Inflation : la flambée du gasoil, carburant du changement

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Du 1 au 15 juillet 2011 - ISSN 0399 2535

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Toulouse

Le BHNS voit la vie en rose

Mobilité durable

Autolib’ revisite l’autopartage en électrique

Interview

Michel Seyt, président de la FNTV


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Evénement

La flambée du gasoil, Inflation Le gasoil aussi cher qu’en 2008 ? Peut-être pas pour cette année. Mais sa hausse persistante pousse les transports à réduire leur consommation. Et à trouver des alternatives pour assurer leur croissance. Hubert Heulot

B

ONNE NOUVELLE ! Le prix du pétrole a baissé. Au mois de mai, l’Insee signale un repli de 6,9 % du prix du Brent de la mer du Nord, à 85 euros le baril en moyenne (115,10 dollars), ce qui se traduit par une baisse de 8,3 % du gazole en France. Le Conseil national routier (CNR) donne un prix moyen à la pompe, avant TVA, de 1,06 euro le litre. En un an, la hausse reste tout de même de 43,6 %. Et le 6 juin, le litre était remonté à 1,10 euro. L’Institut français du pétrole prévoit sur 2011 une hausse qui n’atteindrait pas les records de 2008. D’autant qu’elle serait provoquée par la croissance des pays émergents alors qu’ils ralentissent en ce moment. Néanmoins, dans la tête des acteurs économiques, en particulier chez ceux du transport, retrouver les 100 euros le baril de 2008 n’est qu’une question de temps. Cette hausse, il est donc impératif de s’y

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carburant du changement préparer. Et d’en contrecarrer les effets dans un premier temps. Sans tout casser. Sans trop faire flamber à son tour le prix du transport même si les premiers départs de feu sont déjà là. Après, on verra. L’augmentation du gasoil atteint logiquement tous les types de transports. Chez Alain Roué, pdg des Cars de l’Elorn, à Landivisiau dans le Finistère, les coûts de production ont grimpé de 4 % l’an dernier. Propriétaire de deux cents cars, employés à part égale dans le tourisme (il vient d’être certifié Afat en tant que membre du groupe Réunir) et dans l’interurbain couplé au scolaire, Alain Roué perçoit une grande différence entre ceux qui répercutent la hausse sur les clients et ceux qui ne le font pas. Le monde des transporteurs est, pour lui, partagé en deux : “Dans le transport conventionné, la compensation est automatique. Dans le tourisme, nous répercutons la hausse systématiquement sur nos clients parce que nous sommes sur un marché du voyage de groupes que nous connaissons bien et qui nous fait confiance. Mais des collègues, sur d’autres marchés plus concurrentiels, n’en font pas autant. Ils veulent respecter leur cotation de départ. Ou adoptent une stratégie commerciale agressive qui peut aussi s’avérer payante. Je ne sais pas s’ils ont toujours conscience de mettre en danger leur trésorerie.” Les collectivités paient Dans un tout autre domaine, à Angers Loire Métropole, Olivier Sorin, directeur du service des transports fait, lui aussi, ses comptes. La facture de gasoil des transports publics de l’agglomération d’Angers avait augmenté de 600 000 euros en 2008.

Grâce à cinq simulateurs de conduite installés en France, ici à Rennes, Keolis annonce pouvoir faire baisser les coûts du carburant de 3,5 % à 5 %.

Après un répit à zéro en 2009 et un surcoût de 300 000 euros l’an dernier, il prévoit une nouvelle hausse de 600 000 euros au moins en 2011. Il est vrai que l’offre de bus augmente ce 25 juin, parallèlement au lancement du nouveau tramway. Le parc est constitué de 175 bus roulant tous au gasoil. Les hausses de carburant sont intégralement payées par l’agglomération. C’est prévu au contrat de délégation de service public (DSP) signé avec Keolis. Il n’est pas sûr qu’il en soit encore ainsi au printemps 2013 quand le renouvellement de la convention arrivera en discussion. Dans tous les secteurs du transport de voyageurs, la flambée des cours de 2008 a fait évoluer certaines pratiques. Après les salaires, l’énergie représente traditionnellement le deuxième poste de coût d’un service de transport. La proportion exacte varie en fonction du métier. Alain Roué, partagé entre tourisme et transport, compte 20 %. C’est autour de 15 % dans le pur interurbain. Bien moins dans l’urbain. A Nantes, l’énergie pèse 7 millions d’euros

Réactions

© Vincent Bourdon

il,

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Anne Cambriel Directrice de la formation et du développement chez Keolis “La formation sur le stimulateur de conduite permettra pour les grands réseaux, une réduction de 1 % à 2 % sur les coûts de carburant.”

Alain Roué Pdg du groupe Ocelorn dans le Finistère répercute les hausses du gasoil à ses clients “D’autres ne le font pas pour pénétrer de nouveaux marchés au risque de fragiliser leurs trésoreries.”

par an sur un coût d’exploitation de 130, à peine 5 % pour l’ensemble du réseau de transports publics. “Quand les frais ont explosé en 2008, plus aucune prévision n’était réaliste, se souvient Jacques Laissus, directeur des transports du département de Loire-Atlantique. Nous avons dû suivre et compenser les frais des transporteurs.” Depuis, le rythme des ajustements a dû être accéléré. Avant l’envolée de 2008, la tendance était de les ramener à une fois par an. Dans beaucoup de collectivités, les augmentations du gasoil sont désormais remboursées (ou partiellement compensées) tous les trois mois ou trois fois par an pour coller au plus près des cours pétroliers. “Les responsables politiques sont à l’écoute des transporteurs. Quand il y a une hausse des carburants, ils réagissent et remboursent. Ils n’ont pas trop le choix. Les marges des entreprises sont trop réduites. Sans cela, les plus petites en particulier interrompraient rapidement leur service”, indique Philippe Plantard, secrétaire général de la FNTV Bretagne. Vers la fin de la compensation intégrale Toutefois, une évolution contraire est aussi apparue. Et tend à se répandre. Les collectivités cherchent à ne plus assumer complètement les hausses. D’abord, les formules d’indexation prévues aux contrats de certaines DSP laissent une partie de la hausse du gasoil à la charge des transporteurs, au nom du “partage du risque industriel”. Historiquement, l’Etat l’a même imposé pour éviter les dérives inflationnistes. Dans le concret, la situation varie beaucoup selon les types de transports. Les Régions paient tou➽

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Evénement

© Vincent Bourdon

Eric Chevalier Directeur des transports de l’agglomération nantaise “C’est dans le cadre des demandes d’efforts de productivité et en faveur de l’environnement que les transporteurs se sont penchés sur leurs consommations de carburant [...]”

© Franck Juery

Pour Philippe Fénart Directeur des achats et du matériel roulant pour Keolis “Il arrive qu’il soit plus avantageux de faire venir par camion du carburant de Belgique en Seine-et-Marne que de l’acheter sur place.”

Pierre Jorieux Responsable énergie et innovations techniques énergies chez Keolis “Pour la première fois, alors que les véhicules sont devenus beaucoup plus propres mais aussi plus gourmands, les moteurs se mettent aussi à consommer moins.”

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l’énergie assumées par la SNCF pour faire circuler les trains régionaux (TER). Elles sont incluses dans un forfait de charges où les parts du fuel et de l’électricité dans les coûts de production n’apparaissent pas. “C’est un des points sur lesquels les régions demandent à la SNCF de faire un effort de transparence”, indique Fabrice Girard, directeur de la mobilité et des transports de la région Bretagne. Sous couvert d’anonymat, un directeur TER de la SNCF confirme que la SNCF ne “communique pas ce genre d’éléments à l’aube de l’ouverture prochaine des trains à la concurrence.” Même sans explications détaillées, les Régions ne mégotent pas leur soutien financier. Elles sont plus regardantes pour leurs liaisons TER par car. Souvent, dans les formules d’indexation, une petite part reste fixe même si le gasoil augmente. Ce qui revient pour la Région à demander aux transporteurs des “efforts de productivité”. Dans le transport urbain, beaucoup de conventions pratiquent des formules de compensation intégrale. Mais les villes, aux finances de plus en plus étranglées, cherchent à s’en libérer. “Depuis une petite dizaine d’années, les autorités organisatrices de transport se sont mobilisées sur l’efficience économique de leurs contrats, raconte Eric Chevalier, directeur des transports à Nantes Métropole. Elles doivent se montrer les moins dépensières possible. Elles demandent donc aux transporteurs de faire des économies en général, sans préciser comment. Si bien que lorsque le poste énergie explose et que ceux-ci frappent à la porte des autorités organisatrices pour qu’elles les prennent en charge, elles ont tendance à répondre : commencez déjà par faire des économies de productivité !” Les opérateurs de transports se sont lancés à la chasse aux économies de carburant. D’autant

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©Thierry Bonnet/ville d’Angers

➽ jours l’intégralité des hausses de

Réactions

Lors d’une expérience d’un jour sur bus hybride Man, en mars dernier, Angers a enregistré une économie d’énergie prometteuse de 22 %.

que cela répondait à une autre demande apparue depuis une dizaine d’années, la qualité de l’air, l’environnement. Dans la même veine, une nouvelle directive européenne oblige, depuis le 1er janvier dernier, à prendre explicitement en compte les critères de consommation d’énergie, lors de tout appel d’offres pour l’achat de véhicules. Une évolution qui risque de se généraliser à tous les contrats. Depuis 2008, la hausse du gasoil n’a donc fait qu’ajouter aux pressions que les transporteurs subissent de plus en plus pour réduire leur consommation de carburant et d’énergie en général. Payer le carburant moins cher, écoconduire Ces dernières années, ils sont donc passés à l’action. D’abord en achetant le gasoil moins cher quand ils pouvaient jouer sur un effet de volume. Les plus grands, SNCF, Veolia, Keolis négocient les prix. En 2004, Keolis a mis en place une bourse aux enchères inversées. Elle a connu des avatars. Les groupes pétroliers l’ont boudée. “Nous ne représentons rien en comparaison avec un Carrefour ou un Leclerc”, indique Phi-

lippe Fenart, directeur des achats et du matériel roulant pour Keolis partout dans le monde. Puis ils sont revenus. Tous les jours, Philippe Fenart affiche ses demandes en carburants de tous types. Le moins disant emporte le marché. “La France compte un grand nombre de distributeurs, situation atypique en Europe. En faisant jouer la concurrence, nous ne savons pas si nous parvenons à obtenir le prix le plus bas. Nous savons simplement qu’en 2004, 85 % de nos approvisionnements provenaient de trois groupes pétroliers. Aujourd’hui, ils n’en fournissent que 30 %. Le reste nous est vendu par de petits dépositaires.” Toute la difficulté de ce marché réside dans la multitude des produits. Même un gasoil simple (code EN 590) varie par ses conditions d’achat, notamment fiscales, selon les régions. “Certaines régions comme l’Aquitaine s’avèrent plus difficiles à fournir que d’autres parce que les distributeurs sont plus rares. Nous devons en tenir compte dans les conseils à nos clients, les autorités organisatrices de transport, quand ils choisissent tel ou tel véhicule avec tel ou tel carburant. Mais il arrive qu’il soit plus avan-


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former sur l’un ou l’autre de ses comportements coûteux en matière de carburant.

Réactions

Bernadette Caillard-Humeau Vice-présidente aux transports dans l’agglomération d’Angers “Les constructeurs annoncent des réductions de consommation de 20 % à 30 %, il faut y aller, il faut stimuler le marché.”

Yves Daniel Chargé des mobilités et des infrastructures en Loire-Atlantique “La hausse du prix du gasoil va amener à labelliser le transport public le covoiturage, l’auto-stop et le prêt de voitures hors des grandes agglomérations.”

© Sytral-Nicolas Robin

tageux de faire venir par camion du carburant de Belgique en Seineet-Marne que de l’acheter sur place”, indique Philippe Fenart. Autre grande révolution, le plus petit transporteur s’est mis à l’écoconduite. Alain Roué surveille ses conducteurs, n’hésitant pas à les rappeller à l’ordre quand ils dépassent 32 litres au 100 km, alors que d’autres chauffeurs se maintiennent à 27 litres sur le même parcours. “C’est notre principal levier. Il va encore se développer parce qu’il y a là des marges de progression et qu’il faut gratter partout. Même si, sur le plan strictement économique, il n’y a pas beaucoup à gagner”, indique Philippe Plantard de la FNTV Bretagne. Keolis vient d’installer à Rennes un simulateur de conduite de 40 000 euros pour la dizaine de départements de la région Bretagne Normandie en affichant des objectifs de réduction des coûts de carburant de 3,5 à 5 %. “Ce sont les résultats à long terme des formations sur simulateurs. Evidemment pour de grands réseaux, il faut compter plutôt sur 1 % ou 2 %”, tempère Anne Cambriel, directrice de la formation et du développement chez Keolis. L’agglomération d’Angers a déjà constaté les progrès de cette écoconduite. La consommation moyenne des bus avait baissé d’1,5 litre. Elle s’est stabilisée depuis à 57 litres au 100 km pour les bus articulés et 42,6 litres pour les bus standards. Le directeur des transports, Olivier Sorin, espère que ce chiffre baissera encore à 38 ou 39 litres. Pour faire de nouveaux progrès, les grands groupes (Veolia, Keolis) travaillent maintenant sur l’assistance du conducteur dans son écoconduite. Soit par des dispositifs techniques comme les boîtes automatiques, réputées plus économiques ou des “limiteurs d’accélération” pour mieux doser encore la consommation. Soit par des indicateurs à bord pour l’in-

Pour Bernard Rivalta Président du Sytral “Les autorités organisatrices doivent investir dans la technologie pour réduire aujourd’hui les coûts d’énergie.”

La demande de transports publics augmente Dans les grandes agglomérations, la hausse du gasoil a poussé les opérateurs de transports à se retourner vers leurs clients et à leur demander de les placer dans de meilleures conditions pour faire des économies. A Nantes, c’est l’aménagement d’une dizaine de lignes protégées appelées Chronobus où les véhicules gagneront en régularité, en facilité de circulation. Beaucoup de grandes villes ont répondu en se lançant dans le bus hybride. “Pour la première fois, alors que les véhicules sont devenus beaucoup plus propres mais aussi plus gourmands, les moteurs se mettent aussi à consommer moins”, souligne Pierre Jorieux, responsable énergie et innovations techniques chez Keolis. Lyon, qui verse volontiers dans l’innovation technologique sur ses réseaux de transports, teste un Irisbus et un Renaut-Volvo. “Si nous pouvons réduire les consommations de 20 %”, espère Bernard Rivalta, le président du réseau de transports, le Sytral. Angers et Nantes viennent de lancer un appel d’offres conjoint pour cinq bus qui seront testés en 2013. En mars, lors d’une circulation-test, Olivier Sorin, à Angers, a enregistré une économie de 22 %. Les constructeurs annoncent des réductions de consommations de 30 % mais chaque bus coûte moitié plus cher. “Il faut y aller. Il faut stimuler le marché”, insiste Bernadette Caillard-Humeau, vice-présidente aux transports dans la ville d’Angers. La hausse du prix du gasoil, en 2008, a aussi “mis du monde” dans les bus et dans les cars et les élus en charge des transports publics veulent répondre à cette demande. “Pour l’automne, nous nous attendons à une hausse significative du

nombre de voyageurs. Des abonnés nouveaux à cause du gasoil. Des occasionnels pour cause de loisirs accrus du fait de la reprise économique. Mais nous mettrons sans doute en place moins de trains que nous le voudrions”, explique Fabrice Girard, adjoint au directeur de la mobilité et des transports de la Région Bretagne. Dans les Régions, comme dans les autres collectivités, les finances commencent à manquer pour suivre le “besoin” de transports publics. La Bretagne qui prévoit trois fois plus de monde dans ses trains d’ici à 2020, a commandé des trains à deux étages. Ils arriveront entre 2014 et 2017. “Notre formule pour les années 2020, c’est pour moitié plus de trains, pour moitié des trains plus grands. Pour l’exploitation courante, nous essayons de nous en tenir à une règle de financement simple : 2/3 des recettes issues du budget de la région ; 1/3 demandées à l’usager. Pour se permettre de développer, il faut dégager des recettes”, précise Fabrice Girard. Investissement plus déficit d’exploitation, le transport consomme ainsi de plus en plus de finances locales. Ce qui incite la FNTV Bretagne, par exemple, à mener un lobbying actif pour que la Région fasse davantage de car, plus économe que le train. “Le car a une énorme place à reprendre”, estime Philippe Plantard. Mais l’heure est encore, partout, aux investissements de développement les plus massifs, sur fonds publics, en faveur des transports publics là où ils peuvent trouver une demande, elle aussi, massive. Ailleurs, la hausse des carburants oblige déjà à des efforts d’imagination, bien au-delà du car. Pour les campagnes, Yves Daniel, en charge des mobilités en Loire-Atlantique, se verrait bien labelliser “transport public de nouvelles formes de covoiturage, d’autostop ou de prêts de véhicules.” La hausse du gasoil n’a pas fini de produire ses effets. ■

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