fait sa spécialité. Hyderabad ne fait pas exception et se proclame avec fierté comme la capitale de ce plat indien traditionnel, réalisé avec un mélange de riz, d’épices et de viandes de mouton. Pour s’en convaincre, rien ne vaut un déjeuner chez Minoo. Cette élégante Hyderabadi, experte en cuisine, reçoit les hôtes de passage dans sa maison au décor raffiné pour des déjeuners indiens authentiques. On assiste en cuisine à la préparation, puis l’assiette et toutes les épices révèlent leurs parfums subtils. Sans conteste, le meilleur des restaurants de la ville.

Inspirations

Fascinante Inde Comptant parmi ses destinations historiques, l’Inde reste pour Voyageurs du Monde un perpétuel territoire d’exploration. Comme Calcutta ou la Vallée du Gange, Hyderabad montre un autre visage de cet immense pays. Nuits en palais, visites

privées, solide carnet d’adresses, assistance 24/7… À combiner avec Bombay en ouverture, Bangalore et même les îles Andaman pour un final éblouissant. 10 jours à partir de 3 800 €. Voyageurs en Inde 01 84 17 21 64 Des voyages zéro carbone Les émissions de CO2 générées à chacun de nos voyages sont absorbées à 100 % par des actions de reforestation.

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Au sud de la péninsule turque, la côte Lycienne collectionne vestiges antiques et îles discrètes. L’ensemble, baigné d’une douceur surannée, invite à l’itinérance tranquille.

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a route semble hésiter entre les crêtes du Taurus et la baie de Fethiye. Nous aussi. D’un côté, la cité antique – ancienne Telmessos –, coiffée de tombeaux que des architectes acrobates ont taillé dans la falaise qui surplombe Fethiye, trois cent cinquante ans avant notre ère. Un témoin de la fin du règne lycien bousculé par Alexandre Le Grand. La voie lycienne appelle à grimper toujours plus haut, dans un arrière-pays qui sème les sites antiques perdus entre des pins bien droits et des oliviers noueux, jusqu’à un village fantôme. À Kayaköy, 25 000 chrétiens anatoliens vivaient ici, tranquilles, au début du XXe siècle, jusqu’à ce qu’un traité suisse les pousse à rejoindre la Grèce. Ils cédèrent alors leur village à des Turcs déplacés de Grèce, qui eux refusèrent le troc, laissant au vent salé les façades de calcaire aban données. La vue sur la Grande Bleue est pourtant belle et révèle à nouveau le dilemme entre la terre et l’eau. La chaleur montant dans le froissement des cigales souligne l’urgence de rejoindre cette eau turquoise, celle qui donne son nom à une côte en forme de parure, reliant Dalaman à Antalya. Et l’idée ne date pas d’hier. Larguer les amarres et l’emprise du temps Selon la légende, c’est ici, sur les crêtes du village de Göcek, qu’Icare aurait trouvé le tremplin idéal pour rejoindre les flots. Aujourd’hui encore, ses “descendants” tournoient dans un ciel d’azur, sous leurs ailes de parapente, pour poser pied sur des plages d’albâtre. Le moyen le plus logique d’explorer le “golfe aux douze îles” et ses alentours reste pourtant le bateau. Un cabotage de criques en longs filets de sable blond. Iztuzu est de celles-là, limite naturelle entre la Méditerranée et l’eau douce de la rivière Dalyan. En juin, la plage est déserte… mais réservée. Invitées spéciales, les tortues caouannes y ont établi leur pouponnière. Et c’est bon signe. Les nageurs en goguette iront barboter un peu plus loin, sur Delikada, île délicatement dressée de pins, ourlée d’émeraude. Déjeuner de poisson grillé et de mezzés. Puis loin, une escale à Kaunos témoigne de

l’importance de la région dans l’Antiquité. Les vestiges d’un théâtre romain, une agora, des thermes, un nymphée, aujourd’hui gardés par les chèvres… La tradition des bains de boue minérale – aux bienfaits ancestraux reconnus sur la peau, la fatigue musculaire, les rhumatismes (et même la beauté à en croire Cléopâtre) – perdure quant à elle. Ainsi, les bains encore en activité abritent une drôle de tribu de statues de glaise bien vivantes. En été, ce genre de rendez-vous de boue est bondé. Mais c’est aussi l’un des endroits, avec la plage d’Ölüdeniz, où se fondre dans le décor et goûter à l’atmosphère surannée d’une région de Turquie encore hors des radars européens. Après ce bain de foule, il est toujours temps de s’éclipser, et la côte Lycienne, de ce point de vue, est aussi faite pour les oiseaux sauvages. Il suffit de filer un peu plus loin jusqu’à Faralya, d’abandonner son véhicule sur les bords d’une route suspendue et de suivre la piste rocailleuse d’une oasis “Perdue” (c’est son nom). Là, blotties entre les pins et l’eau, onze huttes aux airs de savane déclinent le bonheur en toute simplicité. Le bois et le bambou, la plage au bout du lit, les espaces pour se percher sur l’horizon, la goélette pour aller encore plus loin de crique en crique… : une véritable invitation à larguer les amarres et l’emprise du temps. Se lever aux aurores redevient un plaisir et offre alors la primeur d’une randonnée dans les gorges de Saklikent. De là, Xanthos, l’ancienne capitale lycienne, et son sanctuaire de Létôon ouvrent leurs portes. Une stèle trilingue (araméen, lycien et grec) découverte sur place en 1973 a permis de déchiffrer en partie la langue lycienne. Datée du IVe siècle avant notre ère, elle marque l’importance exceptionnelle de la région à travers les civilisations, rappelant au passage que vous n’êtes pas les premiers à y succomber.

Par BAP TISTE BRIAND Photos ISAAC MARLEY MORGAN

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Déco organique et mer au bout du lit à l’hôtel Perdue.

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CÔTE LYCIENNE carnet pratique

À votre arrivée

• Superficie : 783 562 km² • Capitale : Ankara • Population : 82 835 090 (en 2018), soit 106 habitants/km2 • Monnaie : livre turque • Voie lycienne : 504 km de sentier, au départ de la ville de Fethiye

Djan, concierge Voyageurs du Monde Franco-Turc habitant Istanbul depuis quinze ans, Djan a l’ouverture d’esprit et le dynamisme de sa génération alliés à une grande culture de la Turquie. Réserver une bonne table, conseiller une visite ou une plage, privatiser un caïque : il vous assiste par téléphone et via messagerie instantanée.

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lieux

Île de Sovalye Une île privée, sans route ni voiture, mais avec les plus belles maisons des environs. À rejoindre en bateau pour un dîner romantique à l’Ada, sur les toits.

Plage de Kaputas Un écrin de sable blanc blotti entre les falaises et un dégradé bleu d’Égée. Se garer en bord de route et gagner le fond du canyon jusqu’à la plage.

Sur place À faire À bicyclette… La région d’Olympos se prête parfaitement à une exploration à vélo. Des chemins filant à travers une végétation quasi tropicale, une vallée paisible et un site archéologique majeur.

L’Apéro À Kas, ce petit bout de France tenu par Paul propose une habile rencontre culinaire. Le tartare de betterave à la mangue et le foie gras “à la turca” sont loin de la simple mise en bouche.

… ou en bateau La baie de Göcek est un rêve pour tous les amoureux de croisière à la voile. Douze îles préservées et des criques idylliques vous attendent. À faire également à la journée, en bateau-taxi.

Dormir Perdue Hôtel. Le glamping version lycienne atteint ici son paroxysme : l’emplacement fabuleux, l’atmosphère calme (réservé aux adultes), la déco organique et la mer au bout du lit.

À table Yengeç. Le port de Fethiye abrite l’un des meilleurs restaurants de poissons de la côte. Yengeç (crabe en turc) sert mezze, sashimis, cassolettes et coucher de soleil à se damner.

Sept siècles avant notre ère, c’est la période à laquelle appartiennent les plus anciens tessons de céramique retrouvés à Xanthos-Létôon, cité majeure de la civilisation lycienne.

Focus Kekova, les cités englouties Au sud de Simena, une île de moins de cinq kilomètres carrés abrite un immense rêve d’archéologues. Quatre cités semienglouties qui ont fait ressurgir le mythe de l’Atlantide. Détruites dans l’Antiquité par un séisme, Apollonia et Aperlai (plus importantes villes de Lycie au Ve avant J.-C.) se visitent par le haut et en bateau. L’eau cristalline laisse apparaître les ruines d’un théâtre, plusieurs sarcophages, des amphores. Inutile de sortir votre masque, le site est protégé depuis 1990 et la plongée y est interdite. Le spectacle reste intact.

Inspirations

À lire Turquoise Coast d’Oliver Pilcher (beau livre, photographies, Assouline).

Le chiffre

Kalkan Cette ancienne cité grecque conjugue le charme des maisons blanchies à la chaux, la longue plage de Patara et le site antique de Xanthos.

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francophones, le tout bordé d’étapes douillettes, de tables spécialement repérées et d’activités selon vos goûts. 10 jours à partir de 3 500 €. Une Riviera magique Voyageurs du Monde aborde la côte Lycienne par ses multiples chemins de traverse. Sur l’eau, en cabotant ou à bord d’une caïque privée ou non ; à terre, vers les plus beaux sites, accompagné de guides

Voyageurs en Turquie 01 85 08 10 44 Des voyages zéro carbone Les émissions de CO2 générées à chacun de nos voyages sont absorbées à 100 % par des actions de reforestation.

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Le K Séoul Surenchère technologique, K-pop, K beauty, censure… Comment la jeunesse séoulite vit et voit son avenir ? Plongée, au pays du Matin pas si calme, dans la plus futuriste des capitales asiatiques, emmenée par des millennials déterminés. 130

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Virée noctambule au Soap, club emblématique d’Itaewon, quartier prisé par la jeunesse locale.

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éoul aime les miracles. Bordé entre les eaux du Han et une pointe de forêt rebelle, le quartier de Seongsu-dong annonce peut-être la prochaine prophétie de la ville. Sept siècles après l’implantation de la capitale sur un axe reliant les montagnes au fleuve – selon les préconisations des géomanciens de la jeune dynastie Joseon –, cinquante ans après une urbanisation record, la capitale sud-coréenne dévoile un nouveau visage. Derrière une façade de briques rouges, sous une haute charpente de métal, une ancienne fonderie torréfie aujourd’hui d’un même geste, grands crus colombiens et street-art coréen. Les étudiants de la voisine université de Konkuk se pressent vers les tables en bois du Daelim Changgo Gallery Co:lumn. À l’abri des cloisons de béton brut, on révise, scrolle en 5 G, chatte sur Kakao Talk (l’application de messagerie instantanée coréenne) en sirotant un matcha, et éventuellement on pique une sieste régénératrice sous des arbres transplantés. À Seongsu-dong, les idées germent de ces ateliers tombés en désuétude avant de se réinventer. Hier maillon de la révolution industrielle de Séoul – lourde d’abord, technologique ensuite –, le quartier est au cœur d’un projet de “renaissance urbaine” qui, sous l’influence de jeunes architectes, préserve les anciens bâtiments, transformant là une imprimerie en showroom, ici l’atelier des métallurgistes en vivier de geeks et plus loin celui des tanneurs en café-boulangerie design. On vient ici goûter aux pâtisseries fines, flairer les dernières tendances et savourer un cognac français, loin de la foule et des néons. Un air de Hackney londonien qui prouve que bien souvent le vent tournant vient de l’est. Lorsque l’espace vient à manquer, les containers prennent le relais, recyclés en centre créatif comme à l’Under Stand Avenue, posée dans “la forêt” de Séoul. À des années-lumière, juste de l’autre côté du fleuve, Gangnam District dresse ses tours clinquantes. Apothéose de béton et de verre, quartier d’affaires émergé

des rizières en quelques moissons seulement. La consécration absolue d’une politique de “croissance avant tout” qui en moins de quatre décennies a transformé une terre pauvre anéantie par la guerre en l’une des mégalopoles les plus performantes d’Asie. Diktats occidentaux et idoles K-pop Seongsu-dong semble dicter un nouveau paradigme dans lequel le p‘ungsu (équivalent coréen du feng shui) réconcilie timidement urbanisme et environnement. Une ville qui ne fait pas table rase du passé, et dans laquelle le diktat du “pali-pali” (“vite-vite”) perd son emprise sur une génération qui refuse de vivre comme ses aînés. “La situation économique dans laquelle vivaient nos parents était difficile. Ils ont travaillé dur et c’est profondément respectable mais aujourd’hui ma génération ne veut plus suivre ce modèle. Elle tient à réaliser ses rêves et, surtout, elle trouve le courage de le faire”, témoigne l’actrice Park Sodam, installée dans le décor vintage d’un bar de nuit de Seongsu-dong. Révélation du film Parasite de Bong Joon-ho (Palme d’or 2019), à peine trentenaire, la jeune femme incarne ellemême un nouveau visage de la Corée. Tempérament solide, physique sans retouche, elle fait encore figure d’exception parmi les stars d’une génération qui, entre le lycée provincial et l’université de Séoul, change souvent d’amis et d’apparence. Entre 19 et 29 ans, une Séoulite sur trois aurait recours au bistouri des cabinets de chirurgie esthétique de Gangnam. Débrider le regard, affiner le nez, la mâchoire : rien n’est trop douloureux pour ressembler aux modèles dictés par les critères occidentaux et les idoles de la K-pop, quitte à rejoindre “l’armée des clones”. Difficile d’éviter l’obsession esthétique qui se rappelle à vous à chaque coin de rue via des panneaux publicitaires vantant les masques miracles pour blanchir la peau, ralentir le vieillissement. Dans un combat perdu d’avance, l’industrie cosmétique se porte à ravir, surtout en Corée où l’on naît déjà âgé d’un an : les neuf mois de vie utérine comptent pour une année pleine.

De gauche à droite et de haut en bas : l’actrice Park Sodam, sensation du film Parasite, Palme d’or 2019 ; les courbes du Dongdaemun Design Plaza, centre culturel dessiné par Zaha Hadid ; plat de japchae, les nouilles coréennes de patate douce, avalées à un coin de rue ; un des nombreux cafés de la ville à la déco soigneusement étudiée.

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Omega Sapien, du trio hip-hop Balming Tiger, a fait du quartier d’Itaewon (page de droite) son qg.

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“La situation économique dans laquelle vivaient nos parents était difficile… Ma génération ne veut plus suivre ce modèle. Elle tient à réaliser ses rêves.” – Park Sodam, actrice

Aux antipodes : Ikseon-dong, l’un des rares quartiers traditionnels préservés, et les lieux actuels, pensés pour leur fort potentiel instagramable et répondre à la folie du selfie.

Un appel à la mixité des genres Face à ces carcans, une partie de la jeunesse séoulite née après vingt ans de totalitarisme, aspire à exister, librement. Et le cosmopolite quartier d’Itaewon est un autre de leurs bastions. Sur le trottoir, une petite foule tranquille se rassemble à la terrasse d’une supérette. Sous le store rouge flottent un son électro et un timbre qui rappelle celui de l’Islandaise Björk. Là, entre les réfrigérateurs et les caisses de nouilles, le collectif Balming Tiger a posé ses tables de mixage. Un showcase décalé, destiné à lancer le dernier album de leur protégée. Sogumm, nom de scène qui évoque le sel – sogeum en coréen – pose sa voix planante dans la lumière safranée de cette fin de journée. Elle fait onduler une faune alternative et lookée. Cheveux colorés et piercings, tatouages et pantalon baggy, bonnets à pompon et caniche sous le bras : un instantané d’un Berlin asiatique. Accompagnant le flow de la chanteuse, deux costauds break-dansent… vêtus de hanbok, le costume traditionnel. Leur trio s’appelle Balming Tiger, étoile montante d’un genre qui doucement s’installe dans un paysage musical semblant jusqu’ici entièrement voué à la K-pop. Eux revendiquent une K-pop alternative. “Les groupes pop créés par de grands labels ont permis de faire connaître la musique coréenne dans le monde, mais quelque part, toute musique composée par des Coréens est de la Korean-Pop. Nous refusons d’être enchaînés à un style, aujourd’hui nous faisons du hip-hop, mais notre prochain album pourrait être jazz”, clame Omega Sapien, voix de basse aux cheveux verts. Cet appel à la mixité des genres résonne à Itaewon, QG de la communauté LGBT dans un pays où l’homosexualité est encore taboue. “Face à une société ultramachiste où les femmes sont constamment exposées à la critique, exprimer nos désirs, notre sexualité est un réel

combat”, confirme Jeon Duri, militante discrète qui a lancé un magazine érotique féminin, immédiatement censuré, avant de créer un lieu de rencontres réservé aux femmes. Derrière la porte capitonnée se tisse la rébellion. L’an dernier, le mouvement “Escape the Corset” lancé sur les réseaux sociaux invitait les Coréennes à adopter la coupe garçonne et à détruire leurs produits de maquillage en signe de rejet des codes de beauté imposés. L’espoir de faire bouger les lignes grandit aussi derrière l’engagement de rares égéries sans fard, à l’instar de la comédienne Lee Ju Yeong qui après un baiser féminin à l’écran a provoqué un tollé sur Twitter en défendant simplement le mot “actrice”. Garder son âme alternative Iteawon connaît pourtant le concept de tolérance. Dans ses ruelles escarpées, se côtoient une base militaire américaine historique, des communautés africaines et asiatiques, une église catholique et l’unique mosquée de la ville. Les tables juxtaposent cuisine coréenne contemporaine, pizzas à l’ancienne et saveurs vietnamiennes (la dernière it-food à Séoul). Un heureux melting-pot d’échoppes vintage et d’art contemporain – notamment au musée Leeum, fondation de la famille Lee (Samsung) – qui fait la richesse du quartier. Iteawon a même sa grande librairie, la Hyundai Card Music Library. Dans une ville absorbée par le digital, où les lieux publics sont pensés d’abord pour leur potentiel instagramable, les livres se résument souvent à des objets décoratifs comme à la très photogénique Starfield Library de Gangnam. Le lieu reste l’un des derniers espaces où les poètes de Séoul – une espèce en voie de réapparition – peuvent s’abreuver de papier. De quoi rassurer une lectrice de Proust comme Sogumm, qui tient à s’affirmer par ses textes

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SĂŠoul est un grand laboratoire de styles. Au centre, en kimono traditionnel rose, le rappeur San Yawn, du collectif Balming Tiger.

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“Séoul est une ville où il n’est pas facile d’exister…” – San Yawn, de Balming Tiger

plus que par son image. “Séoul est une ville où il n’est pas facile d’exister”, confirme San Yawn, tête pensante du collectif Balming Tiger, auteur d’un titre énervé : I’m Sick (“Je suis malade”). Des paroles et une vidéo drôlement trash dans lesquelles il dénonce les dérives de l’ultra-informatisation qui hypnotise une jeunesse prête à tout pour attirer les followers. Difficile de résister aux sirènes du succès même pour le hip-hop, né comme une réaction épidermique aux chorégraphies des groupes de K-pop, mais qui lisse aujourd’hui ses frontières avec le monstre. Depuis l’Hallyu, vague culturelle coréenne qui a déferlé sur le monde dans les années 2000, la Kpop est une véritable manne économique qui pèse des milliards chaque année. Avec l’arrivée d’un programme télévisé très cash, Show Me the Money, même les artistes les plus underground se laissent tenter : “C’est un tremplin, mais vous passez dès lors sous le contrôle d’une grande compagnie”, prévient Omega Sapien. De l’amour et des rêves Grimper au firmament implique aussi de masquer ses tatouages et les mots qui pourraient choquer. Alors, quitte à paraître aseptisé, la musique rebelle parle d’amour. “Je n’ai pas grandi dans un ghetto, ce serait malhonnête de prétendre le contraire. Je préfère raconter mes expériences positives”, justifie le jeune Omega Sapien, qui a étudié au Japon, voyager en Chine et aux États-Unis. Mais Itaewon se bat pour garder son âme alternative. Et lorsqu’au Soap, club emblématique, se produit DJ Soulscape, pionnier du hip-hop national, respecté pour sa maîtrise de sons sixties coréens oubliés, la salle comble est un pied de nez aux clubs privés de Gangnam à 7 000 euros l’entrée. “Woaaaaa… Woaaaa…” Face à un champ de gravats dans une rue arrière de l’université de Hongik où il étudie les arts plastiques, le jeune homme a du mal à en croire ses yeux. Le mur sur lequel N5bra (son nom d’artiste) avait signé l’une de ses rares œuvres

a été rasé dans la nuit. Entre la métamorphose compulsive des quartiers et l’omniprésence des caméras de surveillance, être un street-artist à Séoul relève de l’exploit. La communauté compte seulement une trentaine d’individus, dont N5bra est le maknae (le petit dernier). Cela ne l’empêche pas d’avoir la tête bien vissée sur les épaules. Depuis l’atelier partagé d’un campus néogothique labyrinthique, il peaufine son style et ses rêves. Un coup de crayon (ou plutôt d’aérosol) déjà repéré. Une boutique de ce quartier de Yeonnamdong, en pleine transformation, lui a demandé de graffer ses murs intérieurs. Belle vitrine dans un dédale de ruelles qui attirent de plus en plus, et où se dessine le Séoul tendance. Un écho au quartier de Seonsu-dong qui résonne à l’ouest de la ville. Ici, les hanoks (maisons traditionnelles coréennes) ont retapé leurs daechongs (grands salons parquetés) en cafés branchés. Et, sur les toits, les terrasses fleurissent. N5bra, lui, y récolte de quoi financer une ambition graphique : faire le mur à New York. Un voyage avec l’espoir de décrocher une galerie. Son refrain rappelle celui de Sogumm qui vient de signer une tournée, de Manhattan à Miami. Car l’art séoulite s’exporte très bien. La preuve avec l’équipe de Parasite, montée sur la plus haute marche à Cannes en 2019, et l’accueil enthousiaste du public et des médias fait à Balming Tiger, lors de son premier festival en France l’an dernier. “Cela donne du courage”, répètent d’une seule voix ces artistes prometteurs. Du baume au cœur pour tous ces jeunes tigres qui, sans le savoir, représentent déjà une part d’avenir de Séoul.

Par BAP TISTE BRIAND Photos OLIVIER ROMANO

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Le street-artist N5bra, le maknae (petit dernier) d’une communauté qui compte seulement une trentaine d’individus.

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Sur la terrasse de l’Euréka, le magnifique domaine qui appartenait aux Le Clézio et que le grand-père de J.M.G. avait perdu pour une raison obscure. Posé en pleine jungle sur la voisine Maurice, la demeure est devenue un musée et un restaurant où flâner avant de regagner l’aéroport.

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SÉOUL carnet pratique

À votre arrivée Yann, concierge Voyageurs du Monde

• Superficie : 100 210 km² • Population : 51 709 098 (en 2019), soit 516 habitants/km2 • Séoul : 9 962 393 habitants (2019). • La muraille : 12 km, d’Hyehwamun Gate au quartier de Dongdaemun. Un circuit ponctué de street-art, cafés hype et boutiques d’artisans…

Installé à Séoul depuis quinze ans, Yann est le bon intermédiaire pour décrypter Séoul. Ancien journaliste, réalisateur, il dispose d’un solide carnet d’adresses. Épaulé d’une équipe francophone de choc, il propose une approche personnalisée des quartiers selon les centres d’intérêt de toute la famille… Car oui, Séoul a tout pour plaire aux ados.

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lieux

Ikseon-dong Quartier historique et lieu de rendezvous de la jeunesse. Ses ruelles abritent des hanoks (maisons traditionnelles) reconverties en échoppes et cafés.

Dongdaemun Design Plaza L’ovni architectural signé Zaha Hadid et inauguré en 2014 s’est imposé comme le centre de gravité de la mode et du design séoulite.

Sur place À faire Palais et galeries. Aux alentours du palais Gyeongbok, centre de la dynastie Joseon, siègent certaines des galeries à la pointe de l’art contemporain, dont l’étonnante Kukje Gallery. Une opposition de style très séoulite. À table La cuisine coréenne s’est depuis longtemps invitée à la table du monde entier. À Séoul, on goûte une version plus fine et moderne. Poulet au ginseng, marmelade de kimchi, à tester notamment au MishMash, à Itaewon. Dormir Hotel 28. Au cœur de l’agitation de Myeong-dong, l’adresse initiée par le fils

de l’acteur Shin Yeong-gyun marque une pause bienvenue qui rend hommage à tout un pan du cinéma coréen. Une salle de projection permet de réviser ses classiques. Shopping Mode, cosmétique, objets design et vintage, Séoul ne manque pas d’inspiration. Entre les quartiers d’Apgujeong Rodeo, qg de la jeunesse dorée, et d’Hannam-dong, il est facile de combler sa valise. Culture Bitna, sous le ciel de Séoul de J.M.G Le Clézio (roman, Stock) ; Parasite de Bong Joon-ho (film, satire, Palme d’or 2019) ; Not My Fault de Sogumm (album, psychédélique).

Le chiffre En Corée, on naît déjà âgé d’une année, la vie fœtale étant comptabilisée (et arrondie). Si le passeport indique l’âge officiel, on donne plus souvent son “âge coréen” (N+1). Parmi les premières questions d’une conversation, l’âge détermine le code de politesse à respecter.

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Floating Islands Près du Banpo Bridge, ces îlots artificiels constituent une belle respiration. Les rives de la Han invitent aux pique-nique nocturnes, footing et balades à vélo.

Focus Les îles coréennes Immense, frénétique, exigeante : Séoul n’est pas de tout repos. Rompant avec la culture du travail avant tout, la nouvelle génération s’offre désormais des week-ends hors des murs. Et le pays regorge de trésors naturels, à l’image de l’île subtropicale de Jeju, l’Hawaï coréen, parfaite conclusion sablée à ce voyage. Plus proche de la capitale, Namiseom, posée sur le fleuve, dégage une atmosphère romantique qui séduit de plus en plus d’artistes.

Inspiration

Grande boucle Voyageurs du Monde propose une expérience approfondie de Séoul et de la Corée du Sud. Après quelques jours dans la capitale permettant d’aborder les différents quartiers, un prolongement méridional relie temples bouddhistes et beautés naturelles jusqu’à

la ville côtière de Busan. 13 jours à partir de 4 200 €. Voyageurs en Corée du Sud 01 42 86 16 90 Des voyages zéro carbone Les émissions de CO2 générées à chacun de nos voyages sont absorbées à 100 % par des actions de reforestation.

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Figuier étrangleur d’Amazonie péruvienne.

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FRANCIS HALLÉ

ROI DES FORÊTS Depuis plus d’un demi-siècle, ce botaniste, biologiste et éternel voyageur répertorie la biodiversité des forêts primaires équatoriales. Avec ses carnets de dessins poétiques, à la finesse extrême, il dit toute la richesse et la fragilité du monde végétal face à l’homme, qui oscille entre prédation et inaction. 145

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© Julien Faure

portrait

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l y a une vie avant, et une après avoir vu un moabi.” Comment un arbre des forêts tropicales humides de l’Afrique pourrait-il influencer notre destin ? La réponse se trouve sans aucun doute à l’étage d’une maison située sur les hauteurs de Montpellier, dans un bureau aux allures de cabane perchée. Une bibliothèque chargée à craquer de carnets aux noms évocateurs : “Malaisie 1976”, “Guyane 1978”, “Sumatra 1981”, “Brésil 1989”, “Gabon 2001”… Des classeurs débordant d’archives : au total 24 000 dessins, et une fenêtre donnant directement dans les branches d’un grand chêne – une lucarne sur la vie d’un homme qui en a la stature et l’âge respectable. C’est là que depuis ses premiers pas de botaniste dans les forêts primaires de Côte d’Ivoire, il y a soixante ans, Francis Hallé garde la trace de ses rencontres avec le monde végétal. Sa “bouffée d’oxygène”, et un peu la nôtre. Dans son grand inventaire des forêts équatoriales, le botaniste tient des records, le raphia royal et sa feuille majestueuse, la plus grande au monde (28 mètres de haut), des bizarreries romantiques dont une plante qui danse (Codariocalyx motorius, observée en Chine), mais surtout un immense patrimoine universel recueilli en sous-bois et principalement à la cime des grands arbres. En s’invitant sur la canopée, à bord du Radeau des cimes – un laboratoire aérien flottant mis au point en 1986 –, Francis Hallé et ses compagnons de fortune Dany CleyetMarrel, pilote de dirigeable et Gilles Ebersolt, architecte, découvrent “le sommet de la biodiversité”. Ils révèlent l’existence de milliers d’espèces alors inconnues mais déjà mena-

cées. “Les forêts primaires auront disparu bien avant que nous ayons pu répertorier l’ensemble des organismes. Nous sommes au tout début de la connaissance des arbres”, prévient-il. Pas de catastrophisme, mais un sens de l’observation plus affûté que ses congénères. Le coup de crayon, d’une émouvante limpidité, allie la précision du scientifique à la poésie de l’artiste, à une différence notable : “L’artiste est libre, moi je me sens tenu de respecter ce que je vois.” Une mère sensible à l’art, un père agronome, une fratrie de sept enfants élevés pendant la guerre grâce à un potager en lisière de la forêt de Fontainebleau. Lui et son âme voyageuse trouveront leur voie sur ce fil tendu entre le monde des arbres et celui des hommes. Les arbres nous survivrons… Intelligence, mémoire, communication, timidité… Le champ lexical de Francis Hallé racontant un camphrier ou une liane est parfois troublant tant l’Homo sapiens peut s’y reconnaître. Mais malgré des similitudes comportementales, Hallé ne cesse de souligner l’altérité. L’amoureux des arbres, tombé en pâmoison depuis le châtaignier de son enfance, est allergique à l’idée d’une porosité entre les deux écosystèmes. Le biologiste rappelle les bienfaits de la forêt sur la santé – renforcement des défenses immunitaires, baisse du stress –, voire sur l’interaction humaine : “Emmener un ami dans la forêt, en trois jours vous saurez qui il est vraiment.” Mais dénonce l’obscurantisme, “jamais très loin quand il s’agit des arbres”. La sylvothérapie ou le tree-hugging (enlacer des arbres pour capter leur énergie) ? “Si cela

vous fait du bien, allez-y, l’arbre n’en sera pas affecté”, sourit-il, enfonçant le clou : “Le seul moyen de profiter de l’énergie d’un arbre, c’est de le débiter et de vous chauffer avec.” Non, sur terre depuis 384 millions d’années, ces êtres n’attendraient rien des câlins d’un “primate”. Car les arbres, capables de réguler leur population, d’améliorer leur environnement, d’anticiper les problèmes, nous surpassent déjà sur bien des points. Ce qui rend encore plus difficile à accepter ces décennies à observer la déforestation menée à coups d’engins de guerre : “un viol”, le manque de réactions face au réchauffement climatique, dont l’homme est le premier concerné (les arbres nous survivrons), la frilosité des mécènes qui ne voient plus leur intérêt à ce que le Radeau des cimes explore la canopée birmane, et enfin la langue de bois des politiques… Pessimiste pour l’humanité, Francis Hallé garde la foi – “Jamais la botanique n’a connu une période aussi propice aux découvertes” – et de croit en la réhabilitation d’une grande forêt primaire en Europe de l’Ouest (disparue en France depuis 1850). Face à l’urgence planétaire, un projet multiséculaire à moindres frais, “puisqu’il s’agit de ne rien faire” pendant dix siècles. Croire aussi à l’éducation des jeunes pousses, afin que le moabi continue d’exister, ailleurs que dans ses dessins.

À lire Plaidoyer pour la forêt tropicale (Actes Sud) ; Atlas de botanique poétique (Arthaud) À voir Il était une forêt, documentaire de Luc Jacquet, avec Francis Hallé

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Au centre, un grand chêne d’Afrique du Nord. À sa gauche, un palmier rônier ; à sa droite, un palétuvier.

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Ci-contre : le raphia royal, en République populaire du Congo. Cet arbre possède la plus grande feuille du monde (28 x 4 m.). À droite, en haut : la fleur d’une légumineuse indéterminée du Gabon. En bas : la symbiose entre Myrmecodia et les fourmis (Îles Salomon).

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À gauche : la fleur d’Illicium henriy, au jardin botanique Les Cèdres, à Saint-Jean-Cap-Ferrat. À droite : des coupes transversales de troncs d’arbres et de lianes.

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portrait Ci-contre : Celastrus scandens, une liane d’Amérique du Nord. À droite, le pin pignon, Pinus pinea, à Montpellier.

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© Bettmann/Getty Images

En 1956, avec son album Calypso, Harry Belafonte signe le premier 33 tours de l’histoire à se vendre à un million d’exemplaires.

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CHŒURS CARAÏBES Calypso, salsa, reggae, biguine, zouk…, ces antidotes au vague à l’âme ont une histoire aux nuances infinies. Balade chaloupée d’île en île, les oreilles grandes ouvertes.

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epuis janvier 2017, l’équivalent de la population mondiale a découvert en musique le quartier de la Perla à San Juan, la capitale de Porto Rico. Grâce à Despacito. Le tube reggaeton de Luis Fonsi, dont la vidéo tournée au pays a explosé tous les records de vues, a remis les Caraïbes au centre du monde. Comme aux temps du mambo, du calypso, de la salsa, du zouk ou à la grande époque du reggae. Mais aborder la musique des Caraïbes par Despacito, c’est un peu comme découvrir Venise depuis le pont d’un paquebot de croisière. Sans rien voir ni apprendre de son histoire, de ses nuances infinies, de ses trésors d’alcôve. Il faut maintenant descendre du paquebot et partir canoter à la découverte d’une multitude d’îles qui chantent.

“Ce par quoi Versailles à la Guinée s’unit, au cœur des Amériques”, le poète martiniquais Gilbert Gratiant définissait ainsi la biguine, la musique de son île. Dans le contexte tragique de l’esclavage, puis de la colonisation, mazurkas, quadrilles ou boléros venus d’Europe ont épousé les rythmes et les rites africains. Une histoire commune : celle de la naissance du monde créole. Et à chaque île son style, façonné au fil du temps sur un tambour bélè ou une guitare espagnole, en fonction des cultures et des langues locales. La visite commence, ça va tanguer un peu.

Par STÉPHANE DESCHAMPS

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musique

© Lee Lockwood/The Life Images Collectio /Getty Images

Boléro à Cuba

Faire le tour des perles de la musique cubaine est mission impossible. Mais s’il fallait n’en garder qu’une, on irait la chercher dans l’obscurité : la chanteuse Freddy, cette étoile filante longtemps éclipsée de l’histoire officielle cubaine. L’écrivain Guillermo Cabrera l’avait surnommée “Nat King Kong”. Pour sa musique, son corps colossal et la tragédie de sa vie. Née pauvre en 1935, Fredesvinda García devient cuisinière à La Havane à l’âge de 13 ans. Quand son employeur l’entend chanter, il l’emmène dans un bar où elle peut s’exercer, toujours a cappella, sur les boléros du moment. Sa voix unique, comme si une ogresse avait dévoré un ange déchu, attire l’oreille d’un producteur.

Freddy est alors invitée à se produire au cabaret de l’hôtel Capri, fraîchement inauguré et tenu par la mafia américaine. L’établissement est un haut-lieu de la vie nocturne havanaise, dont Freddy devient une figure. Elle passe même à la télé avec Celia Cruz et Beny Moré. Mais la fête et le conte de fées tournent court : Fidel Castro arrive au pouvoir et fait fuir ces oiseaux de nuit trop bruyants. Freddy chante au Venezuela, en Floride, à Porto Rico où elle s’est exilée. Elle enregistre son unique album en 1960, à Cuba (La Voz del sentimiento), et succombe l’année suivante à une crise cardiaque. Longtemps oubliée et encore rare, la musique de Freddy est un trésor à découvrir.

À écouter Freddy Noche de ronda María Teresa Vera y Rafael Zequeira Veinte años Celina y Reutilio Pedacito de mi vida Omara Portuondo Allí Noro Morales Palmera Où sortir ? Dans La Havane où le passé s’éternise, l’hôtel Capri a rouvert en 2014, en gardant l’esprit d’origine. Possible d’y croiser les fantômes de ses hôtes de marque : Sinatra, Gregory Peck ou Nat King Cole. Calle 21, La Havane

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Guadeloupe Groove & zouk Au début des années 1970, les Vikings déferlent sur les Caraïbes. Trois groupes de musique à danser portent ce nom. Les deux derniers viennent de Martinique et d’Haïti, et rêvent de voguer sur le succès du premier, les Vikings de Guadeloupe. En 1966, quand ils forment les Vikings à Pointe-à-Pitre, les musiciens baignent dans les traditions locales, la biguine et le gwo-ka. Mais ils sont jeunes et ont les oreilles grandes ouvertes sur les sons d’importation : les yéyés de métropole, le rock anglo-saxon, le jazz, le funk de James Brown ou le merengue des Caraïbes. En mélangeant le tout sur des rythmes de tambours gwo-ka, les Vikings De L a Guadeloupe deviennent des précurseurs de la créolisation à l’échelle du monde, des stars dans les Antilles, et un groupe qui a fait beaucoup de petits. Quand le bassiste Pierre-Édouard Décimus quitte le groupe en 1978, c’est pour aller fonder Kassav’. Sans les Vikings, point de Kassav’. Et avec Kassav’, Francky Vincent, Zouk Machine, ou Patrick Saint-Eloi, une nouvelle ère s’ouvre pour la musique antillaise : le zouk. Tous ces joyeux artistes ont rendu le genre immensément populaire dans les années 1980, et souvent plus acclamé à l’étranger qu’en métropole – selon certaines sources, Michael Jackson aurait même mis une pincée de zouk dans sa chanson They Don’t Care About Us.

© Matthew Wakem/Alamy Banque d’images

À écouter Les Vikings De La Guadeloupe Ka nou pé fé Les Aiglons Gong la Kassav’ Nouvèl Esnard Boisdur L’Harmonie conjugale Robert Mavounzy et son Orchestre Antillais Touloulou Où sortir ? À La Créole Jazz Club, qui a fêté ses 3 ans en novembre 2019, on vient pour écouter des concerts blues, zouk jazzy et des jams… Le long d’une plage de sable blanc face à l’îlet du Gosier, le cadre invite à la nonchalance. La Créole Beach hôtel et spa, Le Gosier

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Jamaïque Mento, reggae & ska La Jamaïque est la seule île des Caraïbes à avoir offert au monde un musicien dont l’envergure et la légende sont celles d’une rock-star : Bob Marley. Devenu célèbre dans la première moitié des années 1970, l’empereur du reggae avait commencé à enregistrer en 1962, l’année même où Sir Coxsone créait à Kingston son label Studio One. À eux deux, ces hommes ont révolutionné la musique jamaïcaine. Le premier en tant qu’interprète et le second comme producteur des meilleurs disques de l’époque. C’était cinq ans avant l’invention officielle du reggae, quand cette musique sous l’influence de la soul américaine s’appelait blue-beat, rocksteady ou ska. Encore avant, on dansait en ville et dans les campagnes au son des orchestres de mento, une musique acoustique venue des temps lointains de la colonisation. Et plus profond dans les campagnes, les descendants d’esclaves perpétuaient le culte des morts et leurs racines africaines dans la musique de transe. Autrement dit : il y avait de la musique en Jamaïque bien avant le reggae. En 1688, Sir Hans Sloane, scientifique de la British Royal Society, explorait les Caraïbes. Vingt ans plus tard, il publiait ses travaux et présentait notamment des croquis d’instruments et les partitions de la musique d’esclaves qu’il avait entendue en Jamaïque. Sans préciser si les musiciens portaient des dreadlocks. Accessoirement, Sir Hans Sloane aurait aussi inventé la recette du chocolat au lait, mais c’est une autre histoire.

Où sortir ? Sur les hauteurs de Kingston, avec vue sur toute la ville, le Kingston Dub Club est un restaurant doublé d’un soundsystem en plein air, avec une bonne programmation rétro. Pour croiser la jeunesse branchée. 7 B Skyline Drive, Kingston

Mi-légende, mi-rock-star, Bob Marley était l’empereur du reggae.

© Tom Hill/Getty Images

À écouter Bob Marley Sun Is Shining The Congos Fisherman The Skatalites Latin Goes Ska The Mellow Cats Rock a Man Soul John Canoe Congregation John Canoe Music

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© RÉA

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Trinité-et-Tobago Calypso & steel drum

Harry Belafonte et Robert Mitchum ne sont ni trinidadiens ni tobagodiens. Mais ce sont eux qui ont connu le succès aux États-Unis en chantant du calypso au milieu des années 1950. En 1956, l’album Calypso de Belafonte est même le premier 33 tours de l’histoire à se vendre à un million d’exemplaires. D’abord liée au culte obeah (le vaudou local) et aux joutes carnavalesques de Trinité-et-Tobago, cette musique de cuivres et de rythmes endiablés est née au début du XXe siècle. Elle a conquis toutes les Caraïbes et connu son âge d’or entre les années 1930 et 1950. Les maestros du calypso portent des noms de seigneurs de guerre : Lord Executor, Lord Kitchener, The Duke Of Iron, Lord Invader, The Mighty Lion, The Mighty Sparrow, The Roaring Lion, The Island Champions…

En fait, des maîtres de la musique à danser, mais aussi des as de la plume, qui truffent les textes de leurs chansons de satires sociales et de métaphores sexuelles. On entend parfois dans le calypso un drôle d’instrument qui sonne à la fois comme un clavecin et une percussion, et ressemble à une petite soucoupe volante tombée du ciel. C’est le steel-drum, créé à Trinité dans les années 1940 par des percussionnistes qui recyclent les énormes bidons de pétrole métalliques abandonnés sur les bases militaires US. Le steel-drum est un des rares instruments acoustiques inventé au XXe siècle. Et comme le calypso dont il s’est affranchi, il a conquis le monde. Dès 1950, l’orchestre de steel-drum Casablanca jouait à Port-d’Espagne une Nocturne de Chopin, paraît-il fort convaincante.

À écouter King Radio & The Lion Abyssinian Lament The Lion Jonah Come out the Wilderness Lord Kitchener My Wife’s Nightie Trinidad All Stars Steel Band Rum And Coca Cola Washington Ned Fire down below Où sortir ? Soca, calypso, steel-band…, la musique est partout à Trinité-et-Tobago. Et s’il est un moment idéal pour découvrir ou retrouver toutes les sonorités caliente des Caraïbes, c’est bien lors du carnaval de Port-d’Espagne, qui n’a rien à envier à celui de Rio. Les habitants s’y préparent durant des mois pour des festivités qui durent trois jours et commencent le dimanche avant mardi gras.

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Porto Rico Bombas & plenas

Quelle est la capitale des Caraïbes hispanophones au mitan du XXe siècle ? C’est Nueva York, alias New York, dont le quartier de Spanish Harlem accueille les vagues successives d’immigrants cubains ou portoricains, souvent venus avec leurs chansons et leurs rythmes sous le bras. Et c’est ainsi qu’au début des années 1970 est née à New York la plus explosive et mondialement dansée des musiques afrolatines : la salsa. L’un des maîtres salseros, né dans le Bronx mais d’origine portoricaine, Willie Colón, avouait l’influence de son compatriote le plus obscur Mon Rivera. Lui aussi a fait carrière à New York dans les années 1960, mais il était né à Porto Rico en 1925.

Avant de choisir la musique, Mon Rivera fut champion de baseball. Tromboniste rutilant, il est surtout un chanteur enchanteur sachant chanter sur-le-champ la virelangue (“trabalengua” en espagnol), ce jeu sur les sonorités, les répétitions et les allitérations de la langue, que les orthophonistes adorent. Dans le style plenas, ses chansons comiques et virtuoses sont d’irrésistibles antidotes au vague à l’âme. Spécialités portoricaines, les plenas sont des journaux chantés qui permettaient aux musiciens de relater et commenter les faits du jour. Sans doute que quelques plenas éplorées ont été composées à la mort de Mon Rivera, le 12 mars 1978.

À écouter Mon Rivera Karakatis Ki Willie Colón y Mon Rivera Tinguilikitin Johnny Albino y su Trio San Juan Todo Acabo César Concepción El Club de la cuatro patas Pedro Vía y su Orquesta Me duelen los pies Où sortir ? Dans le quartier de Santurce, à San Juan, la place de l’ancien marché est devenue piste de danse géante. Dans les innombrables bars et restaurants qui l’entourent, on boit, danse, chante et mange en musique, avec des groupes live à la réputée Taberna Los Vazquez. Placita de Santurce, San Juan.

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© Gideon Mendel/Getty Images

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Haïti Rara & folk vaudou Son nom sonne comme une exquise confiserie : Emerante de Pradines. Quand elle est morte début janvier 2018 à l’âge de 99 ans, Haïti a perdu sa grand-mère. Née dans la bourgeoisie artistique de Port-au-Prince (son père était le compositeur Ti Candio), Emerante de Pradines était danseuse, comédienne, chanteuse et anthropologue diplômée de l’université de Columbia (où elle avait rencontré son mari américain). Elle fut surtout, au début des années 1950 et dans un mouvement de créolisation sociale, la première artiste à enregistrer et valoriser des chants du répertoire traditionnel vaudou, à une époque où la chose était taboue. Interprétées à la guitare, gracieuses et mélancoliques, les chansons d’Emerante de

Pradines ont rendu présentables et accessibles les mystères du vaudou. Dans son versant festif, pendant le carnaval, la musique vaudoue, connue sous le nom de rara, ramène Haïti à la transe, à l’Afrique. Chant, tambours, cornets de zinc et flûtes de bambou (puis de PVC) s’entrechoquent et s’entremêlent dans une musique folle, “où l’on pousse le défoulement jusqu’à quitter l’ici-bas pour voler avec les esprits”, comme dit le biennommé chanteur Carlton Rara. Et si le rara d’Haïti ne ressemble à aucune autre musique des Caraïbes, c’est peut-être grâce aux ingrédients de sa créolisation : il serait né de la rencontre entre la musique des esclaves venus d’Afrique et celle des Amérindiens Taïnos, en dehors de l’influence coloniale européenne.

À écouter Emerante de Pradines Legba Na Console Pierre Chériza Fènèlus Papa Loko Malad Haïti Dance Orchestra Rasbodail Rhythm Toto Bissainthe Soley Danmbalab Racine Mapou De Azor Dangere Où sortir ? Pour manger ou dormir en musique, l’hôtel Oloffson est un monument historique, un bijou en dentelle de bois dont la construction date de 1896. Il appartient désormais au fils d’Emerante de Pradines, Richard Auguste Morse, qui s’y produit tous les jeudis soirs avec RAM, son groupe de mizik rasin. 60, avenue Christophe, Port-au-Prince

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© Marie Hansen/The Life Images Collection/Getty Images

Goombay et guitare folk aux Bahamas

Soirée chic au Royal Victoria Hotel, dont Blind Blake et son groupe The Royal Victoria Hotel Calypsos étaient les musiciens attitrés au cœur des années 1930.

À l’âge de 16 ans, le chanteur-guitariste Blake Alphonso Higgs a perdu la vue à force de regarder le soleil. C’était en 1931 et quatre ans plus tard, il connaîtrait un début de fortune avec ses premiers enregistrements sous le nom de Blind Blake. À Nassau, destination prisée des touristes étatsuniens, Blind Blake devient le musicien attitré du vénérable Royal Victoria Hotel. Son groupe s’appelle The Royal Victoria Hotel Calypsos. Car le calypso est alors à la mode. Mais Blind Blake n’en joue pas vraiment, ou pas seulement. Son style est le goombay (du nom d’un tambour africain), un gouailleux et dansant mélange de chanson populaire et de vieux jazz, joué sur des instruments acoustiques. Blind Blake n’est pas le seul chantre du goombay (n’oublions

pas George Symonette, Eloise Lewis ou Charlie Adamson), mais c’est le swing de sa voix de velours râpé qui a fait entrer le genre dans l’histoire. Un archipel de 700 îles ne pouvait receler un seul trésor musical. C’est ainsi que sur l’île d’Andros, en 1958, un Américain découvre l’un des plus improbables phénomènes des Bahamas. Il s’appelle Joseph Spence, il est né en 1910, joue de la guitare et chante pipe à la bouche. Seul ou avec sa sœur et son beau-frère, Spence interprète du folk des Bahamas et d’antiques chansons religieuses, mais dans un style qui n’appartient qu’à lui. D’une voix rocailleuse d’homme qui a commencé à fumer la pipe (et à boire du rhum) très jeune, et comme si les cordes de sa guitare filaient sous ses doigts. Rustique et unique.

À écouter Blind Blake Yes, Yes, Yes George Symonette Goombay Vincent Martin & His Bahamians Gimme Mo’ Eloise Lewis I Need It Joseph Spence Coming in on a Wing and a Prayer Où sortir ? Nassau regorge de lieux où écouter de la musique live. The Green Parrot Bar fait parfaitement son office avec son atmosphère chill-out non loin de la marina. Idem au Pirate Republic Brewing Company qui, du vendredi au damedi, enchaîne les concerts. East Bay Street, Harbourfront ; Woodes Rodgers Walk, Downtown Nassau

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Groove & bélè en Martinique Le zouk est né en Guadeloupe. Mais qui fut le premier musicien à utiliser le mot ? Le percussionniste martiniquais Henri Guédon en 1974 , avec l’album Cosmozouk, chef-d’œuvre insurpassé de groove afro-caribéen. Comme d’autres îles des Caraïbes à la même époque, la Martinique vit sa révolution musicale, fomentée par le groupe superstar La Perfecta, qui tient son nom du musicien jazz-latino Eddie Palmieri. La Perfecta est une machine à danser, une centrifugeuse qui va chercher les nouveaux groove jusqu’à New York. Mais dans les campagnes et là-haut sur les mornes, c’est encore au rythme du bélè que l’on chante. Cette musique traditionnelle, qui est aussi une danse et le nom d’un tambour, descend des esclaves affranchis. Le bélè est une musique d’histoire et de libération, elle-même libérée et modernisée à partir du milieu des années 1970 par des interprètes comme Edmond Mondésir, le flûtiste Max Cilla ou son élève Eugène Mona. Ces musiciens penseurs ont électrifié le bélè, l’ont relié au jazz, ont revendiqué sa créolité, sa dimension politique, spirituelle et surtout poétique. Eugène Mona se définissait comme “un homme qui doit gravir la montagne qu’il est luimême, qui doit aller beaucoup plus loin que le sommet”. Et sa musique d’altitude, comme celle de Mondésir ou Cilla, dévoile un horizon infini pour les musiques traditionnelles de Martinique. À écouter Henri Guédon Van Van La Perfecta La Divinité Max Cilla La Flûte des mornes Eugène Mona Bwa brilé Edmond Mondésir Lonnè épi respé © Christopher Churchill/Gallery Stock

Où sortir ? Sur les traces d’Eugène Mona, mort en 1991, le passage au Ghetto est obligatoire. Ce bar-restaurant d’artistes est tenu par l’ancien chef d’orchestre de Mona, dont il célèbre le souvenir en cuisine et en musique. Bourg, Le Marigot

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ELLE EST LOIN LA MER ? La distance du lit à l’eau ferait-elle partie de l’équation du bonheur ? De cinquante mètres à zéro, une sélection d’hôtels sur-mesure pour en avoir le cœur net.

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© Islas Secas

Islas Secas au Panama : 9 écolodges pour 18 convives. À 1 mètre de la plage, un rêve tropical à 100 %.

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à 50 mètres Amanzoe Péloponnèse – Grèce

© Cuixmala

Sur une colline de l’intemporel Péloponnèse, au milieu des champs d’oliviers, des jardins foisonnants, stridulants et embaumants, s’élève l’Amanzoe, acropole moderne au design ambitieux. Les baigneurs pourraient se contenter de l’immense piscine à débordement, mais tout bien considéré on se laissera charmer par le beach-club privé en contrebas. Bronzette et baignade avec comme toile de fond le bleu du golfe Saronique. (1)

Cuixmala

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Puerto Vallarta – Mexique Dix mille hectares sur la côte Pacifique, on parle là d’un véritable eldorado et de kilomètres de sables blonds et de jungle sauvage. Le Cuixmala, un palais aux formes courbes qui allie luxe et esprit bohème, est le repaire extravagant de toute la gypset internationale depuis les années 1980. Ici, on se déplace à cheval ou en boogie pour rejoindre la ferme en permaculture, la réserve naturelle et ses animaux exotiques. Sous les palmiers de la plage de Caleta Blanca, petit lagon bleu, des nuées de papillons blancs nous accueillent. (2) 166

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The Datai Langkawi Kedah – Malaisie

© The Datai Langkawi

S’inscrire dans le paysage avec majesté et douceur, telle était la volonté du Datai Langkawi, récemment rénové et installé dans une forêt primaire vieille de dix millions d’années. L’idée était de préserver la jungle exubérante et les plages uniques de cette île malaisienne. L’architecture se fond ainsi harmonieusement avec les feuilles touffues de cette rainforest unique au monde.

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hôtels

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© Fregate Island Private

à 10 mètres

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Fregate Island Private Seychelles

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© Soneva Kiri

Seize villas et pas beaucoup plus d’humains sur cette île isolée des Seychelles. Votre chambre est installée dix mètres au-dessus de l’océan Indien et offre un panorama marin parfait sur des plages classées parmi les plus belles au monde. L’île de Frégate est un paradis à la faune exotique unique. En témoigne les quelque 2 000 tortues géantes avec qui vous partagerez la plage. (1)

Soneva Kiri

Pretty Beach House

Koh Kood – Thaïlande

Survoler le Bouddi National Park en hydravion et amerrir sur les eaux claires de Tallow Beach : voilà une belle introduction à cette sublime “guest-house”. Quatre villas privées face à la mer, un chef aux influences italiennes, une collection de vinyles pointue, de bons romans à dévorer, un bateau privé… Un repaire cosy et romantique à une heure et demie de Sydney. (2)

L’île de Koh Kood, c’est la Thaïlande à l’état originel. Des plages immaculées, des pêcheurs œuvrant à leurs tâches quotidiennes, des tortues et des poissons-anges, une jungle sauvage… Le Soneva Kiri, éco-resort de luxe au charme discret, ne gâche rien : ses villas à l’architecture traditionnelle, bâties sur le sable ou sur les hauteurs, sont dispersées dans cette riche forêt tropicale dominant la mer d’Andaman. (3)

© Pretty Beach House

Péninsule de Bouddi – Australie

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© The GoldenEye

à 1 mètre

The GoldenEye Oracabessa – Jamaïque Villa mythique de Ian Fleming (l’auteur des James Bond) dans les années 1950, le GoldenEye est un hôtel tropical installé sur les eaux cristallines d’Oracabessa Bay. Vous vivez ici l’expérience unique d’une retraite intimiste sur les rivages de la mer des Caraïbes. De votre lit, vous entendez le clapotis du lagon émeraude, propice à la baignade, au snorkling ou au paddle.

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Islas Secas Panama

© Islas Secas

Imaginez : quatorze îles privées, une réserve naturelle inhabitée pendant plus de six cents ans et neuf écolodges qui se mêlent à cette nature tropicale. L’archipel ne peut accueillir plus de dix-huit convives, il est donc aisé de trouver une petite crique tranquille pour la journée. Le soir : survol en hydravion au coucher de soleil ou cinéma en plein air face à la mer…

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© Isla Palenque

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Isla Palenque Panama

© Barlovento Cabaña

La Isla Palenque est un caillou tropical de 150 hectares posé dans le golfe de Chiriquí, sur la côte ouest du Panama. Dans les casitas façon cabanes installées à quelques pas de la mer, on se laisse aller à une douce paresse. Côté large, on a le choix entre pagayer en kayak le long des plages, s’échapper sur les calanques voisines, ou guetter patiemment les baleines. (1)

Barlovento Cabaña Santa Marta – Colombia

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Dominant l’environnement sauvage du parc de Tayrona, entre lagune, forêt et rouleaux des Caraïbes, cette “cabaña” fut d’abord une retraite artistique imaginée il y a une quarantaine d’années par l’architecte colombien Simón Vélez. Aujourd’hui transformé en maison d’hôtes composée de trois chambres, le lieu accueille les voyageurs en quête de magie. (2)

Sal Salis Ningaloo Reef Safari Camp

© Sal Salis Ningaloo Reef Safari Camp

Cape Range – Australie Un campement de luxe et de charme, 100 % écolo, au bord du récif de Ningaloo et ses 280 kilomètres de coraux – peut-être le secret le mieux gardé de toutes les merveilles naturelles australiennes ! Pour vous donner une idée : 9 tentes, 20 litres d’eau par jour, 1 service à la cool, des repas sous les étoiles, 0 portable et encore moins d’internet… Une indispendable détox à l’horizon. (3) 3 5

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Kudadoo Atoll Lhaviyani – Maldives

© Soneva Jani

Sur cette île microscopique de l’océan Indien, le turquoise est partout… Au réveil, votre seule décision consiste à choisir entre l’eau du lagon et celle de la piscine. Les notions de temps et de stress disparaissent au fil des bains de soleil, des baignades et des dîners sur la plage. Et le romantisme est aussi au rendez-vous. (1)

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Soneva Jani Atoll Noonu – Maldives On n’imaginait pas qu’il existait encore de tels lieux, à vous laisser pantois. Dans ce refuge de l’océan Indien, accessible seulement en hydravion, les chambres sont installées sur la mer, au bout de passerelles de bois. Les journées se partagent entre activités nautiques et farniente, ce qui pourrait suggérer qu’on fait ici la même chose qu’ailleurs… Mais ici, c’est encore mieux ! (2, 3)

© Soneva Jani

sous vos pieds

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© Kudadoo

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© Nimmo Bay

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Nimmo Bay Colombie-Britannique – Canada Niché au cœur de la Colombie-Britannique, le Nimmo Bay occupe un coin paisible de la Great Bear Rainforest. Le cadre est idéal pour renouer avec la nature, les grandes étendues embrumées de conifères, l’océan vert émeraude, les montagnes aux sommets recouverts de glace et les lacs azur. Les chaleureux chalets s’ouvrent sur la baie et ses couleurs changeantes. Pour atteindre le sauna flottant (voir ci-dessus), sautez à bord d’un kayak et pagayez jusqu’à ce refuge de bois et de bien-être au milieu de l’eau.

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LE PALACE AVEC DEUX AILES Suite La Première : découvrez le confort absolu et un service cinq étoiles tout au long de votre voyage.

France is in the air : La France est dans l’air. Tous les Boeing 777 équipés d’une cabine La Première sont désormais réaménagés.


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