Leçon 15 Un long siècle d'éveil politique 1780-1914

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Manuel d’histoire de la Wallonie Chapitre 15

Un long siècle d’éveil politique 1780-1914 Synthèse

Décembre 2013 Manuel d’histoire de la Wallonie. Chapitre 15. Synthèse Pôle Recherche

30 - XI - 2013

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On a coutume d’identifier trois longues révolutions pour la période s’étendant de la fin du XVIII e siècle au début du XXe siècle : les révolutions démographiques, agricoles et industrielles s’entremêlent et se nourrissent mutuellement, tout en entraînant dans leur sillage des transformations tout aussi fondamentales en matière sociale et politique. Premier territoire du continent à connaître la (ou les) révolution(s) industrielle(s), le pays wallon est également emporté dans un étonnant tourbillon politico institutionnel marqué par des temps forts, entre 1780 et 1914, entre le moment où l’empereur Joseph II tente de réorganiser ses territoires dits des Pays-Bas autrichiens et celui où l’empereur Guillaume II lance une meurtrière offensive à l’ouest pour se réapproprier jusqu’à la Manche des terres qui ont conquis de haute lutte leur indépendance et leur autonomie. Entre Ancien Régime et Première Guerre mondiale (doc. 15), ce chapitre se consacre à l’éveil politique du territoire wallon, dont l’organisation institutionnelle sous l’Ancien Régime a déjà été abordée au chapitre 06.

15.00. Statuts des territoires étudiés à la fin du XVIIIe siècle Résultat d’un millénaire de rivalités et de guerre, le pays wallon (doc. 15.00.) est composé, au début des années 1780, de trois grands ensembles qui dépassent les limites de la Wallonie actuelle : les Pays-Bas autrichiens, la principauté de Liège et le duché de Bouillon. Depuis le Traité d’Utrecht (1713), la frontière méridionale des composantes du pays wallon, en d’autres termes la limite avec la France, est quasiment identique à la frontière actuelle, sur toute sa longueur, hormis quelques enclaves. Bien qu’ils fassent partie du Saint-Empire de la Nation germanique et que leurs frontières soient fortement imbriquées, la principauté de Liège et les Pays-Bas sont plutôt rivales que partenaires et n’appartiennent d’ailleurs pas au même cercle impérial, c’est-à-dire à ces regroupement d’États de l’empire réalisés dans le but d’assurer une défense commune, de prélever les taxes impériales et de les soumettre aux mêmes lois et tribunaux. Depuis 1512, la principauté dépend du Cercle de Westphalie ; les seconds du Cercle de Bourgogne. Par ailleurs, au sein des Pays-Bas, depuis 1477 et le Grand Privilège concédé par Marie de Bourgogne, chaque « province » dispose de ses propres privilèges, chartes et juridictions que le nouveau souverain s’engage à respecter (Joyeuse Entrée). Suite à la sécession des Provinces-Unies et aux guerres de Louis XIV et de successions, les États-Généraux des Pays-Bas finissent par ne plus compter que des délégués de 10 « provinces » au début du XVIIIe siècle, toutes dotées de leurs propres États : Brabant, Flandre, Hainaut, Namur, Tournai, Tournésis (ou Tournaisis), Luxembourg, Malines et, depuis 1713, les communes de West-Flandre qui, restituées par la France aux Provinces-Unies, sont intégrées dans les Pays-Bas autrichiens sous la forme d’une province, tandis que la Gueldre n’y est plus que pour moitié, l’autre moitié (avec la ville de Gueldre) ayant été acquise par la Prusse. Aux Pays-Bas (via le gouverneur général) comme en principauté de Liège (via le prince-évêque), la tendance lourde du XVIII e siècle est cependant à la centralisation du pouvoir et à l’affaiblissement des « libertés », plus précisément des privilèges de tous ceux qui restent les sujets du prince. Les résistances aux forces centrifuges restent fortes et diverses émanant des bourgeois, des métiers, d’ecclésiastiques, de gens du peuple ou de petits seigneurs. Ainsi en est-il du duché de Bouillon qui s’est émancipé de la principauté de Liège grâce au soutien de la France. Depuis 1676, moment où Louis XIV s’en empare et le confie à la maison d’Auvergne (1678), le duché de Bouillon est un petit état indépendant qui continue cependant de relever juridiquement de l’empire germanique.

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15.01. Révolte conservatrice en Brabant et Hainaut : succès de la « petite révolution » (1787) Successeur de Marie-Thérèse à partir de 1780, l’empereur d’Autriche Joseph II entreprend de moderniser ses possessions situées entre le Rhin et la Mer du Nord. En despote éclairé, il entend imposer des mesures rationnelles, « pour le plus grand bien du plus grand nombre », mais sans se soucier des préoccupations de chacun. Ses réformes mêlent esprit de tolérance et anticléricalisme. Parmi la soixantaine de mesures qu’il tente d’imposer on trouve l’Édit de Tolérance à l’égard des protestants et des juifs (12 novembre 1781), mais aussi la suppression de 163 couvents contemplatifs (17 mars 1783), la suppression de la torture en matière de justice qu’il veut plus « transparente » et équitable (1784), l’instauration du mariage civil (28 septembre 1784), la liberté du commerce des grains (1786), l’établissement du Séminaire général à Louvain et d’une succursale à Luxembourg (16 octobre 1786). S’il cherche à soumettre davantage le pouvoir de l’Église à celui de l’État, il veut surtout s’attaquer aux abus commis par le clergé séculier, lutter contre la pauvreté, réformer le nombre des paroisses et moderniser l’enseignement. Cette remise en cause du monopole de l’Église a déjà soulevé le vent de la protestation, surtout sensible dans le diocèse de Namur. La tempête s’annonce quand l’empereur dit son intention de réformer les structures politico-administratives (1er janvier 1787) (doc. 15.01.01). Lors de son séjour dans les Pays-Bas en 1781, il a constaté de visu la lenteur, la paresse, l’arbitraire, la complexité et l’inefficacité des services et des agents. D’un trait de plume précédé d’une longue réflexion, Joseph II entend créer neuf cercles dirigés chacun par un intendant et 64 districts confiés à un commissaire de l’intendance. Les anciens États provinciaux disparaissent. Supprimant aussi les trois Conseils collatéraux et la Secrétairerie d’État établis à Bruxelles, il les remplace par un « Conseil général du gouvernement des Pays-Bas » présidé par le ministre plénipotentiaire. Chaque cercle est désigné par le nom de son chef-lieu : Anvers, Bruges, Bruxelles, Gand, Limbourg (la cité près de la Vesdre), Luxembourg, Mons, Namur et Tournai. Tout l’appareil judiciaire et financier connaît un changement aussi radical (avril 1787), avec notamment la suppression de toutes les anciennes cours de Justice, l’abolition de la torture, l’introduction de plus d’égalité. En dépit des avantages indéniables en termes d’efficacité, voire de gouvernance, les réformes de l’éclairé Joseph II suscitent une hostilité et une agitation telles (doc. 15.01.02 et 15.01.03) que l’Empereur est contraint d’y renoncer dès l’été 1787 : il le fait savoir par ses gouverneurs généraux Marie-Christine et Albert-Casimir. Quelques rares villes (comme Charleroi, appartenant alors au comté de Namur) font exception au concert des protestations. Partout ailleurs, principalement dans le Brabant, les classes dominantes (haut clergé, noblesse, hauts fonctionnaires) sont les principaux agitateurs. Pour des motivations différentes, les États de Brabant et de Hainaut jouent également un rôle majeur en ne publiant pas les lois impériales et en refusant (du moins les États de Brabant) de voter l’impôt. Les États de Hainaut accusent l’empereur de violer les « constitutions » des provinces qu’il avait juré de respecter lors de son inauguration. Les Pays-Bas autrichiens connaissent alors leur « petite révolution » déjà fortement marquée de conservatisme. Le succès des classes privilégiées donne des idées à la population qui s’agite de plus en plus, souffrant de la pénurie et de la cherté des biens de première nécessité.

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15.02. Liège : une Révolution sur le modèle de la Bastille (1789) Le règne du prince-évêque François Charles de Velbrück (1772-1784) avait permis à l’esprit des Lumières de souffler sur le pays de Liège, au commerce et à l’industrie de se développer et à la culture et à l’éducation de se répandre. Déjà perceptible dès les années 1750 auprès de certains nobles et bourgeois liégeois, ce vent de libertés ouvert de telles perspectives nouvelles que l’attitude du successeur de Velbrück ne pouvait créer que des déceptions. À l’opposé de son prédécesseur, César-Constantin-François de Hoensbroeck s’empresse de faire opposition aux idées nouvelles et de renforcer les privilèges du clergé et de la noblesse, brimant les aspirations libérales des forces vives de la société. La publication par Pierre Lebrun, à Liège d’abord en 1755, puis à Herve à partir de 1756, du Journal général de l’Europe, ainsi qu’une série de libelles signés par des démocrates emmenés notamment par Jean-Nicolas Bassenge (doc. 15.02.01), voire Léonard Defrance, vont alimenter la cause des mécontents ; parmi les meneurs, outre Bassenge, on trouve Fabry, Henkart, Chestret, ainsi que des Hutois, des Verviétois et des Franchimontois. Dans la deuxième moitié des années 1780, le moindre prétexte est utilisé pour dénoncer Hoensbroeck, prince-évêque considéré davantage comme le représentant de l’Église que celui du temporel. L’affaire des jeux de Spa avive les esprits. Cherchant du côté de la Prusse un allié pour contester les restrictions du prince, abolir le Règlement de 1684 (dispositions favorisant l’absolutisme du prince au détriment des libertés arrachées antérieurement par le peuple) et « délivrer leur pays du joug des prêtres », Fabry et les siens trouvent dans la Prise de la Bastille, le 14 juillet 1789 à Paris, l’occasion de faire leur propre révolution. Dès le 18 août 1789, ce sont l’hôtel de ville et la citadelle de Liège qui sont prises. En quelques heures, la montée de fièvre sur les bords de Meuse porte ses fruits : par acclamation, la foule se choisit ses nouveaux bourgmestres (Fabry et Chestret) et contraint le prince-évêque à résilier le Règlement de 1684. Hoensbroeck est contraint aussi d’approuver la composition du nouveau conseil communal. Quand il s’enfuit à Trêves où il réclame l’aide de l’empire et du Cercle de Westphalie, il paralyse les institutions. En effet, l’insurrection liégeoise du 18 août n’a pas brisé les institutions de l’Ancien Régime ; ce sont les bourgeois mutins qui assument désormais la responsabilité des décisions publiques. Se référant à la Paix de Fexhe, aux traditions et libertés ancestrales, les leaders démocrates liégeois de la révolte ont constamment la défense des droits de l’homme à la bouche, mais ils les limitent encore à ce moment à la seule bourgeoisie. Dans le marquisat de Franchimont, convoqué par le bourgmestre de Theux, Laurent-François Dethier, un Congrès s’ouvre à Polleur le 26 août 1789. D’emblée, les participants beaucoup plus radicaux que leurs homologues liégeois décident de rédiger un texte s’inspirant des exemples américain et surtout français. Le 16 septembre, les « Franchimontois » réunis en Congrès adoptent le texte d’une « Déclaration des droits de l’homme et du citoyen » (doc. 15.02.02), aussi révolutionnaire que la déclaration française. Malgré les appels des « Franchimontois » et la volonté de l’État Tiers liégeois, aucune majorité ne se dégagera auprès des deux autres États de Liège en faveur d’une telle déclaration des droits l’homme et du citoyen. Quant à la « bonne ville » de Thuin, elle vit aussi à l’heure de la révolution : entre le 28 et le 31 août, les Thudiniens durement frappés par la crise alimentaire et du textile manifestent fortement leur hostilité au « parti des abbayes ». Les riches domaines d’Aulne et de Lobbes sont attaqués. Le 31 août, comme à Liège, une nouvelle municipalité est mise en place, comprenant des représentants du parti démocrate. Si la journée du 18 août liégeois s’est déroulée sans effusion de sang, « l’heureuse révolution » allait cependant connaître des lendemains plus difficiles. Attendant des changements rapides, le peuple s’impatiente. Mieux, il vient secouer l’hôtel de ville à plusieurs reprises, dont surtout les 6, 7 et 8 octobre. C’est surtout à ce moment que l’Ancien Régime tremble sur ses bases. Depuis 1743, par testament, Georges-Louis de Berghes a institué les pauvres de la cité pour héritiers ; son patrimoine a été réparti entre les paroisses et les hospices qui s’occupent régulièrement de la répartition. En ces

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moments difficiles, le peuple demande des comptes et entend profiter immédiatement de « son » argent. Après avoir assiégé la paroisse Saint-Martin (6 octobre), la foule s’en prend à l’hôtel de ville, les 7 et 8 octobre. Pour calmer l’émeute, le partage des biens est décidé. Ce n’est qu’à grand peine que les faubourgs sont désarmés et l’ordre bourgeois rétabli. Cette tension entre défenseurs des intérêts bourgeois et partisans radicaux de l’égalité restera omniprésente dans les événements à venir.

15.03. Proclamation de l’indépendance des États de Hainaut, des États de Namur, des États du Tournaisis (décembre 1789) Dans les Pays-Bas, le vent de rébellion ne se calme pas malgré le recul des réformes de l’empereur. En 1788, le centre de l’agitation se situe principalement en Brabant, autour de l’Université de Louvain, à Malines et à Anvers. Les milieux catholiques (haut-clergé et grandes abbayes) incitent à la révolte. Mais le 18 novembre 1788, ce sont les États de Hainaut qui envoient un signal fort en rejetant les subsides demandés par Vienne ; dix jours plus tard, les États de Brabant les imitent. En guise de rétorsion, l’empereur fait savoir, dès le 7 janvier 1789, qu’il n’est plus lié aux privilèges, coutumes et autres chartes de ces deux États. La situation s’envenime entre les États et l’empereur qui, le 20 (ou 18) juin 1789, décide la suppression du Conseil et des États de Brabant et de Hainaut, et annule la Joyeuse Entrée. Parallèlement, la mobilisation autour de deux avocats bruxellois, Henri van der Noot d’une part, et Jean-François Vonck d’autre part, leur réunion à Bréda, ainsi que le Manifeste du peuple brabançon (24 octobre) avec son appel à la Flandre et à la West-Flandre pour rejoindre l’insurrection concernent surtout Bruxelles et le pays flamand (juillet-novembre 1789). Venus du pays wallon, des volontaires prennent les armes et rejoignent l’armée patriotique, mais certains – comme le « lieutenant-colonel liégeois Jean-Pierre Ransonnet – font demi-tour en constatant que les meneurs « brabançons » ne partagent aucune idée progressiste et démocratique. L’essentiel des combats se déroule en pays flamand, où l’armée impériale concentre ses troupes, quittant par conséquent les garnisons des villes wallonnes. Comme l’observent Cl. Bruneel et Maurice-A. Arnould, l’adhésion est loin d’être totale à la révolution bruxelloise : le Brabant wallon, le Borinage, le Limbourg, le pays de Charleroi comme celui de Tournai « manifestent une certaine tiédeur », étant – pour la plupart – davantage en phase avec la tournure des événements qui se déroulent en France ou en principauté de Liège. Face aux événements, Joseph II rétablit les États de Brabant et de Hainaut (fin novembre 1789). Il est cependant trop tard : les États de Brabant et d’Anvers ont signé un traité d’union pour créer une assemblée souveraine (30 novembre) ; Malines déclare l’empereur déchu de sa souveraineté (15 décembre) ; quant aux États de Hainaut, ils proclament leur indépendance (21 décembre) (doc. 15.03.01), retrouvant ainsi leur souveraineté, bientôt imités par les États de Namur (22 décembre) (doc. 15.03.02) et par ceux de Tournai puis de Tournaisis (26 décembre) (doc. 15.03.03) ; le Limbourg/Outremeuse fait de même le 9 mars 1790 ; les trois États de Brabant s’attribuent la souveraineté du duché le 31 décembre. Dans le duché de Luxembourg où, il est vrai, s’est repliée l’armée impériale, on n’assiste à aucune manifestation particulière contre Vienne, si ce n’est une faible participation au recrutement dans l’armée impériale et une rébellion sur les terres de Saint-Hubert et de Marche qui est promptement matée. À côté de cette « révolution conservatrice », se déroule une autre révolte, plus populaire celle-là, qui ne parviendra cependant pas à s’imposer dans les Pays-Bas. Ainsi, par exemple, s’est créé à Gosselies un Comité patriotique (décembre 1789) qui va étendre son « autorité » à une quinzaine de localités importantes du pays de Charleroi. Dès mars 1790, ce mouvement démocratique est phagocyté par les tenants de l’Ancien Régime, même si, sur les (ex)terres liégeoises, Châtelet et Thuin tentent toujours de relayer les idées des Lumières.

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15.04. Proclamation des États-Belgiques-Unis (janvier 1790) Joseph II a ravivé le souvenir nostalgique des États généraux libres et autonomes. À partir du 7 janvier 1790, sur convocation des États de Brabant, les députés des différentes provinces qui ont proclamé leur indépendance par rapport à l’empereur d’Autriche se réunissent à Bruxelles à la manière des États généraux. Seul le Luxembourg toujours occupé militairement est absent. Malgré les fortes divergences qui séparent « conservateurs » et « progressistes », un Acte d’union est adopté par les députés des neuf États de West-Flandre, de Flandre, de Brabant, de Malines, de Gueldre, de Tournai, du Tournésis (ou Tournaisis), de Hainaut et de Namur (11 janvier 1790) (doc. 15.04.01). Il ne s’agit pas d’une profonde révolution institutionnelle, mais plutôt de la persistance d’une confédération de provinces débarrassées toutefois d’une autorité supérieure. Même s’il s’inspire de l’acte d’union des 13 ex-colonies anglaises ayant donné naissance aux États-Unis (12 juillet 1776), il ne s’agit pas non plus d’une révolution politique car les grands gagnants sont les milieux conservateurs et traditionnalistes, le haut -clergé antijoséphiste, les grandes abbayes, la noblesse terrienne et les corporations urbaines, en d’autres termes les forces de l’immobilisme (doc. 15.04.02). Rapidement, les Vonckistes sont écartés et l’on étouffe la voix des États du Hainaut qui réclament une « Assemblée nationale » sur le modèle français, une désignation de la représentation par la nation. Soutenue un bref moment par la Prusse, l’Angleterre et les Provinces-Unies qui voient un intérêt à affaiblir l’Autriche, la fédération dominée par les ultra-conservateurs brabançons doit faire face à des soulèvements populaires et à des contre-révolutions démocratiques (Charleroi, Chimay, Namur, etc.), à des mouvements paysans pro-autrichiens et antiseigneuriaux (Hainaut occidental), et au retour des antagonismes commerciaux entre villes que le régime autrichien avait apaisés. Fixant un ultimatum au 21 novembre tout en offrant un Pardon général, l’empereur Léopold II (frère et successeur de Joseph II) a pris le temps de rétablir les effectifs de l’armée autrichienne à partir de sa forteresse de Luxembourg : en une dizaine de jours, les Pays-Bas redeviennent autrichiens (7 décembre).

15.05. L’Assemblée de Paliseul Quant au duché de Bouillon, petit Monaco du nord ayant accueilli des encyclopédistes en fuite (XVIIIe siècle), il observe avec attention les événements de l’été 1789, mais ce n’est qu’en mars 1790 que les Bouillonnais réunis à Paliseul, à l’initiative de François Pirson, décident de former une « Assemblée générale » sur le modèle de l’Assemblée nationale française. Avec ses 55 députés issus de toutes les communes du duché de Bouillon, l’Assemblée devient permanente et rectifie la « Constitution » du pays. Celle-ci commence en affirmant que « Tous les pouvoirs émanent essentiellement de la Nation ».

15.06. Restauration autrichienne et réfugiés Au nom du Cercle de Westphalie, la Prusse poste calmement 5.000 hommes de troupes dans la principauté dès 1789, sans intervenir. Des élections ont lieu dans la cité de Liège (juillet 1790) et le soutien de la France est vivement sollicité. Quand le Cercle de Westphalie fait mine de rétablir l ’ordre en principauté, des troupes de volontaires prennent le dessus sur les armées de métier (Hasselt 27 mai, Genk 9 août, Visé 9 décembre). Ce sont finalement les troupes autrichiennes qui imposent la restauration de l’Ancien Régime et le retour du prince-évêque (12 janvier 1791).

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Conclu entre l’empereur d’Autriche, les rois de Prusse et d’Angleterre et les États généraux des Provinces-Unies, le traité de La Haye (10 décembre 1790) rétablit le statu quo ante, concède une amnistie générale et consacre le rejet définitif des réformes de Joseph II. Toutes les anciennes institutions sont rétablies, y compris la forme de gouvernement autrichien à Bruxelles. Alors que les idées révolutionnaires se répandent au-delà des frontières françaises, les campagnes et les petites villes du pays wallon déplorent que « le point de restauration » se situe avant les réformes de Joseph II. Resté jusque-là à l’écart, le duché de Luxembourg s’éveille aux idées nouvelles. Sur l’exemple de Bouillon et de Paris, la partie occidentale du duché se met au diapason des idées vonckistes, mais en puisant son inspiration du côté de Bouillon et de Paris. 22 communes rurales rédigent un cahier de doléances (novembre 1791). Mais globalement on constate que Liège reste résolu à renverser l’Ancien régime, tandis que le Brabant refuse catégoriquement toute réforme. Entre ces deux positions radicales, Hainaut et Namur paraissent disposés à accepter l’abolition des privilèges politiques, mais n’entendent pas se passer des privilèges économiques et sociaux. Beaucoup de Liégeois et de « Brabançons » se réfugient à l’étranger, les uns à Bréda (conservateurs brabançons), les autres à Lille (démocrates brabançons), d’autres encore (Liégeois) à Bouillon ; mais les patriotes exilés restent divisés. Néanmoins, à l’initiative d’un lieutenant de Vonck, un rapprochement se réalise entre démocrates « brabançons » et « liégeois », si bien que le 20 janvier 1792 se constitue à Paris un « Comité général des Belges et Liégeois unis ». En avril, Pierre Lebrun rédige le Manifeste des Belges et Liégeois unis qui définit le cadre institutionnel de la future république belgo-liégeoise (doc. 15.06). En poste aux Affaires étrangères, le français Charles-François Dumouriez apporte son soutien à ce projet et, dès la déclaration de guerre de la France aux puissances coalisées contre elle (20 avril 1792), il investit des fonds secrets pour recruter deux légions, l’une belge, l’autre liégeoise. L’Assemblée législative française votera elle aussi des crédits durant l’été 1792. Le Comité reçoit un soutien plus important encore lorsque Pierre Lebrun devient ministre des Affaires étrangères et que le commandement de l’Armée du Nord est confiée à Dumouriez.

15.07. Après Valmy et Jemappes, appel à l’autodétermination de Dumouriez (8 novembre 1792) Pendant de longs mois, les révolutionnaires français débattent à l’Assemblée de l’opportunité de faire la guerre aux ennemis de l’extérieur. Finalement, la décision est prise le 20 avril 1792 d’affronter l’Autriche. Les débuts sont catastrophiques. Non préparées et mal organisées, les troupes révolutionnaires vont de défaite (Quiévrain) en défaite (Marquain) quand, le 20 septembre 1792, le jour même de l’ouverture de la Convention et de la proclamation de la République, elles remportent leur premier succès, face aux Prussiens, lors de la bataille de Valmy. Si cette victoire a pu relever en partie du hasard, elle s’avère décisive pour le moral des troupes françaises qui confirment leur supériorité réelle sur les troupes autrichiennes : à Jemappes, le 6 novembre 1792, le général Dumouriez apporte à la jeune République un succès probant face à une des plus puissantes armées d’Europe, dirigée par le duc de Saxe-Teschen. Le 12 novembre, le général J-B. Valence, adjoint de Dumouriez, entre dans Charleroi : « L’arbre de la liberté est planté dans cette ville et dans presque tout le pays d’Entre-Sambre-etMeuse » ; le 13 novembre, est élue l’Administration provisoire de la ville libre de Char-sur-Sambre, nouveau nom de Charleroi (en janvier, elle deviendra Charles-sur-Sambre). Le 28 novembre, l’Armée d’Ardennes entre à Liège, précédée d’un détachement de la « Légion liégeoise ». Le 2 décembre, la citadelle de Namur est prise. Reste à organiser le pays libéré.

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Quand le Comité des Belges et Liégeois réunis tente de créer un gouvernement provisoire, il se heurte d’emblée à l’opposition de Dumouriez qui prône l’élection rapide d’une Assemblée nationale. Par sa Proclamation au Peuple belge (doc. 15.07.01), le général français est résolu à créer une république belge indépendante, amalgamant la principauté liégeoise et les anciennes terres des Habsbourg, disposant d’une Constitution, et fondée sur des principes neufs de liberté. Il tient surtout à ce que le pays libéré exerce son droit à l’autodétermination, à l’indépendance et à la souveraineté populaire. Prononcée à Mons dès le 8 novembre et entendue par les « nouvelles autorités locales », publiée à Namur le 21 novembre, cette proclamation est encore et notamment défendue à Liège, le 30 novembre, par Dumouriez devant les membres de la Société des Jacobins (doc. 15.07.02). Dans les faits, Dumouriez ordonne et favorise des élections « libres » destinées à nommer les membres d’une Convention nationale, qui se tiendrait à Alost, et où serait décidée la création de la république belgique. Fidèle aux principes du Manifeste des Belges et Liégeois unis, le général français fait naître une grande espérance, mais il ne faut pas se méprendre. L’accueil favorable réservé aux armées françaises est la résultante de deux attitudes différentes : d’une part, il existe un courant – encore minoritaire – qui se réjouit de voir déferler les idées de la Liberté et de l’Égalité, mais il y existe surtout un autre courant désireux de se débarrasser des Autrichiens pour en revenir aux Libertés, dont le pluriel est synonyme de privilèges anciens. Dès lors, quand les libérateurs encouragent la mise sur pied rapide d’assemblées communales et provinciales, soit élues soit proclamées, on y retrouve en de nombreux endroits des tenants de l’Ancien Régime. L’appel de Dumouriez à l’autodétermination des peuples libérés a comme conséquence de voir les partisans de l’ancien régime s’affronter aux tenants d’un régime nouveau, créant des situations totalement différentes d’un endroit à l’autre. Ainsi, Mons accueille-t-elle dès le 8 novembre son Assemblée générale (doc. 15.07.03), mais elle va rapidement entrer en conflit avec une Assemblée des représentants du peuple souverain du Hainaut Belgique, calquée sur le modèle des anciens États de Hainaut. Du côté de Liège, après avoir décidé, le 7 décembre, que le territoire « de la nation liégeoise » sera divisé en 12 districts où sera élu un certain nombre de délégués, tous les habitants de plus de 18 ans sont invités à élire leurs 120 députés. Le scrutin se déroule les 14 et 20 décembre 1792. Il s’agit des toutes premières élections libres en pays wallon. Un processus similaire va se dérouler à Mons en décembre 1792. À ce désordre propre aux seuls habitants du territoire concerné va s’ajouter une profonde discordance entre les intentions de Dumouriez et les directives venant de Paris : le 15 décembre 1792, la Convention vote en effet un important décret.

15.08. Plébiscites en faveur du rattachement à la France À Paris, en effet, suite aux résultats positifs des armées républicaines, la Convention girondine est en train de changer de doctrine. À l’idée de guerre de libération se substitue la notion d’annexion, comme le laisse entendre le décret du 15 décembre 1792 (doc. 15.08.01). En mettant en place un pouvoir résolument révolutionnaire, la Convention entend en finir définitivement avec l’Ancien Régime, ses institutions, les différents impôts et droits féodaux, ainsi qu’avec les ordres religieux comme les corporations laïques. Cette politique qui vise à intégrer les terres conquises entre en totale contradiction avec les intentions de Dumouriez, qui va être suspecté de mener une politique personnelle. Le projet de République Belgique indépendante est enterré. De surcroît, un certain nombre d’assemblées provisoires – dominées par les conservateurs – se sentent visées par le décret du 15 décembre et protestent vivement contre la décision de Paris (c’est le cas de Tournai, du Tournaisis, de l’Assemblée provisoire du Hainaut et de

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celle du pays de Namur). Au contraire, les villes de Mons, Charles-sur-Sambre et Liège s’en réjouissent. S’y constituent d’ailleurs des Sociétés des Amis de la Liberté et de l’Égalité. Mieux, dès le 23 décembre 1792, le marquisat de Franchimont réclame sa réunion à la France, après avoir proclamé la déchéance du prince-évêque et exigé un retrait définitif de l’empire germanique. S’inscrivant résolument dans la ligne politique de la Convention girondine, les députés de Franchimont qui viennent d ’être élus librement confirment, dès le 7 janvier 1793, le vœu d’annexion. Ils anticipent sur les événements et les provoquent. Sept Commissaires et trente « Commissaires nationaux » sont envoyés de Paris pour exécuter systématiquement le décret du 15 décembre 1792. S’appuyant sur une forte propagande révolutionnaire – de langue française et hostile à l’Église – qui soulève l’opposition des campagnes, surtout flamandes, ces « Commissaires » sont chargés de faire circuler les assignats, de supprimer les assemblées conservatrices, d’en faire élire de nouvelles favorables aux idées de Paris et de porter leur attention sur l’organisation de plébiscites en faveur de la réunion à la France (doc. 15.08.02). À la mi-janvier 1793, Tournai et Namur élisent une nouvelle assemblée provinciale, mais cette dernière transfère à Charleroi le lieu des réunions, les délégués namurois de l’ancienne Assemblée provisoire rejetant le décret du 15 décembre. De son bref séjour en pays de Liège et de Namur où il avait été désigné Commissaire de la République, Danton rentre à Paris convaincu de la nécessité d’accélérer le processus d’annexion et de permet tre à la France de s’épanouir dans l’espace de ses frontières naturelles. Lors du discours qu’il prononce à la Convention (31 janvier), une dizaine de jours après la décapitation de Louis XVI (21 janvier 1793), il obtient le renforcement de la politique d’annexion. La Convention demande aux Assemblées d’émettre « un vœu sur la forme du gouvernement qu’elles voudraient adopter ». Les Commissaires français sont chargés du bon déroulement des événements… Le vote des vœux de réunion se tient en février et mars 1793. Le déroulement varie d’une ville à l’autre (doc. 15.08.03) et il est impossible de comparer les votes « unanimes » obtenus à Mons (3.000 votants le 11 février), à Gand (2.000), Bruxelles ou à Namur. Là, l’Assemblée s’est prononcée à l’unanimité par acclamation ; il n’y a pas eu de vote nominal (15 février). À Charleroi, le 11 février, l’Assemblée générale des citoyens de Charleroi a exprimé le vœu le plus formel et le plus franc de voir Charles-sur-Sambre réunie à la France ; l’appel nominal confirme le vote général. Dans l’ancienne capitale de la principauté, ce sont près de 10.000 personnes qui votent (soit la moitié du corps électoral) et le nombre d’opposants à la réunion à la France atteint à peine 40 votes (25 février). À Thuin (20 février), la « ville libre » a organisé le serment de réunion ; d’autres villes procèdent de la sorte. Dans 378 communes du pays de Liège (dont 7 villes), on enregistre 21.519 votants, dont 92 contre et 40 pour une formule d’ajournement. Alors que Bouillon hésite encore, de nombreux incidents éclatent dans le pays, conduisant à dénier leur valeur aux résultats en raison d’irrégularités. En Hainaut, les Commissaires français rencontrent beaucoup de réticences, Chapelle-lez-Herlaimont faisant exception. S’appuyant sur les résultats, jugés probants, des plébiscites, la Convention nationale décide, depuis Paris, l’annexion à la France de l’ensemble des anciens territoires de la principauté de Liège, de la principauté abbatiale de Stavelot-Malmedy et des provinces des Pays-Bas autrichiens. Dès le 1er mars 1793, une série de décrets de la Convention incorpore au territoire français les « localités » qui en ont fait explicitement la demande notamment par les plébiscites. Ainsi la France intègre-t-elle tour à tour la ville, les faubourgs et la banlieue de Bruxelles (1 er mars), le pays de Hainaut, les communes composant le pays de Franchimont, Stavelot et Logne, ainsi que la ville de Gand (2 mars), la ville de Tournai et celle de Florennes et de trente-six villages alentours (4 mars), Louvain (9 mars), Ostende (11 mars), Namur, Ham-sur-Sambre, Charles-sur-Sambre, Fleurus et Wasseigne (16 mars), le Tournaisis (23 mars) et le pays de Liège (12 mai) ; la région de Couvin est incorporée au département français des Ardennes (16 mai). Pourtant, le sort des armes n’est plus favorable à la jeune République. Ainsi, le 18 mars, Dumouriez est battu à Neerwinden.

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15.09. La seconde restauration autrichienne Occupée à absorber les territoires libérés, la Convention a déclaré la guerre à l’Angleterre (1er février 1793), et a envoyé Dumouriez conquérir les Provinces Unies. Massée derrière la Roer, l’armée autrichienne s’est recomposée et marche sur Maastricht (2 mars), puis entre à Liège (5 mars). Elle force Dumouriez à faire demi-tour : arrivé à Anvers (6 mars), il décide de s’attaquer au gouvernement révolutionnaire français et à ses commissaires en poste en Belgique, tout en menant bataille aux Autrichiens. À Neerwinden (18 mars), Dumouriez est vaincu et passe à l’ennemi. Commence la seconde restauration. Enhardie par l’avancée autrichienne et surtout choquée par l’exécution de Louis XVI (guillotiné le 21 janvier 1793), l’Angleterre de William Pitt a formé une coalition avec les Provinces-Unies et l’Autriche (Ière coalition, 1er février), pour refouler la France des « pays réunis », au moment même où la Prusse lance une offensive à partir du Rhin. Pour ces alliés, le territoire situé entre Anvers et Luxembourg doit devenir une place d’armes d’où partiraient les troupes chargées de combattre la Révolution. Cet objectif paraît d’autant plus aisé que la Convention doit faire face à l’insurrection de la Vendée, du Midi et de Toulon (mars-août 1793). Pourtant, la République n’est pas décidée à renoncer à ses objectifs. À peine créé (6 avril), le Comité de Salut public adopte un décret faisant des « pays réunis » partie intégrante de la République. Les discussions entre les alliés concernant leurs prétentions respectives permettent à la France de s’organiser et à l’armée républicaine de passer à une offensive victorieuse (Hondschoote, Dunkerque, Gand, Wattignies). Durant l’hiver 93-94, chaque camp reste sur ses positions. Cependant, pour les habitants des diverses provinces romanes, en révolte contre tous les occupants, il s’agit surtout de la seconde restauration autrichienne, dans un climat de règlements de comptes envers les jacobins locaux. Les Autrichiens ont rétabli le prince-évêque sur son siège liégeois et sont entrés à Bruxelles le 26 mars 1793. Accueillis favorablement par la population, ils rétablissent les Pays-Bas autrichiens dans leur statut antérieur et l’empereur désigne un nouveau gouverneur en la personne de l’archiduc Charles, avec mission de mener une politique d’apaisement. À l’inverse, dans la principauté de Liège, les idées révolutionnaires et leurs défenseurs sont combattus avec violence. Le Verviétois Grégoire-Joseph Chapuis est arrêté en avril, puis jugé et exécuté par décapitation le 2 janvier 1794. À Huy, en mars 1794, Jean-Denis Bouquette et Augustin Behogne connaissent le même sort.

15.10. Charte constitutionnelle (23 mars 1792) et proclamation de la République de Bouillon (24 avril 1794) et libération Entré plus tardivement que ses voisins dans la révolution, le duché de Bouillon rattrape vite son retard. Le 23 mars 1792, une charte constitutionnelle est proclamée par l’Assemblée de Paliseul et le duc Godefroy-Charles-Henri de la Tour d’Auvergne se voit contraint de prêter le serment de respecter la nouvelle loi fondamentale. En proclamant notamment : « L’homme est né libre. La liberté qu’il apporte en naissant lui donne droit à la vie, à l’usage de ses facultés, au produit de son travail et de son industrie », le duché de Bouillon est le seul du pays wallon à avoir adopté et mis en application une Déclaration de droits (doc.15.10). Le 26 mai, l’Assemblée abolit tous les droits seigneuriaux et féodaux. Restée constituante jusqu’en novembre 1792, elle crée une véritable démocratie bourgeoise. Emportée dans le tourbillon révolutionnaire, l’Assemblée revendique l’autonomie de Bouillon par rapport à la république française. Le 24 avril 1794, la République de Bouillon est proclamée par un décret, tandis que dans le pays wallon la situation reste incertaine.

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Après la trêve hivernale 1793-1794, les combats reprennent. Le général Jourdan remporte un premier succès à Arlon (17 avril 1794). Deux mois plus tard, sa victoire à Fleurus (26 juin) est décisive car elle force les coalisés à abandonner les Pays-Bas. Jean-Baptiste Jourdan libère Liège le jour même où, à Paris, tombe Robespierre (9 Thermidor an II, à savoir le 27 juillet 1794). Après avoir fait jonction à Bruxelles (11 juillet), les hommes de Jourdan et de Pichegru s’enfoncent dans les Provinces-Unies (juillet 94-janvier 95). Quant à l’armée du général Barthelemy Scherer, elle s’impose à Sprimont, lors de la bataille de l’Ourthe, le 18 septembre 1794. La place de Luxembourg tombe après un long blocus (7 juin 1795). À Charleroi, le retour des Français est accueilli avec enthousiasme. Rebaptisée Libre-surSambre, la ville se réorganise rapidement et, le 1 er août, convoqués à la maison communale, les citoyens manifestent leur vœu de réunion à la République française. « Ce que la France a été pour l’Europe, le Pays de Liège l’a été pour la Belgique, et le Pays de Franchimont et de Stavelot pour le Pays de Liège » (8 août 1794). C’est en ces termes que Merlin Douai, le président de la Convention nationale, salue le rôle des patriotes réfugiés à Paris et qui s’apprêtent à rentrer dans leur « pays » libéré par les armées de la République. Les « Franchimontois ont été une véritable avant-garde révolutionnaire et démocrate forçant les indécis à se mettre en marche.

15.11. « Les départements réunis » Au cours des premiers temps – qui restent des moments de guerre de juillet à novembre 1794, voire au 7 juin 1795 avec la capitulation de la place de Luxembourg –, les envoyés des « conventionnels thermidoriens » mettent le pays libéré à leur merci, ferment les frontières et, pour tout dire, s’adonnent au pillage dans un pays sous occupation militaire. À ce moment, le territoire est divisé entre deux administrations générales : depuis Aix-la-Chapelle, la première est appelée à gérer la région de l’entreMeuse-et-Rhin ; depuis Bruxelles, la seconde veille sur la partie au nord de la Meuse (15 octobre 1794) ; la Meuse jusqu’à Namur, puis la Sambre servent de frontières. Progressivement, les abus sont poursuivis, l’ordre est rétabli et l’arbitraire cède la place à davantage de liberté, dans le commerce comme dans la vie publique (justice, état-civil, etc.), voire même à l’égard de l’Église. Après plusieurs mois de débats et réflexion et aussi la conquête des Province-Unies, la Convention statue finalement sur le sort des territoires du nord et écarte deux options pour retenir l’idée de l’annexion. En effet, attribuer un statut d’État indépendant à cet ensemble entre Rhin et mer du Nord en ferait une barrière trop faible ; une union avec les Provinces-Unies rendrait le nouvel ensemble trop fort, voire dangereux. En conséquence, le Comité de Salut public opte pour une seule administration générale structurée en 9 départements (31 août). La principauté de Liège, la principauté de Stavelot et les États qui composaient jusqu’alors les Pays-Bas aux mains des Habsbourg sont définitivement dissous. Quant à la jeune République de Bouillon, après quelques mois d’existence propre, elle est annexée à la République française, manu militari, le 4 brumaire an IV (25 octobre 1795), après avoir été écartelée entre trois départements. Le 1er octobre 1795 (9 vendémiaire an IV), la Convention adopte le décret d’annexion et d’intégration des neuf départements réunis. La Convention reconnaît ainsi à leurs habitants les droits des citoyens français. La ligne des douanes est supprimée. La République intègre les « départements réunis » – selon l’expression de l’époque – sans consulter les personnes concernées. De sujets, celles-ci deviennent citoyens avec les mêmes droits et les mêmes obligations que les autres Français ; la Constitution de l’An III devient leur référence ; il s’agit de la toute première Constitution écrite garantissant les droits, l’égalité et la liberté de tous. La Révolution est en marche, abolissant les us et coutumes anciens, les chartes, privilèges, franchises, et le statut particulier de l’Église. Le processus d’annexion ne permet pas aux nouveaux citoyens de prendre part

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aux élections du 29 octobre 1795 ; par contre, ils participent – sans enthousiasme cependant – au scrutin législatif du 21 mars 1797 (doc. 15.11.01). Décrétée le 1er octobre 1795 par la Convention (française) de manière unilatérale, l’annexion est confirmée par le traité de Campo-Formio. Le document est signé par Napoléon Bonaparte, en tant que chef de l’armée française en Italie, au nom de la République française, et par le comte Louis de Cobentzel, au nom de l’empereur d’Autriche (18 octobre 1797). À ce moment, l’Autriche cède officiellement les Pays-Bas à la France, renonçant à ses droits, acte confirmé par le traité de Lunéville le 9 février 1801, au lendemain de la deuxième campagne d’Italie. Jusqu’en 1814, les « départements réunis » participent à la vie du Consulat et de l’Empire, acceptant à des degrés très divers la sécularisation de la société, la conscription, la nouvelle monnaie unique (le franc, 1796), la création des services d’État civil, les œuvres charitables, les réformes en matière d’enseignement désormais organisé par l’État, puis les réorganisations de l’administration et de la Justice, ainsi que l’uniformisation des poids et mesures, avec le fameux système métrique (fin XVIII e siècle), et l’introduction du Code civil (1804), du Code de commerce (1807), du Code d’instruction criminelle (1808) et du Code pénal (1810). Pour ne prendre que le seul exemple de la conscription, étudiée par Raoul Darquenne, il apparaît que les habitants des départements wallons ont le mieux répondu, volontairement, à l’appel aux armes. Pour la première fois dans son histoire, le pays wallon est régi par un système constitutionnel reposant sur les principes de la séparation des pouvoirs et de la souveraineté populaire (une deuxième Constitution s’applique à partir de l’an VIII – 13 décembre 1799 –, instaurant le Consulat en 1800, puis l’empire en 1804). La presse est libre. En laissant une place pour les idiomes locaux, la langue française est utilisée dans tous les actes publics et dans la justice (doc. 15.11.02). Les représentants du culte sont rémunérés par un État qui reconnaît la liberté de religion. Toutes ces révolutions ayant un impact sur la vie quotidienne ne sont pas propres au pays wallon ; elles ne sont pas non plus imposées par une société-modèle. Durant vingt ans, le pays wallon participe et contribue à sa manière au profond processus de transformation de la société occidentale, dont la France est alors le porte-drapeau. En dépit du blocus continental (voire – pour certains secteurs – grâce au blocus en question), la longue période de paix qui s’étend durant la première décade du XIXe siècle est particulièrement appréciée par l’ensemble de la population qui accepte, toujours à des degrés divers, son intégration dans l’ensemble français. L’accueil chaleureux réservé Napoléon Bonaparte, en 1803, par la ville de Liège en est un témoignage (doc. 15.11.03). Mais la crise économique qui frappe à partir de 1810, la défaite de la Campagne de Russie, la hausse des impôts et la menace du retour de la guerre va raviver des plaies anciennes. Même s’il a repris progressivement place dans la société (depuis le Concordat, 1801), le clergé nourrit encore de vives préventions contre le système des « Français ». En 1813, un haut fonctionnaire français (Micoud d’Umons) témoigne de l’attachement des provinces wallonnes au projet français (doc. 15.11.04). À la suite de Hervé Hasquin, on peut dire qu’au soir « de la bataille décisive de Waterloo (18 juin 1815) - [...] rien ne permet d’affirmer qu’une majorité des habitants de la Belgique regrettait la domination française ; - il apparaît cependant qu’une grande partie de la population du pays liégeois et du Hainaut nourrissait des sentiments francophiles [...] - à propos du sentiment national belge : d’emblée, on peut en exclure l’existence dans le pays liégeois, lequel se sentait manifestement plus proche de l’ancienne France que des autres régions formant aujourd’hui la Belgique »1.

José OLCINA, L’opinion publique de la retraite de Russie à Waterloo, dans Hervé HASQUIN (dir.), La Belgique française 1792-1815, Bruxelles, Crédit communal, 1993, p. 393 et 395 1

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15.12. Le basculement (1814-1815) Si une forte hostilité à l’égard des Français se manifeste dans les départements flamands, une relative indifférence est enregistrée globalement du côté wallon lorsque les armées alliées entrent à Liège (21 janvier 1814), puis à Mons (5 février 1814), avant de contrôler l’ensemble des « départements réunis ». Cependant, les réquisitions brutales des Prussiens et des Cosaques vont faire regretter les Français et les campagnes d’enrôlement de jeunes gens pour se battre contre les Français vont connaître un échec que l’on peut attribuer aussi bien à l’identité de l’adversaire qu’au refus d’aller mourir au combat. Sur la route qui l’amène en Hainaut (Campagne des Cent Jours), Napoléon ne rencontre aucune résistance de la part des populations ; au contraire, en raison de la rudesse de l’occupation prussienne, les Hennuyers accueillent l’Empereur avec enthousiasme. Quant aux soldats wallons, nombreux, qui avaient fait les campagnes napoléoniennes, ils restèrent fidèles, même au-delà du 18 juin 1815. Selon les chiffres du général Couvreur qui a identifié 400 officiers « belges » au service de la France avant 1814, 150 avaient rejoint la « Légion belge » (dont 39% de Wallons), contre 250 autres qui étaient restés dans les rangs français, lors de la bataille de Waterloo (dont 70% sont Wallons). Enfin, l’établissement de nouvelles frontières et douanes n’enchante pas le monde des affaires qui s’était habitué au vaste marché continental de l’empire. Avant la reconquête militaire des puissances alliées, celles-ci (Prusse, Russie, Saxe, Suède) ont convenu de rétablir la France dans ses limites au 1er janvier 1792 et la manière d’organiser les territoires reconquis de manière transitoire. La Convention de Bâle (12 janvier 1814) prévoit en effet la constitution de trois gouvernements généraux : le Bas-Rhin, le Rhin-Moyen et la Belgique avec, à leur tête, un gouverneur exerçant le pouvoir législatif, tandis que la Justice et l’Exécutif restent aux mains des « Alliés ». Cette tripartition des « départements réunis » est effective dès la fin février 1814, mais ne dure que jusqu’au 12 juin 1814. À cette date, on procède à la fusion des deux gouvernements du Bas-Rhin et du Rhin-Moyen. Dans le même temps, une convention signée le 31 mai prévoit que la Meuse constituera la frontière entre la Belgique et le Bas-Rhin, la première occupant la rive gauche, le second la rive droite. Cet accord ne devient effectif que le 20 août 1814 au moment où la Prusse évacue effectivement toute la rive gauche de la Meuse, hormis la ville de Liège. Le siège du département de l’Ourthe est établi à Herstal. Tous ces changements politico-administratifs se déroulent sans qu’aucun corps constitué, local, provincial ou régional, soit consulté (doc. 15.12). Par ailleurs, le 1er août 1814, le prince d’Orange-Nassau est nommé gouverneur général de la Belgique… Il n’a jamais caché son souhait d’unir sous son nom tous les anciens Pays-Bas et la principauté de Liège avec les anciennes Provinces-Unies. Or, le Traité de Paix dit de Paris (30 mai 1814) a introduit dans son article 6 le principe selon lequel les anciennes Provinces-Unies bénéficieraient d’un accroissement de territoire, sans plus de précision. La disposition est confirmée par la Convention de Londres (20 juin 1814), mais c’est un Congrès organisé à Vienne qui doit régler le sort des territoires repris à Napoléon. Convoqué en septembre, il ne commence qu’en novembre et est toujours en pleine session quand Napoléon entreprend la reconquête du pouvoir, durant la fameuse campagne des « Cent-Jours ». Le 16 mars 1815, à l’annonce du retour de l’Île d’Elbe, le jeune prince d’Orange-Nassau prend d’autorité le titre de roi des Pays-Bas et se fait acclamer par les États Généraux sous le nom de Guillaume I er. Le 24 mars, les puissances alliées qui siègent à Vienne acceptent de le reconnaître comme « roi des Pays-Bas et grand-duc de Luxembourg ». L’article 8 du traité adopté le 31 mai 1815 décide de la réunion des départements belges aux Pays-Bas. L’Angleterre surtout est soucieuse de donner naissance à un puissant État au nord de la France, pour contrer ses éventuels désirs d’expansion. Personne ne se soucie de l’avis des populations concernées. L’acte final du Congrès de Vienne est signé le 9 juin 1815. Neuf jours plus tard, se déroule la bataille décisive de Waterloo. Napoléon ayant reconnu sa défaite, des conditions de paix plus sévères sont imposées à la France lors du deuxième traité de Paris (20 novembre 1815). La France est ramenée à ses frontières septentrionales de 1790. Le duché de Bouillon, les cantons wallons de Dour, Beaumont, Chimay, Merbes-le-Château, Walcourt, Beauraing, Florennes et Gedinne, ainsi que l’enclave de Barbençon et les places fortes de Mariembourg et Philippeville sont définitivement perdus pour la France qui ne conserve que Givet et le fort de Charlemont qui a résisté pendant cinq mois au siège des Prussiens (doc. 15.12).

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15.13. L’Amalgame Pendant plusieurs mois, le prince d’Orange-Nassau a exercé en tant que prince souverain constitutionnel des Pays-Bas et en tant que gouverneur général de tous les anciens « départements réunis », désormais baptisés Belgique. Accepté dans les anciennes Provinces-Unies sur base de leur ancienne constitution, le roi Guillaume Ier de Hollande fait réviser la Grondwet de mars 1814 et ses 146 articles, par une commission hollando-belge, afin de prendre en considération les territoires annexés, d’intégrer la population belge (doc. 15.13.01, 15.13.02), de garantir l’égalité entre tous les citoyens des deux parties de sa souveraineté et d’introduire la protection de tous les cultes (doc. 15.13.03). Dépourvue de déclaration de droits, la Constitution qui entre en vigueur en août 1815 (234 articles) est la troisième qui s’applique au pays wallon depuis 1795. La validation du texte de la nouvelle Constitution s’est déroulée de manière très particulière. Le 18 juillet 1815, la révision du texte était terminée et le roi annonce qu’une assemblée de notables belges va avoir le droit de se prononcer. D’emblée, une forte opposition se manifeste dans les rangs de l’Église catholique de Belgique, en particulier des Évêques, parce que la Constitution ne garantit pas la primauté à la religion catholique, autorise le divorce, permet à un roi protestant de prendre des décisions en matière d’enseignement, etc. Les notables appelés à voter (entre le 14 et le 18 août) ont été désignés par le gouvernement à raison d’un représentant pour 2.000 habitants. Le dépouillement des suffrages (18 août 1815) révèle que sur les 1.603 votants belges, 280 se sont abstenus. Mais le résultat le plus marquant, ce sont les 796 votes qui s’opposent à la nouvelle Constitution. « Pour tous ceux qui avaient cru à la possibilité de l’amalgame, ce fut une amère illusion. Ils avaient surtout compté sur la Flandre qui les abandonnait »2. Résultat du vote sur le texte de la nouvelle constitution : Oui 527

Non 796 dont 126 motivés

Abstentions 280

Dans le même temps, dans les anciennes Provinces-Unies, les 110 députés des États-Généraux qui ont à se prononcer se montrent unanimement favorables à la nouvelle Constitution. Par conséquent, Guillaume Ier se tire de cet embarras par un subterfuge. Il observe d’abord que, dans la majorité qui se prononce contre le texte, 126 « votants » motivent leur position par des considérations religieuses en contradiction avec les principes de la liberté et de l’égalité des cultes, tels qu’ils se pratiquent partout ailleurs en Europe. Leur vote est par conséquent retiré des opposants. D’autre part, Guillaume a observé que huit votants « favorables » n’ont pu se déplacer pour cause de maladie. Arrivant à un résultat final de 661 pour et 670 contre, il considère qu’il est de son devoir de trancher3. En vertu de cette « arithmétique hollandaise », le roi Guillaume d’Orange conclut que la Constitution peut être adoptée. Une analyse plus fine des résultats montre que dix arrondissements flamands sur quinze se sont prononcés majoritairement contre la Constitution ; en Wallonie, à l’instar de l’arrondissement de Charleroi (20 – 20), on ne parvient pas à se décider : cinq arrondissements wallons sont contre, cinq autres sont pour, tandis que le Luxembourg est unanimement favorable à la Constitution. Plus globalement, l’arrondissement de Bruxelles rejette in extremis la Constitution (40 pour – 45 contre), la Flandre se prononce nettement contre la Grondwet (69% contre, 31% pour), tandis que la Wallonie est clairement divisée en deux, l’ouest votant contre, tandis que l’est (avec le Luxembourg) vote majoritairement en faveur du texte proposé par Guillaume d’Orange, parce qu’il reprend de nouveaux principes civils de l’époque napoléonienne et protège contre un retour de l’Ancien Régime, même si la souveraineté du peuple est confisquée par le roi. Mais une Constitution ne fait une pas une union. 2 3

Henri PIRENNE, Histoire de Belgique, Bruxelles, Renaissance du Livre, 1974, t. IV, p. 241 Herman Theodor COLENBRANDER, Ontstaan der grondwet, 1909, t. II, p. 615-618

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Multiples sont les témoignages montrant parfois la haine qui peut exister entre « Belges » et « Hollandais ». Beaucoup de choses les séparent. Ce sont les mêmes depuis que leurs chemins se sont éloignés au XVIe siècle. En dépit de son organisation en départements s’étendant jusqu’à la Frise et Groningue, le régime français avait maintenu une claire distinction entre les deux anciens voisins. En tentant l’amalgame, Guillaume, roi protestant régnant sur 2 millions d’habitants pratiquant le hollandais, espère convaincre 3 millions de « Belges », généralement catholiques, dont les élites s’expriment en français et ont le regard tourné vers Paris, le centre de la culture. Sur le plan économique, il faut encore tenir compte des traditions commerciales maritimes des Provinces-Unies, du blocage multiséculaire du port d’Anvers, et des activités principalement industrielles du pays wallon, en d’autres termes des différences profondes qui séparent un pêcheur de l’Ijsselmeer d’un agriculteur de Hesbaye. À l’issue du tour de passe-passe royal (vote de la Constitution), deux Chambres sont constituées ; l’une composée de membres nommés à vie par le roi et au nombre laissé à son bon vouloir (entre 40 et 60) ; l’autre composée de 110 « députés », 55 Hollandais, 55 Belges, élus pour trois ans par les États provinciaux. Cette égalité de représentation ne correspond pas à la réalité démographique des deux pays. Quant aux représentants des provinces wallonnes, ils sont une vingtaine (8 pour le Hainaut, 6 pour Liège, 4 pour Luxembourg, 2 pour Namur et une partie des 8 du Brabant). Les anciens départements, pour leur part, ont conservé leur rôle administratif, de même que leurs limites à quelques petites exceptions près, tandis que leur nom est totalement modifié, afin de rappeler les provinces d’Ancien Régime : Brabant, Hainaut, Liège, Luxembourg et Namur n’ont plus rien à voir avec le passé, sauf le nom. À la tête des États provinciaux, le roi nomme un commissaire de son choix, qui préside les sessions. Quant aux préfets, ils font place à des gouverneurs. Sur le plan communal, ce sont des régences comprenant entre 5 et 40 membres qui s’occupent de la gestion quotidienne ; en leur sein se constitue un Conseil composé d’un bourgmestre (que le roi peut désigner, à vie) et de ses échevins. Divers aménagements sont encore introduits dans les arrondissements, comme la reconnaissance, en 1822-1823, d’un arrondissement de Nivelles exclusivement de langue française. Dans les faits, les États provinciaux n’auront quasiment aucune activité. La politique menée par Guillaume d’Orange pour rapprocher les deux territoires va se heurter à diverses oppositions. Certes, en matière économique, le roi procure des avantages qui convainquent les milieux industriels (création de la Société générale, aides industrielles, stimulation du progrès technique, développement des voies de communication, etc.). Mais pour le reste, il fait naître du mécontentement en tentant de détacher définitivement les « belges » de leurs affinités avec la France. Sa politique de l’enseignement qui favorise l’intervention de l’État au détriment de l’Église suscite d’abord la réaction du clergé, tandis que les libéraux apprécient la création de trois universités d’État (Gand, Liège et Louvain). Mais sa politique linguistique – la néerlandisation du pays – va unir les mécontents. Dans les années 18161818, règne une sorte d’apathie politique ; seul un « journal libéral wallon » (Harsin), L’Observateur (politique, administratif, historique et littéraire de la Belgique), dénonce tour à tour la fiscalité exorbitante du roi, les multiples entraves à la liberté de la presse, et les mesures linguistiques. À partir des années 1820, l’opposition ne va cesser de grossir (doc. 15.13.05), atteignant son apogée en 1828. L’élection de députés « d’opposition » aux États-Généraux, quelques prises de position de certains États provinciaux, deux campagnes de pétitionnement surtout dans les provinces flamandes (1828 et 1829), une mobilisation sans faille du côté de Liège avec la création, en avril 1829, de la première « Association constitutionnelle » pour peser sur l’élection des États provinciaux et généraux, l’arrestation du journaliste Louis de Potter et sa Lettre au roi brandissant la menace d’une séparation administrative , tout cela concourt à affaiblir le « régime hollandais » et à préparer les esprits à un « grand changement » (doc. 15.13.06).

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Louis DE POTTER, Lettre de Démophile au roi sur le nouveau projet de loi contre la presse et le message royal qui l’accompagne, décembre 1829.

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15.14. De Waalsche provinciën Sur le plan linguistique, le royaume uni des Pays-Bas est diversifié : si le néerlandais est la langue des anciennes Provinces-Unis, on parle aussi le frison dans le Nord, l’allemand dans l’extrême sud-est, le flamand et divers dialectes bas-allemand dans certaines provinces belges, français et wallon dans d’autres. Afin de favoriser l’intégration de toutes ces composantes, Guillaume I er va mener une politique résolue de contrainte linguistique. L’imposition du néerlandais va cependant se heurter à de vives réticences, chacun étant habitué à la liberté linguistique. Celle-ci était d’ailleurs de mise lorsque Guillaume – en tant que gouverneur général de Belgique – rétablit l’usage de la langue flamande et tolère l’usage du français selon les besoins (1er octobre 1814). Quand il devient chef de l’ensemble des Pays-Bas, il existe une Division wallonne de l’Instruction publique des Arts et des Sciences (comme l’a montré Ph. Destatte). La politique royale se raidit lorsque Guillaume Ier signe l’arrêté royal du 15 septembre 1819 qui doit entrer en application le 1er janvier 1823 (doc. 15.14.01). À ce moment, le néerlandais devra être la seule langue des autorités publiques (administration, justice, enseignement, armée, etc.) sur le territoire des provinces de Limbourg, de la Flandre orientale, de la Flandre occidentale et d’Anvers. Une distinction est clairement établie entre les provinces flamandes, d’une part, et les provinces du Brabant méridional, de Liège, du Hainaut, de Namur et le grand-duché de Luxembourg, d’une part, auxquels les dispositions de l’arrêté royal ne s’appliquent pas, sauf exceptions locales5. En plus du mécontentement des « officiers publics » de langue française travaillant en Flandre, les décisions royales suscitent de multiples pétitions de la part de ceux qui vivent le long de la frontière linguistique, ainsi que la crainte du côté des provinces wallonnes (doc. 15.14.02). Les États provinciaux protestent et leurs députés aux États généraux rapportent le mécontentement. Avant même que le mot Wallonie existe, un espace wallon se trouve ainsi défini par un document public. Et il ne fait aucun doute que les dispositions de la politique scolaire de Guillaume vont contribuer à la prise de conscience de leur originalité par les habitants du pays wallon. Politique scolaire et politique linguistique sont menées en parallèle. Par la première, très ambitieuse, sont créés et mis en place des écoles primaires de l’État et gratuites dans de nombreuses communes (1500), des athénées sont ouverts dans 7 grandes villes, les collèges catholiques sont soumis à des inspections de l’État, tandis que sont inaugurées, en 1817, trois nouvelles universités, à Gand, Liège et Louvain. Quant à la seconde [politique linguistique], elle tend explicitement à imposer le bilinguisme, de façon progressive dans les Waalsche provinciën (doc. 15.14.03). Face aux protestations qui se multiplient, le roi fait des concessions sur des points de détail (28 août 1829), avant de rétablir la liberté linguistique en Flandre et dans l’arrondissement de Bruxelles (4 juin 1830). Il est cependant trop tard, d’autant que les Wallons ne se sentent pas concernés par ces dispositions : le danger du bilinguisme reste entier.

15.15. La révolution de 1830 Les motifs de mécontentement à la politique de Guillaume Ier sont bien connus. Sur le plan politique, les provinces « belges » sont sous-représentées ; le Parlement n’a pas le droit d’initiative ; la responsabilité ministérielle est limitée par le pouvoir du roi qui décide du vote des budgets. Sur le plan économique, le libre-échange nuit aux intérêts de l’industrie wallonne. Sur le plan religieux, l’incompatibilité entre calvinistes et catholiques est irrémédiable et l’interventionnisme de l’État insupporte le clergé catholique. La politique royale en matière linguistique a déjà été évoquée ; malgré les dispositions de la Constitution, la liberté de la presse est de plus en plus réduite. 5

L’arrêté royal du 26 octobre 1822 inclut les arrondissements de Bruxelles et de Louvain dans la contrainte linguistique.

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Depuis la déclaration du député catholique liégeois Étienne-Constantin de Gerlache, lors des États généraux (13 décembre 1825), en faveur des libertés publiques, les préventions traditionnelles entre catholiques et libéraux peuvent s’estomper. D’antagonistes, ils deviennent alliés pour lutter plus efficacement contre la politique royale ; l’unionisme allait favoriser les bouleversements à venir. « Les catholiques flamands, habilement, mêlèrent revendications religieuses, liberté d’enseignement, application du Concordat et liberté linguistique, écrit pour sa part Robert Demoulin. En flamand, ils réclamèrent le libre usage de la langue française, car sa proscription visait à confier tous les emplois à des hollandais protestants ». En dépit de leurs fortes différences, opposants wallons et flamands se trouvèrent unis contre les Hollandais. Un vaste mouvement de pétitionnements commence en 1828 et se poursuit en 1829. On y évoque notamment une révision du fonctionnement des institutions ; depuis Gand, De Potter évoque une séparation administrative comme solution. En 1830, le contexte local (crise économique, chômage, hausse des prix en raison de mauvaises récoltes, et les « Trois glorieuses » de juillet à Paris) favorise les événements, d’autant que toute l’Europe s’enflamme, à la suite de la Révolution de Juillet et des Trois glorieuses qui secouent Paris. Sans qu’il y ait eu préméditation, les protestations très légalistes contre Guillaume d’Orange se transforment soudainement en révolution (doc. 15.15.01). Les dates principales des Journées de Septembre sont bien connues (doc. 15.15.02). Le 26 septembre, un gouvernement provisoire est mis en place. Il prend son premier arrêté le 29. Le 4 octobre, l’indépendance est proclamée. Il s’agit d’un acte d’auto-détermination. Le gouvernement provisoire annonce la procédure de mise en place des nouvelles institutions (doc. 15.15.03). « Aux yeux de la province, le Gouvernement Provisoire apparaît auréolé de la victoire des Quatre Glorieuses. Le peuple a grossi à l'excès les combats de rue de Bruxelles, et les gens qui ont pris le pouvoir en main paraissent dignes de toute sa confiance. Qui mettre à leur place ? Les personnalités politiques traditionnelles, les députés aux États Généraux, sont à La Haye. À des situations nouvelles, il faut des hommes nouveaux » (Robert Demoulin). Dès la fin octobre 1830, des élections selon un système censitaire à un tour sont organisées pour désigner le personnel politique du pays. Le 3 novembre, ils sont 200 membres (choisis par 46.000 électeurs) à siéger au Congrès national. Le 10 novembre, le Congrès national se réunit pour la première fois. Une fois rédigé par une Commission, le projet de Constitution est débattu à partir du 4 décembre 1830, donne lieu à de vifs débats, avant d’être adopté par le Congrès le 7 février 1831. Les sources d’inspiration sont clairement la Déclaration (française) des Droits et du Citoyen de 1789, la Constitution française de 1791, la Grondwet de 1815, la Charte française de 1830. Les discussions sur le statut de l’État et finalement le choix d’un prince s’éternisent. Les partisans d’une réunion à la France et ceux d’un modèle républicain se heurtent au « réalisme politique », voire au refus du roi de France de laisser son fils, le duc de Nemours, monter sur le trône belge. Le texte de la Constitution consacre les principes d’une monarchie constitutionnelle et parlementaire, avec les libertés de l’enseignement, de la presse, de réunion et d’association. Assurant la séparation des pouvoirs, elle maintient le principe de la centralisation que Joseph II avait tenté d’instaurer, avant que la France ne l’impose. La Constitution est d’application le 25 février, au moment où le régent, Surlet de Chokier, entre en fonction. L’option républicaine a été éliminée. Le 4 juin 1831, le Congrès proclame Léopold de Saxe-Cobourg roi des Belges (152 voix pour, 43 contre) et le 21 juillet, il prête serment de respecter la Constitution.

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15.16. Une révolution wallonne ? Malgré le jugement péremptoire de Jean Stengers – « 1830 a été une révolution nationale et libérale ; ni française, ni prolétarienne ni wallonne » – une question obsédante continue d’être posée : quel qualificatif doit-on accoler aux événements de 1830 ? Depuis les années 1980, l’historiographie belge donne crédit à la thèse défendue par un historien américain, John W. Rooney. Il s’inscrit en faux contre les idées développées depuis le XIXe siècle donnant une interprétation « nationaliste » ou « marxiste » aux événements de septembre 1830. Selon lui, la Révolution de 1830 est le fait de gens peu nombreux, généralement des ouvriers manuels, résidant à Bruxelles, sans esprit révolutionnaire ni conscience politique. Cependant, une lecture attentive des travaux de Rooney fait apparaître une série de biais méthodologiques et une ambiguïté concernant l’expression « Journées de Septembre ». Le chercheur américain n’étend pas son sujet à l’ensemble des provinces méridionales (les « anciens départements réunis ») et, en dépit de ses intentions affirmées, il limite son analyse aux seules journées allant du 23 au 26 septembre, dans les seules rues de Bruxelles. Or, entre la représentation de La Muette de Portici (25 août) et la reddition de la citadelle de Liège (6 octobre), période au cours de laquelle se déro ulent nombre d’événements, Bruxelles est certes un lieu central, mais pas unique. L’expression « Combattants de 1830 » ne doit désigner ni les « combattants des rues de Bruxelles »6, ni les « combattants bruxellois de 1830 » 7. Dépoussiérés de la mythologie qui les a entourés tant au XIXe qu’au XXe siècles, les événements de 1830 appellent les historiens à reprendre le dossier, de manière apaisée et dépassionnée, en évitant – comme le recommande Hervé Hasquin 8 – tout anachronisme concernant les cadres institutionnels d’hier et d’aujourd’hui, les pratiques linguistiques et les éventuels sentiments patriotiques, et en prenant en considération les conseils que prodiguait Robert Demoulin, dès 1934 9. Déjà à cette époque, l’historien liégeois avait mené l’enquête pour répondre à deux affirmations qu’il réfute : celle du caractère prolétarien de la Révolution, thèse défendue par Maurice Bologne 10, celle d’une révolution pro-française, thèse défendue par le parti francophile. Abordant le sujet avec méticulosité du 25 août au 30 septembre, sans négliger un contexte plus général où les pétitionnements organisés dès 1828 ont une influence certaine, Robert Demoulin avait mis en avant l’enjeu de la séparation administrative réclamée explicitement dès le 3 septembre et avait insisté sur le rôle des forces venant des « provinces », en particulier wallonnes, à des moments différents, mais à l’influence toujours décisive (doc. 15.16).

15.17. Une Belgique wallonne (1831-1884) ? Guillaume d’Orange se résout difficilement à accepter la perte des provinces méridionales. Sa campagne militaire aurait eu raison de la faiblesse du nouvel État si la France, garante de son indépendance, n’était intervenue en envoyant des troupes sous le commandement du maréchal Gérard (2-12 août 1831). Refusant de signer le traité de Londres, Guillaume d’Orange est mis en demeure de restituer Anvers à la suite de la seconde intervention de l’Armée française du Nord (15 novembre-23 décembre 1832). N’obtenant aucun soutien des puissances européennes, le roi des Pays-Bas finit par accepter la situation créée par la révolution belge de 1830 et signe le traité des XXIV articles (Londres, 19 avril 1839). Le grand-duché de Luxembourg est alors coupé en deux : de Dietfeld (Deiffelt) au nord, à Athus au sud, John W. ROONEY (Jr), Profil du Combattant de 1830, dans Revue Belge d’Histoire contemporaine, t. 12, 1981, fasc. 3, p. 492 Ibid. p. 493 8 http://www.pfwb.be/le-parlement-se-presente/les-relations-exterieures-du-parlement/un-parlement-ouvert-a-la-societeet-aux-citoyens/colloque-27-septembre-1830-une-revolution-francophone-1/discours-de-monsieur-herve-hasquin 9 Robert DEMOULIN, Les journées de septembre 1830 à Bruxelles et en province, Étude critique d’après les sources, Liège, Ed. Droz, 1934, p. 17. 10 Maurice BOLOGNE, L’insurrection prolétarienne de 1830 en Belgique, Bruxelles, 1929. 6 7

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en passant par Martelange, les villages qui, sur les 150 kilomètres de frontières, se situent à l’est de la ligne font désormais partie du grand-duché, ceux situés à l’ouest « restent belges ». L’ennemi de l’extérieur soude les forces libérales et catholiques par-delà leurs différences. La plus fondamentale montre des libéraux désireux d’un pouvoir civil fort, et des catholiques hostiles à la centralisation, jugée contraire à la tradition. Au sein de ces familles, des divergences existent : aux ultramontains qui combattent les libertés modernes s’opposent des catholiques préoccupés par le statut social des plus faibles ; dans la famille libérale, les doctrinaires s’affronteront à ceux qui se soucient de plus de justice sociale et prendront le nom de progressistes, se faisant les défenseurs du suffrage universel dès les années 1860. Il ne faut pas omettre la survivance de partisans du particularisme provincial. On ne peut non plus ignorer le clivage « Wallons/Flamands » : il est latent et ne s’exprime pas encore en termes politiques (doc. 15.17). Par-delà toutes les différences, l’unionisme a conduit à l’émergence du nouvel État et il assure ses fondations. L’emploi de la langue française joue le même rôle. Tous les élus du suffrage censitaire pratiquent le français. Le 27 novembre 1830, le Congrès national a décidé que ses décrets seraient publiés en français et la loi du 19 novembre 1831 dispose que le texte français est le seul officiel. Fondé sur une Constitution qui garantit notamment l’égalité de tous devant la loi, la liberté des cultes, la liberté d’enseignement, la liberté du choix des langues, ainsi que la séparation des pouvoirs qui émanent de la nation tout en donnant la primauté à la représentation parlementaire, le projet unitaire belge est porté par une bourgeoisie essentiellement francophone, élue selon le système du suffrage censitaire (soit 46.000 électeurs, moins de 1% de la population) en dehors de l’existence de tout parti. Entre avril 1840 et avril 1841, l’entente forcée connaît un premier accroc. Conduit par Joseph Lebeau (libéral wallon de Huy), un éphémère gouvernement belge ne compte que des ministres libéraux. L’unionisme semble repartir (1841-1846), mais cette fois ce sont les catholiques qui prennent seuls les rênes du pouvoir (1846-1847). Face aux revendications des catholiques et leurs relais dans le clergé, les libéraux estiment nécessaires de s’organiser en parti. Le 14 juin 1846, le parti libéral voit le jour ; il est dominé par ses délégués wallons largement majoritaires ; son programme est l’œuvre du Wallon de Liège Walthère Frère-Orban appelé à une longue carrière ministérielle aux Travaux publics (1847-1852), aux Finances (1857-1867), puis comme chef de gouvernement (1867-1870 et 1878-1884). Entre juin 1847 et août 1852, Charles Rogier, le héros de la Révolution, dirige un cabinet exclusivement libéral, avant d’être remplacé par son homologue bruxellois Henri de Brouckère (1852-1855). L’expérience de l’unionisme vit alors ses deux dernières années (1855-1857). Le 9 novembre 1857, c’en est fini de l’unionisme ; lors du scrutin du 10 décembre, les libéraux s’emparent de 70 sièges sur les 108 de la Chambre ; les électeurs censitaires de Wallonie désignent, via le système majoritaire, 41 députés libéraux, contre 3 catholiques (un à Dinant, un à Namur, un à Soignies) ; la Flandre envoie 35 des 38 députés catholiques… Même si l’intérêt partisan commence à primer, la Belgique reste le projet libéral : tant en matière de transport (surtout ferroviaire) qu’en infrastructures (surtout portuaires) ou en aides agricoles, la Flandre n’est pas lésée. Les premières revendications flamandes sont avant tout culturelles. Les rivalités entre libéraux et catholiques s’exacerbent sur de gros dossiers : l’enseignement, le système électoral, la distinction entre l’État et l’Église, l’autonomie communale, l’emploi des langues… Les gouvernements belges entrent définitivement dans une période d’alternance : tour à tour, ils sont composés exclusivement de libéraux (1857-1870), de catholiques (1870-1878), de libéraux (1878-1884), puis de catholiques (1884-1914). En 1880, les députés libéraux sont 74 à la Chambre dont 50 élus en Wallonie ; les catholiques sont 58 dont 48 élus en Flandre.

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15.18. « 1884 : le centre de gravité politique du pays se déplace du Sud vers le Nord »11 Pour ceux qui ont été les principaux protagonistes de l’État belge, les libéraux wallons, l’année 1884 marque un tournant, et pas seulement parce que les catholiques faisant fi de leurs différences parviennent eux aussi à organiser leur propre parti, à savoir « la Fédération des Cercles catholiques et des Associations conservatrices ». Le 10 juin 1884, lorsque tout l’arrondissement de Bruxelles passe du parti libéral au parti catholique (16 députés), la majorité nationale bascule. Aux 55 catholiques de Flandre s’ajoutent ces 16 Bruxellois, ainsi que 16 élus catholiques de Wallonie, l’arrondissement de Nivelles ayant lui aussi basculé (+4), tandis que les catholiques de Namur progressent de 3 sièges en apportant tout l’arrondissement. Le 16 juin 1884, lorsqu’il quitte son poste, Frère-Orban est le dernier premier ministre libéral et wallon du XIXe siècle, voire de Belgique : seuls le libéral bruxellois Paul-Émile Janson (1937-1938) et le libéral flamand Guy Verhofstadt (1999-2008) exerceront encore cette fonction, tandis que le catholique Jules de Burlet sera le seul premier ministre, élu d’un arrondissement de Wallonie, jusqu’au lendemain de la Grande Guerre. Entre 1831 et 1884, les Wallons ont compté six premiers ministres différents (sur 12 titulaires différents), et exercé le mandat pendant près de 60% du temps ; ils avaient été essentiellement libéraux. À partir de 1884 et jusqu’en 1914, ils seront tous catholiques et, à l’exception des 23 mois de Jules de Burlet, aucun ne tient son siège des électeurs wallons (doc. 15.18). À la question scolaire qui va profondément déchirer la société à partir de 1878, s’ajoutent les revendications d’un mouvement flamand, de plus en plus influent, et l’émergence d’un nouveau parti, le POB, qui lie son sort à la question sociale et à la revendication du suffrage universel. Comme l’a écrit Robert Demoulin, après le succès électoral des catholiques en 1884, le centre de gravité politique de la Bel gique se déplace de la Wallonie vers la Flandre.

15.19. POB, suffrage universel et insurrection de 1886 Loin d’avoir créé un État unitaire exclusivement de langue française, où les tensions philosophiques et sociales se seraient aplanies, la Belgique s’est « pilarisée » et a vu émerger une Flandre rurale, catholique et conservatrice, une Wallonie industrielle, libérale bientôt partagée entre doctrinaires et progressistes, tandis que Bruxelles a certes concentré les lieux de décision et de pouvoir, mais sans parvenir à s’imposer comme un phare culturel respecté. Pendant ce temps, ignorée par un système politique qui réserve le choix de ses représentants aux seuls électeurs censitaires, la classe ouvrière souffre de l’absence de règlementations dans son rapport forcément biaisé avec le détenteur du travail. Né en 1885, le Parti ouvrier belge attend de l’introduction du suffrage universel, sa principale revendication, la solution pour remédier à de nombreux problèmes. Méthodique et légaliste, le nouveau parti a une stratégie. Une grande manifestation est prévue à Bruxelles le 13 juin 1886, et l’avocat montois Alfred Defuisseaux fait circuler, dès le 3 mars, un Catéchisme du Peuple qui appelle à la mobilisation. Ce pamphlet dénonce les lois en vigueur en matière de droit de vote, de recrutement des soldats et de levée d’impôts et conclut systématiquement par la revendication du suffrage universel comme remède (doc. 15.19.01). Mais les problèmes sont si urgents et importants que la masse saisit la première occasion venue – le quinzième anniversaire de la Commune de Paris (18 mars 1886) – pour manifester son désespoir. De Liège à Mons, en passant par Charleroi, le bassin industriel wallon s’embrase en quelques jours, se nourrissant de l’exaspération ouvrière. À Liège, où une dizaine de milliers de grévistes se sont retrouvés face à 6.000 soldats, le bilan est de 3 morts, 67 blessés et plus de 200 arrestations. Dans le Hainaut où 12.000 soldats ont été dépêchés Robert DEMOULIN, Unification politique, essor économique (1794-1914), dans Léopold GENICOT, Histoire de la Wallonie, Toulouse, Privat, 1973, p. 335 11

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pour contrer 40.000 ouvriers en grève, 24 personnes ont trouvé la mort, plusieurs dizaines ont été blessées et on estime à plus de 2,5 millions le coût des dégâts. Si les esprits se calment à la fin du mois de mars, il reste encore 150.000 personnes en grève le 1er avril, tandis que 50.000 hommes de troupe restent mobilisés (doc. 15.19.02). L’ordre est progressivement rétabli ; le travail reprend (5 avril) et les troupes s’en retournent (7 avril). Ce printemps de 1886, « l’année terrible », consacre « l’unité de la Wallonie ouvrière » comme l’a écrit par ailleurs Robert Demoulin. Face à l’ampleur du phénomène, le gouvernement décide de s’intéresser de près à la question sociale et instaure une Commission de Travail. Un an plus tard, malgré les situations constatées sur le terrain, la Commission conclut que l’amélioration des conditions de travail et la protection sociale restent du ressort de la seule initiative privée. Néanmoins, le législateur – alors de majorité catholique – commence à faire intervenir l’État dans les relations sociales, tout cela avec l’appui de parlementaires libéraux, cependant dans l’opposition. Quant à la question du suffrage universel, elle est au cœur des grandes grèves de 1891 et 1893 et elle connaît une première avancée lorsque la Constitution est révisée pour la première fois le 18 avril 1893 (article 47). Le législateur a cependant soin de tempérer le suffrage universel par un système dit de vote plural (déjà d’application au niveau communal depuis octobre 1884). Sachant que seuls les hommes ont le droit de voter, ceux répondant à des critères de diplomation ou de propriété disposent d’une deuxième voire d’une troisième voix. Lors du scrutin du 14 octobre 1894, le jeune POB dispose de ses 28 tout premiers députés. Ils sont tous élus dans les arrondissements wallons. Divisés depuis de longues années entre doctrinaires et progressistes, les libéraux sont, quant à eux, les grands perdants de ces élections : la représentation libérale passe de 60 sièges sur 152 aux élections du 14 juin 1892, à 20 sièges sur 152 en 1894. En 1894, tous les députés libéraux proviennent aussi du pays wallon. Du côté des arrondissements flamands, sur les 72 députés, 71 sont catholiques et un daensiste. Ce clivage Flandre/Wallonie, cléricaux/libérauxsocialistes (parfois unis en cartels) va perdurer jusqu’à la Grande Guerre au moins, sapant de plus en plus le projet politique de 1830. Paul Delforge

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Bibliographie Maurice BOLOGNE , L’insurrection prolétarienne de 1830 en Belgique, Bruxelles, 1929 Raoul DARQUENNE , La conscription dans le département de Jemmapes (1798-1813), Bilan démographique et médico-légal, dans Annales du Cercle archéologique de Mons, Mons, 1970, t. 67 Jean-Louis DELAET (dir.), Libre-sur-Sambre. Charleroi sous les révolutions 1789-1799, Bruxelles, Crédit communal, 1989 Robert DEMOULIN, Les journées de septembre 1830 à Bruxelles et en province, Étude critique d’après les sources, Liège, Ed. Droz, 1934 Robert DEMOULIN , Unification politique, essor économique (1794-1914), dans Léopold GENICOT , Histoire de la Wallonie, Toulouse, Privat, 1973 Philippe DESTATTE , Identité wallonne, Essai sur l’affirmation politique de la Wallonie (XIX – XXe siècles), Charleroi, Institut Destrée, 1997, coll. Notre Histoire Philippe DESTATTE, Histoire succincte de la Wallonie, http://connaitrelawallonie.wallonie.be /sites/wallonie/files/philippedestatte-histoire-succincte-de-la-wallonie_2013-08-08.pdf Francis DUMONT, L’irrédentisme français en Wallonie de 1814 à 1831, Charleroi 1938, réédité par l’Institut Destrée, Charleroi, 1965 général H-J. C OUVREUR, Le drame belge de Waterloo, Bruxelles, Brepoels, 1959, vol. 7 Au cœur de l’Histoire Léopold GENICOT, Racines d’Espérance, Vingt siècles en Wallonie, par les textes, les images et les cartes, Bruxelles, Didier Hatier, 1986 Paul HARSIN, La Révolution liégeoise de 1789, Bruxelles, Renaissance du Livre, 1954, coll. Notre Passé Paul HARSIN , Essai sur l’opinion publique en Belgique de 1815 à 1830, Charleroi, éd. de La Terre wallonne, 1930 Jean-Jacques HEIRWEGH , La fin de l’Ancien Régime et les révolutions, dans Hervé HASQUIN (dir.), La Belgique autrichienne. 1713-1794, Bruxelles, Crédit communal, 1987, p. 467-504 Hervé HASQUIN (dir.), La Wallonie. Le Pays et les Hommes. Histoire. Économies. Sociétés, Bruxelles, 1980, t. I et II Hervé HASQUIN (dir.), La Belgique française 1792-1815, Bruxelles, Crédit communal, 1993 Hervé HASQUIN, La Wallonie, Son histoire, Bruxelles, Luc Pire, 1999 M. MOYNE , Résultats des élections belges entre 1847 et 1914, Bruxelles, Institut belge de Science politique, 1970 John W. ROONEY (Jr), Brussels 1830, Lawrence, Kansas, 1981 ; John W. ROONEY (Jr), Revolt in the Netherlands. Brussels 1830, Lawrence, Coronado Press, 1982 John W. ROONEY (Jr), Profil du Combattant de 1830, dans Revue Belge d’Histoire contemporaine, Bruxelles, 1981, t. 12, fasc. 3, p. 490-512 Jean STENGERS, Histoire du sentiment national en Belgique des origines à 1918. Tome 1. Les Racines de la Belgique, Bruxelles, Racine, 2000 Els WITTE, La Construction de la Belgique 1828-1847, Bruxelles, Complexe, 2005, coll. Question d’Histoire

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Chapitre 15

Un long siècle d’éveil politique 1780-1914 Documents

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15. À propos de la périodisation En termes de périodisation, dans son Histoire succincte de la Wallonie, Philippe Destatte choisit de traiter de l’Unification politique [de la Wallonie] en faisant commencer la période en 1794, au moment des victoires françaises contre les Prussiens et les Autrichiens. Dans l’Histoire de la Wallonie parue en 1973, Robert Demoulin retient la victoire de Fleurus (26 juin 1794) pour développer le chapitre consacré à l’Unification politique et essor économique. En 2004, Philippe Raxhon fait de même pour aborder La Wallonie dans le creuset belge. Léopold Genicot, quant à lui, avait choisi de traiter des événements relatifs à la Wallonie en commençant en 1795 (annexion à la France). Tous choisissent la Grande Guerre et 1914 comme terminus ad quem. Léopold Genicot explique ainsi son choix : « (…) quand nos terres romanes jouissent politiquement, économiquement, culturellement d’une prépondérance longtemps grandissante au sein des ensembles politiques auxquels elles appartiennent et n’y sont point conscientes de leur spécificité ». Le professeur de l’Université catholique de Louvain ouvre ensuite une nouvelle période, à partir de 1914 : « (…) lorsqu’elles [nos terres wallonnes] perdent de leur primauté et, péniblement, s’éveillent à leur originalité et à leur propre destin ». Nous avons choisi ici de faire commencer la période avec les années 1780, celles des premières tentatives de réformes, politiques mais aussi religieuses et économiques, entreprises sous le régime autrichien. Ce choix permet de mieux suivre la réaction et l’attitude des populations concernées. Le volet « économique » sera quant à lui abordé dans une autre chapitre. Philippe DESTATTE , Histoire succincte de la Wallonie, p. 59, Cfr http://connaitrelawallonie.wallonie.be/sites/wallonie/files/philippedestatte-histoire-succincte-dela-wallonie_2013-08-08.pdf Robert DEMOULIN , Unification politique, essor économique (1794-1914), dans Léopold GENICOT , Histoire de la Wallonie, Toulouse, Privat, 1973, p. 313-412 Philippe RAXHON, dans Histoire de la Wallonie, Toulouse, Privat, 2004 Léopold GENICOT, Racines d’Espérance, Bruxelles, 1986, p. 147-148

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15.00. Statuts des territoires étudiés à la fin du XVIII e siècle Dispositions du Traité d’Utrecht (1713) relatives à l’espace wallon : Cfr http://connaitrelawallonie.wallonie.be/fr/histoire/atlas/dispositions-du-traite-dutrecht-1713relatives-lespace-wallon#.UrBk5fTuLMU Le Cercle de Westphalie (1512-1806) : http://connaitrelawallonie.wallonie.be/fr/histoire/atlas/le-cercle-de-westphalie-15121806#.UrBlIPTuLMU Le Cercle impérial de Bourgogne (1788) : http://connaitrelawallonie.wallonie.be/fr/histoire/atlas/le-cercle-imperial-de-bourgogne1788#.UrBlXPTuLMU Bouillon, la principauté de Liège et les Pays-Bas autrichiens à la veille des révolutions de 1789 http://connaitrelawallonie.wallonie.be/fr/histoire/atlas/principaute-de-liege-et-pays-bas-autrichiens-laveille-des-revolutions-de-1789#.UrBlvfTuLMU

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15.01.01. Diplôme de l’empereur portant établissement d’une nouvelle

forme pour le gouvernement général des Pays-Bas

« Vienne, le 1er janvier 1787 Joseph, par la grâce de Dieu, Empereur des Romains, toujours auguste, etc. Ayant résolu de donner au gouvernement général de nos provinces belgiques une forme nouvelle pour la direction et l’expédition la plus prompte et la plus régulière des affaires de son ressort, nous statuons et ordonnons les points et articles suivants : 1. Nous supprimons les trois conseils collatéraux et la secrétairerie d’État. 2. Au lieu de ces conseils (…), nous établissons un seul conseil sous le nom de Conseil du gouvernement général des Pays-Bas, où seront traitées toutes les affaires politiques et économiques du pays, d’après les règles et instructions que nous avons prescrites. (…) 6. Pour faciliter la direction des affaires du gouvernement général, et lui procurer en tout temps des notions assurées sur tout ce qui peut intéresser l’ordre public et le bien des peuples confiés à ses soins, nous avons résolu de diviser nos provinces des Pays-Bas en neuf cercles, et d’établir sous ses ordres, dans chacun de ces cercles, un intendant et plusieurs commissaires sur le pied que le gouvernement fera connaître par une ordonnance (…) 7. Considérant les frais énormes qu’entraîne, à la surcharge de nos peuples, la forme actuelle des administrations provinciales, nous avons résolu de les simplifier de la manière suivante : 8. Les collèges actuels des députés des états de toutes nos provinces Belgiques viendront à cesser avec le dernier du mois d’octobre de cette année et resteront supprimés. 9. Au lieu de ces collèges, les états de Brabant, de Flandre et de Hainaut choisiront parmi ceux de leurs membres, qui seront préalablement reconnues capables par le gouvernement, un député pour chacune de ses provinces, qui sera agrégé au conseil du gouvernement, om il aura le titre, le rang et les gages de conseiller, et où il rapportera immédiatement tous les objets des finances de sa province, et autres que le président jugera à propos de lui confier. 10. Les administrations des autres provinces n’étant pas si étendues et si considérables, nous avons jugé que deux pareils députés pour toutes pouvaient suffire ; en conséquence, les états de Limbourg et de Luxembourg auront à s’entendre sur le choix d’un de leurs membres (…) ; les états de Namur et de Tournaisis auront pareillement à s’entendre (…) (…) 12. Les cinq députés des états (…) serviront pendant un terme de trois ans, au bout duquel ils seront continués ou renouvelés (…) Donné à Vienne le 1er janvier l’an de grâce 1787, et de nos règnes, de l’Empire romain, le vingttroisième, de Hongrie, de Bohême, le septième ». Paul VERHAEGEN, Recueil des ordonnances des Pays-Bas autrichiens, troisième série, 1700-1794, t. XIII, contenant les ordonnances du 1er janvier 1787 au 28 décembre 1790, Bruxelles, Goemaere, 1914, p. 1-3

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15.01.02. Déclaration des députés des États de Hainaut concernant les

ordonnances des intendants de cercles en Hainaut

« Mons, le 15 mai 1787, LES DÉPUTÉS DES ÉTATS DE HAINAUT, Cher et bien-aimé, nous vous faisons la présente pour vous interdire bien expressément de prendre égard quelconque à aucune ordonnance ou réquisition des prétendues intendances et cercles du Hainaut ou de Mons, et de leurs soi-disant commissaires. A tant, cher et bien aimé, Dieux vous ait en sa sainte garde. Par ordonnance, Du Pré Paul VERHAEGEN, Recueil des ordonnances des Pays-Bas autrichiens, troisième série, 1700-1794, t. XIII, contenant les ordonnances du 1er janvier 1787 au 28 décembre 1790, Bruxelles, Goemaere, 1914, p. 79

15.01.03. Déclaration du Conseil de Hainaut interdisant l’établissement

d’intendants de cercles dans le Hainaut

« Mons, le 16 mai 1787, « Vu au conseil souverain de l’Empereur et Roi en Hainaut sa requête des députés des états de ce pays présentée ce jourd’hui ; ouï le conseiller avocat de sa Majesté, tout considéré. LES GRAND BAILLI, PRÉSIDENT ET GENS du dit conseil souverain ont déclaré et déclarent l’établissement des intendants, de leurs commissaires et autres suppôts dans ce pays et comté de Hainaut contraire aux lois, constitutions et franchises du dit pays ; en conséquence, sans prendre égard à tout ce qui a été publié ou rendu public concernant cet établissement, font défense à tous habitants de ce pays de déférer à aucun ordre ou réquisition quelconque du soi-disant intendant, des commissaires ou autres suppôts. Permettent aux suppliants de faire imprimer le présent arrêt et de le faire afficher partout où besoin sera. Fait en conseil, le 16 mai 1787. Par ordonnance, (s.) Maugis » Paul VERHAEGEN, Recueil des ordonnances des Pays-Bas autrichiens, troisième série, 1700-1794, t. XIII, contenant les ordonnances du 1er janvier 1787 au 28 décembre 1790, Bruxelles, Goemaere, 1914, p. 79

15.02.01. Première lettre de Jean-Nicolas de Bassenge (1787) « Liégeois, vous êtes un peuple libre ! Un peuple est libre quand il n’obéit qu’aux lois qu’il se donne à lui-même par le consentement de tous les individus qui le composent ou par celui des représentants nommés et autorisés par eux : en sorte que le peuple n’est libre qu’autant que la souveraineté, le pouvoir législatif, réside dans la nation entière. Le premier commis de la nation, son chef et non son maître, est l’organe de la volonté nationale. Membre de la souveraineté quand il s’agit de faire la loi, il est son seul délégué pour la faire exécuter. Il la fait promulguer quand tous y ont consenti. Mais il n’est que l’organe et non l’interprète : il ne peut que la publier et non la changer. Il ne peut même la faire exécuter que selon les normes prescrites ». Première lettre de Jean-Nicolas DE BASSENGE, de sa série Lettres à l’abbé de P***, 1787, cité par René VAN SANTBERGEN, 1789 au pays de Liège ou l’heureuse révolution, dans Cahiers de Clio, 1968, n°14, p. 56

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15.02.02. Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de l’Assemblée nationale (Paris, 26 août 1789)

du Congrès franchimontois (Polleur, 16 septembre 1789)

Les Représentants du Peuple Français, constitués en Assemblée nationale, considérant que l’ignorance, l’oubli ou le mépris des droits de l’homme sont les seules causes des malheurs publics et de la corruption des Gouvernements, ont résolu d’exposer, dans une Déclaration solennelle, les droits naturels, inaliénables et sacrés de l’homme, afin que cette Déclaration, constamment présente à tous les membres du corps social, leur rappelle sans cesse leurs droits et leurs devoirs ; afin que les actes du pouvoir législatif, et ceux du pouvoir exécutif pouvant être à chaque instant comparés avec le but de toute institution politique, en soient plus respectés ; afin que les réclamations des citoyens, fondées désormais sur des principes simples et incontestables, tournent toujours au maintien de la Constitution, et au bonheur de tous.

Les représentants du Peuple franchimontois, constitués en Congrès national, profitant des lumières et travaux de l’Assemblée des Représentants de la Nation française, tâchant autant qu’il est en eux de marcher sur ses traces et considérant aussi que l’ignorance, l’oubli ou le mépris des droits de l’homme sont l’unique cause des malheurs publics et de la corruption des Gouvernements, ont résolu d’exposer, à l’exemple de cette auguste Assemblée, dans une Déclaration solennelle, les droits naturels, inaliénables et sacrés de l’homme, afin que cette Déclaration, constamment présente à tous les membres du corps social, leur rappelle sans cesse leurs droits et leurs devoirs ; afin que les actes du pouvoir législatif, et ceux du pouvoir exécutif pouvant être à chaque instant comparés avec le but de toute institution politique, en soient plus respectés ; afin que les réclamations des citoyens, fondées désormais sur des principes simples et incontestables, tournent toujours au maintien de la Constitution, et au bonheur de tous.

En conséquence, l’Assemblée nationale reconnaît et déclare, en présence et sous les auspices de l’Être Suprême, les droits suivants de l’homme et du citoyen.

En conséquence, le Congrès franchimontois assemblé au village de Polleur le 16 septembre 1789 reconnaît et déclare, en présence et sous les auspices de l’Être Suprême, les articles suivants, sauf à revenir en après plus amplement cet objet important

Article premier Les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits. Les Tous les hommes distinctions sociales ne peuvent être fondées que sur l’utilité commune. Article II Le but de toute association politique est la conservation des droits naturels et imprescriptibles de l’homme. Ces droits sont la liberté, la propriété, la sûreté et la résistance à l’oppression. Article III Le principe de toute Souveraineté réside essentiellement dans la Nation. Toute Souveraineté Nul corps, nul individu ne peut exercer d’autorité qui n’en émane expressément. Article IV La liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui. Ainsi l’exercice des droits naturels de chaque homme n’a de bornes que celles qui assurent aux autres Membres de la Société, la jouissance de ces mêmes droits. Ces bornes ne peuvent être déterminées que par la Loi. Article V La Loi n’a le droit de défendre que les actions nuisibles à la Société. La Loi ne doit défendre… Tout ce qui n’est pas défendu par la Loi ne peut être empêché, et nul ne peut être contraint à faire ce qu’elle n’ordonne pas. Article VI La Loi est l’expression de la volonté générale. Tous les Citoyens ont La Loi est l’expression de la volonté générale, qui ne doit jamais droit de concourir personnellement, ou par leurs Représentants, à sa s’écarter des règles éternelles de la vérité et de la justice. Tous… formation. Elle doit être la même pour tous, soit qu’elle protège, soit qu’elle punisse. Tous les Citoyens étant égaux à ses yeux, sont également admissibles à toutes dignités, places et emplois publics, selon leur capacité, et sans autre distinction que celle de leurs vertus et de leurs talents. Article VII Nul homme ne peut être accusé, arrêté, ni détenu que dans les cas déterminés par la Loi, et selon les formes qu’elle a prescrites. Ceux qui sollicitent, expédient, exécutent ou font exécuter des ordres arbitraires, doivent être punis ; mais tout Citoyen appelé ou saisi en vertu de la Loi doit obéir à l’instant : il se rend coupable par la résistance. Article VIII La Loi ne doit établir que des peines strictement et évidemment nécessaires, et nul ne peut être puni qu’en vertu d’une Loi établie et promulguée antérieurement au délit, et légalement appliquée.

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Article IX Tout homme étant présumé innocent jusqu’à ce qu’il ait été déclaré coupable, s’il est jugé indispensable de l’arrêter, toute rigueur qui ne serait pas nécessaire pour s’assurer de sa personne, doit être sévèrement réprimée par la Loi. Article X Nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu Tout citoyen est libre dans ses pensées et opinions. que leur manifestation ne trouble pas l’ordre public établi par la Loi. Article XI La libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l’Homme : tout Citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre de l’abus de cette liberté, dans les cas déterminés par la Loi. Article XII La garantie des droits de l’Homme et du Citoyen nécessite une force Si la garantie des droits de l’Homme et du Citoyen nécessite une force publique : cette force est donc instituée pour l’avantage de tous, et non publique, cette force n’est donc instituée que pour l’avantage de tous, pour l’utilité particulière de ceux auxquels elle est confiée. et non pour l’utilité particulière de ceux auxquels elle est confiée. Article XIII Pour l’entretien de la force publique, et pour les dépenses d’administration, une contribution commune est indispensable. Elle doit (…) être également répartie entre tous les Citoyens, en raison de leurs La répartition doit être rigoureusement proportionnelle entre tous les facultés. Citoyens, en raison de leurs facultés. Article XIV Tous les Citoyens ont le droit de constater, par eux-mêmes ou par leurs Chaque citoyen a le droit… Représentants, la nécessité de la contribution publique, de la consentir librement, d’en suivre l’emploi et d’en déterminer la quotité, l’assiette, le recouvrement et la durée. Article XV La Société a le droit de demander compte à tout Agent public de son administration. Article XVI Toute Société dans laquelle la garantie des Droits n’est pas assurée, ni la séparation des Pouvoirs déterminée, n’a point de Constitution. Article XVII Article XVII La propriété étant un droit inviolable et sacré, nul ne peut en être privé, La propriété étant un droit inviolable et sacré, nul ne peut en être si ce n’est lorsque la nécessité publique, légalement constatée, l’exige privé, si ce n’est lorsque la nécessité publique, légalement constatée, évidemment, et sous la condition d’une juste et préalable indemnité. l’exige évidemment, et sous la condition d’une juste et préalable indemnité.

Jean-Guillaume BRIXHE, Journal des Séances du Congrès du Marquisat de Franchimont, Liège, Tutot, 1789 Après avoir indiqué, dans un premier temps que l’absence de l’article 17 dans la Déclaration franchimontoise la rendait plus radicale, Paul Harsin a corrigé son propos, en s’appuyant sur Jarbinet qui a fait observer que le droit de propriété était aussi présent, à Theux, dès l’article 2, parmi les droits naturels. En décembre 1790, les progressistes liégeois de la Société des Amis de la Liberté et de l’Égalité ont publié une traduction du texte en flamand à l’intention des paysans du Comté de Looz.

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15.03.01. Décret des états de Hainaut rétablissant le conseil souverain de la province « Les états du pays et comté de Hainaut en leur assemblée générale Ensuite de la résolution que nous avons prise ce jourd’hui de déclarer comme nous avons déclaré la nation indépendante et déliée du serment de fidélité prêté à l’empereur Joseph II, par le pacte d’inauguration, en conséquence, lui, empereur déchu de la souveraineté du pays et comté de Hainaut, il nous a paru nécessaire de pourvoir sans délai à ce qui a rapport à l’administration de la justice et à rétablir et réintégrer les pouvoirs judiciaires d’une manière consonante à la prédite déclaration (…) Nous avons aussi déclaré et déclarons que ledit conseil réinstallé et confirmé, portera dorénavant le titre de conseil souverain de Hainaut et réunira les autorités, pouvoirs et juridictions attribués par les chartes du pays, tant au conseil de la cour qu’au conseil ordinaire et au grand-bailly pendant la vacance de cet état, et que le conseiller Papin continuera d’exercer le ministère public sous la dénomination de conseiller avocat du pays. Fait à Mons en notre assemblée général, le 21 décembre 1789, sous notre cachet secret et la signature de notre conseiller pensionnaire. (s.) Dupré » Paul VERHAEGEN, Recueil des ordonnances des Pays-Bas autrichiens, troisième série, 1700-1794, t. XIII, contenant les ordonnances du 1er janvier 1787 au 28 décembre 1790, Bruxelles, Goemaere, 1914, p. 391

15.03.02. Ordonnance des états du pays et comté de Namur déclarant leur indépendance « L’Assemblée générale des trois membres de l’état de Namur s’étant trouvé dans le cas de prendre, aujourd’hui 22 décembre 1789, la résolution contenue dans les deux points suivants : 1° de se déclarer indépendants et en conséquence de se mettre (comme ils ont fait) au nom de la nation et pour elle en possession de la souveraineté de cette province, pour en être exercés les droits quelconques par les trois membres de l’état qui représentent le peuple namurois ; 2° d’accéder à l’union des autres provinces belgiques, en attendant les arrangements ultérieurs que l’on pourra déterminer avec elles. Ordonne que la présente résolution soit publiquement notifiée pour qu’un chacun ait à s’y conformer. Et pour que personne n’en prétexte cause d’ignorance, la présence notification et ordonnance sera imprimée, publiée et affichée dans tous les lieux ordinaires en la forme et manière accoutumées. Fait en l’assemblée générale des trois membres de l’état, le 23 décembre 1789 Paraphé F. Ga. vt ; par ordonnance signé Petitjean, et scellé du grand cachet de l’état » Paul VERHAEGEN, Recueil des ordonnances des Pays-Bas autrichiens, troisième série, 1700-1794, t. XIII, contenant les ordonnances du 1er janvier 1787 au 28 décembre 1790, Bruxelles, Goemaere, 1914, p. 391

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15.03.03. Déclaration des trente-six bannières de Tournai portant déchéance de l’Empereur « Les trente-six bannières Formant le peuple de la ville et cité de Tournai et de ses anciennes banlieues, ont, par l’organe de leurs représentants les grands souverains doyens, doyens et sous-doyens de la chambre des arts et métiers de cette ville, déclarés et déclarent l’empereur Joseph II déchu de sa souveraineté de la ville, cité et seigneurie dudit Tournai et de ses anciennes banlieues. Mandent et ordonnent, en conséquence, aux prévôt et jrués, maïeur et échevins de cette ville, et à tous autres qu’il appartient, que les présentes soient publiées et affichée ès lieux accoutumés, et partout où besoin sera, afin qu’elles soient connues, et que personne n’en prétexte cause d’ignorance. En foi de quoi, ont fait apposer le grand scel de ladite chambre des arts et métiers et la signature de son greffier. Ce 26 décembre 1789 Signé A-J. Philippart, greffier Y était apposé le grand scel de ladite chambre sur cire verte » Paul VERHAEGEN, Recueil des ordonnances des Pays-Bas autrichiens, troisième série, 1700-1794, t. XIII, contenant les ordonnances du 1er janvier 1787 au 28 décembre 1790, Bruxelles, Goemaere, 1914, p. 395

15.04.01. Proclamation de la république fédérale des « États-belgiquesunis » (11 janvier 1790) « Après la mort de l’impératrice douairière et reine Marie-Thérèse d’Autriche, les Peuples qui forment aujourd’hui les États-Unis des Pays-Bas, avaient reconnu pour leur Souverain l’Empereur Joseph II (…) et s’étaient soumis à son Empire ; mais sous des réserves et des stipulations expresses, telles que la Constitution de ces provinces les avait édictées, d’ancienneté. (…) La conservation entière de l’ancienne Religion catholique, Apostolique et Romaine ; le maintien de la Constitution, des Libertés, franchises, Coutumes et Usages tels qu’ils étaient connus dans les Chartes et consacrés par la possession immémoriale de la nation et dans ce que le Brabant surtout appelait sa Joyeuse Entrée, tout cela fut convenu et promis sous la foi du serment. (…) Cependant, malgré le Serment si positif du Souverain (…) [il] ne tendait à rien de moins qu’à tout changer, à innover sans cesse, et à priver les habitants d’une Constitution qui leur était chère (…) Enfin le Pacte qui cesse de lier dès qu’il cesse d’être réciproque était formellement rompu de la part du Souverain. Et que restait-il après cela au peuple, sinon le droit naturel et imprescriptible (…) d’opposer la force à la violence et de reprendre une autorité qu’on n’avait confiée que pour le bonheur commun et avec tant de précautions, sous des stipulations et des réserves si expresses ? C’est qui a été fait (…) A ces causes, les États belgiques, après avoir resserré les anciens nœuds d’une étroite Union et d’une amitié durable, sont convenus les points et articles suivants :

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Art. premier. Toutes ces provinces s’unissent et se confédèrent sous la dénomination d’États belgiques unis. Art. 2. Ces provinces mettent en commun, unissent et concentrent la puissance souveraine ; laquelle elles bornent toutefois et restreignent aux objets suivants : à celui d’une défense commune ; au pouvoir de faire la paix et la guerre, et par conséquent à la levée et l’entretien d’une armée nationale ; ainsi qu’à ordonner, faire construire et entretenir les fortifications nécessaires ; à contracter des alliances, tant offensives que défensives, avec les puissances étrangères ; à nommer, envoyer et recevoir des résidents ou ambassadeurs et autres agents quelconques ; le tout par l’autorité seule de la puissance ainsi concentrée, et sans aucun recours aux provinces respectives. L’on est convenu, en même temps, de l’influence que chaque province, par ses députés, aura dans les délibérations sur les objets repris dans le présent traité. Art. 3. Pour exercer cette puissance souveraine, elles créent et établissent un congrès des députés de chacune des provinces, sous la dénomination de congrès souverain des États belgiques unis. Art. 4. Les provinces susmentionnées professant et voulant professer à jamais la religion catholique, apostolique et romaine, et voulant conserver inviolablement l’unité de l’église, le Congrès observera et maintiendra les rapports anciennement observés avec le Saint-Siège, tant dans la nomination ou présentation des sujets des dites provinces aux archevêchés ou évêchés, de la manière dont les provinces conviendront entre elles dans la suite, qu’en toute autre matière, conformément aux principes de la religion catholique, apostolique et romaine, aux concordats et libertés de l’église belgique. Art. 5. Le congrès aura seul le pouvoir de faire battre monnaie, au coin des États belgiques unis, et d’en fixer le titre et la valeur. Art. 6. Les provinces de l’Union fourniront à la dépense nécessaire à l’exercice des pouvoirs souverains attribués au congrès, selon la proportion observée sous le ci-devant souverain. Art. 7. Chaque province retient et se réserve tous les autres droits de souveraineté : sa législation, sa liberté, son indépendance, tous les pouvoirs enfin, juridiction et droits quelconques qui ne sont pas expressément mis en commun et délégués au congrès souverain. Art. 8. On est convenu de plus, et irrévocablement, qu’à l’égard des difficultés qui pourront naître, soit à l’occasion de la contribution commune, soit sur quelques objets de discussion que ce soit, d ’une province avec le congrès, ou du congrès avec une province, ou de province à province, le congrès tâchera de les terminer à l’amiable, et que si une composition amiable ne pouvait avoir lieu, chaque province nommerait une personne, à la réquisition de l’une ou de l’autre des parties, par-devant qui la cause sera instruite sommairement, et qui la décideront. Et le congrès aura le droit d’exécution ; et, si la sentence est portée contre le congrès, celui-ci sera obligé de s’y soumettre. Art. 9. Les États-Unis s’obligent le plus étroitement à s’entr’aider ; et, dès qu’une province sera attaquée par un ennemi du dehors, elles feront toutes cause commune, et toutes ensemble défendront de toutes leurs forces la province attaquée. Art. 10. Il ne sera libre à aucune province de faire une alliance, ou traité quelconque, avec une autre puissance, sans le consentement du congrès, et les provinces particulières ne pourront s’unir entre elles, s’allier, ou contracter de quelque manière que ce puisse être, sans le consentement du congrès. La province de Flandre, cependant, pourra se réunir avec la West-Flandre, à condition que chacune aura ses députés particuliers au congrès ; que ces députés auront leur voix libre et indépendante : et ne pourront jamais les députés de l’une, être en même temps les députés de l’autre.

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Art. 11. Cette union sera stable, perpétuelle, irrévocable. Il ne sera libre à aucune province, ni à plusieurs, pas même à la pluralité, de rompre cette union ou de s’en séparer, sous prétexte ou d’après un motif quelconque. Art. 12. On est aussi irrévocablement convenu que le pouvoir civil et militaire, ou une portion de l’un et de l’autre, ne sera jamais conféré à la même personne, et que personne, ayant séance ou voix au congrès, ne pourra être employé dans le service militaire, et que, de même, personne en emploi militaire ne pourra être député au congrès, y avoir séance ou voix. De même, tout employé ou pensionné de quelque puissance étrangère, sous quelque dénomination que ce puisse être, ne pourra être admis au congrès. On en exclut aussi tous ceux qui, après la ratification de ce traité d’union, accepteront quelque ordre militaire ou décoration quelconque. À cet effet, tous les États composant l’union en général, et chaque membre en particulier, de même que tous ceux qui prendront séance au congrès, tous les conseillers et membres des conseils des provinces, tous les magistrats, et généralement tous les justiciers et officiers civils, promettront et jureront l’observation exacte et fidèle de cette union, et de tous et de chacun de ses points. Ainsi conclu, fait et arrêté, à Bruxelles, dans l’assemblée générale des États belgiques unis, par les soussignés, députés des États respectifs, sous la ratification de leurs commettants, le onze de janvier, l’an mil sept cent quatre-vingt-dix, à deux heures du matin ». Fred STEVENS, dans Horst DIPPEL, Constitutions of the world from the late 18th Century to the Middle of the 19th Century, Munich, K-G. Saur éd., 2008, p. 99-100 Paul VERHAEGEN, Recueil des ordonnances des Pays-Bas autrichiens, troisième série, 1700-1794, t. XIII, contenant les ordonnances du 1er janvier 1787 au 28 décembre 1790, Bruxelles, Goemaere, 1914, p. 418-421 Au bas du texte suivent les signatures des représentants de 9 des 10 provinces ; le Limbourg adhèrera à l’Union à partir de fin janvier. Proclamant son attachement à la seule religion catholique romaine, chaque province participe à l’établissement d’un Congrès souverain compétent dans les seules matières militaires, diplomatiques et monétaires. Considéré comme le pouvoir exécutif, ce Congrès se partage d’ailleurs en trois Comités chargés d’une des trois matières (armée, affaires étrangères et monnaie). Dans toutes les autres compétences, les « États provinciaux » gardent leur entière souveraineté. Ils envoient leurs députés aux États généraux, niveau législatif du nouvel État ; les décisions des ÉtatsGénéraux doivent recevoir l’aval des États provinciaux. Durant la courte existence de la république, les mêmes personnes composeront les deux assemblées, celle du Congrès et celle des États généraux. Ministre, Van der Noot reçoit la responsabilité de signer les actes du Congrès et des États généraux, en alternance avec le secrétaire d’État Van Eupen. La prise de décision se heurtera très vite au problème de la représentation des 9 États : en effet, avec 20 et 22 voix (sur 90), Brabant et Flandre disposent quasiment de la majorité puisque 7 sièges restent non attribués, étant réservés aux Luxembourgeois… Ignorant généralement le monde rural, les représentants du Brabant viennent essentiellement de Louvain, Bruxelles et Anvers. Dès lors, il est décidé qu’il faudra 56 voix pour qu’une résolution soit adoptée. Le Congrès souverain qui tiendra plusieurs réunions compte alors 26 députés du pays wallon : 6 députés pour Limbourg, 7 pour Namur, 4 pour Tournai et le Tournaisis et 9 pour le Hainaut ; le nombre total atteint 33 députés wallons si l’on ajoute les 7 sièges (réservés) pour les Luxembourgeois.

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15.04.02. Ordonnance des états de Namur annulant l’édit du 28 septembre 1784

« Étant de plus important de pourvoir à l’irrégularité et aux abus sans nombre qui ont eu lieu à l’égard de la législation de cette province, nommément pour ce qui concerne les édits et ordonnances émanées, tant en matière ecclésiastique que civile, depuis 1781, nous avons reconnu combien il était essentiel de nous occuper d’abord de cette besogne, et y disposer, après néanmoins avoir eu sur ce, les avis de qui il appartient, mais entre-temps, comme l’édit de l’empereur concernant le mariage du 28 septembre 1784, est notoirement contraire aux principes les plus évidents de la jurisprudence canonique, blessant les droits les plus sacrés de la religion, nous le déclarons nul de tout chef, et qu’à cet égard on se conformera aux droits et lois observées antérieurement sur cette matière. Ordonnant à tous les juges et autres de s’y conformer, à quel effet les présentes seront publiées, imprimées et affichées dans tous les lieux ordinaires en la forme et la manière accoutumées. Donné à Namur, le 30 décembre 1789 Paraphé F. Gab. vt ; et plus bas : Par ordonnance signé Petitjean, et scellé du grand cachet de l’état » Paul VERHAEGEN, Recueil des ordonnances des Pays-Bas autrichiens, troisième série, 1700-1794, t. XIII, contenant les ordonnances du 1er janvier 1787 au 28 décembre 1790, Bruxelles, Goemaere, 1914, p. 399

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15.06. Manifeste des Belges et Liégeois unis (avril 1792) « (…)

Adresse aux peuples belge et liégeois, de la part et au nom du Comité réuni des deux Nations

Belges, Liégeois, nos chers concitoyens (…) C’est contre tous les genres de despotisme et d’usurpation, c’est une pour une liberté dont la justice et la volonté nationale sont les seules limites, c’est pour la souveraineté du peuple enfin que nous avons travaillé, que nous avons combattu, que nous avons souffert. (…) Ayant choisi pour asile une terre libre, amie et hospitalière, nous n’avons point consumé les jours de notre exil en vains et inutiles regrets ; tous les moments de nos souffrances ont été mis à profit pour la patrie ; tous nos vœux ont été dirigés vers but unique, de la prompte délivrance de nos concitoyens ; (…) Essai sur une Constitution à adopter par les provinces belgiques et le pays de Liège. Les Belges et les Liégeois, réunis en comité général, convaincus de l’ignorance, l’oubli ou le mépris des droits de l’homme et du citoyen, sont les seules causes des malheurs publics et de la corruption des gouvernements ; (…) Déclaration des droits de l’homme et du citoyen er Art. I . Tous les hommes naissent et demeurent égaux en droits. II. Les droits naturels et imprescriptibles de l’homme sont la liberté, la propriété, la sûreté et la résistance à l’oppression. III. L’exercice des droits naturels de chaque homme n’a de bornes que celles qui assurent aux autres hommes, ses égaux, la jouissance des mêmes droits. IV. Le but de toute association politique et de l’institution d’un gouvernement quelconque, doit être la conservation de ces droits. V. La volonté générale d’un peuple ou d’une nation peut seul concourir à former la constitution (…) VII. La souveraineté réside essentiellement dans la nation ; cette souveraineté est absolue, entière, indivisible et inaliénable. Nul individu, nul corps ne peut donc exercer d’autorité qui n’en émane expressément. [En tout XXIX articles] De la forme de la nouvelle république Art. Ier Les provinces belgiques, ci-devant autrichienne et le pays de Liège, ne formeront à l’avenir qu’un seul état, sous la dénomination de république Belgique. 2. Cette république sera une démocratie représentative : les représentants seront le corps législatif et le Sénat. 3. Son territoire sera distribué en district et chaque district en communes. (…) Texte complet (32 pages cfr http://books.google.be/books?id=ga86AAAAcAAJ&printsec= frontcover&hl=fr&source=gbs_ge_summary_r&cad=0#v=onepage&q&f=false Du passé, rien ne subsistera. La constitution du « manifeste des Belges et Liégeois unis » prévoit qu’un Comité révolutionnaire provisoire (comité central de 50 personnes) se mettra en place afin d ’organiser des élections. Un représentant pour dix mille habitants ! Dès l’élection de 150 délégués, mise en place d’une Assemblée constituante. Basée sur les droits de l’homme, la république belgo-liégeoise de l’avenir devait être une réelle démocratie. Fondée sur le principe de la démocratie représentative, la république disposerait d’un pouvoir législatif exercé par une assemblée élue au suffrage direct et universel par tous les citoyens majeurs, pour deux ans ; l’exécutif serait confié à un Conseil des Ministres composé de quinze membres, doté du droit de veto. En cas de blocage entre le Conseil et l’Assemblée, la promulgation des décrets sera soumise à un référendum populaire. Quant au pouvoir judiciaire, il sera entre les mains de juges choisis par le peuple ; la justice serait gratuite et fonctionnerait dans un système entièrement réorganisé.

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15.07.01. Proclamation de Dumouriez au Peuple belge « Nous, Charles-François Dumouriez, Lieutenant-général commandant en chef l’armée de la Belgique : déclarons de la part de la République française que non seulement le peuple est libre et dégagé de l’esclavage de la maison d’Autriche, mais que, par le droit imprescriptible de la nature, c’est lui, peuple, qui est le Souverain, et que nulle personne n’a autorité sur lui, si ce n’est lui-même qui délègue une partie de sa souveraineté ; ainsi pour pouvoir traiter de ses intérêts avec les généraux des armées de la République française, il doit commencer par élire sur le champ ses magistrats et ses administrateurs par la voie du scrutin, ou la plus convenable, et envoyer les mêmes ordres à toutes les villes, bourgs et villages de son ressort. Que ni la République française, ni les généraux qui commandent les armées, ne se mêleront en rien d’ordonner ou même d’influencer la forme du Gouvernement des provinces Belgiques, lorsque le peuple Belge commencera à user de son droit de Souverain. Qu’en attendant que la constitution politique soit établie, les impositions et contributions continueront à être levées dans la même forme et sur la même proportion, au nom du Souverain qui sera le peuple, pour qu’aucun service militaire ou d’administration ne puisse manquer, mais qu’au lieu que les fonds publics soient versés dans les mains des barbares et insatiables Autrichiens, le peuple tirera des administrateurs de son propre sein, pour gérer les fonds publics avec sagesse et économie et pour les appliquer surtout à la formation la plus prompte d’une armée nationale en suivant à cet égard les conseils des généraux Français qui ne veulent avoir aucun maniement de ces fonds, mais qui, d ’après leur espérance et d’après l’intérêt qu’ils ont à renforcer les corps qu’ils commandent avec des troupes Belgiques, doivent mériter justement la confiance de la Nation Belge. (…) Si malheureusement quelque province ou quelque ville, bourg ou village est assez avili par l’esclavage pour ne pas saisir avec enthousiasme l’arbre de la liberté que les Français veulent établir chez leurs voisins, (…), si quelque partie de la Belgique est assez abrutie pour ne pas sentir l’avantage et la Majesté de sa Souveraineté dans le moment où les Français emploient leurs armes aussi victorieuses que justes, pour faire ce présent céleste aux Belges, nous déclarerons que cette province, cette ville, ce bourg, ce village, seront traités comme les vils esclaves de la maison d’Autriche, et que les armées de la République, pour se venger des atrocités commises par les féroces soldats de ces féroces despotes, mettront les villes en cendres et lèveront des contributions qui feront souvenir longtemps de leur passage. Vraisemblablement aucun général français ne sera dans le cas de menacer d’une pareille exécution et encore moins d’en venir à ces extrémités. Le peuple belge a l’âme trop élevée et soupire depuis trop longtemps après la liberté, pour ne pas rentrer avec énergie et empressement, dans tous les droits que la nature a donnés aux hommes réunis en société, et dont l’ignorance seule leur a failli perdre l’usage. Ainsi donné au Quartier général de la ville libre de Mons, ce 8 novembre 1792, l’an premier de la République. (s.) C. Dumouriez, Lieutenant-général ». Paul VERHAEGEN, Recueil des ordonnances des Pays-Bas autrichiens, troisième série, 1700-1794, t. XIV, contenant les ordonnances du 13 janvier 1791 au 30 mars 1793, Bruxelles, Goemaere, 1936, p. 147-148

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15.07.02. Le projet politique de Dumouriez « Peuple belge, vous aviez entrepris une grande révolution en 1789 ; vous aviez chassé de chez vous les Autrichiens ; toute la Belgique était sous les armes, vous vous croyiez libres. Un congrès aussi despotique que de mauvaise foi et peu éclairé, conduit par un prêtre fourbe et hypocrite, le tartuffe Van Eupen, tremblait devant le plus grossier, les plus vil, le plus poltron des tyrans, le hideux Vandernoot. Vos États, vos nobles, et surtout vos prêtres, ces prêtres qui ne vous avaient armé contre Joseph II que pour se venger des réformes ecclésiastiques qu’il avait voulu faire, vous ont joués, vous ont vendus, vous ont livrés. (…) [ils] ont fait la paix à vos dépens. (…) vous n’aviez rien changé à la forme de votre gouvernement (…) vous n’aviez fait que substituer une tyrannie à une autre tyrannie. Pendant que vous replongiez dans l’esclavage pour avoir méconnu le prix de la liberté, le peuple français assurait la sienne par des scènes sanglantes, mais nécessaires (…) Cette nation a entendu vos cris. (…) Vous croyez, peuple belge, que tout est fait parce que vous n’avez plus d’Autrichiens sur votre territoire, vous vous trompez ; vous n’avez encore rien fait pour votre liberté ; vous n’avez pas encore commencé votre révolution si vous conservez des États, des ordres qui classent inégalement des citoyens que la nature a formés égaux, une représentation réduite à un petit nombre de familles et d’individus, une magistrature vénale ou héréditaire que vous ne nommez pas vous-mêmes, une autorité féodale qui avilit la pluralité des citoyens, une constitution qui nécessite un souverain qui n ’est pas le peuple, et auquel il obéit en esclave. (…) Peuple belge, voulez-vous être libre ? Il faut que vous soyez souverain. Il faut que vous abolissiez toutes les distinctions, tous les privilèges, et par conséquent la vieille constitution qui les établit. Un peuple souverain ne peut avoir ni nobles, ni roturiers, parce que tous les citoyens sont nés égaux, et que la souveraineté du peuple n’est autre chose que le droit de la nature. Quand Dieu créa l’homme à son image, il ne fit point des hommes nobles ni des hommes roturiers. (…) (…) Voulez-vous ramener la religion à sa pureté ? (…) Rendez vos prêtres à leurs fonctions ; ôtez-leur leurs richesses qui vous appartiennent, qu’ils ont usurpées sur votre crédulité (…) Une seule classe de prêtres est utile et nécessaire : c’est celle des curés et des vicaires, méprisée par les évêques, les abbés et les moines (…) Malheureux tiers-état, laboureurs respectables, artisans industrieux, négociants qui vivifiez votre patrie, que les deux ordres privilégiés tyrannisent en vous ruinant, reprenez votre dignité ; c’est vous qui formez essentiellement le peuple belge (…) J’ai vu dans toutes les villes que j’ai traversées à la tête d’une armée républicaine et triomphante les expressions de votre joie pure ; mais avec quelle douleur vous ai-je entendu crier : vive la liberté, vive les états ! C’est comme si vous disiez : vive la liberté, vive l’esclavage ! (…) Choisissez, Belges, entre la liberté ou l’esclavage, entre votre propre souveraineté ou le despotisme d’un maître, entre un gouvernement populaire ou une aristocratie tumultueuse, et qui vous ramènera toujours au gouvernement ambitieux d’un seul. Votre sort est dans vos mains ; vous allez ou user sagement de cette époque de liberté pour former une république fondée sur le droit naturel, ou la perdre en conservant votre constitution vicieuse, qui deviendra encore une fois une arme pour les tyrans contre vous. J’espère que vous aimez trop la liberté pour balancer ; écoutez la voix d’un homme libre, d’un ami de l’égalité, d’un ennemi des despotes et d’un vengeur des droits de l’homme, à qui votre intérêt seul dicte des vérités que vous devez retrouver dans votre cœur si vous êtes dignes d’être une nation libre et souveraine ». (s.) Le général en chef de l’armée de la Belgique Dumouriez Extrait de la Gazette nationale ou Le moniteur universel, n°347, 12 décembre 1792, p. 82-83

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15.07.03. Proclamation de la municipalité libre de Mons (8 novembre 1792) PROMULGATION des Administrateurs provisoires élus librement par le Peuple de Mons, ensuite de la Déclaration du

Général Dumouriez, en date du Quartier général en la dite Ville, le 8 novembre l’an premier de la République. AU NOM DU PEUPLE SOUVERAIN. Nous déclarons à la face du Ciel et de la Terre que tous les liens qui nous attachoient à la Maison d’Autriche-Lorraine sont brisés ; jurons de ne plus les renouer, et de ne reconnoître en qui que ce soit aucun droit à la souveraineté de la Belgique ; car nous voulons rentrer dans nos droits primitifs, imprescriptibles et inaliénables. Tout pouvoir émanant essentiellement du Peuple, nous déclarons que le Corps des États, toute Judicature supérieure et subalterne cessent, d’autant qu’ils n’ont pas été constitués par le Peuple, leur défendant expressément en son nom d’exercer aucune fonction, à peine d’être poursuivis comme usurpateurs du pouvoir souverain. Fait en Assemblée générale tenue en la Ville libre de Mons, ce 8 novembre 1792, an premier de la République Belgique (s) A.G. Grenier, Vice-président CFJ Larivière, Secrétaire Paul VERHAEGEN, Recueil des ordonnances des Pays-Bas autrichiens, troisième série, 1700-1794, t. XIV, contenant les ordonnances du 13 janvier 1791 au 30 mars 1793, Bruxelles, Goemaere, 1936, p. 148

15.08.01. Décret de la Convention du 15 décembre 1792 Décret du 15 décembre 1792, par lequel la France proclame la liberté et la souveraineté de tous les peuples chez lesquels elle a porté et portera les armes. « La Convention nationale, après avoir entendu le rapport de ses comités des finances, de la guerre et diplomatique, réunis, fidèle aux principes de la souveraineté du peuple, qui ne lui permet pas de remettre aucune institution qui y portent atteinte, et voulant fixer les règles à suivre par les généraux des armées de la République, dans les pays où ils porteront les armes, décrète : Article 1er : Dans les pays qui sont ou seront occupés par les armées de la République, les généraux proclameront sur-le-champ, au nom de la nation française, la souveraineté du peuple, la suppression de toutes les autorités établies, des impôts ou contributions existants, l’abolition de la dîme, de la féodalité, des droits seigneuriaux, tant féodaux de censuels, fixes ou casuels, des banalités, de la servitude réelle et personnelle, des privilèges de chasse et de pêche, des corvées, de la noblesse et généralement de tous les privilèges. Article 2 : Ils annonceront au peuple qu’ils lui apportent paix, secours, fraternité, liberté et égalité, et ils le convoqueront de suite en assemblées primaires ou communales, pour créer et organiser une administration et une justice provisoire ; ils veilleront à la sûreté des personnes et des propriétés, ils feront imprimer le langage ou idiome du pays, afficher et exécuter sans délai, dans chaque commune, le présent décret et la proclamation y annexées. [...] (…) Article 11 : La nation française déclare qu’elle traitera comme ennemi le peuple qui, refusant la liberté et l’égalité, ou y renonçant, voudrait conserver, rappeler ou traiter avec le princes et les castes privilégiées ; elle promet et s’engage à ne souscrire aucun traité, et de ne poser les armes qu’après l’affermissement de

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la souveraineté et l’indépendance du peuple sur le territoire duquel les troupes de la république sont entrées, et qui aura adopté les principes de l’égalité, et établi un gouvernement libre et populaire. [...] Le peuple français au peuple .... Frères et amis, nous avons conquis la liberté, et nous la maintiendrons. Nous offrons de vous faire jouir de ce bien inestimable qui nous a toujours appartenu et que nos oppresseurs n’ont pu vous ravir sans crime. Nous avons chassé vos tyrans : montrez-vous hommes libres, et nous vous garantirons de leur vengeance, de leur projet et de leur retour. Dès ce moment, la nation française proclame la souveraineté du peuple, la suppression de toutes les autorités civiles et militaires qui vous ont gouvernés jusqu’à ce jour, et de tous les impôts que vous supportez, sous quelque forme qu’ils existent. [...] Vous êtes, dès ce moment, frères et amis, tous citoyens, tous égaux en droits, et tous appelés également à gouverner, à servir et défendre votre patrie. Formez-vous sur-le-champ en assemblées primaires ou de communes, hâtez-vous d’établir vos administrations et justices provisoires, en se conformant aux dispositions de l’article 3 ci-dessus. Les agents de la République française se concerteront avec vous, pour assurer votre bonheur et la fraternité qui doit exister désormais entre nous ». DUVERGER J-B., Collection complète des lois, décrets, ordonnances, règlements et avis du conseil d’Etat, Guyot, Paris, t. V, p. 105-107.

15.08.02. Constat d’un commissaire de la Convention envoyé dans le Namurois « La différence est frappante entre Namur accablée par un sentiment d’aristocratie et les habitants du reste de la province. (…) Les habitants de la campagne ont un esprit bien différent à la vérité. Ce ne sont pas des hommes bien éclairés, mais leurs dispositions sont d’autant meilleures qu’ils saisissent ce qu’on leur dit avec une intelligence précieuse et une vertu de sentiments qui les met bien au -dessus des habitants de cette ville gangrénée [Namur]. Ces pauvres gens ne savaient comment s’y prendre : nous les avons dirigés et enfin nous sommes parvenus à en former une majorité prépondérante, qui déjà a pris des arrêtés d’une sagesse et d’une modération exemplaire. (…) Nous les avons pas quittés, nous les avons pressés d’aller en avant et sur l’exposé de plusieurs d’entre eux que leurs affaires et leur manque d’argent les appelaient chez eux, nous avons cru devoir leur en offrir et leur dire que la République française tiendrait avec eux l’engagement qu’elle avait contracté envers tous les peuples qui voulaient être libres et qu’ainsi ses recours leur étaient offerts avec plaisir. Il faut offrir aux patriotes timides de la Belgique de puissants moyens de sécurité, il faut leur prouver par un ample développement de nos ressources militaires qu’ils n’ont pas à craindre le retour de la domination autrichienne ». Rapport de Scipion Bexon et Hyacinthe Rigaud, commissaires français de la Convention envoyés dans le Namurois pour appliquer le décret du 15 décembre 1792, cité dans Jean-Louis DELAET (dir.), Libresur-Sambre. Charleroi sous les révolutions 1789-1799, Bruxelles, Crédit communal, 1989, p. 64 et 66

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15.08.03. Un avis motivé, favorable à la réunion à la France « (…) la fusion !... que ne peut-elle se faire ! Que ne peuvent les valeurs habitants des belles et fertiles contrées qu’arrosent l’Escaut et la Lys, en secouant la poussière des préjugés qui les offusquent, sentir enfin leurs véritables intérêts, s’élever à la dignité d’hommes ! Mais dans ce cas, hélas !, en apparence encore bien éloigné, nous le répétons, nous croyons que leur intérêt serait aussi la réunion au grand tout. Et certes, si nous prévoyions même cet heureux événement, nous devrions toujours nous empresser de donner l’exemple. S’il est un moyen de le hâter, c’est cet exemple donné par nous, sans doute ; donné par nos bons voisins de Stavelot. Invitions le Limbourg à nous suivre. Le Limbourg, pour ainsi dire, sans Nobles et sans Prêtres, sentira assurément combien est dérisoire le fantôme d’États qui prétendument le représente ; il sentira les incalculables avantages que cette réunion lui présente. Ils sont évidents, ils sont palpables. (…) les avantages incalculables de la réunion vous procure : l’augmentation du commerce, la libre navigation de la Meuse et de vos autres rivières, l’importation en France de tous vos ouvrages de fer, des produits de toutes vos fabriques, sans aucune imposition. Ajoutez-y la suppression absolue et très prochaine de toutes les impositions, surtout sur les consommations, que la classe indigente du Peuple supporte avec tant de gêne ; la liberté absolue du commerce, que ces impositions entravent de toutes les manières ; la diminution nécessaire et prompte du prix des denrées, surtout de celles de première nécessité. Voyez les campagnes délivrées du fardeau intolérable des dîmes, des droits féodaux, des banalités, des droits de chasse, de pêche, et tant d’autres exactions oppressives qui tuent la culture de la terre, ce fondement des États, cette base de la Société, source de laquelle tout émane, à laquelle tout revient et qui, ranimée enfin, va doubler rapidement la richesse nationale, et assurer au Peuple le bonheur par l’aisance (…) ». Extrait d’un rapport fait à la Société des Amis de la Liberté et de l’Égalité de Liège, en 1793, concernant l’annexion à la France, dans Th. MAES et R. VAN SANTBERGEN, Texte et document d’histoire de Belgique, Bruxelles, 1978, t. I, p. 251-253

15.10. Principes reconnus par l’Assemblée général du duché souverain

de Bouillon, pour servir de base à toute Constitution

« L’homme est né libre. La liberté qu’il apporte en naissant lui donne droit à la vie, à l’usage de ses facultés, au produit de son travail et de son industrie. Mais des hommes méchants et pervers pouvant troubler illégitimement leurs semblables dans l’exercice de leurs droits naturels, il est nécessaire que des sociétés soient formées pour le soutien de ces droits. La réunion des individus qui composent ces sociétés, petites ou grandes, est connue sous le nom de Nation. Il n’y a point de société sans convention. Les lois particulières des Nations sont des conventions faites par les Nations pour elles-mêmes. Toute Nation a le droit inaliénable et imprescriptible de faire ses lois. Tout citoyen, membre de la Société, a droit de concourir à la formation des lois, auxquelles il doit obéir. Il peut, par tous les moyens que la nature lui fournit pour faire connaître ses réflexions, proposer à ses concitoyens ou la formation ou la réformation d’une loi. Le mode adopté par la Nation, pour la formation, l’exécution et l’application des lois, est la première Loi nationale ; celle qui donne aux autres lois toute leur force. Cette Loi prend son existence dans la volonté ou le consentement de la généralité, ou de la majorité des citoyens. Aucune puissance n’a le droit de s’opposer à la volonté manifeste de la majorité manifeste de la généralité, ou de la majorité des citoyens, de faire ou revoir la première Loi Nationale.

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La Nation, après avoir fait dûment connaître sa volonté aux chefs qu’elle s’est donné, ou qu’elle a reconnu volontairement par une obéissance continue, peut toujours s ’assembler, ou charger de ses pouvoirs un nombre déterminé de citoyens, pour faire, ou revoir la première Loi Nationale. Lorsqu’à cet effet la nation s’assemble, ou charge plusieurs Citoyens de tous ses pouvoirs, elle est en plein exercice du seul pouvoir dont elle ne peut se dessaisir, ni être dessaisie. Ce pouvoir est le pouvoir constituant, duquel émanent tous les autres pouvoirs. Les différents pouvoirs, délégués par le corps constituant, sont les ressorts de toute constitution. Toute Constitution est la série des lois qui déterminent la division, l’organisation et l’attribution des pouvoirs publics. Les pouvoirs établis par le corps constituant, comme les ressorts de la constitution, ne peuvent presser l’un sur l’autre, que suivant les proportions déterminées, sans qu’ils puissent jamais s’entre-détruire. Il est toujours libre à celui qui est né, ou qui est venu sur le territoire, dont les habitants sont soumis à certains lois, pour ce qui concerne leur personne et leurs biens, de chercher partout ailleurs une terre dont les habitants soient soumis à des lois plus selon son goût ». Constitution du Duché souverain de Bouillon Titre premier : de la division du Duché et de l’État des Citoyens Art. I. Le Duché de Bouillon est un et indivisible : son territoire est distribué en sept cantons ; chaque canton en communes. Art. II. Sont citoyens du Duché de Bouillon : 1° Ceux qui, nés d’un père, citoyen du Duché, y ont fixé leur résidence 2° Ceux qui, nés en pays étrangers, d’un père, fils d’un citoyen du Duché, sont revenus s’établir dans le Duché (…) Titre II : des pouvoirs publics Art. I. Tous les pouvoirs émanent de la Nation, qui ne peut les exercer que par délégation Art. IV. La constitution du duché de Bouillon établit trois pouvoirs publics : le pouvoir législatif, le pouvoir exécutif, le pouvoir judiciaire (…) » Fred STEVENS, dans Horst DIPPEL, Constitutions of the world from the late 18th Century to the Middle of the 19th Century, Munich, K-G. Saur éd., 2008, p. 99-100

15.11.01. Un autre avis parmi d’autres sur les événements de 1789 à 1795 « Je puis attester que la haine de l’Autriche était dans la plupart des cœurs, dans la plupart des cœurs des (…) patriotes de 87 et de 90 ; je puis attester que les Français étaient attendus et désirés en 1792 avec une sorte d’impatience. Eh bien ! ils n’étaient pas si tôt arrivés dans un endroit, qu’on en était las ; que la joie qu’on avait d’abord montrée était convertie en tristesse et les acclamations en un morne silence (…). D’où venait donc ce changement si grand et su prompt, cette aversion si marquée ? C’est que l’espérance de ce peuple fut trompée ; c’est qu’on le blessa par l’endroit le plus sensible. Les Français, comme un torrent rapide et dévastateur renversèrent en un clin d’œil toutes les institutions politiques, et s’ils n’osèrent renverser aussi vite ses institutions religieuses, ils versèrent du moins sur elles à pleines mains ces sarcasmes outrageants, ce mépris ironique qui sont si familiers à la nation française (…). Le vœu des Belges est de rester Belges et non d’adopter la constitution française ». Adrien-Philippe Raoux, Lettre au Comité de Salut public du 26 septembre 1795

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15.11.02. La politique linguistique de la France « Langue française – départements réunis- emploi obligatoire dans les actes publics » LE GOUVERNEMENT DE LA RÉPUBLIQUE, sur le rapport du grand juge, ministre de la justice ; le conseil d’État entendu, ARRÊTE : Article 1er. Dans un an, à compter de la publication du présent arrêté, les actes publics dans les départements de la ci-devant Belgique, dans ceux de la rive gauche du Rhin, et dans ceux du Tanaro du Pô, de Marengo, de la Stura, de la Sesia et de la Doire, et dans les autres où l’usage de dresser lesdits actes dans la langue de ces pays se serait maintenu, devront tous être écrits en langue française. Art. 2 Pourront néanmoins les officiers publics, dans les pays énoncés au précédent article, éc rire à mimarge de la minute française la traduction en idiome du pays, lorsqu’ils en seront requis par les parties. Art. 3. Les actes sous seing privé pourront, dans ces départements, être écrits dans l’idiome du pays ; à la charge par les parties qui présenteront des actes de cette espèce à la formalité de l’enregistrement, d’y joindre, à leurs frais, une traduction française desdits actes, certifiés par un traducteur juré. (…) Le premier Consul, Bonaparte (…) Arrêté du 24 prairial an XI (13 juin 1803), dans Recueil des circulaires, instructions et autres actes émanés du ministère de la Justice ou relatifs à ce département, Première série (1795-1813), Bruxelles, 1882, p. 115-116

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15.11.03. Napoléon en visite à Liège

Bonaparte premier consul. Tableau de J-D. Ingres, 1803, Musée des Beaux-Arts Liège À travers la fenêtre, apparaît une représentation de ce que devait être la cathédrale Saint-Lambert.

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15.11.04. Extraits de rapports de Micoud d’Umons À l’heure où l’empire accumule les défaites, le préfet de l’Ourthe, le baron Micoud d’Umons, fait rapport à Paris sur l’état d’esprit dans les « départements réunis » : En date du 13 octobre 1813 : « les contrées entre Meuse et Rhin, la Belgique et la Hollande, offrent de nombreux partisans des ennemis et ils s’insurgeraient s’ils se croyaient réellement soutenus : jusque-là ils ne bougeront pas. Les seuls départements de l’Ourthe (la partie du Limbourg excepté), de Sambre-et-Meuse et de Jemappes résisteraient plus longtemps. Je crois même qu’un assez bon nombre du premier marcheraient contre l’ennemi si on le voyait franchir le Rhin ». En date du 6 novembre 1813 : « Si la ligne du Rhin n’est bientôt assurée, l’ennemi se fortifiera de beaucoup de conscrits et de tous les prolétaires des départements réunis, car les peuples qui ne parlent pas français sont en général contre nous » Cité par Francis DUMONT, L’irrédentisme français en Wallonie de 1814 à 1831, Charleroi 1938, réédité par l’Institut Destrée, Charleroi, 1965, p. 6 et ssv.

15.12. Cartes Trois gouvernements généraux (février-juin 1814) : Cfr http://connaitrelawallonie.wallonie.be/fr/histoire/atlas/trois-gouvernements-generaux-fevrierjuin-1814#.UrCJ-fTuLMU Deux gouvernements généraux (12 juin – 20 août 1814) : Cfr http://connaitrelawallonie.wallonie.be/fr/histoire/atlas/deux-gouvernements-generaux-12-juin-20aout-1814#.UrCJ1PTuLMU La bataille de Waterloo : Cfr http://connaitrelawallonie.wallonie.be/fr/histoire/atlas/la-bataille-de-waterloo-18-juin-1815-10h#.UrCJVfTuLMU Les changements apportés aux frontières du pays wallon par les traités de Paris et le congrès de Vienne (1814-1815) : Cfr http://connaitrelawallonie.wallonie.be/fr/histoire/atlas/les-changements-apportes-aux-frontieresdu-pays-wallon-par-les-traites-de-paris-et-le#.UrCJm_TuLMU

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15.13.01. Le sentiment national plus fort que les intérêts matériels et diplomatiques (1814) « Il n’est que trop vrai que l’opinion publique en Belgique se prononce de plus en plus contre la réunion avec la Hollande… Sans l’extrême antipathie mutuelle qui s’est emparée des deux peuples, la réunion serait un bienfait pour les deux nations et un moyen de créer une barrière puissante entre la France et le Nord de l’Allemagne. Mais avec ce sentiment, il est douteux si ce but sera atteint ; il serait même possible que cet antagonisme national affaiblit les ressorts de la puissance qu’ils pourraient développer ». Lettre de l’ambassadeur prussien à Frédéric-Guillaume III du 15 décembre 1814, cité par Paul HARSIN , Essai sur l’opinion publique en Belgique de 1815 à 1830, Liège, 1930, p. 11

15.13.02. L’avis des Belges en 1815 « Si l’on demande ce que les Belges veulent après tout, on ne peut répondre autre chose si ce n’est qu’ils ne veulent pas être Hollandais, car leur amour-propre, blessé par leur réunion à un aussi petit pays, leur fait envisager leurs rapports avec la Hollande comme des rapports de provinces » Courrier de l’ambassadeur d’Autriche au chancelier Metternich, 7 novembre 1815, cité par Paul HARSIN, Essai sur l’opinion publique en Belgique de 1815 à 1830, Liège, 1930, p. 11

15.13.03. Amalgame impossible (1816-1817) « Belges et Hollandais se haïssant réciproquement s’accordent cependant sur un point : que l’amalgame de deux pays composés d’éléments trop hétérogènes est absolument impossible et qu’il faut à chacun d’eux une administration particulière conforme à sa nature ». (5 décembre 1816) « Si jamais deux nations… n’ont absolument rien eu de commun en fait de caractère, de mœurs et d’intérêts, ce sont les Hollandais et les Belges et cependant ils sont destinés à vivre sous le même gouvernement et dans les rapports les plus directs et les plus intimes. Ni le temps ni tous les efforts du Roi ne les rapprocheront jamais. C’est moralement et c’est physiquement impossible ». (juillet 1817) Courrier de l’ambassadeur de Russie Czernicheff au tsar Alexandre Ier, cité par Paul HARSIN, Essai sur l’opinion publique en Belgique de 1815 à 1830, Liège, 1930, p. 12

15.13.04. Quelques dispositions de la Grondwet révisée (1815) - Art. 190. La liberté des opinions religieuses est garantie à tous. - Art. 191. Protection égale est accordée à toutes les communions religieuses qui existent dans le royaume. - Art. 192. Tous les sujets du roi, sans distinction de croyance religieuse, jouissent des mêmes droits civils et politiques, et sont habiles à toutes dignités et emplois quelconques. (…) - Art. 193. L’exercice public d’aucun culte ne peut être empêché, si ce n’est dans les cas où il pourrait troubler l’ordre et la tranquillité publique. - Art. 226. Grondwet, dans Pasinomie, Bruxelles, 1837, II, p. 325-345

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15.13.05. Le mécontentement gronde « Depuis la discussion qui a eu lieu dans la seconde chambre à l’occasion de l’emprunt de 8 millions de florins, les Belges, m’assure-t-on, ne gardent plus de réserve dans l’expression de leur mécontentement contre le gouvernement du roi et de leur haine pour les Hollandais… Ils se plaignent aussi de la partialité du roi qui les gouverne, de celle du ministère qui les régit et ils s’irritent de la présence d’un ambassadeur qui prétend à l’un et à l’autre. À cette occasion, ils retracent avec amertume toutes les causes qui peuvent s’opposer à l’union des deux partis distinctes formant le royaume des Pays-Bas. La différence qui existence dans leurs mœurs, leur religion, leur langue, leurs intérêts, leurs souvenirs, sont représentés comme autant d’obstacles insurmontables à cette union. Dans cet état de choses, quelques personnes rêvent à l’indépendance de la Belgique, c’est-à-dire à la séparation de la Hollande sous un souverain de leur choix et leurs yeux se fixent sur le prince d’Orange. D’autres, en plus grand nombre, regrettent de n’être plus français et se bercent de l’espérance de le redevenir un jour ». Note de l’ambassadeur de Ségur au chancelier Pasquier, 24 décembre 1820, cité par Paul HARSIN, Essai sur l’opinion publique en Belgique de 1815 à 1830, Liège, 1930, p. 27-28

15.13.06. De l’opinion publique en 1829 « (…) Il est moins aisé de dire à quel point les mesures du gouvernement et sa marche en général sont populaires et quel est l’esprit qui anime la population à cet égard : la session des états provinciaux de 1828, celle de 1829, la réunion de l’ordre équestre de juin dernier, le résultat des diverses élections, les pétitions aux États généraux, les nombreux abonnements aux journaux de l’opposition, tout cela indique positivement que les diverses classes de la société ont été mues et inspirées par un esprit contraire à la marche de l’administration… ». Rapport du gouverneur de la province de Liège, décembre 1829, cité par Paul HARSIN, Essai sur l’opinion publique en Belgique de 1815 à 1830, Liège, 1930, p. 66

15.14.01. Arrêté royal du 15 septembre 1819 « Art. 5. À dater du 1er janvier 1823, aucune autre langue que la langue nationale ne sera reconnue légale pour les affaires publiques dans les provinces de Limbourg, de Flandre orientale, de Flandre occidentale, et d’Anvers ; en conséquence, les autorités administratives, financières et militaires, les collèges ou fonctionnaires, sans distinction, seront tenus, à commencer de la dite époque, de se servir exclusivement de la langue nationale dans toutes les affaires qui concernent leurs fonctions. Art. 6. Ne sont pas comprises dans les dispositions du présent arrêté, les provinces du Brabant méridional, de Liège, du Hainaut, de Namur et le grand-duché de Luxembourg ; mais nous nous réservons d’étendre ces dispositions par un arrêté spécial -

1° Aux villes et communes de la province du Brabant méridional dans lesquelles un examen ultérieur nous aura démontré que la langue flamande est la langue du pays 2° Aux villes et communes des autres provinces, lesquelles avaient été précédemment réunies à des provinces où la langue est différente de celle utilisée dans les provinces dont elles font partie maintenant »

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Art. 7. « Il ne pourra être présenté pour des places ou emplois que des personnes ayant la connaissance nécessaire de la langue nationale ; ils devront veiller à ce qu’à dater du 1er janvier 1822, aucun des fonctionnaires ou employés de leurs bureaux, ne manque de connaissance de la langue nationale ; et les fonctionnaires qui, au commencement de 1923, ne pourraient être conservés dans leurs emplois actuels, faute de connaissance suffisante de la langue nationale, seront placés, selon leurs talents et mérites, dans les parties du royaume, où les langues française ou allemande seraient en usage » Arrêté royal du 15 septembre 1819 portant des dispositions à l’égard de l’usage de la langue nationale dans les actes publics pour la facilité et dans l’intérêt des habitants, dans Journal officiel du royaume des Pays-Bas, n°48, septembre 1819, Pasinomie, p. 384-385.

15.14.02. La langue nationale « Est-il nécessaire, pour la prospérité et le bonheur d’un État que tous ses habitants ne parlent qu’une même langue ? Cette question qui ne paraît pas encore avoir été traitée, quoiqu’on ait beaucoup écrit de part et d’autre sur la langue nationale est pour les habitants des provinces wallonnes la seule intéressante, surtout depuis qu’on a répandu le bruit, fondé ou non fondé, que, dans quatre ans d’ici, l’arrêté du 5 octobre sera adopté pour ces provinces en entier ou en partie. En effet, le seul objet qui mérite notre attention, au moins en ce moment, n’est pas de savoir si le flamand et le hollandais sont un même idiome, si leur littérature est riche et brillante, etc., mais si l’uniformité de langage est absolument nécessaire pour la prospérité d’un royaume et si les Belges né français ont à craindre de se voir forcés à une époque déterminée d’apprendre la langue de leurs frères septentrionaux ou s’ils peuvent espérer de conserver celle qu’ils parlent de temps immémorial. (…) L’uniformité de langue rend les communications entre différentes provinces plus faciles : oui, mais si les habitants n’ont pas d’intérêt direct à se voir et à se connaître, l’uniformité de langue ne les réunira pas ; si, au contraire, cet intérêt existe, ils se verront quelle que soit la différence (…). Les Flamands et les Hollandais parlent une même langue (…) Sont-ils plus unis entr’eux qu’ils ne le sont respectivement avec les Belges français ou wallons ? Nous en doutons fort (…) La langue n’est plus un lien lorsqu’il n’y a pas unité d’intérêts. C’est cette dernière union qu’il faut tâcher d’établir, si l’on veut unir les peuples. (…) L’uniformité de langue, dit-on, contribue à former un esprit national et à rendre plus vif l’amour de la patrie. Cette proposition est presqu’entièrement fausse. (…) c’est plutôt la nécessité de se précautionner et de se défendre contre des voisins entreprenants et ambitieux. (…) vouloir forcer un peuple à renoncer à sa langue pour adopter celle d’un de ses voisins est une mesure qui peut avoir ses dangers (…) ; si elle est sans danger elle est toujours sans succès (exemple de l’échec de Napoléon en Allemagne et en Italie). Les hommes sont extrêmement attachés à certains usages, à certaines habitudes, mais particulièrement aux sons par lesquels ils ont appris à peindre leurs pensées et leurs sentiments au sortir du berceau. C’est une cruauté, comme c’est une témérité, de vouloir leur faire oublier cette douce habitude. (…) Il ne faut pas qu’on se flatte de jamais pouvoir forcer les Belges français à échanger leur langue contre un idiome étranger. L’adoption de cette mesure serait pour eux un signal de mille plaintes… elle serait d’autant plus imprudente que les charges à supporter sont déjà pesantes et que le peuple le sait. Le Belge français et l’habitant de Liège en particulier est né bon et généreux, mais il tient à ses affections plus qu’aucun autre peuple. Tant qu’on respecte ses affections, il est paisible et supporte sa part dans les charges de l’État sans murmurer. Mais il n’en est plus ainsi quand on l’offense dans ce qu’il

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a de plus cher. Et que peut-il avoir de plus cher que sa langue, cette langue illustrée par tant de chefsd’œuvre et devenue d’un usage si général. Si on nous donne des lois justes, en harmonie avec nos mœurs et nos principes, si on satisfait enfin aux besoins de notre Religion, si par une sage administration on règle les dépenses de l’État sur ses ressources, nous saurons bien nous attacher au gouvernement des Pays-Bas et nous presser autour du trône, sans savoir et sans parler la langue de nos frères du Nord ». Pierre KERSTEN, Langue nationale, dans Courrier de la Meuse, 14 décembre 1822, cité par Paul HARSIN , Essai sur l’opinion publique en Belgique de 1815 à 1830, Charleroi, Éditions de La Terre wallonne, 1930, p. 34-36. Organe catholique, Le Courrier de la Meuse paraît à Liège. Il précède le Mathieu Laensberg. Après quelques mois de concurrence, les deux journaux partageront une opposition similaire au régime de Guillaume d’Orange, formant ainsi une sorte d’unionisme dès 1827.

15.14.03. Politique scolaire et contrainte linguistique

« Les Wallons furent directement touchés par l’extension à l’enseignement de la politique de néerlandisation et par la consolidation de la frontière linguistique au détriment du français. Le gouvernement voulut répandre la connaissance de la langue « nationale » dans les villes et les communes importantes du Sud du royaume. La création d’écoles primaires de l’État, l’érection de chaires de néerlandais dans les athénées et collèges, les subsides aux communes pour payer des instituteurs bilingues furent autant de moyens. Dès leur ouverture les établissements d’enseignement secondaire de Tournai, Mons, Namur et Liège reçurent des professeurs de néerlandais. Au niveau primaire, le roi s’efforça d’amener les jeunes Wallons qui souhaitaient devenir instituteurs à fréquenter une École normale néerlandaise, en en installant une à Lierre et en refusant systématiquement l ’érection d’une École semblable en Wallonie. En 1829, lorsque l’École normale de Lierre fut devenue insuffisante, il marqua son accord pour la création d’une École normale à Liège, mais la langue « véhiculaire » y devrait être le néerlandais ! (…) Le long de la frontière linguistique (…) des moyens financiers furent prévus pour payer la construction d’écoles et régler le traitement des enseignants. Cette politique de contrainte linguistique fut un des griefs les plus sérieux des adversaires du gouvernement et le retour à la liberté de l’emploi des langues un des principaux objectifs qui cimenta l’union des oppositions ». Robert DEMOULIN , Unification politique, essor économique (1794-1914), dans Léopold GENICOT , Histoire de la Wallonie, Toulouse, Privat, 1973, p. 319 et 321

15.15.01. Une révolution inattendue « Dès le 25 août 1830, la Belgique se trouve dans une situation anormale : des désordres ont éclaté à la fin de la représentation de La Muette de Portici, à la Monnaie ; l’agitation a gagné la province. Les manifestations violentes à Bruxelles, l’émeute prolétarienne de la fin août dans la banlieue bruxelloise et dans le pays de Franchimont sont des épisodes restés, en bonne part, mystérieux. Qu’il y ait eu des agents français et que le peuple soulevé ait profité du désordre pour faire ses propres affaires, cela ne paraît point douteux. Ces événements provoquèrent à Bruxelles la retraite de l’année et la réunion d’une garde bourgeoise ; en de multiples villes de province, la constitution de gardes, chargées du maintien de l’ordre ; en quelques autres, la formation de commissions de sûreté, organismes extra-légaux. Mais, fait sur lequel on ne saurait trop insister, au début de septembre, il ne s’agit pas encore de rompre brutalement avec La Haye ; on ne songe pas à des mouvements de grande envergure pour chasser les troupes du pays et établir un régime nouveau. Il existe toutefois des noyaux de véritables rebelles ; à

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Bruxelles, les extrémistes, qui plus tard se réuniront en un club, « la Réunion Centrale » ; à Liège, les volontaires de Rogier et une bonne part de la masse populaire ; à Louvain, une garde bourgeoise très avancée et, dans beaucoup de communes, des extrémistes. Mais ces exaltés sont incapables de faire une révolution, parce que la grande majorité de la bourgeoisie, du clergé et de la noblesse n’en veut pas. Les extrémistes finiront par l’emporter. Pourquoi ? Parce que l’armée royale en marchant sur Bruxelles a déchaîné le patriotisme. Le succès inattendu et extraordinaire des rebelles peut tromper sur les causes profondes du soulèvement. On les trouve dans les vices originels du régime ; elles se manifestent dans les pétitionnements de 1828 et 1829. Toutefois les formes du mécontentement de la nation n’ont, jusqu’au 25 août, rien de révolutionnaire. Le 25 août, on doit craindre que le mécontentement ne prenne un caractère traduisant mal le désir de l’opinion, sous l’effet des démarches des agents français et des pillages opérés par les prolétaires. Avec l’envoi d’adresses au Roi réclamant la séparation, on rentre dans le droit chemin. Les extrémistes restent dans la même voie que les séparatistes modérés. Tout simplement, ils accélèrent l’allure. L’intervention du prince Frédéric met fin à la situation ambiguë, force chacun à prendre position, si bien qu’on se trouve bientôt en pleine révolution. La victoire sourit aux rebelles et le fossé entre modérés et extrémistes se comble. Les premiers limitaient leurs exigences aux bornes du possible, les seconds osaient courir un risque grave. Ainsi la révolution de 1830 manifeste la volonté d’un peuple à former une nation indépendante. Sans doute, ce désir est souvent confus dans l’esprit des acteurs obscurs et il peut parfois s’y mêler des intentions moins nobles, mais sans cette aspiration ardente, rien ne s’explique, ni l’arrivée de Rogier et de ses hommes à Bruxelles, ni la marche forcée des Hennuyers sur la capitale, ni la victoire du Parc, ni la libération des places fortes ». Robert DEMOULIN , Les journées de septembre 1830 à Bruxelles et en province, Liège, 1934, coll. de la Bibliothèque de la faculté de philosophie et lettres de l’Université de Liège, p. 69-71

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15.15.02. Les Journées de Septembre 1830 25/VIII

Bruxelles

26/VIII

Louvain

26/VIII 26/VIII 2628/VIII 27/VIII

Liège pays wallon Bruxelles

28/VIII 31 aout 2 et 3/IX

Verviers & Bruges Bruxelles pays wallon

2/IX 3/IX

Louvain Liège

3/IX 4/IX

Mons provinces méridionales Liège La Haye Louvain

4/IX 5/IX 6/IX 6/IX 7/IX 7/IX 7 et 8/IX 8, 9 et 10/IX 8/IX

Bruxelles

Nivelles Liège Bruxelles Namur Tournai

13/IX

provinces méridionales La Haye

15/IX 15/IX

La Haye Bruxelles

17/IX 18/IX

Namur Bruxelles

19/IX

Bruxelles

19/IX

Mons

20/IX 20/IX

Mons Liège

20/IX

Bruxelles

jour anniversaire du roi, on enregistre des troubles dans les rues à la suite de la représentation de la Muette de Portici incidents violents entre la population et la troupe en garnison ; plusieurs victimes sont déplorées ; pour éviter que cela dégénère, les troupes se retirent de la ville et la régence passe aux mains des mécontents le gouverneur de la province cède la place aux bourgeois de l’opposition agitation populaire ; on arbore des drapeaux régionaux ; les cocardes fleurissent quelques fabriques sont vandalisées, l’émeute se prolonge pendant 48 heures ; finalement, une garde bourgeoise est mise sur pied et rétablit l’ordre création à Bruxelles d’une commission de Sûreté publique par le gouverneur Sandberg ; elle est composée de leaders de l’opposition constitutionnelle et d’industriels agitation dans les rues, quelques pillages ; une maison incendiée à Bruges annonce erronée de l’arrivée de troupes hollandaises ; des barricades sont dressées Verviers, Liège, Namur, Dinant, Mons, Tournai : soulèvement populaire et insurrection ; à Liège, les troupes hollandaises se replient sur la Citadelle les troupes hollandaises sont chassées de la ville Charles Rogier et ses partisans se sont rendus maîtres de la cité ; débordés à leur tour, les bourgeois doivent laisser le peuple agir la foule s’empare des Portes de Nimy, d’Havré, de France et du Rivage, avant de les abandonner envoi à Guillaume de délégués portant les griefs de la bourgeoisie ; la régence de Bruxelles propose comme solution de procéder à la séparation administrative du royaume départ de Charles Rogier à la tête de deux détachements de volontaires liégeois lors de sa proclamation, Guillaume d’Orange confie aux États-Généraux l’étude de la séparation administrative depuis quatre jours, la cité s’organise en véritable petite république ; c’est le seul endroit, en Flandre, où les autorités cèdent une parcelle de leur pouvoir ; ailleurs aucune démonstration séparatiste n’est tolérée de jeunes patriotes constituent une compagnie de volontaires l’état-major de la garde urbaine qui dirige la ville est composé de patriotes éprouvés arrivée de Charles Rogier à la tête de deux détachements de volontaires liégeois la foule tente de convaincre les soldats de se joindre à elle le peuple s’agite dans les rues ; la garde bourgeoise rétablit l’ordre et la Régence – orangiste – se fait menaçante répondant à l’invitation du roi, la plupart des députés sont en route pour la réunion des États généraux à La Haye ; l’absence des représentants légaux profitera aux « exaltés » réunion des États généraux convoqués par Guillaume Ier dès le 28 août ; le discours du trône paraphrase la proclamation du 5 septembre ; aucune avancée n’est enregistrée ; au contraire, l’inquiétude se renforce quand le roi déclare : « Les intérêts du royaume au milieu des circonstances actuelles demandent impérieusement la réunion de la milice au-delà du temps fixé pour l’époque ordinaire des exercices ». le roi autorise les militaires à se montrer plus sévère fondation d’un club révolutionnaire, La Réunion centrale, présidé par Édouard Ducpétiaux et comprenant des leaders liégeois (les plus nombreux, derrière Charles Rogier), tournaisiens et bruxellois état de siège proclamé par l’autorité militaire « hollandaise » « La Réunion centrale » devient l’autorité de référence ; la population lui accorde sa confiance et se met à sa disposition ; l’idée des révolutionnaires est de constituer un gouvernement provisoire en s’appuyant sur le peuple contre les bourgeois et la commission de sûreté les volontaires liégeois patrouillent dans les faubourgs de Bruxelles ; seul, Charles Rogier est capable de maintenir la foule ; à l’annonce du mouvement de troupes hollandaises, Mons est en effervescence ; la foule tente de capturer le commandant de la place, s’empare de l’hôtel de ville et chasse les autorités ; des combats autour de la Porte de Nimy font plusieurs morts chez les émeutiers ; la terreur militaire va régner pendant huit jours état de siège proclamé par l’autorité militaire « hollandaise » la Chartreuse est occupée par une population qui empêche ainsi tout ravitaillement des troupes casernées à la Citadelle avec l’aide des volontaires liégeois, Charles Rogier s’empare de l’hôtel de ville de Bruxelles ; « La Réunion centrale » a pris l’ascendant et devient l’autorité respectée par la population ; il n’y a plus aucune autorité légale à Bruxelles ; un drapeau jaune et rouge circule dans les rues avec la mention GOUVERNEMENT PROVISOIRE ;

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21/IX

provinces méridionales

21/IX

Louvain

22/IX

Bruxelles

22/IX

Liège

23/IX

Wavre

23/IX

Tournai

23/IX

Louvain

23-24/IX

Hainaut et Brabant wallon à hauteur du parc de Bruxelles

23/IX 24/IX

Bruxelles

24/IX 24/IX 25/IX

Hainaut et Brabant wallon Mons, Jemmapes Bruxelles

26/IX

Bruxelles

26-27/IX (nuit) 26/IX 26/IX

parc de Bruxelles

27/IX 27/IX 28-29/IX 30/IX 29-30/IX 30/IX

Liège Dour, SaintGhislain Ath Liège Mons Tournai

2/X 4/X 5/X

Liège Philippeville, Mariembourg Dinant Bruxelles Charleroi

5/X

Namur

6/X

Liège

27/X

Anvers

les membres en seraient de Potter, Gendebien et le comte d’Oultremont : mais les principaux intéressés n’ont pas été prévenus ; tandis que les volontaires liégeois assurent l’ordre et le calme, Charles Rogier s’apprête à lancer un appel aux armes contre la Hollande ; partout (sauf à Gand et à Anvers), le principe de la séparation administrative est accepté par les opposants au régime de Guillaume d’Orange, mais la discorde s’installe une fois qu’il faut la définir (rupture totale, aménagement des institutions, etc.) une compagnie provinciale de volontaires part pour Bruxelles et arrive le 22 à 10h du matin ; autour d’une centaine de Liégeois organisés, s’agglomèrent de nombreux nouveaux volontaires près à en découdre avec la soldatesque l’annonce de l’arrivée de troupes hollandaises près de Bruxelles fait fuir de nombreux meneurs ; même Rogier se prépare à quitter les lieux au moment des premières escarmouches ; les volontaires liégeois paraissent découragés ; en province, au contraire, c’est la mobilisation à l’annonce d’un détachement de troupes hollandaises près d’Oreye, 600 volontaires liégeois tentent de surprendre les soldats ; la plupart sont mis en fuite, 20 sont faits prisonniers des volontaires partent pour Bruxelles ; ils sont dans la ville le soir même et combattent le lendemain ; ils sont très bien organisés partis de Tournai sous la direction du futur général Renard, un groupe de volontaires arrive pour prendre part aux combats attaquée par les troupes hollandaises, la « citadelle de la rébellion » résiste ; aidée par des volontaires de Diest et d’Aerschot, notamment, Louvain repousse deux assauts de Nivelles, Genappe, Lodelinsart, Charleroi, Gilly et Fleurus notamment, des dizaines de volontaires prennent la route pour Bruxelles ; en chemin, les effectifs gonflent sous le commandement du prince Frédéric, les troupes royales sont aux portes de Bruxelles ; mais elles hésitent à poursuivre leur route face à l’hostilité de la population ; seuls quelques chefs de la garde bourgeoise organisent la résistance ; les volontaires liégeois sont revenus à leurs côtés mis en confiance par les hésitations des « Hollandais », les émeutiers descendent dans les rues et sont rejoints par des volontaires accourus de toutes parts ; aux Portes de la ville, les insurgés font reculer les soldats venant de multiples localités (Ath, Binche, Enghien, Fontaine l’Evêque, Leuze, Nivelles, Soignies, Thuin, de Valenciennes jusqu’aux faubourgs de Bruxelles) des volontaires partent pour Bruxelles gardée sévèrement par la troupe hollandaise, le Borinage n’envoie que de rares volontaires vers Bruxelles combats dans les rues de Bruxelles ; venant du pays wallon, les volontaires, tous bien armés, apportent à la fois leur enthousiasme et du matériel : des armes, de la poudre ; cet afflux impressionne tant les premiers combattants que leurs adversaires combats dans les rues de Bruxelles ; l’ordre de retraite des troupes hollandaises est donné ; mise en place d’un gouvernement provisoire les soldats de Guillaume d’Orange font retraite vers Anvers 600 hommes partent pour aider Bruxelles à se libérer ; ils font demi-tour en apprenant le retrait des Hollandais le temps d’arriver à Bruxelles, les dizaines de volontaires de Dour et Saint-Ghislain ne pourront que constater la fin des combats la place forte tombe ; la population ne craint plus rien et se soulève les Liégeois investissent la Citadelle ; plus de 1600 soldats sont enfermés la garnison se révolte et rejoint les rangs des insurgés ; la route de la France est ouverte la garnison se révolte ; les miliciens « belges » sortent des rangs (désertent) et rejoignent ceux des révolutionnaires combats de Sainte-Walburge ; les Liégeois se retirent vers Rocour les soldats des provinces méridionales décident de ne plus obéir aux ordres ; la place forte capitule Dinant (2/X), Arlon et Bouillon (3/X) : les officiers hollandais déposent leurs armes ; la place forte se rend arrêté proclamant unilatéralement l’indépendance de la Belgique ; convocation d’un Congrès national les miliciens des provinces méridionales ont été renvoyés chez eux (1er octobre) ; le commandant hollandais doit se résoudre à la capitulation les officiers hollandais sont incapables de mâter une mutinerie des soldats « belges » ; ils sont libérés de leurs obligations (1er octobre) ; attaquée par la population, la troupe hollandaise réfugiée dans la citadelle doit capituler le commandant militaire capitule ; les soldats hollandais quittent la citadelle pour rejoindre Maastricht ; c’était le dernier lieu de Wallonie occupé par les troupes des Pays-Bas bombardement de la ville par les troupes hollandaises

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15.15.04. Décret d’indépendance de la Belgique, 4 octobre 1830 « Art. 1er. Les Provinces de la Belgique, violemment détachées de la Hollande, constitueront un État indépendant. Art. 2. Le comité central s’occupera au plus tôt d’un projet de Constitution. Art. 3. Un Congrès National, où seront représentés tous les intérêts des provinces, sera convoqué. Il examinera le projet de Constitution Belge, le modifiera en ce qu’il jugera convenable, et le rendra, comme constitution définitive, exécutoire dans toute la Belgique. » Pasinomie, 1830-1831, t. I, p. 9

15.16. Drapeaux d’honneur attribués aux villes wallonnes En mai 1831, le Congrès national décide de récompenser « le dévouement des communes qui se sont signalées en prenant une part glorieuse au triomphe de la cause nationale ». Pour identifier les villes auxquelles décerner un drapeau d’honneur, une Commission se met rapidement en place. Au terme de ses travaux sont honorées 3 villes extérieures à la Belgique d’aujourd’hui (Venlo, Luxembourg et Paris), 9 localités que l’on peut situer dans l’actuelle Région de Bruxelles-Capitale, 27 qui sont en Flandre et… 60 en Wallonie. Andenne Ans-et-Glain Arlon Ath Bastogne Binche Bouillon Braine-l’Alleud Braine-le-Comte Charleroy Châtelet Couvin Dinant Dison Dour Enghien Ensival Fayt Fleurus Fontaine-l’Évêque

Gembloux Genappe St-Ghislain Gosselies Grâce-Montegnée Grez-Doiceau Hermée Herselt Herstal Herve Hodimont Huy Jemmappe Jemeppes Jodoigne La Hestre La Hulpe Leuze Liège Meslin-l’Évêque

Mons Morlanwelz Namur Neufchâteau Nivelles Péruwelz Perwez Philippeville Quaregnon Quiévrain Rebecq-Rognon Saintes Sclayn Seneffe Soignies Thuin Tournay Verviers Waterloo Wavre

Arrêté relatif à la remise des drapeaux d’honneur, n°691, dans Bulletin officiel des lois et arrêtés de Belgique, Bruxelles, 1831, p. 485 ; arrêté qui décerne la Croix de Fer, décision prise le 2 avril 1835, Arrêté royal n°194, dans Bulletin officiel…, p. 256

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15.17. Débats au sujet du lieu d’implantation d’université(s) Des débats au sujet du lieu d’implantation d’université(s) dans la nouvelle Belgique révèlent la difficulté d’unir Wallons et Flamands. Le Sénat académique de l’Université catholique de Louvain réclame une seule Université : « (…) le seul moyen de faire disparaître la fatale distinction qui existe entre les provinces wallonnes et les provinces flamandes, c’est de créer une véritable nationalité qui fasse des Belges un tout homogène, qui confonde Flamands et Wallons, qui rende la civilisation égale pour toutes les provinces, qui assure à nos lois, à nos institutions, à notre jeune royauté, les gages de durée et d’avenir que les divisions intérieures rendent toujours fort incertains. En demandant deux universités, ne travaille-t-on pas à perpétuer les anciennes dénominations de provinces wallonnes et flamandes, à diviser les Belges en deux nations hostiles, enfin à rendre impossible cette nationalité qui est pourtant l ’unique garant de notre existence politique ? » Riposte du Journal de Liège du 8 avril 1835 : « Dans un pareil état de choses, disons-le hardiment, une seule université réunissant tous les élèves de provinces si différentes entre elles sous tous les rapports ne les rapprocherait pas ; elle les mettrait en présence avec leurs préjugés, leurs mœurs, leurs croyances, et les renverrait un peu plus étrangers les uns autres qu’ils ne l’étaient auparavant. À l’indifférence se joindraient les sentiments de haine qui résultent d’une fréquentation hostile, parce qu’elle répugne et qu’elle donne lieu aux sarcasmes que les jeunes gens ne s’épargnent pas entr’eux. Ce serait déjà beaucoup de former d’abord un lien commun entre toutes les subdivisions de la partie flamande d’une part, et de l’autre entre toutes les nuances diverses de la partie wallonne, et c’est ce qu’on opèrera graduellement au moyen de deux universités, l’une à Gand, l’autre à Liège ». Cité par Robert DEMOULIN, Unification politique, essor économique (1794-1914), dans Léopold GENICOT , Histoire de la Wallonie, Toulouse, Privat, 1973, p. 327

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15.18. La composition politique des gouvernements belges (1831-1914) 1831

Joseph Lebeau

1840 1841

Joseph Lebeau

Étienne de Gerlache Albert Goblet d’Alviella Albert Goblet d’Alviella

Jean-Baptiste Nothomb Jean-Baptiste Nothomb Jean-Baptiste Nothomb Jean-Baptiste Nothomb 1846 1847

Charles Rogier Charles Rogier Charles Rogier Charles Rogier Charles Rogier Charles Rogier

1855 1857

1870

1878

1884

Charles Rogier Charles Rogier Charles Rogier Charles Rogier Charles Rogier Charles Rogier Charles Rogier Charles Rogier Charles Rogier Charles Rogier Walthère Frère-Orban Walthère Frère-Orban Walthère Frère-Orban

Walthère Frère-Orban Walthère Frère-Orban Walthère Frère-Orban Walthère Frère-Orban Walthère Frère-Orban Walthère Frère-Orban Walthère Frère-Orban

Jules de Burlet Jules de Burlet

1894

1914 Premier ministre issu de Wallonie

Unionisme

Libéraux

Catholiques

Suffrage censitaire

Suffrage universel plural

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15.19.01. Le catéchisme du Peuple d’Alfred Defuisseaux CHAPITRE I. - 1ère leçon De la Condition du Peuple et de son esclavage 1. Qui es-tu ? Je suis un esclave. 2. Tu n’es donc pas un homme ? Au point de vue de l’humanité, je suis un homme ; mais par rapport à la société, je suis un esclave. 3. Qu’est-ce qu’un esclave ? C’est un être auquel on ne reconnaît qu ’un seul devoir, celui de travailler et de souffrir pour les autres. 4. L’esclavage a-t-il des droits ? Non. 5. Quelle différence y a-t-il au point de vue physique entre l ’esclave et l’homme libre ? Il n’y a aucune différence ; l’esclave aussi bien que l’homme libre doit boire, manger, dormir, se vêtir. Il a les mêmes nécessités animales, les mêmes maladies, la même origine, la même fin. 6. Qu’est-ce qu’un homme libre ? C’est celui qui vit sous un régime de lois qu ’il s’est volontairement données. 7. A quoi reconnaissez-vous en Belgique l’homme libre de l’esclave? En Belgique, l’homme libre est riche ; l’esclave est pauvre. 8. L’esclave existe-t-il dans tous les pays ? Non. La République Française, la République Suisse, la République des États -Unis et d’autres encore ne sont composées que d’hommes libres. Tous les citoyens font les lois et tous s’y soumettent. 9. Que faut-il donc pour faire d’un esclave un homme libre ? Il faut lui donner le droit de vote, c ’est-à-dire établir le suffrage universel. 10. Qu’est-ce que le suffrage universel ? C’est le droit pour tout citoyen, mâle et majeur de désigner son député en lui donnant mission de faire des lois pour les travailleurs. 11. Par qui se font les lois en Belgique ? Les lois se font maintenant en Belgique, pour les riches et contre les pauvres. 12. Ne pouvez-vous rendre autrement votre pensée ? Oui. On peut dire qu’en Belgique les lois sont faites par ceux qui ne font rien, et contre ceux qui travaillent. 13. Sur quoi repose notre système gouvernemental ? Sur l’argent. 14. Citez des exemples ? On ne peut être sénateur que si l’on paie au moins 1.600 francs d ’impôt à l’État ; On ne peut être député que si l’on paie les dîners, les voitures, les cigares de l’électeur. - On ne peut être électeur que si l’on paie 42 fr. 32 c. d’impôt. - On doit être soldat si l’on n’a pas 1.600 francs pour payer un remplaçant. 15. La probité, le travail, l’intelligence ne comptent donc pour rien ! Ils ne comptent pour rien aussi longtemps qu ’on est pauvre. Au contraire on peut se passer facilement de probité, de travail, d’intelligence si l’on a de l’argent. 16. Citez des exemples . Je ne saurais car ils sont trop nombreux et je ne voudrais pas faire de jaloux. Il me faudrait faire la nomenclature de tous les financiers véreux, de tous les notaires en fuite, de tous les administrateurs malhonnêtes, de tous les manieurs d’argent qui ne cherchent le pouvoir que pour tripoter plus à leur aise.

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17. Quel est le moyen de changer cet état de chose honteux ? C’est de donner au peuple le droit de suffrage. - Le peuple qui est honnête parce qu’il travaille, nommera des honnêtes gens qui feront des lois honnêtes. CHAPITRE II. - 2e leçon De la Constitution 1. Que dit l’art. 25 de la Constitution ? L’article 25 de la Constitution dit : "Que tous les pouvoirs émanent de la nation.". 2. Est-ce vrai ? C’est un mensonge. 3. Pourquoi ? Parce que la Nation se compose de 5,720,807 habitants, soit 6 millions, et que sur ces 6 millions seulement sont consultés pour faire les lois.

117.000

4. Comment se fait -il que ces 6 millions de Belges soient gouvernés par 117.000 ? Pour être électeur, il faut payer 42 fr. 32 c. d’impôt. - En Belgique, 117.000 citoyens seulement paient cet impôt, et sur ces 117.000, quatre-vingts mille seulement prennent part au vote. 5. Ces 80.000 privilégiés sont -ils des gens instruits ? Non. Dix mille au moins ne savent ni lire ni écrire. 6. Comment se décompose le reste des électeurs ? Il y a 23.000 locataires qui obéissent aux propriétaires ; 5.000 fonctionnaires qui obéissent au gouvernement ; 2.000 curés qui obéissent aux évêques ; 10.000 fournisseurs qui obéissent à leurs clients. De sorte qu’en y comprenant les 10.000 illettrés qui sont généralem ent de faux électeurs, nous trouvons que nous n’avons en Belgique que 30.000 électeurs dont 4.117 chefs d ’usines, 5.000 entrepreneurs, 15.000 rentiers et 6.000 avocats, avoués, notaires, etc., dont 1.300 professeurs et instituteurs. 7. Par combien de privilégiés est donc gouvernée la Belgique ? Par 30.000 privilégiés. 8. A quelle date a été promulguées la Constitution ? Il y a 55 ans, le 25 février 1831. 9. Cette vieille Constitution est -elle encore bonne aujourd’hui ? Elle ne vaut pas mieux qu’un vieux chapeau qui daterait de 1831. Si je me couvrais d’un pareil chapeau qui a pu être très beau à son époque, je serais tellement ridicule qu ’on me croirait en carnaval. 10. Pourquoi donc la Belgique conserve -t-elle cette Constitution si décrépite ? Parce qu’elle fait l’affaire de nos gouvernants. - Si elle était modifiée plus un seul d’entre eux ne resterait au pouvoir. 11. Qu’entendez-vous par ces mots : un homme au pouvoir ? J’entends par homme au po uvoir, celui qui a trouvé le moyen de vivre aux dépens du Trésor de l ’État lui, les siens, ses parents, ses alliés, ses connaissances, et cela en ne faisant rien ou presque rien. 12. Citez-moi quelques hommes au pouvoir ? Je vous citerai les Frère qui ont donné naissance aux Orban d ’où sont issus les Frère-Orban ; les Malou, les Jacobs, les Bara, les Brasseur, les Tesch, les Pirmez... 13. Que dit l’art.6 de la Constitution ? Que tous les Belges sont égaux devant la loi. 14. Est-ce vrai ? C’est un odieux mensonge. 15. Citez des exemples. Ils seraient trop longs à énumérer. Il me suffira de dire que chaque jour nous voyons des messieurs qui appartiennent de loin ou de près au pouvoir, voler des millions et n ’être pas poursuivis, ou, s’ils le sont, être acquittés ou condamnés à des amendes dérisoires, tandis que nous voyons des pauvres diables qui n ’ont pris qu’un seul pain dont leurs enfants avaient besoin, être condamnés aux travaux forcés.

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16. En matière d’impôt cependant les citoyens sont-ils égaux ? Non, et je ne cite qu’un seul exemple, celui de Léopold II qui, imposé par la commune de Laeken pour la cote mobilière de son palais de Laeken a fait annuler par son ministre cette délibération et ne paie rien. (…) CHAPITRE VII. - 7e leçon 1. Tu es donc esclave ? Oui, je suis esclave. 2. Par qui es-tu gouverné ? Par 30.000 privilégiés. 3. Sont-ils honnêtes ? Non, ils trafiquent de tout et vivent de notre travail en nous refusant tout. 4. Que te laissent-ils ? Rien. Les riches prennent nos filles pour en faire de la chair à prostitution. Nos fils pour en faire de la chair à canon. Nous-mêmes. Ils prennent notre vie pour en faire des dividendes. 5. Que dois-tu faire ? Abolir l’esclavage dans lequel nous vivons. 6. Comment dois-tu y arriver ? Par le suffrage universel. 7. Comment l’obtiendras-tu ? En allant tous, de tous les coins de la Belgique le demander à Bruxelles. 8. Peut-on t’empêcher d’aller à Bruxelles manifester ? Non. J’use de mon droit comme les soi-disant libéraux et catholiques en ont usé en septembre 1884. 9. Il te faut de l’argent pour aller à Bruxelles. J’irai à pied. 10. Triompheras-tu ? Oui, car mon cri de ralliement sera : vive le peuple ! vive le suffrage universel ! 11. Marchons alors ? Oui marchons ! en avant ! et vive le peuple, vive le suffrage universel ! 12. A quand le rendez-vous ?

15.19.02. « 1886 : la Wallonie née de la grève » Carte : Cfr http://connaitrelawallonie.wallonie.be/fr/histoire/atlas/1886-la-wallonie-nee-dela-greve#.UrQy5vTuLMV

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