POurquOi CeCilia a-t-elle été nOminée ?
TexTe: CARMILL A FLOYD phOTO: KIM NAYLOR
Cecila Flores-Oebanda est nominée au Prix des Enfants du Monde 2011 pour son combat de 20 ans contre le travail des enfants et le trafic d’êtres humains. C’est à l’âge de cinq ans que Cecilia a commencé à travailler et a fait de son combat en faveur des droits des enfants les plus pauvres et les plus démunis, le but de sa vie. Cecilia a fondé l’organisation Visayan Forum qui a sauvé des milliers de filles de l’esclavage et du trafic d’êtres humains. Un travail de prévention se fait dans les campagnes et les villes pour que les enfants ne soient pas abusés. Cecilia a influencé la législation des Philippines et du reste du monde pour mieux protéger les enfants. Malgré des menaces de mort incessantes, elle ne renonce pas. Cecilia et Visayan Forum dirigent huit Foyers de transition pour filles, dans tout le pays, quatre centres de soutien pour bonnes et une Maison sûre, home pour les plus touchées. Depuis 2000 Cecilia et Visayan Forum ont porté secours à 60.000 victimes de trafic d’êtres humains et amené plusieurs cas devant la justice. Ils ont formé des milliers de partenaires dans le travail contre le trafic de personnes, entre autres des juges, procureurs, policiers, agences de voyages et autorités.
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Cecilia Flores-Oebanda Le téléphone sonne en pleine nuit. Une voix siffle dans le noir : « Arrête de travailler contre le trafic d’êtres humains, sinon nous te tuons toi et tes enfants » Mais Cecilia Flores-Oebanda ne se laisse pas intimider. Elle a l’habitude des menaces de mort après toutes ces années de combat contre ceux qui achètent et vendent les filles pour l’esclavage. Aujourd’hui elle est l’une des plus grandes combattantes contre l’esclavage moderne.
A –
llons, dit Cecilia. Je me battrai jusqu’à ma dernière goutte de sang. Personne ne lui fera renoncer à son rêve : le droit pour tous les enfants des Philippines à une vie digne et sûre, sans qu’ils soient obligés de travailler et qu’ils puissent aller à l’école. Le trafic d’êtres humains est la troisième activité illégale la plus rentable du monde après le commerce de la drogue et des armes. Beaucoup perdent de l’argent suite au travail de Cecilia. – Mais ils ont peur de moi, maintenant. Ils savent que je n’abandonne jamais, dit-elle. La première fois que Cecilia a reçu des menaces, elle a eu peur, surtout pour ses enfants. – Mais tous mes enfants
étaient d’accord pour que je continue. Derrière les grilles
Cecilia est toujours sur le quivive quand elle va au travail. Une gardienne ouvre le grillage en fer et s’assure de bien refermer le lourd cadenas. Trois petites filles sortent en courant et se jettent au cou de Cecilia. – Auntie Dai, appellentelles affectueusement Cecilia. Viens jouer avec nous ! Les filles sont des cousines de Cebu, une île du groupe Visaya, une des régions les
plus pauvres des Philippines. Beaucoup de victimes du trafic de personnes viennent de là. Rosalie, 10 ans et ses cousines ont été sauvées par l’organisation de Cecilia Visayan Forum. Elles vont bientôt être transférées dans sa Maison sûre. C’est là que vivent les filles qui ne peuvent pas
Cecilia et les filles qu'elle assiste sont souvent menacées et elles ont besoin de protection. mais Cecilia n'a pas peur, elle n'arrêtera jamais de se battre.
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Rosalie 10 ans et ses cousines ont été sauvées. Elles dansaient nues devant une caméra dans un cybercafé. À présent elles sont en sécurité dans la Maison sûre de Cecilia.
vaillé pour Archie. Nous avions très peur et nous nous sommes cachées. Il s’est passé plusieurs mois avant qu’on vienne nous chercher aussi. La situation des enfants ne paraissait pas sûre dans la région. C’est pour cela que Rosalie et ses cousines purent aller habiter chez Cecilia et Visayan Forum à Manille. – Mais maintenant je suis contente. Ma famille me manque, mais grand-père dit que je suis mieux ici et que je dois bien me comporter à l’école.
retourner dans leur famille. Une fille qui a été vendue par ses propres parents, risque d’être revendue. – Mon père est mort et ma mère n’a rien fait pour nous assurer à manger, raconte Rosalie. Je vivais avec mon grand-père. Archie, un voisin de Rosalie leur disait tout le temps à elle et à ses cousines qu’elles devraient arrêter l’école et travailler pour lui. Archie et son amie Stella avaient un cybercafé et disaient qu’ils avaient besoin de mannequins pour des films. Archie disait : « Vous pouvez gagner beaucoup d’argent » – J’ai été obligée de quitter l’école et nous n’avions rien à manger, dit Rosalie. C’est alors que moi et mes cousines, nous avons commencé à travailler pour Archie. Archie avait promis qu’on ne verrait que le visage des filles, mais c’était un mensonge. – On a dû danser nues devant une caméra. Archie disait que des hommes dans d’autre pays payaient pour nous regarder.
Tout ce que faisait Rosalie était filmé par une webcam. On montrait directement les films via internet à des hommes aux USA et en Australie. Pendant que les hommes regardaient les enfants, ils communiquaient par chat avec Archie et lui disaient ce qu’ils voulaient que les filles fassent devant la caméra. Pendant plus de deux ans les filles ont travaillé pour Archie et Stella. L’argent qu’ils gagnaient, ils le donnaient à leur famille. Beaucoup d’autres enfants faisaient la même chose. Archie leur a dit de ne parler à personne de ce qu’ils faisaient. La police intervient
Un jour le cybercafé fut encerclé par des policiers armés. De loin Rosalie vit qu’on entraînait Archie et Stella dans un fourgon de police. Quatre enfants sortirent aussi de la maison et ils se mirent à pleurer quand la police les emmena. – Les gens nous ont dit que nous pourrions finir en prison parce que nous avions tra-
Quand elle était petite, Cecilia vendait du poisson pour aider sa famille à survivre et pour pouvoir aller à l'école.
L’histoire de Cecilia
La famille de Cecilia était l’une des plus pauvres parmi les pauvres. – Nous habitions entre une décharge et un fleuve, raconte-t-elle. J’ai commencé à travailler à l’âge de cinq ans. Avec mes frères et sœurs, je vendais le poisson que mon père pêchait dans le fleuve. Je marchais dans la chaleur avec la corbeille pleine de poissons sur la tête, alors qu’une eau nauséabonde et l’huile de poisson coulaient de mes cheveux sur mon visage. Mais je savais que je ne pouvais pas rentrer avant d’avoir vendu jusqu’au dernier poisson. – Les gens disaient : « Danse pour nous, petite fille et nous t’achèterons ta marchandise » Alors je dansais et je chantais. Cecilia et ses onze frères et sœurs allaient fouiller dans la décharge des choses qu’ils auraient pu vendre. Parfois ils n’arrivaient pas à se mettre à
Qu’est-ce que le trafic d’êtres humains ? Le trafic d’êtres humains est la troisième activité illégale la plus rentable du monde après le commerce de la drogue et des armes. Les gens peuvent être vendus et revendus aussi longtemps que quelqu’un veut les acheter. Enfants et adultes sont déplacés à l’étranger ou dans leur propre pays pour être soumis au travail forcé. Cela s’appelle l’esclavage moderne. Beaucoup de gens sont exploités comme bonnes ou esclaves sexuels. Les enfants sont kidnappés, vendus, trompés ou forcés. La plupart des victimes viennent de familles très pauvres. Les trafiquants contrôlent leurs victimes par la violence, le chantage et la menace de faire du mal aux parents.
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Les filles qui sont bonnes aux Philippines sont souvent traitées comme des esclaves. Beaucoup demandent de l'aide via la ligne téléphonique de Cecilia ouverte jour et nuit.
l’abri avant l’arrivée de la benne à ordures. – Une fois, j’ai été recouverte jusqu'au menton par des ordures puantes ! Aimait l’école
La mère de Cecilia avait de l’instruction et elle fit en sorte que les enfants aillent à l’école. Elle préférait avoir faim plutôt que de ne pas payer les taxes scolaires des enfants. À l’école on taquinait Cecilia à cause de ses sandales dépareillées et parce que ses cheveux et ses vêtements déchirés sentaient le poisson et les ordures. Le pire c’était à l’adolescence. – Jolie, mais elle pue, disaient les garçons en se tenant le nez quand elle passait. – Ne savez-vous pas que c’est un nouveau parfum ? disait Cecilia sur un ton qui se voulait sûr, mais intérieurement elle était triste et en colère. Elle voyait que beau-
coup de familles qui étaient loin de travailler aussi dur que la sienne, mangeaient à leur faim. Elle décida alors que ses propres enfants auraient une meilleure vie que la sienne. Le père de Cecilia expliqua qu’elle devait s’endurcir pour survivre dans un monde aussi dur. – Il m’a appris à boxer et il pariait de l’argent sur les matchs que je jouais ! Et il m’a jetée dans le fleuve pour que j’apprenne à nager. Bientôt je me suis sentie comme un poisson dans l’eau. Cecilia a gagné plusieurs compétitions de natation et a eu une place dans l’équipe de natation de l’école. Cela lui permit d’avoir une bourse et de pouvoir payer ses frais de scolarité.
ce moment-là. A 14 ans, déjà, elle commença à protester contre le régime bien que ce fut très dangereux. Elle était en colère en voyant Marcos et ses amis vivre dans le luxe alors que les pauvres mouraient de faim. Quelques années plus tard, Cecilia apprit que les militaires avaient projeté de faire une razzia contre sa maison. Elle s’enfuit dans les montagnes et devint célèbre dans toutes les Philippines, sous le nom de commandant Llway. Peu de gens savaient que ce terrible combattant de la liberté était une adolescente. Après plusieurs années de combat au sein de la guérilla, elle fut encerclée par les soldats de Marcos. Elle cria : « Je suis le commandant Llway. Ne tirez pas, je sors » Quelques soldats coupèrent une mèche de ses longs cheveux comme preuve qu’ils l’avaient capturée.
Aide les enfants pauvres
Pendant qu’elle était dans la montagne et les années de prison, Cecilia eut trois enfants. Les enfants nés en prison s’appellent Dakip (Capturé) et Malaya (Liberté). À la fin, le dictateur Marcos fut renversé. Des millions de personnes envahirent les rues et les places et l’obligèrent à capituler. Alors Cecilia voulut assurer à ses enfants une vie meilleure. Mais elle voulait aussi se battre pour tous les enfants des Philippines qui vivaient dans une grande pauvreté. Elle obtint l’aide de ses frères et sœurs et créa une organisation à Manille. C’est alors que la région d’origine de Cecilia fut frappée par un typhon qui tua plus de 10.000 personnes et fit des centaines de milliers de sans abri. Cecilia découvrit la
Combat contre le dictateur
Cecilia a grandi sous la dictature de Ferdinand Marcos, qui dirigeait les Philippines à
Dans les foyers protégés de Cecilia, pour les filles qui ont été vendues par les trafiquants d'êtres humains, les filles ont le droit d'être de nouveau des enfants.
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Cecilia aime la compagnie des filles sauvées par son organisation Visayan Forum. Ensemble, elles parlent, chantent et rient.
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Cecilia a appris aux gardiens des ports et des aéroports à reconnaître les trafiquants d'êtres humains et leurs victimes. À présent, ils l'aident à arrêter ceux qui achètent et vendent des enfants.
brutalité des trafiquants d’êtres humains qui exploitaient le malheur des autres. Ils promirent du travail et l’école aux enfants orphelins ou sans foyer, mais au lieu de cela, ils les vendirent comme esclaves. Au fur et à mesure que le travail de Cecilia se faisait connaître, les enfants venaient de plus en plus chercher de l’aide auprès d’elle. – J’ai vu des filles qui se sont sauvées du travail forcé comme bonne dans les familles
riches. Certaines avaient des cicatrices causées par des brûlures de cigarettes ou de fer à repasser. Une fille avait été obligée de boire de l’acide et en est morte. Elle est arrivée chez nous trop tard. J’ai com-
pris que je devais tout faire pour sauver ces enfants. En 1991, Cecilia organisa la Global March Against Child Labour, la première marche mondiale contre le travail des enfants qui regroupe
La collaboration sauve des enfants - Tous doivent participer au travail contre le trafic de personnes et le travail des enfants, sinon nous n’atteindrons jamais notre but, dit Cecilia. Dans les ports et les aéroports, elle collabore avec la police les agents de sécurité, les chauffeurs de taxi, et les bagagistes. Ils sont formés par des assistants sociaux et par les filles qui ont été victimes. Ils apprennent à découvrir les trafiquants et leurs victimes, ils guettent et posent des questions, tout en distribuant des tracts avec des informations concernant la ligne téléphonique de Cecilia, où on peut toujours appeler et demander de l’aide ou dénoncer un comportement suspect.
Que font Cecilia et Visayan Forum ? Cecilia et Visayan Forum pensent que tous doivent participer au combat contre le travail des enfants et le trafic de personnes. Ils se battent dans tout le pays et font en sorte que les autorités ne puissent plus ignorer que des enfants sont achetés et vendus comme de la marchandise : • Enfants et adultes dans les régions les plus pauvres des Philippines, là où se trouvent la plupart des enfants victimes des trafiquants, reçoivent instruction et appui. On informe surtout les mères sur la façon de protéger leurs enfants. • Dans les ports et les aéroports, Visayan Forum collabore avec tous ceux qui travaillent, la police et autres autorités, afin de démasquer les trafiquants et sauver leurs victimes. • Des opérations de sauvetage sont entreprises pour délivrer des enfants utilisés dans les bordels ou comme bonnes dans les maisons privées. • Des lignes téléphoniques sont ouvertes jour et nuit pour enfants et adultes ayant besoin d’aide ou voulant dénoncer des cas où l’on suspecte un
trafic de personnes ou de travail forcé. • Les filles libérées trouvent asile dans un Foyer de transition dans tout le pays, l’aide à retrouver la confiance en soi et dans l’avenir ainsi qu’à retrouver leur famille. Aux filles qui ne peuvent pas retourner chez elles, on offre un foyer et l’école à la Maison sûre de Cecilia. • Les enfants de moins de 14 ans, qui selon la loi ne doivent pas travailler, ont une scolarité gratuite. Les filles plus âgées reçoivent une formation professionnelle, parfois aussi une aide économique. Les enfants qui ont travaillé sont encouragés à créer des clubs pour les droits de l’enfant à niveau local où ils jouent et s’amusent mais diffusent aussi de l’information sur le trafic d’êtres humains afin de sauver d’autres enfants. • Afin de gagner la guerre contre le trafic d’êtres humains, il faut de meilleures lois protégeant les enfants et permettant de condamner les trafiquants à la prison. Cecilia influence les politiciens aussi bien aux Philippines que dans le reste du monde et les oblige à modifier règles et lois.
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Les enfants sauvés du travail forcé, aident Cecilia dans son combat pour les droits de l'enfant en protestant contre le trafic d'êtres humains.
n’avaient aucun droit et étaient souvent traitées comme des esclaves. Cecilia créa en 1995, Sumapi, le premier syndicat pour bonnes des Philippines. Aujourd’hui, Visayan Forum de Cecilia, est l’une des premières organisations dans le combat contre l’esclavage et le trafic de personnes. Des centaines de volontaires et employés travaillent avec
Cecilia à Manille, dans sa Maison sûre et dans ses Foyers de transitions, dans tout le pays, par un travail de prévention dans les villages et les bidonvilles. Cecilia est connue dans le monde entier, mais elle n’oublie jamais ses racines. – Je peux encore sentir l’odeur de poisson et des ordures sur mon corps, dit Cecilia.
La Maison sûre de Cecilia Certaines filles ne peuvent pas réintégrer leur famille et dans ce cas, elles vont vivre dans la Maison sûre de Cecilia. « Center of Hope » (Le cœur de l'espoir) à une adresse secrète à Manille. Après s'être sauvées, les filles sont souvent menacées de mort. Elles reçoivent le soutien des 'parents du foyer', d'assistants sociaux, de psychologues, professeurs et agents de sécurité. – Elles doivent se sentir comme dans une vraie famille. Ici, nous leur assurons la protection et l'espoir en l'avenir, dit Cecilia. Le terrain pour la construction de la Maison sûre a été acheté grâce à l'aide de J.K. Rowling, l'écrivain des fameux livres sur Harry Potter. On y construira aussi une école et un centre de formation.
Apprend le filipino ! Près de 100 groupes ethniques différents, répartis dans les 7.107 îles des Philippines, parlent 170 langues ou dialectes différents. La langue nationale est le filipino. Comme, pendant 400 ans, les Philippines ont appartenu d’abord à l’Espagne et ensuite aux USA, la langue contient pas mal de mots espagnols et anglais. Salut = Kumusta Hó Au revoir = Babay Oui = Ohó Non = Hindi Hó À l’aide ! = Saklala! Que vive ! = Mabuhay! Copain = Kaibigan Bande de copains = Barkada
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aujourd’hui des millions d’enfants et 114 organisations dans le monde entier contre le travail des enfants et l’esclavage. La Global March se bat pour les 250 millions d’enfants qui sont au travail dans le monde. Quatre millions de ces enfants viennent des Philippines. Les centaines de milliers de jeunes bonnes dans les familles des Philippines,
Samraida passée en contrebande Samraida avait 14 ans quand elle fut passée en contrebande depuis les Philippines avec un faux passeport. Elle fit des milliers de kilomètres pour travailler sept jours par semaine, 20 heures par jour, comme bonne, dans une riche famille du Moyen-Orient. – On m’a traitée pire qu’un animal et on m’a vendue à un patron contre ma volonté, dit Samraida.
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ussi loin que Samraida puisse s’en souvenir, sa mère a travaillé à l’étranger. Sa famille habite à Mindanao, une des plus pauvres régions des Philippines, où pendant 30 ans a sévi une guerre civile. Beaucoup d’enfants pauvres à Mindanao grandissent sans leur mère. La plupart des familles sont
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musulmanes et c’est pourquoi les filles et les femmes d’ici sont recherchées comme bonnes par les riches pays musulmans, comme l’Arabie Saoudite. – Maman ne revient à la maison que tous les deux ou trois ans, raconte Samraida. Quand j’avais dix ans, je l’ai priée de rester. Je pleurais et je
m’agrippais à elle, mais elle s’est fâchée et m’a dit en criant qu’elle travaillait comme une esclave pour moi. Cette nuit-là, j’ai décidé de ne plus avoir besoin de maman. En fait, nous nous connaissions à peine. Bien que maman envoyât de l’argent à la maison chaque mois, la famille était au bord
La jeepney transporte les filles esclaves La jeepney est le transport le plus commun aux Philippines. Elle est toujours décorée avec imagination de couleurs vives, motifs et ornements divers. La jeepney est utilisée souvent pour transporter les victimes du trafic de personnes. Il y a de la place pour 15 personnes, mais la police a parfois arrêté des Jeepneys où on avait entassé 50 jeunes filles. Souvent on les couvre avec des bâches et les trafiquants disent à la police et aux dockers qu’il s’agit de légumes ou de quelque autre marchandise.
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de la famine. Papa s’usait au travail des champs, mais c’est à peine s’ils pouvaient se nourrir. A douze ans, Samraida fut obligée de travailler comme bonne. Elle s’occupa aussi de ses petits frères et sœurs et du ménage. Le travail de Samraida était lourd et le salaire pitoyable. Alors elle décida de partir aussi à l’étranger, bien que maman ait dit que c’était horrible. Ceux qui travaillent à l’étranger gagnent mieux et deux salaires aideraient la famille. Mais Samraida était trop jeune pour obtenir un passeport – il faut avoir au moins 23 ans pour travailler à l’étranger selon la loi des Philippines.
Le grand aéroport effrayait Samraida - elle n'avait jamais pris l'avion avant qu'on la fasse passer en contrebande pour la faire travailler comme une esclave à l'étranger.
Faux papiers
Samraida Esmael, 18 VEUT ÊTRE : Assistante sociale et
travailler pour Cecilia IDOLES : Chanteuses Céline Dion
et Sara Geronimo AIME : Chanter, surtout les chants
traditionnels des Philippines. ADMIRE : Cecilia, Erica et les autres à Visayan Forum
Le voyage de Samraida vers son travail au Moyen-Orient commence alors qu’elle a 14 ans. Un homme arrive de Manille au village. C’est un recruteur, une personne qui engage les fi lles qui veulent travailler au Moyen-Orient. L’homme promet un passeport et un travail si elle le suit. Samraida accepte l’offre. Un matin tôt, elle se met en route pour Manille avec le recruteur et deux fi lles plus âgées. Cela prend presque quatre jours, d’abord en jeepney, ensuite an ferry. – Votre visa n’est pas encore prêt, explique l’homme. Pendant que nous attendons vous habiterez chez moi et ma femme et ferez le ménage. Samraida et les autres filles sont enfermées dans la
maison sans salaire. Qui plus est, le recruteur dit qu’elles doivent payer le logement et la nourriture. – Nous retirons les dépenses sur le salaire que vous recevrez pendant les premiers sept mois au Moyen-Orient, dit-il. Longue attente
Le recruteur donne à Samraida un billet avec les données qui se trouvent dans son faux passeport. L’âge est de 23 ans, elle a un autre nom et une nouvelle date de naissance. Elle doit tout savoir par cœur si la police l’interroge à l’aéroport. Les semaines passent et Samraida a peur et se sent trahie. Doit-elle rester là et être l’esclave du recruteur ? La chambre sombre où elle dort sur le sol avec les autres
fi lles est comme une cellule de prison. Elle veut retourner à la maison. – Comme tu veux, dit le recruteur. Mais d’abord tu dois nous payer sept mois de salaire, pour la nourriture, le logement et les frais de voyage. Et c’est toi qui dois payer ton voyage. Samraida n’a pas d’argent et ne sait pas où aller. Six mois plus tard, de nouvelles fi lles arrivent dans la maison. Et le recruteur dit que le visa de Samraida est prêt. Un travail l’attend au Kuwait. Trois jours plus tard, elle est en route vers l’aéroport, cachée par un voile et une longue jupe. La femme du recruteur l’a maquillée pour qu’elle paraisse plus âgée. Un homme reçoit Samraida dans le hall des
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Le policier a interrogé Samraida quand il s'est aperçu que son passeport était faux.
départs avec son billet et son faux passeport. – Aie l’air sûre de toi ! Redresse-toi et marche droit ! Va au guichet deux du contrôle des passeports, dit l’homme avant de disparaître dans la foule. À l’approche du contrôle des passeports, le cœur de Samraida bat très fort. Ses mains tremblent lorsqu’elle tend le faux passeport, mais le policier lève à peine les yeux. – Passez ! dit-il. Samraida comprend que le policier a été payé par les contrebandiers pour qu’ils la laissent passer. Arrivée au Kuwait
En proie à des malaises et des vertiges, Samraida sort en chancelant de l’avion au Kuwait. Dans le hall d’arrivée un homme l’attend avec un
écriteau portant le faux nom de Samraida. On ne la conduit pas à son lieu de travail, mais à une agence d’emploi à Kuwait City. On l’enferme dans une petite pièce sans fenêtres, déjà remplie de filles et de jeunes femmes. Certaines viennent des Philippines, d’autres du Sri Lanka, d’Indonésie ou d’Éthiopie. Le soir, Samraida et d’autres filles doivent se mettre en rang et se montrer à trois hommes. Samraida a peur. L’un des hommes dit qu’il a six enfants et veut une fille qui s’occupe d’eux et de tout le ménage. – Vous devez travailler de quatre heures du matin à deux heures de la nuit, sept jours par semaine, dit-il. Samraida calcule rapidement. Cela fait 22 heures !
– Je ne peux pas, dit-elle. L’homme se fâche. – Tu es paresseuse ! Pourquoi tu es venue, si tu ne veux pas travailler ? Pendant deux semaines Samraida voit défiler plein d’hommes exigeant les mêmes choses. Elle suit l’un d’eux pour montrer ce qu’elle peut faire. Elle doit grimper sur une longue échelle et nettoyer une armoire, mais perd l’équilibre et tombe presque. L’homme la ramène. – Elle ne fait pas l’affaire, dit-il. Le propriétaire de l’agence est furieux et essaie de battre Samraida, qui s’échappe. – Pourquoi tu veux me faire du mal ? demande-t-elle. Je suis venue ici pour travailler, non pour être traitée comme un animal. On ramène Samraida dans la pièce, plus bondée que jamais. Des filles arrivent de l’aéroport chaque jour et il n’y a plus de place pour s’étendre. Samraida doit dormir assise, mais c’est presque impossible à cause de la chaleur. La chambre n’a ni fenêtres ni ventilateur et c’est difficile de respirer. Samraida se rend compte qu’elle doit accepter n’importe quel travail pour partir de là.
Exportent des êtres humains Peu de pays dans le monde ont autant d’habitants qui travaillent à l’étranger comme les Philippines. Il existe ici une forte tradition, encouragée et développée par l’ancien dictateur Marcos, à aller travailler à l’étranger. Près de la moitié des enfants entre 10 et 12 ans disent qu’ils pensent aller travailler à l’étranger. Le pays est l’une des plus grandes sources de travailleurs étrangers du monde. Une partie partent également, mais des centaines de milliers sont passés en contrebande et sont vendus aux pays voisins comme la Malaisie et Hong Kong, mais aussi le Moyen-Orient, l’Afrique, les USA et l’Europe. – D’autres pays exportent du thé, du café ou des produits électroniques. Les Philippines exportent des gens, dit Cecilia.
Premier travail
18 jours plus tard, Samraida est bonne chez une famille de quatre enfants, dont trois sont adultes mais vivent à la maison. Il s’agit d’une grande maison de quatre étages. Une Philippine un peu plus
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âgée s’occupe de la cuisine. Samraida s’occupera du ménage et de la lessive. Le patron lui explique les règles de la maison. – Tu ne quitteras jamais la maison, tu es trop jeune pour sortir seule. Tu dois porter le voile et pas de vêtements moulants ni des pulls décolletés. Ne perds jamais de temps à parler avec l’autre bonne ou à téléphoner chez toi. Et c’est interdit d’avoir des contacts avec les bonnes de nos voisins. A la fin du premier jour de travail, Samraida est épuisée. Après avoir, de quatre heures du matin jusqu’à minuit, récuré le sol, fait la vaisselle et la lessive, elle a mal partout. L’autre bonne travaille depuis sept ans dans la famille. Elle chuchote à Samraida de faire attention au plus jeune des fils. – Il ment et dit que nous, les bonnes, volons ses affaires pour attirer l’attention de sa mère. Samraida travaille sept jours par semaine, de l’aube à minuit. Les jours s’enchaînent. La maison est la prison de Samraida. Elle veut rentrer chez elle, mais elle a signé un contrat et a promis de travailler dans la famille pendant deux ans. Chaque mois, elle envoie tout son salaire à sa famille à Mindanao. Dans leurs lettres, ils parlent de la maison qu’ils construisent avec l’argent de Samraida. Cela lui donne le courage de continuer. Samraida se sauve
Après deux ans, Samraida est épuisée mais heureuse. Elle
pourra rentrer. Dans le contrat il est dit que le patron doit lui remettre son passeport et un billet d’avion. Mais c’est le choc. Le patron refuse. Il veut que Samraida continue de travailler. – Pars si tu veux, dit-il. Mais nous gardons ton passeport et tu n’auras pas de billet. La famille ne paye plus de salaire et oblige Samraida à continuer à travailler. Mais après quatre mois, ils en ont assez de ses pleurs et prières de la laisser partir. Ils la ramènent à l’agence de l’emploi. Là, on lui dit qu’elle doit travailler pour payer son billet d’avion et on la vend à une autre famille. Dans la nouvelle famille, Samraida doit s’occuper d’une petite fille. Un jour la petite tombe malade et Samraida l’accompagne à l’hôpital. Là, elle voit une chance de se sauver. Elle demande la permission d’aller aux toilettes, mais se précipite dans l’escalier. Dans la rue, elle arrête un taxi. – Emmenez-moi au poste de police ! La police écoute quand Samraida raconte qu’elle a été vendue contre sa volonté. – Nous allons essayer de t’aider, disent-ils. Pendant ce temps tu peux rester ici. Dans une cellule de prison, s’entassent 80 filles et femmes, des Philippines et de bien d’autres pays. Toutes sont des bonnes qui attendent un procès ou de pouvoir rentrer chez elles. Samraida se fait rapidement une amie, Katy. Elle s’est enfuie de chez son patron qui l’a violée.
Cecilia et le temps passé dans son foyer protégé, ont donné à Samraida un nouvel espoir pour le futur.
– Il m’attaquait chaque fois que sa femme quittait la maison, dit-elle. Quand Katy s’est sauvée, le patron l’a dénoncée pour vol. À présent, elle attend le procès. Samraida a peur. Et si cela lui arrivait aussi? Mais après huit mois dans la cellule, elle reçoit son passeport et un billet d’avion. Quand elle s’envole, Katy est toujours en
prison. Elle a été condamnée à plusieurs années de prison pour le prétendu vol.
« Le travail domestique est un vrai travail » Cecilia se bat pour les droits des bonnes.
Samraida est musulmane et prie cinq fois par jour.
À la maison enfin
Un autre choc attend Samraida quand elle revient à Mindanao. La nouvelle maison, construite avec tout son argent, n’est plus là. Les rebelles et les forces du gouvernement se sont battus
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Qu'est-ce que le foyer de transition ?
Samraida a été enfermée comme une esclave dans la maison pendant plusieurs années. Aujourd'hui, elle va de nouveau à l'école et elle veut travailler pour Cecilia et Visayan Forum. Elle travaille déjà contre le trafic d'êtres humains, informe et manifeste pour soutenir le combat contre le trafic de personnes.
dans son village. Beaucoup sont morts et la maison a été complètement brûlée. Son père et ses frères et sœurs vivent dans un camp de réfugiés. Ils sont heureux que Samraida soit à la maison, mais pleurent en racontant ce qui s’est passé. – Tu n’as même pas pu voir ta maison, disent-ils. Samraida décide de repartir de nouveau à l’étranger. – Je vais gagner de l’argent pour une nouvelle maison. – Absolument pas ! dit papa bouleversé. Ou alors, tu iras à Manille à la nage. Mais Samraida est inébranlable et à la fin papa accepte. Un soir, quelques semaines plus tard Samraida est de nouveau à l’aéroport. Mais cette fois, le policier au contrôle appelle les forces spéciales contre le trafic d’êtres humains de l’aéroport. Ils ont été formés par Cecilia
et Visayan Forum et savent reconnaître les victimes du trafic de personnes. Samraida prétend avoir 25 ans, mais le dentiste des forces spéciales regarde ses dents et constate qu’elle a moins de 18 ans. Ils appellent Erica, une des assistantes sociales de Visayan Forum. Le foyer de transition protège
Derrière de hauts murs, près de l’aéroport, se trouve le foyer de transition de Cecilia, où les filles qui ont été sauvées trouvent protection. Il est passé minuit quand un gardien ouvre le lourd cadenas du grillage. Samraida pleure en silence. Elle ne peut plus aider sa famille. Et elle risque de finir en prison pour avoir essayé de partir avec un faux passeport. Erica l’emmène dans une chambre, à l’étage supérieur.
Dans le noir, Samraida distingue d’étroits lits placés en rangées et est prise de panique. Est-elle de nouveau en prison ? Mais une des filles se réveille et chuchote: – Ne t’en fais pas ! Tu es dans un endroit sûr. Dors, nous parlerons demain. Le matin suivant, toutes les filles sont assemblées autour de Samraida. Toutes ont été victimes de trafic d’êtres humains mais ont été sauvées par Visayan Forum, qui aide les filles à aller à l’école et à retrouver leur famille. Une semaine plus tard Samraida se réveille en pleine nuit. Une fille est assise sur le lit, près d’elle. Elle vient d’arriver de l’aéroport. Elle est perdue et apeurée. – N’aie pas peur, dit Samraida. Tu es dans un endroit sûr. Dors, nous parlerons demain.
Cecilia et Visayan Forum ont construit neuf foyers de transition près de l'aéroport de Manille et des ports utilisés par les trafiquants. Les filles sauvées sont directement transportées au foyer de transition où elles trouvent protection et premiers soins. Dans les foyers de transition travaillent des assistants sociaux et des gens du terrain, prêts à intervenir jour et nuit. Là se trouve également un 'parent' qui assure aux filles la nourriture, un lit ainsi que de la chaleur et de l'amour. Selon la situation personnelle et les besoins de chaque fille, on l'aide à retrouver sa famille, à obtenir une aide financière pour les taxes scolaires, une assistance juridique et psychologique. Les foyers de transition ont des lignes téléphoniques et forment le personnel de l'aéroport et des ports pour qu'il puisse découvrir et sauver les victimes du trafic d'êtres humains.
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6h00 Le réveil ! Parfois des nouvelles sont arrivées de l’aéroport pendant la nuit. Elles sont souvent tristes et apeurées et ont besoin d’un accueil chaleureux quand les autres se réveillent.
Un jour au Foye Près de l’aéroport se trouve un des Foyers de transition de Cecilia, un lieu d’accueil pour les filles sauvées de la contrebande de personnes et du travail forcé à l’étranger.
6h20 Gymnastique matinale Même les plus fatiguées se réveillent. 6h40 Belles et propres Un rapide et énergique brossage de dents, personne ne veut manquer le petit-déjeuner.
7h30 Toutes s’y mettent Toutes aident maman Alice à préparer la nourriture et à mettre la table. 11h00 Construction d’abris ! Le typhon arrive ! Le jeu Bahay, Bata, Bagyo (Foyer, enfants, catastrophe) enseigne que les enfants ont besoin de protection et d’un foyer sûr. Au début du jeu, quelqu’un crie qu’un typhon arrive. Tout le monde se dépêche alors de « construire » une maison où trouver refuge.
9h00 Salut Cecilia Aujourd’hui Cecilia est en visite. Elle joue et parle avec les filles. Malgré les mauvaises expériences de beaucoup d’entre elles, les rires ne manquent pas. 78
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12h00 Du poisson au déjeuner Krista, 16 ans, à frit le poisson pour le déjeuner.
13h30 Toute la mer se déchaîne avec Lady Gaga Lady Gaga hurle dans les haut-parleurs lorsque les filles jouent « Toute la mer se déchaîne ». Tout le monde crie et rit quand la dernière chaise s’effondre sous l’heureuse gagnante. Celle-ci a été sauvée il y a quelques jours à peine, après une tentative de viol dans la famille où elle était bonne.
oyer de transition 18h00 Prière chrétienne et musulmane Une petite pièce à l’étage sert de chapelle aux filles chrétiennes alors que les filles musulmanes utilisent souvent le dortoir pour la prière.
Les plus jeunes dessinent et écrivent pour raconter ce qui leur est arrivé.
22h00 Silence au Foyer de transition Les lumières s’éteignent et le silence se fait. Mais qui sait combien de nouvelles filles seront sauvées cette nuit.
TEXTE: CARMILL A FLOYD PHOTO: KIM NAYLOR
20h00 Karaoké du soir et lettres Le soir beaucoup se réunissent devant la télé pour chanter le karaoké. D’autres en profitent pour écrire à la maison.
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Mary-Ann forcée à la Quand son père tombe gravement malade, Mary-Ann doit quitter l’école et à la maison on a faim. On lui promet alors un travail très bien payé dans un restaurant de Manille. Mais c’est un mensonge. Mary-Ann doit travailler dans un bordel.
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TexTe: CARMILL A FLOYD phOTO: KIM NAYLOR
ary-Ann grandit à Samar où la famille a une petite ferme. Ils vivent dans une cabane en bambou, entourée de prairies, de montagnes et de grands arbres. C’est beau, mais très pauvre. La famille ne mange pas souvent à sa faim. Quand papa tombe malade, Mary-Ann doit quitter l’école et devient bonne. C’est mal payé et, chaque nuit, elle s’endort en pleurant sous la table du patron. Après six mois, elle retourne à la
maison et prie sa mère de la laisser reprendre l’école. Mais c’est impossible. Quelques jours plus tard, Nena, la cousine de maman vient les voir. Elle dit qu’elle peut trouver du travail à Mary-Ann dans un restaurant de Manille, la capitale. – Elle est trop jeune, disent les parents d’abord, mais comme Nena promet de bien s’occuper de Mary-Ann, ils acceptent. Le voyage commence le jour suivant, très tôt. D’autres
filles du village les accompagnent. C’est la première fois que Mary-Ann quitte Samar et la première fois qu’elle prend le ferry. Elle a mal au cœur, à cause des vagues, mais est pleine d’espoir. Depuis le taxi, sur le chemin du terminal ferry à Manille, de hautes maisons et de larges rues défilent devant ses yeux. Des enseignes au néon brillent et les vitrines des boutiques scintillent dans la nuit. Mais quand le taxi s’arrête, Mary-Ann est déçue.
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à la prostitution Derrière de hauts murs, se cache une petite maison sale. – Où est le restaurant ? demande-t-elle. – Vous devez vous reposer d’abord, dit sèchement Nena. Elle pousse les filles dans la maison et les laisse seules dans une petite pièce. Les autres s’endorment rapidement, recroquevillées sur le sol. Mais Mary-Ann reste éveillée longtemps. Le comportement de Nena est bizarre et il y a quelque chose qui ne va pas. Prisonnières au bordel
Le matin suivant, Nena leur dit la vérité. Il n’y a pas de tra-
vail au restaurant. Les filles doivent travailler dans une maison de passe et vendre leur corps à des hommes inconnus. Mary-Ann est choquée. – Pourquoi tu ne l’as pas dit? crie-t-elle. Je ne t’aurais jamais suivie. Maman n’aurait jamais accepté. Mais Nena s’en va. MaryAnn essaie de la suivre, mais la porte est fermée à clé. Les filles se précipitent à la fenêtre et voient un gardien à la grille. Elles sont prisonnières dans un bordel. Après une attente interminable, un homme vient les chercher et les entraîne dans
une autre chambre remplie de filles en sous-vêtements assises par terre. Soudain MaryAnn voit ses cousines de Samar. Elles aussi ont été leurrées par Nena. L’une d’elles, Paula, raconte que les filles sont enfermées jour et nuit et ne sont relâchées que quand elles doivent s’occuper d’un client. Les hommes qui travaillent dans le bordel sont appelés maquereaux. Ils surveillent les filles et les emmènent dans les hôtels des clients. Paula a pitié de MaryAnn, qui pleure et dit qu’elle veut retourner à la maison. – Nena prend tout l’argent que nous gagnons, mais par-
Mary-Ann a été sauvée de l'esclavage sexuel dans la maison de prostitution et a trouvé refuge dans le foyer pour filles de Cecilia.
fois les clients nous laissent quelque chose, dit Paula. J’en ai mis un peu de côté et je peux payer ton billet de retour. Mais quand Nena revient, elle dit que Mary-Ann doit rester. – L’argent de Paula ne suffit pas. Tu me dois beaucoup d’argent et tu dois travailler. Tu n’as pas le choix. Un des maquereaux emmène Mary-Ann chez un médecin. – Gare à toi si tu parles, la prévient-il en chemin. Nena veut savoir si MaryAnn a des maladies et si elle est vierge. Mary-Ann appren81
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Aux Philippines, des dizaines de milliers de filles provenant de familles pauvres sont vendues par des trafiquants d'êtres humains à des clubs sexuels ou à des bordels.
dra que les clients payent plus pour les filles jeunes et vierges. Elle est la plus jeune au bordel et elle a beaucoup de valeur pour les trafiquants. Le médecin a des doutes. Elle pose beaucoup de questions, mais le maquereau est présent et Mary-Ann n’ose pas demander de l’aide. Nena donne un savon spécial à Mary-Ann en lui disant qu’elle doit le frotter sur sa peau trois fois par jour pour l’éclaircir. On lui donne aussi une robe courte et de minces sous-vêtements. Les vêtements de Mary-Ann sont laids et puérils, dit Nena. Mary-Ann fait un paquet de ses vêtements. Quand personne ne la voit, elle écrit une note à sa mère qu’elle cache parmi les vêtements. Ensuite, elle donne le paquet à Nena. Premier client
Le maquereau veut conduire Mary-Ann chez un client mais elle s’échappe et refuse de le suivre. Le jour suivant le maquereau se fâche. Il traite Mary-Ann de tous les noms et crie qu’elle ne peut pas seulement manger et dormir, elle doit travailler. Le maquereau force Mary-Ann à le suivre et la laisse dans une chambre d’hôtel. Le client, un homme d’affaires chinois, est irrité d’avoir dû attendre deux jours pour sa vierge. Il lui dit de se déshabiller et de prendre un bain. Elle commence à pleurer, tombe à genoux et le prie de ne pas la forcer. – C’est la première fois que je fais ça, on m’a obligée.
À la fin l’homme aussi se met à pleurer. – Je ne te toucherai pas. Mais ne le dis pas à ton maquereau, dit-il. Étends-toi et repose-toi. Mais Mary-Ann n’ose pas, elle a peur que l’homme l’agresse. – N’aie pas peur. J’ai des filles de ton âge, c’est pour cela que je ne te toucherai pas, dit-il. Quelques heures plus tard, Mary-Ann retrouve le
maquereau dans le hall de l’hôtel. – Ça t’a fait mal ? demandet-il. Mary-Ann baisse les yeux et secoue la tête. Mary-Ann tente de fuir
Le jour suivant, on emmène Mary-Ann dans une autre chambre d’hôtel. Le client a une blouse d’hôpital verte, comme les médecins. Il se fiche des larmes de MaryAnn.
– J’ai payé. Déshabille-toi et fait ton boulot, dit-il en poussant Mary-Ann sur le lit. Elle essaie de se libérer, mais il est trop lourd. Elle se sent étouffer. L’homme viole Mary-Ann. Puis il la jette hors de la chambre. Elle descend l’escalier, décidée à s’enfuir avant que le maquereau revienne. Mais au moment où elle court vers la sortie, elle est arrêtée par le personnel de l’hôtel qui téléphone à Nena.
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Mary-Ann, 17 AIME : Écrire des poèmes et lire. FAMILLE : Maman et six frères et
Dans le foyer pour les filles sauvées, il y a une petite chapelle catholique.
Cette nuit-là, Mary-Ann se recroqueville sur le sol de l’étouffante chambre sans fenêtres en pleurant d’épuisement et de douleur. Est-ce cela sa vie désormais ? Le sauvetage arrive
En même temps, dans le village de Samar, la mère de Mary-Ann a trouvé la lettre dans le paquet de vêtements. Elle va immédiatement à la police qui contacte la police de Manille. Le lendemain on frappe à la porte du bordel. À l’extérieur il y a la police et le service social. – Il n’y a pas de Mary-Ann ici, dit le maquereau. Mais Mary-Ann entend son nom et appelle à l’aide. Dans la voiture qui roule vers le poste de police, le maquereau lui dit tout bas qu’elle doit se taire. – Sinon s’en sera fait de toi et de ta famille. Mary-Ann a peur. Et si Nena envoie des gangsters pour tuer ses parents et ses frères et sœurs ? Elle refuse de répondre aux questions du policier et le maquereau peut retourner au bordel.
Mary-Ann est placée dans un des foyers de transition de Visayan Forum. Les autres filles qui ont été libérées du trafic d’êtres humains l’accueillent et Cecilia lui dit de ne pas avoir peur, elle est en sécurité. Alors, Mary-Ann parle. Ce qui permet à la police et à Visayan Forum de procéder à une autre opération de sauvetage et de libérer d’autres fi lles tenues prisonnières dans le bordel. Libre et heureuse
Avec l’appui de Cecilia et de Visayan Forum, Mary-Ann ose témoigner contre les trafiquants d’êtres humains au tribunal. – Je veux me venger, dit-elle à Cecilia. Ils m’ont volé mon enfance. Avant et pendant le procès, Mary-Ann et sa famille reçoivent des menaces de mort. Mais Mary-Ann ne se laisse pas intimider et sa famille la soutient. Finalement Nena est condamnée à la prison. Mais Mary-Ann sait que d’autres ont pris la relève et qu’ils recrutent déjà des fi lles pour
un nouveau bordel. C’est pour cela qu’elle continue à collaborer avec Cecilia et Visayan Forum pour informer sur le trafic des êtres humains et dénoncer des cas suspects. – Presque chaque famille dans mon village est touchée d’une façon ou d’une autre, dit-elle. Beaucoup d’enfants et de femmes ont été entraînés et exploités. Je déconseille à mes sœurs et aux fi lles du village de parler à des étrangers. Je dis : « N’écoutes pas les promesses d’un bon travail et d’un bon salaire, même pas de la part de gens que tu connais » J’ai moi-même été vendue par un membre de ma famille.
sœurs – papa est décédé. VEUT ÊTRE : Assistante sociale. IDOLES : Les stars de la télé Kris Bernal et Aljur Abrenica. ADMIRE : Cecilia et les autres de Visayan Forum.
Mary-Ann se réveille encore souvent la nuit, le cœur battant ou en sueur, en proie à des cauchemars. Mais elle est heureuse d’être libre et elle va de nouveau à l’école. – Je vais faire une formation d’assistante sociale et travailler pour Cecilia, dit Mary-Ann. Je veux être comme elle et sauver les filles de l’esclavage et de la maltraitance.
Mary-Ann et ses nouvelles amies se battent ensemble contre le trafic d'êtres humains.
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Ruby a gagné contre la
trafiquante d’êtres humains
Ruby n’oubliera jamais le jour où, dans la salle du tribunal, la trafiquante d’êtres humains fut condamnée à la prison à vie. Elle et Cecilia pleurèrent quand la sentence est tombée. C’était une victoire historique.
TEXTE: CARMILL A FLOYD PHOTO: KIM NAYLOR
A
14 ans Ruby fut victime d’une trafiquante d’êtres humains. Elle était l'aînée et vivait, avec sa famille, dans une région pauvre, du nom de Mandaluyo. – À douze ans, j’ai dû quitter l’école pour travailler. Mon beau-père était chômeur et il dépensait tout notre argent à boire. Il me battait moi et ma mère, se plaignait tout le temps de moi. Un jour, une de mes amies a dit que sa tante Nellie pouvait nous trouver un travail dans un restaurant d’une station balnéaire. J’y ai vu une occasion de fuir les plaintes de mon
beau-père et de ma mère. Avec un bon salaire, je pourrais envoyer de l’argent à la maison. Ruby et cinq autres fi lles se retrouvèrent chez la tante de l’amie. – Nellie nous a montré nos vêtements de travail; des chemisettes et des mini jupes. Elle nous a demandé si nous étions vierges. Ça m’a rendue nerveuse, mais mes amies ne semblaient pas inquiètes, alors je n’ai rien dit. Nellie a dit qu’on pouvait dormir chez elle et partir le lendemain. Je n’ai pas eu le temps de parler à ma mère. Le lendemain, nous
avons pris l’autobus et sommes arrivées quatre heures après au terminal du ferry de Batangas.
Interrogée par la police
Au moment même où Nellie et les fi lles allaient embarquer, elles furent arrêtées par un gardien. Il soupçonnait
Les échoppes dans la région de Ruby doivent se protéger des voleurs !
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Le diplôme et les prix scolaires de Ruby. À gauche: les filles sauvées portent des masques lors de l'inauguration de la Maison sûre de Cecilia.
Nellie d’être une trafiquante et il appela la police. – La police m’a demandé mon âge, dit Ruby. D’abord j’ai dit 18 ans, comme Nellie m’avait dit de dire. Puis j’ai dit 16 ans. « Tu as l’air d’en avoir 12 » m’a dit le policier. Il était gros avec une grosse
voix. J’ai eu peur et j’ai dit la vérité. Au poste de police, Ruby rencontra Chris, une assistante sociale appartenant à Visayan Forum, l’organisation de Cecilia. – Chris m’a inspiré confiance. Elle m’a expliqué que nous avions failli être vendues à un bordel, dit Ruby. Que nous avions été sauvées à la dernière minute et que Nellie finirait en prison si nous témoignions. Mais je n’osais pas répondre à d’autres questions. Ruby et ses amies furent conduites au foyer de transition de Cecilia. Les fi lles plus âgées étaient furieuse et voulaient s’en aller. – Je voulais rester mais je n’osais pas me dresser contre mes amies. À la fin, nous avons réussi à nous échapper, mais la police nous a rattrapées. Après cela, je me suis fait de nouvelles amies au foyer. J’ai appris plus de choses sur la traite des êtres humains et j’ai rencontré des filles qui avaient été esclaves sexuelles dans des bordels. J’ai compris que j’avais eu de la chance d’avoir été sauvée à temps. Alors je voulais que ceux qui m’avaient trompée, soient punis. Pas seulement pour moi, mais pour mes amies.
pensé que j’étais plus importante que l’argent. Sentence historique
Nellie fut condamnée à la prison à vie. Pour la première fois, un trafiquant d’êtres humains était condamné aux Philippines, pris en train de transporter ses victimes. – J’étais heureuse mais aussi triste pour Nellie. J’ai su qu’elle aussi avait été victime de trafic d’êtres humains et qu’elle venait d’avoir un enfant. L’homme d'affaires, propriétaire du bar où on devait nous conduire l’avait obligée à recruter des fi lles. A présent, Nellie est en prison, mais l’homme d’affaires est libre. Ce n’est pas juste. Aujourd’hui Ruby vit de nouveau avec sa famille. Le temps passé au foyer de transition, lui a procuré la
confiance dans l’avenir et une meilleure confiance en soi. Elle peut tenir tête à ses parents. Elle parle souvent du trafic d’êtres humains lors de manifestations et soutient les autres fi lles. – Je fais une formation d’assistante sociale. Mon rêve est d’avoir un foyer, une famille et de travailler pour Visayan Forum. C’est ma façon de les dédommager pour tout ce qu’ils ont fait pour moi. Cecilia m’a inspirée. Elle a permis à des milliers de filles de reprendre possession de leur vie et n’arrête jamais de se battre pour nous.
Chez Ruby - une chambre pour toute la famille !
Menacées de mort
Robileen ”Ruby” Acebo, 20 VEUT ÊTRE : Assistante sociale et travailler pour Cecilia et Visayan Forum AIME : Danser, mais je suis trop timide ! Écrire des poèmes. N’AIME PAS : Le bruit et les injustices. Que les filles soient abusées et maltraitées. ADMIRE : Cecilia. Elle m’a sauvée et m’a inspirée à aider les autres.
Ruby et une autre fi lle acceptèrent de témoigner lors du procès, mais elles furent menacées de mort, ainsi que leur famille. – Parfois, je me sentais désespérée et je voulais renoncer, se souvient Ruby. Mais Cecilia et Visayan Forum m’ont aidée à continuer. La première fois que j’ai témoigné, j’avais très peur. La famille et les amis de Nellie étaient là avec une mine menaçante. Plus tard, j’ai appris qu’on avait offert beaucoup d’argent à ma mère pour qu’elle m’empêche de témoigner. Mais elle a refusé. J’ai été surprise mais aussi fière et heureuse que maman ait 85
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Le théâtre des rues des enfants met en garde contre le trafic des êtres humains.
Enfants contre le trafic d’êtres humains Lorsqu’un incendie frappa la région pauvre de Pandacan, 50 foyers perdirent leur maison. Beaucoup d’enfants durent arrêter l’école et travailler pour survivre. Dane Padel, 12 ans, était l’un d’eux. Dane va de nouveau à l’école grâce à la bourse du club pour les droits de l’enfant de Cecilia, à Pandacan. Dane et les autres enfants qui ont été sauvés du travail se battent en faveur des droits de l’enfant. – On fait du théâtre dans les rues pour mettre en garde les enfants et les adultes contre les trafiquants, raconte Dane. Lui et ses amis ont aussi fait des t-shirts contre le trafic d’êtres humains. Dane a écrit sur le sien « Arrêtez les abus » Dane Padel
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Victor Reyes, 11 AIME : L’école, surtout les maths. DANS LE CLUB POUR LES DROITS DE L’ENFANT : Fait du théâtre.
Aime jouer et n’est jamais nerveux. VEUT ÊTRE : Policier. Je veux mettre les menottes à tous les trafiquants d’êtres humains et de drogue, pour protéger les enfants. La police ne vient jamais dans nos quartiers. ADMIRE : Ma grand-mère. C’est une des chefs de Visayan Forum dans notre quartier. AIME : Quand nous avons fêté Halloween. N’AIME PAS : Les incendies. Quand j’ai su que Visayan Forum aidait les victimes du grand incendie, je me suis inscrit au club pour les droits de l’enfant.
Geronimo Garcia, 13 DANS LE CLUB POUR LES DROITS DE L’ENFANT : Je rencontre
mes amis, fais du théâtre, chante et danse. Je suis un bon acteur. On m’aide aussi pour les frais de scolarité. AIME : Ma grand-mère. Maman m’a laissé chez elle il y a sept ans et n’est jamais revenue. Grand-mère est aveugle, alors je l’aide pour tout. Nous n’avons presque pas d’argent, les voisins nous donnent de la nourriture. N’AIME PAS : Quand les gens boivent, se battent et crient. Il y a des bandes ici qui se battent. Je les évite. VEUT ÊTRE : Styliste et artiste. Surtout pour dessiner des robes de soirée. RÊVE DE : Mettre fin à la violence dans mon quartier et dans mon pays. LA PLUS BELLE EXPÉRIENCE : La visite au parc d’attraction ‘Le royaume enchanté’. LA PIRE : Le grand incendie. Il a détruit la vie de beaucoup. Prends garde ! Kert Quiambo, 12 Je ne suis pas à vendre ! Renamae Timoteo, 10
Ne parle pas à des étrangers ! Charlie Fernando, 11
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s
L’actrice Maricar Maricar, 13 ans, adore le club pour les droits de l’enfant de Cecilia. Tous les jours après l’école, elle répète avec ses amis les pièces des enfants contre le trafic d’êtres humains.
Maricar et sa famille n’ont pas de maison, rien qu’un étroit banc et une armoire dans une des ruelles de la région pauvre de Pandacan. Sur le banc dorment ses parents. Maricar et son frère dorment par terre chez des parents. – Un jour j’espère qu’on aura une maison à nous, dit-elle. J’aimerais une jolie petite maison avec quatre chambres. Avant, Maricar devait travailler pour aider sa famille, mais aujourd’hui le club pour les droits de l’enfant lui paie les frais de scolarité. – Ce que je préfère c’est le groupe de théâtre, on apprend aussi à danser. Nous jouons des scènes sur le trafic d’êtres humains. Dans une scène, je joue une bonne qui est maltraitée par son patron et qui va à la police. Diffuse la connaissance
Maricar range ses vêtements dans une armoire dans une ruelle. C’est là que se trouve tout ce que sa famille possède, puisqu’ils n’ont pas de maison. Vêtements de jeu – Voici mes vêtements de jeu. Ils sont très confortables. Les sandales en plastique sont pratiques et bon marché. Surtout pendant la mousson. Il y a souvent des inondations à Pandacan. J’aimerais des chaussures à talons et des chaussures ballerines à carreaux, mais elles sont trop chères.
– Je dis : « Ne sois pas aveugle, sois attentif. Si quelque chose te paraît suspect, ne sois pas passif, fais quelque chose ! » « Ma mère s’est étonnée d’un tas de choses que je lui ai racontées. Comme le crime organisé et les gens qui achètent et vendent des enfants. Si les trafiquants essaient de me recruter, je les dénonce à la police. S’ils essaient de m’enlever, je me débats. Je sais me battre ! Quand Maricar entend qu’un trafiquant a été condamné à la prison, elle est soulagée. – Mais cela arrive trop rarement, dit-elle.
Uniforme scolaire – À l’école il faut porter chemise blanche et pantalons roses. Nous les achetons d’occasion aux enfants plus grands. Maintenant, ce sont les vacances d’été, l’école et mes amis me manquent. Vêtements de fête – Quand je danse les danses philippines, comme Tatarin et BulingBuling, j’emprunte les vêtements au club des droits de l’enfant. J’adore les fêtes, surtout celle de Santo Niño. On joue et on danse dans les rues. Santo Niño, l’Enfant Jésus, est l’ange gardien de Pandacan. Au XIX siècle, la région fut attaquée par l’armée espagnole. Mais, selon la légende, les soldats cessèrent de tirer quand ils virent un petit garçon qui jouait devant leurs canons. Les habitants de Pandacan dirent que c’était sûrement l’Enfant Jésus. Depuis, chaque année, au mois de janvier on célèbre la mémoire de Santo Niño.
TEXTE: CARMILL A FLOYD PHOTO: KIM NAYLOR
Maricar a appris beaucoup sur le trafic d’êtres humains et sur les droits des enfants. Elle instruit tous ceux qu’elle rencontre: famille, voisins et copains de classe.
La garde-robe de Maricar
Maricar avec sa famille. L’étroit banc et l’armoire dans la ruelle sont leur « maison »
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