A l'ombre de Pétunia

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Pétunia présente des textes en langue anglaise et française, sans traduction. Les numéros de Pétunia sont organisés autour d’urgences subjectives. Il ne s’agira pas de poser des problématiques en éditorial et de consacrer le reste du numéro à les illustrer. Il n’y aura pas d’éditorial. Pétunia n’est synchrone ni avec des questions de territoire ni avec l’actualité. Il n’y aura pas de rubriques mais diverses formes textuelles, du texte théorique au journal en passant par la fiction, qui parleront essentiellement d’art contemporain. La forme de Pétunia sera partie intégrante de chaque numéro et sera un objet au graphisme très présent et revendiqué. Les projets d’artistes viendront compléter l’ensemble. Chacun de ces numéros pourra donc s’envisager non comme une somme sur un sujet, ou une réponse à une tendance, mais comme un livret ouvert, autonome, spécial. Pétunia veut être un objet non répertorié, inadéquat et “incasable”, alors qu’elle affirme par ailleurs une identité forte, du fait de son prisme : s’intéresser principalement aux critiques, commissaires, artistes, etc., femmes. Ainsi, Pétunia est une revue féministe dans le sens où elle pratique une forme Pétunia

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Pétunia presents artists' proposals and texts in French or English. Pétunia's issues are organised around subjective emergencies. Pétunia avoids using author's texts as illustrations of a main topic chosen by the chief editors. There is no editorial or publisher's statement. Each issue will be autonomous, and does not connect with territorial issues and current matters or trends. There are no chapters or sections, but diverse textual forms, from theoretical texts to diary entries to pure fiction or comics, mostly concerning contemporary art. The layout of Pétunia will be an important part of each issue; its graphic design will be very present and proclaimed. Pétunia wants to be an unclassified object that paradoxically affirms a strong identity in focusing foremost on the work of women critics, curators, artists… From this perspective, Pétunia is a feminist publication playing the game of affirmative action, as a response to the constant imbalance of the role and place of women in the art world. Pétunia also reactivates—hopefully with nostalgia and humour—the forms of ideological engagement of women regarding art and critical À l'ombre de Pétunia

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de discrimination positive, partant du constat d’un déséquilibre de la place et du rôle des femmes dans le dit “monde de l’art”. Pétunia réactive avec nostalgie et humour les formes assimilées de l’engagement idéologique des femmes dans l’art et dans la production critique tout en nourrissant son regard de trois décades de “women studies”, “black studies”, études post-coloniales et, bien sur, post-féministes.

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production, while enriching its view of three decades of “women studies”, “black studies”, post-colonial studies and, of course, postfeminist studies.

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Avant d’entrer en matière, nous ne pouvons pas ne pas vous poser la question : pourquoi avoir donné ce nom à la revue ? 1

Lili Reynaud-Dewar : C’est sans véritable raison que nous l’avons choisi. Le pétunia n’est pas une fleur très noble : il fleurit le parterre des mairies modestes. De plus, dans le langage des fleurs, on dit que c’est une variété que l’on offre quand on est en colère. Le choix s’est donc fait presque naturellement. J’aime assez le principe de cette fleur pourtant ornementale et un peu cheap… Valérie Chatrain : Et nous voulions demeurer dans le registre « féminin » habituellement employé. On raconte que la fleur vient d’Amérique ; les premiers à l’avoir importée croyaient à tort qu’il s’agissait d’une espèce de tabac ; de là « pétunia », de pétuner, pétune.

Dans quelles conditions le projet « Pétunia » a-t-il vu le jour ?

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L R-D Tout est parti d’un constat simple et banalement évident : les femmes sont sous représentées publiquement parmi la foule d’artistes plasticiens qui travaillent en France. Au premier abord, cela peut paraître anecdotique, mais le phénomène est bien réel, et d’autant plus flagrant dans les expositions générationnelles•. Une idée de revue a donc vu le jour, pour renverser ce déséquilibre, de manière assez littérale et peut-être simpliste dira-t-on, mais avec une stratégie non dissimulée. Plusieurs événements ayant trait aux statuts des femmes concordent avec la gestation de Pétunia, une revue qui a suscité beaucoup de réactions dans le milieu des professionnels de l’art contemporain français : une ire collective a été déclenchée, par autant de femmes que d’hommes. Dorothée Dupuis : À cette occasion, nous avons découvert que le féminisme est bien le « f » word. Certaines attaques portaient directement sur le contenu théorique — plutôt technique. Mais la forme des critiques était elle aussi assez remarquable : je pense notamment à certaines mises en scène lors de vernissages ou d’autres événements artistiques… Nous avons pu vérifier que la question de l’espace (réel et symbolique) est toujours extrêmement importante pour la distribution de la parole et des rôles. En France, la scénographie est souvent symptomatique des rapports de pouvoir, avec par exemple les théoriciens d’un

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Before going any further we have to ask you: why did you choose this name for your magazine? L R-D There was no real reason for choosing it. Petunias aren’t a very noble flower; they’re found in most small towns’ municipal flower beds. In addition, in the language of flowers, they’re given when you’re feeling angry. So the name almost chose itself. I rather like the idea of a flower that is decorative but at the same time quite inexpensive. VC And we wanted to stick with the “feminine” register that’s normally used. It’s said that the flower came from America; the first people who imported it wrongly believed that it was a type of tobacco, hence “petunia” from pétuner/pétune (to smoke tobacco/tobacco).

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How did "Pétunia" come about? L R-D It all started with a simple but glaringly obvious observation: women are publicly under-represented among all the visual artists working in France. At first glance, this may seem trivial, but the situation is very real and all the more blatant in generational exhibitions•. So we came up with the idea for a magazine to right this imbalance in a rather literal and perhaps simplistic way, you could say, but with a transparent strategy. Because several events affecting women coincided with Pétunia’s creation—and the magazine sparked a lot of reaction in contemporary art circles in France—it was met with a great deal of hostility from both women and men. DD We learned that feminism truly is the F-word. Some of the attacks focused on the theoretical content and were rather technical. But the form of the criticism was also notable; I’m thinking in particular of certain portrayals during previews and other art events… We noticed that the issue of space (real and symbolic) is always extremely important in terms of assigning roles and the right to speak. In France, scenography is often symptomatic of the balance of power with, for example, theoreticians on one side of the table and artists on the other and Pétunia all on its own! Within our group, launching the Pétunia project also provided an opportunity to examine our respective stances as

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côté de la table, les artistes de l’autre… et Pétunia à part ! Au sein de notre groupe, l’initiation du projet Pétunia fut aussi l’occasion de nous demander quels étaient nos positionnements respectifs en tant que féministes. Chacune avait son avis sur la question, lequel engageait une réalité, des rencontres et des corpus de références différents. L R-D Je précise que nos backgrounds sont très généralistes et la revue ne tire pas sa légitimité de diplômes spécialisés dans les études féministes instituées, comme ce peut être le cas pour les revues de référence dans le champ. Du reste, nous tenons à garder notre autonomie à l’égard des cercles universitaires et autorisés. Ce qui ne nous empêche pas de publier des articles “caution”, comme par exemple l’entretien avec Elsa Dorlin•. Mais notre objectif n’a jamais été de nous faire apprécier ; d’ailleurs nous trouvons que nous sommes un peu trop acceptées maintenant… Quoi qu’il en soit, notre approche de la revue est ouvertement féministe, dans le rejet de la structure dominante et validante, celle d’une rédaction très installée ou du studio de création calqué sur le modèle patriarcal de l’entreprise, où un certain type de hiérarchie et de filiation est toujours à l’œuvre aujourd’hui… Mais nous utilisons aussi l’étiquette féministe avec humour ! VC Personnellement, j’ai eu ma toute première approche de la théorie féministe aux États-Unis. Ma réflexion a donc davantage puisé dans les gender studies que dans les débats des années soixante-dix… Mon parcours ne s’est pas vraiment nourri des références historiques, sociales et politiques circulant en France ; même “le queer” me paraissait un peu daté… En étant bilingue et en intégrant peu de traductions, Pétunia revendique un intérêt pour les théories non françaises, versant plutôt du côté américain, ce qui n’est pas évident car le lectorat français est souvent très réticent à lire l’anglais. Notons au passage l’évolution qu’ont pris tous ces courants alternatifs des années soixante et soixante-dix : ils sont désormais tous enseignés à l’université ! DD …Alors que le féminisme est aussi une espèce d’étendard, sans l’être tout à fait. Le féminisme, c’est aussi l’étiquette du renégat.

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feminists. Each of us had our own opinion on the subject, which involved different realities, encounters and corpuses. L R-D I want to clarify that we have very general backgrounds and that the magazine doesn’t base its legitimacy on specialised degrees in feminist studies, as might be the case for leading magazines in this field. What’s more, we’re keen to remain independent of university and establishment circles— which doesn’t keep us from publishing “safe” articles, such as the interview with Elsa Dorlin•. But we’ve never sought to be liked; in fact, we find that we’re a bit too accepted right now… Having said that, our approach to the magazine is openly feminist in that we reject an authoritative, approval-granting structure, i.e. a well-established editorial staff or a design studio based on a corporate patriarchal model, where a certain type of hierarchy and reporting relationship is always the rule today… But we also use the feminist label in a humorous way! VC Personally, I had my first experience with feminist theory in the United States. So my thinking is based more on gender studies than on the debates of the 1970s… I haven’t really been influenced by the historical, social and political influences circulating in France; even the “queer” concept has always seemed a little dated to me… By being bilingual and limiting the number of translations, Pétunia demonstrates an interest in nonFrench theories, especially American, which is a challenge because French readers are often very reluctant to read English material. In passing, it’s interesting to observe what has happened to all those alternative movements from the ‘60s and ‘70s: all of them are now taught in university. DD …While feminism is also a sort of movement, though not completely. Feminism is also the badge of a rebel. You hear about divisive feminism, different currents of thought, or “feminisms”, which are generalisations without any distinctions. By using the word feminism in the singular, we’re reintroducing the concept of unity, even sisterhood, to a certain extent. This means bridging the divide, getting along, if only on the basis of the arbitrary and simplistic criterion of being a woman. It’s important to convey this cohesive energy. Pétunia is merely an expression of this energy.

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On entend parler de féminisme clivant, des courants de pensée différents, ou encore “des féminismes” en généralisant, sans circonscrire. En utilisant le mot féminisme au singulier, nous réintroduisons d’une certaine manière une notion d’unité voire de sororité. Parler entre chapelles, s’entendre, même sur la base d’un critère arbitraire et simpliste qui est celui d’être une femme. Il est important de relayer cette énergie dont Pétunia n’est qu’une expression. VC Et nous parlons aussi depuis un point de vue qui a sa singularité. Nous sommes trois femmes blanches occidentales et diplômées. Parler au nom du féminisme, ou même d’un féminisme particulier ou partisan n’aurait pas de sens. L R-D Le trio que nous constituons ne se revendique pas comme tel ; il n’est pas autonome car il a besoin de la revue pour exister. Dupuis–Chartrain–Reynaud ne s’est pas établi spontanément. Nous sommes toujours dans cette idée de structure fluide et mobile. C’est l’aspect féministe de notre méthodologie que nous assumons. Nous sommes dispersées, mais c’est aussi ce multiactivisme qui génère le contenu du magazine. Le caractère « amateur » est clairement exploité dans la légèreté d’approche des sujets costauds, avec une curiosité bien affirmée et un ton revendicatif, mais qui ne cherche pas à sanctionner. DD Ce qui étonne aussi dans l’émergence de Pétunia, c’est que notre trio était a priori assez improbable. Nous ne venions pas exactement des mêmes scènes de l’art contemporain. Et c’est très bien comme ça !

Dans le même sens, nous réunissons dans l’exposition des designers provenant de pratiques et d’univers très distincts, du milieu industriel, de milieux proches de l’art contemporain ou encore revendiquant une pratique DIY. L’enjeu était de comprendre comment ces questions en rapport aux femmes traversent leurs pratiques… L R-D C’est intéressant que vous posiez la question à travers les producteurs, plutôt que par les usages uniquement. C’est donc ici, dans le catalogue, où vous intervenez le plus sensiblement ? C’est ici d’une certaine manière que vous interrogez frontalement la place des femmes dans le design français…

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VC And we’re speaking from a very specific perspective. We’re three white, Western women with university degrees. It wouldn’t make any sense to speak in the name of feminism generally or even in the name of a sub-group or specific type of feminism. L R-D We don’t make any such claims; the group we form isn’t an autonomous entity; it owes its existence to the magazine. Dupuis-Chartrain-Reynaud was not spontaneously created, yet we’re still following the principle of a fluid and mobile structure. And we emphasise the feminist aspect of our methodology. We’re into different things, but the magazine’s content is also generated by our activism in various causes. We take full advantage of its “amateur” status with our light approach to heavy topics, with a bold curiosity and a tone of protest that makes no effort to approve or disapprove DD What’s also surprising about Pétunia’s creation is that our threesome seemed pretty improbable at first glance. We didn’t exactly come from the same contemporary art scenes. But we love it that way!

In the same way, we have brought together designers for the exhibition who have very distinct approaches and backgrounds, including industrial settings, contemporary art circles and do-it-yourselfers. The challenge lay in understanding how the issues facing women relate to their works. L R-D It’s interesting that your question focuses on the ‘producers’ rather than what is being produced. So you’ve chosen the catalogue as the place to get this message across? In a way, that’s where you’re tackling women’s place in French design head-on… Florence Doléac, a friend of mine, almost took the opposite course by creating a very DIY design, thrown together, very amateur, in direct reaction to a production-oriented industrial structure based on a very male-dominated and hierarchical organization. But that way, she may end up finding a niche for herself… In the final analysis, compared to what you see in the design field, I have the impression that the contemporary art scene has nothing to complain about.

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Florence Doléac, une amie (que vous exposez je crois…), en a presque pris le contre-pied, en faisant un design très DIY, bricolé, très amateur, en réaction directe aux structures industrielles productivistes qui reposent sur une organisation hiérarchique et très masculine. Mais par là, elle finit peut-être par se retrouver dans une niche… Finalement, en regard de ce que l’on peut voir dans le champ du design, j’ai l’impression que le milieu de l’art contemporain n’est pas à plaindre.

C’est quelque chose que vous avez pressenti en invitant Alexandra Midal dans votre premier numéro (voir l’article « Les pionnières du design », p. 26-29 « Pétunia » n°1, 2009). Ce n’est pas un hasard si elle propose de situer l'origine du design moderne dans les cuisines américaines rationalisées par quelques figures féminines. L R-D Effectivement, Alexandra Midal adopte un ton particulier pour une historienne, un ton ouvertement anticonformiste, insolent et frondeur. Sa lecture s’avère différente et bouscule l’ordre établi.

Dans l’exposition « C’est pas mon genre ! » nous avons pu noter que des femmes designers ne cherchent pas à rentrer frontalement dans un univers technique hautement masculin. Du coup, certaines d’entre elles restent à la marge, faisant évoluer d’autres formes du design, des formes proches de l’art, proches de techniques de productions artisanales ou DIY, comme vous l’avez dit. VC C'est vrai. Mais économiquement parlant, elles sont hors réalité, car c’est dans le milieu industriel mainstream que l’on trouve les capitaux qui génèrent la production en design. DD Dans notre cas, c’est le questionnement du genre que nous poursuivons avec Pétunia, qui ne doit pas en rester au stade de la réflexion et trouver un accomplissement dans la réalité. Le moment venu, il faut cesser d’utiliser des outils spécifiques pour confronter la théorie à une pratique qui peut fonctionner dans un système normal. Qui sait ? Peut-être l’avenir de Pétunia sera-t-il de ne plus faire Pétunia, mais de passer à une phase de production mainstream.

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Yet it’s something you sensed by inviting Alexandra Midal to [write an article for] your first issue (see the article "Les pionnières du design", pp. 26-29, "Pétunia", Issue 1, 2009). And it’s no accident that in her article she suggests an evolution in the design of open-plan kitchens supported by several prominent women. L R-D Yes, in fact, Midal adopts an unusual tone for an historian that is openly anti-conformist, cheeky and rebellious. Her writing is different and overturns the established order.

In the exhibition "C’est pas mon genre!" we noticed that women designers avoid plunging headlong into a largely male technical world. As a result, some of them remain on the edge, fomenting change in other forms of art, forms close to art, artisanal techniques or DIY, as you said. VC But economically speaking, they’re working outside the system, because the capital that generates production in the design world is found in a mainstream industrial setting. DD In our case, we’re challenging gender assumptions in Pétunia, and there is a need to move beyond the theoretical stage and bring about actual change. At a certain point, we need to stop using special tools for comparing theory with what works in real life. Who knows? Perhaps Pétunia’s future lies in no longer publishing Pétunia, but moving to a mainstream production phase. L R-D Be that as it may, we refuse to occupy a certain niche because Pétunia basically deals not only with gender but also with race, class, status, power, etc. DD The phenomenon of loss of cultural identity sometimes prevents us from challenging the masculine in its own sphere and workplace. We can ask what’s more valuable: a woman who manages to design sofas and Moulinex toasters through “normal” channels and established methods, or the same woman becoming aware of the challenges and attempting to subvert the established system? And this brings up the old cliché, i.e. singling out an individual within a company on the basis of gender may have no bearing on what is being produced… This discourse does exist; it seeks to elevate a woman in one setting or another to

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L R-D Quoi qu’il en soit, nous refusons d'occuper une niche ou un créneau. Car au fond, dans Pétunia, il n’est pas seulement question de genre, mais aussi de race, de classe, de statut, de pouvoir… DD Le phénomène de déculturation empêche parfois d’aller challenger le masculin sur son terrain et sur son lieu de travail. On peut se demander ce qui vaut le mieux : une femme qui, par la voie « normale » et en utilisant les codes établis, parviendrait à concevoir des canapés ou des grille-pain Moulinex, ou bien la même femme prenant conscience des enjeux et qui chercherait à subvertir le système institué ? On en revient au poncif selon lequel le fait de distinguer un collaborateur ou supérieur sur le critère du genre amène parfois à produire des réponses qui n’ont pas de pertinence dans le sujet traité… Ce discours existe ; il vise à starifier, à rendre exceptionnel le travail d’une femme dans tel ou tel milieu. VC Comme elle est perçue de manière différente par ses collaborateurs, on s’attend peut-être à ce qu’elle réalise un travail différent. Et tacitement, elle pourra même se sentir obligée de produire un objet qui tend à se différencier des objets dessinés par ses homologues masculins. DD Le design ne fait pas exception. En présupposant que la norme est que les femmes échouent là où les hommes réussissent, on en arrive par exemple à demander à Zaha Hadid : « Comment vous y êtes arrivée ? », discours décourageant pour la gente féminine, pourtant largement relayé dans les médias : « Bravo, vous êtes une femme. C’est exceptionnel ! ». C’est là l’un des paradoxes du féminisme. Quand on s’engage dans ce type de réflexion, il faut viser le moment où le féminisme n’aura plus de raison d’être. La lutte est donc aussi de notre propre côté.

Comment s’organise un numéro de « Pétunia » ? Vous avez semble-t-il commencé à travailler de manière thématique : le numéro deux, par exemple, s’articule autour d’une réflexion sur l’identité et le « role-play ». DD Il n’y a pas d’éditorial, pas de chapeau ni de transition entre les articles. Le thème ne saute pas aux yeux ; il revient au lecteur d’établir des liens. Le numéro trois fait quant à lui

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star status and turn her work into an exceptional product. VC Since she’s perceived differently by her colleagues, she may be expected to produce something different. And she may even tacitly feel obliged to produce an object that seeks to be different from those produced by her male counterparts. DD Design is no exception. By making the assumption that it’s normal for women to fail in areas where men succeed, you end up asking Zaha Hadid, for example, “How did you do it?”. This is a discouraging message for women, but it’s widely disseminated in the media: “Good for you, you’re a woman. That’s amazing!” It’s one of the paradoxes of feminism. When you engage in this type of thinking, you have to work toward the time when feminism will no longer have a raison d’être. So we also have to take a look at what we can do ourselves.

How do you organise an issue of "Pétunia"? It seems as if you began with a theme-based approach; issue two, for example, revolved around identity and role play. DD There’s no editorial, heading or transition between articles. The theme doesn’t jump out at you; it’s up to the reader to make the connection. Issue three focused more on space and architecture, while the first issue of Pétunia dealt with affirmative action. It’s this lack of pigeonholing that has allowed the magazine to exist as a statement in its own right, which has permanently relieved us of the responsibility of restating this commitment in every issue. Pétunia reinvents the fanzine. But contrary to these publications, which often appear rushed, the magazine is carefully crafted year after year, and we even use loop staples. We know we’re the chic avatar of photocopier activism! At the same time, Pétunia stands out from the usual glossy magazines. L R-D The content is rich and the magazine itself is a pleasure to handle. It doesn’t cost much to produce or to buy; it was even free when it first came out. That was one of the conditions for its release. From a technical perspective, we’re also trying to streamline and simplify production, especially regarding the (re-) production of texts, but that doesn’t mean we sacrifice the

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davantage référence à l’espace et à l’architecture. Le premier numéro de Pétunia a été comme l’affirmative action. C’est ce non-tri qui lui a permis d’exister comme un quasi objet manifeste, qui nous a définitivement déchargées de réaffirmer cet engagement dans les numéros suivants. DD Pétunia rejoue les codes du fanzine. Mais contrairement à ces publications qui ont un caractère d’urgence, la revue est soigneusement façonnée, avec des agrafes à œillets, année par année. Nous sommes conscientes que nous sommes l’avatar chic du militantisme-photocopieuse. En même temps, parmi tous les magazines glossy, la revue Pétunia est facilement repérable. L R-D Le contenu est riche et l’objet est agréable à prendre en main. Il coûte peu en production et peu au lecteur (il est même gratuit lors de son lancement). C’était l’une des conditions pour pouvoir le sortir. Du point de vue technique, nous cherchons aussi à alléger et simplifier la production de Pétunia, notamment pour ce qui concerne la (re-)production des textes ; mais le temps de travail alloué aux choix éditoriaux n’est pas sacrifié pour autant. Les revues restent. Elles traînent dans les appartements, elles occupent l’espace domestique. Il faut tenir compte de ce fait. Évidemment, le pouvoir de circulation d’un média culturel de grande échelle n’est pas le même que celui d’une modeste revue. Ces idées de circulation et d’occupation de l’espace nous intéressent beaucoup. Finalement, ce qui est amusant, c’est que l’on puisse avoir envie de conserver une revue-fanzine. Il y a là une forme de préciosité très austère… DD Pour la reproduction de textes sélectionnés, nous utilisons le re-print pirate, mais dans les pourcentages autorisés. L R-D Nous avons cherché néanmoins à éviter le côté cheap et « actu ». Les auteurs invités ont du temps pour envisager et nous donner leur travail. Du reste, les auteurs sont payés ; c’était pour nous une contrainte éthique de base. On ne fait pas fortune avec Pétunia, mais ce sont des conditions basiques de fonctionnement auxquelles nous ne voulions pas déroger. Nous payons aussi les graphistes de la revue. Il y a certes une partie graphique invariable (le format de la revue plutôt

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amount of time devoted to making editorial decisions. Magazines stick around; they lie around flats and occupy domestic space. We need to take this into account. The power of a large-circulation cultural publication cannot be compared to that of a small magazine. We’re very interested in these ideas of circulation and occupation of space. Lastly, what’s funny is that people want to hang onto a fanzine-magazine; it’s a sort of austere affectation… DD To reproduce selected texts, we use pirated reprints, but we comply with authorised percentages. L R-D Still, we’ve tried to avoid a “cheap” look and the more obvious “news” items. Invited authors have time to plan and send in their work. What’s more, the authors are paid; for us, that was a basic ethical requirement. We don’t make a fortune with Pétunia, but these were basic operating conditions that we didn’t want to violate. We also pay our graphic artists. Some of the graphics are always the same, of course (the rather traditional magazine format of 200 x 297 mm, black and white printing, etc.). The specifications and deadlines are very strict, but there’s also a lot of room for creativity. DD From a completely personal perspective, Pétunia has been a means of emancipation. This experience has opened my eyes to the fact that you can create worthwhile projects that are less than perfect and do not conform to standard formats. You have to keep in mind that each of us is writing from a different point of view, which raises the issue of standpoint theories. These theoretical phenomena, which we thought were confined to the magazine, have an impact on reality. A sort of performativity comes into play… L R-D One of our fantasies is to have online resources. We’ve also been receiving more invitations to speak about Pétunia, providing us with opportunities to take on specific projects and diversify behind the scenes. VC You have to put things in perspective; we all have activities that come before Pétunia, so we take an amateur approach and we don’t want that to change.

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classique 200 × 297 mm, l’impression noir et blanc…). Le cahier des charges et le timing sont très serrés, mais il y a aussi beaucoup de liberté à prendre. DD De façon tout à fait personnelle, Pétunia a été pour moi un vecteur d’émancipation. L’expérience m’a fait découvrir que l’on peut faire dignement exister des projets qui ne sont pas parfaits et qui échappent aux formats standards. Il faut garder à l’esprit que nous écrivons depuis un point de vue différent pour chacune d’entre nous. Cela renvoie aux stand point theories. Ces phénomènes théoriques que l’on pensait captifs de la revue agissent sur la réalité. Il ont une sorte de puissance performative… L R-D L’un de nos fantasmes serait d’avoir des ressources en lignes. Nous sommes aussi de plus en plus invitées à présenter la revue, occasion pour nous de produire un travail spécifique et de nous diversifier, à l’ombre de Pétunia. VC Il faut mettre les choses en perspective : chacune d’entre nous mène des activités qui passent avant Pétunia. Nous avons une approche d’amateurs et nous ne voulons pas que cela change.

1 Valérie Chartrain a étudié à Sciences Po ; elle est historienne de l’art et travaille à la galerie Neugerriemschneider (Berlin, Paris). Lili Reynaud-Dewar a étudié les beaux-arts à Glasgow et à Nantes ; elle est artiste plasticienne. Dorothée Dupuis a été formée à l’École des arts décoratifs de Strasbourg ; elle a été directrice de la galerie Triangle à A, G, I B, H, J C, E, F D

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Marseille de 2007 à 2012 et commissaire indépendante. 2 Cf. par exemple l’exposition La Force de l’Art 02 en 2009. Lire aussi Isabelle Alfonsi, Claire Moulène, Lili Reynaud-Dewar et Elisabeth Wetterwald : « La faiblesse de l’Art », Le Monde, 25 avril 2009. 3 Pétunia n°1, 2009, p. 8-11.

Pétunia n°1, Monografik Editions, 2009 Pétunia n°2, Monografik Editions, 2010 Pétunia n°3, Triangle France, Motto Distribution, 2011 Pétunia n°4, Triangle France, Motto Distribution, 2012

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1 Valérie Chartrain studied at Sciences Po; she is an art historian and works at the Neugerriemschneider Gallery (Berlin, Paris). Lili Reynaud-Dewar studied fine arts in Glasgow and Nantes and is a visual artist. Dorothée Dupuis studied at the École des Arts Décoratifs in Strasbourg; she has served as director of the Triangle Gallery in Marseille from A, G, I B, H, J C, E, F D

2007 to 2012 and also works as an independent exhibition organiser. 2 See, for example, the 2009 La Force de l’Art exhibition. Also see: Isabelle Alfonsi, Claire Moulène, Lili Reynaud-Dewar and Elisabeth Wetterwald: “La faiblesse de l’Art” (The Weakness of Art), Le Monde, 25 April 2009. 3 Pétunia, n°1, 2009, pp. 8-11.

Pétunia n°1, Monografik Editions, 2009 Pétunia n°2, Monografik Editions, 2010 Pétunia n°3, Triangle France, Motto Distribution, 2011 Pétunia n°4, Triangle France, Motto Distribution, 2012

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