fra Monira Rahman, Bangladesh

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PouRquoi MoniRa a-t-elle été noMinée ?

 TexTe: MONICA Z AK phOTO: KIM NAYLOR

Monira Rahman est nominée au Prix des Enfants du Monde 2011 pour son courageux combat afin de mettre fin à l’agression à l’acide et à l’essence qui sévit au Bangladesh. La plupart des victimes sont des filles, mais aussi des femmes, des garçons et des hommes. La cause, dans le cas des filles, est souvent la jalousie, pour les hommes, un désaccord concernant la terre. Il y a toujours eu beaucoup d’attaques à l’acide, mais auparavant, les autorités n’en avaient pas connaissance, les journaux n’en parlaient pas. Grâce à Monira, les choses ont changé. Elle a participé à la création de ASF, Acid Survivors Foundation (Fondation pour les survivants d’agressions à l’acide), en faveur de tous ceux qui ont survécu à des attaques à l’acide ou à l’essence. L’organisation a vu le jour en 1999. Les premières années, il y avait plus d’une agression à l’acide par jour au Bangladesh. Aujourd’hui, les agressions ont baissé de moitié, mais le but est que d’ici à 2015, plus personne, enfant, fille, femme ou homme ne soit victime de ce type de violence. ASF aide les survivants à retrouver une vie active et digne. A l’aide d’opérations plastiques, si nécessaires. Les blessés sont aujourd’hui les plus actifs militants anti-violence.

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NOMINÉ E • Pages 88–105

Monira Rahman La première fois qu’elle vit une fille au visage détruit par un homme qui lui avait lancé de l’acide corrosif, Monira Rahman reçut un choc. Elle avait peine à imaginer que dans son pays, le Bangladesh des hommes veuillent défigurer à vie des filles. La raison en était souvent la jalousie. La deuxième fois, Monira s’évanouit. Mais depuis, elle et son organisation ASF ont lutté sans trêve pour sauver des filles – et des garçons – blessés par de l’acide ou de l’essence, qu’on avait incendié et déversé sur eux. Monira et ASF ont même réussi à réduire de moitié les attaques au Bangladesh.

M

onira Rahman est une femme gaie et dynamique. Elle n’a pas toujours été ainsi. – Quand je suis née, mon pays appartenait au Pakistan et s’appelait Pakistan Oriental, raconte Monira. J’avais six ans quand une guerre civile a éclaté. Notre maison a été brûlée, nous avons dû nous enfuir, mon père est mort du choléra et nous étions très pauvres.

Mais notre pays est devenu indépendant et depuis il s’appelle Bangladesh. Ma mère s’est installée avec nous, six enfants, à Dhaka, la capitale.

J’avais alors sept ans. – Mon frère aîné est devenu chef de la famille. Il s’est lancé dans les affaires, ça s’est bien passé et notre situation s’est

Monira manifeste avec les victimes d’agressions à l’acide ou à l’essence. Des milliers d’hommes participent aussi à la manifestation.

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– Nous avons des centaines de survivants qui se battent contre les agressions à l’acide et à l’essence. Ils manifestent, rencontrent des personnalités politiques et dénoncent les coupables, dit Monira.

bien améliorée. J’allais à l’école mais, je craignais l’aprèsmidi quand mon frère aîné rentrait. Il me critiquait moi et mes sœurs. Il se moquait de nous. Il nous punissait pour la moindre bêtise. Il nous battait. J’avais très peur de mon frère. J’ai décidé que je ne me marierai jamais. Professeur important

Au collège, Monira eut un professeur qui l’aimait et qui croyait en elle. – Elle m’a dit que j’étais une bonne élève. Elle m’a encouragée à oser, à m’engager dans des clubs de débats pour exprimer mon opinion. Elle m’a donné confiance en moi. Aujourd’hui quand je rencontre quelqu’un qui a été blessé par de l’acide ou de l’essence, j’essaie d’agir de la même façon. Je leur montre que je les aime et j’essaie de leur donner confiance en eux. Suite à la rencontre de ce professeur, Monira est devenue meneur d’étudiants et a manifesté dans les rues. Avec ses camarades elle fut arrêtée.

Beaucoup furent battus et blessés. – J’ai acquis la conviction que nous devions changer la société, mais pas avec la violence. La seule façon c’est de dialoguer jusqu’à ce qu’on trouve une solution. Lors d’une grande famine et un violent cyclone, suivi de fortes inondations, Monira et d’autres étudiants ont préparé des repas qu’ils partageaient avec les plus démunis. Monira vit beaucoup de misère. Après ses examens universitaires, elle travailla comme assistante sociale pour une organisation qui assistait les femmes et les enfants sans domicile. A ce moment-là, les enfants et les femmes qui vivaient dans la rue, étaient arrêtés par la police et enfermés dans des endroits horribles.

des enfants à l’extérieur. Ils ont jeté une balle à l’intérieur par la fenêtre et je croyais qu’ils jouaient. Mais ce n’était pas une balle c’était du papier froissé. Je l’ai déplié et j’ai lu : Allez à la toilette des garçons. La porte était fermée mais j’ai pu l’ouvrir. À l’intérieur, il y avait un garçon entre cinq et six ans, couché sur le sol et attaché. Il avait une forte fièvre et une jambe cassée. Le personnel l’avait maltraité et lui avait cassé la jambe parce qu’il avait fait pipi dans sa

Garçon maltraité

– Une fois, je suis allée voir un orphelinat à la campagne. On m’a fait faire un tour et je n’ai rien vu d’anormal. Après la visite, nous étions dans le bureau d’où on pouvait voir

Même le gouvernement a écouté Monira et ASF.

culotte. Cette fois-là, j’ai été contente de pouvoir intervenir. Monira a travaillé longtemps avec des filles et des femmes sans domicile qui avaient été enfermées. – Elles vivaient dans une grande maison rouge en ruines. Elles étaient enfermées dans de grandes salles, souvent sans fenêtres. Il pouvait y avoir une centaine de personnes dans la même salle. Le premier jour j’ai vu une femme qui avait les pieds et les mains liés. J’ai coupé la corde et je l’ai libérée. Alors, le directeur m’a appelée et m’a réprimandée. J’ai répondu qu’on ne traitait pas un être humain de la sorte. Le plus haut placé des chefs n’a rien dit mais, il était sûrement de mon avis, car je n’ai pas été licenciée. – Ces filles et ces femmes vivaient dans la terreur. Toutes les nuits, plusieurs d’entre elles étaient violées par le personnel. Certaines ne savaient même plus comment elles s’appelaient ou d’où elles venaient. Elles n’avaient pas de papiers. J’ai commencé à 89

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Monira plaisante avec Sweety et lui insuffle du courage avant l’opération.

me renseigner pour savoir qui elles étaient et j’ai réussi à retracer quelques familles. Une femme avait été enfermée pendant 21 ans. J’ai pu la faire parler et j’ai retrouvé sa famille. Je l’ai vue reprendre goût à la vie. C’était fantastique de voir ça. Et j’ai eu la satisfaction de la voir quitter la grande maison rouge pour repartir dans sa famille. – Pendant ces années j’ai appris qu’il ne faut pas avoir peur de se jeter dans les tâches les plus ardues et qu’il faut trouver la force en soi avant de pouvoir la donner aux autres. La première victime de l’acide

Il y a treize ans, elle rencontra

deux filles qui avaient été attaquées à l’acide corrosif. – Des hommes avaient jeté de l’acide sur elles pour détruire leur beauté pour toujours. C’est à peine si je savais que ces choses se produisaient dans mon pays. On n’en parlait pas. Je n’avais lu qu’un petit article sur l’attaque à l’acide. Et là, je me trouvais devant une fille de 17 ans complètement défigurée par l’acide. Tout le visage avait fondu et elle avait perdu un œil. J’étais bouleversée. Quand l’une d’elles commença à parler, je sentis sa force. Elle racontait, souriait, riait, elle vivait malgré ses graves blessures. Et au lieu de voir

un visage déformé, j’ai vu une fille, un être humain. Mais la nuit j’ai eu des cauchemars. J’ai rêvé d’acide que l’on jette… je voyais de la chair et des os qui fondaient… des visages défigurés… j’entendais des cris. Chaque fois que je me réveillais, je pensais : Comment est-ce possible dans mon pays ? Et où ces filles puisent-elles la force de se montrer et de raconter pourquoi elles ont été attaquées. Je me suis évanouie

– Les médias se fichaient de ces filles. Mais elles avaient éveillé mon intérêt. Je voulais en savoir plus. En allant dans

les hôpitaux, j’ai découvert que, dans le service des grands brûlés, il y avait beaucoup de gens blessés à l’acide. Et il arrivait tous les jours de nouveaux patients. C’étaient des enfants, des filles, des femmes, des garçons et des hommes, mais la plupart c’étaient des jeunes filles. Tous pleuraient, il n’y avait pas assez de lits pour tout le monde, pas de médecins. Des conditions épouvantables. Je me suis évanouie deux fois. – Je me souviens de la deuxième fois où je me suis évanouie. Une fille est arrivée, brûlée à 50%, son dos n’était qu’une plaie ouverte. Je me souviens de m’être dit qu’elle ne survivrait pas. On l’a transportée dans un hôpital privé. Mais, même là, les conditions étaient horribles. Le pire c’était la puanteur, du pus sortait des brûlures de la fille. Je me suis évanouie. Une infirmière m’a fait sortir. Quand je me suis sentie mieux, nous sommes rentrées L’opération est terminée et Monira félicite Sweety car tout s’est bien passé.

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Les enfants victimes d’attaques à l’acide ou à l’essence se retrouvent dans les locaux de ASF pour jouer et peindre.

qui travaillent avec eux. Monira avait aussi peur d’être attaquée. La première année, elle emportait toujours avec elle une bouteille d’eau. Les chirurgiens lui avaient dit que la première chose à faire après une attaque, était de verser de l’eau sur les brûlures. Aujourd’hui, au Bangladesh on sait que l’on doit verser des seaux et des seaux d’eau sur le blessé le plus longtemps possible. Les blessures sont ainsi moins importantes. Et tout le monde sait que si le blessé arrive à l’hôpital de ASF dans les 48 heures, les chances de survie sont très grandes et les blessures moins graves. Aujourd’hui les gens savent

de nouveau. La fille a survécu. Et je ne me suis plus jamais évanouie. A créé ASF

l’ont appelée ASF, Acid Survivors Foundation (Fondation pour les survivants d’agressions à l’acide). Aujourd’hui, Monira est la directrice de ASF. – Nous avons commencé en 1999, il y a onze ans. Nous n’avions pas un sou. Mais nous savions que c’était nécessaire. Il y avait tous les jours une nouvelle agression à l’acide. Aujourd’hui il y en a deux fois moins, aujourd’hui il y a une nouvelle agression un jour sur deux. Mais notre but est de faire cesser ce type de violence, pour qu’aucun enfant, fille, jeune femme ou homme ne soit agressé à l’acide. Nous nous occupons aussi des personnes à qui on a versé de l’essence sur le corps avant de l’allumer.

Monira avait compris que les attaques à l’acide étaient fréquentes. Souvent la cause en était la jalousie. Quand une fille ne voulait pas se marier avec un homme, il l’aspergeait d’acide pour la punir. Et de l’acide on en trouvait partout. On l’utilisait dans l’industrie textile, dans la confection de bijoux, dans les batteries des voitures. Chaque jour quelqu’un était attaqué à l’acide. La plus grande partie des victimes étaient des filles de moins de 18 ans et des enfants. Mais les femmes et les hommes étaient aussi attaqués. Les raisons pour lesquelles les hommes étaient victimes d’attaques à l’acide, Peur d’être agressée provenaient le plus souvent de Au début c’était difficile. disputes liées à la terre. Monira – Cela m’a pris une année sentit qu’elle devait faire quelavant que je puisse regarder que chose. Mais quoi ? les blessés sans reculer ou Monira rencontra John pleurer. Il faut faire face si on Morrison, un chirurgien veut donner de la force aux canadien. Ils décidèrent de créer une organisation qui Monira rafraîchit le visage d’une aiderait les survivants. Ils jeune femme après l’opération.

victimes. C’est bien pire pour elles. Être attaqué à l’acide ou à l’essence est très difficile émotionnellement. En un instant, leur vie change radicalement. Personne ne les reconnaît. Les personnes les plus chères n’arrivent pas à les regarder. Ils s’osent pas affronter leur image dans un miroir. Au début, c’était difficile pour nous aussi. On retournait au bureau et on se disputait. On se défoulait. Mais nous avons beaucoup parlé de ce que nous ressentions et nous nous sommes sentis mieux et plus forts. Aujourd’hui nous avons des psychologues à ASF qui aident les survivants, mais aussi ceux

– On ne m’a jamais attaquée et maintenant je n’emporte plus de bouteilles d’eau avec moi. Aujourd’hui, les gens connaissent ce type de violence. Nous avons des centaines de survivants qui sont aussi des militants. Ils manifestent. Ils rencontrent les hommes politiques. Ils dénoncent les coupables. Ils recherchent d’anciennes victimes et leur disent que, même si les blessures sont vieilles, à ASF on peut les aider. Ils rassemblent des milliers d’hommes qui manifestent contre la violence faite aux femmes à l’occasion de la Journée internationale de la femme. Nous avons aussi réussi à créer un centre avec une clinique où opèrent des chirurgiens spécialisés. Le traitement est entièrement gratuit.

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Pour les opérations les plus importantes, on envoie les blessés à l’étranger. A certains il faut refaire un nouveau nez, à d’autres un nouveau visage. Nous avons des juristes qui nous aident à faire en sorte que les coupables soient arrêtés et condamnés. Nous avons 80 employés, dont 20 sont des survivants. ASF a réussi à convaincre le gouvernement de modifier la loi. L’organisation a aussi attiré des personnalités qui ont participé à des galas de soutien et ASF a aidé à la réalisation d’un manuscrit pour un beau film sur une écolière victime d’une agression à l’acide. La récompense : un sourire

Monira n’entend pas s’attirer les mérites de tous les succès. Elle estime que ce sont les survivants eux-mêmes qui ont tout réalisé. – Nous, qui travaillons avec les victimes, nous essayons de leur apprendre à être forts. A ne pas se cacher à la maison, à oser sortir et à montrer leur

visage déformé. Nous faisons tout pour qu’ils reconnaissent leur valeur, qu’ils fassent une formation, se marient, aient des enfants. La plus grande récompense pour moi est de les voir sourire de nouveau. La fille de 17 qui m’a donné envie de m’engager dans la guerre contre l’acide, vit aujourd’hui aux États-Unis et sera bientôt infirmière. – Ce qui me rend le plus heureuse, c’est de rencontrer tous ceux qui s’en sont bien tirés. Je me souviens de la petite Bubly. Elle avait sept mois et personne ne pensait qu’elle survivrait. C’était son père qui l’avait aspergée d’acide parce qu’il voulait un garçon et non une fille. On l’a opérée plusieurs fois. Aujourd’hui, elle a dix ans, elle est pleine de vie et tout le monde ici l’adore. Beaucoup de survivants étudient. ASF paye leurs études aussi longtemps qu’ils veulent étudier. Mariée, malgré tout

Monira raconte ceci dans son

petit bureau. Ensuite elle rencontrera des représentants d’une organisation internationale qu’elle devra convaincre de soutenir son travail. Elle doit constamment courir après l’argent pour assurer la survie de ASF. – Quand je reviendrai de la réunion, je rencontrerai des enfants blessés. Certains ont subi de nouvelles opérations, d’autres viennent pour être avec nous. Une fois par semaine, nous dessinons. Après, j’irai dans les services pour parler aux nouveaux opérés. Puis j’irai chez moi, retrouver ma famille. Petite, Monira avait décidé qu’elle ne se marierait jamais. – Mais, j’ai rencontré un homme qui était comme moi. Il avait aussi décidé de ne jamais se marier. Il était photographe à la télévision et présentait des problèmes sociaux. Il voulait aussi changer les choses. Il avait une grande énergie. Nous nous ressemblions beaucoup. Nous sommes tombés amoureux et

– La plus grande récompense pour moi, c’est de voir quelqu’un sourire de nouveau, dit Monira.

nous sommes mariés. Aujourd’hui nous vivons dans un petit appartement et nous avons deux garçons de 8 et 12 ans. Ils sont souvent avec moi au travail. Mes garçons ne voient pas les cicatrices, ils ne voient pas les blessures, ils ne voient que des amis. C’est ici qu’ils fêtent d’habitude leurs anniversaires. 

Quand Monira et ASF ont commencé leur travail, il y avait en moyenne une attaque à l’acide par jour. Grâce aux manifestations et à l’information, le nombre des attaques est diminué de moitié.

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Sweety veut être détective

Pendant une année entière, Sweety, 14 ans, resta enfermée dans la maison de sa sœur. Elle ne sortait jamais, assise dans un coin, elle pleurait. Un châle recouvrait toujours sa tête. – Je refusais de montrer mon visage. Quand elle apprit l’existence de ASF, l’organisation de Monira et sut qu’on pouvait l’aider par une opération plastique, Sweety retrouva le goût de vivre. Elle décida de devenir détective pour dénoncer tous les hommes qui lui font du mal à elle et aux autres filles.

V

laisserait tranquille. Mais il dit dans tout le village que Sweety était folle de lui et qu’ils allaient se marier. Il donna même la date du mariage. – Quand son père, mon oncle, est venu à la maison pour parler du mariage, je lui ai dit que je n’étais pas du tout amoureuse. J’ai expliqué que c’était son fils qui m’importunait. Mais le cousin commença à dire qu’il allait se suicider en

avalant du poison si Sweety ne l’épousait pas. – J’ai essayé de faire entendre raison à son père qui est policier. Mais, il m’a simplement dit que si son fi ls se suicidait à cause de moi, je déshonorerais la famille. « Tu dois l’épouser » Ma vie est un enfer

Le père de Sweety vivait ailleurs. Sweety et sa mère furent obligées d’accepter.

– Je savais qu’il n’était pas bon, il buvait et fumait de la marijuana, mais j’ai été obligée de l’épouser. Je n’avais que 13 ans. Après le mariage, mon mari m’a dit : Je me suis marié avec toi pour te punir. Désormais ta vie sera un enfer. La vie de Sweety devint vraiment insupportable. Elle dut quitter l’école. Elle fut maltraitée. Quelque temps

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oici ce qui est arrivé : Sweety habitait dans un village. Elle était toujours joyeuse, riait beaucoup et adorait danser. Elle était très bonne à l’école. – Un jour, j’avais 13 ans, un cousin de quatre ans mon aîné m’a rattrapée sur le chemin de l’école. Il m’a dit : Je t’aime. Je veux t’épouser. Je lui ai dit que d’abord, je ne voulais pas me marier, j’étais trop jeune. « Ensuite, je n’ai pas de sentiments pour toi. Nous avons joué ensemble, je me sens comme ta petite sœur. D’ailleurs, on ne se marie pas entre cousins » Sweety croyait que le cousin oublierait tout cela et la

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Sweety attend l’opération qui fera que sa bouche ne pendra plus.

Sweety sera endormie, elle aura subi une anesthésie avant l’opération.

après, elle et son mari déménagèrent dans une ville où ils travaillèrent tous les deux dans une usine textile. – Nous travaillions dans des départements différents. J’ai su par une fille que mon mari avait une autre femme qui travaillait dans le même département. Le soir, je lui ai demandé si c’était vrai. Alors, il a sorti un couteau, m’a coupé au bras, a versé du sel dans la blessure et m’a dit: « Si tu cries, je te tue » Je n’ai pas crié, je pleurais en silence. Allah m’en a donné la force.

Menace de l’étrangler

Un autre jour, son mari réclama de l’argent à Sweety pour inviter sa nouvelle femme au ciné. Sweety refusa, alors il essaya de l’étrangler avec une corde. Quand le propriétaire de la maison où ils louaient une chambre accourut, le mari dit : « Ce n’est rien. Juste une petite scène de ménage » – Il avait une canne avec laquelle il me frappait. Une autre fois, il m’a réclamé de l’argent pour inviter son amie au restaurant chinois. J’ai refusé, mais il a pris l’argent

Elle attend avec nervosité le début de l’opération.

C’est bientôt l’heure de l’opération.

dans mon sac et il est parti. Je connaissais le restaurant, j’y suis allée et j’ai dit : Je n’accepte pas ce que tu fais. Je ne veux plus vivre avec toi. Je retourne chez ma mère. Il a répondu qu’il pouvait avoir autant de femmes qu’il voulait. Cinq à la fois et tout ça devant mes yeux. A mis le feu à l’essence

– Quand il est rentré ce soirlà, il m’a attachée et m’a frappée avec la canne. J’ai dû m’évanouir. Quand je me suis réveillée, j’étais en flammes. Les cheveux, la peau, les vête-

ments, tout brûlait. Il avait jeté de l’essence sur moi et y avait mis le feu. Par chance, le propriétaire a vu de la fumée et est accouru. Il y avait un seau d’eau devant la porte et il l’a vidée sur moi. Sweety survécut et fut conduite à l’hôpital. Elle fut obligée de payer les injections et le traitement. Son père vendit toute la terre qu’il possédait pour payer les soins. – C’était une période horrible. Les médecins étaient de vrais bouchers. J’étais convaincue qu’ils essayaient de me tuer.

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Sweety est endormie et l’opération de chirurgie plastique va commencer.

Enfermée

Trois mois plus tard, Sweety retourna à la maison. La bouche pendait, elle parlait avec difficulté. Elle ne pouvait presque pas bouger la tête et avait de vilaines cicatrices sur presque tout le corps. – Je ne faisais que pleurer et je ne sortais pas. Mais après une année ma sœur m’a dit que j’étais un poids pour eux. « Tu dois essayer de gagner de l’argent et aider maman et notre petit frère » J’ai donc été obligée de sortir. Mais c’était difficile de voir les gens reculer en voyant mon visage.

Sweety apprit la broderie. Deux postes de professeurs étaient libres mais on ne la prit pas. – J’étais trop laide. Tout ce que je pouvais faire c’était de faire venir chez moi des élèves de l’école primaire pour des cours d’appui. Je leur apprenais aussi la danse. J’ai repris l’école. Et je me suis occupée d’une petite bibliothèque. C’est là que j’ai commencé à lire des livres, surtout des policiers. Un jour la sœur de Sweety rencontra une femme qui connaissait ASF et avait, elle

aussi, été blessée par de l’acide corrosif. Elle lui parla de sa sœur Sweety. – Il n’y a pas longtemps que c’est arrivé, raconte Sweety radieuse. Cette femme m’a contactée et m’a parlé de ASF. Je n’avais jamais entendu parler de ASF. La femme m’a dit que si j’allais dans leur centre de Dhaka je serai opérée par d’habiles chirurgiens. Peur de l’opération

Sweety était très nerveuse en partant dans la capitale pour demander l’aide de ASF. Elle avait peur des hôpitaux et des

médecins. Les médecins lui avaient fait tellement mal juste après l’accident. Mais Monira et le reste du personnel lui ont beaucoup parlé, l’ont apaisée et lui ont dit que chez eux le traitement était entièrement gratuit et qu’on lui donnerait des antidouleur. « Nos chirurgiens sont très habiles et ils vont opérer ta bouche, ce sera possible de faire en sorte qu’elle ne pende plus. Et tu récupéreras la mobilité de la gorge » – Ici, j’ai rencontré beaucoup d’autres personnes qui ont subi des attaques à 95

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Les médecins prennent de la peau des cuisses et la greffent sur le visage.

Pendant plusieurs jours après l’opération, elle a des bandages autour de la moitié de la tête.

Sweety est curieuse et en même temps nerveuse quand les médecins commencent à enlever les bandages Qu’y a-t-il dessous ?

l’acide ou à l’essence et qui, aujourd’hui, vivent normalement. Ils m’ont donné du courage. J’ai aussi rencontré des enfants qui ont été blessés. J’ai dansé avec eux. Nous avons beaucoup ri ensemble. Mais tout au fond, je suis très nerveuse. J’ai si peur de l’opération. Le sourire de Sweety

Quelques jours plus tard, on opère Sweety. Après, les médecins disent que l’opération s’est bien passée. On a pris de la peau des cuisses et

on l’a greffée sur le visage. Pendant plusieurs jours, elle est enveloppée dans des bandages. Puis un jour, les médecins et quelques infirmières se rassemblent autour d’elle et commencent à enlever les bandages. Ils tendent un miroir. Sweety fixe le miroir. La bouche ne pend plus ! Elle peut parler sans entraves ! Doucement, elle tourne la tête, elle peut la bouger sans problèmes ! Alors Sweety sourit ! Et le sourire de Sweety se

Les infirmières enlèvent les restes du pansement. Sweety ne sait toujours pas de quoi cela a l’air...

propage sur les lèvres de tous ceux qui sont autour d’elle. Elle dit : – Je voudrais pleurer. Je voudrais pleurer de joie. Veut être détective

Sweety a dénoncé son ex mari pour le crime odieux qu’il a commis. Un ordre d’arrestation a été lancé contre lui. Mais il ne s’est rien passé. Il revient de temps en temps au village, mais on ne l’arrête jamais. Sweety pense qu’il a acheté la police. Elle sait qu’il vit dans le sud du pays et qu’il a une nouvelle femme.

– Mais je sais exactement ce que je vais faire. Je vais me faire faire d’autres opérations ainsi mon visage sera encore mieux. Et avec l’aide de ASF je vais étudier. Puis, je serai détective. Je serai un détective qui recherche tous les

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Sweety n’en croit pas ses yeux. Sa bouche ne pend plus. Bientôt le sourit apparaît. Elle est heureuse.

hommes qui échappent à la police et ainsi ils seront jugés. Je vais ouvrir l’agence de détectives Sweety. 

ve cti les a e t dé tous nt à l n u e i pe nt e r a e r c h ha p s e ro s h c Je rec ui é i ils vrir s u i s qu es q t ain ais o ctive m v e e t m e e é ho olic és. J de d y. p ug e et j nc Swe e l’ag

Le rêve de Monira d’un grand hôpital pour les survivants – L’acide corrosif est utilisé comme une arme même dans d’autres pays, dit Monira. Au Pakistan, en Ouganda, en Inde, au Cambodge… Mais ASF a des organisations sœurs dans d’autres pays aussi. Mon rêve est de pouvoir construire un grand hôpital moderne au Bangladesh. On y recevra les survivants d’autres pays et on organisera une formation et des cours sur des sujets différents. Nous avons beaucoup à apprendre les uns des autres. Et nous avons tous le même but : mettre fin à l’utilisation de l’acide corrosif et de l’essence comme arme. 97

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Un jour dans la vie de Bubly, 10 ans, a passé beaucoup de temps à l’hôpital ASF. Son père voulait un garçon, quand il a eu une fille, il a essayé de la tuer en versant de l’acide dans sa bouche et sur ses pieds.

7h05 Seule avec l’ours en peluche Maman est partie travailler. Pour ne pas me sentir seule, je serre mon nounours. Je me sens toujours bien avec lui.

8h00 Ma robe préférée Quand je ne sais pas quoi faire, j’essaie des vêtements. Ça c’est ma robe préférée.

9h30 Sur le chemin de l’école Pour qu’on ne me kidnappe pas sur le chemin de l’école, je vais toujours avec une voisine et sa fille.

Quand c’est arrivé, la mère de Bubly, qui n’avait que 16 ans, a emmené sa fille à l’hôpital. Elle était très blessée, les dents, la bouche, la gorge, la langue étaient détruits. Depuis, Bubly est prise en charge par ASF et a été opérée plusieurs fois. Aujourd’hui elle peut de nouveau manger, parler et aller dans une école normale. Elle habite avec sa mère. Une fois par semaine, elle va au centre où elle rencontre d’autres enfants blessés.

7h30 Ne doit pas sortir Papa veut que j’aille vivre avec lui. Je ne veux pas. Il a une nouvelle famille. Si je vais chez lui, il va croire qu’il n’y aura pas de procès et qu’il ne devra pas aller en prison. Quand j’ai dit non, il m’a dit qu’il me kidnapperait. Alors, je sors seulement avec maman. Je vois les enfants jouer dehors, mais je ne dois pas sortir.

15h00 L’heure des devoirs De nouveau à la maison. D’abord je fais les devoirs. Le plus intéressant c’est l’anglais.

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e de Bubly 16h00 Bise à maman ! Enfin, maman est à la maison.

16h30 Jeu entre amies Avec mon amie Sadi, je joue avec les animaux en peluche, avec la poupée Barbie et à « snakes and ladders »

18h00 L’Heure de la danse Maman m’apprend aussi de nouvelles danses.

17h00 Musique avec maman Après le repas, maman m’apprend de nouvelles chansons et à jouer de l’accordéon.

18h30 S’il te plaît, maman… Je peux sortir et jouer avec les autres enfants ? Pas toute seule, dit maman.

18h35 Hourra! Maman sort avec moi.

Je me faufile sous la moustiquaire pour dormir. Bonne nuit, maman. Maintenant je sais ce que je veux devenir, je dis. Quoi ? dit maman. Chirurgien plasticien. Bonne idée ! Bonne nuit, Bubly ! 99

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19h30 Bonne nuit !

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Neela aurait été actr Le visage et le corps de Neela sont remplis d’horribles cicatrices. Il y a quelques années, elle était une très belle écolière de 15 ans forcée à épouser un homme de 20 ans plus âgé. Quand on lui demande si elle veut subir d’autres opérations pour son visage, Neela secoue la tête. – Je me suis habituée à mes cicatrices et c’est ainsi que je veux être à l’avenir, dit-elle. Aujourd’hui, Neela consacre beaucoup de temps au combat en faveur des autres victimes de l’acide corrosif. Elle veut aider Monira et ASF après toute l’aide qu’elle-même en a eu.

M

oi, qui voulais être actrice, raconte Neela. J’ai grandi à Dhaka, la capitale. Je fréquentais une école ordinaire, mais papa m’a inscrit dans une école culturelle où j’allais l’après-midi. J’y étudiais le chant, la danse et le théâtre. J’adorais la scène et le contact avec le public. J’avais décidé d’être actrice, de travailler au théâtre et d’interpréter des rôles qui dépeignent de graves problèmes et de grandes émotions.

 TexTe: MONICA Z AK phOTO: KIM NAYLOR

Mariée de force

Les vieilles photos de Neela, montrent une jeune fille au glamour d’une star de cinéma. Une de ces photos frappa la vue d’un homme qui travaillait à l’étranger et qui rentrait pour chercher une femme. – Mon oncle m’a raconté qu’un homme, à la simple vue d’une de mes photos, avait décidé de m’épouser. Moi et personne d’autre. J’avais 15 ans et je n’avais aucune envie de me marier. J’ai dit non. Mes parents me soutenaient. Mais un de mes oncles et une partie de ma famille ont essayé de nous influencer moi et mes parents. Cet homme,

qui s’appelait Akbar, avait 35 ans, mais il avait de l’argent et un bon travail à l’étranger. A la fin j’ai accepté de le rencontrer. Il ne m’a pas plu. Pas du tout. Et je ne voulais absolument pas me marier. La seule chose que je voulais c’était m’inscrire au collège et après devenir actrice. – Après la rencontre avec cet homme, je suis allée me coucher. Le matin suivant, mon père m’a dit qu’il avait accepté le mariage et avait signé quelques papiers. Son frère aîné et une partie de la famille avaient fait pression sur lui. Le mariage devait se faire immédiatement, ensuite Akbar devait retourner à son travail à l’étranger et moi je pouvais rester et continuer mes études. – Il m’avait promis que je pourrais continuer à vivre chez mes parents. Akbar avait dit : « Tout ce que tu veux faire, tu peux le faire, même si tu es mariée. Tu peux continuer à aller à l’école. J’aime bien les filles modernes » Une vie brisée

– Rien ne s’est passé comme promis. Ma vie a été brisée. Je n’ai même pas pu rester dans ma famille, j’ai dû le suivre

dans son village où vivait sa famille. La nuit de noces j’avais très peur. On m’a fait entrer dans une chambre où il y avait un lit. Je pleurais tout le temps. Il a essayé de me forcer, mais je ne n’arrêtais pas de pleurer. À la fin il a abandonné. Le jour suivant, il est parti à l’étranger pour reprendre son travail, mais moi, je devais rester chez ses parents. Ils avaient une ferme. On m’a enfermée dans la maison et je ne pouvais plus aller à l’école. Au lieu de cela je devais les

aider à la ferme. Ma bellemère se plaignait tout le temps. Je ne faisais pas la cuisine et je ne faisais rien de bien et je ne savais pas m’occuper des animaux et j’étais lamentable pour les récoltes. Je ne connaissais que l’école et je m’étais adonnée à la danse, à la musique et au théâtre. D’un coup j’aurais dû tout savoir des travaux de la ferme. Pour qu’ils me traitent mieux, mon père leur donnait de l’argent. Mais ça n’a servi à rien. Quelques mois plus tard, le jour que je craignais est

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ctrice – Je voulais être actrice et j’adorais être sur scène. J’ai d’abord refusé de me regarder dans un miroir après la première opération à la suite de l’attaque à l’acide. Mais tu m’as donné le courage d’oser me regarder et je ne me suis pas évanouie, dit Neela à Monira.

arrivé, mon mari est revenu. Nous n’avions toujours pas couché ensemble et, cette fois encore il a essayé. J’avais très peur de lui, mais j’étais aussi en colère. Je lui ai dit qu’on m’avait trompée. « Tu m’avais dit que je pourrais rester à la maison et continuer à aller à l’école » Il m’a battue et j’ai crié. Les gens à l’extérieur se demandaient ce qui se passait, mais il a dit « Ce n’est rien ! » Un verre avec de l’acide

– Puis il est sorti. J’étais cou-

chée dans le lit et je tremblais, mais après un moment j’ai pu m’endormir. Soudain, je me suis réveillé et je l’ai vu debout près de la porte avec un verre à la main. Il a dit qu’il avait un verre d’eau au cas où il aurait soif. J’ai vu qu’il était fâché, mais je ne pouvais pas imaginer ce qu’il avait décidé de faire. Ce n’était pas de l’eau qu’il y avait dans le verre mais de l’acide. Il s’est approché du lit et il m’a jeté l’acide au visage. La douleur était incroyable. Je me souviens avoir entendu

une voix qui disait : « C’est ta punition ! » Moi, je criais : « Maman ! Papa ! Aidez-moi ! » Des voisins sont arrivés en courant et m’ont transportée à l’hôpital. De là, un parent à moi m’a emmenée au centre ASF. J’ai eu de la chance d’arriver dans les 48 heures. À la clinique il y a un service 24 heures sur 24 et on m’a opérée tout de suite. Neela refusa de se regarder dans un miroir. Elle, dont on admirait la beauté, elle savait que son visage était presque

noir et défiguré. Elle avait entendu dire que beaucoup s’étaient évanouis quand ils s’étaient vus dans un miroir la première fois, après une attaque à l’acide. – À la fin j’ai osé. Monira et d’autres avec des visages défigurés m’avaient parlé. Ils m’avaient donné le courage d’oser regarder. Je ne me suis pas évanouie. Monira en visite

Aujourd’hui est un grand jour. La famille vient de déménager dans une nouvelle 101

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Monira arrive ! C’est un grand jour pour Neela. Monira vient en visite après un voyage en voiture de plusieurs heures. Elle est accueillie chaleureusement.

maison dans la ville de Sirajgang où le père de Neela est policier. L’événement c’est la visite de Monira. Elle a roulé des heures pour venir la voir. Neela la reçoit radieuse de bonheur. Elles s’embrassent et marchent main dans la main dans les petites ruelles. À la maison, elles se glissent dans le lit et parlent pendant des heures. – Je me souviens quand tu es venue chez nous, dit Monira en serrant Neela

contre elle. Tu allais très mal. La peau, rongée par l’acide, était noire et dure comme du cuir. Nous avons immédiatement fait des transplantations en prenant de la peau sur d’autres parties de ton corps, mais sincèrement, je ne croyais pas que tu survivrais. – Un mois plus tard, je suis allée dans notre département d’entraînement physique. Là, j’ai vu une fille complètement recouverte de pansements, mais debout et qui s’entraî-

nait. J’ai demandé : « Qui est-ce ? » Quand quelqu’un a dit « Mais c’est Neela ! » j’étais folle de joie. C’était un miracle, tu avais survécu. Trois mois plus tard après plusieurs opérations, tu as pu retourner à la maison. - Nous pouvons continuer le travail avec ton visage, dit Monira. Je peux arranger une nouvelle opération. Neela secoue la tête. – Ce n’est pas nécessaire. Je ne suis plus intéressée par des opérations plastiques. Je me suis habituée à mes cicatrices et c’est ainsi que je veux être à l’avenir, dit-elle. Le mari en prison

Avec l’aide de son père et de

ASF, Neela a dénoncé son ex mari. Aujourd’hui, il est en prison. – Ainsi je n’ai plus peur de lui. Et aujourd’hui, je peux montrer mon visage sans avoir honte. J’ose parler en public, ce que je fais souvent. Je suis une militante convaincue qui combat la violence. Je mène des manifestations. Je vais voir les autorités et j’exige des choses. Je vais dans les écoles et j’instruis les élèves pour qu’ils ne jettent jamais de l’acide ou de l’essence sur quelqu’un. C’est important. Dans ma ville, nous sommes 160 militants, tous victimes d’attaques à l’acide ou à l’essence. Nous faisons du tapage et nous manifestons. Et nous

Quand Monira dit qu’elle peut arranger une autre opération plastique si Neela le veut, Neela fait non de la tête. – Je me suis habituée à mes cicatrices et c’est ainsi que je veux être à l’avenir.

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Quand les amies viennent en visite, Neela sort son sari de mariage. Elle peut même plaisanter sur son funeste mariage.

nous soutenons. Nous avons un réseau et nous nous tenons au courant pour savoir s’il y a de nouvelles victimes. Alors, c’est le branle-bas de combat. Aujourd’hui, presque tout le monde sait au Bangladesh que si on a été touché par de l’acide, on doit jeter des seaux d’eau sur les brûlures d’une façon répétée, le plus longtemps possible. Parfois on trouve des personnes avec de vieilles blessures. La semaine dernière nous en avons repéré

deux. Nous leur disons que ASF leur apporte de l’aide gratuitement et que nous pouvons nous occuper du transport à l’hôpital. Neela est retournée à l’école. – Aussi longtemps que tu veux étudier, tu recevras une bourse de ASF, dit Monira. Si tu veux étudier à l’université, nous paierons aussi. Ose plaisanter

Neela a beaucoup d’amies. Elles font les devoirs, écou-

tent de la musique pop à la radio et dansent dans sa chambre. Aujourd’hui Luna, Rita et Putui sont venues voir la nouvelle maison. Neela rit beaucoup et peut même plaisanter sur son funeste mariage. Elle sort son sari de mariage et le montre à ses amies. – Je ne comprends pas que tu puisses être si heureuse et que tu aies le courage de rencontrer de nouvelles personnes, dit l’une d’elles. – Mais je n’ai pas changé. J’ai mes cicatrices et elles seront toujours là. Mais à l’intérieur, je suis la même Neela.

Neela a pardonné à ses parents de l’avoir donnée en mariage et son père l’a aidée à faire emprisonner son ex mari. – Mes parents ont été trompés, dit Neela.

A pardonné à ses parents

Une amie lui demande si elle n’est pas fâchée contre ses parents. Ils l’ont forcée à épouser cet homme horrible. – Non. J’ai compris ce qui s’est passé. On les a trompés. Ils n’avaient pas de mauvaises intentions. Je leur ai pardonné. Papa arrive et dit que c’est une bonne chose que Neela étudie. Il dit qu’elle est si ingénieuse et a un excellent sens logique. – Je crois qu’elle pourrait être une bonne juriste, dit-il. – Oui, mais je suis plus intéressée par l’étude des sciences administratives. Je veux travailler dans une banque. – C’est toi qui décides, dit papa en riant. Nous ne ferons plus jamais quoi que ce soit contre ta volonté. Maman et moi sommes très fiers de toi. 

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« Un bon musulman ne jette pas de l’acide » Quand Asma, la sœur de Mohammed refusa d’épouser le fils de la plus puissante famille du village, celui-ci se vengea en jetant sur elle de l’acide corrosif. – Nous avons réussi à le faire enfermer à vie, mais sa famille nous persécute. Ce que je veux c’est enseigner que notre religion est contre toute violence. Un bon musulman ne jette pas de l’acide, dit Mohammed. – Quand j’étais petit, nous

avions une ferme, raconte Mohammed, 14 ans. Nous étions bien. Mais le fils de la plus puissante famille du village voulait épouser ma sœur Asma. Elle ne voulait pas. Il a dit que si elle ne l’épousait pas, il arriverait un malheur. Elle a refusé. Un matin tôt, quand mon père est sorti pour sa prière matinale et a laissé la porte ouverte, il a jeté de l’acide corrosif sur Asma. – Un peu d’acide a giclé aussi sur moi. J’ai été réveillé par la douleur et les hurlements de ma sœur. Mon frère aîné a allumé une lampe de poche et a vu qui avait jeté l’acide. Lui et mon père ont amené Asma à l’hôpital. Elle a perdu la vue d’un œil, mais elle a survécu. Prison à vie

– Ma famille a dénoncé celui qui avait jeté l’acide. Nous avons dû vendre notre terre pour payer les frais de procès. Maintenant nous sommes pauvres mais il a été condamné à la prison à vie. Alors sa famille qui est riche et puissante a commencé à nous persécuter. Aujourd’hui papa prend la terre à ferme. Au moment de la récolte, ils font entrer leurs vaches sur notre terre pour détruire les cultures. Ils menacent de nous

couper les tendons pour nous obliger à dire que nous avons fait un faux témoignage et pour qu’il y ait un nouveau procès. – J’avais sept ans quand Asma a été attaquée et quand les persécutions contre ma famille ont commencé. Aujourd’hui, j’ai 14 ans. Je me sens si petit et j’ai si peur, je ne trouve de sécurité que chez Allah. Il est fort. Je suis la première année à école coranique. Je veux être professeur de religion ou Imam. Alors je pourrais enseigner que notre religion est contre toute violence. Un bon musulman ne jette pas d’acide. Mariage heureux

Asma, la sœur de Mohammed est mariée aujourd’hui avec un homme qu’elle aime. Ils ont une petite fille et Asma travaille dans un centre ASF dans la capitale. Pendant les vacances, son frère Mohammed va la voir et vit chez elle à Dhaka. – Alors, je peux me détendre et je me sens en sécurité, dit Mohammed.

Mohammed et sa sœur Asma.

: i m u « Un homme v R e l o d i ’ L Il y a cinq ans il a participé à l’émission Idol (Nouvelle Star). Depuis, au Bangladesh tout le monde sait qui est la star Rumi. Il est le chanteur le plus connu du pays et il participe aux manifestations contre ceux qui jettent de l’acide corrosif. – Aucun homme véritable jette de l’acide, dit-il.

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« Tous criaient Gueule de singe » Quand Mamun était bébé, un membre de la famille lui a jeté de l’acide corrosif au visage. Quand il a commencé l’école, il a été victime de mobbing et les enfants l’appelaient Gueule de singe. Mamun vient de subir sa dixième opération plastique et plus personne ne l’appelle plus Gueule se singe. – Le courage de ma mère a

mis fin au mobbing à l’école et au village, dit Mamun, 9 ans. Tous les enfants se moquaient de moi. Quand j’ai commencé l’école, tous m’ont encerclé en criant Gueule de singe ou Singe brun. J’ai couru à la maison en pleurant et j’ai refusé de retourner à l’école. Alors c’est maman qui y est allée. Elle a parlé aux professeurs et aux élèves. Après, j’ai osé retourner à l’école et le mobbing a cessé. Aujourd’hui personne ne crie plus Gueule de singe ou Singe brun.

Voici ce qui s’est passé : La famille de Mamun était pauvre. Un parent leur avait donné un bout de terrain où ils pouvaient construire une maison et cultiver quelque chose. Un jour le parent a voulu reprendre le terrain. Le père de Mamun a refusé. Pendant la nuit le parent est venu et a jeté de l’acide corrosif sur Mamun qui était bébé et sur ses parents. – Je me suis réveillée en sentant une très forte brûlure, raconte maman Mageda. Quand j’ai regardé mon garçon, j’ai vu qu’il était horri-

La mère de Mamun a mis fin au mobbing de son fils à l’école. Elle aussi a eu de l’acide corrosif sur le bras.

blement blessé. Je l’ai pris dans mes bras et j’ai couru chez un médecin du village. Il connaissait ASF et il savait que si on arrive à leur hôpital dans les 48 heures, on peut souvent être sauvé et que les blessures ne deviennent pas dangereuses. Mon garçon était très blessé, mon mari et moi n’avions pas été touchés autant par l’acide. Nous

mme véritable ne jette pas de l’acide ! » se passait dans son pays. L’oncle avait travaillé huit ans à l’étranger et venait de rentrer. Deux jours plus tard, il a vu une fille. La moitié de son visage était beau, l’autre moitié complètement détruit par de l’acide. – Mon oncle tomba amoureux. Aujourd’hui ils sont mariés et heureux. Depuis, je suis très sensible au sort de tous les blessés. Je le porte dans l’âme et je veux me battre contre cela le reste de ma vie. Je dis aux hommes dans le public qu’ils doivent respecter la volonté des fi lles et des femmes. On ne doit pas se venger en jetant de l’acide corrosif. Je dis qu’un homme

qui détruit l’apparence d’une fi lle sera exécré pour le restant de sa vie. – Il faut utiliser sa notoriété pour faire changer les choses.

Écoute l’idole Rumi sur YouTube : Rumi. Bangladesh

Rumi avec les amis chez ASF victimes d’agressions à l’acide.

 TEXTE: MONICA Z AK PHOTO: KIM NAYLOR

Rumi participe aux manifestations organisées par les gens blessés à l’acide et parle d’eux dans ses concerts, entre deux chansons. – Je donne souvent des concerts et je passe à la télé et à la radio. Je m’adresse alors toujours aux hommes dans le public. Je leur dis qu’un homme véritable ne jette pas de l’acide. Un homme véritable ne voit pas les cicatrices sur le visage et le corps de ceux qui sont blessés. Un homme véritable, ne s’arrête pas à l’apparence, toutes les personnes sont belles. C’est l’oncle même du chanteur Rumi qui lui a ouvert les yeux sur ce qui

croyions qu’il allait mourir. Le visage était très détruit. Il vient de subir sa dixième opération chirurgicale. – Je suis un garçon ordinaire qui va en deuxième, dit Mamun. J’ai beaucoup d’amis et je joue au cricket. Je suis supporter de l’équipe de cricket Royal Bengal Tigers.

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