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Créateurs de ChanCes. LEs LotEriEs En EuropE
édité par ulrich schädler
Le visage de la chance La déesse Fortuna et ses attributs
Annemie Buffels
Q
ui n’a pas un jour tenté, en jouant à un jeu, de donner un petit coup de pouce à
nombreux pour l’un, pas un seul pour l’autre » (tra-
la chance, par exemple en soufflant sur ses dés avant de les lancer ?
duction littérale). La roue vacillante avec laquelle Fortuna est souvent représentée depuis le Moyen Âge est ici remplacée par la sphère qui souligne à la fois
Certains allument une bougie pour la réussite de leur enfant à un examen, d’autres gardent près d’eux
son instabilité et l’empire qu’elle exerce sur le monde. La roue dont il est question fait référence à la fugacité
un porte-bonheur lors d’événements importants. N’avons-nous pas tous un ou plusieurs chiffres porte-bonheur que nous aimons cocher avec plaisir
du pouvoir et de la richesse et constitue un avertissement chrétien destiné aux hommes qui se laissent séduire par la nudité de la déesse et par l’espoir de
dans nos bulletins de Loto ?
faire fortune qu’elle fait miroiter, se détournant ainsi
La superstition ne date pas d’hier et les portebonheur non plus. C’est à cette dernière catégorie qu’appartient la déesse mythologique Fortuna. En
du droit chemin et de la quête du salut de leur âme. Le voile flottant au-dessus de la tête de la déesse fait référence à Vénus, née de l’écume de la mer et
effet, celle-ci n’est autre que la personnification de la fortune, de la chance, du succès ou du hasard.
avançant sur les flots avec sa voile et sa coquille. À partir du XVIe siècle, la déesse Fortuna se voit également dotée des caractéristiques de la belle Vénus.
Il n’est donc pas étonnant de la retrouver souvent sur des illustrations en relation avec les jeux de loterie. La collection de la Loterie Nationale belge comporte un livre ancien et rare du XVIIe siècle décrivant une loterie fondée par Henricus van Soest en 1695 à la Bourse d’Anvers, avec brevet du souverain Charles II d’Espagne. Les deux gravures hors-texte montrent les prix à gagner. Une de ces gravures se trouve également dans la collection de la Loterie Romande (fig. 1). Au centre de cette gravure, la déesse Fortuna trône sur une sphère ; des deux mains, elle sème de l’argent autour d’elle. Sa nudité est séduisante et son bandeau symbolise le hasard qui préside à la distribution des richesses. Cette versatilité se reflète dans le texte sous le blason d’Anvers : « La roue vacillante de dame Fortune distribue ses présents,
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La gravure de Cornelis Metsys, qui date des alentours de 1540 « Vénus-Fortuna » (fig. 2), nous donne un exemple éloquent de cet amalgame d’attributs. Le vent soufflant dans la voile symbolise la volatilité de la chance. Au verso d’une médaille de 1795 qui fait la promotion de l’endroit où a été vendue une participation gagnante à une loterie anglaise, nous pouvons voir la déesse Fortuna puisant de ses deux mains des billets et des prix dans les tambours (fig. 3, verso). Ses vêtements sont inspirés de ceux de son ancêtre romaine ; elle porte une tunique descendant jusqu’aux pieds, uniquement retenue par un cordon sous la poitrine. Pour les Romains, Fortuna est surtout une divinité protectrice qui porte chance. Ils la représentent
Cornelis Metsys (1511 – 1560), « Vénus-Fortuna », vers 1539 – 1544, gravure au burin Médaille de promotion, Angleterre, 1795 Gravure par G. Bouttats, « Verbeldinghe van een gedeelte van de loterye op gericht 1695 door Henricus van Soest op de borse tot Antwerpen », 1695
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Billets de loteries européennes, XVIII e – XX e siècles
en Angleterre, proclamée en 1566, en est un exemple : le débit est si faible qu’il faut diminuer le nombre des billets et des lots et effectuer le tirage au prorata de l’argent reçu. Souvent les tirages sont reportés, parce que l’argent vient « à pas de Tortuë » (G. Leti).
« Glückshafennarr », Loterie instantanée. Gravure dans : Abraham à Sancta Clara [ Ulrich Megerle ], « Centi-Folium Stultorum In Quarto, Oder, Hundert Ausbündige Narren », 1709
« Lotharey oder Glückshafen », 1630
Plusieurs loteries ne se remplissent pas. Les joueurs doivent alors être remboursés. C’est le cas de la loterie pour la construction du pont du Rialto organisée en 1590. La « groote en generale staatsloterie » des elles sont aussi pratiquées dans certaines cours ou en privé. Avec le temps, on commence à distinguer
Pays-Bas des années 1560 n’avance pas comme souhaité, « n’estant la saison guaires propice de mectre sur lotteries ny en tirer le fruict que l’on désireroit ».
ce genre de loteries de celles « classiques », réservant le nom de « loterie » à ces dernières, et « blanque »,
De fait, les troubles politiques qui secouent le pays à cette époque-là empêchent son succès.
Glückshafen / Glückstopf, rifa ou raffle aux loteries simples. Dans cette catégorie, plusieurs autres méca-
Pourtant, cette loterie, pour « tant plus attirer le peuple pour y mettre dedans », a été « bien subtille-
nismes sont employés pour faire la distribution des lots par tirage au sort. On utilise des dés, des boules, des appareils et autres machines. On se sert aussi de
ment inventée, et tellement qu’elle contiendra des pris pour environ de deux millions de florins ». Mais au cas où cela ne suffirait pas, d’autres mesures sont
livres qui contiennent des pages blanches et noires
possibles. La plus radicale : créer un monopole. La
ou des pages numérotées (Pricking book lottery ou blank book en anglais, Stechbuch en allemand) et dans lesquels on pique avec une grande aiguille, méthode
gouvernante des Pays-Bas décide ainsi en 1564 « de suspendre toutes les autres lotheryes » en faveur de la grande. Si, malgré ces mesures, les résultats n’étaient
d’ailleurs apparentée à des pratiques divinatoires.
pas « selon l’espoir conceu », on va même jusqu’à supprimer la notion du jeu en songeant à pousser les
« Attirer le peuple »
villes et villages à l’instar des prêts forcés à participer à la loterie, donc à en faire « une espèce de taille », mais « desguisé soulz umbre de lotherye ». Parfois, les
À Erfurt en 1477, ducs, contes et chevaliers ainsi que
appels à la solidarité ou à l’esprit de charité peuvent
domestiques, étudiants et même mendiants auraient joué, alors que ces trois dernières catégories de personnes refusaient d’habitude de donner même un
se transformer en contraintes plus ou moins subtiles. Vers la fin du XVIe siècle, les pasteurs de Leide appellent de leur chaire les fidèles à acheter davantage de billets. Au milieu du XVIIIe siècle, le prince-évêque de Wurtzbourg ordonne aux curés de rendre public
sou aux édiles si on le leur demandait. Malgré l’évidente popularité dont jouissent les loteries en général, il faut des efforts pour garantir la réussite d’une telle entreprise, s’assurer de la participation, inciter à la demande et la soutenir. Car le risque des organisateurs et entrepreneurs consiste en ce qu’ils ne vendent pas assez de billets pour « remplir » une loterie, c’est-à-dire pour atteindre une somme au moins égale à la valeur des lots et des frais. La grande loterie
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le plan d’une loterie et d’exhorter les paroissiens à y miser, en leur expliquant qu’avec une petite mise, non seulement chacun peut espérer un gain considérable mais aussi attendre une récompense temporelle et éternelle de la part de Dieu, car une partie des mises sera destinée au secours des pauvres et d’autres œuvres pieuses.
Affiche pour la loterie de Friedrichstadt 1624
Affiche de la loterie pour la reconstruction de Durgerdam après l’incendie de mai 1687
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Créateurs de chances | Musée suisse du Jeu, 2012
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