EPIPHANIES DE LA PRODUCTION VICTORIA CALLIGARO Mémoire 5e année DESIGNS 2010-2011 Ecole Nationale Supérieure des Beaux Arts de Lyon Direction du mémoire : Jill Gasparina Professeurs DESIGNS Patrick Beurard-Valdoye Jean-Marie Courant Pierre Doze Olivier Vadrot Patricia Welinski
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Mon mémoire se décompose en trois parties, que je présente sous la forme de trois actes. Dans la partie centrale, l’acte II, je développe une étude de cas de projets de designs. Les projets que je choisis, sont aussi bien exposés dans le milieu de l’art que celui du design. Ces exemples soulèvent la question de la place de la narration des processus de production du design. Ils nous donnerons une interprétation à chaque fois singulière de ces procédés.
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ACTE I Prologue : SAYNETE __________________________________________________________________________________CONTEXTE D’EMERGENCE DES PROJETS DE DESIGN
ACTE II
ETUDE DE CAS • INTRODUCTION ECHELLES
Surface de réparation
PREFACE A LA SATURATION ___________________________________________________________________________________LE DESIGNER SE TROUVE UNE PLACE/ UN ROLE
Service lifté
LES EXEGETES DU QUOTIDIEN ______________________________________________________________________________________________REDONNER UN ROLE A L’USAGER
Ligne de fond
STRATEGIES DE DIVERSION ______________________________________________________________________________________________NARRATION VISE UNE DIVERSION
Hors-jeu
L’OPTION DE L’INFAMIE _____________________________________________________________________________________QUELLES ARCHIVES DES PROJETS DE
DESIGN
TRACAS ET ECLATS D’UN EXOSQUELETTE __________________________________________________________________________________________________CONCLUSIONS SUR L’ETUDE
ACTE III
Epilogue : PROCES 3
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les livres de Bruno Munari, Giorgio Maffei, ed. les trois ourses, 2009, 287 p., 24 cm. ISBN 9782-9518639-5-8 : 42 â&#x201A;Ź
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ACTE I PROLOGUE A L’ HETEROTROPISME PERSONNAGE
: A.
LA SCENE SE SITUE A TRAVERS LES OUVRAGES CITES EN BIBLIOGRAPHIE ( ANNEXE)
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<didascalie> « L’indéfinition du design est tolérable. » Le silence qui suit dure peu. La voix de A. s’élève dans l’éther fantasmagorique et conceptuel. Elle n’est pas plus incarnée qu’un précipité inidentifiable et finalement transitoire. Et cela importe peu. </didascalie> A. − Je m’inscris en faux. Je vous propose de vous présenter B. B. est designer. Bon, mieux que ça, B. veut faire preuve de design. B. agit en 2011 mais ne veut peutêtre pas être localisé. Dont acte. B. évolue dans un liquide amniotique d’informations (1) et de données à variables entropiques. Ces informations sont disponibles sur de nombreux supports, tangibles et cachés pour certains, omniprésents, insaisissables et faillibles pour d’autres. D’ailleurs cela jette une épaisse nappe de brouillard sur l’horizon qu’essaie de repérer B. La mesure de cet environnement fluctuant est relative, aucune configuration n’est absolue. (2) Il s’agit d’user de sérendipité (3), ou de naviguer à vue. Dans ce système hors-sol, B. liste des spécialistes à élire, repère des voies de circulation, et table sur une échelle, une mesure de temps. B. n’est pas le récepteur d’un réseau dense, pour réaliser son projet de design, il va devoir agir en amont et en aval. De plus, ce jeu constant de renvois qui anime le paysage de connaissances n’est pas unidimensionnel, il s’élabore en strates, en profondeurs. B. n’est pas dupe, mais il va devoir ruser pour ne pas se perdre. Heureusement pour lui, aujourd’hui aucun projet de design ne s’élabore seul. B. va glocaliser (4) à différentes échelles. Oui, B. lit un peu partout des nouveaux mots, destinés à la postérité ou non d’ailleurs. Ce qui est sûr c’est que B. va utiliser pour cela un nombre démentiel de login et qu’il va essayer de se rappeler tous les mots de passe qui vont avec. En quelques clics il va se démultiplier, perdre un certain nombre de droits dû aux conditions d’utilisation qui sont autant d’écrans de fumée franchissables en apnée. Pour glocaliser, il sent que ça va se passer dans son entourage. Après tout il connait bien quelques graphistes et quelques boîtes qui pourraient lui filer un coup de main. B. se rend compte que les outils du designer ne sont plus rares et réservés à sa propre pratique. Cette frénésie de duplication d’objets qui voit envahir son univers familier(5), agit désormais sur des objets techniques, des outils. (6) B. possède plein d’outils, comme beaucoup d’autres gens. (7) D’ailleurs, il est fier de sa dernière acquisition en date, une imprimante Epson. Il possède aussi un appareil photo numérique Canon, un ordinateur Sony, un téléphone portable Samsung, un dictaphone Olympus, une perceuse-visseuse Bosch, une scie sauteuse Black&Decker, un fer à souder Weller, une carte de bibliothèque municipale, une carte de crédit et de débit, quelques abonnements de téléphonies et connexion Internet, plusieurs boîtes mails, une assurance maladie. Mais il se dit que l’encre, c’est précieux. Il l’utilisera avec parcimonie. B. est un utilisateur averti. La simplicité d’utilisation de ces petites machines mise en exergue par les constructeurs et une communication efficace. Ce petit manuel qui accompagne sa nouvelle imprimante qui est destiné en vérité qu’à être lu une fois qu’une panne a lieu en premier recours a un joli logo engageant. Ce n’est de toute manière que l’excipient d’un phénomène qui nous inculque un savoir technique inhérent à ces nouveaux usages. Ces outils fabriqués en masse, ont certes développé des nouveaux usages, mais de nouveaux modes de pensée de la
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production. Mieux, bien que cette révolution technique n’agisse réellement que là où se concentrent les richesses, la pensée de production qu’elle invente, elle, peut avoir des effets n’importe où. Car même si les outils techniques se retrouvent eux-mêmes sur les chaînes de montage, ce n’est pas pour autant que ceux qui les assemblent les utiliseront. Là où la production de design étaient extraordinairement dépendante d’une technique, d’un savoir-faire, utilisant le sens cette singularité technique ou opératoire comme étendard, elle s’émancipe. (8) C’est une esthétique qui vise moins la technicité que la précision et la justesse de réalisation. Néanmoins cette forme de production existe toujours. C’est pourquoi chacun peut être témoin d’une production très technique s’appuyant sur de nombreux spécialistes, et d’autres formes de production, autogérées, constitués des circuits courts où le nombre d’intermédiaire est réduit drastiquement voir aboli pour le Do It Yourself. (9) Mais B. réalise bientôt que pour réaliser son projet, il va lui falloir coordonner plusieurs rythmes. Un temps attribué à la production de sens de son projet, un temps de communication de son projet, un mode de réalisation. Ce que sait B. c’est qu’il veut faire exister un projet de design maintenant, et donc B. va devoir donner une réalité singulière à cet objet. (10) Or la réalité d’un projet de design à l’heure où B. veut accomplir son dessein, est multiple, elle gravite autour de plusieurs foyers avec leurs temporalités. La conception met un temps épars et extensible ; la production d’essai se fait sur un temps en pointillés mais qui s’empreinte profondément dans le projet ; la réalisation elle tient dans un temps aux limites claires et définies − sur ce point là B. n’est pas tout à fait sûr que ce sera lui qui les délimitera − ; et puis, entre autres, il y a aussi la diffusion qui repose sur un temps en expansion qui se dissipe sur les bords. La logique post-industrielle, mètre-étalon aujourd’hui, transforme les moyens de production du design. Cette logique vise l’émancipation de la production d’objets des circuits industriels issus de la révolution technique du XIXe. Elle apparaît après la seconde guerre mondiale et se développe depuis les années soixante. Il faut préciser que ce mouvement post-industriel s’inscrit dans une géographie particulière, qui est celle du monde occidental. Cette aspiration à constituer une alternative aux circuits dominants renaît. On tâche de constituer d’autres modes de production. B. assiste à la généalogie de nouveaux processus qui amènent à voir émerger des projets à plusieurs temps, qui emploient plusieurs langages. Les technologies informatiques apparaissent avec leurs codes, mais aussi de nouveaux medias de l’image avec la vidéo, le cinéma, se constituent un vocable singulier. Des nouvelles technologies qui appellent de nouvelles pratiques et de nouveaux canaux de communications. (11) Cela tombe bien, B. se sent l’âme d’un traducteur, il se sent plus aiguilleur ou vecteur que démiurge. La position du designer n’est plus celle d’un ingénieur, mais bien celle d’un intermédiaire, d’un médiateur (12) qui s’aménage un/son espace d’expression rendu aussi visible par les choix de réseaux dans lesquels va s’articuler le projet. Le designer devient-il un non-spécialiste ? Devient-il un professionnel qui construit le récit de la production et de la réalisation du projet ? Connecter des réseaux spécialisés (13), repérer des points de chute dans les réseaux de flux tendus, B. se doute que les enjeux principaux qui teinteront de succès ou d’échec son projet, prennent position sur ce terrain là. Repérer ses collaborateurs déjà bien ancrés dans ces méandres est primordial. Les références aussi construisent l’échafaudage du projet. Plus tard, il devra surement s’agir de détourner des
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procédés rôdés, construire un projet dans un domaine non familier. Les enjeux du projet de B. sont ambitieux. B. cherchera à mettre en mise en perspective le contexte qui va environner sa production. Pour cela, il va devoir aussi positionner, engager son projet. Il va donc devoir fortifier les articulations idéelles principales de son propos. En effet, il va se rendre compte qu’il agit singulièrement et que c’est sa parole d’auteur qui signera son projet. L’aménagement de cet espace d’expression va colorer sa production ou la production qu’il va faire exécuter par un tiers. De tout cela va découler, une résolution singulière, qui viendra répondre à l’enjeu cerné au début. (14) B. est tout de même en proie au doute, ce nouveau contexte phagocyte la vision historique du designer. Le designer tendrait-il donc à se déspécialiser ? Loin de l’image d’Epinal du designer-ingénieur peaufinant un moule qui servira à dupliquer infiniment un vase destiné à un usager aux traits vagues et idéalement contextualisé, le designer cherche peut-être plus à attribuer une fonction au regard de l’usager plus qu’à ce qu’il tient dans les mains. B. esquisse déjà une interrogation sur l’esthétique de son projet. B. la qualifiera peut-être de non médiumnique. Mais B. sait qu’il s’adresse à un usage et un usager en particulier, directement, faute de vouloir dialoguer avec un fabricant précis. Peut-être qu’en visant cet usage et cet usage, celui-ci va pouvoir devenir fabricant, s’émanciper du rôle unilatéral du simple consommateur. Sélectionner, viser. Mieux : élire. B. va choisir l’objet de sa recherche parmi le ressac d’objets environnant s’ajoutant à chaque lame de fond de nouveaux savoirs techniques. Ainsi B. se positionne par rapport à ce phénomène d’accrétion moderne, mêlant objets et informations. La surface de contact entre le monde des usages et celui des objets, est à matérialiser par le designer. Dans le cas de B., il va s’agir d’un récit fictionnel, d’une narration. Vise-t-il une mystification ?. B. connaît ses références, il va pouvoir naviguer avec facilité et communiquer avec un langage qu’il maîtrise. Il se demande juste comment il va être perçu à la fin, l’œil distrait par un reportage sur les bernardl’hermite. B. va donc devoir se positionner(15), s’engager. Il va se saisir d’une face du prisme du projet. En effet, le designer va construire son projet autour de sa communication externe et interne. La communication externe visant ceux à qui s’adresse le projet ; la communication interne visant ceux qui participent au projet. (16) Il s’agit pour chaque objet de design de se projeter dans une mythologie, dans l’histoire. Pour B. il va s’agir surtout, il le pressent bien, d’élaborer une mystique autour de son projet.(17) D’ailleurs, non seulement il va pouvoir séduire en aval de son projet, mais pour sûr, cela va pouvoir l’aider en amont pour construire ce projet. C’est un peu comme aimanter son projet, il doit se dire. Quelque chose comme ça. Lui donner un pôle nord et un pôle sud. De cette façon, chacun qui s’en saisira percevra son sens par les effets que le projet a sur son environnement proche. Mais cette polarité ne se limite pas à une influence binaire, il sait bien que c’est un spectre intermédiaire et aux tonalités imprécises. Un gradient qu’il va lui falloir définir. Tacitement.
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• Introduction au dossier ____________________
ANALYSE DE L’ ETUDE DE CAS
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L
es pratiques du design évoluent dans un environnement complexe. Rien de moins étonnant. Cet environnement entrelace des données géographiques, économiques, politiques, technologiques et historiques.
Il était caractérisé par un discours historiographique aux tracés larges et francs. Désormais, comme ce prologue semble en témoigner, cet environnement semble muter, il tâche plus de ponctuer des flux de données que de constituer un corpus acté et pérenne. Il apparaît que cette forme de ponctuation de l’information donne envie à certains designers de s’en saisir. Ils comprennent le fonctionnement de ce code et l’investissent dans leurs propres projets. Ils en donnent une interprétation qui fait transparaître leur captation du réel au sein duquel ils pratiquent le design. Nous allons vois une sélection de projets qui rend compte de ces mouvements. Le point de vue que nous allons adopter cherchera à mettre en lumière comment ces designers nous parlent de leurs process de production du design. Dans les cas mis en présence, il s’agit d’une narration. Qu’est-ce que cette narration de la production rend compte des pratiques de design ? Quels enjeux dans la production de ces projets, ces designers déplacent-ils ? Aussi, il va s’agir pour nous d’interpréter les narrations qui transparaissent dans l’étude des projets qui vont suivre. Les processus de production sont des occasions d’exercices de style particuliers dans le design. Ils s’apparentent alors à des formats prédigérés tels que le making-of cinématographique, ou le journal d’écriture… Pourtant on trouve aussi nombre de projets de design qui voient cette occasion de montrer leurs procédés comme un moment d’expression de l’auteur. Une marge rare dans laquelle il est permis de voir la construction du projet. En même temps, elle nous donne un commentaire sur l’insertion du projet dans le contexte qui le voit émerger. Un dialogue en bas de page apparaît, entre les auteurs et les techniciens, les spécialistes… C’est une narration de la production. (18) Mieux, dans ces exemples, on verra que cette marge est tout à fait artificielle. Dans les exemples que nous allons développer, elle est pensée, élaborée à dessein. Que nous raconte-t-elle ?
Mais d’abord, en quoi consiste cette narration ? Comment apparaît-elle ? Celle-ci est différenciée pour chacun des projets, dans la mesure où les designers qui les construisent s’expriment en auteurs et non en simple exécutant.(19) Ce sont des récits −terme pris au sens large − qui sont de natures diverses, de formes dispersées et aussi d’intentions disparates. A l’instar des modalités de production qui voient déspécialiser les designers, réorganiser les chaînes de production, et spécialiser de façon croissante des pratiques et des techniques, la forme de la narration qu’en font les designers capte ces mouvements. Cette multiplicité des énoncés et de leurs supports témoigne donc de ces modalités de production en mutation et jouent aussi un rôle actif dans ce même mouvement.
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Cette écriture ou réécriture du processus de production bouche les ombres et surexpose parfois à la lumière. Qu’est-ce qu’elle permet alors de filtrer? Le ton donné à cette narration, quant à lui, donne une couleur particulière au projet. Par ton, c’est l’écriture qui est entendue. Une narration est avant tout l’occasion d’une écriture singulière. Ce ton permet de faire apparaître de façon plus ou moins marquée son auteur. Il se place sous une lumière particulière, il s’exprime et se donne un rôle. Les documents qui viennent étayer sa description sont aussi un support de l’information pour produire le projet de design. Les designers ne s’adressent pas seulement à des lecteurs ou des spectateurs, mais aussi à ceux qui vont être parties prenantes dans la réalisation du projet. Ce récit n’est souvent pas simplement un support descriptif −là où se distingue le design critique qui constate, d’un autre design qui propose −, ce récit doit être interprétable pour une étape suivante du processus de réalisation. Cette narration cherche donc à décrire certains détails du processus entier du projet de design. En en évacuant d’autres. Chaque projet comporte des étapes modulables et certaines incompressibles. Cette série d’étapes peut être revisitée selon le projet engagé. Il s’agit alors de reconfigurer ces étapes, leur hiérarchisation dans le processus de production, leur impact relatif dans la réalisation finale, le degré d’investissement dans la production. En effet, les projets s’appuient souvent sur un schéma de process qui décline : une conception, une proposition, une production et une diffusion du produit. Cette logique n’est pas absolue mais une référence a priori. Entre les étapes de cette chaîne de montage, des documents circulent. Ces instructions traduisent une intention et donne un statut au projet provisoirement. Elles constituent aussi un écran, intrinsèquement, à l’étape suivante dans la production. Les exemples qui vont suivre font état de cette propension qu’a le récit à constituer un écran dans la production même. Mais il peut être aussi le support d’une volonté de transparence maximale. Quoiqu’il en soit, cet écran est un filtre plus ou moins opaque, plus ou moins tamisé. L’ensemble du projet est alors mis en perspective. Enfin, une caractéristique essentielle de cet écran apparaît : c’est qu’il s’agit avant tout d’un fantastique support de projections. D’autre part, cette narration décrit des pratiques de design et tient compte de son archivage à une postérité latente. Comme dépeint au début de cette introduction, les projets de design émergent dans un environnement en flux tendus. Ces flux sont ponctués, rythmés. Cette ponctuation s’assimile à des comportements, des codes, des systèmes de fonctionnement particuliers à chaque domaine. On comprend bien que ces récits s’engagent sur diverses voies, et chaque designers décident d’en préférer une ou bien plusieurs. D’aucuns s’ancreront dans des références historiques et économiques visibles quand d’autres navigueront de dystopies sociales en utopies modestes.(20) Chacun des designers s’engage dans son projet. Des enjeux sont
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designés, des partis sont pris. Ils s’encrent dans un réel épais et banal. Il n’est pas expliqué pour quelle cause ils s’engagent, mais c’est la narration qui urge un ressenti particulier.
Au final, l’ensemble des projets de design présentés ici est mis en perspective dans l’optique d’y discerner une narration de la production.(18) Il y en a treize en tout. Quelles sont les différentes manières qu’ont ces designers de raconter la production de leurs projets ? Comment traitent-ils ce sujet autrement que comme un phénomène hermétique, clos ? Par quels effets le communiquent-ils ? Ces exemples sont produits sur un no man’s land entre design et art. Empruntant des circuits de production du design, des circuits de diffusion de l’art et vice-versa. Les projets seront présentés, rassemblés sous différentes focales. Ensuite nous les examinerons, en essayant d’opérer une extraction du récit. Aussi ces exemples seront compulsés sous plusieurs aspects. Certains requerront plutôt une enquête sur les conditions qui les voient naître puisqu’il s’agit d’un commentaire à un réseau de production. (cf. « préface à la saturation ») Pour d’autres c’est le parti pris vis-à-vis de l’usager à qui l’on s’adresse qui sera la pierre angulaire de la réflexion. (cf. « exégètes du quotidien») D’autres encore interrogeront une stratégie globale, un dessein qui parcourt le projet globalement. (cf. « stratégies de diversion ») Enfin, quelques uns questionnent la dimension de l’archive de production que constitue potentiellement ces narrations. (cf. « l’option de l’infâmie») Les exemples de cette étude de cas sont collectés sous le signe d’une intention animiste qui se diffuse dans chaque projet. Elle est engagée, et interpelle le contexte d’émergence de ces projets de design (cf. prologue). De plus ces exemples déclinent chacun à leur manière la fragilité, la précarité du processus de production du design qui tient s’élabore comme un numéro d’équilibrisme collectif. Au final nous verrons que cette narration qui transparaît relève d’une forme de valeur conceptuelle ajoutée au produit. Ces apparitions sont ce que nous appellerons les diverses épiphanies de la production. C’est la façon dont elle se manifeste qui invite à reconsidérer les objets produits dans le contexte qui les voient émerger. Chacun d’entre eux reconsidère d’un regard réflexif ce que peut bien être la pratique de design. Et c’est in fine cette possibilité d’un retour critique sur cette discipline nous conduira tout le long de nos analyses.
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ACTE II ETUDE DE CAS PERSONNAGE
: A.
LA SCENE SE SITUE DANS LES DOCUMENTS QUI NARRENT LES PRODUCTIONS DE DESIGN DES DESIGNERS
:
CHARLES ET RAY EAMES , YONA FRIEDMAN, PHILIPPE MILLOT, CRAFTPUNK, MARTI GUIXE, BRUNO MUNARI , TOBIAS REHBERGER, ANTHONY DUNNE ET FIONA RABY , STUDIO GLITHERO, RYAN GANDER, MARTINO GAMPER, DEXTER SINISTER, ETTORE SOTTSASS
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<didascalie> ENCART SUR LES ECHELLES DE LA PRODUCTION ET LES DEGRES D’INTERVENTION DU RECIT
A. nous présente l’étude de cas. Il nous précise que ces projets de design se dispersent sur plusieurs échelles. </didascalie>
A. − Dans la sélection de projets de design qui va suivre, il s’agit de repérer, de comprendre et d’apprécier en quoi ces projets sont des occasions de récits, qu’est-ce que ces récits racontent, quelles techniques sont employées pour faire apparaître ce discours comme une narration. Il va donc s’agir d’une part d’analyser l’énonciation, puis l’énoncé en lui-même. Pour ce faire chaque projet passera par cette grille de lecture (ci-contre fig.1). D’autre part, il faut bien noter ceci. Ces projets de design sont assez éparpillés pour certains d’entre eux. Ils investissent différents supports d’énonciation de leur narration de production. Ces supports ont différentes échelles. Que voici. Voici un schéma (ci-contre) des échelles d’un schéma de production de projet de design. Comme nous pouvons donc le constater, plusieurs échelles entrent en ligne de compte. la narration de la production de design peut se situer à plusieurs niveaux ; il peut raconter une étape, et il peut être diffusé/produit dans cette étape (Immédiatement) ou dans une autre Différents niveaux du projet de design (auxquels on peut attribuer une temporalité)(22) Nous avons donc ces étapes auxquelles correspondent des échelles du projet de design : E0 (SEC) TECHNE (REGARDER DE PRES) ; TECHNIQUE E1 (MINUTE) OBJET ASPECT GLOBAL + CONTEXTE, ENVIRONNEMENT ; CONSIDERER L’OBJET, RELATION AVEC ENVIRONNEMENT
E2 (HEURE) PRODUCTION DE L’OBJET E3 (JOURS) DIFFUSION DE L’OBJET / PROJET E4 (MOIS) COMMUNICATION DE L’OBJET/ PROJET ; LE FAIRE EXISTER DANS UN CONTEXTE (QUELLE RESONNANCE) E5 (ANNEES) ARCHIVAGE ; POSSIBILITE D’ETRE SAISI AVEC QUELQUES BRIBES CHOISIES DU CONTEXTE : Charles et Ray Eames, Yona Friedman, Philippe Millot, Craftpunk, Marti Guixé, Bruno Munari, Tobias Rehberger, Anthony Dunne et Fiona Raby, Studio Glithero, Ryan Gander, Martino Gamper, Dexter Sinister, Ettore Sottsass MAINTENANT NOUS ALLONS INTERPRETER LES EXEMPLES DE DESIGN DE
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fig. 1
DESIGNER _ TITRE (SITUATION) Quand le projet est-il visible ? Où est-il visible géographiquement ? (Techniques de production) Comment se présente matériellement le projet ? Quelles techniques de production sont employées? Qui l’a réalisé physiquement ? (casting, collaborateurs) Quelles ressources utilise-t-il ?
(Moyens de production) Fait-il l’objet d’une diffusion ? Si oui, laquelle ? Par qui est-il visible ? Quel(s) usage(s) concerne(nt)-t-il ?
(Contexte d’énonciation) Quelle est la typologie du récit ? à quels formats fait-il référence ? Sous quelle forme apparaissent les références ? Quel engagement dans le temps ? (éphémère, postérité….) Ecart entre réalité / récit ? Factualité ? Rapport en le récit et le projet ?
(Énonciation) Qui en est l’auteur ? Qui parle ? Qui est le « je » ? Quel territoire du Design est le théâtre des opérations ? Quelles références entrent en jeu ? Quelle résolution pour l’usage ? Quelle est l’intention ?
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fig. 2
ECHELLES
18
« Au-delà de l’apparente simplicité de l’objet, si on l’analyse attentivement, celui-ci révèle toujours la riche complexité du processus qui l’a engendré. Que ce soit la position du plan incliné d’un cendrier, ses dimensiosns, la disposition des lignes ; le tracé d’une courbe permettnt d’obtenir une articulation sans charnière ; le choix d’un matériau banal pour réinventer le diffuseur d’une lampe ; ou encore le choix technique précis d’un procédé d’impresision : dans tous les cas, l’objet s eprésente comme porteur d’un récit toujours sous-tendu par une « invention » au niveau du projet. » Vanni Pasca (21)
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20
Surface de réparation
PREFACE A LA SATURATION _____________________ARTICLE N°1
Service lifté
LES EXEGETES DU QUOTIDIEN _____________________ARTICLE N°2
Ligne de fond
STRATEGIES DE DIVERSION _____________________ARTICLE N°3
Hors-jeu
L’OPTION DE L’INFAMIE _____________________ARTICLE N°4
Conclusion
TRACAS ET ECLATS D’UN EXOSQUELETTE _____________________
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22
23
production d’une chaise en série impliquant une
Surface de réparation
technique de moulage de contreplaqué développée
PREFACE A LA SATURATION
pour l’équipement médical de l’armée américaine pendant la seconde guerre mondiale. Nous allons interpréter cette photographie comme le document d’une performance. Ce qui va nous intéresser c’est
____________________________
comment cette performance apparaît dans un système
LA PRODUCTION EN GENERAL SE DEPLOIE SUR UN RESEAU DE SPECIALISTES. IL S’AGIT D’UNE TRANSFORMATION DES
de production industriel institutionnel dans un
SYSTEMES DE PRODUCTION D’OBJETS QUI DEPASSE LES
contexte exigeant qui plus est.
SYSTEMES TAYLORISTES.
Prédire, anticiper cette lame de fond qu’est
CES MODELES DE PRODUCTION SE SONT CONSTITUES SUITE A
l’arrivée de méthodes de production non
PLUSIEURS VAGUES D’INDUSTRIALISATIONS. CHACUNE DE
fordiennes, fut chose aisée. Et pour cause, ce n’est
CES LAMES DE FOND RENDENT OBSOLETES DES TECHNIQUES,
pas comme si les designers n’étaient pas étrangers
DES CORPS DE METIERS. LES DESIGNERS DONT NOUS ALLONS PARLER PARLENT DE
à la genèse de cette transformation. Ces designers
MUTATIONS LATENTES DANS LES MODELES DE PRODUCTION
ne sont peut-être pas les instigateurs de la refonte
D’OBJETS COURANTS. CES MUTATIONS SE SITUENT AUX
du système de production industriel classique,
EXTREMITES DES RESEAUX DE PRODUCTIONS. AU NIVEAU
mais ils joueront le rôle de catalyseurs.
DES SPECIALISTES. CHAQUE SPECIALITE EST POUSSE DANS
Les Eames parmi d’autres designers, vont
UNE TECHNICITE EXTREME EN CONSTANT PROGRES. LES SYNAPSES DE CE RESEAU SONT INEXTRICABLEMENT
s’adapter aux mutations du système de
CONNECTEES.
production industriel. En innovant
CE QUI APPARAIT DANS CE RESEAU EN EVOLUTION
techniquement, et aussi dans la médiation de leur
PERPETUELLE C’EST QUE LE DESIGN NE FAIT PLUS FIGURE
projet. Ils vont engager leurs pratiques dans des
QUANT A LUI DE SPECIALISTE. LE RESEAU COMPTE SES
nouvelles modalités de production. Ils inventent
TECHNICIENS QUI REMPLISSENT CHACUN UNE TACHE QUI
de nouvelles modalités de production où la
LEUR EST ATTRIBUEE. LE RESEAU EST SATURE. COMMENT LE DESIGNER DEFINIT-IL SON ROLE DANS CE RESEAU DE TROP
médiation entre les techniciens compte, lançant
? EST-IL
ainsi leur projet à vive allure sur une voie sans
? QUELLE EST SA PLACE CE RESEAU QUI NE
CONSTITUE PLUS UNE CHAINE DE PRODUCTION MAIS PEUT ETRE DAVANTAGE UNE CHAINE ALIMENTAIRE
retour.
? (23)
LES DOCUMENTS ETUDIES ICI, RACONTENT UN PROCESSUS
C’est donc sur un territoire déjà mouvant, au
DE PRODUCTION QUI MET EN AVANT LE RESEAU EN MUTATION QUI EST MIS EN BRANLE POUR CHAQUE PROJET.
début des années 40, que les Eames vont produire
CES DOCUMENTS SONT EMPREINTS D’UNE NARRATION. UNE
des objets de design destinés notamment à
NARRATION DONT NOUS ALLONS EXTRAIRE LES ENJEUX QUI
l’armée et aux hôpitaux. C’est choix aux prises
CONCERNE LA SATURATION DU RESEAU DE PRODUCTION.
avec le contexte politique de l’époque, engageant leur production avec les équipes médicales
RAY ET CHARLES EAMES
soutenant l’armée américaine. Dans ce contexte, les Eames centrent leur
Les documents qui nous concernent sont les
technique de production autour d’un corps. Le
photographies prise lors de la réalisation d’un prototype de chaise en 1941. Le projet ici concerne la
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corps de Charles Eames moulé dans du
Il s’agit du récit d’une performance qui circule
contreplaqué.
dans le réseau de production industriel
Cette technique innovante du moulage de
institutionnel.
contreplaqué est née peu de temps avant.
Pour émettre ce signal au cœur même de la
D’abord pour une série d’attèles, puis plus
chaîne de production, ils ont donc opté pour la
englobant, un brancard. Cette technique va
rhétorique de studio photographique archivant
directement inspirer la fabrication de chaises et
l’objet, support d’une performance.
fauteuil.
Peu de textes accompagnent l’image, ce qui
L’innovation technique est incontestablement le
renforce son aspect de «performance». Si c’était
pilier du projet, mais l’héritage historique et
un simple cliché visant la description du procédé,
l’engagement des designers qui s’y mêlent
on aurait probablement le droit à une
pourront être décelé par les documents qui font
photographie sans doute plus explicite,
trace du projet de design.
développant plusieurs étapes. Or ici rien de cela,
Les Eames prennent appui sur le modèle
il s’agit d’une photographie d’objet, absolument
industriel, s’en servent comme d’un laboratoire à
mise en scène, Le geste apparaît. Fragile,
grande échelle. Démultipliant la force de frappe
télescopant l’échelle des moyens de fabrication
d’un geste fragile, ils cherchent avant tout à
avec ceux de la production auxquels ils sont
mettre son efficacité au service d’un acte
destinés. Par là, le designer se rend dépositaire du
émancipateur. Celui par exemple de mouler sur
sens de l’objet qu’il s’apprête à réaliser, mais il ne
un corps réel, non idéel, puis de livrer tel quel le
déborde pas de son rôle de designer. Le récit
prototype aux chaînes de production. C’est la
n’enjolive pas, il est laconique et pourtant sensible.
machine à thermoformer le contreplaqué qui
En effet, cette apparition technique relative au
devra épouser le corps en négatif de Charles
bois se manifeste dans la communication interne
Eames.
du projet (relation entre spécialistes), mais aussi
Dans cet exemple, les Eames utilisent donc un
envers l’usager, et l’archive technique. C’est l’écho
réseau efficace, celui de la production industrielle
successif de cette technique dans les différentes
de masse. Ils vont donc adapter la démarche du
étapes du projet (prototype, production,
projet mais, par le levier de la fabrication du
archivage..) qui révèle le réseau de production.
prototype, qui est une étape cruciale dans la
Cette forme particulière qu’induit cette technique
production d’un objet industriel, ils vont émettre
précisément, met en perspective plusieurs projets
un signe.
(attèles, brancards puis chaise). C’est donc la
Ce signe est un document de production qui
réverbération de cet écho dans différentes strates
nous est amené à être interprétés comme la
du projet qui fait ici apparaître le réseau de
photographie d’une performance. Une
production de l’objet de design.
performance où Charles Eames est ficellé à une planche de bois contre-plaqué maintenue humide. La posture adoptée n’est pas évidente ; introduire les notions de traitement du corps à échelle
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industrielle est à prendre avec recul. Les Eames
Ici pour ce projet Yona Friedman prend un
font le pont entre ces productions postfordiennes
contre-pied formel à cette charte communicante
et les industries qui font encore autorité, quand
du projet urbain. C’est le document
d’autres choisiront, une fois la mutation opérée
communiquant entre institutions qui est le
après-guerre, la rupture catégoricielle. Le projet
support de la narration. Entre les institutions
de design vise à réemployer une technique utilisée
responsables de ce projet urbain réel, circule les
pour la production d’équipement médical pour
dessins de Yona Friedman. Des dessins qu’il fait
l’armée américaine pour une chaise destinée au
aussi circuler hors de ce réseau, en les exposant
grand public. S’agit-il d’un hommage au contexte
dans des éditions monographiques.
historique du projet subtilement caché dans le
Le dess(e)in est simple, voire naïf. Ce sont des
matériau même ?
formes autonomes, produites hors de ces circuits traditionnels puisque se sont des illustrations de manuels poétiques. Des bulles de bande-
YONA FRIEDMAN
dessinées, des dialogues laconiques, un dessin Pour son projet, le designer ici emploie le vocabulaire
« bâtonnet » noir et blanc, ou sur fond de couleur
de la BD pour proposer son projet urbain dans le
selon les éditions, des légendes métaphoriques ou
concours pour l’aménagement du site du centre George
plus pragmatiques. Yona Friedman les utilise
Pompidou a Paris dans les années soixante dix. Il y
comme base de son travail d’urbaniste,
propose une agora ouverte et construite par les
d’architecte. (24) Il va même les exploiter dans la
habitants du quartier environnant. Le designer fait
construction de projets à échelle1. Exploités en
circuler ces dessins comme document officiel dans le
maquettes, puis en photographies de maquettes,
réseau du concours au projet urbain.
puis en esquisses de projet, en mise en situation
Pour Yona Friedman, il s’agit de discourir en
réelle dans la ville. C’est pour le projet de musée
négatif par rapport aux exercices de styles
de Beaubourg (25) que ces dessins réapparaissent
imposés par les décideurs institutionnels pour un
à plusieurs étapes de la production, comme
projet urbain. Dans ce cas, le designer-urbaniste
référence tacite. Ces dessins ne sont cependant
utilise un vocabulaire expressif au contenu
pas un statement invariable pour Yona Friedman.
délibérément fragile. Ces dessins lui permettent
Il les décline à foison mais ne se repose pas dessus
de revisiter les formats de documents de projets
de façon absolue. Ses dessins sont plutôt des
urbains circulant dans les réseaux de production
commentaires à chaque étape de ce projet.
urbanistiques. Ces formats couramment admis
Le designer ici raconte son projet, mais d’une
consistent en perspectives de mise en situation,
façon telle que nulle institution réelle ne puisse
des simulations au trait vectoriel de vue
s’en saisir tel quel. En effet, il participe d’une
d’ensembles, d’élévations cotées, de plans
interprétation sensible. Il s’adresse à un lecteur
millimétrés… Mais il s’agit aussi de comptes
singulier, et fait fi du jargon technique. Pourtant
rendus de prospection sur le terrain, de rapports
le projet est réel, les intentions denses et
techniques d’investisseurs…
concrètes.
26
Les modèles de projet de design urbain, qu’on
qu’un projet reste et restera utopique, quand un
qualifiera à tort ou à raison d’utopiques, reviennent
autre se verra impacter la vie des habitants d’un
sur ces formes aériennes qui structurent l’espace
quartier. (26)
public. C’est grâce aux fondements radicalement décalés
PHILIPPE MILLOT
du projet, que Yona Friedman se distingue, et émet une critique. Il donne à ce plan une
Le designer dans ce cas est le graphiste qui supervise
envergure utopique et solaire qui trouve sa force
l’édition de monographies d’artistes éditées suite à des
dans sa cohérence et sa capacité au dialogue avec
expositions (pour le centre George Pompidou, Arman
des interlocuteurs pourtant désignés d’office.
2010 et Beckett 2007 ainsi que l’édition d’un roman
Ces dessins qui ponctuent légèrement son
pour Salmigondis, 2006).Le projet ici concerne la
discours sur ce projet en particulier, comme dans d’autres, sont moins des annotations exotiques
production de ces livres, la facture dont ils sont fait, le
qu’un rappel du statut du projet à chaque
travail de graphisme qu’ils portent et qui trace le
moment. Moment de prospection, moment de
travail éditorial et de production technique des
concertation avec les habitants, moment de
ouvrages eux-mêmes.
proposition, moment de réalisation. Ici le geste du
Dans les exemples du corpus, le designer
designer est une douce exhortation à
graphique responsable de la qualité de l’édition
véritablement penser chaque étape de la
des ouvrages Arman, (Salmigondis, aux éditions
construction du projet. Yona Friedman estime qu
cent pages) et Objet Beckett, cherche à faire
l’habitant doit être légitimement intégré au
apparaître dans les objets mêmes, les différentes
process (26). Ne pas simplement reproduire ce
étapes de productions. Philippe Millot fait ainsi
qui est communément admis, mais véritablement
apparaître les moments de productions mais
interroger son sens le plus radical.
surtout les acteurs.
Anathèmes jetés sur la bien-pensance de projets
Dans Salmigondis, il s’agit surtout des dialogues
viables sous prétexte d’être consensuels ?
entre éditeurs et auteurs auxquels le graphiste
Invocations légères à reconsidérer la
cherche à donner un statut particulier : les pages
responsabilité humaine pourtant grave de ce type
sont plus fines, roses, et la typographie fait
de pratiques admises ?
directement référence au brouillon, statut
Mais Yona Friedman ne pirate pas le système au
transitoire du document. L’objet fait état de cette
sein duquel il navigue. Il fait passer son projet par
laborieuse genèse, entre fausse maladresse et
le réseau de production déjà constitué, sous une
diversion honnête. Il s’agit donc dans cet exemple,
forme délibérément enfantine, simpliste.
de donner à corps et matérialité à la production
Il radicalise le geste, le dépouille, l’allège au
d’un auteur aussi fictive soit-elle.
maximum. Néanmoins, il ne se contente pas de
Dans Objet Beckett, il s’agira plus de faire état de
critiquer, il propose. Loin d’une absurdité
la collecte des documents qui sont le sujet de la
lancinante qui disposerait d’une dystopie, son
monographie (et de l’exposition) sur Samuel
projet veut interroger ce, ou ceux, qui décident
Beckett. Là c’est le montage qui est pris au pied
27
de la lettre et qui déconstruit/ construit l’ouvrage
désirs d’un individu sur l’objet final, et la
même. Plusieurs livres sont ainsi présents dans
considération du travail effectif, lui déjà accompli
l’Objet Beckett, chacun avec ses propres
par un collaborateur. (28)
caractéristiques de grammage, de foliotage, de
Chacun apparaît dans son rôle ; les différentes
couleur de papier et d’impression, ses procédés de
étapes de production sont signées aussi humbles
lithogravures ou de reproduction iconologique.
soient-elles.
On voit par exemple apparaître les coutures
Le réseau de production n’est pas directement
bleues qui relient les différents cahiers qui
critiqué par Philippe Millot qui les fait apparaître
composent l’ouvrage. Comme pour manifester le
non sans raison. Il s’agit plutôt de renvoyer
caractère artificiel de la composition finale du
chacun à ses responsabilités. Susciter
livre. Un jeu de transparences d’images est aussi
l’interrogation sur le processus de production,
présent le long de la lecture de la monographie.
faire courir les fantasmes sur les rôles préétablis
Les textes à venir, des fac-similés, des documents
dans la production éditoriale, en démystifier
extraits de microfilms apparaissent en
d’autres : surtout « laisser quelques erreurs pour
surimpression. Pour nous avertir de ce qui va
que ça laisse à désirer »(28).
advenir dans la suite de la fabrication, de la collection d’images. Enfin pour la monographie Arman, il s’agit là
CRAFTPUNK
encore d’une monographie d’exposition, il s’agit de faire apparaître les étapes de production de
C’est une installation de studios de designers dans un
fabrication de l’objet livre. La couverture fait écho
showroom sponsorisé (Fendi) lors d’une foire de design
aux objets que la monographie illustre (boîtes-
(Design Miami en 2009) (participants voir annexe)
collages d’Arman). En effet, certains détails
au cours de laquelle des objets de design sont produits.
(papier à pois et à rayures) sont extraits de cette image et investit dans l’édition de la monographie.
A l’instar des exemples précédents, l’installation
Le péritexte (27) concernant les sponsors et les
Craftpunk voit un ensemble d’objets faire sens
responsables de l’impression en elle-même font
dans un projet, un temps donné. Cette
l’objet d’un jeu formel sur plusieurs formats…
installation-performance rassemblait des
Il s’agit de faire apparaître la trace des
designers d’objets, dans un showroom, le temps
collaborateurs. Et même plus, car il s’agit aussi de
de l’exposition pour produire un objet de design.
les nommer. Il donne un contexte de production
Ici il est plutôt question de montrer la technique
qui est plus qu’une configuration de techniques et
employée en temps réel que de montrer l’entier
une chaîne de production de savoir-faire. C’est
processus de réalisation d’un objet de design.
foncièrement un entrelacs de traces d’individus.
Le showroom était un endroit vaste (750m²)
On a affaire à une succession d’interprétations de
entièrement équipé avec les outils employés
l’ouvrage. Car celui-ci au cours de sa réalisation
d’habitude par les différents studios et designers
même, passe de mains en mains. Et rend compte
présents. Il est particulier de montrer à l’ouvrage
de cela, avec à chaque étape la projection des
les artisans dans le cadre même de leur future mise en vente. Cela fait apparaître l’auteur de
28
l’objet dans la situation qu’est la sienne lors d’une
sont rassemblés dans un lieu qui fait sens, et la
commande. Sa proposition sera validée par la
cérémonie se passe aux yeux de tous. Chacun
viabilité commerciale de l’objet produit. Mais ici
dans son rôle, la chorégraphie s’exécute sans
l’objet qui est réalisé est par définition déjà
accroc et même si les objets achevés ne sont pas
validé ; on assiste à son exécution technique. Le
tous aboutis. C’est l’événement qui les aura
spectacle de sa réalisation fait intrinsèquement
sacralisés. Dans tous les cas, pendant cet atelier
partie de sa valeur marchande, plus que son
de production performatif, l’objet était accessoire
aspect et son utilisation finale.
et la production décor, la pyrotechnie fut calibrée
Le circuit commercial des objets de design de
et le retour de flamme maîtrisé.
studio destiné aux galeries et aux showroom, est
____________
exhibé dans son aspect le plus tautologique. Il est question de déceler où se justifie la signature, à quelle étape voit-on l’empreinte du designer indéniablement se saisir de l’objet. Ici le format : designer en studio produisant une série limitée est célébrée. Les principaux protagonistes qui actent l’aspect design de l’objet en devenir sont présents au même instant. Sont ainsi mis en présence : le designer auteur et réalisateur de l’objet, les institutions commerciales (showroom et ses employés), la marque sponsorisant l’événement (Fendi) et les relayeurs validant en aval l’aspect design du projet (presse, weblogs commentant les étapes de réalisation). Le réseau de production est bien là, la matière première aussi, c’est une expérience en laboratoire sous cloche à laquelle on assiste. Le fonctionnement de cette production est efficace et il aboutit à une grande production d’images et de commentaires plus ou moins légitimes, ce qui est sûrement la visée non revendiquée la plus prégnante dans ce procédé. Ceux qui sont mis en avant lors de Craftpunk, se sont les acteurs, les auteurs de ces objets. Personnifier la signature de design est un enjeu central de l’installation. Mettre en scène son geste est au final un bon moyen d’y parvenir. On assiste à un adoubement en direct. Le designer est présent, les convives
29
F
aire montre d’un réseau de
d’autres de jouer des formats d’instructions
production est à la charge du
techniques destinés aux usines et ateliers, ou bien
designer qui lui, a une vue
encore de simplement poser une identité sur un
d’ensemble du projet. Quand cela ne se produit
collaborateur et de qualifier son rôle, sa place
pas, c’est que les designers n’ont pas de point de
dans l’ouvrage en réalisation.
vue global sur la production qu’ils créent, et cela disqualifient leurs projet. Néanmoins, identifier,
Ce qui s’esquisse dans tous les cas, c’est la
établir les connections et qualifier les relations
nécessité de voir un réseau de spécialités
entre les protagonistes et corps de professions mis
identifiées à nouveau et agencées à l’aune d’une
en présence, n’est pas toujours l’objet d’une mise
rythmique singulière. Celle du designer.
en perspective singulière. (29) La narration d’une
Qu’elle soit cosmétique ou effective radicalement.
production ne la requalifie pas systématiquement.
C'est-à-dire que cette écriture soit de l’ordre du
Elle peut se limiter à un simple commentaire
simple montage post-production, une ré-écriture
d’appréciation. Pour faire apparaître ces
personnelle des designers. Ou bien que cette
collaborateurs, le contexte d’émergence des
écriture ait des effets au cours de la production
projets, en somme le réseau de production, les
même, grâce à des modifications de documents
designers ici emploient un vocabulaire qu’ils
internes à la production (circulations
insèrent directement dans le projet. Ils l’insèrent
d’instructions, formats déplacés, communication
au niveau du récit de celui-ci. Le récit tient à un
entre techniciens reformulées …).
support particulier. Il s’agit de vidéos
Cette écriture singulière, cette narration interne
documentaires d’exposition, de photographies de
ou externe à la production fait apparaître les
performance, de la facture d’un livre, de bandes-
collaborations. C’est une épiphanie du réseau de
dessinées éditées. Ces formats de récits ne
production employé. (Selon le dictionnaire
s’inscrivent pas dans des exercices de styles pré-
LeRobert ou Littré, L’épiphanie « caractérise
formatés tels que le générique de fin où
l’apparition mystérieuse de ce qui est caché »).
s’égrènent sur le même plan les figurants et les
Les designers ici posent des lentilles sur le plan
techniciens, plus jeux de lumière sur tel spécialité
de production. Ces lentilles grossissent des étapes
dans tel rôle.
minimales, floutent des arrière-plans, isolent des
Cette écriture du réseau de production permet au
sujets.
designer de réagencer l’histoire de la production.
Par là même, pour chacun de ces designers, il
Il préfère alors certains aspects de la production,
s’agit de requalifier les étapes de productions, de
et les met en avant, tandis que d’autres sont
densifier telle ou telle région de son réseau,
éludés.
d’ouvrir certaines voies, d’en atrophier d’autres.
S’il s’agit pour les uns de faire jouer un clair-
Comme les designers de ces exemples semblent le
obscur sur la production (30). Pour les designers
constater, les modes de productions se
dont il est ici question, il est important d’amener
transforment en spécialités très techniques. Ces
un récit humain sur la production d’un objet
techniques requièrent des savoirs efficaces et
manufacturé. Il peut aussi être question pour
pointus dans certains cas (hautes technologies…),
30
des spécialités aux interfaces et connections
ces mêmes moyens, de planifier les
multimodales dans d’autres cas (communications
interdépendances au cœur de leurs projets.
sur le spectre Internet…), ou encore des spécialités au traitement de fond long et
Dans ce mouvement perpétuel au métronome
rigoureux nécessitant des infrastructures
déréglé(32), les designers dans ces exemples,
particulières (archivage vidéo, par exemple…).
s’orientent dans une direction pourtant
Plusieurs temporalités se superposent désormais,
particulière. Le métronome que constitue le
des interlocuteurs aux langages différents, des
système de production industriel d’objets se
démarches incompressibles, des systèmes plus ou
dérègle au rythme d’innovations techniques
moins autonomes, d’autres boucles fermées, des
rapides et non-planifiées. Ici les designers
formats caractéristiques, des discours spécialisés,
semblent convoiter une autonomie de la pratique
et le designer doit non seulement pouvoir
du design. Une autonomie qui rendrait les projets
naviguer, identifier chacun mais lui accorder une
moins dépendants d’un réseau de production.
place spécifique et adéquate dans son projet.
Elle est couvée pendant les mouvements émancipateurs des différentes révolutions
Dans le corpus de textes relatifs à ces nouvelles
culturelles et sociales, mais elle se retrouve ici aux
pratiques de design on voit émerger de nouvelles
prises avec d’inextricables interdépendances
conceptions de la production. Et on voit
techniques et formelles du réseau de production.
apparaître un vocabulaire spécifique à ces
Dans ce cadre, les designers se saisissent donc
transformations des réseauxs de productions.
d’un rôle et l’interprètent. Certains vont même
D’aucuns qualifieront cette construction tantôt
jusqu’à leur déceler un caractère spongieux. (33)
d’archipélagique, tantôt rhizomatique , portant
Ce qui est dit par là, c’est que ces pratiques de
des caractéristiques radicantes (31) ou plutôt
design cherchent à absorber des savoirs, à
sous forme de constellation, ce qui importe est
apprendre des codes formels pour pouvoir s’en
de voir que sa forme, que son fonctionnement
saisir pour dialoguer au sein de la production. Il
mutent. Trêve de qualificatifs alambiqués, il est
est question d’élaborer un dialogue, mais aussi de
pratiquement impossible dans son essence même.
maîtriser un discours. Certains accents seront
Ces fibrillations du réseau de production sont
éludés, certaines figures imposées.
difficiles à saisir, à capter d’un point de vue global.
Les degrés de compromis qui ont lieu dans la
Ce sont des mouvements intestinaux, techniques,
production sont à lire entre les lignes. Dans ces
temporaires, profondément caractérisé par leur
exemples, les designers les rendent traçables.
plasticité, leur spontanéité évolutive. (32)
Ils se rendent aussi présents dans ce réseau qui
Il semblerait que les designers dont nous suivons
apparaît. Et là se posent des nouvelles questions :
les projets doivent être réactifs et prêts à ces
Quel est le rôle de ce designer ci dans ce réseau
changements. Dotés d’une acuité qui leur permet
là ? Quelle est la place qu’il veut occuper ? Est-il
de ne plus seulement maîtriser leurs projets mais
aiguilleur, vecteur, contrôleur ? Sur quel principe
aussi d’anticiper l’organisation de celui-ci. Et par
actif agit-il dans son environnement, plutôt sur le
31
principe de la surface de contact, du catalyseur
avant-gardiste qu’il escamotera par erreur. La
(34) ou celui du métabloquant ?
pose n’est alors souvent pas loin de l’imposture.
Si Yona Friedman se voit qualifié d’utopiste, c’est
Mais avant tout, −puisqu’il s’agit d’exposer un
sans doute pour avoir commis des projets « Do It
réseau de collaborations−, mettre en exergue la
Yourself » pour les institutions. Car c’est le
valeur du travail d’un collaborateur peut être
principe fondateur de ses ouvrages, des objets
l’occasion heureuse de resituer la valeur de l’objet
solaires réels ou métaphoriques réalisables par
de design abouti.♦
n’importe qui. Et peut-être à ne pas proposer à n’importe qui. (35) La restitution narrative de ce réseau de production est donc issue d’une écriture. Cette écriture est le point de vue du designer. En amont ou en aval, selon les projets ici présents, les designers font donc des choix d’apparitions de tels ou tels collaborateurs, de telles ou telles méthodes de production, de tels ou tels institutions soutenant le projet. Ces choix sortent la production de sa base neutre. CraftPunk cherche à évoquer les espaces transparents des galeries artistiques en mettant en scène des designers dans un semblant de performance, l’environnement choisi détermine un peu plus l’objet final. Se jouer des zones faussement neutres, et apprécier la profondeur des eaux qu’il navigue. En effet, la narration sera un peu confuse. La structure qui porte le projet en gestation n’a pas des prises sûres. Mais la cosmétique appliquée au projet globalement masquera quelques imprefections çà et là. C’est ce qu’il peut arriver dans d’autres projets de design dont il n’est ici pas question. Dans les pires des cas, ces récits des réseaux de production cachent la servitude des uns, l’incompétence d’autres. Il peut aussi malheureusement s’agir d’évacuer des clés du projet, quand ce n’est pas l’innovation la plus
32
Service lifté
LES EXEGETES DU QUOTIDIEN ____________________________ AU-DELA DE L’UNILATERALITE DE CE QU’ON NOMME LE
MARTI GUIXE
DESIGN CRITIQUE, ON VOIT APPARAITRE UN DESIGN DE PROPOSITIONS. CELUI-CI S’ACTE DANS L’UTILISATION QUE
Les installations de Marti Guixé sont visibles dans une
VA IMAGINER L’USAGER. C’EST EN S’IMMISÇANT DANS LE QUOTIDIEN LE PLUS
exposition collective (Wouldn’t it be nice… Genève,
TRIVIAL QUE LA CRITIQUE FRAYE SON CHEMIN. LES
2008) qui croise pratiques d’art et de design(36). Avec
SITUATIONS SONT REELLES, ET L’USAGER EST SOLLICITE A CONTRE-PIED. POUR CELA LES DESIGNERS PRESENTES ICI
un vocabulaire propre aux vitrines illégales des « top
CHOISISSENT D’OUVRIR, DE RENDRE ACCESSIBLE, UNE
mantas » : le designer dispose au sol des nappes
ETAPE PRECISE DE LA PRODUCTION A CE NOUVEAU
repliables surlesquelles on trouve des collections d’objets,
COLLABORATEUR.
de projets réalisés de design qu’il a réalisés auparavant.
CES DESIGNERS PUISENT DANS UN FOND CRITIQUE POUR ECLATER DANS LES USAGES REELS. CES USAGES
Il affiche sur des posters dessinés simplement le procédé
ACQUIERENT GRACE A CETTE COLLABORATION SCENARISEE
de fabrication et d’exposition de ces vitrines « top
UN SENS PRESQUE MYSTIQUE. L’USAGER S’INSERT DANS LE PROCESSUS DE PRODUCTION VIA UNE NARRATION DANS
mantas ».
LAQUELLE IL ACCEPTE DE TENIR UN ROLE DEFINIT PAR LES
Les projets de design de Marti Guixé donnent un
DESIGNERS. UN ROLE ET DES USAGES REMYSTIFIES QU’IL VA
caractère faussement ludique aux objets qu’il met
NOUS S’AGIR ICI D’EXTRAIRE.
en scène.
DANS LE PROJET, LES DESIGNERS FONT UNE PROPOSITION A L’USAGER. CETTE PROPOSITION INITIALE COMPORTE UN
Les dispositifs de Top Mantas réutilisent des
EFFET. IL VA ORIENTER LA DEMARCHE DE L’USAGER,
couvertures destinées aux glaneurs qui s’activent
COLORER LA COLLABORATION ENTRE CELUI-CI ET LES
en marge des marchés de rues. Les couvertures
INITIES. CAR IL S’AGIT PRESQUE D’UNE INITIATION A DES
ont des ficelles qui relient chaque coin, de sorte
RITUELS, ECRITS ET RACONTES PAR LES DESIGNERS
qu’un geste adroit peut plier la couverture et
AUXQUELS NOUS ALLONS NOUS INTERESSER. LES LANGUES Y SONT INVENTEES, LES MODES DE LECTURES
former un sac, permettant de cacher son contenu
DISPOSES. CE QUI VA DONC NOUS INTERESSER EST DE
et de pouvoir se déplacer rapidement. Le langage
SAVOIR QUELLE NARRATION EST MISE EN PLACE PAR CES
formel est donc simple, et le designer le
DESIGNERS. QUE METTENT-ILS EN PLACE POUR INITIER
schématise encore plus dans les posters qu’il
L’USAGER A UNE RELECTURE D’EXEGETE DE GESTES DE
placarde aux murs. Avec ces dessins, il indique la
PRODUCTION CHOISIS. CETTE RELECTURE EST UNE
marche à suivre pour disposer de telles « vitrines ».
INTERPRETATION DE RITES ANODINS QUI FONT TRANSPARAITRE UN SENS CRITIQUE PROPRE A CHACUN DE
Le plan illustré par des dessins à main levée et
CES PROJETS.
vectoriel simple, est exposé au mur de
L’ACUITE CRITIQUE DES DESIGNER DISPUTE A L’HUMILITE
l’installation quand le dispositif est mis en
DU LANGAGE EMPLOYE, LA FORCE DES PROPOSITIONS. ET
situation réelle au sol. Les objets mis en scène
C’EST COMMUNICATIF.
sont des objets qu’il a déjà réalisés pour d’autres
33
projets. Il existe donc un renvoi dans le même
produit des objets qui ne sont peut-être pas le
espace de l’installation, la présence des objets et
fruit de l’innovation. Marti Guixé interroge cette
l’explication de son mode de production au mur.
récupération que pratiquent les designers. Il met
Ainsi, chacun peut voir un objet disposé sur une
en scène cette récupération pour ses projets. Les
vitrine et lire le statut qui lui est attribué sur le
objets qu’il a produits sont mis au même niveau
poster, une brève description qui indique un
que des objets de seconde zone. Comme s’ils
usage, une action, une organisation générale de
étaient issus d’une mode de production
l’installation etc. Ces objets sont des rouleaux de
frauduleux.
bandes adhésives, des impressions d’images, des
Mais d’un autre côté, il s’amuse de cette narration,
sculptures géométriques. Il s’agit de mettre en
la schématise dans une forme délibérément
scène un designer vendant son travail, ou du
simpliste. Le code visuel paraît inoffensif : les
moins l’exposant.
couleurs sont pastels, le dessin rappel des manuels pour enfant.
Le statut de la vitrine mise en place est trivial,
Et surtout, le dispositif est aussi soigneusement
n’importe qui peut s’en saisir et la réaliser. C’est
posé dans une galerie d’art contemporain, dans
d’ailleurs ce qu’il a fait car il fait très ouvertement
une exposition. Cela lui confère un statut
référence à ce marché gris qui n’est régit par
particulier. Le dispositif est rendu inoffensif une
aucune espèce de copyright. Il est d’ailleurs
fois de plus, légitime car exposé au sein d’une
souvent le support de vente d’objets reproduits
institution et, enfin, il s’agit d’une installation qui
illégalement, de faux (objets touristiques,
a presque valeur d’objet d’art en soi. Si le
cigarettes de contrefaçon, objets cosmétiques,
dispositif est démystifié, le geste du designer n’en
accessoires…). Le designer expose donc son
est pas moins symbolique.
travail avec ce dispositif qui donne a ses
Il s’agit certes d’indiquer la faisabilité du
réalisations un aspect clandestin avec les « top
dispositif, de lui conférer un statut plus commun.
mantas ». Il ajoute a cela le plan de réalisation de
Il est aussi moins risqué que le dispositif original
ce dispositif simple, comme pour exposer
investit dans les réels marchés gris.
tautologiquement le non-mystère de ces vitrines-
Le designer ne s’adresse pas au simple visiteur de
nappes.
l’espace d’exposition, il s’adresse au potentiel
Mais paradoxalement le designer expose ici son
consommateur de produits frauduleux. Il
travail, une production d’objets signés par lui. Et
interroge l’usager dans sa définition de cette
il s’agit d’une installation dans une exposition
illégalité. Qui confère à un objet un statut valide,
dont il est l’auteur. Le dispositif d’exposition
de l’ordre du « vrai » quand un autre objet
porte son nom. C’est un peu comme s’il cherchait
semblable est un « faux » ? Est-ce le détenteur du
aussi à signer ce dispositif illégal de revente/
copyright ? Et qu’arrive-t-il si celui-ci désigne
vitrine d’objets manufacturés.
son produit comme faux dès le départ ? Si Marti
Marti Guixé a ici un discours donc
Guixé indique comment il a réalisé la vitrine
singulièrement ambigu. Le travail du designer est
exposée au sol, il n’indique pourtant rien de la
questionné sur son caractère inauthentique. Il
production de ces objets.
34
C’est cette absence flagrante d’indication quant à
Ces photographies l’illustrent donc dans diverses
la propriété et le mode de fabrication des objets
positions fantaisistes ou non, dans la but de
ainsi exposé − la « validité » en somme −, qui
« s’assoir » et de lire dans une chaise qualifiée
interpelle le visiteur. Mais peut-être que le pari
d’emblée (dans le titre) d’inconfortable.
est déjà en train d’être gagné, car désormais le
Le cadrage est identique pour chaque cliché seule
visiteur enquête sur le statut de ce qu’il voit, dans
l’orientation de l’appareil peut varier pour
cette zone grise il s’interroge plus sur le produit
toujours le placer centralement dans l’image, et
plus que sur l’objet exposé.
ainsi ne pas hiérarchiser autrement l’image. Car chaque posture qu’il adopte, à défaut d’être vraisemblable, est probable. Il ne donne aucune indication quant à celle qui est meilleure à
BRUNO MUNARI
adopter ; ni n’établit-il de réelle progression dans l’ordre des images. Celui-ci est chaotique.
Il s’agit d’une planche de 12 clichés dont Munari et
De plus la qualité photographique est suffisante
un fauteuil sont les sujets, réalisée vers 1950. Ces
pour conférer à l’image un statut de document
clichés déclinent douze façons différentes de « s’assoir »,
sérieux et entièrement utilisable mais elle ne
de se saisir de l’objet fauteuil en tant qu’utilisateur.
pourra pas être considérée non plus comme
La collection de photographies déclinant une probable
photographie d’art et comme geste « pur ». En
performance de Bruno Munari commente l’usage
effet, l’image n’est pas construite absolument,
prescrit d’un fauteuil. Le ton est léger, les usages
comme le serait une mise en scène symbolique.
décomplexés, le designer s’amuse des prescriptions
Ajouté à cela l’aspect sériel de l’ensemble, il s’agit
quant aux usages des objets de design. Le designer se
bien plus d’un mode d’emploi, d’une application
donne un rôle d’usager expérimentateur dans cette
d’un protocole simple et lisible auquel fait
série photographique. Une série qui constitue la
référence le titre.
narration d’un projet qu’on pourra qualifier de
L’ensemble photographique est parfois utilisé
performatif.
comme diaporama (diapositives) mais est plus
Si Bruno Munari ne s’adresse pas directement à
généralement accessible dans le corpus
l’utilisateur de ses productions, c’est parce qu’il se
bibliographique du travail du designer. Cet
met en scène lui-même comme usager. La série
ensemble, il n’a pas de statut particulier hormis
de photographies noir et blanc figurent le
de projet de design à part entière. Le designer
designer proposant une position d’ « assise » pour
s’adresse donc à l’usager en tant qu’il en est un lui
un fauteuil manifestement issu d’une production
aussi au même titre que chacun d’entre nous. Du
de design. C’est une série de geste englobant ce
point de vue de modeste démiurge que peut
qui s’apparenterait à une performance. Du moins
adopter le designer, il se déplace vers celui qui
que nous allons interpréter en tant que
utilise, ou plutôt dans ce cas particulier, qui essaie
performance. Et c’est les documents
d’utiliser un objet. Se confronte alors la vision
photographiques que produit Bruno Munari qui
étriquée de celui qui a conçu l’objet et croit en
construisent l’interprétation de cette narration du projet de design.
35
avoir prévu l’usage, et la prolifération légère,
réaliser une production dans le cadre de ce
inadéquate que développe l’usager.
projet .Mais surtout qui permet à l’objet réalisé par
Cette expérience pourrait être un simple jeu
un usager anonyme d’apposer la signature du projet
formel autour d’un objet de design, s’il n’avait pas
de design de Tobias Rehberger sur l’objet produit. Un
le statut d’un projet de design. Car ce n’est pas
document de brevet de cette cheminée est disposé à côté
non plus une pose d’un designer qui montrerait sa
de l’objet, consultable par le visiteur. La narration ici
détermination à prendre en compte l’usager −ou
concerne le langage du certificat mis en place par
du moins sa détermination à le faire croire −.
l’auteur du projet qui permet à l’usager de ce saisir du
Ce récit photographique est du design. Il devient
projet et d’avoir un rôle dans ce processus de
le support d’une démonstration par l’absurde
production.
d’une part, et déplace l’aspect « design » de l’objet
De son côté, Tobias Rehberger investit un objet
vers son utilisation réelle et fantasmée.
reproductible directement et son dispositif de
Pour autant, l’objet de design désigné dans ces
monstration dans le cadre d’une exposition
photographies n’est pas déconstruit. Il n’est pas
collective (Wouldn’t it be nice… 2007, Genève).
remis en cause directement puisqu’il ne finit pas
Son projet repose essentiellement autour du
disparaître, il persiste au fur et à mesure des
brevet.
clichés. C’est son utilisation, trame du récit
Dans l’espace d’exposition de son projet figurent
photographique qui est le projet de design. Là où
l’objet produit, et avec, à disposition, un feuillet
Bruno Munari cristallise la singularité de son
de brevet. Cette feuille explique la démarche à
projet, c’est qu’il le fait reposer sur le caractère
suivre pour faire « reconnaître » l’objet que l’on a
subversif d’un jeu. La légèreté des moyens
produit, comme œuvre « Mof 94 ,7% ». Il n’est
employés devient levier de la liberté de ton
indiqué nulle part comment procéder et c’est ce
déployée. L’interprétation de ce projet reste donc
qui importe le moins. Tobias Rehberger réalise sa
ouverte : les images ne sont ni numérotées, ni
« cheminée » avec du bois, de l’aluminium, du
annotées. Chacun se sent libre et convié à
polystyrène expansé et un assemblage divers aux
imaginer les autres éléments qui continueraient la
couleurs peintes vives. Ce qui importe est de
série.
prouver son existence : la documenter par photographie (recommandations précises) et la restituer à l’auteur pour validation. Ici l’entreprise
TOBIAS REHBERGER
de design est bien non seulement de produire un La cheminée produite par l’artiste est composée de
objet (fonctionnel) mais surtout de valider son
divers matériaux courants, de récupération. Carton,
caractère design, du moins y apposer une
bois, feuille d’aluminium, peinture
signature d’auteur. L’aspect design veut aussi
acrylique…L’objet réalisé en 2007 est un prototype
s’exprimer dans l’aspect sériel du projet.
La production en série est elle amenée à être réalisée
Les indications ne visent pas pour l’auteur de
par quiconque veuille se saisir du projet. Le projet
s’approprier la production d’un tiers, mais bien
vise une reproduction qui fait entrer en jeu un brevet.
pour celui qui produit de voir son ouvrage
Un certificat accompagne l’objet, ce qui permet de
reconnut par un certain nombre de critères. Ici les
36
critères sont ouverts : il s’agit de « s’inspirer » du
On a affaire à un prototype qui s’acte dans un
travail original pour construire une cheminée −. Il
brevet.
insiste surtout sur la communication ascendante
Ce projet interroge le statut de l’objet qui est
de celui qui a produit vers l’auteur du
exposé qui est un dispositif d’œuvre artistique.
« prototype » en mesure de valider l’objet produit.
Car en tant qu’il n’est pas complet, et qu’il se
Ce qui est intéressant de noter dans cette œuvre,
réalise dans un processus de production à venir
c’est que cette communication est rendue triviale
(impliquant un tiers anonyme), il requalifie le
et très accessible : les coordonnées figurent
projet vers un projet de design. Le fait que le
clairement comme une clé du projet. L’auteur du
projet ne soit pas complet donne d’ailleurs aussi le
projet ne se cache pas, il est là en attente de
sentiment d’usurper un peu sa place d’ « œuvre ».
sollicitation. De plus aucune date ne figure mis à
Il n’est donc pas anodin que son titre soit exprimé
part celle de l’exemplaire de Tobias Rehberger, ce
en pourcentage. C’est une trace de la narration du
qui ouvre le projet d’avantage.
projet. C’est un objet en devenir et partiel qui est
Ce dont il s’agit ici, c’est que pour devenir un
exposé, un projet dont on interrogera peu
usager réel de l’objet, l’hypothétique usager doit
l’effectivité, mais plus le principe de
s’adresser à une instance supérieure. Cette
fonctionnement du point de vue de l’usager qui
instance ne valide pas l’usage, mais bien le statut
est un collaborateur en puissance.
de l’objet et sa propriété. C’est paradoxalement,
_______________________
une invitation à partager sa production personnelle avec l’auteur initial du projet et son public (puisque grâce à l’identification par sept chiffres, la photographie de l’objet sera exposée). L’usager potentiel qui est interpellé ici n’est pas n’importe qui, il s’agit du visiteur de l’exposition. Il a devant lui un objet qui a une caractéristique du projet de design : il n’est pas complet, il s’agit de faire état à un moment de la production de ce projet. Tobias Rehberger nous expose cette étape de production qui implique l’émergence d’un brevet. Il choisit de le raconter ce geste avec un dispositif d’exposition dans un contexte artistique. Pour ce dispositif qu’est Mof 94,7%, le projet est potentiellement réalisable et appelé à une production. La réalisation de ce projet de design est rendue possible grâce à ce document performatif. C’est un document qui est lié intrinsèquement à l’objet présent, qui le valide.
37
L
es exemples des productions de
Les documents qui font le récit de cette
design vus précédemment s’ouvrent
production à venir, impliquant l’usager, sont donc
à la lecture par des non
à collecter çà et là. Une des raisons pour laquelle
professionnels. Les étapes de la production de
ils sont disponibles uniquement sous cette forme
design sont rendues lisibles, accessibles à l’usager.
fragmentaire tient au statut transitoire du projet
Alors que d’ordinaire, il y a rarement un droit de
de design en train de se faire.
regard. (37)
Parce que les designers décident d’ouvrir des étapes de la production verrouillées par la
De l’inspiration des dispositifs de monstration, à
technique, le projet de design se manifeste sous
l’invitation à répéter l’objet de design, jusqu’à la
une forme précaire, fragile, inachevée par essence.
production et aussi le sens global du projet, c’est
Ce jeu du designer sur plusieurs échelles
bien l’usager qui est sollicité. Ces exemples
(production, diffusion etc.(38)) et ses niveaux de
questionnent l’individu qui se saisit de l’objet en
lecture est risqué.
amont de sa réalisation, de sa consommation, de
Le récit porte ces caractéristiques également, il
son utilisation. C’est autour de ces étapes de la
est morcelé, sur plusieurs supports simultanément.
production que le projet gravite. Le parti pris est
C’est parce qu’il doit exister pour différentes
d’évacuer la technique. Désormais on s’intéresse à
étapes −la conception, la production, la
celui autour duquel l’objet va graviter. C’est
diffusion…−, et donner une cohérence à
l’usager qui est interpellé et non le spécialiste.
l’ensemble qu’il prend ces différentes formes et
Les récits sont divers, ils empruntent un vocable
qu’il s’auto-cite. Par ailleurs pour faire intervenir
aux installations artistiques, aux modes d’emplois,
l’usager dans le projet il doit pouvoir lui donner
aux manuels, aux protocoles. C’est pourquoi il est
un aperçu global du projet. Le rôle de l’usager
assez souvent difficile de baliser le projet de
n’est pas celui d’un exécutant dans les exemples
design. Il est diffus car reposant sur divers
relevés − quand bien même il peut y être réduit
épitextes et péritextes du projet (renvois à des
sous couvert d’un aspect « ludique » par exemple−.
documents annexes, (27)) qui précisent la marche
(39) C’est cette perspective d’ensemble qui
à suivre.
permet à l’usager de s’en saisir et l’interpréter, de
Pour ces designers il s’agit plus qu’un geste à
s’en émanciper aussi. (40) Le caractère exo-
produire ou à reproduire. L’objet produit est ici
squelettique du projet doit donc pouvoir se
un prétexte d’emblée. C’est un prétexte à
manifester de façon lisible et libre à interpréter.
l’interprétation du contexte qui situe l’usager.
L’exosquelette se caractérise en effet par la
Pourquoi va-t-il être partie prenante dans ce
capacité d’un système à être tenu non pas par un
processus de production ? Pourquoi s’intéresse-t-
axe central ou centre de gravité, mais d’être tenu
il à cet usage ? Veut-il y injecter du sens dès sa
par un dispositif externe.
production ? En quoi ces usages singuliers
Le designer tisse une toile, qui se déploie sur
peuvent-ils aussi être support d’une narration
plusieurs aspects de la production. Une toile
dans une exposition artistique ?
collante pour y piéger un potentiel usager qui passerait par là, plus qu’il ne s’adresse à un usager
38
fantasmé et choisit après tamisages successifs. Les
Ce travail avec l’imaginaire n’est pas de l’ordre du
signes qui constituent le projet de design sont
fantasme élaboré. Il s’agit plutôt d’une technique
épars et visqueux ; ils ne tiennent pas très bien en
de distanciation, − comme celle de Brecht
forme, et leur consistance ne se saisit pas
employé pour le théâtre épique −tel que le décrit
aisément bien que les contours soient distincts.
Juliet Koss (42) − . Cette distanciation est activée
Cette externalité du projet se trouve dans des
par une rupture dans un récit, une mise à distance
documents épars. Un péritexte ou épitexte (27),
de récit pour être à nouveau projeté dans le réel.
des instructions disséminées dans une collections
Ce retour brutal et lancinant, rythme la
d’ouvrages reliés entre eux par des projets à l’état
construction de l’énonciation. La fonction qui se
gazeux. Il est alors parfois difficile d’accéder à la
trouvait au cœur de l’objet/ projet de design se
consistance intrinsèque du projet. En effet, la
déplace vers le regard de l’usager. C’est celui-ci
plupart du temps elle s’adresse à un public à jauge
qui la construit, qui lui ajoute une valeur. Un
réduite (lecteur d’une rare monographie,
aller-retour constant s’établit entre le fantasme du
exposition d’art contemporain, par exemple). On
projet et la réalisation. Parfois le designer incite
peut alors se demander si la lecture de ces
même à les superposer.
paratextes est nécessaire à la compréhension du
La performativité n’est donc pas très loin. (43)
projet. Pour certains c’est le cas pour d’autres les
(en tant qu’elle décrit la capacité d’un discours à
bribes de projets sont assez autonomes pour déjà
réaliser ce qu’il énonce en même temps, par
être évocatrices. A la suite, il peut être intéressant
exemple : « je promets que… »)
de noter quels sont les rapports entretenus entre
Ce qui résulte est une mise à distance de ces
le geste fondateur du projet − le déplacement, la
objets, une défamiliarisation (44) pourrait-on dire.
distinction d’un objet, un usage recontextualisé
L’objet nous apparaît dans un contexte nouveau
etc.− et ces bribes externes qui balisent le projet
ou bien, il est déplacé vers des usages imprévus. Il
de design. Parfois cela relève d’une annotation,
est étonnant de voir que parallèlement à cette
ou d’une référence, parfois il s’agit d’un rejet
défamiliarisation, s’opère une familiarisation de la
destiné ou non à faire une bouture. Le pari est
technique. Celle-ci est sortie de la production
une fois de plus risqué. Faire des liens vers des
sérielle et industrielle, pour être catapultée dans
contenus externes à un objet central demande un
notre cuisine entre l’égouttoir et les paquets de
collaborateur attentif et réactif. Mais c’est là aussi
pâtes. Les interfaces à l’utilisation de techniques
que se nouent de nouvelles relations de
de production simples (Guixé/ Friedman) sont
connivence, de confiance et de responsabilité
familières (dessin) et en facilitent l’efficacité
entre le designer et l’usager.
d’une production. Il s’agit d’une relecture engagée
C’est grâce à cette narration singulière qui
dans un processus de production. L’interprétation
interpelle l’usager, que le designer va pouvoir le
du projet se fait au cours de différentes étapes. A
mettre à contribution. (41) En travaillant avec
chacune de l’une d’entre elles, l’usager porte un
l’imaginaire, il va pouvoir y instiller une dose
regard et il est invité à s’engager. Il démultiplie
critique.
les propositions originales. Certaines étapes de la production sont ainsi déléguées.
39
La responsabilité du projet se partage un peu, le statut d’objet ouvert (45) s’esquisse. Ce qui importe surtout c’est de voir que cette démystification de l’objet technique est bientôt doublée par une remythification des usages. Cette remythification est caractérisée par la narration singulière de la production en cours. Ces usages qu’on a projetés, dont on a déjà écrit les récits fantasmés. Les utopies atténuées (36) de Marti Guixé et des autres designers épaississent le réel, sous les strates de fictions, et c’est dans la modestie employée qu’elles trouvent leur résistance.♦
40
ANTHONY DUNNE & FIONA RABY
Ligne de fond
STRATEGIES DE DIVERSION
Les objets mystérieux produits pour l’installation mise en place lors de la Biennale de st Etienne (2010) sont des prétextes à une production autonome
____________________________
et en circuit fermé. Ce sont des objets divers dont le contexte de production est narré dans des cartels, dans
LE DESIGN SE RACONTE ET ELABORE DES STRATAGEMES POUR APPARAITRE SELON DES CRITERES QU’IL CHOISIT.
des photographies, dans une vidéo et des textes «qu’on
QUAND IL N’EST PAS L’EXCEPTION A UN SYSTEME, UN ANTI-
pourrait qualifier de « manifestes ».Chacun de ces
EXEMPLE A UNE LOGIQUE PRODUCTIVE, UN PROJET DE DESIGN CRITIQUE DEVIENT SYSTEME LUI-MEME. CLOS ET
éléments qui supportent cette narration du contexte
AUTONOME, LE RECIT DE PRODUCTION TIRE AVEC LUI TOUT
de la production repose sur une dystopie inquiétante
L’ENSEMBLE QUI LE FAIT EXISTER. IL REPOSE SUR UNE
délibérément inscrite du côté de la fiction. Elle se
IDEOLOGIE, DES PRATIQUES RECONNUES, UN ENGAGEMENT,
manifeste sous forme de ces textes « frontons », de
ET DONC UN CORPUS DE REFERENCES (POLITIQUES,
témoignages d’usagers irréels transcrits sur cartels, de
CULTURELLES, TECHNIQUES…).
mises en scène travaillées et photographiées.
DANS LES EXEMPLES QUI VONT NOUS INTERESSER, LES DESIGNERS ELABORENT UNE NARRATION DE LA
L’installation est donc mise en place par le duo
PRODUCTION QUI EST TRES SPECIFIQUE. IL S’AGIT D’UNE
joue sur divers aspect du récit fictionnel de la
FICTION QUI EST AUSSI LE LIEU DE REALISATION DU PROJET.
dystopie. Des objets fantastiques et autonomes
LE RECIT NE VIENT PLUS PRECISER LE PROJET, IL EN EST
apparaissent exposés comme des fossiles d’un
RADICALEMENT LA SOURCE. AUSSI LA STRATEGIE DU PROJET
futur déraillé. Des tores laqués vert en acier polis
QUI EST CELLE DE LE RENDRE VIABLE (DE LE PRODUIRE) UNIQUEMENT DANS CETTE FICTION DEVIENT UN MOMENT
à cannes et hameçons, des casques en polymères
REFLEXIF SUR LE DESIGN COMME PRATIQUE.
fluo équipés d’antennes, des armes en bois de
EN LE POSITIONNANT SUR LE TERRAIN DE LA FICTION, CES
gros calibres terminés par de petits écrans LED,
DESIGNERS VONT DISPERSER LE PROJET. UNE DISPERSION
des bras articulés équipés de souffleurs/
DES SUPPORTS DU PROJET RACONTANT UNE PRODUCTION
aspirateurs démesurés. Leurs formes font écho à
SINGULIERE. IL VA S’AGIR D’UNE PRODUCTION AUX
des instruments de communication, ou de
CONDITIONS IRREELLES. LA MISE EN SCENE ELLE-MEME DEVIENT L’OUTIL DE
captation, intrusifs, à une époque où l’humain
PRODUCTION DE DESIGN. C’EST DANS CE DECORUM
semble vouloir protéger son intégrité physique et
SIGNIFIANT QUE LE PROJET FAIT SENS, QUITTE A EN DEVENIR
identitaire.
ABSOLUMENT DEPENDANT.
Ces objets peuvent aussi être reproduits pour
ENFIN, NOUS VERRONS QUE CETTE STRATEGIE DE LA FICTION
créer des communautés d’usages. Ils sont donc
INTRODUIT UNE VALEUR MYSTIFIANTE DES CONDITIONS DE PRODUCTIONS FICTIONNELLES DES PROJETS. UNE VALEUR
exposés de façon à acquérir un statut hybride
INDEXEE DANS LES OBJETS PRODUITS DE CES PROJETS.
entre le fossile donc, et le trophée. Un cartel les accompagne −récit péritexte−, ou plutôt témoigne de façon racontée de leur impact dans une fable du réel, menaçante et ubiquitaire. Sur des châssis de près d’un mètre de haut, debout, délimitant des zones, des photographies mettent en scène
41
ces objets en situation d’usage « manifeste ». Mais
langage formel déplacé vers une eschatologie
rien ne moins évident pourtant que ces formes
scientiste. Les derniers retranchements d’un
non communes, ce que langage de postures
individu autonome et maître de son intégrité ont
quasi-militaires, que ces paysages ni urbain ni
été dépassés et c’est une communauté précaire qui
ruraux.
semble s’agréger autour de mythes
Un peu plus loin dans l’espace, une vidéo est
technologiques et animistes.
projetée. Il s’agit d’une visualisation 3d, pareille
Le design et son récit sont ici intrinsèquement
formellement à ce que pourrait être un projet
liés. C’est la fable escha-technologique qui
quelconque de réalisation urbaine aujourd’hui, où
construit ces objets qui paraissent donc clos et
l’échelle est paradoxalement absente. Subsiste
inutiles dans le contexte usuel de notre quotidien.
alors des figures humanoïdes équipées d’objets en
Les techniques employées quant à elles cherchent
usage. Pêche ? Captation électro-acoustique ?
à ressembler à celles qui ont fondé l’humanité
Connexion à un réseau social et minéral ?
culturelle. La fonte du métal, l’assemblage du
Mystère.
bois… Ces objets, ces instruments comme
On trouve aussi disposés légèrement au sol, des
prolongation du geste naturel se sont vus greffés
lettres en polystyrène découpés au laser dans une
des terminaux luminescents pour les uns, des
calligraphie digne d’une édition de graphisme
terminaux extra-sensoriels pour d’autres relevant
humble et référencée, un texte. Un texte qui a
d’une technologie courante mais pointue.
valeur d’un « fronton » à l’installation. Ce texte
L’engagement politique (46) n’est pas une
est une sorte de manifeste binaire. Le texte
évidence, mais le positionnement du récit n’est
convoque, déplore, décrit, intime, lie, suggère
pas neutre. Il s’agit d’un sentiment diffus, relatif à
plus qu’il ne proclame de lois. Le système qui
des us, des comportements(47). Pour appuyer le
régit l’ensemble de l’installation est pourtant régit
caractère fictionnel de cette dystopie et rendre
de lois tacites qui sont explorées grâce aux objets
cette atmosphère, les designers ont choisit de
présents. (De plus, on trouve dans le même
réaliser ce récit du côté de l’installation plastique.
procédé technique de découpe du polystyrène au
L’installation devient le support d’explications
laser, des lettres disposées au sol un peu plus
semi-techniques semi-poétiques, qui créé une
loin : c’est un générique de l’équipe qui s’est saisie
mythologie post-urbaine à ce récit.(48)
du projet. Il s’agit des élèves, des studios, le duo
C’est exclusivement cette narration qui justifie la
Dunne & Raby, des scientifiques impliqués dans
production des objets impliqués dans cette
le projet).
installation. En effet, c’est dans ce récit qu’ils
Même si le lieu n’est pas précisé, l’époque non
existent, qu’ils ont un effet et nulle part ailleurs.
plus, ses règles non plus, on comprend néanmoins les enjeux fondamentaux qui sont explorés ici. Il s’agit de la mise en scène d’usages connectant l’humain à un milieu naturel retrouvé, sous des aspects para-médicalisés. Les scènes sont étranges, elles inquiètent par la familiarité du
42
STUDIO GLITHERO
comme des objets mécaniques productifs cachés mais partie d’un système de production à montrer.
La machine créée par le studio est mise en scène, elle
La raison qui est invoquée ici est que ce ballet
exécute une production d’objets usuels, sous l’œil du
mécanique doit apporter un sens, un statut au
visiteur d’une galerie. Elle est exposée dans la galerie
produit. Au final, cette « performance » de la
de recherche en design Z33 (Belgique, 2008). C’est
machine est célébrée non seulement dans le
une machine qui produit des bougies.
paratexte de cette installation mais aussi dans la
L’installation « Panta Rei » du studio Glithero
valeur symbolique accordée à l’objet produit. Par
fait apparaître un bras articulé à la rotation
ailleurs ce paratexte vient appuyer cette narration
continue. Des fils relient ce bras à des bidons de
de la production, et de la machine productive en
paraffine maintenue à l’état liquide grâce à des
présence. Il s’agit d’un récit externe au dispositif
sondes thermiques. La production se constitue au
de la machine Panta Rei : c’est un manifeste du
fur et à mesure des passages. Par couches
studio Glithero (Miracle Machine, 2007).
successives de cire refroidissant à l’air, des
Le studio s’efface au profit de cette performance
bougies de facture simple se forment.
de la machine autonome dont il est simplement
Contrairement à toute attente elles sont
l’instigateur. Ce n’est pas le triomphe de la
irrégulières, non calibrées alors qu’elles sont
machine mais plutôt l’acquisition pour elle d’un
issues de ce processus purement mécanique. En
statut égal à n’importe quel personnage et acteur.
voyant le travail achevé, on ne saurait dire si elles
Ce statut d’ « égal » à l’humain −fictionnel ?− en
étaient faites main ou par un robot. L’installation
matière de production trouve sa source dans la
est silencieuse et le processus de production a lieu
performativité de la tâche accomplie, la valorise et
pendant la durée de l’exposition, rythmée par le
la singularise. Le studio prend ses distances quant
passage des visiteurs qui assistent sans pouvoir
à la production fordienne sérielle et machiniste
intervenir dans la production. La facture du robot
en réutilisant ses principaux ressorts. C’est une
est élégante et simple, c’est un mécanisme filaire
forme quelque peu dogmatique qui est support de
qui repose sur un mouvement de balancier et de
l’énoncé mais elle construit une sorte de code de
rotation. L’efficacité tient aussi à l’occupation de
conduite vis à vis des machines employées et de
l’espace qu’il occupe, il se « connecte » par
leur présence à l’usager − qui est aussi spectateur−.
intermittence à une matière première −la
Une forme de déontologie même énoncée sous
glycérine− tenue au point de fusion. Les filins
une forme éphémère et limitée comme
descendent au niveau du sol graduellement
l’installation plastique, en regard des autres
exécutant une chorégraphie légère et régulière.
designers et surtout des usagers apparaît.
Associé à cette installation où le geste répétitif robotique n’est plus totalement prévisible même
RYAN GANDER
si clairement régulé, le studio se réfère à un manifeste (épitextes) dont la lecture est par
Le livre dont il est question compile sous la forme de
ailleurs accessoire. Ce texte met en scène un futur
scripts de cinéma divers projets et réalisations (de
proche où les machines ne sont plus à considérer
design, de films…).Il s’agit d’Appendix Appendix,
43
édité en 2003. Cet ouvrage est considéré comme une
Il s’agissait de faire reproduire du mobilier à
monographie de l’artiste. C’est le concept éditorial qui
petite échelle par des enfants. Le scénario suit les
va nous intéresser : c’est un projet de design éditorial
pérégrinations du projet, de sa conception, à sa
à part entière. De plus pour cet exemple nous allons
fabrication filmée, puis à sa monstration en
extraire le passage sur le projet Rietveld
galeries notamment. Le process de production
Reconstruction qui est lui-même le récit d’une
entier figure dans ce récit sous la forme recousue
production de meubles. Ryan Gander raconte un
et surpiquée du scénario. Les inserts d’images
processus de production (Rietveld Reconstruction) qui
ponctuent une logorrhée qui défile mettant en
est le prétexte à une fiction dont il l’auteur (script
lien le personnage du narrateur −qui est l’auteur
TV d’Appendic Appendix).
du projet− avec ces indices sur la production
L’ouvrage Appendix Appendix et l’installation
réelle.
qu’il a réalisé mettant en scène la vie d’atelier,
Il est intéressant de noter que si l’aspect et
font partie du large éventail de formes au sein
l’énonciation sous cette forme qui recontextualise
duquel il navigue. De l’intervention plastique, à
artificiellement le projet est morcelée, elle reste
l’édition en passant par la photographie ou la
ludique. Ce qui vient répondre au projet lui-
réalisation d’objets l’intention est la même : celle
même car le travail de production n’est forcément
de mettre en abîme le travail de conception et de
ludique. Pourquoi donc cherche-t-il absolument
production. Il devient alors important et
à attirer l’attention sur cet aspect « ludique » en
primordial pour lui de situer les objets générés
particulier en déployant ces différents moyens
dans un contexte qu’il s’approprie avec une genèse
(l’aspect scénaristique de l’énoncé du projet, la
qui autonomise le projet.
mise en scène photographique d’enfants, des
L’ouvrage Appendix Appendix se présente donc
souvenirs d’enfance du narrateur…) ?
sous la forme très précise de scripts, de scénarios
La réponse est peut-être à trouver du côté de
en tous points semblables à ceux que l’on pourrait
l’éthique de la production à échelle industrielle,
rencontrés dans l’industrie cinématographique.
ou plutôt de ses lacunes voire abus. Car évoquer
C’est ce support particulier qu’a choisit Ryan
le travail d’enfants n’est pas sans évoquer des
Gander pour présenter, mais aussi donner les clés
dérives de certaines productions industrielles.
de production de ses différents projets. Pour
Ici le récit n’est pas anodin, il est léger et
l’extrait choisit, il nous indique la façon précise
s’épanche parfois dans des anecdotes racontées
dont a été réalisé les objets dont il est question.
par l’auteur.
Parce que ce processus de production fut une
Ce qu’il transparaît est une sensibilité projeté par
mise en scène documentée par vidéo et
Ryan Gander sur le narrateur. Le narrateur de ces
photographie, il décide de trouver le ton du
scripts nous raconte ce projet de Rietveld
scénario pour hiérarchiser les plans. Et ainsi, il
Reconstruction sur le ton de la banalité la plus
hiérarchise les étapes de la production. Décider
routinière nous confronte à ses choix d’auteur de
de ce qui devient arrière-plan, les encarts de
projet. Les références au monde de la production
paroles qui vont compter etc. L’objet dont il est
de design sont récurrentes et dans ce scénario, et
question est le projet Rietveld Reconstruction.
Rietveld apparaît plus comme un accessoire que
44
comme un arrière-plan historique sur lequel se fonde le projet. Ryan Gander joue avec l’historiographie classique pour situer son geste et construire un projet. Il ne révise pas pour autant l’héritage culturel, il lui donne un autre statut, une autre échelle. Ici c’est le jouet. Le personnage construit dans le scénario donne corps au projet qui s’échafaude, il lui donne une dimension sensible avec ce point de vue déplacé du côté personnel −aussi fictionnel ou non soitil−. Le projet tente manifestement de répondre à une problématique qui n’est ni posée par l’industrie, ni par la technique, ni par des besoins de consommation, ni par volonté politique, ni par défi, ou orgueil. Le narrateur cherche son sens entre les lignes du scénario qu’il élabore. C’est en prenant le recul nécessaire à cette lecture qu’on verra transparaître au final tous ces questionnements imbriqués et ces prétextes à la relecture de la production. _____________________
45
C
es designers et auteurs ont une
il prend ses distances avec la réalité de la
démarche qui appelle une pratique
production. La comparaison, entre les schémas
autonome du projet. Ils travaillent à
de production industrielle et les schémas de
créer un environnement artificiel dans lequel
production fictionnels ici créés, tient donc un rôle
apparaissent des besoins, des pratiques qui
important dans la narration de ces projets.
n’auraient peut-être pas pu exister autrement.(49) Il s’agit dans ces cas là d’une fiction. Ils s’activent
C’est donc paradoxalement que cette apparente
donc à créer les conditions d’apparition de leur
autonomie du projet se voit systématiquement
projet, générant leur propre historiographie. Ces
ramener à cette comparaison entre ces schémas
conditions d’apparition du projet sont
de production. L’une standardisée, opérant
fictionnelles. De ce fait, nous pouvons
couramment et largement diffusés. L’autre une
interpréter ces projets comme la volonté pour ces
production aux méthodes décalées, aux discours
designers de générer leur historiographie. Une
mis en scène.(50) Ces projets particuliers se
historiographie particulière, puisqu’elle est close.
proclament « autonomes », ou du moins
En effet, l’usager ici peut difficilement se saisir du
autonormés. Même s’il s’agit de la remettre en
projet, il devient spectateur. Cette fiction devient
cause. C’est une des critiques que mettent en
aussi un lieu proclamé d’élaboration de fantasmes
scène ces projets. Ces projets ne fonctionnent
pour l’usager. Elle devient une occasion
donc pas dans le vide, ils ne surgissent pas non
d’interprétation de conditions de production
plus ex nihilo.
irréelles. L’histoire des objets, de leur production, de leurs Ce qui frappe est la propension qu’à l’autonomie
usages, leur généalogie, la mémoire collective qui
du projet à faire écho aux schémas classiques de
en résulte est mise non seulement à contribution,
production industrielle. Ces schémas de
mais est aussi détourné de son usage
production sont des référents de la production du
principalement didactique.
design. Et ici, les designers que nous étudions
Les stratégies pour viser ce détournement de nos
inscrivent leur projet dans une production
acquis en tant qu’usager, que spectateur, sont ici
inventée par eux. Mieux, il s’agit d’une
multiples. Ils revêtent tantôt des aspects de réelle
production fictionnelle, dont le contexte est
production (studio Glithero) avec les machines
élaboré par les designers grâce à leurs divers
productives. Ils peuvent aussi manifester des
procédés narratifs. Les projets reposent ici sur
aspects plus métaphoriques (Dunne et Raby) avec
une historiographie réécrite par les designers. Ces
une atmosphère escha-technologique. Les projets
projets sont entièrement dépendants de cette
sont difficiles à étiqueter. On évacue ce problème
fiction ; c’est grâce à celle-ci qu’ils sont viables.
en parlant d’installations plastiques.
Plus ces projets s’émancipent des schémas de productions référents et réels (comme la
Les designers construisent d’abord le réseau de
production industrielle de masse), plus le récit est
références auxquelles ils vont faire appel. Il peut
rendu artificiel. Ainsi plus le projet est écrit, plus
s’agir de références historiques quant à la
46
production d’objets pour les machines du studio
Ces designers montrent un projet qui vit tout seul,
Glithero par exemple. Mais ce réseau de
dans un univers artificiel.En effet, les designers
référence peut aussi tirer à lui d’autres domaines :
ont construit un contexte fictionnel qui fait
il peut s’agir aussi de références littéraires,
émerger le projet, les conditions de productions
cinématographiques, scientifiques −le scénario, la
qui y correspondent et qui le réalise. Le projet
prose d’anticipation propre à la SF−. Enfin c’est
tourne en boucle, il est enfermé dans cette
l’aspect du dispositif de diffusion du projet qui est
dimension narrative.
soumis à certains codes diffusion du projet −
La narration qui est impliquée ici rend possible
installation, édition …−.
cette impression hermétique. Le projet
Le projet balise son territoire pour y élaborer sa
fonctionne de cette manière pour pouvoir être
fiction, son récit. Ce sont des ancrages dans des
saisit en tant qu’entité autonome. En tant que
références qui vont permettre un détournement
spectateur, nous ne pouvons nous saisir
de la par de ces designers dans leur projet. Par
directement du projet. Seulement de la narration
exemple, il va s’agir pour le studio Glithero de
qui le porte. Cette distanciation forcée est ce qui
détourner l’imagerie machiniste du progrès pour
nous amène à questionner la viabilité du projet
faire apparaître une dimension inefficace, −du
dans le contexte, dans l’environnement réel qu’est
moins une irrégularité des produits−. Ces
le nôtre. Nous allons nous baser sur des normes
designers commentent les systèmes de
établies, et questionner l’incompatibilité de ces
productions industriels ordinaires et standardisés.
projets avec notre environnement réel.
De son côté l’appropriation d’un dispositif de monstration relève d’une critique de
Mais que fait apparaître cette mise en scène du
l’institutionnalisation de la pratique de
designer ? Comment se montre-t-il dans cette
l’exposition (51) au sein du milieu du design.
fiction ? Est-ce un auteur qui fait figure de
Cette critique précise son terrain car il est
démiurge d’une fable qui fait percuter
question d’un vocabulaire accaparé par la pratique
l’herméneutique contre hermétique ? (52)
exclusivement artistique. Les designers
Le rôle du designer est-il ici omnipotent puisqu’il
questionnent la diffusion de leur production de
créé le projet et les conditions de réalisation de ce
design. Ils questionnent aussi la modalité de
projet ?
diffusion de projets.
Est-ce aussi une stratégie de posture, voire de
La diffusion du projet devient donc l’enjeu
pose ?
essentiel, et surtout son levier le plus fort. Il s’agit
Ce qui infirme cette impression est l’absence ou
pour ces exemples, de trouver une narration du
plutôt la disparition de l’auteur du projet.
projet qui fait état d’un projet fictionnel résolu.
Dans les exemples cités les designers
Le projet est clos. On ne peut rien y ajouter, ni en
n’apparaissent que subrepticement dans le
tant qu’usager, ni en tant que collaborateur. On
générique de fin. Ou bien, quand il est mis en
se trouve en posture de spectateur.
scène dans le projet de Ryan Gander, il est tellement présent et raconté qu’il devient un
47
personnage dont la réalité n’importe plus. Au
Le contrôle de la production pour ces designers
final ce qui est mis en exergue c’est le
s’effectue donc de façon dispersée. Il part plutôt
déplacement du designer/auteur, de la place qui
des extrémités de la production plutôt que
lui assignée, son geste.
partant de son centre névralgique. C’est la
Il ne faut pas se laisser duper par les apparences,
stratégie de la dispersion des informations (50).
le projet n’est pas ici un prétexte à une auto-
La narration vise donc ici une simple diversion.
représentation du designer. La narration
Le temps qu’on comprenne les conditions de
fictionnelle des projets, vise ici à mettre en scène
production fictives de ces projets, on ne
un geste de production impossible en temps
s’interroge pas vraiment sur la réalisation
normal, irréalisable dans les conditions actuelles.
technique de ces objets.
La préciosité de ce geste, va de pair avec les
Cela donne une étrange consistance aux
connotations sociales, économiques, politiques,
designers : ils deviennent dans ce cas, les seuls à
culturelles que ces designers attribuent à chacun
pouvoir créer l’offre et la commande. Point de
de leurs projets.
contrôle qualité, l’environnement du projet est fabriqué sur mesure du projet. Ces designers interrogent donc aussi cet accès à l’information technique de production. Car en
Ce qu’on voit apparaître aussi dans ces exemples
somme, ce dispositif narratif raconte ici tout sauf
c’est la dispersion de ce récit fictionnel. Ces
le processus de production des projets de design.
narrations se répandent sur de nombreux
Qu’est-ce que cela nous dis de l’accès à
supports (photographies, livres, vidéos…).
l’information des techniques de productions des
Cela passe par tout l’arsenal narratif qui met en
designers ?
scène chaque production. Après avoir effectué
Bien des projets de design reposent sur cet accès à
une distribution des rôles des collaborateurs
l’information concrète. On assiste à la diffusion
fictifs (53), planté le décor, convoqué des
de mode d’emploi et de manuels d’instructions
références, cette stratégie mise en place, ces
diverses. Cette pratique interpelle malgré tout
designers mettent en place une stratégie de la
deux sortes d’appropriation du projet. Le projet
dispersion des documents supports de la
peut être réinterprété possiblement par un
narration du projet(50).
quidam réceptif, mais il peut être aussi récupéré
Il s’agit d’un contrôle de l’image émise du projet,
par l’industrie elle-même, les systèmes de
mais plus encore, il s’agit d’un pur et simple accès
production que le designer s’est appliqué à évité.
à l’information réelle de la production. On
Au mépris de tout droit d’auteur. C’est sous
remarque que dans ces projets, aucune donnée,
couvert de cette « accessibilité » de l’information,
aucune cote, rien qui ne vise la reproduction des
maintenant en vogue, que les systèmes de
objets produits. Le projet existe dans ce récit, il
production traditionnels qui ont encore la main
n’est pas utile, cela ne fait même pas sens de
mise sur le monde des objets, prennent l’avantage.
vouloir le reproduire ici, ou autre part.
Est-il alors judicieux de créer des projets exempts
48
de toute opacité, qui tomberaient nus, dans le
l’interprétation, ce qui n’est pas le cas des
domaine public ? Des projets libres de droits
exemples vus.
d’auteurs et de brevets ? Quelles récupérations seraient envisagées alors ? Que penser des projets
La création des règles du jeu, de lois internes du
dits « open-source » par exemple ?
projet fait toujours transparaître un enjeu cher au
Rarement c’est un potlatch empreint d’une
designer. Dans ces exemples, il s’agit de la
générosité ingénue. Quand bien même le
production d’objets à l’échelle intime, de la
copyright s’efface, la signature du designer elle
machinisation de la production, d’un
subsiste.
environnement d’usages fantasmés. Les récits vus
Le droit d’auteur qui était une interrogation
sont le support de ces règles. C’est dans ces
psalmodiée, devient un enjeu fort pour la pratique
fictions que ces lois sont valides. Ainsi ils
du design.
décident dès le départ que leur projet est irréalisable dans les conditions qui portent leurs projets de design habituel. Ils ne s’illusionnent pas, et c’est bien sur un ton pertinemment décalé
A l’instar des utopies de design des décennies
qu’ils révèlent l’obsolescence flagrante d’un projet
précédentes (Superstudio, Archigram,
pas encore éprouvé. Enfin, parfois, quand ces
Archizoom, ou bien les grands projets de
règles sont édictées envers le milieu collaboratif
l’époque moderne…) qui prolongeaient les
du design, on voit même s’esquisser une forme de
révolutions progressistes sociales et politiques, on
déontologie.
voit apparaître des fictions modestes qui
Ni sérieuse, ni vaine.
racontent des enjeux à petite échelle.
Ou mi-sérieuse, mi-vaine. ♦
Ces projets sont le support de dystopies ordinaires et silencieuses, porteuses d’une inquiétude sans contraste. Ce qui est intéressant de noter ici, c’est que ces designers font apparaître des systèmes globalisants dont dépendent leurs projets de design. Seulement ils sont fictionnels et manifestent une incompatibilité avec le réel. Cette perspective particulière est empreinte d’une vision globale du projet. Ces designers ont un rapport ambigu avec l’héritage de ces utopies passées et avec la pratique du Gesamtkunstwerk(54). Cette pratique vise un art total ou totalisant. Elle envisage le projet de façon globalisante laissant nulle place à
49
50
le site Youtube. Bien que le film de la
Hors-jeu
performance fasse partie intégrante de son
L’OPTION DE L’INFAMIE
working with Gio Ponti, qu’il la documente aussi de photographie du même plan fixe, celle-ci acquiert un statut particulier au regard des autres objets produits dans ce projet. C’est bien un récit
___________________________
de production filmé. Il ne s’agit pas d’une performance productive accessoire, mais bien
UNE QUESTION SE VOIT POSEE EN DERNIERE PARTIE DE L’ETUDE : IL S’AGIT DE L’ARCHIVAGE. COMMENT S’OPERET-IL
d’un récit de production sous forme de la
? QUELLE POSITION ADOPTENT LES DESIGNERS ? ET
QU’EST-CE QU’ELLE PEUT SIGNIFIER
performance.
? TOUS LES RECITS DE
PRODUCTION ETUDIES INDIQUENT LES DIFFERENTES
Par ailleurs, les objets produits qui ont statut
INCLINATIONS DES UNS ET DES AUTRES. A L’EXERCICE DE
d’accessoire dans la vidéo, deviennent des
FUTUROLOGIE ON SOUSTRAIT LE DEVENIR DES CES OBJETS
meubles fonctionnels, tout à fait utilisables et
POUR ENQUETER SUR L’ARCHEOLOGIE QU’ILS
d’ailleurs présentés plus tard comme tel.
IMPLIQUERAIENT. COMMENT CES NARRATIONS DE
La chronologie d’apparition du projet dans ce cas
PRODUCTION SI PARTICULIERES PEUVENT CONSTITUER UNE ARCHIVE
présent est quant à elle particulière. En effet, ce
? PEUT-ELLE ETRE ENVISAGEE COMME L’ARCHIVE
DE PRATIQUES ET DONC UNE EBAUCHE
qui apparaît d’abord quand on s’informe du projet
D’HISTORIOGRAPHIE
de design, c’est la performance. On peut lire des
?
épitextes sur cette performance, puis sur la vidéo enfin, la vidéo est tout à fait accessible. Les objets
MARTINO GAMPER
apparaissent ensuite, comme si l’on assistait, une Le designer réalise une performance filmée au cours de
seconde fois à cette réalisation. Si Martino
laquelle il déconstruit et réassemble du mobilier signé.
Gamper pose les conditions de l’archivage de son travail et de sa méthode de production, il met
Cette vidéo est accessible librement sur internet.
aussi en abyme l’utilisation qu’il peut faire de
La performance réalisée par le designer If Gio
l’archive de design. Ici l’archive en question est
only knew, fut mise en scène lors d’une foire
l’objet lui-même. Point de documents de la
d’exposition d’objet de design, à Bâle.
production de ces meubles par Gio Ponti, on
Documentée par une vidéo en plan large et fixe,
peut simplement lire en péritexte à la vidéo, que
le ‘plateau’ ou ‘studio’ se constitue d’un espace
ces meubles furent conçus pour un hôtel
neutre d’exposition. On peut voir, mis en
particulier, à la suite d’une commande. Le
situation, des meubles designés quelques
designer ici reformule un propos, constitue des
décennies auparavant par Gio Ponti. Entamant
objets à partir d’un vocabulaire qui existe avant lui.
sa performance, le designer inscrit au mur le titre
Il s’accommode de cet héritage pour le remettre
de cette performance. Au cours des heures qui
en mouvement, en circulation. Il ne détruit pas
suivent (en accéléré sur le montage vidéo), il
un héritage d’objets, ni de références.
décompose, coupe, colle, et réassemble les pièces
Contrairement aux gestes des mouvements
pour donner forme à de nouveaux meubles. La
radicaux qui cherchaient à annihiler un héritage
vidéo quant à elle est disponible sur Internet via
51
historique pour faire table rase, ici le designer
place par les designers (vente par internet
redonne à ces objets un statut de simples meubles,
principalement, abonnements). La dispersion a
de matière agencée d’une certaine manière. Il les
donc lieu dans le cadre de production même, puis
débarrasse de toute référence historique et
revient à la forme choisie par les designers pour
déplace la référence vers le contexte de son geste.
diffuser leur travail. Le récit de production ici a
La signature dont ces objets portaient l’empreinte
donc pris la forme d’une installation, d’une
n’est plus qu’un cadre vide. De cette manière, les
performance aussi. Elle est pas documentée par
objets présents sont reconsidérés, débarrassés
une vidéo, mais surtout par quelques
d’un aspect symbolique porteur d’un fragment
photographies, elle-même reproduites dans la
d’histoire. Reste le bois, le formica, les couleurs
revue (sur la couverture). L’objet est contextualisé,
donnera un écho particulier à l’objet renouvelé,
il indique subtilement les conditions de sa
grâce au titre de la série. Martino Gamper ne
réalisation. Mais cet avant tout en se procurant
détruit pas Gio Ponti, il le fait muter, s’adapter
l’objet sur place que l’on se rend compte de cet
au contexte qu’il a choisi, pour lui rien ne se perd,
aspect performatif. Il s’agit donc ici de montrer le
rien ne se créé, tout se transforme selon la
processus de production en accédant directement
formule consacrée.
à l’atelier. En allant dans l’espace d’exposition. Là on y trouvera l’espace qui fut le support de cette performance, on y comprendra les enjeux
DEXTER SINISTER
techniques de la réalisation de l’objet. On pourra apprécier la transportabilité de l’atelier, qui n’est
L’édition d’un numéro d’une revue fut réalisée dans le
pas aisée mais réalisable. Parce que Dexter
cadre d’une exposition.
Sinister comprend son atelier de rédaction et de
La réalisation de la revue Dot Dot Dot pour le
conception éditoriale (basé à New York City)
numéro 15 de la fin d’année 2007, fut opérée
comme un lieu aussi de diffusion de ses
dans l’espace et le temps de l’exposition Wouldn’t
productions, on comprend pourquoi il fut choisi
it be nice située à Genève. A cette occasion, le
de distribuer l’objet sur place uniquement. Ce qui
studio de Dexter Sinister (stuart Bailey and Peter
transparaît d’une part, est la volonté d’inscrire la
Bilak) prit donc ses quartiers dans le centre
production quelque part, et que la diffusion y soit
d’exposition. Salle de rédaction, table de réunion,
intimement liée. D’autre part on perçoit aussi
et aussi la production éditoriale : les
largement la volonté de faire exister le geste de
photocopieuses et imprimantes nécessaires à la
production aussi modeste et quotidien soit-il
confection des trois mille exemplaires de la revue.
(utilisation notamment d’un appareil
L’élaboration de la revue dépassait même le cadre
photocopieur RisoV8000). La documentation de
de l’exposition, puisque l’équipe occupait l’espace
la production reste dans une forme d’annexe, c’est
en dehors des horaires d’exposition utilisant les
le dispositif de dispersion de l’objet qui importe.
installations à disposition (et les installations des
Celui-ci contextualise cette diffusion, rend
autres designers).
l’archive opérante à cet instant, dans cet endroit.
Une fois la revue réalisée, elle fut distribuée sur
L’objet fait écho à l’environnement, le produit et
place, puis par les circuits traditionnels mis en
52
la production se racontent, puis vient le moment
entier d’Ettore Sottsass (le livre Métaphores, ed.Skira
où l’objet se destine à s’en séparer, pour trouver
2002 et Ettore Sottsass Jr,ed. Hyx 2006). Ce projet
un autre statut. Il devient une archive de cet
de design existe sous forme de dessin préparatoire,
environnement. La revue ne sera pas éditée
textes poétiques décrivant son intention, et de
autrement, il porte donc une trace invisible de
photographies de l’interprétation concrète qu’il en fait.
cette production. Indiscernable pratiquement car
Il s’agit au final d’un reliquaire éphémère, un
bien que la production de l’objet fut réalisée dans
potlatch qui viendrait rendre hommage à son père
ces conditions, les enjeux éditoriaux eux, n’en
disparu. Il est question d’élaborer un objet poétique et
dépendent pas. Si les choix de sujets traités ont
personnel, support à un geste animiste et trace d’un
été surement influencés par l’environnement
cérémonial.
donné, il n’est nulle part revendiqué qu’ils
En ce qui concerne l’archive, la trace, le designer
découlent de ce dépaysement. La production ne
Ettore Sottsass opte pour la multiplicité des
se raconte non plus à l’intérieur de la revue ; ce
supports. Le seul objet de design reliquaire prend
n’est non plus la facture de l’objet car les
trois formes qui comptent parmi les dispositifs
équipements techniques sont familiers au studio.
privilégiés du designer. Croquis, photographies,
C’e n’est donc que de la transmission de l’objet
poésie. Le fragment est le support de prédilection
qui raconte ce processus de production, qui est
du designer. Quand ici il nous trace le parcours
évoquée par quelques fragments iconographiques
du projet de design autour d’un reliquaire, c’est
sur la revue pour l’œil averti. Et cette
moins la traçabilité technique et opérante qu’il
transmission qui prend le relai de la performance
cherche, que d’adapter la démarche d’un designer
au cours des mois qui suivirent. L’installation du
à la spontanéité des usages, à la légèreté des
studio dans le lieu d’exposition persiste, même si
matériaux disponibles, à la gravité des symboles
la production est terminée, en tant que mode de
qui y entrent en jeu. La fragilité et l’aspect
diffusion de la revue. On comprend alors que
fragmentaire qui sont des caractéristiques qui
l’enjeu se déplace du côté de la production vers sa
cherchent d’habitude à être évitées par quiconque
dispersion, sa disparition in fine, vers aussi
veut archiver une production, des documents,
l’usager qui va s’en saisir. On sent presque un ton
sont ici recherchés. Le designer témoigne de son
particulier, celui du designer qui fait la politesse à
process de production, lui attribue ces qualités
celui qui va se saisir de l’objet, de lui montrer les
transitoires et éphémères de documents-traces.
conditions de sa réalisation, mais aussi de lui
Ce sont ces documents qui rendent compte du
donner ce privilège.
projet de design ; il s’agit d’un objet éphémère, une offrande, un potlatch, c’est avant tout une création qui se fonde dans un geste contextualisé.
ETTORE SOTTSASS
Un geste qui trouve sa genèse dans une histoire Le reliquaire du designer est un objet éphémère dont
personnelle et qui trouve une résonnance
la réalisation est documentée sur différents supports.
particulière dans le lieu où prend place la
On trouve des traces de ce projet et de sa réalisation
réalisation. Néanmoins, cette réalisation est
dans les monographies qui documentent le parcours
documentée, il existe ces fragments, ce triptyque
53
dessin, écrits, photographie. Les documents se répondent de façon évidente, mais on ne les trouve pas au même endroit. Ils sont dispersés à travers plusieurs ouvrages. On peut cependant trouver des binômes écrits/photo, et écrits/dessin. On sent donc bien cette nécessité de documenter son geste pour le faire exister en tant que projet de design, et cette envie d’y faire transparaître la liberté du support, l’aspect transitoire, non pérenne du projet. Ici l’auteur apparaît comme le point focal d’une histoire entre des individus qui n’ont pas de noms. Plus qu’un objet à produire, le designer tâche, en réitérant son propos sous différentes formes −photographie, crayonné, prose …− de transmettre à un auditoire les besoins qui sollicitent la création de cet objet, et les possibilités de réalisation qui nous sont offertes. Ici l’archive de ce récit de production n’est pas simplement la trace qui subsisterait de ce projet, c’est aussi une promesse du designer d’interroger nos cérémonials, c’est la trace fragile de la conviction qu’il porte et qui veut engager une relecture de son travail. ___________________________
54
O
n trouve dans ces exemples un enjeu
documents émis est inversement proportionnelle
particulier dans la question de
à l’impact dans la durée du projet de design. Les
l’archivage de documents relatifs à la
objets sont légers, l’empreinte dans le réel est
production de design. Pour qu’une production
provisoire et précaire.
industrielle soit efficace, les documents qui sont
Mais on aurait pu imaginer le contraire, que plus
supports d’informations de réalisations doivent
l’objet est conditionné par un événement
être accessibles, valorisables commercialement
particulier, plus cette occasion est rare, plus les
(brevets, copyright, royalties…). Les archives
documents sont nombreux, forts et sacralisés. Ici
doivent être formatées, soumises à des standards
point de cela, il ne s’agit pas de déplacer la valeur
de lecture pour être communiqués par les voies
de l’objet vers sa trace, mais plus dans l’occasion
traditionnellement empruntées. Ici cette pratique
qui le voit éclore. Peut être voit-on ici une
est remise en question.
différence avec le milieu artistique sur la
L’enjeu se situe là où l’archive se place dans la
conception d’une performance, d’une installation.
production de design. Est-ce qu’elle fait partie du
Qu’ils subsistent ou non ce sont les objets
projet singulier, est-ce qu’elle s’adapte à un
produits qui ont la part belle, et non les images
environnement particulier en une occasion
ou documents de la performance ou de
singulière ?
l’installation.
Parfois même on est en droit de se demander si ce n’est pas cet enjeu visé dans la documentation
On voit ainsi donc apparaître des objets qui
qui est à l’origine du projet de design. Dans tous
naviguent entre un désir d’archivage, de parole à
les cas, même si elle n’en pas à l’origine, elle
la postérité plus ou moins solennelle, et
détermine bien des aspects du projet. Il est par
mouvement non archiviste.
exemple déterminant pour Martino Gamper que
La narration du processus de production trouve
sa constitution d’un nouvel ameublement se fasse
dans ces cas des supports peu évident à archiver.
sous forme d’une performance s’il cherche à
Ils gardent la trace du projet réalisé dans une
montrer son geste dans cet environnement
forme transitoire, une forme dispersée. La
particulier qui sera à durée limitée et non
narration de la production du projet n’est pas
reproductible.
fixée. Il est intéressant de noter que pour ces projets en particulier, la narration du projet est
C’est l’occasion de se mettre en scène encore une
postulée dès le départ dans une dimension
fois pour l’auteur. La qualité, les formats utilisés,
apocryphe. Comme s’il s’agissait de s’affranchir
le vocabulaire formel, sont autant d’occasion de
d’une étape postproduction d’archivage trop
comprendre comment le designer considère son
encombrante.
projet dans l’avenir. On peut donc apprécier
Mais c’est aussi grâce à ces récits qu’est possible
quelles prises il donne à d’éventuels
une interprétation à défaut d’être une parole
commentaires de ces méthodes, de la conception
d’évangile figée. Pour d’autres designers, c’est
de son projets. On pourra noter logiquement que
l’envergure et la multiplicité des supports
l’importance qu’il accorde à la pérennité des
employés qui peut être problématique dans la
55
réalisation d’une archive du projet globale.
Trop rapidement évacué par la rapidité
Prenons l’exemple de du duo Raby + Dunne, le
d’exécution et l’apparente efficacité du support
projet s’était étendu sur de la vidéo, de la
numérique, on assiste à un retour cette question
production de prototypes, aussi l’élaboration de
de l’archivage au sein de nombreux projets.
textes supports du propos, de photographies. Le
Ces designers cherchent à se ressaisir de
récit du projet repose sur les dimensions de
l’archivage de leur processus de production. Ils
conception, de réalisation, de diffusion, il est
expérimentent les supports, disperses les contenus,
difficile de saisir une perspective d’ensemble.
modifient les formats, déplacent des énoncés
Quand bien même une cohérence sensible
dans des supports auxquels ils ne sont pas
traverse le projet. Le récit engage ici différentes
destinés. Ces projets recherchent des nuances
échelles de temps, d’espaces. Dans ce cas là
dans la valeur attribuée à des documents
l’archivage devient complexe et pour le duo, il
apocryphes.
n’est pas forcément intéressant.
Dans un cas, l’unique objet d’attention est projet
La narration du processus de production s’engage
en lui-même −pensons aux projets impliquant
sur de nombreux supports différents dans ce cas.
systématiquement une réinterprétation, au
Ces supports ont des formats particuliers qui
mouvement DIY−. Car le projet de design et sa
engendrent chacun un archivage spécifique.
production sont l’archive.
Difficile dans ce cas de garder une cohérence de
Il peut aussi prendre une forme plus éclatée mais
la narration de la production, et de s’en saisir en
réellement accessible. Une investigation sera alors
non-spécialiste. C’est alors un agencement des
nécessaire. Elle visera la collecte des traces et
étapes de production par défaut qui s’opère,
l’assemblage de l’archive.
regroupant plutôt les familles de supports (vidéos,
Enfin il peut aussi s’agir d’un mutisme total, dont
photographies numériques, textes papiers de
l’impénétrabilité remet en question alors la
l’autre …par exemple). Parce que tout de même,
viabilité du projet.
les documents traces de cette installation existent, ils sont produits. Reste que leur archivage ne
La plupart du temps le format du récit induit un
dépend pas de ces designers. Leur projet de
rapport précis du projet dans la durée. Un
narration de la production ne s’étend pas
designer qui conçoit sur support d’un plan doté
postproduction.
de cotes et tangible ne s’inscrit pas de la même
Plus généralement, l’archivage des projets de
manière dans le temps qu’une installation qui
design se voit mis en route mécaniquement via la
voue à une dissémination numérique anonyme du
diffusion du projet.
projet.
Cet archivage est catalysé par des médiateurs qui
Néanmoins, on sent bien que de cette tension
diffuse le projet, le relaient. Ce phénomène est
entre cette volonté d’engagement dans la durée et
amplifié quand les documents produits sont
celle de s’adapter à des conditions sur mesure,
numériques et intégrés à des réseaux vastes et
naît nombre de compromis. Des compromis
ouverts (internet, circulation par articles, par
performatifs. (55)
commentaires …).
56
Le design se voit alors phagocyté par des
avec leurs photographies dans l’édition de la
contingences qui appartiennent à
revue, et une vidéo captée sur internet).
l’environnement que l’usager se construit. La signature devient un exercice de style en voie de
A la différence d’autres flux tendus, ces archives
disparition. Parfois même le designer ne fait
de production du design, ne spéculent pas sur une
qu’activer le projet grâce au récit qui lui permet
valeur commerciale, ou de notoriété. Ces archives
de revisiter un environnement. La signature
cherchent à resituer leur valeur d’impact dans le
devient un acte menacé, qui est réinterprété par
réel via une interprétation à trouver pour qui veut
celui qui se ressaisit du projet. C’est d’ailleurs le
s’en saisir. Où là, l’unité de mesure, les formats
mode de fonctionnement des projets open-source
sont indéfinis.
par exemple −Superflex et leur projet Free Beer−.
En dispersant leurs archives, en ne les signant pas
Dans l’usage d’alias et des autres techniques qui
de manière formatées, ces designers invite à une
maquillent l’auteur, dans ces projets, on perçoit
interprétation de ces archives. Ils cherchent à les
une interrogation qui travaille. On est souvent
rendre actives. Comme pour prolonger des
amenés à se demander où se trouve l’imposture,
extrémités de leurs projets.
et l’artifice qui farde l’inconsistance dans un
Nous donnent accès à des tiroirs à double-fond.
projet. Certains se targuent d’un réalisme à toute
Ces projets de design réactivent le processus de
épreuve qui exaucerait pourtant une poésie
l’archive. Ils permettent à l’usager de ces
inframince. D’autres projettent un univers
productions de design de s’en saisir, au même
tellement déformé que c’est son interprétation
titre que l’objet produit dans ces projets.
qui sera l’objet d’un design très réel.
Ces archives s’activent avec l’usager, délaissant la mue de la signature de l’auteur.
Au final, ce qu’on voit se profiler c’est une
Il s’agirait donc plus des archives de l’infâmie,
interprétation ouverte non plus aux seuls
comme Foucault la définissait comme la
spécialistes à même de pouvoir lire des
caractéristique de l’homme ordinaire confronté
documents cryptés. C’est un code libre, en flux
brusquement au pouvoir, « L’homme infâme,
tendu. Il est disponible pour qui voudra, mais
c’est une particule prise dans un faisceau de
surtout destiné à personne. Ou bien à qui voudra
lumière et une onde acoustique.» (56)♦
s’en saisir. Il est disponible pour une interprétation. Des indices de cette interprétation peuvent être dans la manière dont ces designers nous rendent accessibles la narration documentée de la production du projet. Si on trouve des fragments photographiques disséminés dans l’ensemble d’un corpus de livres édités par un projet de graphisme, cela devient différent d’une vidéo accessible presque par erreur sur des bases de données en ligne (dans ce cas : Dot dot dot,
57
58
traditionnelle du design, ils resituent la valeur du
TRACAS ET ECLATS D’UN EXOSQUELETTE
geste de production, ils le désacralisent. Quand ces designers font montre d’une stratégie de projet autour d’une fiction −d’un contexte fictionnel−, ils invoquent des conditions de production irréelles. Et par là même, investissent la valeur mystifiante, mythifiante d’un récit indexé dans des objets.
________________________________________
Quand ces designers font émerger les documents de leur production hors des formats d’archives établis, a fortiori dans une forme dispersée, ils
A travers ces exemples, nous trouvons donc différentes mode narratifs de la production
interrogent aussi la valeur de cette archive.
qui racontent chacun le processus qui les a
C’est une équation de ces valeurs qui formule ce
générés. Cette représentation du process n’est ni
que nous avons appelé la valeur conceptuelle
gratuite, ni fortuite. Sur la surface de ces objets,
ajoutée au produit. C’est une indexation, scellée
courent les voix des collaborateurs venus
dans l’objet produit, qui permet un retour critique
participer à leur réalisation. Ces empreintes sont
sur la pratique du design.
ici agencées par les designers. Ils décident singulièrement, pour chaque projet comment rendre compte du process dans lequel ils s’impliquent. Ces auteurs-designers nous
L’immodeste redéfinition de la pratique du
exposent ces modes de narration comme
design semble moins intéresser ces designers à
l’exosquelette de la production : il nous est
quoi ils substituent une tolérance de l’indéfinition
présenté comme l’échafaudage signifiant qui tient
de cette discipline (57).
le processus de production de l’exterieur.
Au contraire, c’est la valeur conceptuelle
Ces objets cristallisent l’occasion d’une relecture
contenue dans les projets qui déplacent les enjeux
des modalités de production de design.
vers des interrogations aux prises avec la réalité de la production. Une réalité de la production pourtant empreinte de fantasmes. Ajouté à cela, certains projets cherchent à
Quand ces designers font apparaître un réseau de
s’émanciper d’un système d’échange économique
production spécialisé et saturé, ils questionnent
pour reposer sur d’autres monnaies. Elles relèvent
notamment la valeur du statut des designers, de
du symbolique, ne s’évaluent plus à l’aune de
leurs contributions.
mesures absolues, mais elles s’ancrent dans des
Quand ces designers convoquent les usagers
histoires, réelles ou fictionnelles(58).
directement dans la production grâce à des
Ces échanges sont transformés, des transactions
communications externes à la pratique
sensibles, symboliques se substituent provisoirement au système économique habituel.
59
design et de diffusion de l’art et inversement : des Ce qui apparaît également c’est une pollinisation
réseaux de production de l’art et de diffusion du
de la pratique du design. Les projets examinés
design.
circulent dans des réseaux externes à la
Ce qui est intéressant est que, quoi qu’il arrive,
production industrielle dans certains cas, sont
entre en jeu la dimension de l’exposition d’un
diffusés par des institutions dépendantes de
réseau de production d’objets. Cette mise en
domaines artistiques pour d’autres, ou encore
lumière repose sur des écritures narratives
court-circuitent des schémas de production
singulières à chaque projet. Elaborer une
habituels pour s’externaliser complètement d’une
narration de la production, quels que soient les
production professionnelle. Ce qui nous amène
milieux mis en présence reste la mise en
aussi à se demander si cette dispersion n’est pas
perspective essentielle que ces designers
aussi la résultante de tentatives de reconnaissance
éprouvent.
de la part d’autres milieux que celui du design. En effet, le milieu du design industriel ne peut se saisir de ces projets qui ne cadrent pas dans leurs normes et formats de production. Ils ne peuvent le reconnaître. Au-delà de ces quelques questionnements qui sont induits par cette étude de cas, quels enjeux articulent ces exemples ? En reprenant les quatre lignes d’étude, −le réseau de production, le rôle de l’usager, les stratégies fictionnelles et dispersées opérées, et l’archive−, relevons-en quelques uns.
Mais en premier lieu, il s’agit d’évacuer la définition du terrain sur lequel les projets voient le jour. Aussi, nous pouvons discerner dans ces projets aux contours vaporeux, des interrogations non résolue quant au lieu d’intervention du design. (59) Intervient-il dans un contexte artistique, ou une production de design ? La solution varie d’un projet à l’autre, mais il reste que le choix existe bel et bien pour les designers en charge. Comme dit en introduction, ces projets explorent des réseaux de production de
60
en des termes classiques de production, est un Que font apparaître ces narrations des réseaux de
maillon de la production, il exécute une tâche
production ?
spécialisée. Son rôle est ici focalisé. Les designers
Tout d’abord le designer cherche à donner sa
peuvent avoir une vue d’ensemble du projet. Ils
vision du paysage social, économique, technique,
ont accès aux informations nécessaires, et bien
historique ou culturel au sein duquel il évolue.
plus que cela, ils doivent aussi les interpréter.
Ici on retrouve un certain nombre de renvois au
D’un côté, il est peut-être fait montre du rôle
contexte qui encadre le travail. Ce contexte qui
précaire et indistinct du designer dans le process
soutend l’acte de production, évoque la
de production. Il apparaît non spécialiste ; il
machinisation du travail, mais surtout on trouve
comptabilise des aptitudes communes à une main
de façon récurrente des investigations menées sur
d’œuvre nombreuse. Ce rôle intermédiaire
la parcellisation des tâches réunissant la
devient profondément interchangeable et
production.(60) (Philippe Millot, studio Glithero,
infiniment remplaçable. (59) Mais d’un autre côté,
Charles et Ray Eames…)
le projet passant entre ses mains, ou bien initié
Le système production industriel schématique se
par lui, le designer cherche à définir les règles,
trouve modifié de façon indélébile. Plus
l’autonomiser, en incliner la direction, à
réellement, les chaînes de production font place à
reformuler ses buts, ou en recibler l’impact.
un environnement productif où les tâches sont
Sans négliger la condition provisoire du projet, il
réparties et ultra-spécialisées. Cette
va lui donner un support à une interprétation.
dissémination des interlocuteurs et de leurs
Un équilibre se cherche dans ces récits entre la
aptitudes mettent en exergue cette fragmentation
production à venir et une mise en perspective
éparse qui re-caractérise l’environnement du
globale du projet.
travail. Dans une production industrielle standardisée, le travail est par principe fragmenté, contenu à une tâche dévaluée, flottante, sans prise. Ce système
Que font apparaître ces narrations du rôle de
évolue vers une externalisation de ces tâches.
l’usager ?
Dans ces nouveaux réseaux de production
Le plus souvent il s’adresse à un particulier, pour
fragmentés et saturés, ces designers nous
la production d’objets domestiques. Mais il peut
exposent leurs rôles convergents significativement,
s’agir d’objets plus vastes, d’urbanisme, d’objets
et convexes techniquement. Des rôles pourtant
culturels ou cultuels.
paradoxalement, non spécialisés. Néanmoins, ce
Dans certains projets on assiste à une
qui semble re-caractériser leurs rôles c’est
indifférenciation de la production professionnelle
précisément l’intermédiaire,
en masse et de la production pour soi limitée à un
c’est la médiation.
usager. Schématiquement on pourrait dire, entre
Une distinction s’établit entre le spécialiste ou
l’industrie et l’artisanat.
l’ouvrier et les rôles définis pour les designers que
Cela apparaît notamment dès que les médiums
nous avons pris en exemple. Un ouvrier envisagé
impliqués relèvent d’une diffusion courante et
61
pratiquée par les particuliers. La production
sens à la production. Remplacer provisoirement
d’images peut en être un exemple. La production
le Travail (W) d’une force se mesure en physique
et la diffusion d’images n’est plus réservés à des
en Joules (kJ), par un geste humble et signifiant.
professions spécialistes, les particuliers peuvent également s’en saisir via leur propre équipement. Plus généralement, il existe des techniques de diffusion ouvertes et non professionnelles qui
Que font apparaître ces narrations des stratégies de
peuvent être entreprises grâce au réseau Internet
fiction et de dispersion ?
et à l’équipement domestique (téléphone portable,
Une autre fonction de ce récit est d’être l’écrin
ordinateur, imprimantes, électroménager…).
d’une invention, ou de l’intervention d’un auteur.
Néanmoins cette ouverture des réseaux de
Il s’agit alors d’une mise en scène référencée.
diffusion ne signifie par pour autant une
Le rôle du designer d’auteur est le sujet mis en
ouverture des réseaux techniques de productions
avant.
qui elles restent encore verrouillées (brevets a
Dans la plupart de ces exemples, on ressent
l’appui, leur propre langage et système
poindre la condition impérieuse des ces designers
économique etc.) et s’adressant aux professionnels
ici auteurs, de manifester leurs points de vues
spécialisés. On revient ici à l’idée de
singuliers, au point d’en déterminer entièrement
fragmentation du travail dans la production, cette
le projet. Le déroulement des évènements qui a
fois du point de vue de l’usager.
constitué le projet et le continuera en sera altéré.
Pour faire contrepoids à ce mouvement centripète
On peut donc interroger ce besoin d’expression
qui éparpille la production, certains designers
qui prévaut sur les usages auxquels sont destinés
cherchent à redonner une préciosité au travail, à
les objets produits. Une fiction met en scène le
l’acte de produire.
projet. Poussé parfois à l’extrême, il s’agit
Les projets décrits se recentrent autour de l’usager
d’inventer des projets qui ne peuvent qu’exister
d’une manière ou d’une autre, ainsi qu’autour de
dans ce contexte fictionnel. Ces projets se
son environnement et de son contexte singulier.
construisent sur des sols virtuels, avec des
Ils s’adressent directement à l’usager en
techniques irréelles répondant à des
mystifiant son geste. Il ne s’agit pas de substituer
problématiques artificielles.
l’usager au designer, mais de l’inviter à interpréter
Ils constituent une fiction éparse, une atmosphère
la production de l’objet.
fictionnelle en quelque sorte, qui rend le projet
Celui-ci est parfois dépeint comme le support
valide et viable.
d’un acte de collaboration à un projet étendu, il
Il est alors difficile d’en discerner les intentions,
peut être aussi perçu comme un support
elles, réelles.
d’expression signifiant, ou bien vu comme un acte
Comme vu précédemment, les nouveaux modes
quasi cultuel, animiste. Ce qui subsiste aussi est
de productions hors de l’industrie dépossèdent le
qu’il est attribué à cette production une valeur
rôle traditionnellement perçu des designers de
d’engagement, d’implication non anodine. Il
certaines de ses fonctions de décideurs et de
s’agit de consacrer du temps, de l’énergie, du
techniciens. Cette expropriation dans ce large
62
mouvement de déspécialisation, entraîne une
documents de production. Un engagement tacite
sorte de quête de consistance, qui serait elle
lie le designer à l’usager.(63) Le processus de
reconnue de la part d’autres domaines. Les
production évacue certaines étapes ; les diffuseurs
médiums se diversifient, les méthodes de
de la production par exemple. Cela induit une
monstration du projet aussi, les réseaux impliqués
pratique qualifiée de non-médiumnique.(64) Le
aussi.(61) Pour élaborer ces fictions productives
projet lui-même, dans ce cas, n’existe que dans
les projets s’externalisent vers d’autres domaines.
cet état latent : il n’existe qu’à travers ces
On note des emprunts aux installations
documents racontant une production à venir,
artistiques diffusées au sein aux systèmes des
effective potentiellement. Parfois la seule
galeries et d’autres institutions exposant de l’art.
présence de ces documents permettant la
Les commentaires se font alors plus larges aussi,
réalisation du projet, donne vie au projet
la communication des ces projets se situe hors des
(pensons aux images de Dot Dot Dot, celles de
circuits de consommation de produits habituels.
Bruno Munari ou de Yona Friedman…)
Mais le projet de design a un caractère fluctuant
Cependant les instructions ne sont parfois pas
et intermédiaire, qui appelle une production qui
claires et distinctes, et l’état gazeux du projet de
ne tient pas au milieu artistique.
design s’accorde de façon complexe avec le récit
Les questions de certification identitaires restent
du designer. La sublimation inverse qui induit le
ouvertes dans cet environnement aux règles
passage d’un état gazeux à un état solide sans état
spontanées.
intermédiaire (état liquide de la matière), n’est pas toujours effective, mais courageusement tentée.
Que font apparaître ces narrations du rôle de l’archive?
Ces projets cherchent à trouver leur modalité de
Ce qui se dégage aussi nettement c’est le
dialogue envers l’archivage.
caractère performatif de l’énoncé du projet de
Mais dans tous les cas un contrat est scellé. Il
design. Cet énoncé du projet se trouve dans les
s’agit d’un contrat iconographique (65) tacite qui
documents qui racontent le processus de
est impliqué dans la narration formulée. Ce
production. Or ces documents qui actent la
contrat lie irrémédiablement les images produites
production de design et rendent possible son
à l’effet, l’impact du produit de design. Il devient
archivage, ont parfois cette caractéristique
une condition de l’interprétation lors de la
performative. Qu’est-ce que cela signifie ?
réalisation de l’objet mais aussi de son archivage.
En effet, c’est le récit de production qui devient le
Un rapport particulier à la postérité de l’objet se
support de design. Entre autres moyens, l’usager
créée. On assiste ainsi à la mise en place d’une
devient un collaborateur, l’initiateur parfois du
sous-veillance(66). Elle participerait d’un contrôle
projet. Le projet de design pari sur un renvoi (62).
de la diffusion des traces de ce récit, du contrôle
Un renvoi vers d’autres documents qui racontent
d’apparition de l’objet. Un filtre en amont des
l’histoire du projet. Une sorte de metaprojet latent,
conditions d’émergences du projet, un contrôle
apocryphe. Il invite l’usager à collecter différents
de l’image en aval.
63
Dans ces exemples, les projets ne cherchent pas à
soixantes jusqu’au début des années quatre vingt
être exempts de tous procédés d’archivage.
(68). Ces pratiques en récupèrent des fragments,
L’archive devient un terrain d’expérimentations
cela se traduit sous forme de dystopies non
diverses. Ils le questionnent, le traitent
localisables dirigées vers une immédiateté qui
directement, le déplace hors des formats
s’échappe.
employés habituellement.
Un animisme infraordinaire (69) apparaît et cote les objets ainsi produits. Une spéculation fabulatrice ?
______
Loin d’une efficacité condamnée à l’obsolescence, ces récits cherchent à viser l’usager et le collaborateur affectivement et effectivement. ♦
Ainsi la responsabilité du projet cherche à être partagée avec celui qui lit le récit, qui l’interprète. Dans certains projets il s’agit d’un collaborateur, d’un spécialiste, dans d’autres il s’agit d’un usager, ou encore d’un spectateur. On est alors en droit de se demander, si ces récits ont alors seulement valeur de prétexte au support de ce discours critique. C’est aussi en concédant d’adopter une position en équilibre précaire que ces projets démontrent la position critique que doivent adopter les démarches de design. Cette narration du process de production, se risque à une interprétation du collaborateur ou de l’usager. Cette posture cherche-t-elle à apparaître nondogmatique ? Cela semble paradoxal pour tous les projets qui se voient déterminés de bout en bout par une fiction, un socle créé par un auteurdesigner qui ordonne le projet. Pourtant les pratiques du design contiennent originellement un aspect autoritaire, celui de proposer, de choisir en amont, et donc d’imposer une forme, un objet à autrui. C’est une relecture des utopies déchues(67) issues des révolutions sociales. Ces projets de design aux perspectives globalisantes étaient inscrits dans un contexte historique s’échelonnant des années
64
ACTE III EPILOGUE PERSONNAGE
: B.
LA SCENE SE SITUE AU TRIBUNAL DE GRANDE INSTANCE DE PARIS. LA COURTE ET SOURDE HETEROTROPIE DE B.
(deus ex machina)
65
C’est d’un seul mouvement que les jurés se levèrent et gagnèrent la porte. La pièce se débarrassait progressivement d’une tension moite qui plaquait chacun des auditeurs aux bancs en formica lisse. La lumière fluorescente crispait encore quelques paires de pupilles autorisées à s’avancer vers l’avant de la salle. On rangea alors les badges au pictogramme distinctif. En jetant un dernier regard à la longue tablée où s’éparpillaient les documents, un des membres du jury rattrapa la poignée et s’éclipsa. Un froissement emplissait le corridor. Quelques mots furent échangés formellement. Il était vingt et une heure. On lui fit signe de se presser, mais ça commençait à bien faire, c’était quand même du bénévolat toute cette histoire. Des jours et des jours que ça traîne. En plus, le premier jour, avant le début de la séance, on demanda un petit rappel sur des textes de lois mis à jour. Les jurés avaient demandé à être informés de façon solennelle de la modification récente de l’article se rapportant à l’intime conviction. Entre éclats de voix populistes et logorrhées législatives, il jetait des coups d’œil furtifs sur l’horloge affichée sur les tablettes luminescentes disposées devant le jury. L’homme assis à ses côtés continuait de psalmodier ; il devait supputer sur le nombre, à la dizaine près, de messages en attente que devait afficher l’écran bleuâtre qui gisait dans une des vingt trois boîtes scellées disposées de l’autre côté du bâtiment. Lui aussi visiblement se lassait d’entendre les mêmes bribes de discours joués en boucles depuis quelques temps sur de multiples supports cliquables. Il comprenait que c’était sûrement important après tout, les droits et les devoirs de l’individu semi-public. En attendant, le procès n’avait pas encore débuté, et les bouteilles d’eau individuelles labellisée explicitement faisaient tout de même un litre. Tout cela n’était pas très engageant. Personne ne semblait perturbé de se diriger vers la salle de délibération les mains vides. A vrai dire il était inutile que quiconque du jury ne se saisissent des dits documents. Il est véridique qu’il avait difficile de se les procurer, et ajoutées à cela, les longues heures de visionnage vidéo n’était pas non plus probantes. En les imprimant, les fichiers originaux furent corrompus de manière irréversible, et les épreuves encrées sur papier étaient tout simplement illisibles. Pour cette séance, le juge d’instruction autorisa le personnel de disposer de la salle pour la pose. Après tout il n’y avait qu’eux et B.
66
La salle avait un écho particulier ces jours-ci quand s’égrenèrent tour à tour les mots de responsabilité, de coût, de faux, de surveillance, de brevets, d’artifices, d’escroquerie, d’ingénierie, d’identités, d’échanges sous-entendus, de contreparties symboliques, de certificats, de travail, de marchés, d’obsolescence, de standards, de banalités, de probité… B. essayait de visualiser cette liste lacunaire et incompressible. Elle devait apparaître quelque part, taggée sur des encarts d’écrans recouvrant telles ou telles surfaces. Il ne sait pas bien où mais cela devait se passer à peu près à ce moment, un peu avant ou un peu après. Il entendit l’audience hors de la salle qui discutait rapidement ; l’épicentre des informations allait bientôt se déplacer. Dans tous les cas, cela faisait maintenant plusieurs années que le prédisposé aux badges ne distribuait plus ceux étiquetés « presse ». Ils convenaient plutôt d’un login pour chaque appareil pulsant des signaux lumineux complexes, se faufilant entre les rangées. C’était bien plus pratique. Il ne passait plus son temps à contrôler des bribes de documents paraphés sans regard aucun. Dans l’autre salle, on se décida. Et alors le prédisposé donna des nouveaux login, et ouvrit les portes. Les rampes de lumières fluorescentes cinglèrent à nouveau les pupilles anonymes et patientes. Les spéculations et approximations laissèrent place à un bruit blanc émis à un mètre du sol à peu près, dispersés dans les poches des manteaux, entre les mains posées sur les genoux, dans les sacs. On remit en route les surfaces tactiles des tables disposées face à l’assistance. Les jurés reprirent place vers leurs sièges respectifs. Quoiqu’il arriva, B. se demanda s’il était lui seul troublé par cette persistance rétinienne.
67
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68
NOTES NUMEROTEES PAGE 8________________________________________________________________________________________________________________________________________ (1) p.28 « interface pas si virtuelle « Internet semble se construire autour de nœuds qui seraient à la fois ses centres et ses contours. Ce maillage fait de la Toile un espace ouvert et poreux dans lequel le lieu et le site, le réel et le virtuel, sont de plus en plus imbriqués et interdépendants. Les applications de réalité augmentée créent, par exemple, des interstices spatiaux dans lesquels se superposent images virtuelles et perceptions naturelles. » p.29 « Selon Eric Schmidt, nous émettons tous les deux jours autant d’informations que l’humanité en a produites entre sa naissance et 2003. » Usbek & Rica/ °3, hiver 2011 Dossier Internet, le rêve américain en open-source, Thierry Keller et Stéphanie Vidal (2) « [le design] est devenu le principal acteur de la formalisation du social, le protagoniste le plus avancé de la culture du projet. La métropole post-industrielle ne repose plus, selon Andrea Branzi, sur des opérations globales mais sur une infinité de microstructures, de réseaux où circulent les fluides électroniques d’ne technique dématérialisée : renversement fin de siècle, revanche de la surface sur la structure, du périphérique, de l’éphémère. LIVRE DESTROY DESIGN Collection Frac Nord Pas-de-Calais / Texte d’intro // Futur imparfait ; de la cannibalisation à l’ex-design par Peio Aguirre (3) p.29 « Les modes d’accès à ‘l’information sont variés et les utilisateurs misent sur les détours. (…) Sa réticularité favorise la sérendipité définie par l’écrivain britannique Horace Walpole comme la possibilité de faire des découvertes inattendues grâce au hasard et à l’intelligence. » Usbek & Rica/ °3, hiver 2011 Dossier Internet, le rêve américain en open-source, Thierry Keller et Stéphanie Vidal (4) p.29 « glocalisation « Des phénomènes de glocalisation inédits sont également apparus. A travers ce mot-valise, inventé par le sociologue Blaise Galland, se déploie l’idée d’un monde où le global et le local interagissent à diverses échelles et pour de multiples fonctions. Le réseau contribue par exemple à l’aménagement du territoire ou à la formation de communautés d’individus épars en fonction de centres d’intérêts communs − qu’ils s’agissent de préférences musicales ou même d regroupement dans des micronations. (…) Cet univers est en constante expansion dessine sa propre carte au gré des conversations qui contrecarrent les axes temporel et spatial pour parfois les confondre tout à fait. Le temps d’un email, le bureau d’à côté, New York ou Moscou sont équidistant. » » Usbek & Rica/ °3, hiver 2011 Dossier Internet, le rêve américain en open-source, Thierry Keller et Stéphanie Vidal (5) p.9 « Aujourd’hui, la métropole de l’après-modernité ne se construit plus seulement à partir des infrastructures de grands travaux urbains ni des codes de composition traditionnels. Elle naît plutôt de la prolifération des marchandises et des objets, dont la présence sans cesse renouvelée et disséminée sur l’ensemble du territoire transforme l’environnement de l’homme, son habitat, ses lieux de travail et de loisirs. » Nouvelles de la métropole froide : Design et seconde modernité, Andrea Branzi préfacé par François Burkhardt, ed. centre georges Pompidou, 1992. (6) p.253 « La production des objets est successivement passée tout au long des XIXe et XXe siècles d’un marché d’équipement à un marché de demande. Elle a évolué, à partir de la fin de la Seconde guerre Mondiale, en un marché d’offre dans lequel la société de production a perdu son rôle central ; à celle-ci a succédé une société orientée vers la consommation et animée par de nouvelles fonctions, assumées par le marketing, chargées de créer les conditions de l’offre. » Le design de nos existences : à l’époque de l’innovation ascendante, entretiens du nouveau monde industriel Mille et une nuits, Centre Pompidou, ed. Essai Mille et une nuits, 2008 / Texte Interfaces : un rôle pour le design pp.253-261 par Jean-Louis Frechin (7) p.254 « [confort moderne] a contribué à la banalisation et à la crainte de l’idée même de progrès. » Le design de nos existences : à l’époque de l’innovation ascendante, entretiens du nouveau monde industriel Mille et une nuits, Centre Pompidou, ed. Essai Mille et une nuits, 2008 / Texte Interfaces : un rôle pour le design pp.253-261 par Jean-Louis Frechin
PAGE 9________________________________________________________________________________________________________________________________________ (8) p.101 « Après-guerre : « Le designer effectuait un travail de conception consistant à faire coïncider les nécessités de production particulières avec les grandes certitudes technologiques générales. » » Nouvelles de la métropole froide : Design et seconde modernité, Andrea Branzi préfacé par François Burkhardt, ed. centre georges Pompidou, 1992. p.60 « produits spécifiques fermés [clos] » « spécificité impasse » DROOG _ simply Droog, 10+3 ans / Stichting Kunstboek / 2005 (9) p.107 deux courants inadéquats : « vieille garde du design marxiste » vs. « une génération d’éternels jeunes expérimentateurs qui voient le monde comme un processus sans fin, où tout est toujours provisoire, et où le projet s’exerce dans des stratégies à très court terme. » Nouvelles de la métropole froide : Design et seconde modernité, Andrea Branzi préfacé par François Burkhardt, ed. centre georges Pompidou, 1992. (10) “Similarly, the postmodernist discourse about pluralism, multiplicity, and heterogeneity is inevitably used as an excuse for singularity. Robert Venturi’s call for “complexity and contradiction” is surprisingly intolerant of alternative positions. The proponents of “critical regionalism” see the same architectural qualities everywhere rather than the unique site-specific differences they advocate. Such pluralist arguments are used as cover for a particular aesthetic. And the architects who talk about chaos, absence, fragmentation, and indeterminacy usually work very hard to assure that you know that a particular design is theirs by using recognizable — signature — shapes and colors. Once again, arguments about the impossibility of “the total image” are employed in fact to produce precisely such an image — a signed image that fosters brand loyalty.” Mark Wigley / Whatever happened to total design ? 1998, Harvard design magazine, number 5
I
PAGE 7 _______________________________________________________________________________________________________________________________________ (11) p.121 « Les rapports entre design et nouvelles technologies sont déjà totalement spontanés ». Nouvelles de la métropole froide : Design et seconde modernité, Andrea Branzi préfacé par François Burkhardt, ed. centre georges Pompidou, 1992.
(12) p.143 « La solidarité du spécialiste avec le prolétariat − c’est en quoi consiste le début de cette clarification − passe toujours par des médiations. » Walter Benjamin, Essais sur Brecht / L’auteur comme producteur (Allocution à l’Institut pour l’étude du fascisme, à Paris 27 avril 1934) (13) p.259 « Notre société est organisée en silos d’expertise et structuré par les concepts d’organisation scientifique et rationnelle du travail. » (…) « Le design a une capacité à intégrer et à être un médiateur, à côté des disciplines identifiées (sciences humaines, science, technologie, science de gestion) de l’innovation. Il devient alors un médiateur, interface entre les organisations de création de valeurs et les personnes. » Le design de nos existences : à l’époque de l’innovation ascendante, entretiens du nouveau monde industriel Mille et une nuits, Centre Pompidou, ed. Essai Mille et une nuits, 2008 / Texte Interfaces : un rôle pour le design pp.253-261 par Jean-Louis Frechin
PAGE 10_______________________________________________________________________________________________________________________________________ (14) pp.253-261 « force de proposition « active et sensible » » Le design de nos existences : à l’époque de l’innovation ascendante, entretiens du nouveau monde industriel Mille et une nuits, Centre Pompidou, ed. Essai Mille et une nuits, 2008 / Texte Interfaces : un rôle pour le design par Jean-Louis Frechin (15) p.256 « La perception et les rôles qui sont attribués au design doivent évoluer pour répondre aux nouveaux enjeux qui se posent aux producteurs et à la société. » Le design de nos existences : à l’époque de l’innovation ascendante, entretiens du nouveau monde industriel Mille et une nuits, Centre Pompidou, ed. Essai Mille et une nuits, 2008 / Texte Interfaces : un rôle pour le design pp.253-261 par Jean-Louis Frechin p.131 « (…) le lieu de l’intellectuel dans la lutte des classes ne peut-être fixé, ou mieux, choisi, que sur la base de sa place dans le procès de production. » Walter Benjamin, Essais sur Brecht / L’auteur comme producteur (Allocution à l’Institut pour l’étude du fascisme, à Paris 27 avril 1934) (16) “More and more often there is embarrassment all around when the wish to hear a story is expressed. It is as if something that seemed inalienable to us, the securest among our possessions, were taken from us: the ability to exchange experiences.’” Walter Benjamin, ‘The Storyteller’, Illuminations (1923) (17) p.255 « Les et le aussi Mille
systèmes de production des « objets » auront à résoudre des questions concernant l’imaginaire, la symbolique, les formes, l’immatériel matériel, l’usage et les pratiques, le sens et l’utilité, le plaisir et la raison, et, in fine l’espace et le temps. Ils questionneront les notions de besoins et d’attente dans un monde d’hyperoffre. » et une nuits, Centre Pompidou, ed. Essai Mille et une nuits, 2008 / Texte Interfaces : un rôle pour le design par Jean-Louis Frechin
PAGE 12 ______________________________________________________________________________________________________________________________________ (18) p.60 « La prémonition qu’il ya des histoires cachées sous la surface des objets est plus que fascinante ». Même si tout cela semble logique, il ne va pas dut out de soi que la portée des objets transcende non seulement leur fonctionnalité mais aussi leur capacité d’absorption de nos mémoires personnelles. Avant que l’utilisateur ne relie ses propres expériences aux chaises de Bey, elles sont déjà signifiantes ; elles racontent déjà une histoire intriguant. Bey leur a donné une voix. DROOG _ simply Droog, 10+3 ans / Stichting Kunstboek / 2005 (19) p.105 identités des nouveaux matériaux / designs « Ils sont souvent un ectoplasme expressif qui acquiert une identité temporaire, parmi tant d’autres possibles, qu’à travers le projet. » (…) « Les principes de nécessité et d’identité disparaissant, la responsabilité des choix expressifs, linguistiques et formels se replace entièrement dans l’épaisseur culturelle du projet. Le concepteur est nu face aux choix à accomplir, et il devra les faire de plus en plus librement, c’est-à-dire avec de plus en plus de difficultés ». p.118 « signes persuasifs et pénétrants » « Le réel produit par la musique, les modes et les comportements sociaux, mais aussi par l’électronique et les nouveaux matériaux, est un réel de surface, qui impose une connaissance de surface. Je n’entend par là rien de négatif. Au contraire, à bien des égards, ce type de connaissance donne leur juste poids aux apparences. » Nouvelles de la métropole froide : Design et seconde modernité, Andrea Branzi préfacé par François Burkhardt, ed. centre georges Pompidou, 1992.
PAGE 13_______________________________________________________________________________________________________________________________________ (20) p.131 « (…) le lieu de l’intellectuel dans la lutte des classes ne peut-être fixé, ou mieux, choisi, que sur la base de sa place dans le procès de production. » Walter Benjamin, Essais sur Brecht / L’auteur comme producteur (Allocution à l’Institut pour l’étude du fascisme, à Paris 27 avril 1934)
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PAGE 16 ______________________________________________________________________________________________________________________________________ (22) p.4 “The architects who talk about chaos, absence, fragmentation, and indeterminacy usually work hard to assure that you know that a design is theirs by using signature shapes and colors. Arguments about the impossibility of “the total image” are employed in fact to produce precisely such an image — a signed image that fosters brand loyalty” Mark Wigley / Whatever happened to total design ? 1998, Harvard design magazine, number 5
PAGE 19 ______________________________________________________________________________________________________________________________________ (21) p.14 Danese, Editieur d’objets de Design italien Milan 1957-1991, Objets choisis, Mudac, 2004
PAGE 24_______________________________________________________________________________________________________________________________________ (23) p.22 Hal Foster « E. E comme environnement ;: pour certains modernistes, le monde du design total est un vieux rêve, mais ce n’est que dans notre présent pancapitaliste qu’il devient réalité, sous une forme perverse. Avec la production postfordienne, les marchandises peuvent être altérées et les marchés transformés en « créneaux », à telle enseigne qu’un produit peut être un produit de masse sur le plan de la quantité, mais sembler personnalisé dans son abord. » AC | DC / Art contemporain design contemporain / actes du Symposiulm 26-27.10.2007 « Cannibalisation : Nous avons évolué depuis la situation des années 90, où les artistes cannibalisent le design (incluant des anoms aussi célèbres que Jorge Pardo, Tobias Rehberger, Pae White et Andrea Zittel) vers un contexte où les designers sont devenus, conjointement aux artistes, des agents interdisciplinaires (e. a. Abake, Stuart Bailey y Dexter Sinister, Will Holder, m/m, Bless, Dunne & Raby et Metahven). Le premier mouvement de cannibalisation du design (par l’art) s’est cristallisé au début de la nouvelle décennie avec l’exposition en 2000, au Moderna Museet à Stockholm, What if : Art on the Verge of Art and Architecture, sous le commissariat de Maria Lind, et « filtrée par Liam Gillick. Le deuxième mouvement a lieu en ce moment même avec le courant du design art. Cependant, là où l’on pouvait s’attendre à ce que le plus grand afflux de l’art s’observe dans le domaine de la conception de produits, le surplus de talent du design déborde plutôt dans la conception de livres, le graphisme des institutions, les extensions hybrides entre le graphisme , la mode et la musique, les méthodes classiques de l’impression et de la reproduction » LIVRE DESTROY DESIGN Collection Frac Nord Pas-de-Calais Texte d’intro // Futur imparfait ; de la cannibalisation à l’ex-design par Peio Aguirre
PAGE 26 ______________________________________________________________________________________________________________________________________ p.9 « Aujourd’hui, la métropole de l’après-modernité ne se construit plus seulement à partir des infrastructures de grands travaux urbains ni des codes de composition traditionnels. Elle naît plutôt de la prolifération des marchandises et des objets, dont la présence sans cesse renouvelée et disséminée sur l’ensemble du territoire transforme l’environnement de l’homme, son habitat, ses lieux de travail et de loisirs. » « Dans ces espaces saturés, le projet doit désormais s’exercer sur des territoires de l’imaginaire en créant de nouveaux récits, de nouvelles fictions qui viendront « augmenter l’épaisseur du réel. ». Les designers deviennent, dans cette perspective, des inventeurs de scénarios et de stratégies, et développent avec l’industrie une collaboration faite à la fois d’autonomie et de solidarité. » « L’accumulation des diversités et des différences, la prolifération des signes et des informations sont à l’origine d’une véritable « révolution sensorielle » qui nous confronte au défi peut-être le plus important de ces prochaines années : établir une relation renouvelée entre l’homme et son milieu, entre l’univers artificiel et naturel, créer une techno-écologie afin de redonner des qualités profondes à un environnement dévasté par l’industrialisation. La réponse ne eut être que d’ordre éthique et culturel : rendre le monde à nouveau habitable et construire, comme nous y invite Andrea Branzi, Nouvelles de la métropole froide : Design et seconde modernité, Andrea Branzi préfacé par François Burkhardt, ed. centre georges Pompidou, 1992. (24) à propos des manuels «You developed these do-it-yourself manuals for almost a decade. How many are there ? − Several hundred. The United Nations wanted to develop this project further, so we worked on the Communication Center of Scientific Knowledge for Self-Reliance in Paris, which I directed. But at one point, they cut the budgets. At least I was able to show that this sort of thing is possible. The Conversation serie − YONA FRIEDMAN, Hans Ulrich Obrist, N°7 / Verlag der Buchhandlung Walther König, Köln, 2007 (25) p.19 “In 1970, for your entry for the Centre Beaubourg competition in Paris, you proposed transforming the site into one large, covered public square. In line with the principles of mobile architecture, nothing was predetermined in term of use : it was just about volumes − movable and transformable volumes. − Yes, because for me, museums are defined above all by their audience. For example, with the manuals I tried to show the global nature of the problems faced by an audience without any formal schooling and focused on what even the poorest people need to survive : health, water, social organization. That’s what’s important for the audience. the Centre Pompidou is a mixture − you have the conservation of artworks with the Musée National d’art moderne, you have the library, etc. What I proposed to Pompidou in 1970 was a skeleton, an outline, a physical and − why not − spiritual framework within which to work. I made the same proposal to the Museum of Modern Art in NYC. The way the volumes are organized can be changed. With each new generation, a museum should change.” The Conversation serie − YONA FRIEDMAN, Hans Ulrich Obrist, N°7 / Verlag der Buchhandlung Walther König, Köln, 2007 PAGE 27_______________________________________________________________________________________________________________________________________ (26) p.31 « Le projet d’architecture et de design n’est donc plus aujourd’hui un acte destiné à changer la réalité en l’orientant vers un horizon d’ordre et de logique : il est un acte d’invention qui construit un élément venant s’ajouter au réel, augmentant ainsi son épaisseur, multipliant les choix possibles et impliquant l’utilisateur dans un nouveau récit de l’espace environnant. » « Disons paradoxalement que le projet s’apparente à un plateau de cinéma ou de télévision, sur lequel on crée de manière temporaire ou permanente − la différence est insignifiante −une nouvelle scène, un décor qui n’existait pas avant, et qui agrandit le champ du réel. Le style, les matériaux, les couleurs, les parfums d’un lieu « projeté » forment une scène sur laquelle on peut évoluer ; mais ce lieu n’a de sens et d’identité que s’il diffère des lieux ou du contexte qui l’entourent, qu’il en est une alternative. » « Le concepteur doit donc parvenir à investir le lieu et le produit d’une forte charge d’identité en utilisant les instruments du style (rigoureux ou fantastique) pour parvenir à la fiction, c.à.d. un effet de contraste par rapport au contexte, car plus ce récit est efficace et
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sophistiqué, plus il transporte l’utilisateur dans un monde différent du monde réel. Et le monde réel, à son tour, est fait de quantité de territoires déjà imaginés dans l’histoire. » « Ainsi le projet devient-il acte constructif, réellement et physiquement, mais aussi métaphore de lui-même. En effet, il s’auto représente, donne à voir sa logique propre, occupe un lieu à travers une mise en scène qui renvoie au récit d’un code d’expression nouveau et original. Toute les fonctions qu’il contient, les services, les technologies, doivent en quelque sorte « se racheter » pour trouver en ce lieu une nouvelle identité et se régénérer. » Nouvelles de la métropole froide : Design et seconde modernité, Andrea Branzi préfacé par François Burkhardt, ed. centre georges Pompidou, 1992. PAGE 28_______________________________________________________________________________________________________________________________________ (27) Seuils, Gérard Genette, ed. Seuil, 1972
(28) conférence Philippe Millot, Ecole Nationale supérieure des beaux arts de Lyon, 01.12.10
PAGE 30 ______________________________________________________________________________________________________________________________________ (29) p.124-125 « Au lieu de demander en effet : comment une œuvre se situe-t-elle face aux rapports de production de l’époque ? Est-elle en accord avec eux, est-elle réactionnaire, ou s’efforce-t-elle de les subvertir, est-elle révolutionnaire ? − Au lieu de cette question, ou en tout cas avant même, j’aimerais vous en proposer une autre. (…) Comment se pose-telle en eux ? Cette question là vise très directement la fonction que l’œuvre assume à l’intérieur des rapports de production littéraires d’une époque. Elle vise en d’autres termes directement la technique littéraire des œuvres. » p.125 « opérant » Walter Benjamin, Essais sur Brecht / L’auteur comme producteur (Allocution à l’Institut pour l’étude du fascisme, à Paris 27 avril 1934) (30) « Dans ce contexte [post-moderniste], la question de la beauté de l’objet obtenu prend la dimension d’un dilemme, non seulement parce que les designers veulent concevoir de beaux objets, mais parce que qu’ils dépendent du regard subjectif, de la spécialisation à outrance du marché et de l’hégémonie du style et des marques dans « le monde-miroir » De manière significative, Bruce Mau commence son livre par une citation (surprenante au départ) de l’ouvrage de Fréderic Nietzsche Die Fröhliche Wissenschaft (Le Gai Savoir), qui permettra, en guise d’épilogue, de qualifier toute réflexion sur le sujet : « Que faut-il apprendre d’un artiste : comment rendre les choses belles, attrayantes et désirables pour nous, quand en soi, elles ne le sont jamais. » LIVRE DESTROY DESIGN Collection Frac Nord Pas-de-Calais | Texte d’introduction : Futur imparfait ; de la cannibalisation à l’ex-design par Peio Aguirre
PAGE 31_______________________________________________________________________________________________________________________________________ (31) Mille Plateaux (Paris, Éditions de Minuit, 1980), Gilles Deleuze et Felix Guattari / Le Radicant, Nicolas Bourriaud, 2009, Presses du Réel et Denoel (32) p.29 « Nous produisons en continu et sélectionnons a posteriori. L’information est constamment et instantanément disponible, recherchée, produite, partagée et « commentable ». Les réseaux sociaux font entendre la voix de tous et les interactions sont immédiates. Cette accélération de la production d’informations induit une densification du présent » Usbek & Rica n°3, hiver 2011 | Dossier Internet, le rêve américain en open-source, Thierry Keller et Stéphanie Vidal (33) p.80 « (…)En matière d’interdisciplinarité, les designers sont les meilleurs éponges au monde. ils peuvent absorber toutes sortes d’humeurs venant de toutes les directions possibles. Ils peuvent certainement se laisser imprégner par l’art, l’architecture et même la science. » AC | DC / Art contemporain design contemporain / actes du Symposiulm 26-27.10.2007 (Table ronde, Jan Verwoert) (34) p.256 « Il est un créative qui Le design de Mille et une
catalyseur sensible de pratiques réelles : il réalise la transformation d’une intuition ou d’une problématique en une synthèse s’incarne dans une solution sensible, sensée, adéquates désirable, un « produit » et des « pratiques ». » nos existences : à l’époque de l’innovation ascendante, entretiens du nouveau monde industriel nuits, Centre Pompidou, ed. Essai Mille et une nuits, 2008 / Texte Interfaces : un rôle pour le design par Jean-Louis Frechin
PAGE 32_______________________________________________________________________________________________________________________________________ (35) p.31 « Le projet d’architecture et de design n’est donc plus aujourd’hui un acte destiné à changer la réalité en l’orientant vers un horizon d’ordre et de logique : il est un acte d’invention qui construit un élément venant s’ajouter au réel, augmentant ainsi son épaisseur, multipliant les choix possibles et impliquant l’utilisateur dans un nouveau récit de l’espace environnant. » « Disons paradoxalement que le projet s’apparente à un plateau de cinéma ou de télévision, sur lequel on crée de manière temporaire ou permanente − la différence est insignifiante −une nouvelle scène, un décor qui n’existait pas avant, et qui agrandit le champ du réel. Le style, les matériaux, les couleurs, les parfums d’un lieu « projeté » forment une scène sur laquelle on peut évoluer ; mais ce lieu n’a de sens et d’identité que s’il diffère des lieux ou du contexte qui l’entourent, qu’il en est une alternative. » (..)« Le concepteur doit donc parvenir à investir le lieu et le produit d’une forte charge d’identité en utilisant les instruments du style (rigoureux ou fantastique) pour parvenir à la fiction, c.à.d. un effet de contraste par rapport au contexte, car plus ce récit est efficace et sophistiqué, plus il transporte l’utilisateur dans un monde différent du monde réel. Et le monde réel, à son tour, est fait de quantité de territoires déjà imaginés dans l’histoire. » « Ainsi le projet devient-il acte constructif, réellement et physiquement, mais aussi métaphore de lui-même. En effet, il s’auto représente, donne à voir sa logique propre, occupe un lieu à travers une mise en scène qui renvoie au récit d’un code d’expression nouveau et original. Toute les fonctions qu’il contient, les services, les technologies, doivent en quelque sorte « se racheter » pour trouver en ce lieu une nouvelle identité et se régénérer. » Nouvelles de la métropole froide : Design et seconde modernité, Andrea Branzi préfacé par François Burkhardt, ed. centre georges Pompidou, 1992. p.7 « Our obsolete craving for possession means that most objects are not problem-solving but problem adding. In the decades immediately after WWII, ‘possession’ was still something that could lead to freedom and happiness, but present times have become so uncertain, fear of loss now has the upper hand. From being a blessing, possession has become a burden and an obstacle to our current need for mobility and flexibility.” Marti Guixé, Open-ended, MUdac, Stichting Kunstboek | 2008
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PAGE 33 ______________________________________________________________________________________________________________________________________ (36) « Le terme d’ « ex-designer », consacré par Matri Guixé, a tout son sens dans la situation actuelle, mais avec cette autonomie accrue, le designer a-t-il pour autant cessé d’être un complice du système ? A-t-il pénétré d’autres marchés ? Par le biais de la forme, le designer sublimerait-il la pauvreté du contenu ? Parallèlement à cette autonomie accrue du design, on a pu observer une institutionnalisation progressive de la profession, une tendance qui n’a pas seulement pris d’assaut les institutions d’art, mais fait à présent partie des points de référence discursifs des directeurs de musées et commissaires d’exposition. Le design (l’image) est comme l’image réfléchie du « curating » : ils vont de pair. Plutôt qu’un changement radical de notre compréhension du concept d’exposition, de centre d’art ou de musée, on a vu éclore une politique de réforme (ou une politique réformatrice) : aujourd’hui, le design critique signifie répondre à ce que l’institution ne veut pas, ne demande pas, suggérant ainsi que l’ex-design est une option substantielle. » LIVRE DESTROY DESIGN Collection Frac Nord Pas-de-Calais | Texte d’introduction : Futur imparfait ; de la cannibalisation à l’ex-design par Peio Aguirre Marti Guixé, Open-ended, MUdac Stichting Kunstboek | 2008 Marti Guixé, Libre de contexte, MUdac, 2003 (octavi Rofes _ avril 2003)
PAGE 38_______________________________________________________________________________________________________________________________________ (37) p.124 « Les rapports sociaux sont conditionnés, comme nous le savons, par les rapports de production. Et chaque fois que la critique matérialiste abordait une œuvre, elle s’interrogeait habituellement sur la position de cette œuvre face aux rapports de production sociaux. » Walter Benjamin, Essais sur Brecht / L’auteur comme producteur (Allocution à l’Institut pour l’étude du fascisme, à Paris 27 avril 1934)
(38) « style : (…) La faculté de créer des métacommentaires à propos d’objets singuliers ou une analyse exhaustive des strates stylistiques et formelles successives d’une marque se situe dans l’usage exclusif de références et dans le fait de leur permettre d’opérer en tant que marqueurs culturels. En ce sens, et malgré l’utilisation intarissable du concept, le style est une catégorie difficile à saisir. (…) « Un jour, il nous faudra des archéologues pour nous aider à deviner jusqu’aux lignes narratives originales des films classiques. », dit l’une des voix d’Identification des schémas, avant de se lance dans une digression sur la dévalorisation de l’objet original dans la culture : « De nos jours, s’ils sont intelligents, les musiciens mettent leurs compositions sur le web, comme une tarte qu’on laisserait refroidir sur le rebord de la fenêtre, pour que d’autres personnes les retravaillent dans l’anonymat. Dix versions seront à jeter, mais la onzième pourraient être géniale. Et gratuite. C’est comme si le processus créatif n’était plus contenu par un seul crâne ; si ça a jamais été le cas. De nos jours, tout est un peu le reflet d’autre chose. » La meilleure description de « monde-miroir » est celle d’une archéologie de l’avenir. LIVRE DESTROY DESIGN Collection Frac Nord Pas-de-Calais | Texte d’introduction : Futur imparfait ; de la cannibalisation à l’ex-design par Peio Aguirre
(39) p.61 « Le plaisir , le jeu et la non-productivité pouvaient aussi devient des fonctions (ce qui est intéressant, c’est que Munari a aussi conçu une machine non-productive). Pour citer Eames, « qui peut dire que le plaisir est inutile ». (ref. Charles Eames cité par Timo de Rijk, parallel thoughts in different minds. Bright Minds, Beautiful ideas, dir. E. Annink et Ineke Schwartz, Amsterdam, BIS publishers, 2003.) www.dolcevita.com/designers/munari0.htm « Wouldn’t it be nice … », Livre d’exposition HEAD, Genève, 2007.
(40) p.29 « Les modes d’accès à ‘l’information sont variés et les utilisateurs misent sur les détours. (…) Sa réticularité favorise la sérendipité définie par l’écrivain britannique Horace Walpole comme la possibilité de faire des découvertes inattendues grâce au hasard et à l’intelligence. » Usbek & Rican°3, hiver 2011 Dossier Internet, le rêve américain en open-source, Thierry Keller et Stéphanie Vidal
PAGE 39_______________________________________________________________________________________________________________________________________ (41) p.140 « Elle immobilise l’action en cours et oblige ainsi l’auditeur à prendre position vis-vis de son rôle. » Walter Benjamin, Essais sur Brecht / L’auteur comme producteur (Allocution à l’Institut pour l’étude du fascisme, à Paris 27 avril 1934) (42) “Verfremdund (a dramatic technique of “estrangement” or alienation)” “Rather than encouraging passivity, he argued, theatre should “refunction” the spectator’s emotions to produce both emotional identification and critical reflection (…)” “A playwriter (…) sought to produce a new viewing subject through a process of theatrical defamiliarization.” p. 809-20 | Playing poltics with estranged and empathetic audiences : Bertolt Brecht and Georg Fuchs , Juliet Koss, The South Atlantic Quarterly 96, no. 4, 1998 (43) « Wouldn’t it be nice … », Performative shifts in art and Design, Katya Garcia-Anton, Livre d’exposition HEAD, Genève, 2007. (44) p.36 « Pourquoi devrais-je inventer de nouvelles formes alors que la réalité offre tant d’images fantastiques, tant de solutions spécifiques ? Ma tâche de designer est de les découvrir et de les restructurer en histoires nouvelles.» Jurgen Bey DROOG _ simply Droog, 10+3 ans / Stichting Kunstboek / 2005
PAGE 40_______________________________________________________________________________________________________________________________________ (45) p.55 “design ouvert” DROOG _ simply Droog, 10+3 ans / Stichting Kunstboek / 2005
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PAGE 42 ______________________________________________________________________________________________________________________________________ (46) « Le designer est un innovateur par posture, il est régi par la passion et l’engagement ; comme il est un concepteur, l’inconnu est son espace de travail. » Le design de nos existences : à l’époque de l’innovation ascendante, entretiens du nouveau monde industriel Mille et une nuits, Centre Pompidou, ed. Essai Mille et une nuits, 2008 / Texte Interfaces : un rôle pour le design par Jean-Louis Frechin
(47) p.4 “The architects who talk about chaos, absence, fragmentation, and indeterminacy usually work hard to assure that you know that a design is theirs by using signature shapes and colors. Arguments about the impossibility of “the total image” are employed in fact to produce precisely such an image — a signed image that fosters brand loyalty” Mark Wigley / Whatever happened to total design ? / 1998, Harvard design magazine, number 5 (48) p.15 « Nous souhaitons, enfin, interroger le possible devenir de ce te convergence présente entre art et design à travers l’exercice de « futurologie » que nous tenterons lors de notre dernière demi-journée. La question d’une esthétique généralisée, non médiumnique, n’interroget-elle pas principalement notre vision de l’avenir ? » AC | DC / Art contemporain design contemporain / actes du Symposiulm 26-27.10.2007
PAGE 46 ______________________________________________________________________________________________________________________________________ (49) p.31 « Ainsi le projet devient-il acte constructif, réellement et physiquement, mais aussi métaphore de lui-même. En effet, il s’auto représente, donne à voir sa logique propre, occupe un lieu à travers une mise en scène qui renvoie au récit d’un code d’expression nouveau et original. Toute les fonctions qu’il contient, les services, les technologies, doivent en quelque sorte « se racheter » pour trouver en ce lieu une nouvelle identité et se régénérer. » Andrea Branzi / Nouvelles de la métropole froide : Design et seconde modernité préfacé par François Burkhardt (50) « Cependant, là où l’on pouvait s’attendre à ce que le plus grand afflux de l’art s’observe dans le domaine de la conception de produits, le surplus de talent du design déborde plutôt dans la conception de livres, le graphisme des institutions, les extensions hybrides entre le graphisme , la mode et la musique, les méthodes classiques de l’impression et de la reproduction, (…)y compris dans le concept étendu de la communication visuelle, et il ne faut pas uniquement se tourner vers des artistes comme Seth Price et Wade Guyton pour avoir confirmation de ce processus d’osmose. En outre, la grande qualité du design appliqué à l’art contemporain a la concurrence − et même de nouvelles fusions et alliances − entre les éditeurs indépendants et les lignes de publications institutionnelles, et a transformé le marché de la publication artistique en un domaine qui offre un plus grand espace de créativité aux designers. (..) Par le biais de la forme, le designer sublimerait-il la pauvreté du contenu ? » LIVRE DESTROY DESIGN Collection Frac Nord Pas-de-Calais | Texte d’introduction : Futur imparfait ; de la cannibalisation à l’ex-design par Peio Aguirre
PAGE 47_______________________________________________________________________________________________________________________________________ (51) « Parallèlement à cette autonomie accrue du design, on a pu observer une institutionnalisation progressive de la profession, une tendance qui n’a pas seulement pris d’assaut les institutions d’art, mais fait à présent partie des points de référence discursifs des directeurs de musées et commissaires d’exposition. Le design (l’image) est comme l’image réfléchie du « curating » : ils vont de pair. Plutôt qu’un changement radical de notre compréhension du concept d’exposition, de centre d’art ou de musée, on a vu éclore une politique de réforme (ou une politique réformatrice) : aujourd’hui, le design critique signifie répondre à ce que l’institution ne veut pas, ne demande pas, suggérant ainsi que l’ex-design est une option substantielle. » LIVRE DESTROY DESIGN Collection Frac Nord Pas-de-Calais | Texte d’introduction : Futur imparfait ; de la cannibalisation à l’ex-design par Peio Aguirre (52) p.191 Table ronde, Jan Verwoert « Ce que je trouve intéressant à propos de Dexter Sinister et de Superflex, c’est le choc entre l’herméneutique et l’hermétique. D’un côté, on offre quelque chose que l’on peut comprendre, un produit que l’on peut acheter, mais de l’autre, il y a aussi quelque chose d’hermétique, qui interrompt l’herméneutique. C’est le fait qu’une partie de l’histoire est sans doute perdue, que le design apporte une qualité hermétique, et il en va de même pour Dexter Sinister. Il y a une générosité liée à une sorte d’hermétique. Je me pose la question de ces éléments de l’herméneutique et de l’hermétique et je me demande s’ils indiquent exactement le moment où la participation est interrompue et devient quelque chose de différent et de résistant. » AC | DC / Art contemporain design contemporain / actes du Symposiulm 26-27.10.2007
PAGE 48_______________________________________________________________________________________________________________________________________ (53) p.256 « La perception et les rôles qui sont attribués au design doivent évoluer pour répondre aux nouveaux enjeux qui se posent aux producteurs et à la société. » Le design de nos existences : à l’époque de l’innovation ascendante, entretiens du nouveau monde industriel Mille et une nuits, Centre Pompidou, ed. Essai Mille et une nuits, 2008 / Texte Interfaces : un rôle pour le design par Jean-Louis Frechin
PAGE 49 ______________________________________________________________________________________________________________________________________ (54) Hal foster « G. G comme Gesamkunstwerk : La notion de G. a fait son apparition dans le romantisme tardif de Richard Wagner comme un moyen imaginaire d’effacer la séparation entre l’art et la vie (…) ; tel était également son rôle dans l’Art Nouveau. Mais à notre époque, l’industrie de la culture a « résolu » cette séparation de l’art et de la vie selon ses propres desseins. Surtout dans nos environnements immergés dans les médias, le G. est souvent devenu une sorte de réalité incontournable, un programme par défaut. Cela vaut souvent même (ou surtout) dans le domaine de « l’art supérieur ». Prenez un seul exemple : la manière dont les expositions d’art et d’architecture paraissent fréquemment se préoccuper moins des œuvres présentées que de leur présentation en tant que telle : la valeur de l’exposition l’emporte sur la valeur de l’art, et même sur toutes les autres valeurs (…). » AC | DC / Art contemporain design contemporain / actes du Symposiulm 26-27.10.2007 p.260 « une approche holistique (globale et transversale) » Le design de nos existences : à l’époque de l’innovation ascendante, entretiens du nouveau monde industriel Mille et une nuits, Centre Pompidou | Texte Interfaces : un rôle pour le design pp.253-261 par Jean-Louis Frechin (NoDesign, ENSCI)
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PAGE 57 ______________________________________________________________________________________________________________________________________ (55) Woudln’t it be ice, catalogue d’exposition, 2007 Texte Performative shifts in art and design, by Katya Garcia-Anton p.57-62 (56) Les archives de l’infâmie, avec « La Vie des hommes infâmes » de Michel Foucault (première parution 1977), Collectif Maurice Florence, Édtions Les Prairies ordinaires, 2009 ------------pour aller plus loin : « La réponse ne eut être que d’ordre éthique et culturel : rendre le monde à nouveau habitable et construire, comme nous y invite Andrea Branzi, « la ville du présent dans celle du passé et celle du futur dans celle du présent ». (…) « lieux ou du contexte qui l’entourent, qu’il en est une alternative. » « Le concepteur doit donc parvenir à investir le lieu et le produit d’une forte charge d’identité en utilisant les instruments du style (rigoureux ou fantastique) pour parvenir à la fiction, c.à.d. un effet de contraste par rapport au contexte, car plus ce récit est efficace et sophistiqué, plus il transporte l’utilisateur dans un monde différent du monde réel. Et le monde réel, à son tour, est fait de quantité de territoires déjà imaginés dans l’histoire. » p.109 « Il semblerait plutôt que soit en train d’apparaître une architecture « morte » − c.à.d. une structure culturelle qui a cessé d’être active −, mais qui est acceptée cependant comme l’une des conditions d’équilibre d’un héritage historique qu’on se contente d’utiliser froidement sans en débattre, comme répertoire d’instrument opératoires. » citation : [ « On peut dire qu’en ce sens, ce que nous vivons n’est pas une crise temporaire ni mortelle ; c’ est plutôt une condition « permanente de l’architecture actuelle », née comme théorie de l’absolument relatif et projetée par les évènements dans une dimension de stabilité qui en élimine la composante provisoire : or celle-ci constituait, tout compte fait, son espoir et sa sauvegarde. Une sorte d’hibernation d’un corps malade, propulsé dans l’histoire vers une époque qui saura résoudre un mal aujourd’hui incurable. » p.120 troisième hypothèse pour cette génération : « Elle pourra ainsi constituer un exemple de transition qui ne s’actualise jamais, de révolution qui n’arrive pas, de gué qui ne se finit pas, de modernité qui ne se réalise pas mais produit des manières et des tendances différentes d’elle-même. » Nouvelles de la métropole froide : Design et seconde modernité , de Andrea Branzi préfacé par François Burkhardt PAGE 58 ____________________________________________________________________________________________________________________________________ (57) « le design dont nous tolérons l’indéfinition » Le design de nos existences : à l’époque de l’innovation ascendante, entretiens du nouveau monde industriel Mille et une nuits, Centre Pompidou | Texte Interfaces : un rôle pour le design pp.253-261 par Jean-Louis Frechin (NoDesign, ENSCI) PAGE 59 ______________________________________________________________________________________________________________________________________ (58) p.36 « Pourquoi devrais-je inventer de nouvelles formes alors que la réalité offre tant d’images fantastiques, tant de solutions spécifiques ? Ma tâche de designer est de les découvrir et de les restructurer en histoires nouvelles.» Jurgen Bey (..) « La prémonition qu’il ya des histoires cachées sous la surface des objets est plus que fascinante ». Même si tout cela semble logique, il ne va pas dut out de soi que la portée des objets transcende non seulement leur fonctionnalité mais aussi leur capacité d’absorption de nos mémoires personnelles. Avant que l’utilisateur ne relie ses propres expériences aux chaises de Bey, elles sont déjà signifiantes ; elles racontent déjà une histoire intriguant. Bey leur a donné une voix. DROOG _ simply Droog, 10+3 ans Stichting Kunstboek 2005
PAGE 60 ______________________________________________________________________________________________________________________________________ (59) p.65 « [il s’agit du projet] « qui assurent la survie des travailleurs itinérants à l’intérieur d’espaces génériques ; chaque unité de base » renferme dans une coquille de noix un conseil comme « n’emportez rien avec vous », « parlez à tout le monde sans discrimination », « considéré que vous êtes partout à l’intérieur ». Beach Towel Politics (la politique du drap de bain) permet d’interpréter les grandes traditions politiques en comportements micropolitiques tels qu’ils se présentent dans la vie quotidienne. Ce sont là des objets qui font réfléchir, des objets enchantés plus efficaces que le langage pour véhiculer des concepts et des propos complexes. » Marti Guixé / Libre de contexte / mudac 2003 (octavi Rofes _ avril 2003) PAGE 61 ______________________________________________________________________________________________________________________________________ (60) p.132 « Pour désigner la transformation des formes de production et des outils dans le sens d’une intelligence progressiste − donc intéressée à la libération des moyens de production, donc utile dans la lutte des classes−, Brecht a forgé le concept de changement de fonction [Umfunktionierung]. « Walter Benjamin, Essais sur Brecht / L’auteur comme producteur (Allocution à l’Institut pour l’étude du fascisme, à Paris 27 avril 1934) p.253 La production des objets est successivement passée tout au long des XIXe et XXe siècles d’un marché d’équipement à un marché de demande. Elle a évolué, à partir de la fin de la Seconde guerre mondiale, en un marché d’offre dans lequel la société de production a perdu son rôle central ; à celle-ci a succédé une société orientée vers la consommation et animée par de nouvelles fonctions, assumées par le marketing, chargées de créer les conditions de l’offre. p.254 [le confort moderne] a contribué à la banalisation et à la crainte de l’idée même de progrès. p.255 Les systèmes de production des « objets » auront à résoudre des questions concernant l’imaginaire, la symbolique, les formes, l’immatériel et le matériel, l’usage et les pratiques, le sens et l’utilité, le plaisir et la raison, et, in fine l’espace et le temps. Ils questionneront aussi les notions de besoins et d’attente dans un monde d’hyperoffre. (..) Né en Europe, à la fin de la révolution industrielle, du besoin de créer des produits essentiels en adéquation avec l’homme, son environnement et son époque, il est majoritairement utilisé dans l’organisation scientifique du travail comme un producteur de formes répondant aux attentes identifiées par les grands métiers de l’entreprise : technique, marketing ou communication. Le design de nos existences : à l’époque de l’innovation ascendante, entretiens du nouveau monde industriel Mille et une nuits, Centre Pompidou, ed. Essai Mille et une nuits, 2008 / Texte Interfaces : un rôle pour le design par Jean-Louis Frechin
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PAGE 63 ______________________________________________________________________________________________________________________________________ (61) Much of the megastructural tradition promoted the idea of “total planning.” Think of Superstudio’s Continuous Monument project of 1969, which they described as “a single piece of architecture to be extended over the whole world . . . an architectural model for total urbanization” that marches sublimely across the surface of the planet. Clearly, the dream of the total work of art did not fade in modernism’s wake. On the contrary, all of the issues raised by architects and theorists of recent generations that seem, at first, to signal the end of the idea of the total work of art turn out to be, on closer look, a thin disguise of the traditional totalizing ambitions of the architect. p.7 If design is always totalizing and involves the mystique of theory, then the question of the fate of total design becomes the question of total theory. This is especially true if we want to discuss the relationship between the professional expertise of what we have up to now called the architect and that of the designer. After all, theory is itself an art work, something designed. Whatever happened to total design ? Mark Wigley, 1998, Harvard design magazine, number 5 (62) Texte Performative shifts in art and design, by Katya Garcia-Anton p.57-62 Woudln’t it be ice, catalogue d’exposition, 2007 (63) p.140 « L’interruption de l’action, à partir de laquelle Brecht a qualifié son théâtre d’épique, fait constamment obstacle à une illusion dans le public. » « Elle immobilise l’action en cours et oblige ainsi l’auditeur à prendre position vis-vis de son rôle. » Walter Benjamin, Essais sur Brecht / L’auteur comme producteur (Allocution à l’Institut pour l’étude du fascisme, à Paris 27 avril 1934) (64) p.15 « Nous souhaitons, enfin, interroger le possible devenir de ce te convergence présente entre art et design à travers l’exercice de « futurologie » que nous tenterons lors de notre dernière demi-journée. La question d’une esthétique généralisée, non médiumnique, n’interroget-elle pas principalement notre vision de l’avenir ? » AC | DC / Art contemporain design contemporain / actes du Symposiulm 26-27.10.2007, introduction, Jean Pierre Greff. (65) Quand l’œuvre d’art a lieu, Récits autorisés, JM Poinsot, Art édition,& Mamco, 1999 (66) Louise Merzeau dans la revue Hermès 53, 2009 p.27 en référence à Steve Mann pour décrire l’enregistrement d’une activité du point de vue de la personne qui la pratique.
PAGE 64 ______________________________________________________________________________________________________________________________________ (67) p.92 cas des projets non autonomes de design car trop dictés par l’industrie, mais ex d’imitations largement diffusées pour Memphis et Alchymia Nouvelles de la métropole froide : Design et seconde modernité , de Andrea Branzi préfacé par François Burkhardt (68) Les utopies des mouvements européens, japonais et américains : d’Archizoom, à Ant Farm, en passant par Global Tools, Archigram, UFO, SuperStudio, Alchymia, jusqu’à Memphis… (69) L’infra-ordinaire de Georges Perec, ed. Seuil, 1995.
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Idea Books, 1992 Andrea Branzi : open enclosures, exposition présentée à Paris à la Fondation Cartier, du 28 mars au 22 juin 2008 No-Stop City : Archizoom associati, Andrea Branzi Ed. bilingue Orléans : HYX 2006 Ettore Sottsass : Métaphores, sous la dir. de Milco Carboni e Barbara Radice Milan : Skira Paris : Seuil, 2002 Ant Farm _ 1969-1978 : exhibition, Berkeley, January21-April 26, 2004 essays by Chip Lord, 2004 Ant farm : exposition, Orléans, Frac Centre, 12 oct.-23 déc. 2007, ed. Orléans : HYX, 2007 DROOG _ simply Droog, 10+3 ans, Stichting Kunstboek, 2005 Manuels, Yona Friedman, Centre national de l'estampe et de l'art imprimé, Paris, 2007-2008 Marti Guixé, Open-ended, MUdac Stichting Kunstboek, 2008 Marti Guixé, Libre de contexte, MUdac, octavi Rofes, avril 2003 Catalogues d’expositions « Wouldn’t it be nice … », Livre d’exposition ed. HEAD, Genève, 2007. 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