W-Fenec Magazine 10

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EDITO

Il y a 10 ans, Cantat mettait une claque de trop à sa compagne actrice, non pas parce qu’elle jouait mal, mais parce qu’ils étaient sous l’influence de produits altérant leur raison. Ce jour-là, il tue celle qu’il aime et se condamne à vivre avec ce fardeau qui ne va que s’appesantir, la prison, l’avortement du retour de Noir Désir, le suicide de l’autre amour de sa vie, Amadou et Mariam, de nouvelles poursuites judiciaires, le tourbillon médiatique qui se complait dans le Cantat bashing... rien ne semble pouvoir l’aider. Si ce n’est la musique, seule échappatoire et là encore, il doit faire face à chaque fois à des complications : Noir Désir n’y est plus, écrire une musique pour le théâtre amène la polémique, Cantat est seul, ou presque. Avec un ami, il monte un nouveau projet : Détroit, l’album sort le 18 novembre et alors qu’un seul titre est paru, les critiques pleuvent déjà. Quand l’homme blessé se livre, les mass média et le bon peuple ne voit que le meurtrier et l’accablent encore. «On» l’accuse de se servir d’une tragédie pour vendre son disque alors que cela fait 10 ans que cette même presse attend que le chanteur parle, ou plutôt que «l’assassin» parle, quand il le fait, c’est un carton pour le journal qui a l’interview et cela déclenche la jalousie de tous les autres qui auraient vendu père et mère pour obtenir cette exclusivité... Quelle hypocrisie... Et c’est tellement facile de taper sur un rocker décrit comme violent et alcoolique. Personne n’ira défendre l’indéfendable. On écoute alors le deuxième morceau avant l’album, c’est en anglais et ça sonne mieux, la presse musicale parlera peut-être de phoenix, de renaissance, de retour aux affaires culturelles mais ces pages-là n’intéressent pas ceux qui vendent du papier, ce sont les pages faits divers, les trahisons, les secrets, les drames qui alimentent les comptes en banque des médias populaires, peu importe l’homme et ses souffrances car lui est vivant, pas Marie, la fille d’un très grand acteur, victime d’une tragédie devenue source de revenus éternels. Encore une fois, si les médias moutons n’avaient pas vainement polémiqué sur l’interview de Cantat et s’étaient tous précipités pour annoncer et diffuser sa musique, personne, à part le milieu de la musique, n’aurait entendu parler de Détroit... Oli

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Photo couverture : JIF - http://citizenjif.com/

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SOMMAIRE

Punish Yourself - 04 Nirvana - 10 Mass Hysteria - 12 Deafheaven - 13 Shining - 15 Skunk Anansie - 17 NIN - 18 Motorhead - 19 65daysofstatic - 20 The SomnaMbulist - 21 Pelican - 28 Mutation - 34 Disappears - 38 JC Satan - 67 En Bref - 71 Concours - 74 Rencontres improbables - 75 Dans l’ombre - 76 Il y a 10 ans - 77 Next - 78


LES DISQUES DU MOIS

PUNISH YOURSELF Holiday in Guadalajara (Season of Mist)

Mine de rien, ça fait déjà 4 années que les Punish Yourself ont sorti leur Pink panther party mais comme ils ne prennent pas vraiment de vacances (avec Sonic Area au Mexique ?), ils sont toujours présents dans les esprits et n’ont pas le temps de nous manquer, présentant parfois leur travail en live avant de passer par le studio (souviens-toi l’été dernier quand ils jouaient «All you zombies»). Entre deux concerts, ils ont eu le temps de peaufiner ce nouvel album à l’accent mexicain : Holiday in Guadalajara, un opus qui sort avant la Toussaint, le jour des morts, occasion pour les latino-américains de faire une grosse fiesta à base de calavera et de tequila, un programme qui sied aux Toulousains qui passent un gros coup de Stabilo sur les sombreros ! Après un petit message de bienvenue («Bienvenido al estado libre y reunido de Mexxxas»), ça attaque fort avec deux morceaux dans la pure tradition de Punish Yourself : riffs agressifs, rythmiques claquantes, parties chantées à reprendre en choeur, breaks pour les pas de danse, «All you zombies» et «Nation to nation» ont tout pour s’installer durablement dans les set-lists du combo fluo. «William Seward’s got a gun, 1951» fait à la fois interlude et écho à l’incroyable histoire du cultissime romancier américain Burroughs qui, alors en vacances

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au Mexique joue à Guillaume Tell avec sa femme, une pomme et un flingue. Sauf que son imprécision le fait devenir veuf et prisonnier, c’est incroyable mais bien réel... Musicalement ce titre est assez dansant, on imagine bien Klodia se mettre à son avantage avant que 1969 Was Fine ne prenne le relais. En effet, les Punish Yourself recyclent «Spiders 375 necromancers», ce morceau lourd et bénéficiant d’une énorme saturation est d’abord paru sur l’album de leur side-project (But 666 is alright en 2009), l’ambiance Marilyn Manson et les bonnes idées méritaient davantage d’exposition, c’est chose faite ! «Compañeros de la Santa Muerte» fait honneur à l’ambiance mexicaine du début du mois de novembre avec beaucoup de rythme, un gros grain de folie et une partie electro qui pulse et donne envie de se bouger. Punish Yourself revient dans son jardin avec «She buys me drugs», textes, gros effets sur le chant, gesticulations incontrôlées provoquées, la routine quoi... «Abajo/Bajada» est bien plus exotique rappelant Ministry (désolé mais étant fan, ça revient souvent) et ses longues plages instrumentales (au hasard «Khyber pass» !). Calé entre deux pauses de trifouillages, «Gunslinger» ressert un shoot de tequila sur un groove imparable. On revient sur de l’instrumental en continuant nos pas de danse avec «Behold the Jaguar Christ» avant d’en finir avec «Nagual blues», assez gras et posé, c’est loin d’être un morceau intéressant et donc dommage de terminer sur cette note. Malgré un visuel et un thème assez fort, Holiday in Guadalajara est trop hétéroclite et inégal pour arriver à la hauteur de Pink panther party ou Gore baby gore, il n’en reste pas moins que quelques unes de ses pistes vont vite devenir des standards indispensables en live... Oli


INTERVIEW

INTERVIEW > PUNISH YOURSELF Alors que Punish Yourself ne prend pas vraiment de vacances, le groupe, toujours sur la route, sort Holiday in Guadalajara, une aventure mexicaine au moment de la fête des morts et aux relents de téquila. C’est l’occasion pour nous de faire le point avec le leader de la formation toulousaine sur 20 années d’existence, leur présent et leur avenir proche qu’on espère aussi fluo et explosif... Si je ne me trompe pas, vous venez de fêter votre vingtième anniversaire. Que reste-t-il du Punish Yourself de 1993 ? Miss Z et le nom du groupe, pour être précis. La première année a été un truc à part. Pierlox et moi, on n’est arrivé qu’un an plus tard donc du coup, techniquement, on n’est même pas des membres d’origine. Au départ, Punish avait une chanteuse (Salut Magali !) et c’était du batcave. Des racines qu’on ne renie carrément pas, d’ailleurs, on est né dans le creuset goth toulousain, c’était

un milieu génial. Mais ça, c’était avant la guerre, mon bon monsieur. Avec le recul, êtes vous plutôt satisfait de l’évolution de Punish Yourself en tant qu’artiste ? En tant qu’artiste, à peu près. En tant que Pokémon, non. Est-ce qu’il y a des regrets, des choses que vous auriez aimé faire et qui ne sont toujours pas faites au bout de vingt ans ? Des regrets, ça c’est pas trop le genre de la maison. L’album instrumental, c’est fait ; la bande dessinée, c’est fait ; avoir joué quatre fois à Dour, c’est fait. Qu’est-ce qui manquerait ? Voyons voir... Ah, oui, un disque de salsa goth, ça serait bien. Ou country-doom, ouais. Ou les deux à la fois. Pour l’instant on n’a pas pu trop s’en occuper, mais on a tout notre temps.

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INTERVIEW

Quelle est l’anecdote la plus croustillante qui vous êtes arrivée sur scène ? Il y a bien du avoir un accident avec le feu ou bien les flics sur scène ? Bizarrement, avec le feu, jamais de gros problèmes. Pourtant, chez moi j’ai réussi à mettre deux fois le feu à mon micro-onde. J’ai fait fondre une hotte aspirante, aussi, ça je crois que c’est mon record pyromaniaque. Ça doit être pour ça qu’on ne me confie pas trop le côté pyrotechnie dans Punish. Avec les flics, à part une fois où on s’était installé pour jouer à l’arrache dans la rue avec un groupe électrogène, on n’a jamais eu trop de différends. Même quand on avait les grilles, on n’a jamais eu le moindre problème. Du coup, côté anecdotes croustillantes, heureusement que les fans sont là pour remonter le niveau. Ça s’est un peu calmé mais à une époque, on ne pouvait pas faire un concert sans voir débarquer une nana ou un mec à moitié à poil sur scène. Voire totalement. Il y a clairement un problème de climatisation dans les salles françaises. Les concerts sont beaucoup plus «sous contrôle» qu’il y a une dizaine d’années où il pouvait arriver vraiment n’importe quoi, c’est le public qui s’assagit ou les grilles avaient un effet excitant ? Les grilles, c’était vraiment un truc de malade. Le public ne s’est pas assagi du tout. Si on lui remet les grilles demain, il repartira en couille aussi sec. Ça créait vraiment une espèce d’interface ultra intense, on n’était plus un groupe sur scène et eux un public dans la salle, on devenait juste une espèce de grande tribu hystérique. A la fin des concerts, à l’époque, j’avais l’impression d’avoir été aspiré dans un univers parallèle, et tout le monde pareil, je crois, quand ça marchait vraiment. Et puis c’est devenu petit à petit, ingérable. On n’a pas abandonné parce qu’on en avait marre mais parce que ça devenait de plus en plus compliqué, de plus en plus extrême, ça aurait mal fini. Ça demande combien de temps de préparation une tournée comme celle de la Zombie Rockerz Party, avec les répétitions de la set-list, la mise en scène avec les artistes, le choix et la préparation des décors. ? Difficile à dire. J’ai jamais eu l’impression qu’on préparait quoi que ce soit de spécial, pour aucun concert. A part quand on faisait l’Incredible Picture Show, là, vu qu’il y avait toujours un tas d’invités, fallait bien préparer un minimum, mais sinon, on ne fait pas de réunions, on ne réfléchit pas à la mise en scène, il n’y a pas de storyboard. Klodia arrive avec ses idées pour ses danses et ses costumes. Si quelqu’un a une idée pour le décor, il essaie et ça marche ou pas, Steve aux lights amène

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ses machins et c’est lui qui juge si c’est à refaire. Il n’y a pas de comité de réflexion démocratique, on ne ferait jamais rien s’il fallait réfléchir avant. Enfin, ça c’est pour Punish. En ce qui concerne la Zombie Rockerz Party, il y a eu quelques réunions pour trouver le nom de la tournée, choisir le visuel, tout ça, mais ça n’a pas non plus pris des plombes. Combien de personnes travaillent sur ce projet de tournée ? Et ce que toute l’équipe est professionnelle ou s’agit-il avant tout d’un projet entre amis ? Ça doit faire une vingtaine de personnes au total pour trois groupes, rien d’exceptionnel. On n’a pas d’habilleuse, ni de masseur, ni de régisseur général. Ceux qui se maquillent se maquillent tous seuls. Bref, pas besoin d’être dix mille pour gérer ça, ni d’avoir fait l’école du cirque. On est tous intermittents du spectacle, ça doit vouloir dire «professionnels», suffisamment pour que ça fonctionne, en tout cas. Et vu qu’en plus on se connaît à peu près tous depuis une centaine d’années, à traîner dans les même bars, ça aide. Faut dire qu’on était alcooliques amateurs avant de devenir pros. Vous êtes très souvent sur la route, comment on tue le temps dans le camion ? Au temps jadis, on écoutait de la musique sur l’auto-radio pourri, Xav racontait des blagues, on commentait les bagnoles qui nous doublaient, on observait le paysage... Dieu que c’était long ! Depuis, grâce aux avancées de la technologie, chacun est occupé dans son coin avec son Iphone, son laptop, son DVD portable pour mater Spartacus, sa tablette tactile multipoint, son tamagotchi, tout ça. Et le temps paraît toujours aussi long. Heureusement que Xav continue de raconter des blagues. Le concept de votre nouvel album, Holiday in Guadalajara, tourne autour de la fête des morts sauce mexicaine, ça vous va assez bien. Pourquoi n’y penser que maintenant ? Parce qu’on ne pense pas beaucoup, en général. Quoique, on avait trouvé ce titre d’album en 2005, en cherchant pour ce qui allait devenir Gore baby gore, on notait tout ce qui nous passait par la tête, c’était quasiment de l’écriture automatique. Il est resté noté sur une liste et a fini par ressortir, comme ça, spontanément. C’est à partir du titre qu’on a mis en place le «concept», bien grand mot, pas l’inverse. Au départ, c’était juste pour le jeu de mot absurde avec «Holiday in Cambodia», ça n’avait aucun sens, aucune intention. Mais c’est vrai qu’il y a pas mal de choses qui m’ont toujours fasciné autour du Mexique, que ce soit le folklore des western-


Pourquoi Guadalajara ? A cause du stade de FranceBrésil en 1984 ? Parce que le nom sonne bien ? Le Mundial de 84 a certainement eu une influence in-

consciente, on était gamin à l’époque, et entendre les commentateurs essayer de prononcer «Guadalajara» sans erreurs, à peu près tous les jours, et avec des résultats catastrophiques, oui, ça a dû nous marquer. «Le nom qu’on ne peut pas prononcer», ça prend une teinte quasi lovecraftienne. Mais c’est vrai aussi que ça sonne bien. On a toujours choisi les titres des albums sur la sonorité, pas sur le sens - si quelqu’un trouve un sens à Disco flesh : warp 99 ou Feuer tanz system, qu’il m’écrive. Comment est né ce nouvel album ? Est-ce que vus vous êtes fixés des limites avant de le mettre en boite, tant au niveau du style que des paroles et du concept ? Si je me souviens bien, au départ, on s’était dit qu’on al-

lait faire un album dance. Genre eurodance. Sans parties space, sans interludes, avec un son plus minimaliste que d’habitude. Au final, il y a bien un certain nombre de morceaux dancefloor, mais à part ça, on n’a pas trop respecté le cahier des charges, il y a des interludes, plein de sons superposés qui se baladent et des passages carrément planants. Comme quoi, on a beau se fixer un cadre, on le respecte rarement. Ça vient surtout du fait qu’on ne compose pas l’album avant de l’enregistrer, mais qu’on commence à enregistrer dès qu’on a des squelettes d’idées, en y retravaillant en permanence.

INTERVIEW

spaghetti, le culte de la Santa Muerte, l’ultra-violence urbaine, le mélange de la tradition révolutionnaire et des cultes précolombiens. Le Mexique, c’est autant Machete qu’Eisenstein, les enchiladas qu’Octavio Paz. Un pays où la vie ne vaut rien, où la mort devient un personnage comique, où les champignons hallucinogènes te font voir des renards sur des pyramides. C’était fait pour nous.

Un album de Punish Yourself en cours de travail, c’est un peu une grosse tumeur qui se métastase dans tous les sens, et qui n’en a pas grand chose à foutre de la direction d’origine. Et pour les paroles, n’en parlons pas, c’est sans doute le truc qu’on contrôle le moins. Le cadre «mexicain» a un peu contribué à construire certaines, «Gunslinger» par exemple, mais je fonctionne trop par association d’idées et par collage pour réussir à suivre une ligne fixée à l’avance. Ca manque un peu de mariachis sur ce disque, non ? Ah !?! Pourtant Xav joue de la trompette, on pensait que ça ferait illusion. Peut-être que s’il avait bien voulu se laisser pousser la moustache... Non, sérieusement, on avait attaqué des morceaux nettement plus «mexi-

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INTERVIEW

cains», ou en tout cas typés Morricone/western, mais on n’a pas eu le temps de les finir pour ce disque. C’est pas perdu, il y aura sans doute un disque «chûtier». Pour cet album, on a exploré énormément d’idées qu’on a dû laisser en plan et il est hors de question qu’elles restent à traîner sur un disque dur. J’ai un vieux naturel perfectionniste, assez pénible sur le long terme d’ailleurs, qui me chuchote à l’oreille de ne pas sortir des trucs inaboutis, mais de l’autre côté mon naturel jusqu’au-boutiste me gueule dessus qu’on doit solder les comptes avec le Mexique avant de passer à autre chose.

Pourquoi ce clin d’œil à la folie de Burroughs ? Ce n’est pas juste parce que ça s’est passé au Mexique... Burroughs et Punish Yourself, c’est une vieille histoire. Un héroïnomane homosexuel qui tue sa femme d’une balle dans la tête en voulant jouer à Guillaume Tell, c’est, plus qu’un modèle, un dieu. Vu que ce petit incident macabre et malencontreux s’est produit au Mexique, on ne pouvait pas faire l’économie d’une référence. Sur votre page Facebook, il est noté «Before you ask : yes, we’d fucking love to play in Mexico. Give us the mo-

On y retrouve des titres très «Punish» («All you zombie») et d’autres plus aventureux, vous faites attention à ne pas devenir une caricature de vous-mêmes ? On fait surtout attention à ne pas devenir des caricatures d’Undercover Slut. Déjà qu’on est de zélés imitateurs des groupes qu’on aime comme Ministry, Fœtus, Iggy Pop, White Zombie, Hawkwind, les Cramps, Skinny Puppy, etc etc etc..., si vous cherchez bien vous retrouverez des petits bouts de tout ça dans Punish. On n’a strictement jamais eu d’idée originale, faudrait pas qu’on se mette à imiter ceux qu’on n’aime pas. Pourquoi avoir repris «Spiders 375 necromancers» ? Ah, quelqu’un qui connaît la version d’origine ! Pour l’instant, quasi personne n’a fait le lien. L’album de 1969 Was Fine est passé tellement totalement inaperçu à l’époque. Honnêtement, au départ on voulait juste essayer de voir ce que ça donnait d’essayer de le rejouer, parce que laisser un morceau comme ça dans un tiroir ça nous faisait mal au cœur. En deux répets, ça a été une évidence, fallait le réenregistrer et l’intégrer au set de Punish. On a essayé de changer des choses dans la structure, mais finalement on l’a gardé assez proche de l’original, parce qu’il était bien comme ça. Le seul petit regret que j’ai, c’est de ne pas avoir eu le temps de la faire avec de nouvelles paroles. J’avais commencé à écrire un truc beaucoup plus chicano mais pas eu le temps de le terminer. Mais je suis dessus pour les prochains live...

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ney». Justement, cette phrase m’amène à une question : Qu’en est-il du développement de Punish Yourself dans les pays non francophones ? Êtes-vous du genre super actif pour chercher des tournées loin de chez nous ou vous attendez sagement des opportunités ? Le problème, c’est l’argent. Aller tourner à l’étranger, pour


est malheureusement en stand-by.

INTERVIEW

nous, c’est mobiliser une équipe de neuf personnes qui, au mieux, ne vont pas être payées et au pire vont coûter de l’argent à la caisse du groupe. Aux tarifs actuels de l’essence, des péages et de la location de camions, c’est plus souvent le deuxième cas que le premier, et ladite caisse étant à peu près vide en permanence, on ne peut plus financer ce genre de choses. La dernière fois qu’on est parti loin, c’était au Japon, c’était génial mais ça nous a laissé sur la paille pour un moment. S’il y a un mécène qui est prêt à financer nos déplacements, on est prêt, on part demain. Les propositions sont là mais pas les bud-

Pour terminer, j’aurais envie de vous demander naïvement d’imaginer les 20 prochaines années de Punish Yourself. Si on est encore tous vivants dans vingt ans, dans l’état actuel de la médecine, ça sera déjà une putain de victoire. Quoique, on est un peu comme les mauvaises herbes, dur à éliminer. Alors en vingt ans, on a le temps de trouver des conneries à faire. La tournée acoustique, la tournée pourrie sans maquillage façon Kiss, l’album salsa, «Punish the movie» par Uwe Boll, le livre de recettes de cocktails, ouvrir un centre de formation aux métiers du spectacle, un passage en prison, la découverte de la foi mormone, une comédie musicale en odorama. Ah oui, on pourrait peut-être aussi avoir le FAIR, vu que cette année on est entré dans les classements Ferarock. On se dit que finalement, au bout de vingt ans, tout est possible. Merci à Julien de Mathpromo et Vx ! Photos : Alexis JANICOT Ted & Oli

gets. Évidemment, si on tenait dans une seule bagnole avec tout le matos, ça serait une autre histoire, ou si on pouvait prendre le train, mais voilà, Punish, c’est une grosse équipe avec pas mal de bordel à trimballer. On ne va pas proposer une version light pour tourner à moins cher, donc, pour l’instant, tout ce qui est un peu trop loin

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LES DISQUES DU MOIS

NIRVANA In utero (Universal)

dernier album de Nirvana dont la tournée européenne ne s’achèvera jamais...

Depuis la fin de l’année 1991, le monde musical n’a plus qu’un nom à la bouche : Nirvana. Nevermind est rapidement dans la légende (qui peut en effet se permettre de dégager Michael Jackson du top des ventes ?) , propulsé par le tube «Smells like teen spirit», la génération grunge est née pour le plus grand malheur du maladif Kurt Cobain qui n’apprécie guère le monde du business et qui doit désormais vivre avec. Le label, lui, se remplit les poches en sortant Incesticide mais après avoir redécouvert Bleach, la planète attend du frais... Le trio se reforme pour bosser avec Jack Endino mais c’est Steve Albini (vénéré par Kurt pour le boulot qu’il a réalisé sur Surfer rosa des Pixies, son disque de chevet) qui aura la tâche d’enregistrer loin de tout le brûlot voulu par Kurt, le tout quasiment secrètement car en pleine cambrousse, sous un nom d’emprunt et avec l’argent du groupe. La plupart des titres seront captés «live» et tous seront mis en boîte en moins d’une semaine. La suite prendra de longs mois et verra s’affronter tout le petit monde qui gravite autour du groupe quant au «son» qu’In utero devrait avoir, le mixage d’Albini faisant débat... Les heurts à ce sujet n’aident pas Kurt à sortir de la drogue et de son mal-être, ça, c’est facile à écrire 20 ans après la sortie de l’album (septembre 1993) quand sortent plusieurs éditions en «version deluxe» de ce qui est le

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In utero se compose de douze titres abrasifs au son sourd, distordus à l’extrême, portés par un chant souvent criard et une rythmique qui va plus chercher le tempo du côté de «Territorial pissings» que de «Something in the way», seuls les singles «Heart-shaped box» (écrit pour Courtney Love à qui on doit aussi le titre de l’album), «All apologies» et «Pennyroyal tea» semblent pouvoir être diffusables en radio sans qu’on ne cherche à régler sa fréquence, c’est un peu crade mais c’est tout ce qu’on voulait écouter à l’époque et surtout, la puissance des mélodies et des accords suffit aux morceaux, pas la peine de les enrober et de les formater pour qu’ils nous touchent. Cobain n’a pas son pareil pour décocher la petite ligne de chant qui accroche («Serve the servants»), le riff saturé qui éclate les oreilles («Scentless apprentice») ou le titre qui fera parler de lui avant même de l’avoir entendu («Rape me»). Nirvana se permet tout, aussi bien de balancer des déflagrations punkisantes («Milk it», «Tourette’s») qu’une promenade pop («Dumb»), comme si le groupe voulait absolument faire chier sa maison de disque et l’establishment en général, de toute façon, refaire un Nevermind était impossible... La vie du trio ayant été totalement bouleversée, In utero en porte les marques («Serve the servants», «Rape me», «Frances Farmer will have her revenge on Seattle», «Radio friendly unit shifter»...) et ne peut donc être l’album d’une génération, c’est celui d’un groupe superstar qui ne voulait pas l’être. Cette réédition collector en plusieurs versions offre à la base l’album original qui a bénéficié d’une remasterisation, ensuite s’ajoute un tas de bonus selon la dépense... Les plus fans et riches se sont offerts la version triple CD, single coeur «Heart-shaped box», DVD, vinyl, notes, affiches, photos et livre de grande classe... Pour cette chronique, on va uniquement détailler la version digipak double CD mais si quand tu lis ces lignes tu hésites encore, on te conseille la version avec le DVD. Le premier CD est donc l’album remasterisé, avec pour


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remplir le disque, 8 autres pistes que les amateurs avertis connaissent certainement déjà (comment oublier la cultissime série de pirates Outcesticide ? A y repenser, c’est typiquement le genre de quête devenue incompréhensible avec l’avènement de l’internet haut débit...). Ca attaque après «Gallons of rubbing alcohol flow through the strip» (le titre caché qui n’était pas présent sur l’édition américaine) avec les faces B des deux singles à savoir «Marigold» (écrit et chanté par Dave Grohl, le titre préfigure ce qui sera Foo Fighters) et «Moist vagina». Les vrais inédits déboulent ensuite et pour cet anniversaire, les petites perles sont les travaux de Litt pour «Pennyroyal tea» (la version «single» de ce titre a été retiré des bacs quelques jours après sa sortie qui a coïncidait avec le suicide de Kurt) et d’Albini pour «Heartshaped box» et «All apologies», les arrangements et les mises en avant (chant, basse) diffèrent et on imagine bien les directeurs artistiques se pignoler dans leurs bureaux pour savoir quelles versions mettre sur le marché... Mine de rien, c’est un peu d’histoire qui nous est délivrée... Il en va de même de la complainte «Sappy» (aussi connue sous le nom de «Verse/ Chorus/ Verse»), un des plus vieux titres composés par Cobain et qui donne assez bien son état d’esprit ou du célèbre «I hate myself and want to die», phrase répétée par Kurt à qui voulait l’entendre et morceau retiré du track-listing de l’album pour éviter les problèmes en cas de passage à l’acte de l’auditeur... Après coup (de feu), c’est le titre qui colle le mieux à la série de photos du leader de Nirvana «jouant» avec un flingue... Ces deux derniers ainsi que «Moist vagina» bénéficient d’un nouveau mixage réalisé cette année.

du son. Même aux profanes, il sera difficile ensuite de revenir à la version de 93... Là encore, 10 plages bonus garnissent la galette, ce sont des démos enregistrées (essentiellement par Endino) pour préparer l’album, la plupart sont instrumentales uniquement. Les plus intéressantes sont peut-être celles de «Marigold» qui date de 1990 (Dave attendra donc 3 ans pour voir une de ses créations apparaître chez Nirvana et bien plus pour que tous ses talents soient reconnus), «Forgotten tune» (qu’on peut traduire par «morceau oublié») et un «Jam» (qu’on peut traduire par «improvisation»), deux pistes assez méconnues et qui seraient restées aux oubliettes si Nirvana avait continué d’exister et était aujourd’hui devenu un groupe de dinosaures avec une dizaine d’albums studios sous le bras... Au lieu de ça, 20 ans après (bientôt...), on est encore triste à l’évocation de ce mois d’avril 94 et on a du mal à sourire en regardant les photos d’un Kurt insouciant, déconneur et jeune à jamais. Oli

Le deuxième album, le jaune, donne carte blanche à Steve Albini pour remixer ses prises 20 ans après ! C’est donc avec un mixage réalisé en juin 2013 qu’on redécouvre les titres de Nirvana, le son est plus direct, les basses moins sourdes, l’équilibre de l’ensemble est mieux dosé (exit certains arrangements boursouflants), c’est beaucoup plus moderne ou en tout cas proche de l’idée qu’on se fait de Nirvana aujourd’hui et c’est un vrai plaisir de goûter à ce travail qui plaira particulièrement aux fondus

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MASS HYSTERIA A l’Olympia (Verycords)

Jamais deux sans trois ? Et non, la troisième sortie «live» de Mass Hysteria ne s’appelle pas Live mais «presque tout simplement» A l’Olympia. «Tout simplement» parce que c’est là que le show a été filmé et «presque» parce que c’est l’Olympia putain ! Un aboutissement après 20 ans de carrière ? Non, un rêve qui devient réalité car il semble évident que Mass Hysteria ne va pas en rester là... Comment imaginer que ce soit un achèvement après avoir vu combien de sourires ils allument lors de ce concert comme de tous les autres ? Non, c’est plus un avènement, une consécration pour un groupe qui n’a jamais relâché ses efforts et se donne bien du mal pour faire vibrer les salles et le public des festivals depuis le début des années 90. On revit pour l’éternité cette soirée d’avril 2013 en s’installant (ou pas d’ailleurs) pour mater ce DVD, on entre dans le temple parisien de la musique, on sélectionne sa qualité de son (Stereo ou 5.1) et on balance le «Concert». Et d’entrée c’est du très gros. Le rideau s’ouvre sur une mise en scène option «artwork vivant» avec quelques tambours ambiance «Aimable à souhait», c’est beau et qu’est-ce ça claque (les «acteurs» repasseront sur «Même si j’explose»)... Noir puis noir et blanc éclatant pour débuter le spectacle qui nous permet d’en prendre plein les oreilles mais également plein les yeux car le plan de feu, les

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angles de caméra et le son sont d’une qualité exceptionnelle. Le public également, qu’on voit et entend bien dés «Positif à bloc» et qui se fera remarquer à plusieurs occasions pour chanter «Joyeux anniversaire». La caméra qui passe au-dessus de la scène, les images depuis le public, les plans fixes sur Rapha, les plans larges dans ce cadre cultissime sont plus que bien utilisés dans le montage qui est toujours dans le bon rythme, les épileptiques n’ont donc rien à craindre... Côté show, Mass Hysteria enquille les tubes qui font rentrer en sudation tout l’Olympia et semble ne jamais vouloir faire de pause... Ou alors c’est pour préparer le braveheart de «P4». Il faut attendre «Remède» pour récupèrer un peu et on est déjà au dixième titre... Soit à la moitié du concert. Si tu as déjà vécu un concert des Mass, sache que ce soir-là, Yann n’a pas envoyé ses riffs favoris de Slayer ou Sepultura... Ne cherche pas non plus «Killing the hype (ruff style !)», «Mass protect», «Aimable à souhait» ou n’importe quel titre de l’album éponyme, ils n’ont pas réussi à s’incruster dans la set list . On a par contre le droit à quelques belles surprises comme quand avant d’attaquer «Respect to the dancefloor», Mouss balance du «toi tu sors» et du «imposteurs» à l’encontre de Nico et Vince ! Ils sont alors remplacés par les historiques Stephan, Erwan et Pascal mais aussi les fils et les filles du vice... Une fête qui se termine comme toujours avec une grosse «Furia» où les sonorités de samba font monter sur scène des danseuses peut-être venues de Rio, on fait péter le pas de danse une dernière fois et il faut déjà (le temps passe vite) se dire «rencart au bar»... En bonus, tu peux revoir le très beau clip de «Même si j’explose», dans une qualité forcément supérieure à celle du web et suivre la vie des Mass durant la tournée des festivals de l’été 2013, on les voit en live , en backstage, avec des ballons et des shooters dans les mains, on les entend aussi déconner et répondre à quelques questions. Le digipak offre également le concert en version double CD pour que tu puisses frissonner partout et pas seulement devant ta télé. C’est Mass Hysteria qui fête son anniversaire et c’est eux qui nous font un cadeau, que dire à part «Merci... et à bientôt sur la route» ? Oli


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DEAFHEAVEN Sunbather (Deathwish Inc.)

renoue avec ce que le groupe sait faire de mieux. Mais porté cette fois à son paroxysme créatif. Deafheaven est ici d’une intensité inégalable, d’une sauvagerie à s’en ouvrir les veines, d’une beauté cendrée à la noirceur aussi palpable que repoussante. Et le sait. Alors il appuie là où ça fait mal. Soit en plein cœur. Mettant l’âme de son auditeur en lambeaux lors de crescendo renversants, poussant ses limites jusqu’aux retranchements et l’emmenant dans un grand huit proprement dément, il fait ce que l’on n’osait imaginer totalement : enfanter d’un chef-d’œuvre.

Sortez les enfants, enlevez les bouchons et accrochezvous au siège, voici l’heure de la fessée made in Deathwish Inc. avec le deuxième album de Deafheaven. Si l’on se souvient encore de la claque magistrale qu’avait été Road to Judah, on ne va pas se mentir, les Américains ont remis ça mais en mode «the next big thing»... si bien que dès les premières mesures de «Dream house», la piste d’ouverture de ce Sunbather, on pressent déjà le déluge qui va nous arriver dans la figure. Et ça ne loupe pas : c’est une tornade post-rock-hardcore qui s’abat sur une platine déjà ensanglantées par les vociférations black-metal de l’enfer qui annihilent toute velléité d’ataraxie émotionnelle. 9’’14’ d’un déferlement de jouissance primale et sans concession pendant lesquelles on en prend littéralement plein la gueule, et un mot nous revient sans cesse comme un mantra : Énorme. Quelques hectolitres de violence pure et de riffing incandescent plus tard, expédiés à une vitesse ahurissante, et voici que les Deafheaven en termine avec l’introduction pour laisser sa place à un «Irresistible» qui joue la carte de la douceur indie pour laisser respirer l’auditeur pris à la gorge par le monstrueux titre inaugural. Mais qui va se reprendre un rocher sur le coin du crâne avec le morceau éponyme de ce Sunbather. Une troisième piste qui

On oublie Road to Judah quelques instants et on assiste au choc thermique sensoriel proposé par un groupe déjà parvenu au sommet de son art après deux albums seulement. Entre atermoiements shoegaze/post-rock/folk aux tentations parfois dronisantes ou bruitistes («Please remember») et éruptions de rage brute, le groupe cautérise lui-même les plaies béantes qu’il ouvre avec notamment l’excellemment bien nommé «Vertigo» et son quasi quart d’heure d’empoignade émotionnelle et de vibrations telluriques bouleversantes. Les Deafheaven mettent tout ce qu’ils ont dans leurs tripes, mais alors vraiment tout, s’abandonnant purement et simplement à leurs instincts primaires pour paradoxalement livrer une œuvre aussi cérébrale que sensorielle. Une ode au désespoir asphyxiante et libératrice, un véritable manifeste de douleur viscérale qui trouve son essence dans des compos à la densité ahurissante, entrecoupées de morceaux plus nébuleux («Windows») accentuant de fait, l’impact général de cette œuvre passionnelle qu’est Sunbather. Ce, jusqu’au tsunami final «The pecan tree». Une ultime éruption de lave en fusion et la confirmation que le groupe ne pratique pas le même art que ses semblables. Ni post-rock, ni shoegaze, ni black-metal mais un peu de tout ça à la fois. Sans comparaison possible avec le reste du monde. Saisissant, éprouvant, déchirant... mais cathartique. Aurelio

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UGLY KID JOE Stairway to Hell (Metalville)

Parmi nos lecteurs trentenaires, j’aimerai que ceux qui n’ont jamais fait les fous sur « Everything about you » ou tenter d’emballer la gueuze en boîte sur « Cat’s in the cradle » des géniaux Ugly Kid Joe lèvent la main. Je m’en doutais, vous n’êtes pas nombreux ! Ugly Kid Joe a marqué les années 90 avec les indispensables America’s least wanted (1992) et Menace to sobriety (1995). Si bien qu’après avoir stoppé ses activités en 1997, c’est avec satisfaction et un brin de nostalgie que j’ai appris que groupe remettait le couvert en 2010, année au cours de laquelle le quintet a mis en boîte l’EP Stairway to Hell. Metalville nous propose aujourd’hui dans un joli packaging cet EP comprenant également trois titres acoustiques bonus, et un DVD comprenant l’intégralité de la prestation du groupe au Download Festival en 2012. Plus de vingt ans après leur premier chef d’œuvre, j’ai eu peur d’être déçu au moment d’écouter cette galette. Peur du réchauffé, peur que la magie n’opère plus. Bref, le topo habituel avec toutes ces légendes qui se reforment. Premier bon point, le groupe n’a pas perdu son humour, en affichant d’entrée de grossiers clins d’œil à ses idoles que sont AC/DC et Led Zep (titre de l’album, typographies et même photo intérieure reprenant la po-

chette du premier opus des rockeurs australiens). Après ce premier divertissement, passons à la musique les enfants. « Devil’s paradise » place la barre très haut : gros son, mélange de hard rock et de stoner, voix lorgnant méchamment du côté de Ozzy et du Sabbath Noir. Même si l’originalité n’est pas de mise, je dois reconnaître que ça fonctionne bien. Très bien même. « Make me sick » emboîte le pas, et on retrouve le coté « branleur-core » d’Ugly Kid Joe : ça va tout droit, la voix de Whit Crane est grave et puissante, et les riffs de guitares se veulent aériens et gorgés de bonne humeur. Les réjouissances continuent avec un très bon « No one survives », single typique aux mélodies léchées, à l’intro acoustique et aux refrains électriques et bouillants. Les gars sont en forme, les morceaux sonnent de fort belle manière, même si on sent déjà au bout de trois titres que les gars ne se sont pas compliqués la vie pour pondre de nouvelles chansons. « I’m alright » ne déroge pas à la règle, et c’est du UKJ pur jus avec grosses guitares et refrains fédérateurs qui nous est présenté. Pas de surprise, juste de bons morceaux exécutés par un bon groupe. « Love aint’ true ! » à la structure blues et au featuring de qualité (Angelo Moore et Dirty Wall de Fishbone) est le morceau le plus débile du disque, avec cuivres chaleureux et un chant de branleur comme on les aime. « Another beer » aux accents country est plaisant même si il était dispensable. Mais bon, fallait bien remplir le disque, si vous voyez ce que je veux dire. Concernant les bonus, on frôle le scandale niveau « remplissage » avec une version acoustique (et réussie) de « No one survives », un « Would you like to be there » revisité et dont l’original figure sur Motel California, troisième album du groupe, et une magnifique version de « Cat’s in the cradle » qui a fait frissonner le nostalgique que je suis, prouvant à celui qui en doutait qu’Ugly Kid Joe tient toujours la route. J’en suis maintenant convaincu. Alors, même si les gars ne se sont pas frottés la barbichette trop longtemps pour composer six nouveaux titres et relancer la machine, je suis surtout soulagé de me dire que « mes » années 90 ne sont pas que d’excellents souvenirs. Gui de Champi

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SHINING

One one one (Indie Recordings) sement bordélique et violente parsemée de quelques éléments électroniques bien déglingués («My dying drive», «Off the hook»).

Quand on se dit qu’ils faisaient du pur free-jazz à leurs débuts avant de faire continuellement évoluer leur musique vers quelques chose de plus rock, plus prog voire plus métallique, jusqu’à ce qu’elle est maintenant, pas si étonnant de découvrir ce que donne le Shining postexplosion Blackjazz / Live Blackjazz dès l’inaugural «I won’t forget». Soit un cocktail de rock survolté dopé aux pulsions metal et fulgurances jazz/prog furieusement déjantées, plongé dans un amas d’effets de studio. Et une réussite étincelante qui en met littéralement plein les enceintes à peine l’album déposé sur la platine CD/ vinyle.

Un petit côté Dillinger Escape Plan sous LSD, des mélodies décharnées empilées avec une frénésie palpable, rythmiques martiales assassines qui pulsent dans les éprouvettes («The hurting game») et autres joyeusetés validant l’étiquette «black-jazz» des Norvégiens, les morceaux s’enchaînent avec une maîtrise toujours effrayante, surtout après avoir été exécutés à une vitesse plutôt ahurissante («How your story ends»). Ruptures de tempo impromptues («Blackjazz rebels»), virtuosité brute à tous les étages («Walk away») et riffing terminal punitif («Paint the sky black»), Shining en remet une dernière couche et fait les choses bien comme il faut pour achever le travail de la seule manière possible : efficace et corrosive. Pour un album en forme de grosse, très grosse fessée. Technique et jouissive. Aurelio

Tout aussi rock’n’roll dans son entame mais rapidement plus féroce dans ses éruptions ravageuses bien burnées, «The one inside» aligne l’auditeur et alterne tentatives mélodiques et constance vocale hurlée vaguement héritée de la sphère black metal. Sans les poncifs véhiculés par le genre. Quant à la partie «jazz», elle met un peu de temps à arriver pour finalement tout retourner sur son passage, ce à point nommé. Surtout que l’on se retrouve face à un climax jazzcore brutal qui parachève un titre à la maestria formelle et artistique fracassante. En roue libre et se laissant aller à ses penchants les plus extrêmes, il sert sur un plateau une mixture joyeu-

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GENERATION OF VIPERS Howl and filth (Golden Antenna Records)

infuser ses motifs harmoniques pour ensuite s’embarquer dans des poussées de fièvre tellurique.

Sorti en 2011 outre-Atlantique, Howl and filth, le troisième album de Generation of Vipers (qui comprend des membres d’A Storm of Light, OCOAI et US Christmas au sein de son line-up) aura donc mis tout ce temps pour parvenir jusque sur le vieux continent, par le biais du toujours très intelligent Golden Antenna Records (Earthlimb, Kerretta, Maserati, Planks..) qui a encore une fois flairé un bon coup. Mais comme le dit l’adage, plus c’est long hein... Et pour le coup, on ne va pas se mentir, difficile de réfuter l’évidence : cet album-là est une claque monstrueuse : lourde, grasse, implacable. Qui dès les premiers instants fait pleuvoir les décibels. Un bombardement sludge/noise/doom s’abat sur les enceintes sans trop appuyer ses effets, égrenant son «texte» pour lentement, inexorablement faire grimper la tension. Les débuts sont languissants, le groupe prend tout son temps, laisse ses riffs œuvrer et martèle son propos en jouant d’une répétitivité rythmique quasi mécanique. Pour laisser les éléments se déchaîner enfin et son aboyeur en chef entrer en scène appuyant de fait une mécanique instrumentale de haute précision. Et là première surprise : le «chant» n’est que la composante d’un ensemble plus global, ce qui induit qu’il soit largement mis en retrait, selon que le groupe décide de faire

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Une fois les quasi huit premières minutes inaugurales écoulées, voici qu’on embarque pour quelques six minutes trente et des poussières d’un petit road-trip plutôt escarpé à flanc de montagne. Puissant et salvateur, Generation of Vipers muscle encore son jeu pour faire office de mastodonte sludge-metal/post-hardcore aussi musculeux qu’intensément volubile («Silent shroud»). On pense alors à leurs voisins de label que sont Planks mais aussi évidemment un peu à Neurosis, ne serait-ce qu’en termes de densité sonore. Mais pas que. Car d’un point de vue sensoriel, le menu proposé a quelque chose d’assez détonnant, surtout que le groupe ne s’arrête pas en si bon chemin. Une petite respiration plus tard avec le magnétique «All of this is mine», puis revoici les Américains repartant au turbin avec le bulldozer «Eternal». Une véritable machine à compresser les vertèbres et distribuer les parpaings sonores avec une précision métronomique. Qu’ils ralentissent un peu le rythme (l’imposant «Slow burn») ou au contraire poussent le concept de leur entreprise à son paroxysme créatif, les membres de Generation of Vipers livrent une œuvre aussi compacte que passionnelle et abrasive («The misery coil»). Un disque de sludge/doom majuscule qui fait bien mâl(e) par où ça passe. Aurelio


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SKUNK ANANSIE

An acoustic Skunk Anansie - Live in London (Verycords)

Un an après avoir réussi leur retour avec Black traffic, on retrouve déjà les Skunk Anansie dans nos bacs avec un DVD au titre simple et évocateur : An acoustic Skunk Anansie - Live in London. S’il y a près de 20 ans, les Skunk Anansie ont déboulé avec un titre plein d’énergie et de hargne («I can dream»), Skin a travaillé son côté délicat en solo mais également davantage avec ses comparses qui n’écrivent pas uniquement des balades pour cartonner dans les charts («Charity»). Jouant avec bien plus de facilité aujourd’hui sur les deux tableaux, cette nouvelle aventure acoustique semble évidente, le groupe s’étant maintes fois plié à l’exercice dans le passé (dont une très belle session pour la BBC en 1995). Ce qui était moins évident c’est la qualité exceptionnelle de ce concert enregistré en avril 2012 à Londres au Cadogan Hall, l’antre du Royal Philharmonic Orchestra qui prête pour l’occasion quelques uns de ses musiciens (violonistes, violoncelliste...).

de jeux de lumières ou de mise en scène particulière. Le show est assez intimiste dans ce théâtre et Skunk Anansie n’a jamais été Rammstein, juste un groupe de rock qui se démène sur scène pour donner le meilleur musicalement. Et si on connaît une Skin bondissante en conditions «classiques», là, il lui arrive même de s’asseoir pour être à la même hauteur que le reste des musiciens... Le principal intérêt réside dans l’interprétation des 18 morceaux et des quasi 90 minutes de concert. Et pour le coup, c’est un coup de maître... Si Skin est étincelante de classe et éclabousse de son génie nos oreilles, les autres s’en tirent aussi très bien, notamment Cass dont le son de basse est énorme de douceur. Le travail avec les membres de l’orchestre philharmonique est prodigieux, écoute la diabolique version de «Charlie big potato» s’il faut t’en convaincre... Tout en pureté et délicatesse, les titres s’enchaînent comme dans un doux rêve, passant en revue 20 ans de carrière discographique, la plupart des tubes étant revisités, même les plus doux («Charity», «Weak», «Hedonism (Just because you feel good)»...), la petite bande se permettant même une reprise de Paul Weller (ex-The Jam) : «You do something to me». Les esprits chagrins et jamais satisfaits (j’en fais un peu partie...), regretteront l’absence des hits fondateurs que sont «I can dream» et «Selling Jesus» mais les plus jeunes n’en auront que faire, n’étant pas forcément sentimentalement attachés à ces vieilles rengaines... An acoustic Skunk Anansie - Live in London t’est indispensable si tu as été touché de près ou de loin par le combo britannique dont la puissance de feu surprendra toujours, quelques soient leurs choix. Bravo. Et merci.

Oli Ce DVD présente le live dans son intégralité sans bonus et si ce n’est la très belle réalisation, la qualité de son et les fringues de Skin, un CD aurait parfaitement fait l’affaire. Parce qu’à part se rendre compte que sur certains morceaux les gens se lèvent, l’image, très belle, ou le cadre, magnifique, la valeur ajoutée est minime faute

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NINE INCH NAILS Hesitation marks (Columbia)

Il aura quand même bien joué avec nos nerfs ce cher Trent Reznor, à faire croire qu’il arrêtait de faire des albums avec son projet de toujours non sans avoir auparavant défié le système et donc les majors avec l’épisode Ghosts I-IV + The slip. Tout ça pour finalement brouiller les pistes, s’occuper avec des BO pour le cinéma (The social network, le remake US de Millenium), monter How to Destroy Angels avec sa moitié, avant de réactiver Nine Inch Nails (puisque c’est bien ça dont il s’agit ici) d’abord en live puis en produisant dans le plus grand secret Hesitation marks. Lequel sort, volte-face ultime... en major . Quatre artworks (CD standard, Deluxe, digitale, vinyle) pour le prix d’un seul, pour peu que l’on ait la bourse de la famille Rothschild et un album qui débute sous les meilleurs auspices avec un «The eater of dreams» introductif pour le moins minimaliste puis le solide «Copy of A». Très électronique, dynamité par un rythmique endiablée et un Trent Reznor habité, porté par un climax enfiévré, tendu, on est mode «light», mais Hesitation marks est quand même sur de bons rails. Et Nine Inch Nails avec. Car le «groupe» - le maître tout seul à l’écriture puis accompagné de sa garde rapprochée (Alessandro Cortini, Ilan Rubin, Joshua Eustis et Adrian Belew + Atticus Ross, Alan Moulder ou encore Rob Sheridan) - est en forme et

prépare déjà le terrain au single «Come back haunted» qui déboule quelques instants plus tard. Efficacité redoutable, refrains accrocheurs, mélodies addictives, on a droit à du pur NIN en roue libre mais évidemment fidèle à lui-même et à sa griffe musicale si personnelle. Jusque là, tout va bien. Là où le bât blesse, c’est que ce qui fait la force du projet de toujours de Reznor a parfois tendance à se déliter quelque peu. Et si «Find my way» répond parfaitement aux attentes placées dans son titre, envenimant l’auditeur de son groove hypnotique, le berçant avec cette mélodie nébuleuse flottant dans l’atmosphère au gré des effluves sonores distillées par un NIN sûr de ses effets, la suite avec «All time low» par exemple, est légèrement plus discutable. Gimmick rythmique sexy, beats ultra-mainstream mis en avant par une production ciselée, ambiances interlopes et lascives, l’architecte et ses hommes de mains tentent l’approche «facile» et ne forcent pas trop leur talent. Sortir du registre des morceaux précédents sans appuyer sur l’accélérateur, pour ensuite confirmer l’impression sur le trop bien nommé «Disappointed». On s’offre une petite cure de minimalisme organique, alourdie par quelques esquisses mélodiques légèrement neurasthéniques, de la répétitivité à tous les étages (un peu lassante) et voici un titre qui n’existe que pour ses poussées de fièvre à la densité libératrice. En deçà de ses possibilités intrinsèques, Nine Inch Nails doit alors se réveiller... et le fait en envoyant enfin la sauce sur le survolté et curieusement très pop «Everything». On valide... sauf que derrière le groupe ose un «Satellite» clairement casse-gueule dans la démarche artistique à la limite de la provocation. Presque putassier... et pourtant pas si loin d’être addictif. Donc troublant. On dira tout ce que l’on voudra, malgré quelques facilités, Reznor, à la fois trop intelligent et talentueux pour saboter son projet assure aisément le minimum syndical (au niveau relativement élevé chez lui). Ce même si «Various methods of escape» ou «Running» restent relativement anecdotiques, il y a suffisamment de pépites dans Hesitation marks (l’elliptique «Black noise», «In two», le très beau «While I’m still here» final) pour garantir à ce 28ème Halo une place de choix dans la discographie de NIN. Aurelio

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MOTÖRHEAD Aftershock (Future PLC)

A chaque fois que je chronique un album de Motörhead ou que je me lance dans un live report d’un concert du trio britannique, j’ai la sensation de me répéter, en utilisant des superlatifs qui reviennent toujours sur le tapis. Mais à chaque sortie de disque ou à chaque concert, c’est (presque) toujours bien, alors je ne vais pas bouder mon plaisir de vous parler d’Aftershock, nouveau missile atomique des Anglais ! 21ème (!) album de sa prolifique carrière, Aftershock est de nouveau produit par Cameron Webb, offrant une certaine stabilité. Je vous rassure, la recette, elle non plus, n’a pas changé. Enfin, disons que Lemmy et sa bande ont apporté quelques nouveaux ingrédients au plat qu’ils servent avec talent depuis des dizaines d’années, sans modifier le goût, si vous voyez ce que je veux dire. Et comme vous ne voyez pas, et bien je vais vous expliquer. Comme à son habitude, Motörhead démarre très fort avec «Heartbreaker», un excellent morceau du cru où la vitesse d’exécution, la force des guitares, l’omniprésence de la basse et la voix caverneuse de Lemmy s’entrechoquent pour former un petit chef d’œuvre. Encore un morceau à écouter à fond sans modération. Ce nouvel album comprend évidemment son lot de titres punchy qui ont fait la marque de fabrique du trio anglais

(vitesse, puissance, grande classe) comme pour «Coup de grâce» (en deuxième position de la tracklisting, alors que ça aurait pu clôturer l’album avec un titre de ce genre), «End of time», «Death machine», «Going to Mexico» (aux accents très «Ace of spades») ou le tonitruant «Paralyzed». Mais en grands amateurs de blues, nos trois larrons nous ont concocté quelques excellentes surprises : ainsi, le mid tempo qu’est «Lost woman blues» est une respiration plus qu’essentielle, rappelant à l’auditeur qu’au milieu de cette avalanche de fureur et de sueur, Lemmy, Mickey et Phil n’ont pas oublié leurs racines et leurs premières amours. Il en est de même pour le plus dispensable «Dust and glass». Le rock ‘n’ roll basique n’est jamais bien loin («Knife», l’excellent «Crying shame» et son refrain fédérateur à grand coup de piano !), et Motörhead s’est même fait plaisir en envoyant un «Queen of the damned» qui aurait pu trouver sa place sur les premiers albums du groupe, ainsi qu’un jouissif «Keep your powder dry» que ne pourrait pas renier AC/DC. Tout va bien dans le meilleur des mondes. Quarante sept minutes plus tard, plusieurs constats s’imposent : oui, Motörhead est encore dans le coup, et cet Aftershock démontre bien qu’on n’est pas près de les foutre dehors. Oui, ce nouveau disque est du pur Motörhead, avec ses nombreux points positifs (la puissance, la virilité, l’expérience, quelques jolies surprises) et ses quelques points négatifs (une linéarité qui pourrait lasser), mais après quarante piges, à quoi s’attendre d’autre ? Lemmy est le boss, Mickey Dee a le rythme dans le sang, et Phil est un guitariste inspiré et doté d’un feeling certain. Les derniers événements pourraient laisser croire qu’il pourrait s’agir d’un de leurs derniers disques, et même si Aftershock n’est pas le meilleur album du trio (quoi que d’un très bon niveau), rendons à César ce qui appartient à César et prosternons nous une nouvelle fois devant ce groupe qui a tellement apporté à la musique moderne. On leur doit bien ça, bordel ! Gui de Champi

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65DAYSOFSTATIC Wild light (Superball Music)

d’ouverture de Wild light et c’est très précisément le moment choisi par 65daysofstatic pour enfoncer le clou et sortir un single de sa manche avec l’efficace «Prisms».

On avait un peu perdu de vue les 65daysofstatic après leur album We were exploding anyway et la sortie d’une bande-originale alternative du film «Silent running» (1972) commandée par le festival du film de Glasgow et notamment interprétée en live par le groupe avant d’être commercialisée en vinyle et digital, accompagné d’un EP additionnel, ce par le biais de son propre label : Dustpunk Records. Un exercice du score revu et corrigé par les anglais qui les a apparemment marqué au point de rendre sa musique désormais encore plus cinématique que par le passé. L’entité anglo-saxonne revient dans le système et sous la bannière d’un label déjà bien installé sur la scène européenne et internationale, Superball Music (feuOceansize, presque feu-Dredg au vu du dernier album, Long Distance Calling), avec ce Wild light qui, dès les premiers instants, instaure des atmosphères propices à l’évasion sensorielle. Un subtil mélange d’electronica et de shoegaze-ambient de luxe qui, sur l’inaugural «Heat death infinity splitter», fait des merveilles en matière d’immersion charnelle dans un univers à la cinégénie affirmée et aux textures sonores aussi lancinantes que veloutées. A la fois vénéneuses et enivrantes. On reste alors complètement sous le charme de ce morceau

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Redoutable d’efficacité mélodique, le groupe distille ici un addictif cocktail de rock/math-post-rock synthétique aux effluves digitales qui serpentent le long de l’épiderme de l’auditeur pour se frayer un chemin vers son cortex cérébral et ne plus jamais le lâcher. La suite immédiate, avec des morceaux comme «The undertow» ou «Sleepwalk city» brossent des panoramas musicaux tantôt bercés par un minimalisme feutré, tantôt porteurs d’une amplitude sonique dissimulant avec soin quelques climax de haute volée. Mais elle permet également au groupe de tout exploser autour de lui («Black spots») ou à défaut d’esquisser quelques motifs pop élégants («Taipei»), avant de faire naître des émotions contradictoires, troublantes et narcotiques («Unmake the wild light»). Parce que 65daysofstatic poursuit ici une trajectoire narrative tout à fait étudiée, faire de cet album la bande-son idéale d’un métrage qui n’existerait cette fois pas encore (à défaut de son opus précédent). Un disque à prendre dans sa globalité, que ce soit en suivant son tracklisting à la lettre, ou pas. Mais une œuvre fascinante et d’une maîtrise artistique étincelante, parfois littéralement bouleversante (le sublime «Safe passage» et ses murs de synthés carbonisent les amplis), ou le plus intimiste et assez paradoxalement schizophrénique «Destructivist» (qui figure sur l’édition limitée), avant «l’Artismal» final, ultime shot math-postrock électronique d’un groupe qui vient d’accoucher d’un album qui est en tous points orgasmiques. Aurelio


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DOOMRIDERS Grand blood (Deathwish Inc.)

sans jamais se défiler dès lors qu’il s’agit d’aller au charbon (énorme «Death in heat», l’instinctif «We live in the shadows»).

Après 24 secondes d’introduction déjà bien sous tension, histoire de prévenir le néophyte que ça ne va pas tarder à tomber, fatalement, quand «New pyramids», le premier véritable morceau du troisième album de furieux Doomriders enclenche la marche avant, ça dérouille pas mal. Comme l’on s’y attendait, le groupe sort l’artillerie lourde, libère son kraken musical et déchaîne les enfers à coups de stoner/hardcore infusé au death’n’roll/ heavy/sludge qui dégoupille sévèrement les neurones. On le savait, la calotte devait fatalement nous claquer les fessiers jusqu’à les rendre rougeoyant au terme de l’album, zéro surprise de ce côté-là, c’est bien le cas.

Une intensité de tous les instants, une efficacité redoutable qui met en exergue les pulsions sonores d’un groupe qui dévore goulûment la platine, celui-ci cannibalisant littéralement son auditoire alors-même qu’il poursuit son entreprise de démolition émotionnelle en se jouant des codes des styles dont il use pour mieux en exacerber l’essence. Promenade stoner/heavy-sludge habitée («Gone to Hell»), rock hardcore punk sauvagement accrocheur («Back taxes»), Doomriders fait à peu près tout ce qu’il veut avec une maîtrise absolue et une qualité irréprochable, alors quand il s’agit de boucler la boucle de ce troisième album et de conclure virilement les (d)ébats, rien de mieux qu’asséner un dernier coup de boutoir, ultime coup de reins avec l’implacable «Father midnight». Foudroyant. Aurelio

Mais auparavant, les Américains toujours efficacement emmenés par un Nate Newton (Converge, Old Man Gloom) au sommet de son art et encore une fois distribués par les bons soins du label Deathwish Inc., exécutent un hardcore’n’roll forcené générateur d’une incandescence sonore des plus libératrices («Mankind»), qui entre groove apocalyptique et harangue contaminatrice (le saignant et éponyme «Grand blood»), délivre une musique aussi passionnelle que furieusement racée («Bad vibes», «Dead friends»). Les Doomriders distribuent les baffes sonores avec une constance qui frise l’irrationnel et enchaînent consciencieusement

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INTERVIEW

INTERVIEW > THE SOMNAMBULIST En septembre, les Berlinois de The Somnambulist étaient de passage avec Ulan Bator au Klub dans le cadre de L’Étrange Festival à Paris. Marco, chanteur et guitariste, mais également fondateur de la formation, nous fait un point passé/présent/futur via cette petite interview. De quoi en savoir plus sur ce groupe qui mérite grandement qu’on s’intéresse à son rock aventureux et inspiré. Salut Marco, j’aurais aimé que tu reviennes un peu sur la genèse de The Somnambulist : Comment-vous êtesvous retrouvé à former ce trio au style assez singulier? Tout a commencé en 2007. A l’époque, je vivais encore en Italie, je jouais de la guitare dans un groupe qui s’appelait Caboto et de la batterie dans Elton Junk. Giulio Burroni, un viel ami à moi qui est devenu par la suite booker pour The Somnambulist en Italie, était l’une des quelques personnes à avoir en sa possession une démo solo que j’avais réalisée en 2001. Un jour il me dit : «Hey, ta démo est géniale, pourquoi ne te mettrais-tu pas à réécrire et chanter tes propres chansons ?». C’est

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donc ce que j’ai fait en montant Hotel Ambiente avec Giulio à la basse et Lorenzo Marzocchi à la batterie. On a sorti un EP de 4 titres avant que je ne déménage à Berlin. Ensuite, on a fait une petite tournée en Europe mais comme nous étions loin géographiquement, on a tout simplement décidé d’arrêter. Pendant ce temps-là, moi j’étais en train d’écrire les chansons de Moda borderline qui devaient être au départ le premier album d’Hotel Ambiente. Au moment de monter le nouveau line-up pour enregistrer l’album en 2009, j’ai changé le nom en The Somnambulist. Est-ce que votre nom de groupe a un rapport avec le livre du photographe Ralph Gibson publié en 1970 ? Non, pas du tout. J’ai connu l’existence de ce livre après avoir nommé le groupe ainsi. En fait, l’inspiration m’est venue après avoir regardé «Le cabinet du Dr. Caligari». En regardant les sous-titres, je trouvais que le nom sonnait super bien. Mais j’aime l’idée que The Somnambulist puisse se référer à beaucoup de choses : les troubles du sommeil, l’Expressionisme allemand, l’opéra de Bellini,


La chose improbable quand on regarde votre biographie, ce sont les différentes nationalités des membres qui composent votre groupe. C’est une pure coïncidence ? Car ce n’est pas très commun (je ne connais que les Bad Seeds dans le même cas), chacun doit apporter un peu de sa culture dans le groupe. Quand tu montes un groupe dans une ville comme Berlin, c’est commun d’avoir en son sein des musiciens de nationalités différentes. Ce n’est peut-être pas un hasard si un groupe comme The Bad Seeds s’est relocalisé à Berlin au milieu des années 80. Pour notre projet, qui d’une certaine manière, je dirais, est basé sur l’idée de faire de la musique suivant plusieurs perspectives au même moment, c’est presque nécessaire d’être basé à Berlin. Des personnes qui jouent ensemble et dont chacun des membres a une culture musicale et une nationalité différente peuvent créer un large éventail de possibilités musicales. Parle-moi un peu de Berlin, carrefour des cultures et du cosmopolisme. Ca fait longtemps que tu y habites ? Ca fait déjà presque six ans que j’y suis maintenant. Je suis venu là parce que j’ai eu la chance d’y aller une première fois vers 2001 mais à cette période je pensais encore que l’Italie était, disons, un pays «normal». Je me suis dit que c’était mieux de rester dans mon pays natal pour continuer à bosser avec mes groupes plutôt que tout laisser tomber pour débuter une nouvelle vie dans un nouveau lieu. Le problème c’est que l’Italie n’est pas un pays «normal». Année après année, je me suis rendu compte que j’avais pris la mauvaise direction dans ma vie et que je pouvais arrêter ça en bougeant à Berlin. Berlin est une ville frontalière où on peut se cacher. Et, à cette période, cette ville est le seul endroit en Europe où, si tu te sens prêt à vivre à la limite de la pauvreté et de gérer tout seul tous les différents aspects du métier d’artiste, tu peux trouver tout un tas de musiciens du monde entier et consacrer tout ton temps à faire de la musique tout en payant tes factures ou remplir tes déclaration de revenus comme n’importe quel travailleur. Tu es multi-instrumentiste, est-ce que le choix de ton instrument s’est fait naturellement au sein de The Somnambulist ? Cela a été plus une question de nécessite que de choix. J’ai écrit les chansons de Moda borderline durant ma

première année à Berlin où j’enchainais plusieurs petits jobs en même temps pour pouvoir survivre et jouer en solo des concerts en guitare acoustique. J’avais juste ma guitare sur moi, aucune salle de répétition, donc j’écrivais sur papier les partitions de batterie, de basse et de guitares. Ensuite, j’ai fait la connaissance de Rafael qui m’a accompagné au violon sur des dates. Je ressentais tellement de frustration, après dix années à faire de la musique en Italie qui m’ont mené à rien, d’attendre 3 ou 4 ans de plus pour trouver les bonnes personnes, faire un nouveau groupe, commencer les répèts, composer les premières chansons, faire des shows non payés pendant un bout de temps pour se lancer, puis si tout se passe bien, enregistrer un premier album. Donc, j’ai collecté tout l’argent que j’avais économisé et enregistré l’album tout seul. Raf est venu enregistrer les parties de violon qu’il jouait lors de nos représentations et j’ai demandé à Marcello Busato, qui a rejoint le groupe juste après, de venir improviser des rythmes free-jazz pardessus.

INTERVIEW

Ralph Gibson, etc. Je trouve qu’il représente à merveille le côté «multicouche» de nos compositions et, dans le premier sens du terme, la façon dont les chansons sont à la fois un rêve et une action.

Que réponds-tu aux personnes qui te demandent quel est le style musical de The Somnambulist ? Que je n’en ai pas la moindre idée ! Le violon prend une place assez importante dans votre groupe. Est-ce que c’est difficile de composer avec un instrument qui n’est pas habitué à se retrouver dans une formation rock ? Non, ce n’est pas vraiment difficile si on veut essayer de trouver de nouvelles perspectives au rock n’ roll. Quand j’ai écouté Moda borderline la première fois, la première chose qui m’a frappé, c’est ta voix. J’ai pensé direct à Tom Waits. C’est quelqu’un que t’apprécies et que t’écoutes ? Tom Waits est immense. Et Captain Beefheart avant lui, et Howlin’ Wolf encore avant eux. Si tu regardes bien, c’est juste du blues. Ils sont comme une ligne rouge dans le temps qui provient des anciennes racines du blues. C’est quelque chose à faire avec l’idée du corps de la voix, comme si ta bouche était possédée par ce corps. Un peu voodoo, si tu veux. C’est assez difficile à décrire et en même temps tellement significatif. Ça se travaille une voix comme la tienne qui est assez particulière ? Ou c’est quelque chose de naturel ? Il y a 6 ans, je ne savais pas du tout chanter. Ma voix m’est apparue comme ça, d’une manière tellement incontrôlée que je me suis demandé si c’était vraiment moi qui chantait. Cette fascination pour ce mécanisme,

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qu’un manque de sens de l’identité puisse produire une voix qui ne m’appartienne pas et l’inverse, a été le point de départ du travail des voix. C’est beaucoup de boulot, surtout parce que d’une manière ou d’une autre, j’ai l’impression de ne pas savoir encore chanter et que je peux faire de la merde si je ne prépare pas les détails de ce qui doit se passer dans ma bouche et mon ventre. Sophia Verloren est sorti à la fin de l’année dernière, vous avez pour l’occasion fait un appel aux dons pour financer sa production. Quel a été le bilan de cette opération ? Une perte de temps. Nous avons collecté à peu près 30 euros, autrement dit, rien. Nous n’avions pas du tout trouvé de label qui pouvait investir de l’argent. Financièrement parlant, Sophia Verloren a été un désastre complet qui a eu de sérieuses répercussions sur nos vies quotidiennes. Mais la seule alternative possible était de ne pas le sortir. (NDLR : Le disque est finalement sorti plus d’un an après sur Acid Cobra Records en France et Solaris Empire dans le reste de l’Europe.) Quelles différences fais-tu entre votre premier et votre deuxième album ? J’ai l’impression que Moda borderline avait une dominante rock-noise alors que Sophia Verloren est peut-être plus aventureux, plus subtil. Partages-tu cet avis ? Absolument ! Je trouve qu’avec ce nouvel album, nous avons franchi un cap par rapport à Moda borderline surtout en ce qui concerne la manière d’écrire. Ses chansons creusent dans des sphères plus profondes. Au sujet du son, la principale différence réside dans le fait que le premier album représentait plus une sorte d’album solo initialement écrit sur feuille de papier puis traduit en sonorités enregistrées. Sophia Verloren, quant à lui, est né dans une salle de répétition et incarne une photographie de ce que Rafael, Marcello et moi avions fait en live de 2010 à 2011. Ce que vous entendez sur le CD, c’est du live-studio en fait. J’aime beaucoup le contraste de Sophia Verloren avec, entre autres, l’apport vocal d’Albertine Sarges sur «A daisy field» et «Monday morning carnage». Parle-moi de cette superbe collaboration. C’était une volonté de votre part dès le départ de la faire participer ou cela s’est présenté comme une occasion soudaine? Un peu les deux en fait. On avait prévu dès le départ d’inclure un duo vocal pour «A daisy field» mais pas pour «Monday morning carnage». Pour la petite histoire, nous voulions jouer cette chanson dans le studio comme les autres, mais à vrai dire, je n’étais pas content

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de ma performance du tout, que ça soit à la guitare et au chant. Manque de bol, nous devions absolument quitter les lieux du studio. Le manque d’argent a fait que nous ne pouvions pas la refaire mais la chanson était tellement bonne qu’il était impossible de l’abandonner, je me suis dit que si le problème venait de moi, la solution devait venir de quelqu’un d’autre. Donc, on a effacé mes prises de chant et demandé à Albertine de chanter à ma place et à Chris Abrahams, le pianiste de The Necks qui avait déjà joué avec nous sur Live in Berlin, de jouer par-dessus ce qu’il lui semblait bon. Nous avons donc annulé les parties de guitare également pour ne laisser que les enregistrements de violons et de batterie faites au studio. Le résultat était si surprenant et différent que nous avons décidé de mettre ce titre à la fin du disque juste après la dernière chanson rock, à la manière d’une musique de générique de fin d’un film. Personnellement, j’adore la façon dont je me suis effacé sur ce morceau, comme un fantôme invisible dont la seule présence se trouve à l’intérieur de l’écriture. Venons-en à votre actualité. Vous avez annoncé le mois dernier l’arrivée de deux nouveaux membres dans le groupe, Manuel Kailuweit et Thomas Kolarczyk. Peux-tu nous les présenter et quel rôle vont-ils tenir au sein de la formation ? Je considère que l’arrivée de Manuel à la batterie et Thomas à la basse comme la création d’un nouveau groupe. C’était l’unique voie à emprunter pour sortir The Somnambulist de cette longue crise et le sauver par la même occasion. Au début de l’année 2012, un an après l’enregistrement de Sophia Verloren - le mixage n’était pas encore réalisé car nous étions en attente d’une solution pour le sortir - Rafael a quitté Berlin pour retourner en France et Marcello est parti du groupe. A partir de ce moment-là, Rafael et moi avons joué quelques concerts avec Alessandro Baris, batteur de L’Altra et Comfort And Collisions, sans véritables répétitions suivies. J’ai ressenti le besoin d’avoir à mes côtés des personnes capables de jouer régulièrement. J’ai bien fait quelques essais avec des musiciens de sessions mais c’était très difficile d’écrire de nouvelles choses avec eux car ça veut dire travailler plus vite et beaucoup plus avec le stress qui va avec. Et puis, comme j’avais un peu le rôle de directeur d’orchestre, ce qui est quand même pas une mince affaire, je ne pouvais pas les payer suffisamment pour qu’ils reproduisent exactement ce qui a été enregistré. Maintenant, The Somnambulist est finalement un vrai groupe qui travaille ensemble tous les jours à fond des idées accumulées depuis ces 3 dernières années. Nous aimerions enregistrer 16 nouvelles chansons au


printemps prochain et les sortir sur un album dont le titre est tout trouvé : «Use Your Illusion III» !

Vous jouez avec Ulan Bator au Klub à l’occasion de L’Étrange Festival. Connais-tu ce festival qui propose des films plutôt originaux et underground ? Je ne connaissais pas ce festival jusqu’à ce qu’on soit invité à y jouer, donc je suis terriblement curieux de voir ça.

INTERVIEW

Vous avez repris votre tournée ciné-concert en faisant la bande son de «Berlin-die sinfonie der großstadt» de Walter Ruttman. J’ai vu la version de cette bande son par We Insist !, un groupe français de math-rock. Comment est celle de The Somnambulist ? Très mouvementée? Oui, c’est plutôt agressif. Par moment, quand c’est bien punk et abrasif, c’est marrant de voir à l’intérieur du théâtre où l’on joue certaines personnes se sentir vraiment mal à l’aise sur leur siège. Je pense que c’est le genre de bande-son jouée en live qui essaie définitivement de combler la distance entre les images sur l’écran plat de cinéma et le corps des personnes le regardant. Le spectacle, c’est une heure de musique instrumentale avec un son similaire à Sophia Verloren. Nous allons faire une tournée avec cette bande-son live qui va passer à Briançon, Grenoble, Vevey et Bourg-en-Bresse en décembre prochain. J’aurai Rafael et Alessandro avec moi vu que Manuel et Thomas n’ont pas eu assez de temps jusqu’à maintenant pour bosser dessus. Enfin, nous pensons l’enregistrer en quintet et espérons sortir un album avec, si possible, un DVD à la clé.

mais ce serait un boulot énorme de le faire et puis honnêtement je n’ai aucune idée de comment obtenir de l’argent pour ça. En dehors des clips du groupe, j’ai réalisé un film intitulé «Liebe macht frei». Dernière question que j’adore poser : Quels sont tes derniers coups de cœur musicaux, tes dernières découvertes musicales ? Mon dernier coup de cœur est la musique africaine. Ça a complètement changé dans ma tête l’ordre des pièces du puzzle musical. Et en même temps, ça a tiré au clair pas mal d’idées que j’avais. Ça donne également de nouvelles perspectives pour le futur de notre musique. Dans la musique contemporaine, pour répondre à ta question, dernièrement j’ai été impressionné par le nouveau disque d’Anna Calvi qui sortira le mois prochain. J’ai eu l’opportunité de faire une interview avec elle et d’écouter son album. J’ai vraiment été surpris d’entendre des similitudes avec la tournure que prennent certaines chansons de The Somnambulist. Merci à Marco et The Somnambulist / Bises aux Berlinois(es). Crédits photos : Eva Schreiber et Christian del Monte Ted

Es-tu un grand cinéphile ? Quels sont tes genres préférés ? Je pense que je suis définitivement ce que tu appelles un cinéphile. Un livre comme «Qu’est-ce que le cinéma?» ou l’art de Kubrick, Fellini ou bien Fassbinder, pour ne citer qu’eux, ont beaucoup plus d’influences sur les idées d’un groupe comme The Somnambulist que les genres musicaux que tu peux entendre dans nos albums. Avez-vous des projets de bande-son de films avec The Somnambulist ? On pourrait refaire des bandes-son live pour des films muets, nous essayons de trouver un film qui n’a jamais fait l’objet de ça. Mais l’idée de base est de faire un longmétrage sur le rock, un genre de science-fiction sur la scène musicale actuelle berlinoise. Pas comme elle l’est actuellement mais comme elle pourrait l’être dans un monde parallèle. J’ai déjà écrit des idées de scénarios

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KARNIVOOL

Asymmetry (Cymatic Records/Sony Music) notamment le puissant «The refusal», qui vient gentiment butiner les amplis alors que l’on ne s’y attendait pas forcément. Et même lorsqu’il s’agit d’adopter quelques instants des formats plus pop avec le majestueux «Aeons», le résultat se dévore encore une fois avec un appétit évident («Eidolon»). Entre-temps, les océaniens ont accouché d’un vrai/faux interlude classe (l’éponyme «Asymmetry») et font tout cela avec une aisance confondante.

Intro toute en volutes de fumée ambient discrètes, Karnivool ne cherche pas trop à en montrer au moment d’inaugurer Asymmetry, qui n’est «que» le troisième album de la formation australienne en quinze ans de carrière. Une voix toute aussi légère, pointant dans les aigus façon Dredg meets Sigur Ros surplombant l’ensemble, le groupe ménage ses effets et lorsque débute «Nachash» que l’on entre réellement dans le vif du sujet. Du rock progressif intelligent et de très haute volée à tous les étages : une puissance de feu incontestable, en quelques plans les natifs de l’hémisphère sud mettent tout le monde à leurs pieds et impressionnent au fur et à mesure que le morceau déroule son fil d’Ariane électrique. On apprécie.

Une parfaite maîtrise de son sujet qui transparaît sur des plages plus ou moins méditatives («Float»), lorgnant du côté de la mouvance psychédélique pop («Eidolon», «Alpha omega») avec une poignée de climax admirablement bien structurés («Sky machine»), ou alors une avalanche de riffs qui s’abattent sur l’imposant «The last few» pour lequel les Australiens moissonnent leurs instruments bien comme il faut pour en mettre plein les enceintes, Karnivool sait à peu près tout faire. Et bien mieux que la majorité de ses contemporains. Rock atmosphérique, métal progressif, pop interstellaire : complexe mais pas trop, subtil et ne se dévoilant qu’au prix d’écoutes répétées, Asymmetry est un album à la modernité sidérante, parfois légèrement futuriste même dans sa trame narrative et qui fait date dans la discographie du groupe. Et en même temps, vu le temps qu’il met à les écrire, ce n’est pas du luxe. N’empêche qu’un tel talent, c’est limite obscène, on est bien d’accord. Classe absolue donc. Aurelio

On pense tour à tour à Dredg, feu-Oceansize ou Porcupine Tree, Tool (la classe n’est-ce pas ?) aussi et pourtant, au petit jeu des différences, Karnivool n’a certainement pas à rougir de la comparaison. Pas plus qu’il ne déçoit lorsqu’il s’agit de faire montre d’une dextérité plus éprouvée sur un «A.M War» ou un «We are» à la maestria formelle étourdissante. Tantôt foncièrement rock, d’autres fois outrageusement prog’, voire même en quelques fulgurance légèrement métallique, la formation australienne assure sans ciller, en témoigne

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FAUSTEN Fausten (Ad Noiseam)

aux basses foudroyantes, le tout accompagné d’un habillage auditif sacrément bien troussé. Ce sont d’ailleurs les tempi percussifs qui jouent le rôle de chef d’orchestre durant tout l’album. Fausten s’est donné à cœur joie dans une production incisive tout en gardant une profondeur inhérente au style et une corpulence dont les auteurs, de par leurs passés, en connaissent assurément tous les secrets.

Le W-Fenec vient de vous dénicher un album pas commun du tout, le genre de disque à foutre à fond les ballons pour faire peur à votre copine ou à votre chère bellemère, juste pour le fun. Ca s’appelle Fausten, première œuvre d’un duo signé chez Ad Noiseam, pas très étonnant quand on connaît le rôle ô combien important que joue le label berlinois dans la diffusion de productions électroniques singulières. Voilà pour le trailer du projet et si nous invitons fermement les plus curieux d’entre vous à vous jeter sur ce disque, c’est parce que Fausten ne badine pas avec les sensations de mal-être quand il balance sa touche personnelle de noise industrielle. Quand le mal s’invite sur disque, les choses ne sont pas faites à moitié. Ca fait véritablement mal !

Le disque intègre trois remixes de deux titres laissés aux mains de l’excellent Oyaarss, de Dadub et d’Ontal, des relectures qui ne dénaturent pas, fort heureusement, l’essence de l’œuvre même si chacun apporte sa patte à l’instar de la touche techno d’Ontal sur «Evisceration», l’un des meilleurs morceaux du disque, ceci dit en passant. Pour satisfaire ceux qui affectionnent le jeu des comparaisons, même si l’exercice est dangereux, Fausten peut évoquer le travail de Scorn, l’univers de Lustmord ou bien celui de Justin Broadrick (Final, Godflesh, Jesu, J2, The Blood of Heroes, JKFlesh...). Voilà, maintenant vous savez à quoi vous en tenir. Bon voyage ! Ted

Fausten a été réalisé par deux orfèvres de l’électronique (Monster X et Stormfield pour les connaisseurs) et il faut bien cela pour illustrer crédiblement cette atmosphère froide et oppressante où chaque titre pourrait être la bande son d’une scène cinématographique évoquant la géhenne. L’humain n’a pas sa place ici et la misanthropie caractérisant cette oeuvre intelligente se retrouve inévitablement à travers des résonances industrielles composées d’échantillons sonores finement étudiés, que cela soit dans la constitution des rythmes subtils

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PELICAN

Forever becoming (Southern Lord) découvrir la suite qui dévoile plus clairement ses intentions avec un «Deny the absolute» de très honorable facture. Ce, même si les américains semblent reproduire un peu mécaniquement des formats, structures et motifs instrumentaux déjà vus et revus chez eux. Toujours efficaces cela dit, mais peut-être un peu léger au vu de qui on a affaire.

Sixième album studio pour le quartet de l’Illinois, le troisième depuis qu’il a rejoint les rangs du label Southern Lord (les trois précédents étaient sortis chez Hydrahead), mais le premier depuis le départ de l’un de ses membres fondateurs, Laurent Schroeder-Lebec, remplacé par un certain Dallas Thomas (du groupe The Swan King), même ci-dernier n’a pas pris part à l’écriture du présentement décrypté Forever becoming. Un opus qui était fatalement attendu au tournant, le départ de son guitariste/co-compositeur en chef et donc membre historique, n’étant aucunement anecdotique pour le pilier de la scène post-metal des quinze dernières années. Et cela va se vérifier. Plusieurs solutions s’offraient alors logiquement au groupe : assumer ce départ opérant un virage à 180°, faire comme si de rien n’était et se prendre probablement un rocher en pleine face, mélanger les deux hypothèses, n’en faire plus qu’une et pousser sa monstrueuse puissance de feu naturelle à son paroxysme, en priant pour que l’ensemble de la structure tienne le coup en terme d’écriture. Ce que le «Terminal» d’ouverture de l’album tend à prouver. La production est extrêmement solide, le groupe, encore en rodage se contente du minimum, mais rien que ça chez Pelican suffit à donner envie de

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Mais le groupe est encore loin de devoir être enterré alors il retourne au charbon, délivre des titres à la dynamique solide et au riffing évidemment imparable («The tundra», «Immutable dusk»), à défaut d’une créativité sans borne. Un peu condamné au minimum syndical, se reposant essentiellement sur une maîtrise formelle irréprochable (les chicagoans restant d’excellents techniciens), Pelican semble chercher un second souffle créatif et en attendant fait tourner sa mécanique instrumentale (certes d’une rare efficacité) légèrement dans le vide à défaut de pouvoir, pour le moment tout du moins, proposer mieux. Le temps de la cohésion de groupe n’était pas encore arrivé (ou plus là, selon de quel point de vue on se pose et le timing de compositions des titres), force est de constater que la formation américaine est un peu rentrée dans le rang («Threnody», «The cliff»). Et si son mélange de postcore-rock/ sludge surpuissant et de métal atmosphérique fonctionne toujours plutôt bien (en témoignent notamment l’intense «Vestiges»), on reste assez éloigné de la qualité entrevue sur l’EP Ataraxia/Taraxis paru en 2012. Si le constat est assez rude, c’est parce que l’on parle quand même d’un groupe artistiquement un peu en panne sèche, parce que clairement convalescent créativement parlant, un quatuor qui boucle son album sur un «Perpetual dawn» dans la lignée des précédents titres, ni plus ni moins, scellant de fait le sort d’un disque sonnant comme un petit cru pour Pelican, qui restera évidemment à suivre de près dans les années à venir. Parce que nous ne nous leurrons pas : les vrais grands groupes ne meurent jamais. Aurelio


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JOE4

Njegov Sin (Whosbrain Records) D’autant que le groupe sait ménager l’auditeur avec un songwriting qui décline merveilleusement le mot boucherie en musique. Et sans faiblir un seul instant, la fin de l’album recèle d’ailleurs un des sommets avec «Almost a boy», un titre qui commence tout doucement pour ensuite conjuguer tout ce qu’on aime chez Joe4 : des vocalises arrachées, de la testostérone par palettes et un propos toujours galvanisant au possible. On n’en finit pas de leur lécher les bottes mais encore une excellente sortie pour Whosbrain records, un label dont on ne parlera jamais assez au vu de la profusion des sorties de qualité dont ils font preuve depuis quelques mois. Mention excellent. David Les Croates de Joe4 passent au format album après un EP sur-convaincant intitulé Enola gay sorti sur Whosbrain records (Adolina, Io Monade Stanca, The Glad Husbands, Filiamotsa...) en 2011. Et pour se faire, le groupe a fait venir Steve Albini (Nirvana, Neurosis, The Breeders...) en Italie, même s’il semble qu’ils sont plutôt déçus de l’expérience avec le gourou du son indé. (cf. Le message sur leur bandcamp : «Steve Albini played Scrabble on Facebook almost the entire time we were recording. We don’t know if he remembers what our album sounds like»). Par contre, de notre coté, pas de déception à l’horizon tant dès les premières écoutes, la musique de bonhomme de Joe4 te saute à la gorge pour ne plus te lâcher, à l’image de la pochette qui affiche déjà les intentions carnassières. Rien de rutilant ici, juste des compositions d’obédience noise qui lorgnent toujours autant du coté d’Unsane et Big’N pour un résultat puissant qui captive immédiatement. Même si le tout peut paraître assez rustre durant les premières prises de contact, on est bien vite capable de discerner le boulot de bûcheron qui se cache derrière ces 10 titres compactes as fuck et la foultitude de nerfs qui pullulent dans un tout décharnée mais pas dénué d’âme, loin s’en faut.

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TIDES FROM NEBULA Eternal movement (Long Branch Records/SPV)

rythmique toujours soutenue, qui caractérise en partie l’album et lui donne aussi toute sa saveur. Mais pas que. Car même si on pourra reprocher aux Polonais de célébrer la mélodie sucrée jusqu’à l’extrême avec ce nouvel opus (en témoigne notamment «Satori»), force est de reconnaître que le résultat est d’une jolie habileté.

Petit règlement de compte entre gens de bonne compagnie : si les chargés de promo francophones faisaient correctement leur boulot, on n’aurait pas attendu quatre ans et demi avant de reparler de Tides from Nebula après que les Polonais aient sorti le très recommandable Aura en 2009. Et pour cause, ils ont également livré un certain Earthshine deux ans plus tard sauf qu’un génie de la comm° a du penser qu’un groupe de post-metal d’Europe de l’Est n’avait pas besoin de visibilité. En même temps, si ces gens-là savaient faire leur boulot, le marché irait aussi un petit peu moins mal. Voilà c’est dit : on passe à la suite. Eternal movement donc, troisième album long-format de Tides from Nebula démarre sur les chapeaux de roue avec un «Laughter of Gods» tout feu tout flamme qui met quelques minutes avant de rentrer «dans le rang», pour sillonner des territoires post-rock instrumentaux avec une élégance mélodique joliment stylisée. Ce même si certaines ficelles sont dès le départ un peu grosses et le résultat, parfois un tantinet pompeux dès lors que le groupe s’engage dans des crescendo escarpés. Cela étant, TFN parvient toutefois à imposer sa griffe sur un «Only with presence» lumineux en délivrant un cocktail (super)sonique à la dynamique enfiévrée. Une

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Que ce soit sur «Emptiness of yours and mine» ou «Hollow lights», les Tides from Nebula oublient volontairement de déroger aux codes d’un post-rock empreint de classicisme extrême, à tel point qu’il en dilue quelque peu la personnalité du groupe. Même si encore une fois, la forme est toujours aussi ravissante et les quelques climax mélodiques qui parsèment l’album, d’une belle intensité. Mais dans ce registre-là, il y a actuellement beaucoup trop de talent de part et d’autre de l’Atlantique pour que les Européens marquent durablement les esprits avec Eternal movement («Now run», «Let it out, let it flow, let it fly»). Quand bien même le «Up from Eden» refermant cet Eternal movement se révèle être une bien jolie conclusion empreinte de poésie atmosphérique furtivement psychée. Aurelio


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CIELO DRIVE Deafening silence (Autoproduction)

Les multiples influences des membres du groupe s’expriment par petites touches et forment au final la griffe d’un combo qui ne s’enferme pas dans un genre (ou un sous-genre) alors que l’époque est plutôt propice au remplissage de cases bien particulières et à la spécialisation dans un registre donné. Ici, c’est le bon riff, la petite mélodie, le son qu’il faut quand il faut qui priment sur le reste, les morceaux sont donc tous assez bons indépendamment les uns des autres et forment un tout agréable avec pour chacun des moments qui le sont plus que d’autres (pour moi, le gras de «Fade in» ou les attaques de «Rather be alive» sont de très bons passages même si pour ce dernier titre, le chant est parfois en dessous du niveau moyen).

Découverts il y a un peu plus de deux ans avec un excellent EP (Road to ruin), les Cielo Drive nous reviennent dans les feuilles avec l’oxymore Deafening silence (que l’on peut traduire en «silence assourdissant»), soit 10 titres rock qui naviguent entre grunge, heavy et stoner. Dix plages qui n’ont rien de silencieuses (ce serait très con et ça a certainement déjà été fait par un créateur d’art con-temporain) mais rien non plus d’assourdissantes (à moins de vraiment pousser le volume) car elles se laissent écouter avec facilité, plaisir et donc délectation.

Si dans une soirée, tu es amené à chercher un enchaînement entre Mogwai et Alice in Chains, tu peux passer quelques titres de Cielo Drive, le quatuor réalisant le grand écart sans rien se froisser ni rien nous égratigner. C’était osé dans l’idée, c’est réussi sur le CD, quoi demander d’autre ? Oli

Même «Love, hate, love», seul morceau sur lequel j’émettais quelques réserves à l’écoute du maxi, passe bien, son tempo adouci offre un break au milieu de titres plus enjoués, et avec d’autres passages tempérés («Point doom» ou «Mustachez» et son ambiance postrock introductive), donne un caractère vraiment «rock» à l’album, l’adjectif «fourre-tout» prenant le pas sur les autres qu’on lui colle régulièrement sur le dos. Dans le ton, cette couleur et ce style de chant me remet en tête les riffs et les mélodies de Mad Pop’X, un combo du siècle dernier que je ne saurais que trop conseiller aux plus jeunes qui apprécient Cielo Drive, car «Mad dog» pourrait sans mal s’incruster sur un de leurs deux opus.

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SANKT OTTEN Messias maschine (Denovali Records)

(Miles Brown, invité sur ce morceau est une référence en la matière) donne un souffle inattendu à l’ensemble quand derrière, «Im Himmel angekommen» lumineux et stratosphérique emporte l’auditeur dans les méandres des sphères krautrock 70’s/80’s si chères aux Sankt Otten. Le duo s’invite à la table de mixage des plus éminents pionniers de la musique progressive allemande et en dépoussière les codes les plus aiguisés afin de les conjuguer avec leur production plus contemporaine («Da kann selbst Gott nur staunen»). Une greffe qui prend instantanément alors que les auteurs de Messias maschine mêlent à loisir les beats lancinants («Das grosse Weinen ist vorbei») aux ambiances lunaires et obsédantes dépeignant ainsi des panoramas à la profondeur de champ et à l’onirisme particulièrement cinégénique («Das Geräusch des Wartens», «Wenn ein Masterplan keiner ist»). A ce niveau-là, ce n’est plus de la régularité typiquement teutonne mais du stakhanovisme chez les Allemands de Sankt Otten, ce prolifique duo ambient/krautrock électrocinématique amoureux des atmosphères rétro (futuristes ?) et qui vient donc d’enfanter de son cinquième enregistrement en cinq ans. Mais comme s’il avait ressenti un léger besoin de renouvellement, le groupe a invité toute une constellation de musiciens reconnus afin de donner de nouvelles colorations à sa musique. On retrouve ainsi sur Messias maschine : Jaki Liebezeit (Can), Majeure (avec qui Sankt Otten avait sorti un split quelques années plus tôt), Coley Dennis (Maserati), Christoph Clöser (Bohren & der Club of Gore) et Miles Brown (The Night Terrors), pour un résultat qui s’inscrit dans le plus évident lignage de ce qu’avait pu proposer le duo sur ces œuvres passées avec, cette fois-ci, quelque chose en plus. Un magnétisme particulièrement rémanent qui vient envelopper l’inaugural «Du hast mich süchtig gemacht», une dynamique synthétique rythmant «Die messias maschine» ou encore des textures 80’s particulièrement old-school (logique donc) dans lesquelles vient s’abandonner l’auditeur à l’écoute d’un «Mach bitte, dass es leiser wird» hypnotique. L’emploi du thérémine

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Sans doute l’œuvre la plus aboutie des ingénieurs Allemands de Sankt Otten, ce nouvel album est une petite merveille d’architecture sonore à la temporalité incertaine et aux vibrations sensorielles à la fois troublantes et mécaniques («Nach Dir die Sinnesflut», «Endlich ein schlechter Mensch»). Aurelio


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IO MONADE STANCA Three angles (A Tant Rever Du Roi)

encore, l’auditeur dans cet effort d’écoutes car tu l’as compris, il s’agit là d’un disque exigeant et ambitieux. Reste qu’avec quelques semaines dans les bottes, Three angles devient un album passionnant à suivre, le talent de ces mecs-là est parfaitement évident lorsqu’il s’agit de composer des morceaux cyclothymiques en diable avec un sens de la nuance et des couleurs parfaitement infaillible. Au final, même si on a beaucoup apprécié ce disque, la plus belle incarnation de Io Monade Stanca, ça reste le live où le groupe s’avère particulièrement captivant. Et en plus, ils sont drôles mais avec de pareil nom de morceaux («Ma grand-mère est méchante»), tu devais t’en douter un peu. David Après une sortie via Africantape (Marvin, Ventura, Electric Electric, Powerdove...) pour The impossible story of Bubu, c’est une pelleté de labels qui unissent leurs moyens pour sortir Three angles de Io Monade Stanca, parmi lesquels les omniprésents A tant rêver du roi (Vélooo, Semi Playback, Mr.Protector...) et Whosbrain records (Joe4, The Glad Husbands, Adolina...). Mais finalement, la problématique avec Io Monade Stanca reste toujours la même, il faut s’accrocher durant les premières écoutes pour que les suivantes soient savoureuses. Les moments catchy aident l’auditeur à persévérer et le sentiment d’overdose d’idées qui est assez présent se dissipe peu à peu. L’hyper-singularité de Io Monade Stanca réside toujours autant dans cette musique foncièrement hybride alliant noise, math-rock, jazz-rock mais aussi dans ce chant qui invoque cris, onomatopées et autres bizarreries vocales. D’ailleurs, ce chant fait irruption dès le premier titre, «Birichino sarai tu», sur l’un des morceaux les plus pesants de l’album. La suite se place bien évidemment sous le signe de la surprise perpétuelle, des plans chiadés et difficile dans la compréhension se succèdent à des passages nettement plus accrocheurs. Les titres sont globalement plus courts que sur The impossible story of Bubu, aidant là

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MUTATION Error 500 (Ipecac)

à 2000 à l’heure et on en met partout avec une maîtrise formelle des plus ébouriffantes. Riffing en cascades, accélérations grind démentes, breaks salvateurs («Protein»), quelques plans expérimentaux teintés de petites touches électroniques qui fracassent sévèrement les enceintes (l’éponyme «Mutations»), on en prend littéralement plein les écoutilles et le groupe fait preuve d’une virtuosité à toute épreuve. Et en même temps, avec un tel line-up, on ne pouvait guère s’attendre à un truc ficelé à moitié.

Pour trouver un point commun entre Shane Embury de Napalm Death, Ginger Wildheart (The Wildhearts mais aussi et surtout à l’origine du projet ci-présent), l’énigmatique Merzbow, un mec issu de Cardiacs ou encore Mark E. Smith (The Fall), jusqu’à il n’y a pas si longtemps, il fallait se lever tôt. Mais ça c’était avant. Parce que depuis, une idée aussi barge qu’improbable a vu naître ce projet Mutation mais également pas moins de deux albums : The frankenstein effect et Error 500 en autoproduction (merci la mode du crowdfunding), ce dernier ayant droit à une distribution plus traditionnelle par l’intermédiaire de l’inévitable Ipecac Recordings qui, co-piloté par l’inénarrable Mike Patton, n’est jamais bien loin dès qu’il s’agit de sortir un OVNI sonore de derrière les fagots (remember certains disques de Mike Patton, Bohren & Der Club of Gore ou encore Zach Hill en solo et Zu). Et le pire, c’est que c’est drôlement bon. Insaisissable, fou, bordélique, mais bluffant. Un disque de pure brutalité grind enveloppée d’une certaine majesté mélodique pop expérimentale («Bracken», «Utopia syndrome») qui déboise brutalement les tympans après quelques secondes de mise en route déjà musclée. On cause hard bien violent, dur sur l’homme, joyeusement bordélique et furieusement rock’n’roll (l’énorme «White leg»), on joue

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Toujours est-il qu’Error 500 n’est jamais avare en plans complètement barrés, techniquement du genre monstrueux même si par moments, Mutation en fait peut-être un peu trop dans le registre démonstratif («Computer, this is not what I»), avant de se reprendre «Sun of white leg» insaisissable pour lequel le groupe part dans des délires psychédéliques hard pour le moins jouissifs. Par contre, il faut quand même un peu s’accrocher aux wagons et aimer le (très) gros son qui met compteurs dans le rouge («Innocentes in morte»). Même quand les membres de Mutation gratifient leur auditoire d’un titre aussi furieusement déglingué que ce «Relentless confliction» qui clashe les enceintes dans un numéro de voltige supersonique ou un «Benzo fury» terminal à tous points de vue. Epilogue idéal d’un disque aussi joyeusement jouissif que sauvagement schizophrénique, réservé aux initiés et aux amateurs de ce que l’on ne voit certainement pas tous les jours en ces temps (difficiles) de formatage créatif systématique. Fascinant. Aurelio


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MUTATION

The Frankenstein Effect (Autoproduction) heavy « Friday night drugs », mélangeant avec brio des rythmes lourds, des séquences à la limite du black métal et où des voix enfantines viennent annoncer un refrain des plus rock ‘n’ roll bourré de mélodies burnées et affirmées.

Premier (ou second ?) volet de Mutation (projet mené d’une main de maître par le fantasque et prolifique Ginger Wildheart) et ne bénéficiant pour le moment d’aucune distribution ou de contrat avec un quelconque label, The Frankenstein effect (entièrement financé tout comme son alter ego grâce à une campagne de souscription) est le disque le plus « accessible » du package. Et il aurait été dommage que ton magazine préféré n’évoque pas un disque que tu n’auras jamais l’occasion d’enfiler « physiquement » dans ta chaine hi-fi, faute de production pour les non souscripteurs au projet. Ainsi va la vie. J’évoquais ci-dessus un disque plus accessible. Les amateurs du guitariste/chanteur rouquin savent que le bonhomme est influencé par toutes les musiques, mais son créneau reste toutefois le rock (burné ou acidulé) teinté de mélodies et de refrains imparables. Les amateurs des tubes punk pop rock’n’roll du leader des Wildhearts risquent d’être quelque peu troublés à la première écoute de ce disque. Je considère en effet The Frankenstein effect comme la face sombre de Ginger (principal compositeur des dix titres de l’album), le côté métallique et inquiétant du génie anglais s’exprimant à plein gaz mais où quelques lueurs de mélodies viennent éclaircir le tableau. L’exemple le plus marquant est le

Comme à son habitude, Ginger malaxe tout un tas d’influences pour créer des morceaux où des styles divers et variés s’entremêlent pour créer une mixture improbable mais succulente. Les passages malsains et entêtants laissent place à des refrains plus accessibles (« Rats », « Carrion blue ») bien que parfois, c’est le contraire dont il s’agit ! (« Wham city »). Comme son titre pouvait le laisser suggérer, The Frankenstein effect est la bande son idéale de films d’horreur inquiétants et hémoglobinement parlant assez chargés. L’inquiétant « Gruntwhore » et son métal core torturé n’a rien à envier à un « Lively boy » complètement destructuré mais toujours étonnamment cohérent. Avec The Frankenstein effect, Ginger et sa bande d’odieux lurons fouttent un sacré pied dans la fourmilière du codifié métal, en y associant des touches punk et en faisant cohabiter avec brio les rythmes les plus extrêmes avec des mélodies presque imparables, sur fond de sonorités lugubres, dérangeantes et entrainantes. Un album quelque peu contradictoire à tel point que « On poking dogs », un des titres du disque qui s’annonçait comme l’un des plus extrêmes, se révèle être le plus proche des riffs wildheartiens une fois la deuxième partie du morceau amorcée. Vous l’aurez compris, les fans des Wildhearts ou de Hey! Hello! pourront être déconcertés à l’écoute de ce disque « coup de poing », mais reconnaîtront sans difficulté l’ouverture d’esprit et le perfectionnisme de Sieur Ginger. Un disque à ne pas mettre entre toutes les oreilles, mais un album sacrément addictif. Gui de Champi

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HARM’S WAY Blinded (Deathwish Inc.)

(très) remarquée au sein du roster du label.

5 balles dans le chargeur pour 5 titres en acier trempé qui accrochent leur cible en quelques instants avant d’envoyer dans les enceintes une jolie dérouillée sonore, voici ce qui compose le tracklisting de Blinded, l’EP de la dernière découverte en date made in Deathwish Inc. (Converge, Birds in Row, Deafheaven, Loma Prieta, etc..) répondant au doux patronyme de Harm’s Way. Soit pour développer un peu, un cocktail hardcore (punk) métallisé et sauvage du genre bien hargneux, surpuissant et sonnant comme un monstre du genre qui en met plein partout dans les enceintes. En témoigne ce «Frontal lobe» qui après une petite introduction aux ambiances déjà lourdes de sens comme en oppression sensorielle, envoie son riffing mastodonte soigneusement défragmenter les enceintes. La grosse puissance de feu des Américains faisant le reste, ce premier titre se (dé)charge de dépoussiérer la mécanique et le fait avec une efficacité des plus redoutables. Et comme le second acte de cet EP n’est pas en reste, distribuant méthodiquement les uppercuts sonore dans un déluge de poings ensanglantés et de mitraille, en sus d’un groove punk titanesque et d’une petite touche de rock’n’roll qui fait bien, on ne peut que concéder l’évidence : à savoir que Harm’s Way fait une entrée plutôt

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Surtout, ce n’est pas fini car il reste encore 4 torpilles sonores à expédier dans la face de l’auditeur et que le groupe n’est pas du genre à se gêner dès lors qu’il s’agit de fracasser quelques vertèbres tout en faisant brutalement parler la poudre. Production musculeuse, trio guitare/basse/batterie très dur sur l’homme et gangvocals assassins, c’est après un «Blinded» exclusivement instrumental que «Blind stare» déboule avec l’envie de tout démolir sur son passage. Et envoie donc la sauce repeindre les 4 coins du studio à coups de riffs brontosaures, de férocité contagieuse et de hargne aussi subversive que fracassante. Question douceur, on repassera, ici on cause hardcore punk de rue, musique de guérilleros et ce n’est certainement pas le «Live to loathe» terminal qui viendra contredire les faits ou infirmer le verdict final. Un dernier titre qui castagne dans les règles de l’art et on termine Blinded comme on l’avait commencé. Par une fulgurante démonstration de force. Aurelio


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THE ENTERPRISE Nebula maximus (Autoproduction)

et commence comme chez leurs copains de Monarch! : de petites secousses drone, puis le propos s’épaissit et devient mécanique, un riff tourne en boucle, la lourdeur de la musique et les cris font le reste. Une fin somme toute classique pour le genre mais ça fonctionne toujours. De bien chouettes retrouvailles entre The Enteprise et mes petites oreilles. David

Les The Enteprise reviennent avec un EP après un album qui avait fait son effet avec sa musique bâtarde entre rock’n’roll, sludge, noise et crust. Un peu comme si Akimbo avait fait un split avec Zeke pour un résultat qui te filer ces crampes aux cervicales de manière assez immédiate. Le groupe a beau avoir opté pour une pochette claire, la musique du groupe ne s’est pas pour autant édulcorée. Nebula maximus, le nouvel Ep, ne fait pas dans la dentelle et démarre pied au plancher avec un morceau up-tempo qui marque d’emblée les esprits, le titre «Gigantosaurus hex» annonce d’ailleurs la couleur comme il se doit : ce sera la boucherie... ou la boucherie. Le riff est classique mais efficace, la voix en retrait est parfaitement adéquate, le son est parfaitement crade pour ce type de déflagration sonore. Le deuxième titre, «WRMSS» montre une facette sensiblement différente même si là aussi, le morceau démarre tambour battant pour ensuite flirter avec le mid-tempo : on voit pointer des relents heavy à la Baroness sans que cela ne soit désagréable, au contraire, ça éclaircit un peu la dynamique qui sent constamment le baril de dynamite. Le dernier morceau, «Nebula maximus», dure 6 minutes

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DISAPPEARS Era (Kranky)

de style (lequel s’est radicalisé depuis Pre langage) et de songwriting résolument anxiogène («Era»), qui, entre indie-rock incandescent, post-punk habité par un psychédélisme grinçant et shoegaze/krautrock ascétique, met les enceintes dans le rouge.

Après avoir enchaîné les sorties depuis son premier album à raison d’un disque par an, soit Lux en 2010, Guider l’exercice suivant, Pre language courant 2012 puis le présent Era, tous parus chez Kranky (A Winged Victory For the Sullen, Deerhunter, Tim Hecker, etc.), Disappears ne semble pas prêt à ralentir le rythme en termes de productivité, d’autant que dans l’intervalle, les Américains ont également livré un opus live ainsi que deux EPs. Rapide et plutôt très productif, le groupe qui a enregistré le départ de l’ex-Sonic Youth Steve Shelley, ne perd pas non plus de temps dès lors qu’il s’agit de prendre d’assaut la platine avec l’inaugural «Girl». Une entrée en matière toute en virulence corrosive qui défragmente les formats indie pop classiques pour imposer un cocktail rock/post/punk glaçant et clinique : soit une musique aux effluves bruitistes noyées sous un amas de décibels, n’hésitant pas à invoquer l’héritage de Joy Division pour brutalement le passer à la moulinette d’A Place to Bury Strangers. On a vu pire comme entrée en matière. Surtout que les Disappears poursuivent leur entreprise de démolition très indie en distillant leur groove, âpre et survendu («Power») avant de poser sur la platine un «Ultra» robotique et habité, lesté de magnétisme tranchant. Une véritable démonstration

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Mais plus qu’une simple conjugaison de styles, ce nouvel album de Disappears répond au besoin de ses auteurs de repousser leurs propres limites en termes d’écriture, de voir un peu jusqu’où leurs velléités expérimentales peuvent les mener d’un point de vue créatif. Parfois relativement accessible (l’excellent «Weird house») comme d’autre fois beaucoup moins («New house» et son atmosphère à la limite de la sphère goth), le groupe maîtrise son sujet à la perfection. La frappe est brutale, l’aspect extrêmement percussif essentiel, le riffing aussi versatile que furieusement racé, jouant de l’effet de répétition pour accroître son impact, véritablement aliénant («Elite typical»). Sans jamais desserrer leur étreinte, les Américains font pleuvoir sur la platine une averse de décibels aussi tranchants que vénéneux et parachèvent ainsi avec classe cet album à l’exigence froide et salvatrice. Aurelio


INTERVIEW

INTERVIEW > DISAPPEARS Quelle joie indescriptible pour un chroniqueur-intervieweur que de recevoir des réponses intéressantes à ses questions. Qui plus est lorsque l’interviewé fait preuve d’une réactivité incroyable lorsqu’on est un peu charette. C’est le cas de Brian Case, membre fondateur des géniaux Disappears qui a bien voulu parler de son actu, avec la sortie d’Era, nouvel album des Chicagoans. Mais pas que...

siting», dure 15 minutes et c’était devenu le principal sujet de discussion à propos de cet album. Donc, nous étions tous convaincus que Kone devait avoir sa propre existence, tout comme Era. Toutes ces chansons ont été conçues et écrites de manière rapprochée. Pour nous, elles donnaient chacune des informations sur les autres chansons et ensemble, elles formaient une plus grande image. Elles ont été composées en plusieurs étapes et du coup, elles semblaient se compléter mutuellement.

En plus de vos 2 ou 3 singles et EP, vous avez sorti un nouveau disque cette année, Era. Vous n’aviez pas dans l’idée d’inclure tous ces disques dans un seul et même LP ? Nous essayons de sortir nos morceaux sous forme de groupes cohérents et qui fonctionnent bien ensemble. Pour Kone, nous avions vraiment le sentiment que l’EP devait exister par lui-même. S’il avait fait partie d’un disque, il aurait fait de l’ombre au reste de l’album du fait de sa longueur. C’est ce qui s’est passé pour notre deuxième album, Guider. La dernière chanson, «Revi-

Sur votre EP Kone, on sentait déjà ce qu’allait être Era. Hormis le format, quelle différence faites vous entre ces deux sorties ? Kone fait partie des premières choses sur lesquelles nous avons travaillé avec notre nouveau batteur, Noah. Cela nous a permis de nous mettre au travail ensemble tranquillement et de laisser les idées et les concepts centraux du groupe faire leur travail et prendre forme normalement. C’était une bonne manière de tous nous mettre au même niveau et de créer un langage musical que nous pourrions utiliser pour faire Era. En ce qui

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INTERVIEW

concerne la différence, je pense qu’Era est un peu plus sombre et net. Kone est intentionnellement flou pour désorienter l’auditeur : nous voulions qu’il soit mystérieux et qu’il laisse de la place à l’interprétation, tandis qu’avec Era, nous voulions être directs et plus percutants. Votre rythme de sortie de disques est assez impressionnant, vous ne laissez jamais vos idées murir ? Je pense que notre motivation, c’est simplement de ne pas s’arrêter de créer. Nous rejetons beaucoup d’idées et de chansons lorsque nous pensons qu’elles ne représentent pas une progression. Je pense que finalement, nous essayons vraiment de nous concentrer sur la créativité et sur l’immédiateté du fait d’être ensemble. Bien sûr, nous accordons de l’importance aux décisions musicales et nous parlons beaucoup de ce que nous voulons faire, mais nous ne nous acharnons pas sur chaque détail. Les chansons mûrissent et évoluent en live, ça rend l’expérience plus intéressante pour nous et pour ceux qui viennent aux concerts. Alors que Pre-Language était selon moi plus facile d’accès à l’écoute, je trouve au contraire que dans Era, on s’aventure beaucoup plus et l’écoute devient bien plus anxiogène par ses thèmes répétitifs. Du coup, on se dit que la musique de Disappears a vraiment changé après le départ de Steve Shelley de Sonic Youth. Pourquoi une telle évolution ? Je pense que nous étions prêts à prendre une nouvelle direction. C’est ce que nous faisons dans chacun de nos disques mais c’est beaucoup plus radical dans celui-ci. Je pense que nous en étions tous à une étape importante de notre vie pendant l’écriture et l’enregistrement comme des relations qui se terminent ou un changement familial imminent dans ma vie. En fait, nous laissons tous les éléments qui nous entourent imprégner la musique et ils nous guident, en quelque sorte, en nous montrant où prendre les choses. Je pense que c’est aussi simplement la nouvelle énergie et la nouvelle alchimie avec Noah dans le groupe : ça a vraiment changé les choses entre nous, en tant que musiciens. Pouvez vous revenir un peu sur la construction de ce disque ? Nous l’avons fait en janvier, à Chicago : c’est une période très froide et très sombre dans la ville, donc je pense que ça s’est reflété dans la musique. En plus, le studio où nous avons enregistré est une énorme pièce en béton avec une toute petite fenêtre au sommet. Ça doit faire dans les 10 m de haut. Et donc, il y a cet espace bizarre qui influence le son mais aussi notre état d’esprit.

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Nous avons également fait beaucoup de versions différentes de chacune des chansons. C’est à dire que pour certaines, nous savions à quoi elles allaient ressembler alors que pour d’autres, nous savions seulement comment commencer et où terminer mais le milieu était très expérimental, ce qui fait que l’enregistrement a été très créatif aussi, avec beaucoup d’essais et d’erreurs. Nous étions très emballés d’être là et aussi terriblement curieux de savoir ce qui allait se passer. Comment s’est passée la création des morceaux avec Noah, votre nouveau batteur ? Qui prend le plus part à la composition dans Disappears ? C’est génial, il a un vrai sens de la musique et il aime tellement de styles différents qu’il a été très facile de parler de nos idées. Il gagne sa vie en jouant de la batterie, donc il joue de la musique tout le temps et il y pense tout le temps aussi. C’est vraiment cool de jouer avec lui. Toutes les chansons naissent d’une manière différente : certaines sont improvisées en studio, d’autres commencent par des idées de voix et de guitare que je propose, d’autres encore sont construites à partir d’un bout de piste... nous essayons de garder de la place pour que toutes les idées puissent s’intégrer. Quels artistes écoutiez vous pendant les compositions d’Era ? Est-ce que cela a eu une influence sur celles-ci ? Rien de particulier, des tas de références à l’architecture de certaines chansons mais pas vraiment un catalogue complet d’artistes. Parmi les choses dont nous avons beaucoup parlé, il y a un live de P.I.L. où ils jouent «Careering», je crois que c’est pendant l’émission «The old grey whistle test». C’est vraiment puissant, ils essayent des trucs sur la forme, c’est passionné et tout en confiance, ils laissent la chanson se développer toute seule. C’est vraiment cela que nous avons pris comme exemple pour ce que nous voulions faire de cet album. De quels artistes ou groupes de Chicago te sens-tu le plus proche ? Il y en a tellement, c’est un endroit tellement fertile pour la musique, avec tellement de soutien. C’est difficile de tous les lister. Je dirais CAVE, Tortoise, Russian Circles, Pelican, Bloodiest, Pinebender, Running, Bitchin’ Bahas, White/Light, The Drum, Streetwalker, Electric Hawk, E+, Verma, Brokeback, Outside World, Zath, Implodes. Et ce ne sont que les premiers noms qui me viennent en tête. Il y a vraiment une scène géniale là-bas en ce moment, avec énormément de croisements entre les genres et des tas de collaborations. C’est énorme.


INTERVIEW

Le 23 novembre, vous jouez en France dans le cadre du festival Tour de Chauffe près de Lille, organisé par un dispositif qui encadre les jeunes musiciens amateurs. Est-ce qu’il y a ce genre d’initiatives à Chicago ? Est-ce que Disappears essaie à sa manière d’aider les jeunes musiciens en devenir ? Je ne suis pas sûr qu’il existe quelque chose de similaire à Chicago. Il existe des tas de ressources très utiles pour les gens qui s’intéressent à la musique, mais pas des «professionnels» comme «Old town school of folk music». Ils proposent des cours et des concerts pour une grande variété d’instruments et de styles différents. Mon fils y suit des cours depuis sa naissance. Il apprend le piano, la batterie, la guitare, comment bouger, il a des cours sur l’art, c’est cool. En ce qui concerne notre rôle à nous, je ne sais pas trop. Bien sûr, nous sommes partants pour aider quelqu’un qui veut s’impliquer dans la musique et nous essayons de faire des spectacles aussi variés que possible quand on joue chez nous. OK, pour finir, on va jouer à un petit jeu sympa. Je vais donner une série de questions où tu dois me donner tes réponses sans trop réfléchir : Si tu avais une machine à remonter le temps, où te situerais-tu ? Dans l’avenir, genre dans 20 ans ? Pour voir à quoi ressemble le monde, s’il existe toujours ! Si tu devais être un précurseur d’un genre musical, lequel serait-il ? Haha. Le rock répétitif ? Si tu étais un inventeur, lequel serais-tu ? CAN Si tu étais un personnage de fiction ? David Bowie : toutes ses périodes ont l’air imaginaire, non ? Si Disappears était un film ? «Metropolis». Ou «Les fils de l’homme». Si tu étais un disque de Disappears. Era. C’est indéniablement le plus personnel. Remerciements à Anne du Tour de Chauffe, à Tiff pour la traduction et bien évidemment à Brian ! Ted

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TOUCHÉ AMORÉ Is survived by (Deathwish Inc.)

anything», le très beau «Non-fiction», l’éponyme «Is survived by»).

On avait pris une fessée mémorable avec l’impérial Parting the sea between brightness and me en 2011 (à l’automne pour être précis, soit il y a très exactement 2 ans), puis une seconde claque, plus courte cette fois au détour d’un split vinyle imparable partagé avec les excellents Pianos Become the Teeth : voici le troisième acte avec Is survived by, nouvel album «long-format» (enfin long. tout est relatif) des américains, toujours par le biais du décidément mortel Deathwish Inc., et fatalement une nouvelle baffe se révélant parfaitement implacable.

Une écriture foncièrement rock, punk, parfois presque folk, empruntant les sillons d’une americana déchirée («Praise/love») qui peut se muer en une hydre posthardcore aux éruptions particulièrement acerbes (le foudroyant «DNA», le sauvage «Harbor»). On pense à quelque chose d’assez souffreteux, manquant d’ampleur, pourtant à chaque fois, le groupe vient cisailler nos certitudes pour nous faire rougeoyer l’arrière-train de la manière la plus efficace qui soit sans pour autant user d’artifices outranciers (excellentissime «Kerosene»). Une écriture intelligente («Blue angels»), incisive, racée, qui entre cavalcades punk-rock et séquençage émo-post-hardcore fait s’entrechoquer les émotions dans la cage thoracique de son auditeur. Touché Amoré pousse celui-ci dans ses retranchements sans jamais donner l’air d’avoir eu à forcer son talent («Social caterpillar», «Steps»). La classe et la confirmation du potentiel bluffant de ce groupe, à l’aisance sans limite, qui représente sans doute l’avenir du genre outre-Atlantique. Aurelio

Pas de temps à perdre, le groupe envoie d’entrée un «Just exist» typiquement punk-rock éraillé, avec toujours cette griffe artistique si particulière, mais surtout ce songwriting acéré comme une lame de rasoir dès lors que le morceau s’embarque sur les territoires d’un posthardcore sous haute tension émotionnelle. Un premier titre court et racé (moins de 2’20 au compteur) et déjà un auditeur sur les charbons ardents. Alors forcément, Touché Amoré enchaîne sans coup férir, prenant son temps et débutant les hostilités l’air de ne presque pas y toucher, presque en douceur, avant d’invariablement monter en pression et de délivrer son distillat sonore aux mélodies écorchées («To write content», «Anyone/

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ZOLA JESUS Versions (Sacred bones)

Nika Roza Danilova aka Zola Jesus est depuis 2009 et la sortie de son premier album studio (The spoils, déjà sur Sacred bones), la nouvelle sibylle de la scène indie nord-américaine, la pythie enchanteresse d’un rock prégnant et ténébreux, empreint d’une noirceur veloutée appuyée par des beats magnétiques. Elle avait alors une vingtaine d’années et, surdouée à la maturité plutôt étourdissante, tout l’avenir devant elle. La suite l’a du reste plus que confirmé. Quelques années se sont écoulées, deux albums dévoilés au monde (Stridulum II puis Conatus) avant que la prophétesse américaine d’origine russe ne dévoile ce Versions pour lequel elle s’est acoquinée avec un vétéran de la musique industrielle (en l’occurrence Fœtus) dans le cadre d’une création commandée par le Guggenheim Museum de New York. Laquelle voit donc le jour au format CD par le biais du label historique de la demoiselle et surprend dès les premiers instants par ce que Nika propose ici, en rupture avec les trois albums qu’elle avait jusque-là livré, alors profondément sombres comme régulièrement agressifs de par leurs arrangements électroniques/industriels massifs comme leurs ambiances gothiques empreintes de magnétisme clair/obscur.

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Les somptueux «Avalanche» puis «Fall black» ouvrent l’album et épousent les contours d’une musique enivrante avec laquelle la diva délaisse le côté opératique de ses précédentes œuvres pour cette fois magnifier l’épure avec une classe folle. Et l’apport plus que remarqué et remarquable de JG.Thirlwell (Fœtus) accompagné d’un quatuor à cordes ici indispensable : le Mivos Quartet donnent toute sa saveur à l’ensemble. Douceur et subtilité, transcendance pop et arrangements amples, Zola Jesus et ses acolytes bousculent la notion de «mainstream» en restant exceptionnellement accessible («Hikikomori»), conduisant l’album avec une dynamique constante («Run me out»), même si certaines ficelles un peu faciles, bien masquées par le charisme incandescent de la demoiselle («Seekir»), sont à relever. On ne lui en tiendra que brièvement rigueur tant la suite confirme tout le bien que l’on pouvait penser de son talent presque indécent («Sea talk», «Night»). Un potentiel hors-normes autorisant a priori toutes les outrances artistiques dont elle n’abuse pas en retravaillant des compositions déjà présentes sur ses anciens albums, Zola Jesus délivre ici un recueil de morceaux dépassant de très loin la réputation arty plus que flatteuse qui la précède («In your nature», «Collapse»). Pour proposer une œuvre aussi précieuse qu’évanescente portée par une voix et une écriture rare... Aurelio


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G.A.S. DRUMMERS We got the light (Kicking Records)

pressionné par la qualité globale de ce disque, encore plus abouti que son prédécesseur. G.A.S. Drummers est aussi à l’aise quand il emprunte des registres légers que lorsqu’il balance des brûlots massifs et graves. A tel point que je trouve le groupe plus efficace dans un registre power pop nuancé et syncopé que dans un registre purement punk rock envoyé à fond les ballons («Idle rules», «Fallen angels»). 35 minutes pour une douzaine de hits : le quatuor d’Andalousie va à l’essentiel, la formule magique «couplet/refrain» fait sensation à tous les coups, discipline rock’n’rollesque ancestrale respectée et assumée.

We got the light. Voilà un titre d’album qui sonne bien. Sans être prétentieux, je pense que les G.A.S. Drummers peuvent même se targuer d’avoir trouvé la lumière, et ils en font profiter tout le monde les bougres. Oui, le quatuor ibérique a trouvé le bon chemin du power punk rock qui va bien, gavé de mélodies imparables, de guitares rock’n’roll et de rythmes d’enfer. Et pour tout vous dire, ça ne date pas d’hier ! En effet, G.A.S. Drummers n’en est pas à son coup d’essai, et pour ce nouvel album estampillé pour la deuxième fois Kicking Records (et ouais !!!), les gars n’ont pas fait les choses à l’envers. Au bout d’une écoute des douze titres composant ce We got the light, j’ai été intoxiqué ! Il faut dire que quand un groupe compile la puissance, la mélodie, l’intelligence des compositions et maîtrise le tout d’une main de maître, je ne peux qu’être emballé. Emballé par les titres qui font frissonner (le morceau éponyme, à la Hot Water Music, est une pièce majeure de ce disque, «Control» est pas mal dans son genre (avec ses mélodies faisant immédiatement penser à Ted Leo and the Pharmacists). Emballé par les refrains power pop légers et rugueux à la fois qui font mouche à tous les coups (j’aurais aimé écrire des refrains comme ceux de «Red carpet», «No return» ou «Blind»). Et im-

La richesse des compositions (mention spéciale aux guitares endiablées et aux chorus imparables) est décuplée par de jolis exercices vocaux qui apportent une plus-value indéniable à l’ensemble. Sans oublier une production impeccable favorisant incontestablement le groupe. Sans hésiter, je persiste et signe : G.A.S. Drummers frappe un grand coup avec ce disque presque parfait. Car j’ai du mal à trouver des défauts à cet album qui risque de squatter un bon moment ma platine. On savait l’Espagne au top dans certaines disciplines sportives. Il va falloir vous dire ce pays dispose depuis bien longtemps d’un poids lourd du rock. Ces gars ont du talent, et il n’est jamais trop tard pour le (re)découvrir, tout en espérant que cette chronique vous apporte la lumière sur ce quatuor magique et vous donnera l’envie de vous prendre une bonne rafale de rock dans les gencives. Gui de Champi

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CORRECTIONS HOUSE Last city zero (Neurot Recordings)

A collaboration de rêve, résultat à l’avenant. Corrections House c’est donc ce fameux projet post-metal/doom/ sludge de luxe réunissant 4 pointures (pour rappel Bruce Lamont de Yakuza + Mike IX Williams - EyeHateGod, Outlaw Order - + Sanford Parker, producteur de Minsk, YOB ou Pelican et Scott Kelly (Neurosis, Blood and Time, Tribes of Neurot...)) de la scène hard des vingt-cinq dernières années au sein d’une même entité musicale. Sans pouvoir attendre plus longtemps, c’est non sans une réelle frénésie naissante que l’on pose fiévreusement l’album dans le mange-disques alors même que les premières note de ce Last city zero brisent le silence ambiant. Et que le texte de l’inaugural mais déjà complètement habité «Serve or survive», égrène ses psaumes tel un mantra, avant de monter doucement, inexorablement en pression. Il ne s’est encore écoulé que 3 minutes et des poussières - sur les 8’14 que compte ce premier titre - et pourtant le groupe exhale déjà quelque chose de fort. Une densité émotionnelle qui s’agrippe à nos tripes, une puissance évocatrice renvoyant son onirisme noir en utilisant son auditeur comme reflet. Une violence encore contenue qui n’attend que de faire voler le miroir en éclat, un climax que l’on sent venir mais qui se fait décidément languissant, avant de finalement surgir au

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moment où on ne l’attendait presque plus. Et faire office de rouleau compresseur métaphorique. Car si Corrections House a évidemment la capacité d’être bien plus qu’un monolithe sonore, une citadelle imprenable, le groupe n’use pas de ses capacités formelles à outrance et préfère créer quelque chose qui sorte un peu de l’ordinaire (l’éponyme «Last city zero» et son spoken word envoûtant). A sa manière. On pourra dire qu’il y a quelque chose d’étriqué, de (volontairement) retenu par moments dans ce Last city zero, mais c’est sans doute ce qui fait tout son intérêt, ses multiples sens de lecture/écoute, comme son côté totalement imprévisible. Un «Bullets and graves» surtendu et speedé fait ainsi valoir son rythme presque punk comme sa concision hardcore/noise/doom aussi aride que salvatrice, avant que «Party leg and three fingers» n’expose sa lenteur doom, sa lourdeur sludge pour mieux affirmer son propos. Et enfermer l’auditeur dans une prison mentale, un univers post-apocalyptique et déshumanisé qui n’invite pas vraiment à l’exaltation des sens. Noir et sans espoir, Corrections House joue avec sa proie et même quand il allège un peu sa musique, empruntant des sillons folk/americana ombrageux et inhospitaliers, le résultat se révèle toujours aussi désenchanté et marqué par cette atmosphère pesante qu’appuie le chant, sépulcral de «Run through the night». Post-metal, doom, sludge, Last city zero en est une illustration originale et inspirée. Mais l’album est également très clairement marqué par la scène industrielle des 90’s, en témoigne le martèlement mécanique qui rythme «Dirty poor and mentally III», ou les textures très particulières du magnétique «Hallows of the stream», flirtant par instants avec les confins du doom-jazz. Quant à la dose de gras doublée d’un bon gros rocher post-hardcore qui nous parvient en travers du visage, elle trouve son expression la plus séminale dans le «Drapes hung by Jesus» final. Un morceau qui conclut l’album de la manière la plus épique et aliénante qui soit. En collant l’auditeur aux enceintes et en abusant de son esprit jusqu’à le rendre esclave de son magnétisme obsédant. Aurelio


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OUI MAIS NON Mille lires (Tandori)

toise et Shellac mais en laissant la porte ouverte vers d’autres voies qui aboutissent toujours vers quelquechose de pertinent et classieux. Dès le premier titre, «Ethiopic», le plaisir est immédiat, on se laisse vite embarquer par la rythmique qui s’affole pour devenir percutante et par cette trompette qui confère une coloration épique d’un autre hémisphère. La suite n’est pas en reste avec par exemple «Die nacht» ou la bande-son idéal pour une ballade à 4h du matin, un titre apaisé, contemplatif, avec une mue qui emmène la musique vers une sphère plus rythmée et mordante. Verdict pour Mille lires : oui mais oui. David

Oui Mais Non est bien connu de nos services puisqu’ils tournent depuis un paquet de temps dans la métropole lilloise et font presque figure de petite institution dans la capitale nordiste. En 2012, le groupe se décide enfin à figer sa musique via un bien beau vinyle sorti sur le label Tandori Records (Maria Goretti Quartet, Louis Minus XVI, Vitas Guerulaïtis...), label du batteur de... Oui Mais Non, mais aussi d’une tripotée d’autres groupes. Histoire de bien cerner l’état d’esprit de Oui Mais Non, il est utile de préciser que l’on a là un quatuor de musiciens en perpétuelle évolution, ce que tu entendras sur ce disque n’est donc déjà partiellement plus valable. De plus, le groupe est avide de collaborations avec d’autres musiciens, souvent de passage, rendant ce sentiment de groupe qui avance et recule (comment veux-tu, comment veux-tu... oui, okay, elle est facile...) encore plus palpable. Alors finalement, le nom du groupe reflète parfaitement sa démarche que l’on peut qualifier soit d’hésitante, soit de perfectionnisme exacerbé. Je penche pour la seconde. Musicalement, il est à la fois facile et difficile (oui, moi aussi j’hésite...) de qualifier la musique des Lillois : postrock et noise, oui, probablement, quelque-part entre Tor-

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LOS DISIDENTES DEL SUCIO MOTEL Arcane (Deadlight Entertainment/Hell Prod) première œuvre qu’était à sa sortie Soundtrack from the motion pictures et on déguste l’imparable «A.T.A.R.I» d’ouverture (merci la référence geek 80’s), ses refrains taillés pour le live, ses climax solaires et sa densité instrumentale quasi idéale. Fatalement, en étant lancés de la sorte, ils ne pouvaient que continuer dans cette voie. Alors, il le font avec un «Lucky man» légèrement calibré «single» et qui laisse sa place au gros morceau qu’est le troisième titre de l’album.

Ils sont de retour, toujours hébergés par l’écurie Deadlight Entertainment mais également par le biais de leur propre «marque» : Hell Prod. Trois ans après l’excellent et sous excellente influence cinématographie (célébrant le culte de la série B sous toutes ses coutures) Soundtrack from the motion picture, la «fratrie» - aka la Maverick Family - la plus électrique de la scène stonerrock francophone remet ça avec Arcane. Cette fois, le concept est moins affirmé (ça évoque vaguement l’occultisme et les croyances surnaturelles, d’où l’artwork plus «dark» que pour son prédécesseur) et le résultat envoie du groove par palettes, quelques wagonnets de riffs caniculaires à souhait comme une énorme dose de cool qui fait du bien par où ça passe. Mais pas que. Car dans cet Arcane-là, il y a du feeling stoner diabolique, des incantations rythmiques effleurant les contours d’un doom aux volutes psychédéliques, du charisme vocal porteur de mélodies inflammables et, on l’a dit on le répète, de pleines cargaisons de riffs fuzz renvoyant à leurs chères études bon nombres de formations américaines (celles de chez Small Stone Records compris... à quelques exceptions près). On met de côté l’effet de surprise inhérent à l’excellence de la

Retour à l’atmosphère de série B horrifique pour un «Z» qui distribue les lignes de grattes assassines comme un certain joueur de foot au patronyme commençant lui aussi par un Z envoie les sacoches nettoyer les lucarnes adverses. Idée géniale : la bonne dose de gras qui appuie une mélodie terriblement vénéneuse et la laisser se développer d’elle-même au beau milieu du désert, non sans avoir au préalable absorbé quelque breuvage psychotrope dont une seul poignée de chamans locaux détient la recette secrète. Rock, stoner, psychédélique, le deuxième album des Los Disidentes Del Sucio Motel est tout cela... mais un peu plus aussi, car possédant sa propre identité artistique. A laquelle s’accroche le groupe pour balancer de petits hits en puissance (génial «Santa Muerte», le bandant «Mojo») ou pour se lâcher à provoquer les dieux du Rock majuscule dans un «Ouija» diabolique ou encore ce «Godfather» à l’indécente arrogance de patrons parfaitement assumée (comme les influences cinématographiques... une belle habitude décidément). Quand vient l’heure de passer au dernier acte, les Maverick Bros lâchent tout ce qu’ils ont dans le futal en accélérant le rythme sur un «Deathproof» hargneux et viril ou en le ralentissant considérablement pour libérer son «Kraken» et de conclure en un ultime road-trip («Journey») qui permet de se faire un avis définitif sur Arcane... qui n’est autre que l’album de la confirmation du plus gros talent de la scène stoner/rock hexagonale. Rien de moins. Aurelio

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HELL OF A RIDE Fast as lightning (Send the Wood Music)

Quel boulot ! C’est un énorme travail qu’a réalisé Hell of a Ride pour nous offrir cette version très luxueuse de leur EP, parce qu’il y a fort à parier que l’adaptation en acoustique de leurs titres électriques a du prendre plus de temps que leur composition ! Fast as lightning en luimême vaut déjà le détour et qu’on lui prête une oreille, mais coupler cette première pelletée de titres à leur version unplugged leur donne une toute autre dimension. Parce que oui, les Hell of a Ride envoient un stoner-rock à la ricaine bien ficelé, super tendu et grassement chevelu et rien parce que c’est très pro, ça force le respect (ou alors la suspicion pour certains parce que la jouer à l’américaine, c’est forcément mal vu en France...). Mais le «bonus» de cette édition nous fait plier les genoux, le live enregistré sans les grosses distos est d’une classe hors norme de par son exécution (la tenue du chant est impressionnante) et de par la finesse de sa réécriture. Moi qui découvre le combo avec cette sortie, j’ai regretté de ne pas avoir fait le chemin inverse, à savoir d’abord écouter les versions acoustiques pour en profiter un maximum sans y entendre une «nouvelle version» de leurs grandes soeurs saturées, alors à toi qui ne connaît pas encore la musique d’Hell of a Ride, je ne saurais que trop te conseiller l’expérience : commence par la fin ! Délecte-toi des arrangements, du son et de la qualité

d’écriture des morceaux dans leur version la plus douce avant de découvrir leur forme d’origine. Au départ, c’est pourtant la version originale qui est mise à l’honneur avec cette réédition de l’EP paru en 2011. La pochette est remasterisée mais les morceaux n’ont pas vieilli et ont conservé tout leur impact, la prod de Charles Kallaghan Massabo (Sikh, Really Addictive Sound...) étant comme d’habitude d’une grande précision. Stoner burné avec un chant clair qui donne à l’ensemble un petit air de Creed (on pense surtout au timbre de Scott Stapp mais aussi à quelques lignes harmoniques typiques comme celles de «Screaming out») et pourquoi pas d’autres poids lourds de la scène heavy-rock US comme 3 Doors Down ou Black Stone Cherry. Gros son, très belle voix, guitares incisives, rythmes percutants, les Hell of a Ride ne laissent rien au hasard et emballent le tout avec l’histoire de «John «Mad Dog» Ringsdale», un type qu’il ne fallait pas énerver et dont on suit la route et les aventures tout au long de quelques interludes et des 4 vrais gros morceaux («Where’s my damn car» étant à mi-chemin entre les deux). Une route qu’on reprend en suivant un itinéraire différent et sans grosse pétarade dans la deuxième partie de l’album qui nous offre un Unplugged in Brétigny-surOrge (ça claque juste un peu moins que New York City ou L.A Downtown...), sept titres enregistrés live au Rack’Am lors d’un concert acoustique en petit comité. C’est en mode ritournelle que ça commence avec la reprise de «Where’s my damn car» qui introduit le combo qui jouera les 4 pièces majeures de son EP (dans un ordre différent) mais également son morceau emblématique «Hell of a ride» et «Holding back the years» (un titre plus récent, sans aucun rapport avec celui de Simply Red). L’ensemble est d’une très grande qualité, les morceaux sont retravaillés avec soin, le son est lumineux, on bénéficie d’un confort d’écoute certainement meilleur que ceux qui étaient là ce soir-là ! C’est vraiment épatant, Hell of a Ride fait preuve d’un professionnalisme rare pour un groupe «jeune» et surtout, quelle classe ! Respect. Oli

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TRIVIUM

Vengeance falls (Roadrunner) contre, d’un point de vue créatif, ça ne va pas bien loin, en témoignent des titres du calibre d’un «No way to heal» ou d’un «To believe» qui recyclent à l’envie ce que le groupe sait faire de mieux...

Véritable tent-pole de la scène metalcore planétaire, Trivium est devenu au fil des années (et des albums) la tête de file du genre, un véritable blockbuster qui fait les choses en mode bigger than life avec une production de patrons, un artwork tout droit sorti d’un film de SF hollywoodien à budget colossal et une petite dizaine de titres - dans le cas présent - taillés pour faire sauter la banque et par conséquent concasser les charts (US notamment) comme pas deux. Alors fatalement, calibré, ça l’est, musclé, évidemment, mélodique, pas mal aussi et bien entendu d’une efficacité plutôt redoutable (à défaut de mieux conviendront les âmes chagrines). L’inaugural «Brave your storm», l’éponyme «Vengeance falls» puis le très mainstream «Strife» défilent sur la platine et sans grande surprise Trivium fait à la virgule près ce que l’on attendait d’un album tel que celuici... En gros du metalcore aux mélodies fédératrices et qui bénéficie d’une production aussi propre que solide. Net et sans bavure, avec en bonus quelques breaks sulfuriques histoire de bien nettoyer les enceintes après leur passage et une technique, un brin démonstrative certes, mais qui démontre que les gaziers ont un savoir-faire qui ne se réduit pas au service minimum. Par

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Un détail qui ne trompe pas, aucun morceau en dessous de 4’10 ou au-dessous de 6 minutes (ce qui est convenons-en une durée tout à fait raisonnable). Mais également la preuve que tous les titres signés de la main de Trivium se ressemblent tant du point de vue de leur forme que de leur fond. Mais à la manière d’une major du septième art, les Américains donnent à leur public ce que celui-ci leur demande. Sans déroger une seconde à leur ligne de conduite, quitte à empiler des morceaux dont aucun ne ressort jamais du lot, ni génial, ni médiocre, d’une constance à toute épreuve mais refusant la prise de risque comme s’il s’agissait d’une maladie vénérienne («At the end of this war», «Villainy thrives»). Et s’il apparaît sans la moindre aspérité, bien que très lourdement armée (merci les deux petits torpilles que sont «Through blood and dirt and bone» et «Incineration : the broken world» logées vers la fin de l’album), Vengeance falls ne cherche jamais à dépasser ses propres limites. S’il est conçu dans les moindres détails comme un produit destiné à cartonner les charts, ce nouveau Trivium n’en demeure pas moins clairement en deça de leur précédent opus In waves, malgré cette puissance de frappe toujours assez redoutable et une jolie envie d’en découdre. Ne reste plus qu’à y aller franchement niveau «songwriting» la prochaine fois. PS : l’artwork est par contre méchamment classe... Aurelio


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SAXON

Sacrifice (UDR Records)

C’est parfois rageant de passer à côté d’un bon disque. Malheureusement, ça vient de m’arriver avec la dernière production des britanniques de Saxon. Pas vraiment d’excuses à part le manque de temps ou un certain a priori d’écouter un vieux de la vieille dont le blason ne revêtirait pas sa dorure d’antan. Et il a fallu que j’assiste à la prestation impeccable du groupe lors du dernier Hellfest pour me dire que j’avais dû faire une belle connerie en laissant de côté le dernier double album en date. C’est d’autant plus rageant qu’il ne m’a pas fallu longtemps pour me rendre compte que Saxon tient encore la route. Mieux que ça, Sacrifice est un excellent album de hard rock/heavy metal, aux sonorités modernes et à l’exécution impeccable. Ce disque, dans la grande tradition heavy metal des belles et grandes années, est riche en mélodies vocales et guitaristiques, et ses brûlots font mouche à tous les coups. Le ton est donné avec « Sacrifice », boulet de canon dévastateur qui, sans qu’on ne l’attende après une plage intro bien sentie, atomise l’auditeur avec les ingrédients qui vont bien : guitares incisives, batterie à fond les ballons, voix mélodiques et parfaitement haut perchées, refrains imparables et rythmiques bétons. Que ceux qui pensent que les

vieux schnocks sont bons pour l’hospice peuvent retourner à leurs gammes car Saxon a encore des forces pour foutre le boxon. Le groupe a le chic pour écrire de bonnes chansons (l’excellent « Made in Belfast », le mélodique « Guardians of the tomb », le lourd et entrainant « Walking the steel ») et on comprend aisément pourquoi le groupe peut embarquer pour une tournée commune avec Motörhead (« Warriors of the road »). Le groupe s’amuse même à emprunter quelques artifices du boogie rock d’AC/DC (« Standing in a queue »). Alors, bien évidemment, les réfractaires au heavy metal dont Saxon et Iron Maiden sont les derniers rescapés ricaneront bien à l’écoute de morceaux stéréotypes du style comme « Stand up and fight » ou le magique « Night of the wolf », mais les amateurs du genre n’en seront que conquis, car Saxon, en plus d’être l’un des précurseurs du heavy metal made in Britain, demeure un digne et indéboulonnable représentant de ce style qu’il défend avec passion et dévouement. Le fan de Saxon, jamais rassasié de dix bombes métalliques et mélodiques, se délectera du disque bonus offrant quelques versions inédites d’anciens titres (réorchestration et interprétations acoustique). Quand à moi, je cherche à comprendre pourquoi je suis tombé amoureux de cet album dès la première écoute. Peut être que, tout simplement, cette alchimie magique des guitares électriques, de la puissance vocale et de la multitude de mélodies est l’un des derniers boucliers du rock ‘n’ roll. Avec des groupes de cette trempe, aucun risque que la musique du diable tombe en désuétude. Gui de Champi

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OATHBREAKER Eros / Anteros (Deathwish Inc.)

aux rythmiques frénétiques, doom pénétrant et hurlements sanguins. Pas un truc pour les romantiques mais plutôt quelque chose de bestial et sans concession («As I look into the abyss» puis sa réponse immédiate «The abyss looks into me»).

Deuxième album pour les Belges d’Oathbreaker, toujours membres de la fameuse «Church of Ra», toujours hébergés par le label hardcore/punk (mais pas que) qui monte outre-Atlantique mais aussi peu à peu sur le vieux continent : Deathwish Inc. (Converge, Birds in Row, Loma Prieta, Deafheaven, Narrows, Touché Amoré...). Vingt-cinq mois après un premier effort déjà remarqué, les revoici donc à l’œuvre sur cet Eros/Anteros qui, de l’inaugural «(Beeltenis)» au terminal et languissant «Clair obscur» baignant dans une poésie noir et acide, délivre un cocktail pour le moins animal et misanthrope de (post)hardcore/punk aux atmosphères doom et fulgurances black de l’enfer. «No rest for the weary» et sa décharge de haine aussi brutale que subversive puis «Upheaval», gorgé de ce cocktail hardcore/punk/black’n’roll qui fait la marque de fabrique d’Oathbreaker, ne laissent guère de doute sur ce qui fait le sujet central de cet album. Car à l’image de son titre renvoyant à la mythologie grecque, Eros/Anteros parle ici d’amour. Brutal, sauvage, passionnel et décadent oui mais dans sa forme la plus primaire, instinctive. Pas de changement de registre, on oublie les tubes pop pour emballer de la jeune fille en fleur (ou juste sa fleur c’est selon) et on cause ici congestions HxC punk

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On l’aura compris, derrière la thématique sauvagement charnelle d’Eros/Anteros se cache une dualité plus profonde. Entre violence abrupte et émotion toute aussi viscérale mais exprimée avec bien moins de férocité, un jeu d’oppositions pour lesquelles les Belges opposent Yin et Yang dans une orgie sonore («Agartha») à ne pas mettre entre n’importe quels tympans. Pour autant Oathbreaker n’est pas là pour donner dans le sentimentalisme vaguement suggéré, mais plutôt la pulsion contaminatrice, une contagion sensorielle propagée par des vociférations haineuses comme quelques esquisses mélodieuses susurrées entre deux convergences (post) hardcore («Condor tongue», «Offer aan de leegte»). Et si l’exercice peut paraître répétitif sur le papier, il ne l’est pas une seconde sur CD tant le groupe maîtrise parfaitement son sujet. Plus que jamais. Entre éruptions de rage en fusion et geysers de sangs ruisselant sur quelques douceurs vocales éparses, le groupe vient de frapper fort... très fort («Nomads»). Hard. Définitivement... Aurelio


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THE CRUMBLE FACTORY The crumble factory (Pop Sisters Records)

pop-rock, je pense furtivement aux mélodies de Blur, à la folie des Pixies et à des hommages musicaux inconscients tels que la ritournelle mélodique du légendaire «Instant street» de dEUS que l’on peut entendre sur «Plastic teenage». Bref, de très bonne références pour des morceaux variant entre ballades contemplatives très réussies («So high», «Funny», «The wildest flower»), «happysongs» prenantes («Not so-happy-story», «The gospel according to Brian») et chansons mid-tempo frémissantes («London tropical song», «Tell me girl»). Le tout arrangé avec classe de façon à ce que les titres nous pénètrent allègrement. The crumble factory est un disque qui touchera probablement davantage toute cette génération de désormais trentenaire ou de quadra ayant baigné dans cet âge d’or de la culture pop 80-90’s. Si on venait à me demander inopinément le style de poprock dont je me sens le plus proche, instinctivement je citerais celui de The Crumble Factory. Bon, je ne vous cache pas que c’est surement parce que le premier album des Toulousains trône sur mon tourne-disque depuis plusieurs mois, mais j’avoue sincèrement que l’écoute de ce disque m’a ramené assez aisément à des formations que j’affectionne pas mal. CQFD. Déjà, les membres de cette troupe toulousaine, qui compte huit personnes quand même, me parlent. Jugez plutôt : Psycho Lemon, un nom pas forcément très connu mais qui est déjà passé entre mes deux oreilles, mais surtout des patronymes plus ronflant : Dionysos, Drive Blind, Tame Impala, Tahiti 80. Ca vous situe un peu le niveau et dans cette «usine du crumble», il y en a pour tous les goûts et plus digestif, tu meurs.

Ted

Les activités du label Pop Sisters Records commencent de fort belle manière puisqu’il s’agit là de sa première production. Et quoi de mieux que de commencer par la musique de The Crumble Factory qui prend ses racines assez logiquement dans le rock sixties, entre Californie et Angleterre et notamment dans les productions de Phil Spector (on le présente ?) mais qui explore aussi ce que les années 80-90 nous ont donné de mieux en terme de

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PIANO INTERRUPTED The unified field (Denovali Records)

retrouve sur «Two or three things», pour lequel il porte la mélodie avant que quelques friandises trip-hop/électroniques ne viennent donner une couleur plus moderne à un ensemble se mouvant jusque-là dans des panoramas néo-classiques/contemporains feutrés.

Seulement dix mois après un premier album studio sorti une première fois de manière confidentielle, en autoproduction, puis plus largement par le biais du prolifique Denovali Records (que l’on ne présente plus en ces pages avec son roster allant de Blueneck à Thisquietarmy en passant par Celeste, Field Rotation ou Omega Massif et Les Fragments de la Nuit), le duo anglo-saxon Piano Interrupted remet le couvert avec un deuxième opus fatalement attendu par ceux qui avaient découvert son prédécesseur, toujours avec l’appui de la petite maison de disques allemande qui a définitivement tout d’une (très) grande. En termes d’exigence de qualité tout du moins. Ce qui légitime de fait la présence des Anglais sur le label, le duo ayant déjà fait étalage de toute sa classe sur Two by four, il confirme avec The unified field, un disque d’une élégance inouïe pour ceux qui découvriront le projet avec cet opus comme ceux qui le connaissaient déjà par coeur. Une classe folle qui transparaît dès le morceau d’ouverture : «Emoticon», lequel distille une émotion pure qui vient effleurer l’âme de l’auditeur alors que celui-ci se laisse emporter par des arrangements à cordes enveloppant le clavier de leur souffle, lui donnant ainsi toute sa profondeur de champ. Un piano que l’on

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De petites trouvailles fugitives en bricolages sonores plus élaborés («Cross hands», l’éponyme «The unified field», délicat ‘’Open line»), le duo Piano Interrupted poursuit son cheminement créatif sans jamais oublier de se réinventer, ni de faire naître ci et là des émotions d’une pureté infinie (magnifique «Darkly shining»). En mixant ses velléités expérimentales et son amour pour les panoramas mélodiques à l’esthétique feutrée, la paire anglo-saxonne enfante ici d’une créature hybride aux possibilités quasi infinies, une œuvre rare aux multiples sens de lecture (‘’An accidental fugue’’, ‘’Camera obscura’’). Tour à tour néo-classique, jazzy et électronique, la musique de The unified field se conjugue à toutes les aspirations sonores, les couleurs stylistiques, pour livrer un album semblant ne jamais devoir se terminer (‘’Path of most resistance’’). Pour le plus grand plaisir des sens... Aurelio


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DALE COOPER QUARTET & THE DICTAPHONES Quatorze pièces de menace (Denovali Records) genre d’œuvre. Qui s’essaie à l’utilisation d’une voix à l’occasion de quelques morceaux en conviant notamment la néo-zélandaise Alicia Merz aka Birds of Passage (également hébergé chez Denovali Records, on reste en «famille»). Atmosphères jazz 50’s, halo vocal planant autour de l’auditeur («Calbombe camoufle Fretin», «Nourrain quinquet».).

Nouvel album pour le Dale Cooper Quartet, toujours accompagné de The Dictaphones, soit le collectif darkjazz francophone de référence qui, après Paroles de Navarre puis Metamanoir, revient avec un effort tout aussi énigmatique que ses prédécesseurs (au départ tout du moins...) : Quatorze pièces de menace toujours sorti par le biais de l’ultra-prolifique label Denovali Records (près de 175 sorties depuis 2006 tout de même). Un disque qui dès les premiers instants vient happer l’auditeur de par la densité mise dans la piste d’ouverture de l’album : «Brosme en dos-vert» (le groupe ne changeant aucunement ses habitudes et conservant la tradition de donner des noms de morceaux pour le moins étranges). Troublant et magnétique. Une brume ambient épaisse à l’intensité palpable, quelques très discrètes textures drone-jazz tapies dans l’ombre, puis les nappes expérimentales qui viennent faire leur apparition, avec un sens de la mesure et de la dramaturgie musicale notable. Comme si le «groupe» avait scénarisé son album afin d’en maîtriser jusqu’au moindre de ses effets. L’ensemble est toujours, sinon plus, fascinant qu’à l’accoutumée et malgré sa durée (plus de 21 minutes) se laisse découvrir quasiment sans effort pour qui est un tant soit peu habitué à ce

Rien à redire sur ce que propose les Dale Cooper Quartet & The Dictaphones sur ce nouvel effort se dévoilant comme l’exégèse de ce que l’ensemble avait pu proposer auparavant. En mieux. Comme si le projet avait atteint ici une maturité artistique inattendue, exacerbant sa créativité et lui offrant ainsi de démultiplier son éventail des possibles (du dynamique «L’escolier serpent Eolipile» au feutré «Il bamboche empereurs» en passant par le sentencieux «La ventrée rat de cave»). Fantomatique («Ignescence black-bass recule») ou délibérément énigmatique («Céladon baffre»), Quatorze pièces de menace est de ces œuvres qui fascinent, hypnotisent ou désarçonnent selon l’affinité musicale de chacun (difficile toutefois de rester insensible à «Lampyre bonne chère») et qui en l’état apparaît comme la bande-son idéale de la série culte Twin Peaks, si seulement un génie ne s’en était pas brillamment déjà chargé quelques années auparavant (Angelo Badalamenti avait pour mémoire signé une partition classe pour la série TV de David Lynch alors scénariste/réalisateur et producteur). Pour les inconditionnels du fameux Bohren Und Der Club of Gore et/ou de leurs héritiers de The Kilimanjaro Darkjazz Ensemble voire des travaux expérimentaux du David Lynch musicien. Aurelio

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SCAR THE MARTYR Scar the martyr (Roadrunner)

l’addition des talents ici convoqués par Joey Jordisson. Slipknot + Blood Promise + NIN + Darkest Hour + Strapping Young Lad, fatalement, l’association est plus qu’intéressante sur le papier : dans les faits, l’ensemble reste étonnamment calibré pour plaire à tout prix sans jamais prendre le moindre risque. Et oublier toute saveur en cours de route («Prayer for prey», «Anatomy of Erynes»), car à force de refuser à n’importe quel prix la possibilité de déplaire sur un ou deux titres, Scar the Martyr n’est jamais mauvais. Mais jamais vraiment très bon non plus. Tout juste d’une regrettable constance dans la fadeur.

Une intro bien torturée façon Hostel meets Saw meets The human centipede (les fans de cinéma de genre apprécieront.. ou pas) histoire de plonger l’auditeur dans un bain d’effroi et une ambiance glauque, moite, flippée à souhait, puis aussi de valider le patronyme du projet, le vrai titre inaugural («Dark ages») du premier album de Scar the Martyr peut envoyer la sauce. Ce qu’il fait et plutôt pas mal en balançant du bon gros son charpenté (merci la production confiée à Rhys Fulber de Front Line Assembly, également aux manettes du fameux Demanufacture de Fear Factory) qui tronçonne comme il faut. Mais pas que, le groupe cherchant le hit metal qui tourne en boucle sur le tube et les radios spécialisées afin de rendre l’ensemble encore plus bankable que son casting déjà honorable. Plutôt efficace. Mêmes causes = mêmes effets = même «punition» sur un «My retribution» qui alterne habilement puissance de frappe bien sentie et mélodies soignées. Un peu trop parfois quand Scar the Martyr finit par donner l’impression de chercher la formule de producteur idéale («Soul disintegration» ou «Cruel ocean» et «Blood host») même si l’ensemble est toujours aussi impeccablement ficelé d’un point de vue formel. Quitte à perdre son identité dans le mélange de backgrounds que suppose

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Et si le groupe délaisse régulièrement les territoires les plus extrêmes que laisse supposer son visuel comme le potentiel de son line-up, c’est pour s’orienter vers quelque chose de parfois ridiculement radiophonique et mainstream (le pénible «White nights in day room»), heureusement compensé par quelques titres plus ravageurs et troussés avec une belle envie d’en découdre («Effigy unborn»). Un constat qui se vérifie sur un «Never forgive never forget» plus que poussif avant que les Américains ne remettent les gaz sur le démonstratif «Mind’s eye»... pour réellement retrouver un peu d’efficacité brute avec «Last night on Earth». On s’ennuie régulièrement quand même, le reste se laisse écouter et s’oubliera tout aussi vite. Parce qu’au final, la recette idéale d’embaucher un chanteur méconnu mais plutôt doué + une brouette de musiciens pas manchots, en ayant à la barre un type au CV long comme l’album (qui l’est bien trop pour ne pas être redondant sinon ouvertement répétitif) n’est pas si miraculeuse que le concept pouvait le laisser croire. Et ce premier album signé Scar the Martyr retombe très rapidement à plat, sans doute parce que Joey Jordisson (à l’initiative du projet comme de la quasi intégralité des compos) n’avait pas tant de choses que ça à dire mais qu’il l’a fait quand même. Le temps de quasi 15 morceaux dont aucun ne parvient à sortir du lot et finiront bien vite aux oubliettes. Aurelio


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CONGER ! CONGER ! ZAAD (Katatak)

avec les nerfs de l’auditeur pour ensuite gagner définitivement en lourdeur. Comme le disque est plutôt short niveau durée, il aurait été dommage de se foirer sur les derniers morceaux et ça ne sera pas le cas. Mais alors vraiment pas. «To let them play ?» est, là encore, une bien belle leçon de musique sans œillères puisqu’il s’agit ni plus ni moins que d’un morceau de cold-pop éthérée avant de conclure sur du pur hardcore old-school à la Minor Threat sur une plage de 40 secondes. Et je ne t’ai pas mâché tout le boulot, il y a encore une foultitude de portes (de la perception) à découvrir. C’est aventureux, pertinent, jamais chiant, toujours captivant donc parfait. Seul reproche, l’album ne dure pas longtemps et on tendance à rester un peu sur sa faim quand ZAAD se termine. Je te l’accorde, c’est un reproche de gros nase quand l’on voit le nombre de disques avec 12 titres pour 5 potables. Mention parfait quand même. Inutile de te dire que l’on a frétillé de plaisir dès que l’on a eu ce nouvel album des congres dans les mains tant At the corner of the world et sa noise open-mind avait été une sacrée carte de visite. Une conjugaison parfaite d’éclectisme, de songwriting deluxe pour un impact exponentiel. D’ailleurs, deux ans après, l’intérêt pour cet album ne faiblit toujours pas. Pour ZAAD, la recette semble de prime abord sensiblement la même mais le groupe semble encore plus enclin à repousser les frontières de son identité, on en veut pour preuve «To let them play with fire ?» où Conger ! Conger ! fait preuve d’assez de talent pour rendre un morceau disco parfaitement acceptable. Et jouissif en plus ! Le reste, c’est aussi de la balle, le haut du panier, de la haute voltige, de l’endorphine par palettes, toujours avec cet éclectisme des plus judicieux : post-harcore sur «Why making child tonight ?», post-punk sur «Why making child ?» tandis que «Why making ?» me fait penser à du dEUS période In a bar, under the sea (ou Trunks pour citer un groupe méconnu...), une sorte de pop arty avec un saxophone aux sonorités chaudes. En milieu de ZAAD, après le fameux morceau disco, les Conger ! Conger ! se lâchent complètement et utilisent des hurlements doom-sludge pour un titre qui joue à cache-cache

NdR : Oui, la pochette, c’est Zizou ou Zazie quand notre Jojo national est rond comme une barrique. Après la thématique du génocide rwandais, le trio s’attaque à la déliquescence de sa propre ville, c’est-à-dire Marseille. Un disque totalement approuvé par Jean-Claude Gaudin-Skywalker, pour citer un autre groupe marseillais, de rap cette fois-ci, avec deux-trois titres potables à leur actif, notamment ceux avec le Wu-Tang-crew. David

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MODERN LIFE IS WAR Fever hunting (Deathwish Inc.)

War sonnent plus que jamais comme un groupe «made in Deathwish Inc.», le refuge des plus fines lames du genre (Converge, Birds in Row, Loma Prieta, Oathbreaker, Touché Amoré...). Surtout, les Américains se révèlent capables de se dépasser, de sublimer leur art splanchnique de la corrosion sonore, du fight-club sensoriel pour enfanter d’un «Blind are breeding» magistral, d’un «Brothers in arms forever» à fleur de peau.

Il est réducteur de dire que le retour aux affaires de Modern Life Is War n’était même plus espéré. Une carrière météoritique, une trajectoire idéale à ses débuts au sein du milieu hardcore-punk, puis une sortie de route un peu regrettable (changements de line-up, de label), avant une fin sans doute aussi redoutée qu’inévitable. Mais surtout, en connaissant le rejet du groupe pour les tendances, un come-back juste pour donner quelques concerts et empocher des cachets était plus qu’improbable. Alors fatalement, voir les natifs de l’Iowa revenir aux affaires après 4 années de silence impliquait en filigrane un nouvel album. Tout comme son retour au sein de l’écurie Deathwish Inc., LA référence du genre en la matière (mais pas que). Les premiers riffs ouvrant le bien nommé Fever hunting font état d’une excellente santé créative. «Old fears new frontiers» puis «Health, wealth and peace» envoient d’entrée un groove solide titiller les enceintes, des vocalises farouchement hardcore punk enflammer l’audience et ce feeling tout en hargne contaminatrice, parachever le travail. Le constat est sans appel : dans la manière qu’ils ont d’expédier leur fougue retrouvée comme de laisser leurs guitares cracher les décibels («Media cunt», l’éponyme «Fever hunting»), les Modern Life Is

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Une émotion brute. Viscérale. Le déchirement qui met l’âme en lambeaux, l’exaltation d’un désespoir latent mais conscient («Chasing my tail»), le groupe aligne les pépites hardcore punk’nroll, dépose de petites bombes à fragmentations dans son escarcelle («Dark water») et fait des ravages dans les tripes de son auditeur («Currency»). Il y a dans ce Fever hunting, une douleur qui vient happer l’auditeur, une blessure ouverte qui s’exprime par tous les moyens : de l’urgence punk sauvage («Cracked sidewalk surfer») jusqu’à l’introspection au tempo plus ralenti mais non moins portée sur l’intensité émotionnelle. Le feu sous la glace, la fièvre au corps hardcore (l’inspirée conclusion qu’est «Find a way»), Modern Life Is War s’offre un retour plus que réussi avec ce Fever hunting imparable et sans fausse note. Parce que parfois aussi les reformations ont du bon. Grande classe... Aurelio


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LES YEUX DE LA TETE Mosca violenta (Head records)

l’on s’emmerde à aucun moment, Les Yeux De La Tête déroule tout son savoir-faire pour décliner une formule que l’on aurait pu trouver limitée dans les possibilités. En fait, que dalle et plus encore. . A partir de «Sloomer», le groupe passe à la vitesse supérieure et commence à élargir son propos avec une piste quasiment doom alors que «Les rognons» bénéficie d’un riff de basse entêtant que n’aurait pas renié David Wm. Sims de The Jesus Lizard. Bref, je n’ai absolument rien à redire sur Mosca violenta, pour peu que l’on soit friand de musique singulière, c’est un régal. Et allez les voir en live, c’est un régal là aussi. Dans le même genre, bien que les intentions soient sensiblement différentes, on ne peut que vous conseiller également le groupe néerlandais Dead Neanderthals. Alors que beaucoup de labels ne sont que de passages dans le paysage musical indé, Head Records (Pneu, Café Flesh, Mudweiser...) continue à sortir des disques régulièrement, et en plus de qualité, avec pour fil rouge une sorte d’éclectisme pointu (math-rock, hardcore, stoner, noise... ), peut-être la clé de la longévité de ce label... La sortie qui a attiré notre attention aujourd’hui, c’est Les Yeux De La Tête, un trio basse-batterie-saxo’ de Montpellier, qui livre un disque excellent avec Mosca violenta.

David

Dès le premier titre, «Fubar», la section rythmique s’affole et un saxo virevoltant l’accompagne avec une mélodie efficace as fuck, le tempo effréné et les coups de butoir feront le reste, c’est là une bien belle entame d’album. Sur le deuxième titre, le groupe ralentit singulièrement le rythme pour se faire hypnotique et quasi»motorique», le saxophone se fait plus langoureux et caressant à la manière de Morphine pour ensuite pétarder par phases et revenir caresser l’auditeur dans le sens du poil. Sur les deux premiers titres, la section rythmique sèche comme un coup de trique nous fait irrémédiablement penser à Shellac alors que ce saxophone qui semble capable de couvrir tout un bien large spectre ne peut pas être réduit à l’omniprésent John Zorn, comme il est stipulé dans la bio. Les titres défilent sans que

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THE DEVIL WEARS PRADA 8:18 (Roadrunner) mors»), il enchaîne plutôt bien en passant en mode moissonneuse-batteuse metal sur le méchamment burné «First sight». Et en fera de même sur le bien nommé «Martyrs». A priori, là, TDWP reste un groupe de studio qui ne fera pas de gros dégâts en live alors que sur CD, ça passe plutôt pas mal dès qu’on pousse le volume.

Quand il s’agit de s’envoyer du metalcore bourrin, ultraproduit et outrageusement vindicatif, The Devil Wears Prada reste quand même une des valeurs sûres de la scène nord-américaine, deux ou trois crans (d’arrêt) au dessus des groupes de la sphère Solid State Records (August Burns Red, Becoming the Archetype, Demon Hunter, The Overseer, Underoath... Ok non pas Underoath). La preuve avec l’imparable Dead throne (2011) qui n’avait strictement rien pour révolutionner le genre mais l’exploitait alors goulûment. Ce, avec une efficacité des plus redoutables. Un CD/DVD live plus tard (Dead and alive) et voici que TDWP remet le couvert avec un 8 :18 au titre non expliqué et qui dès l’inaugural «Gloom» fait déjà parler la poudre. Pas de surprise particulière (ça reste du metalcore), c’est du calibré pour faire mâl(e), concasser les amplis et servir du prêt à dévorer déjà prémâché. Mais drôlement bien troussé et solidement produit (normal jusque-là, soit). Un charisme vocal bien présent, un petit côté qui lorgne vers le hardcore punk qui dépouille, une grosse machinerie métallique qui se met en branle sans forcer, bref, ça envoie sec et ça fait du bien par où ça passe. Ni plus ni moins. Et si le groupe souffre d’un petit coup de moins bien sur le morceau suivant («Ru-

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Mais assez étrangement, c’est quand on pense le groupe lancé vers les cimes du genre qu’il semble retomber dans une certaine retenue (un «War» moins guerrier qu’attendu même si pas non plus pour les enfants) avant de remettre furieusement les gaz, tout en hargne et mélodie abrasive contenue pour un résultat régulièrement très honorable sinon mieux («8 :18»). Un mélange de brutalité et de légèreté que l’on ne retrouve pas vraiment sur «Sailor’s prayer», éloge de la virilité metalcore dans ce qu’elle a de plus primal, avec en bonus un refrain taillé pour le live. Efficace on l’a dit, même si parfois un brin pompier dans le côté blockbuster démonstratif. Car on a compris que le The Devil Wears Prada était bankable («Care more», «Black & blue») quitte à oublier de se renouveler. Et si la fin de l’album réserve quelques moments de bravoure («Transgress») voire de démolition bien pensée («Number eleven», «Home for grave»...), on ne peut s’empêcher de penser que ce 8 :18 manque de ce petit supplément d’âme, d’une légère prise de risques accrue qui aurait pu le ranger parmi les meilleurs albums du genre. Par contre, ça reste rudement bien outillé de bout en bout et ça, c’est déjà pas mal vu ce qu’on leur demande. Aurelio


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LETLIVE. The blackest beautiful (Epitaph) ment, malgré une bonne volonté de façade, une hargne éminemment communicative, le songwriting pêche trop souvent par excès de facilité pour créer quelque chose qui tienne la route sur la durée. «That fear fever» tente bien de remettre les choses en ordre de marche, sans succès.

C’est l’histoire d’un groupe qui envoie une pure bombe en guise de titre inaugural chargé de déflorer les enceintes et son nouvel album studio, The blackest beautiful, sorti par l’intermédiaire de la mini-major Epitaph (Converge, Motion City Soundtrack, Parkway Drive, Weezer...). Un groupe qui est depuis quelques mois la grosse sensation en matière de crossover musical en provenance de la grande Amérique et mélange allègrement rock alternatif, fusion aux confins du hip-hop metal et post-hardcore salvateur dans le même tube à essais. La meilleure illustration de ce très efficace maelström hargneux et tourbillonnant a pour titre «Banshee (ghost fame)» et fait sauter la banque. Voilà, ça c’est fait. On valide.

On s’achemine vers une déception à la hauteur des promesses suscitées par le morceau d’ouverture de ce Blackest beautiful et c’est alors que Letlive. refait surface avec un «Virgin dirt» d’écorché vif avant de sombrer complètement sur l’infâme et putassier «Younger». Imprévisible, insaisissable et flirtant constamment entre fulgurances étourdissantes («The dope beat», «The priest and used cars») et médiocrité crasse («Pheromone cvlt»), le troisième album des natifs de la Cité des Anges frustre le critique autant qu’il le ravit (ou inversement) sans que l’on sache au final s’il faut garder à l’esprit que la moitié de l’album soit à jeter («27 club») ou à garder précieusement. Impossible de dire que cet opus soit un bon disque comme un mauvais, on se retrouve gentiment écartelé entre fascination et rejet. Excitation turgescente comme déception brutale en se disant que cet effort-là a décidément trouvé un titre à l’ironie flagrante. Aurelio

Sauf que la suite n’est pas du tout du même calibre. «Empty Elvis» donne dans le punk-hardcore aux mélodies marshmallow indécentes qui compense son manque d’à peu près tout ce qui fait un titre acceptable (et notamment la réussite de son prédécesseur) par une débauche d’énergie qui conduit le groupe à en mettre plein partout inutilement. Sans jamais toucher la cible. Un plantage dans les grandes largeurs que ne viennent réellement rectifier ni «White America’s beautiful black market» ni «Dreamer’s disease» même si on ne peut pas non plus parler du fiasco d’»Empty Elvis». Seule-

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LO!

Monstrorum historia (Pelagic Records) d’idées artistiques qui ne pouvaient évidemment que faire des ravages. Et qui provoque ici de jolis chamboulements dans la tuyauterie auditive. Même quand les natifs de l’hémisphère sud livre une balade (heavy) doomfolk à la noirceur envoûtante («Haven beneath weeping willows»). Qui se termine en laissant augurer de ce que va être la suite. Viscérale, sauvage, primale («Fallen» leaves» ou «Lichtenberg figures»), elle plonge un peu à peu l’album dans les abîmes de l’Enfer, affrontant des métaphores bestiales au fur et à mesure que la musique des Australiens atteint une intensité comme une brutalité inattendue (énigmatique «Crooked path, the strangers ritual», énorme «Bleak vanity»).

Deuxième album pour les Australiens de Lo!, qui débutent ce Monstrorum historia (toujours chez Pelagic Records) en posant des ambiances insidieusement sombres et ténébreuses, ce avant de laisser ses instruments cracher leurs flammes dans un maelström sludge-rock/hardcore-noisy aussi puissant qu’ombrageux («As above», «Bloody vultures»). Une première déferlante s’abat sur les enceintes, éclaboussant l’auditeur de quelques larmes de volcan en fusion et voici que l’album enclenche sérieusement la marche avant. Musclant son propos en même temps qu’il dynamite sérieusement les amplis et accélère la cadence rythmique («Ghost promenade», «Caruncula».) pour mieux la ralentir quelques instants plus tard au détour d’un climax émotionnel de toute beauté. Puissant, déflagrateur, à la limite de l’éruption sonore chronique, Lo! convoque sur cet album la tension extrême du hardcore noise à la lourdeur sulfurique d’un sludge aventureux et prégnant, le tout étant mâtiné d’un zeste de groove rock’n’roll à souhait. On trouve ci et là quelques résurgences à aller chercher du côté du postcore de Cult of Luna, la hargne contagieuse d’un Kruger ou la frénésie libératrice d’un Converge, non sans oublier le côté carnassier d’Old Man Gloom. Une association

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Monstrueux de férocité, heavy et ravageur, Monstrorum historia semble ne jamais vouloir et/ou pouvoir s’arrêter et ce n’est pas plus mal. Parce que chaque nouveau morceau est une pièce de plus à ajouter à l’édifice musical érigé par la formation basée à Sydney et rend de fait l’ensemble un peu plus compact, addictif et fascinant. Une ultime salve avec le détonant «Palisades of fire» avant l’ogive terminale qu’est «So below (before we disappear)» et voici que le groupe met tout ce qu’il a en lui dans un dernier coup de rein noise(core) sludge hard et pénétrant. Une ultime secousse tellurique parachevant ce nouvel opus signé de la main d’un groupe qui va désormais devoir cravacher très dur pour donner une «séquelle» qui soit supérieure à cet album. Parce que là, la barre mise par Lo! est quand même sacrément haute. Là on dit «respect». Aurelio


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MILES OLIVER Miles Oliver (Autoproduction)

augmente la cadence de sa musique pour un petit tube de pop lo-fi assez redoutable, tandis que les 3 dernières morceaux offrent là aussi de beaux moments de grâce low-tempo. C’est donc un très bel EP que nous livre Miles Oliver, on a vraiment hâte d’entendre la suite que l’on espère aussi empreinte de ce songwriting classieux. Le Dead Projet est certes mort mais Miles Oliver, dans un registre aux antipodes du projet précité, vient positivement atténuer l’amertume de l’auditeur que je suis. David

Miles Oliver est le nouveau projet du guitariste du groupe Le Dead Projet. Rien que ça, ça devrait te mettre la puce à l’oreille. Le Dead Projet, c’était, parce que c’est visiblement bien «dead» cette fois-ci, un fabuleux groupe de hardcore new-school qui m’avait passablement scotché sur deux disques à la fois semblables et différents : Le dead projet avec un chant en français et Keep on living qui lorgnait vers la violence d’un Knut, en plus nuancé toutefois. Voilà, l’épitaphe est faite, on peut passer à autre chose. Et cet autre chose, c’est Miles Oliver, lequel débarque aujourd’hui avec un EP qui s’avère assez rapidement addictif. «The seed», le premier titre, est une belle entrée dans ce nouvel univers : on a envie de citer ces chanteurs folk à forte résonance émotionnelle tel que Bonnie Prince Billy et Mark Kozelek. D’ailleurs, la voix est un élément essentiel dans Miles Oliver tant celle-ci est chargée d’émotion pour compléter parfaitement les mélodies sculptées dans une matière constituée à la fois de sépia mais aussi de grisaille urbaine, à l’image de sa pochette. Le deuxième titre, «Your blue screen», confirme les dispositions du monsieur lorsqu’il s’agit de composer une piste qui charme dès les premières écoutes. En compagnie de Milkymee sur le troisième titre, Miles Oliver

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IDLE CLASS

The drama’s done (Black Star Foundation) troussé par un groupe qui évolue sur le registre punkrock comme un élève studieux pas loin de la tête de classe (facile) des jeunes formations européennes de sa catégorie («Bridge blues»). Sinon, le visuel est très sympa (comme souvent avec ce label-là) et les deux derniers titres n’en sont en réalité qu’un («Angus one» / «Sometimes you eat the bear»). Une sorte de longue intro précédant le développement final de la trame narrative de ces punk-rockeurs allemands une dernière fois propulsés sur orbite géosynchrone à coups de mélodies survoltées et une dynamique rythmique électrisante. Premier essai que ce The drama’s done parfaitement enthousiasmant et déjà un joli petit coup de maître pour un Idle Class désormais sur le radar du mag’ aux longues oreilles. On attend maintenant la suite non sans une certaine impatience... 18 mois d’existence à peine et déjà un premier album, paru par l’intermédiaire de la discrète mais ô combien efficace Black Star Foundation (Atlas Losing Grip ou Jeudah c’est eux, PG.Lost, également), les teutons d’Idle Class sont plutôt du genre pressés. Et fins connaisseurs de la cause punk/rock qu’ils revisitent à leur manière en assaisonnant les enceintes d’une dizaine de morceaux composant The drama’s done. Un opus garni en mélodies fuselées («The essence of every fight»), riffing tendu comme un string de collégienne et autres tempi légèrement effrénés («Chances are for poets», «Home? Prove it!») appuyés par des chœurs fédérateurs : pas de souci, le groupe fait le job. Et plutôt très efficacement car, lorsqu’il s’agit d’envoyer les watts, même avec quelques discrètes mais salvatrices pulsions hargneuses, Idle Class s’en sort avec les honneurs. Et enchaîne les titres sans coup férir ni impression de redite («Han shot first»), jonglant entre douceur virile («Pass on the bottle») et fougue juvénile ardente («Defiant kids»). Malgré quelques légères approximations et/ou facilités qui s’effaceront d’ellesmêmes au fur et à mesure que le groupe engrangera de l’expérience («Last night I got drunk with Mark Twain»), The drama’s done est un premier album solide et bien

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IZAKAYA HEARTBEAT Enter - rainbow lake (Handmade records)

la barre des 5 minutes, et c’est évolution notable par rapport au précédent album, la musique est toujours diablement immédiate et addictive. Ce qui étonne également, c’est l’homogénéité des pistes et si le groupe a nommé cet album avec le nom du premier et du dernier morceau, ça ne doit pas être anodin en terme de signification, si il y en a bien une. D’ailleurs, le dernier titre, «Rainbow lake» dure 8 minutes et c’est là aussi un petit chef d’oeuvre à mettre à leur actif, un long crescendo savamment orchestré qui doit prendre une sacré ampleur en live. Excellente galette, une fois de plus. David

Des lustres que l’on avait pas eu de news du label norvégien Handmade Records (Mindy Misty, Burning Motherfuckers...) et voilà que débarque un nouvel album d’Izakaya Heartbeat. C’est plutôt une très bonne nouvelle que cette formation soit encore active tant le précédent album (Ancient asobi/In arcadia) avait été une excellente surprise, un effort fortement influencé par la facette pop de Sonic Youth mais avec le truc ineffable, peut-être cette touche psyché qui cherche à happer l’auditeur, pour ne pas avoir cette impression constante d’avoir affaire à un simple rip-off d’un groupe culte. Izakaya Heartbeat ne l’est définitivement pas, ils ont leur «truc». On note déjà une évolution au niveau de la pochette : le patchwork animalier bigarré de la pochette précédente laisse place à une photo élégante et sobre. Révélateur d’une évolution musicale ? Dès le premier titre, «Enter», on retrouve la patte du groupe, ces mélodies finement ciselées, cette voix sans âge et ce songwriting céleste capable de vous emmener bien loin dans la stratosphère. D’ailleurs, c’est toujours ce talent incroyable pour façonner des tubes indie rock qui impressionnent, les morceaux se succèdent et nous imprègnent très vite. Malgré la longueur des titres qui lorgnent souvent vers

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ØLTEN

Ølten (Division Records/Hummus Records) maîtrise son sujet et parfois même tutoie des sommets émotionnels, donnant alors à son EP éponyme tout son sens premier.

Nouveau venu au sein de la scène sludge helvétique qui fait mâl(e), Ølten débarque avec un premier EP éponyme composé de quatre titres qui en disent déjà long sur la capacité des Suisses à expédier dans les enceintes une belle dose de gras(titude) sonore qui remue les intestins et marque durablement l’esprit par ses saveurs particulièrement goûtues. Mais également par sa capacité à envoyer des riffs jongler entre puissance et vélocité, groove enfiévré et férocité rampante («Péplum»). Un condensé de ce que le hard contemporain peut proposer de mieux en la matière, mais mixé à la mode suisse et appuyé par une production aux petits oignons. On pense à Cult of Luna, de par la manière qu’a le groupe de faire progresser sa narration sonore, à Russian Circles pour son amplitude post-metal/rock («Kàpoé»), à Neurosis pour les passages les plus sauvagement intenses, la noirceur ténue doublée d’une lourdeur sentencieuse («Tallülar»). A Omega Massif par moments, mais avant tout, Ølten arrive à imposer sa griffe musicale sur des territoires sludge-rock pas si souvent explorés, grâce à cette identité artistique solidement affirmée. Basse ronronnante, riffing aussi musculeux que grésillant, mélodies pratiquant l’abrasion sensorielle comme s’il s’agissait là d’une seconde nature («Blöm»), le groupe

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Un disque conjointement sorti par LA référence du hard au pays du chocolat et du secret bancaire, le fameux Division Records (ASiDEFROMADAY, Dirge, Rorcal, Unfold) et le label de ses compatriotes de Coilguns qui monte depuis quelques mois, Hummus Records, le premier effort signé Ølten se révèle au fil des écoutes attentives une petite pépite du genre. Un euphémisme sans doute étant donné sa provenance géographique (sorte d’assurance tous risques en termes de hard de qualité supérieure), mais tout de même une première œuvre discographique qui marque déjà durablement les esprits. On attend déjà la suite, quand le groupe devra se réinventer sur une durée adaptée au long-format, en gageant qu’il possède déjà tout ce qu’il faut pour relever le défi haut la main. Aurelio


INTERVIEW

INTERVIEW

INTERVIEW > JC SATAN Les JC Satan sont au taquet. En pleine préparation de leur tournée dont un passage est prévu à Lomme, près de Lille, pour le Tour de Chauffe le 16 novembre, les Bordelais, à travers Romain leur batteur, ont pris le temps de répondre à nos questions. Au menu : retour sur les débuts, le dernier album, Bordeaux et la suite des opérations, à savoir un futur album dont vous en aurez surement les échos si vous faites un petit détour sur une de leur dates. Pouvez-vous nous rappeler un peu qui vous êtes pour ceux qui ne vous connaissent pas encore ? Votre parcours ? JC Satan c’est Paula, Arthur, Dorian, Alice et Romain. On fait de la Pop Doom Medieval. On habite tous à Bordeaux mais Paula et Alice sont italiennes. Depuis 2010, on a sorti nos deux premiers albums sur le label américain Slovenly Recordings (Sick of love en octobre 2010 et Hell death samba en octobre 2011), et le dernier (Faraway land en octobre 2012) sur le label franco/belge Teenage Menopause. On a aussi fait plein d’EPs et de splits avec des groupes supers. Ils sont tous écoutables

sur notre site si vous voulez... (jcsatan.com) Quelle est votre propre définition de JC Satan, tant au niveau de l’idée derrière le nom que de l’entité qui se cache derrière ? Ce groupe est une blague au départ. Ca a commencé sous le nom de Satàn. Paula et Arthur avec l’aide de Dorian avaient enregistré des chansons pour se marrer et les avaient mises sur myspace. On a rajouté JC après la sortie du premier EP parce que c’était impossible de trouver nos chroniques de disque sur Google. Et puis JC Satan ça claque quand même pas mal. Pour notre pote Pierre, JC Satan c’est un guerrier intergalactique fan de bon gros Hip Hop à l’ancienne et qui vient coloniser la planète Terre... Votre troisième et dernier album, Faraway land, est sorti l’année dernière. Quel est son bilan en terme de vente et en retour du public et de la presse ? On doit en être au niveau « disque de calcaire » là au moins. Tu sais, tous nos disques ont été produits en mode DIY total et l’argent qu’on se fait en vendant des

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INTERVIEW

disques nous sert surtout à payer les péages et l’essence. Je crois que Faraway land a été représsé une troisième fois ce qui veut dire qu’on a du vendre entre 1000 et 1500 vinyles. Pour les ventes de CD et digital on en a pas la moindre foutue idée et on s’en tape un peu. On s’est démerdé pour défendre un peu plus notre dernier disque en France mais c’est tout. C’est surtout les lives qui nous permettaient de vendre des disques jusqu’à maintenant. Son artwork est assez énigmatique, on a l’impression de voir La Joconde ayant un Christ sur ses genoux telle une Pieta italienne de la Renaissance. Je note aussi un côté bondage évoquant la suprématie de la femme qui enroule avec ses nattes le cou de l’homme. Qui a réalisé ce dessin qui ne passe pas inaperçu ? Et quelles ont été les influences ? C’est Elisa Mistrot, une peintre de Bordeaux qui a peint la toile originale. C’est Paula qui gère les artworks en général et là elle voulait une peinture moyenâgeuse pour illustrer le coté épique de l’album, l’histoire de chevalerie qu’il y a derrière. On a donné quelques indications à Elisa et elle s’est inspirée de l’imagerie de cette époque. Au départ Arthur voulait être un mini chien à tête humaine tenu en laisse sur les genoux de Paula.

ventes mirobolantes. Ca dépasse très rarement les 10 000 disques je pense, et encore en faire 5000 c’est déjà bien bien fat. Donc heu pour le conseil ben « démerdezvous ! », je ne sais pas ... Vous vivez à Bordeaux, quelles connexions avez-vous avec les nombreux groupes s’y trouvant ? Est-ce qu’il y a une entraide entre vous, un esprit de solidarité chez les Bordelais ? Un esprit de solidarité, le terme est peut-être quelque peu exagéré mais plusieurs scènes et Assos occupent tous le même terrain et ça se passe plutôt bien. Avec Satan, on fait parti du collectif Iceberg (avec des groupes comme Lonely Walk, Petit Fantome, Crane Angels, Lispector, Botibol...), on participe à mixer un peu les genres en organisant des soirées, en faisant des compiles et des méga tombolas. La ville est petite donc les gens squattent à peu près les mêmes endroits. Avec votre expérience, notamment après avoir signé sur un label américain, quel est votre regard sur le monde de la musique tant au niveau des labels que des tourneurs et surtout de la diffusion de votre musique ?

Je pense que beaucoup de personnes vous ont découvert avec votre dernier album, qu’est-ce qu’a cet album que les autres n’ont pas ? C’est juste le premier album à avoir eu une vraie promotion en France. Le son est surement mieux produit et l’ambiance générale du disque a peut-être été plus pensée que les deux précédents. Mais bon, on aime énormément Sick of love et Hell death samba qui sont sortis sur un label américain et qui du coup sont un peu passés inaperçus. On est plusieurs à préférer l’album Hell death samba par exemple. Vous disiez dans une interview l’année dernière que pour vendre des disques, il fallait faire de bons concerts. Que conseillez-vous à ceux qui font de bons concerts mais qui ne vendent pas ou peu de disques ? Heu... tu veux dire des groupes comme nous en fait ??? La plupart des groupes qu’on côtoie ne font pas des

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Comme on t’a dit, on est pour l’instant sorti sur des « micro labels » qui n’avaient pas de moyen. Pas le genre de label qui te donne de l’argent pour enregistrer ou pour faire de la comm pour ton groupe. On bosse vrai-


Où en êtes-vous à l’heure actuelle, un nouvel album estil en préparation ? Tout à fait. Arthur est en train d’enregistrer des premières versions des morceaux qui seront retravaillées pour l’album. On prend un peu plus le temps, il y a des deals entre mecs influents du show business qui sont en train de se goupiller dans notre dos donc on attend. Et puis on a joué beaucoup, on a eu moins de temps pour enregistrer. On est un peu déçu de pas pouvoir sortir notre album en octobre cette année, on avait toujours fait ça pour l’instant, un album tous les mois d’octobre. On sortira surement pas le prochain avant le printemps 2014. Par contre on va sortir fin novembre un split EP avec le groupe Regal, sur Azbin Records et surement d’autres trucs dans le genre avant l’album.

quand on a la possibilité de faire jouer des groupes avec nous, comme ça a été le cas à la Flèche d’or en octobre ben on fait venir des potes. Pas forcément des jeunes, juste des groupes qu’on aime. Amateur/Professionnel, je ne sais pas trop ce que ça veut dire. Je crois que tu te fais un peu des idées sur le monde de la musique. Les meilleurs groupes ne sont pas forcément ceux qui gagnent du pognon ou qui vendent beaucoup de disques aujourd’hui ...

INTERVIEW

ment avec des gens proches de nous. ZooBook nous a pris dans son roster pour la tournée depuis cette année, on bosse aussi avec Fred Vocanson d’Animal Factory ou Romain Bordes de Holy Soakers. Grâce à leur boulot et grâce à nos lives, on a été amené à jouer sur de plus grosses scènes et à faire pas mal de gros festivals cet été. On découvre tout juste l’environnement qui peut exister autour de certains groupes, leur entourage et on trouve ça assez marrant. On n’a jamais vraiment cherché à évoluer dans ce genre de milieu ... il y a des trucs qui nous débectent, d’autres qui nous font saliver.

Pour terminer cette interview, je vous laisse imaginer le meilleur concert que vous puissiez faire, lâchez-vous ! Ceux de 2014, quand on aura pu acheter tout le matos qu’on veut pour la scène... Gros lâchage t’as vu !

Merci à Anne du Tour de Chauffe et Romain pour sa disponibilité. Photos : Oli (Dour 2013) Ted

Avez-vous déjà une idée de ce que pourra donner votre prochain album en terme de sonorités, d’évolutions de styles ? Oui mais non. La dernière fois qu’on a pu vous voir en live, c’était à l’occasion du festival de Dour. Quels souvenirs en gardez-vous ? Jouer après Converge à une heure tardive sur une scène dédiée au métal, ça ne devait pas être évident à appréhender. Si si ça va. On a eu de meilleurs lights qu’eux qui ont eu droit à du rose pendant tout leur show. Le 16 novembre, vous jouez dans le cadre du festival Tour de Chauffe, organisé par un dispositif qui encadre les jeunes musiciens amateurs. Est-ce vous avez déjà bénéficié de structures ou d’aides pour vous aider à vous développer ? Et de votre côté, est-ce que vous aidez à votre manière de jeune groupe amateurs à se produire en les invitant à jouer avec vous ?

 En effet, on a un petit groupe de personnes proches avec qui on bosse. Il y a aussi le Krakatoa à Bordeaux qui nous permet de bosser nos lives dans leur salle. Et

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EN BREF

DEGRADEAD

THE TRANSPLANTS

WARDHILL

The monster within

In a warzone

A pledge to lava

(Metalville Records)

(Epitaph)

(GPS Prod, Urgence Disk Records)

Alliant death métal qui défouraille et sens de la mélodie claire, les Suédois de Degradead reviennent pour la quatrième fois dans les bacs et en long-foramt avec ce The monster within. Le son est super léché, rendant aussi bien les parties death que les plus heavy (entre solo et mélodies plus hautes que la moyenne, des parties que j’ai un peu de mal à supporter d’ailleurs) et pouvant décontenancer l’auditeur inaverti, pour qui death metal et mélodies n’ont pas grand chose à faire ensemble. Degradead prouve une nouvelle fois le contraire en amalgamant avec clairvoyance les deux à outrance. Ca ne fonctionne pas toujours («Dead becomes alive» et ses parties trop bourrines et simplistes) mais parfois ça fait mouche, notamment grâce à la délicatesse des parties plus douces bien écrites et bien envoyées («We’ll meet again»). Si le groupe évoluait dans un registre métal plus près de l’émo à l’anglaise ou du métalcore à l’allemande, ce serait certainement une grosse référence sur la scène européenne. Là, ils sont condamnés à rester dans l’ombre d’In Flames, ce qui n’est déjà pas trop mal...

On avait un peu laissé tomber les Transplants après un premier album terriblement accrocheur et deux pauses, entrecoupées d’un comeback (entre 2004 et 2005), mais également un deuxième opus long-format zappé par nos services. Pas mal de péripéties aboutissant à un retour aux affaires dans le courant de l’année 2010 et aujourd’hui un troisième disque débarquant chez Epitaph avec un titre qui annonce la couleur direct : In a warzone. Le programme : sans surprise punk-rock à fond les ballons. Le groupe envoie dans les tuyaux un rock teigneux et mélodique, dynamité par des rythmiques effrénées et un feeling de patron. Mais pas que. Parce que dans le lot, on retrouve autant de titres punk-rock gorgé de fun («War zone»), de harangues discrètes mais gentiment bruyantes («See it to believe it», «Completely detached») que de morceaux fusion hiphop aux gimmicks variablement fulgurants («Something’s different», «It’s a problem»), armés de refrains plus ou moins fédérateurs. L’album est une démonstration de savoir-faire éprouvé, parfois bordélique voire même chiant car sans autre ligne directrice qu’être «bankable» («Come around»), mais également parfois assez jouissif dans son genre («Any of them», «Back to you»). Pour amateur du genre.

Il y a juste deux ans, on chroniquait l’EP éponyme du trio genevois estampillé «stoner/hardcore/sludge braillard» par Aurelio, on reprend les mêmes et on recommence... Ou presque parce que c’est moi qui m’y colle et me fait décoller les tympans cette fois-ci. Les concerts avec Red Fang, Baroness ou Eyehategod n’ont pas calmé le groupe qui avec A pledge to lava aime toujours autant chevaucher les graves et envoyer un rock seventies qui aurait pris son bain dans un cratère volcanique en activité. Riffs en fusion, basse vrombissante, batterie magmatique et éruption de textes venus des tréfonds de la mésosphère, Wardhill ne dévie pas de son thème et joue à la strombolienne : mixant tout son savoir-faire pour nous fasciner. Le concept annoncé promettait du gros et du chaud, on est servi ! Le bémol dans ces cas-là, c’est que les six nouveaux titres (qui portent tous les noms de charmants volcans actifs) sont pyroclastés en moins de 20 minutes et comme on est aussi gourmet que gourmand, on en voudrait plus, toujours plus...

Oli

Oli

Aurelio

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EN BREF LESPARK

OvO

NIC-U

Lespark

Abisso

(Autoproduction)

(SupernaturalCat Records)

Weird dreams about death & african choregraphy (Autoproduction)

Digipak soigné, artwork travaillé, production ciselée (elle est signée Arnaud Bascunana qui a déjà travaillé pour Deportivo, France de Griessen, Rhesus...), le quatuor parisien LeSpark nous a tapé dans l’oeil et dans l’oreille avec son sens certain de l’efficacité immédiate. Insouciantes, leurs chansons mêlent le blues à la pop voire au rock, pénètrent aisément dans les têtes et s’y installent grâce à l’utilisation de plusieurs instruments aux sons remarquables et à de nombreux arrangements discrets, pointus qui aident à l’accroche et évitent de tomber dans la redite ou la facilité. Le chant de Thomas sait se faire cajoleur ou plus rauque, le ton et le rythme changent mais conservent la couleur propre à LeSpark, même quand il ose un phrasé plus parlé et en français, on reste dans l’ambiance moite de cet opus qui comporte tout de même une quinzaine de titres (17 en comptant le bonus). Partagé entre des références glorieuses du passé et un travail très actuel, Lespark est un premier album éponyme très encourageant dans un style peu pratiqué dans l’hexagone mais pas réservé aux Anglo-Saxons ! Pas étonnant dés lors que Pete Doherty (même avec tout le mal qu’on pense de lui) se soit acoquiné avec ce jeune groupe...

Treize ans de carrière et une flopée d’albums pour le duo italien Stefania Pedretti/Bruno Dorella aka OvO, quelques splits (avec Nadja, Tremor...) aussi, mais surtout une belle palanquée de live outrageusement diaboliques et un nouvel opus qui sort par le biais de la référence locale en matière de hard à tendance expérimentale : SupernaturalCat Records (I.C.O, Morkobot, Ufomammut). Abisso, c’est son titre et le contenu regorge d’invocations méphistophéliques, éructations décadentes et autres friandises acides où viennent joyeusement se mêler noise/black de l’enfer, sludge screamo décharné et rock éviscéré suintant de punk salement déviant («Harmonia microcosmica», «Harmonia macrocosmica», «Ab uno»). Un summum est du reste sauvagement atteint sur le terrifiant «A dream within a dream» pour lequel le duo a invité un certain Alan Dubin (OLD, Khanate, Gnaw) afin d’invoquer Satan avec lui. Le reste de l’album, lui, baigne continuellement dans des atmosphères mortifères et oppressives parce que saturée à l’extrême (Pandemonio»), lesté de vociférations haineuses et autres textures sonores qui immergent l’auditeur dans une mare putride et abandonnée (à l’exception du minimaliste «Fly little demon» avec Carla Bozulich d’Evangelista en guest). En un mot comme en cent : extrême.

Oli

Aurelio 72

Chaque année, Nic-U nous livre de quoi nous faire frissonner et cette fois-ci, c’est un EP au mignon format mini-CD (là aussi, l’Alsacien aime se casser la tête) auquel on a droit. Au menu de ces Weird dreams about death & african choregraphy : un morceau fleuve, deux interludes (chargés d’explosions de petites bulles de sons) et deux titres «normaux». L’une des deux «chansons» est portée sur des guitares énervées, l’autre sur de délicats petits sons, on a ainsi l’éventail des possibilités de NicU. Mais le gros morceau, c’est bien entendu «Keep it dark». Du Nic-U pur jus avec ce qu’il faut de guitare lancinante, de petites sonorités électronisantes et ce chant grave, crépusculaire, lugubre, qui cherche la lumière, Nicolas est même en boucle sur cette idée puisqu’il le répète et le déforme : I’ll find a way to see this light. Entêtant, inquiétant, diversifié mais toujours marqué par la patte de son géniteur, ce nouvel EP ne surprendra pas les amateurs du groupe et peut servir de porte d’entrée dans cet univers particulier pour les autres. Attention à ceux qui font de l’anglais, le terme exact dans la langue de David Lynch est «choreography». Oli


EN BREF

SINNER SINNERS

BALBEC

TREPONEM PAL

Excuse our french

Two sides to every story

Evil music for evil people

(Cadavra Records)

(Autoproduction)

(Juste une trace)

Trois titres pour en mettre plein la vue, c’est ce qu’ont les Sinner Sinners dans le barillet (et quelques rafales de riffs en sus) pour convaincre de leur efficacité foudroyante. Ce qui explique que l’inaugural «Reckless» attaque les enceintes pied au plancher jusqu’à crever le plafond. Rock outrageusement punky, férocement hargneux et rageur jusqu’au bout des ongles, le duo franco-néerlandais résidant aux USA y va donc l’écume aux lèvres, l’envie d’en découdre débordant sur le parquet que le groupe (le couple est particulièrement bien entouré) ravage à coups de lignes de gratte sévèrement senties. Un rock’n’roll ardent, dopé à l’énergie brute mais surtout exécuté avec la maîtrise de vieux routiers du genre, les Sinner Sinners savent y faire et ont des choses à dire. La preuve avec «A.F.O» à l’étreinte légèrement oldschool que ne desserre jamais cette main d’acier enveloppée de velours qui déglingue l’assistance à coups de mélodies aussi sauvageonnes que décapantes. Alors fatalement, si le cocktail proposé peut se révéler légèrement répétitif sur la longueur d’un album entier, sur un format aussi court que celui présenté, c’est carrément détonnant («Riot»). On valide.

Pour leur 3ème LP, les Parisiens de Balbec ont voulu faire les choses en grand : se frotter au projet ambitieux de sortir un double album de 17 titres. Two sides to every story, dont l’enregistrement et le mixage ont été assurés par Alex Mazarguil (Gentle Republic) et le mastering par Ryan Morey (Arcade Fire), renoue avec ce rock indé 90’s ascendance pop mélodique que l’on a pu découvrir sur leur précèdent opus, Rise and fall of a decade. Si nous validons haut la main le choix du style musical (l’influence, entre autres, des Pixies ou de Sebadoh aidant), les compositions sont une toute autre histoire. Alternant passages tendus, hypnotiques et d’un calme précaire, les titres se retrouvent souvent piégés par un jeu crispant entre deux chants, l’un féminin et l’autre masculin, qui malheureusement les desservent. Et même si on a l’impression que Balbec s’écoute jouer, en témoignent les longueurs de certains titres, la monotonie nous gagne assez vite. Sacrément dommage car avec un seul disque d’une dizaine des meilleurs titres triés pour la plupart sur le deuxième disque, qui reste le plus palpitant à mon sens, cette oeuvre aurait mérité beaucoup plus d’attention.

Surfant sur la vague provoquée en fin d’année dernière avec la sortie de leur Survival sounds, les Treponem Pal nous proposent une relecture dudit opus en 16 remixes, un exercice qu’ils apprécient particulièrement (cf entre autres l’EP «Panorama» à l’époque de Higher). Entre du boulot fait maison (Lofonem Pal, Jipouille de St-Loup leur ingé son, Rasboras Inc. derrière lequel se cache le pro des machines Didier Bréard) et du travail de star (Dr DAS d’Asian Dub Foundation ou Dee Nasty) en passant par des potes qu’on ne présente plus (Punish Yourself VS Sonic Area, Lofofora) ou d’autres moins connus qu’ils soient indus (La Machine, Quetzalcoatl, Bëat In Zën) ou évoluant plutôt dans la sphère électro (Silent Frequencies, Fedayi Pacha, Mimetic), l’album en voit de toutes les couleurs. Et notamment «Riot dance» ou l’éponyme «Survival sounds» disponibles respectivement en 4 et 3 versions. Libre à chacun d’apprécier plus ou moins les remixes selon qu’on soit sensible aux grosses basses ou à la dubstep, personnellement c’est vers les plus rock «Evil is us» (avec le renfort de Reuno), «Blue man blues» ou «Hard on & go» que vont mes préférences.

Ted

Oli

Aurelio

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CONCOURS

>CONCOURS >> SKUNK ANANSIE En plein retour très réussi, les Skunk Anansie ont décidé de tenter une aventure acoustique lors d’un concert à Londres, ça a tellement donné de frissons à tout le monde que le groupe vient de sortir le DVD de ce show exceptionnel : An acoustic Skunk Anansie live in London, mieux encore, la bande de Skin va embarquer début 2014 pour une tournée européenne dans cette configuration plus intimiste et s’arrêtera à Paris le 15 mars pour charmer La Cigale (attention, les places sont déjà en vente !). Pour pouvoir davantage saliver, on t’offre avec leur label Verycords 3 exemplaires du concert londonien... Bonne chance ! http://www.w-fenec.org/concours/index,228.html

>> LODZ Attention ! Le post(rock)-hardcore de Lodz débarque en cette fin d’année sous la forme d’un superbe digipak édité par Klonosphere. Something in us died allie des parties sombres et déchirantes à d’autres plus lumineuses et touchantes. Les Lyonnais font preuve d’une grande maturité sur ce premier effort longue durée et pour éviter que tu ne passes à côté, on attire ton attention sur leurs qualités en t’offrant deux exemplaires de cet album ! Tu peux déjà les écouter gratos sur leur bandcamp ou demander ce cadeau au Père Noël...

Bonne chance ! http://www.w-fenec.org/concours/index,227.html

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BONUS

CON

RENCONTRES IMPROBABLES Alors que l’on a vu des collaborations inimaginables se faire (Chris Corbaland, MetaLou Reed, Bertrand CantAmadou & Mariam, Avril Manson) et que certaines sont annoncées (Mylène FarMuse !), on en a imaginé quelques autres... All Shall Katy Perry Annie CorDillinger Escape Plan BooBaroness Frankie Vincent and the Catholics Sexion d’AsSocial Distorsion Stro Malevolent Creation X-MaKeen’V Karma To Alex Hepburn JeniFear Factory PitBullshit Inc. David GuetTagada Jones Bruno 30 Seconds To Mars Laday GaGallows Matt Houston Swing Engine Miley CyRussian Circles Lana Del Red Fang Lorival Schools Justin BieBérurier Noir TADele Corbier, Still & Nash Julien Clairbourne Ugly Kid Johnny Hallyday General Linkin Park Pearl Jamiroquai

Yves MonTang RadioHEddy Mitchell Michel Sardou Or Die Laurent VoulZZ Top SebaDorothée Linda LeMaybeshewill ChokeBoris Soirée Disco Francis CabReligious Knives Eiffel65daysofstaticX DaliDark Tranquillity Pascal ObisPorcupine Tree Florent PagNickelback Disappears Pol Jack Brigitte Fontaine of Wayne NirvaNana Mouskouri Noir DésireLess Jeanne Mass Hysteria Patricia Caspian Guesh Patty Smith Tina TurNeurosis Gérard LeNorman Jean Les Bratisla Boysetsfire Rotting Christophe Maé André VerchurEntombed

Merci aux cadets qui commentent nos statuts facebook ! Frank Black Goes to Hollywood (merci à Jean-Gauthier pour l’inspiration) Rage against the Zouk Machine (merci Glad Stone Cherry) Anthraxelle Red (merci Netfast Fil) Queens of the Stone et Charden (merci Xavier) Henri Napalm Dès (merci Olivier) AureLionel Richie, Olil’ Wayne Gui de ChamPink, PooLili Allen, Jay Kaypoth, Cacssius, Tedith Piaf

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DANS l’OMBRE > CU

Quel est ton métier ? Créatif multimédia de e-formations.

Franchement, depuis le temps qu’on vous bassine avec l’un des meilleurs labels indé français, il fallait bien que ça arrive : Cu! est sur le grill des questions de ton mag’ préféré. Dire qu’il a fallu dix numéros pour se pencher sur le cas de cet activiste au grand coeur est une insulte à son implication dans le microcosme rock, mais l’erreur est réparé...bonne lecture ! Quelle est ta formation ? L’école de la rue.

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Quelles sont tes activités dans le monde de la musique ? Je m’occupe du label Kicking Records, label que j’ai bâti seul et à mains nues en 2006. Une activité débordante, des choix artistiques risqués, une gestion financière basée sur la théorie des couilles sur la table en ont fait un acteur incontournable de la scène punk-rock nationale (c’est pas dur) voire internationale. Une trentaine d’artistes (des Français mais aussi des Suisses, Hollandais, Espagnols, caincains du nord, Aussies...) et le double de références balaient un spectre de la pop acoustique à la noise en passant par l’action rock et bien sûr le punk-rock. Le label a enfanté une maison d’édition indépendante, Kicking Books, qui compte à son actif une demi-douzaine de titres ancrés dans la culture rock, du polar au traité de sociologie en passant par l’autobiographie. Puis est arrivée la marque de skate Kicking Skateboards, bien sûr, proposant une dizaine de séries ultra limitées de planches designées aux couleurs de groupes punk-rock. La petite dernière de la famille, qui souffle sa première bougie ce mois-ci, est la Kicking Radio, regroupant ce qui se fait de mieux en podcasts et émissions françaises traitant de culture bis en générale, de musique bien sûr mais aussi de littérature, cinéma d’horreur, skateboard, roller-derby dans des formats divers et variés allant du talk show à la mixtape. J’y anime une nouvelle émission depuis la rentrée, «Goldies from the grave», dont le principe est de ressortir un skeud de ma collection pour partir sur


Comment es-tu entré dans le monde du rock ? Peut-être que la première sensation a été le «Black Betty» de Ram Jam qui passait dans le juke-box d’une auberge où mes remps avaient l’habitude de se saouler. Il y a eu aussi la face B du 45t de The Police «Message in a bottle». Le titre en était «Landlord» : hyper speed avec un riff d’intro hyper aigu. Je l’écoutais sur la platine de mes grandes sœurs tout à taquet quand j’étais seul dans la baraque alors que j’étais gosse. Puis il y a eu ce titre de Killing Joke, «Love like blood» qui passait à la radio et me faisait voyager en secret dans mon lit au moment de m’endormir. Un truc terrible, tragique, noir. Alors je me suis intéressé de près à la radio, et suis tombé sur une émission émise depuis la Fac, «Bunker Party», qui m’a fait découvrir la scène punk et hardcore européenne et américaine, d’Oberkampf à Raw Power, de Jingo De Lunch à Naked Raygun... j’avais trouvé le son qui me convenait. Grosse révélation, le truc de ma life. Dès que j’ai eu la connaissance de la scène hardcore, je me suis rendu disponible pour participer, faire ce qu’il fallait pour que ça fonctionne dans ma ville, prêter main-forte aux activistes. Souvent, il ne tient qu’à une personne qu’il se passe quelque chose quelque part. L’énergie que déploie cette personne trouve écho chez d’autres et hop, les choses peuvent commencer à bouger. J’ai commencé tout connement à coller les affiches de concert, à assurer la sécu à l’entrée, à participer aux émissions de radio, puis en bougeant, à programmer moi-même des concerts, à tourner avec des groupes, à chanter, à jouer, et maintenant à faire des disques pour d’autres.

IL Y A 10 ANS

Ca rapporte ? Ca doit sûrement rapporter à quelqu’un, mais je cherche encore à qui.

Une anecdote sympa à nous raconter ? Hellfest 2012. Je tiens mon stand, peinard, en tapant la discute avec un fanzineux. Une jeune fille arrive, demande à déposer des flyers pour une boîte de comm’ sur le stand. Les flyers sont horribles. Le téléphone de mon pote sonne, il me dit que c’est pour moi, le Comité Du Bon Goût au bout du fil. Je mime une conversation avec un présumé agent dudit comité, dans laquelle il m’apprend avoir repéré des flyers très moches sur plusieurs stands du market, et qu’il veut convoquer au QG de la sécurité du festival la personne qui est en train de les distribuer. La meuf a paniqué, vraiment. Tellement qu’on a été obligé de lui dire que c’était pour le fun, avant qu’elle ne fonde en larmes. Le mec en question, c’était toi. T’es un salaud Gui de Champi, tu fais pleurer les filles.

INTERVIEW

la route à la rencontre du groupe, encore en activité ou pas, qui l’a enregistré, et de réveiller avec lui le volcan des souvenirs liés à cette expérience. Sont pour l’instant concernés Hellbats, Uncommonmenfrommars, Original Disease, Les Sheriff, The Black Zombie Procession, OTH et d’autres suivent.

Ton coup de cœur musical du moment ? Hey! Hello!, sur les conseils de Jeremie des Flying Donuts. Tu en parles mieux que moi. Es-tu accro au web ? Non, bien au contraire. J’en ai plein le dos d’être devant un ordi pour faire ce que j’ai à faire. Le web est un outil incontournable, mais je n’ai pas fait le label pour être scotché à un écran. Donc non, je ne suis pas accro au web, je suis même dans une logique de réduction du temps passé dessus. Une réduction du temps de travail finalement bien amenée... A part le rock, tu as d’autres passions ? Youporn. Mais c’est pas raccord avec la réponse précédente. Alors je me rabats sur la course à pied. Tu t’imagines dans 15 ans ? Attends un peu. Il y a 15 ans, en 1998, je n’avais aucune idée des événements qui allaient bouleverser ma vie juste quelques mois après. Alors dans 15 ans, j’espère qu’il s’en sera passé autant, et surtout, que Kicking sera loin et que je serai passé à autre chose. Changer d’activité, de microcosme, me permet de me régénérer. Dans 15 ans, j’en aurai toujours 12. Gui de Champi

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IL Y A 10 ANS

Freedom For King Kong Marche ou rêve (Goril’ Musik Production)

vingt ans, et on ne pensait pas retrouver ces sensations pour une musique totalement folle, une musique fusionnelle.

Octobre 2006, la nouvelle tombe, les Freedom For King Kong remballeront le matos à la fin de la tournée après un dernier baroud d’honneur (en mai 2007). Ca fait tout drôle car la fusion des gorilles nous anime l’esprit depuis un petit bout de temps et l’album sorti à l’automne 2003 avait marqué la musique alternative made in France... Les rois de la fusion dans ce monde animal de la musique étaient alors de retour, n’ayant rien perdu de leur dynamisme, de leur sens de la composition richement bien faite, et surtout de leur liberté. La liberté d’un King Kong aux textes toujours plus réels et encore mieux écrits. La liberté de jouer une musique hors norme, une hors normalité revendiquée par une tribu de musiciens qui ouvrent encore plus leur chant deux (et même plus) visions : ragga ultra hardcore, métal hybride, hip hop cabaret, boucles techno de plus en plus soutenues, guitares tranchantes, rythmique atomique. Voilà, tout est dit concernant l’excellent Marche ou rêve. Classe. Une galette impeccable de la part d’un groupe qui ne l’est pas moins. Que d’excitation à l’écoute de morceaux comme «Marche ou rêve» ou «Sodocratie». Exultations comme à la grande époque où on découvrait le sens de du terme fusion avec Urban Dance Squad, Senser, et Lofofora et Spicybox dans notre bel hexagone. C’était il y a presque

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Marche ou crève ou le retour d’un des rares groupes qu’il faut aussi bien écouter en disque que voir en concert. Sur disque, car c’est bien ce qui nous interesse ici, c’est la foire au son, une palette d’ambiances, un florilège de morceaux tous aussi ultimes les uns que les autres. Ultimes au niveau des textes comme pour la musique, car Freedom For King Kong ne cherche pas seulement à aligner quatre instruments pour faire onze chansons, non, Freedom, c’est bien plus que ça : des musiciens totalement libérés aux esprits plus qu’ouverts, une sorte de fusée qui s’en irait explorer la voie lactée de la musique, une sorte de route 66 rock fusion sans fin. Une recherche du son intrigant, une volonté d’explorer de nouveaux univers musicaux, sans cesse à la recherche de la nouvelle... note. Alors tout ça, ça donne onze objets d’art (le terme de morceau est en fait trop réducteur), les onzes merveilles du monde du rock en france made in bretagne cuvée 2003. Freedom For King Kong a flirté avec l’irréel avec Primate diplomate, Freedom For King Kong a franchi les limites du pensable avec ce monument fusion de ce XXième siècle. Marche ou rève, production (d)étonnante n’était finalement pas qu’un disque pas comme les autres car ils sont rares ceux dont on parle encore 10 ans après... Gui de Champi (remixé par Oli)


>NEXT : Cult of Luna / Red Fang Rebel Assholes / Mascarade Cooper / Atoms for Peace And So I Watch You From Afar Poliรงa / Celeste / Magoa Vista Chino / Kaolin Apocalyptica / Lodz... 79



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