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Du 3 au 17 juin 2011 -ISSN 0399 2535
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Nouveauté
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Evénement Accessibilité Le 6 mai, Jean-Marie Barbier, président de l’APF, interpellait la ministre des Solidarités et de la Cohésion sociale, Roselyne Bachelot, en clôture du congrès de l’Association des paralysés de France (APF), parlant de “faillite” de la politique du handicap. A quatre ans de l’échéance de la loi sur l’accessibilité de 2005, l’APF met la pression. Propos recueillis par Pierre Cossard et Xavier Renard
A quatre ans de l’échéance de la loi sur l’accessibilité, quel bilan dressez-vous aujourd’hui ? ➤ Chez les professionnels du transport, la volonté existe. Nous avons par exemple reçu la FNTV, qui nous dit vouloir faire les efforts nécessaires, mais se trouve confrontée aux atermoiements des AOT. Globalement, l'écart s'est creusé et continue de se creuser. Comme je le disais en clôture du congrès de l'Association des paralysés de France à Bordeaux, la politique du handicap en France est aujourd'hui bien mal en point, pour ne pas dire en faillite. Dans une réunion à l’Elysée, des conseillers du président m’ont reproché ces propos, je les maintiens. Je n’ai pas dit que nous étions déjà en faillite. Je considère que différents acteurs (maîtres d’ouvrage, AOT, secteur privé…) ne cessent de tenter de remettre en cause le principe même de la loi. Sur le sujet de l'accessibilité, on a donné dix ans et on en a déjà presque perdu cinq. Le premier fautif, c’est l’Etat. Regardez les universités, elles ne sont toujours pas – totalement – accessibles alors que le gouvernement s’y était engagé pour 2011. Localement, le
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problème existe aussi. Les commissions communales d’accessibilité ne se sont pas toutes réunies. On assiste parfois à une partie de ping-pong entre les communes dans le cadre de l’intercommunalité, chacun se rejettant la responsabilité du sujet, sans vouloir le prendre à bras-le-corps. Autre exemple : le transport scolaire. C’est un vrai sujet qui n’est pas traité à sa juste valeur. Ce sont souvent des véhicules de troisième main qui assurent ce service. On se dit que ce sont des gamins et qu’ils vont s’entre-aider. Cela ne résout pas le problème. Par ailleurs, je n’accepte plus que l’on nous dise qu’il y a moins d’argent à investir à cause de la crise. Il n’y en avait pas plus avant. Au fil des décrets et des amendements que l’on voit paraître, on sent de la mauvaise volonté. Que pensez-vous du texte lui-même ? ➤ La loi est bien faite. C’est un bon compromis. Le législateur a été plus souple quand il y a des contraintes topographiques avérées. De notre côté, nous avons fait des concessions. Des villes vallonnées (Clermont-Ferrand, Marseille) ont eu des difficultés,
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© RATP / Gérard Dumax
“Où est la volonté politique de l’Etat ?”
nous le reconnaissons bien volontiers. Mais, tout de même, il faut bien commencer un jour à rattraper le retard ! Au fond, qu’est-ce qui vous gêne le plus ? ➤ Aucune pénalité n'a été prévue par la loi, l'observatoire mis en place ne l'a été qu'en 2010, et le seul recours sera de mener des actions en justice. On envoie un message terrible à ceux qui ont fait le boulot, puisque leur bonne volonté ne fera pas la différence. Cela vaut pour les transports mais surtout pour les hôteliers et les restaurateurs qui sont les champions de la mauvaise volonté. Les hôteliers, je ne les ai jamais reçus
L’APF Fondée en 1933 par André Trannoy, l'Association des paralysés de France (APF) s’efforce de lutter pour l'intégration des personnes handicapées dans la société. Dirigée par un conseil d'administration composé de 21 membres, l’association regroupe 32 000 adhérents, plus de 70 établissements médico-éducatifs et 50 ateliers adaptés.
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ici dans nos bureaux. Pourtant, avec le passage à la TVA à 5,5 %, il avait été question qu’en contrepartie l’accessibilité soit une priorité. Il n’en est rien. Ils refusent tout en bloc. Ne pas s'intéresser à cette question et la mettre à la poubelle, ça veut dire qu'on nie ce droit-là aux personnes handicapées. Les personnes handicapées ont le droit comme tout le monde d'avoir une vie affective, sentimentale et sexuelle. Les élus ne s’intéressent réellement au handicap que lorsqu’ils y sont confrontés directement. Les architectes ont, de leur côté, à se cultiver. Ils vivent le handicap, l’accessibilité comme une contrainte. Non, c’est un enjeu ! Au fond, depuis la première loi de 1975, les personnes concernées ont eu un délai de quarante ans pour être accessible au 1er janvier 2015 !
Vous craignez un statu quo en 2015 ? ➤ Non, je ne veux pas y penser, il faut rester positif. Je n’ai pas envie de dire que c’est foutu. Il reste quatre ans ! Des choses ont avancé mais il faut que tout le monde tire dans le même sens. Six ans après la loi handicap du 11 février 2005, en dépit des nombreux progrès qui ont été réalisés, beaucoup reste à faire. Au niveau de l’accessibilité bien sûr, mais aussi sur la question des ressources. Il n’empêche que si l’échéance de 2015 n’était pas tenue, ce ne serait pas seulement un échec pour l’APF mais pour la France. Quel exemple donnera notre pays s’il n’est pas accessible en 2015 ? La question est plus de savoir quelle importance la France accorde au handicap et à l’accessibilité pour les personnes à mobilité réduite.
A vos yeux, qui doit prendre en charge cet enjeu capital ? ➤ L’Etat. Nous pensons que c’est au ministre et aux préfets de stimuler les choses. Nous aimerions qu’un ministère comparable à celui du développement durable soit créé. Cela ne peut marcher que si tous les ministres sont impliqués. Aujourd’hui, Roselyne Bachelot, la ministre des Solidarités, est tête de pont. Mais quelle influence son ministère a-t-il sur les autres ? Récemment, nous avons eu gain de cause avec la constitution du conseil interministériel qui se réunit deux fois par an autour du Premier ministre et qui a nommé un secrétaire général chargé de suivre l’évolution de l’application de la loi. Mais le gouvernement commence enfin à entendre ce que nous disons.
“Nous recherchons en ce moment les exemples les plus criants de mauvaise foi, et sommes bien décidés à entamer quelques procédures judiciaires... c’est notre seule arme.” Jean-Marie Barbier Président de l’APF
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Evénement “Nous avons parfaitement conscience de l’ampleur des investissements nécessaires à la mise en accessibilité des points d’arrêts en zone rurale, sans parler des cheminements, mais si on ne commence pas un jour, rien n’aboutira jamais.” Quels sont les bons élèves dans le domaine des transports ? ➤ La ville de Nantes est ressortie du lot (pour la deuxième année consécutive) de notre enquête annuelle. L’initiative de Grenoble est aussi intéressante. Ils ont élargi les portes d’accès au tramway de manière à ce qu’il soit accessible à tous. Résultat : la fréquentation a gagné 12 % depuis ce réajustement. Ce coût financier s’est transformé en bénéfice. La SNCF a aussi beaucoup travaillé ces dernières années. Pour la RATP, qui n’est pas le plus en retard, c’est inégal. Le métro n’est pas remplacé par un moyen de transport en surface. Pour nous, c’est simple : la vraie solution pour remplacer le métro, ce serait un bus de substitution toutes les trois minutes. Ce n’est pas le cas. Le Stif a fait trois propositions d’aménagement du réseau, aucune ne respecte la loi. En banlieue, à Orly ou Noisy, je ne sais plus, nous avons un établissement de travail sur le parking d’une station qui n’est même pas accessible pour les personnes handicapées ! C’est le comble.
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Qu’en est-il des lois ? La loi handicap de 2005 n’est pas la première loi sur l’accessibilité. En 1975 déjà, une loi prévoyait de rendre la France accessible, sans toutefois donner de délai. Le 11 février 2005, la loi pour l'égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées intitulée “cadre bâti, transports et nouvelles technologies” a fixé au 1er janvier 2015, l’échéance à laquelle les transports, les bâtiments publics et les administrations devront être accessibles à tous. Il reste à peu près 1 300 jours pour atteindre l'objectif de 2015 prévu par la loi pour être aux normes. En cinq ans, seuls 5 à 15% des bâtiments publics ont été équipés pour l'accueil des handicapés, selon une étude publiée début mai.
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Les AOT disent qu’elles ne pourront pas mettre aux normes l’ensemble des points d’arrêt, notamment dans les petites communes ou dans les départements faiblement peuplés, vous acceptez ce constat ? ➤ Je ne suis pas d’accord, il faudrait déjà commencer. Selon la Banque mondiale, l’investissement nécessaire représente à peine 1 % de plus au budget. Pourtant, c’est ce qu’on fait passer en dernier. Bien après les autres préoccupations : développement durable, économie d’énergie, sans parler des autres. Nous avons parfaitement conscience de l’ampleur des investissements nécessaires à la mise en accessibilité des points d’arrêts en zone rurale, sans parler des cheminements, mais si on ne commence pas un jour, rien n’aboutira jamais. Dans ces zones par exemple, je pense que les villes de moins de 5 000 habitants pourraient bénéficier d’incitations fiscales pour réaliser les travaux. Au regard de la loi, toute la chaîne
des responsabilités en matière de transport collectif a eu dix ans pour se préparer. Désolé, mais si rien n’a été fait à quatre ans de l’échéance, je serais tenté de dire qu’il va juste falloir mettre les bouchées doubles. Un mot sur le TAD, de nombreuses collectivités territoriales ont opté pour cette solution pour les PMR, est-ce une réponse satisfaisante ? ➤ Mais c’est très bien. C’est la solution pour les personnes qui ne peuvent vraiment pas faire autrement. C’est-à-dire 20 % de la population handicapée. Pour les 80 % restants, le problème demeure entier. Pour eux, il n’y a pas de vrai transport de substitution. Encore une fois, nous demandons – c’est notre credo – une stricte application de la loi. Le TAD représente une dépense ponctuelle. Ni plus ni moins, c’est donc une réponse imparfaite par nature. Et puis, pour revenir sur l’exemple du tramway que j’évo-
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nous a fallu faire œuvre de pédagogie pour leur démontrer que ce temps était réellement nécessaire. Constater aujourd’hui que dans beaucoup de secteurs, les choses n’ont guère avancé est quelque part assez révoltant. Les premières démarches en justice se feront donc ces jours-ci contre des autorités organisatrices de transport ou d’autres maillons de la chaîne des déplacements, il n’y a pas encore de cibles définies. C’est notre seule arme.
quais précédemment, je connais personnellement des personnes handicapées qui ont pu trouver un emploi dès l’instant où ce moyen de transport leur est devenu accessible. En dehors de tout grand principe d’égalité, elles sont aussi passées du statut de personnes assistées socialement à celui de salariées, gagnant leur vie et payant des impôts. C’est un gain en soi pour la société, non ? Si l’on vous suit, des recours en justice vont prochainement se mettre en marche. C’est votre seul moyen de pression ? ➤ Oui. Nous recherchons en ce moment les exemples les plus criants de mauvaise foi. Nous sommes bien décidés à faire rapidement quelques procès. Pas cinquante, nous n’en avons pas
les moyens, nous nous dirigeons donc vers quatre ou cinq exemples bien choisis. Il faut aussi comprendre que lorsque nous avons
discuté du projet de loi en 2005 et accepté un délai de dix ans, beaucoup de nos adhérents ont trouvé que c’était un peu long, il
Vous avez les ressources en interne pour aller au bout ? ➤ Absolument, j’ai toute l’expertise juridique et technique qu’il faut ici. Je ne suis pas là pour titiller ou m’opposer. En tant que président de l’APF, je dois faire mon boulot, c’est tout. ■
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