Bernard Liébart (président du CNR) : « Rester au plus près de la réalité des coûts »

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INTERVIEW ❱❱

BERNARD LIÉBART (PRÉSIDENT DU COMITÉ NATIONAL ROUTIER)

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Les dossiers à fort impact économique (mise en place du 44 tonnes, flambée du gazole, simulation en vue de répercuter l’écotaxe PL, affichage des émissions de CO2...) donnent du grain à moudre au CNR. Bernard L i é b a rt, président depuis 2008, détaille les études en cours et les indicateurs clés. Et lance quelques avertissements. ❱❱ L’OT : L’actualité, c’est le prix du gazole. Le dispositif d’indexation, mis en place en 2006, estil appliqué selon vous par l’ensemble des transporteurs ? B. L. : Dans nos enquêtes, nous constatons que les entreprises essaient d’appliquer le pied de facture. La clause pénale, apparue en août 2008, a renforcé le dispositif. Mais c’est vrai que nous voyons de grosses différences dans la manière d’appliquer l’indexation gazo l e. Il existe des disparités en fonction de la taille de l’entreprise et du donneur d’ordre. En 2010, 88 % l’ont app l i q u é e. Pour 68 % des cas, les transporteurs prennent en compte dans leur pondération la p a rt relative issue du CNR. Mais nous faisons aussi un autre constat : la proportion baisse de 88 % à 62 % dans la catégorie des entre p rises de moins de 20 salariés. ❱❱ L’OT : La hausse actuelle renforce le dispositif… B. L. : En période de cri s e, les chargeurs prennent le dessus. En 2008, ils étaient 20 % à l’initiative du choix de la part relative du gazole. En 2009, le chiffre est passé à 34 %. Mais majori t a i re m e n t , c’est le transporteur qui fixe la part relative du gazole, y compris en 2010.

« RESTER AU PLUS PRÈS DE LA RÉALITÉ DES COÛTS » L’Officiel des Transporteurs – N° 2590 du 25 mars 2011

❱❱ L’OT : Autre dossier « lourd » : le 44 tonnes « agricole » devenu réalité en janvier. Voilà un vrai sujet d’étude d’impact économique pour le CNR. Quelle est votre position ? B. L. : Dans ce dossier, le CNR doit expliquer les incidences du relèvement du PTRA, autorisé par le décret. Des incidences à la fois concrètes et complexes. No u s avons une grille de coûts en fonction des matéri e l s, à voir dans notre nouvelle note de synthèse mise à jour aux conditions d’exploitation et économiques de janvier 2011 et parue mi-mars. Elle porte sur quatre types de matériels (1). 44 tonnes, ce n’est pas +10 % automatiquement et indistinctement. Pour une savoyarde sur longue distance, par e x e m p l e, le gain avoisine les 9,5 %. Le gain de pro d u c t i v i t é n’est pas le même selon que la charge utile passe de 24 à 28 tonnes, ou de 27 à 31 tonnes. ❱❱ L’OT : Et l’impact sur les prix ? B. L. : Quatre tonnes de plus, c’est 5 % de marge en moins si on ne touche pas les pri x .

❱❱ L’OT : Comment appréhender la perspective du 6ème essieu, à partir de 2014 ? B. L. : Rappelons d’ a b o rd que c’est nous mettre sur route des matériels franco-français, ave c des tracteurs plus lourds et plus chers. Cet essieu supplémentaire, il faut le promener, même avec la dérogation à 45 tonnes censée n e u t raliser le surpoids. Rappelons les chiffres suivants : un PTRA de 40 tonnes avec six essieux représente une perte nette de productivité de 6 % à l’étra nger et de 2 % en France, en tenant compte de cette tonne de dérogation. Le PTRA de 44 tonnes a vec six essieux représente un gain de productivité de 5 %, qui passe à 8 % à 45 tonnes. Il faut comparer les deux derniers chiffres avec les 9,5 % de gain de productivité que dégage le 44 tonnes à cinq essieux. ❱❱ L’OT : Le CNR est-il en mesure de « photographier » la réalité des prix de transport ? B. L. : Dans notre enquête de 2010, nous avons constaté un v rai décrochage entre les coûts et les prix. Pour s’en re n d re compte, il suffit de comparer les évolutions et les indices, que publie le ministère avec ceux des structures de coûts. La pression sur les prix a été plus viru l e n t e sur la longue distance, avec un effet concurrentiel plus fort, que dans le tra n s p o rt régional. J’en profite d’ailleurs pour faire cette re m a rque financière : dans l’ a ctif de beaucoup de bilans, le

poste «créances clients » a fondu. C’est une surprise.

❱❱ L’OT : Sur quels domaines, activités et matériels, le CNR doitil porter ses efforts ? B. L. : Nous visons toujours à améliorer ce qui existe. Par exemple, nous avons récemment remis en avant les indices synthétiques hors gazo l e, qu’il est intéressant de connaître pour un transporteur. Je rappelle aussi qu’à la demande de l’UNTF, nous avons l’an passé créé un indice pour les ensembles frigorifiques de 40 tonnes en longue distance. La consommation d’un groupe frigorifique au fioul, c’ e s t 1,56 e u rode l’ h e u re. Une valeur mise à jour trimestriellement. Autre amélioration : le régional 40 tonnes fait désormais l’objet d’une enquête annuelle, avec un doublement du panel. No u s avons remis à jour les citernes alim e n t a i res avec les indices de mars qui para î t ront au début avril. Des études internationales sont à venir. La pre m i è re c o n c e rne l’Allemagne, en ligne depuis peu sur le site, puis à venir, en 2011, la Po l o g n e, la Slovaquie et la Belgique. Enfin, une monographie sur le tra n sp o rt par citerne de produits chimiques est en vue en 2011. Ce sera une première. ❱❱ L’OT : La participation du CNR aux travaux sur l’affichage des émissions de CO2 est-elle toujours à l’ordre du jour ? Sous quelle forme et avec quels partenaires?

Le 4 mars, interview à la rédaction. De gauche à droite : Anne Madjarian, Benoît Barbedette, Bernard Liébart, Alexis Giret, Slimane Boukezzoula et Louis Guarino.

❱❱ L’OT : L’indexation peut-elle faire l’objet d’une négociation ? B. L. : Non dans le sens où c’est une disposition légale, assortie d’une sanction pénale. Pour autant, dans les contrats, il faut savoir placer le point 0. Ce rtains les placent sur le pic… L’indexation gazole est crédible quand elle marche dans les deux sens. A la hausse et à la baisse du prix du gazole. Les prix de transport doivent être au plus près de la réalité des coûts. L’Officiel des Transporteurs – N° 2590 du 25 mars 2011

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Bernard Pivot a formulé 10 questions qu'il posait à ses invités à l'émission Bouillon de culture. Bernard Liébart s’est prêté au jeu. ●

1 Votre mot préféré? Nature

2 Le mot que vous détestez? Oisiveté

3 Votre drogue favorite? La chasse

4 Le son, le bruit que vous aimez? Le cor de chasse

5 Le son, le bruit que vous détestez? Celui d’un cyclomoteur

6 Votre juron, gros mot ou blasphème favori? Aucun

7 Homme ou femme pour illustrer un nouveau billet de banque? Au recto : un homme (pour le gagner) ; au verso : une femme (pour le dépenser)

8 Le métier que vous n'auriez pas aimé faire? Enseignant

9 La plante, l'arbre ou l'animal dans lequel vous aimeriez être réincarné? Un chêne

10 Si Dieu existe, qu'aimeriez-vous, après votre mort, l'entendre vous dire? « C'est rare de voir arriver un centenaire suite à un accident de ski ».

B. L. : Nous sommes en situation de veille active à l’égard de la mission que le ministère nous a confiée en avril 2008 : présenter une analyse économique des évolutions induites par l’affichage des émissions de CO2 pour les transporteurs et leurs part enaires économiques. Nous participons aux réunions organisées dans le cadre du sous-gro u p e consacré au transport routier de marchandises à l’ADEME. Nous procédons à l’identification d’ e ntre p rises en démarche volontaire et à des actions de formalisation, mais n’avons pas encore de coûts c o n c re t s. Comment, en effet, chiffrer les conséquences économiques de la mesure alors que les différentes normes ne sont pas fixées ? Nous attendons donc le décret, actuellement en préparation, qui doit imposer l’ o b l igation d’affichage à compter du 1er juillet 2013. ❱❱ L’OT : Lors des États Généraux du transport routier, il a été proposé d’élargir les missions du CNR vers le contrôle de la soustraitance et des prix, voire d’en faire un « Conseil de l’Ordre ». Cette idée, qui n’a pas été retenue, vous semble-t-elle à creuser afin d’assurer la pérennité de cet organisme ? B. L. : Créer un « conseil de l’ o rdre » pourquoi pas, mais le CNR n’a nullement vocation à deve-

nir cette instance-là ! Il suffit de voir la composition de son conseil d’ a d m i n i s t ration pour le comprendre. Un tel « conseil » ne pourrait, en effet, qu’ ê t re composé de membres sortis des urnes et exclusivement issus de la profession. Et puis, les commissions régionales de sanctions a d m i n i s t ra t i ves existent bel et bien pour exercer cette fonction. C’est par la très grande qualité de ses travaux, afin de les rendre indispensables, que le CNR doit assurer sa pérennité.

❱❱ L’OT : Comment avez-vous vécu l’entrée de Jean-Pierre Ducournau, vice-président de l’OTRE, au conseil d’administration du CNR ? B. L. : Cette décision ministérielle ne me pose pas de pro b l è m e. Seules les compétences m’ i n t éressent. Jean-Pierre Ducournau, que je connais bien, a été nommé intuitu personae en tant que personnalité qualifiée, conformément au décret de 1989 qui fixe la composition du conseil d’administration. Des élections à la présidence du CNR interviendront en octobre prochain. Auparavant, un arrêté ministériel devra entériner ou non une réforme des statuts. Laquelle prévoit notamment porter de 18 à 21 le nombre des administrat e u r s, avec l’arrivée de deux membres proposés par les or-

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ganisations professionnelles – l’une frappe à notre porte – et d’une personnalité qualifiée.

❱❱ L’OT : Le CNR a-t-il obtenu des pouvoirs publics la mise en place d’un financement pérenne pour mener à bien ses travaux ? B. L. : Nous n’ a vons aucune ass u rance sur la pérennité de not re financement car nous sommes dans une logique de conventions annuelles avec le ministère. Une situation qui n’est pas pleinement satisfaisante l o r s q u’il s’agit de faire tourn e r une « boutique » de 10 personnes ! Autant dire qu’il n’est pas fac i l e, dans ces conditions, d’embaucher un cadre chargé de plancher sur la répercussion de l’écotaxe. Nous avons la trésorerie minimale pour faire face, mais re p a rtir en campagne chaque année pour obtenir les fonds dont nous avons besoin reste très inconfortable. ❱❱ L’OT : En 2007, vous avez publié une étude sur les « s ignaux » annonciateurs de défaillances dans le bilan des entreprises. Comment les analyser ? B. L. : Cette étude avait pour objectif effectivement de détecter ces signaux à la loupe des données financières des entreprises. Nous avions retenu cinq indicateurs : l’excédent brut d’exploi-

tation, le résultat net, le fonds de roulement, la trésorerie et les capitaux propres. Des données qui ont été examinées deux à sept ans avant l’année de la défaillance. On s’est aperçu alors que les entreprises défaillantes présentaient les mêmes signaux d’ a l e rt e. On a noté également que, au cours de l’année précédant la défaillance, le chiffre d’affaires par salarié explosait. Quand les choses vont mal, on constate une course effrénée à la productivité, qui génère sans doute la tombée de certaines barrières. Nous continuons à tra-


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vailler sur les aspects financiers du TRM. Un bilan de tra n s p o rteur est atypique à beaucoup d’ é g a rd. Tant et si bien que les banquiers ont besoin d’une formation « spécial transport » pour mieux effectuer leurs analyses et s’éviter une crise nerve u s e. Le CNR se focalise sur les choses qui s e rvent les entre p rises au quotidien dans leur gestion.

❱❱ L’OT : En tenant compte de ses actifs, on dit souvent qu’une entreprise de TRM en difficulté met six ans à mourir, en moyenne. Les éléments financiers l’attestent-ils ? B. L. : Au-delà des éléments bruts, c’est l’ é volution de ces éléments qui peut être inquiétante. C’est cela qu’il faut surveiller de très près. Néanmoins, sur l’ensemble du secteur, sur la période 20002008, on s’aperçoit que les entrep rises ont connu une pro g re ssion importante de leurs chiffres d’affaires mais, de façon concomitante, une baisse très sensible du résultat net. Depuis la crise de 2008, bon nombre d’entreprises sont dans le meilleur des cas à zéro. Et, selon les chiffres de la Banque de France pour 2009, plus d’un tiers des sociétés présentent un résultat négatif. Depuis l’application des normes comptables IFRS, la revente d’un matériel remplacé par un matériel neuf n’est plus à ranger dans la case résultat exceptionnel, mais doit être intégrée dans l’ e x-

ploitation. La plus-value liée à la revente d’un véhicule dépend de la politique d’achat et de la manière dont on l’a financé.

❱❱ L’OT : Vous êtes chargé de réaliser des simulations en vue de la répercussion de l’écotaxe PL. Comment se déroulent-elles et avec quel calendrier ? Quelles sont vos premières observations ? B. L. : Le CNR a reçu une lettre de mission du ministère des Transports le 18 janvier, laquelle nous demande d’ é valuer la mat rice élaborée par l’administration centrale des tra n s p o rt s (Mission tarification). Cette mat rice s’intéresse au pourcentage d’augmentation sur les prix de t ra n s p o rt, le but étant de rép e rcuter le même montant. C’est le sujet important dans le mesure où l’écotaxe pourrait représenter plus de 10 % du pri x du tra n s p o rt. Le rôle du CNR consiste à évaluer le mécanisme de répercussion (au forfait ou m a t riciel) à partir de quelques entreprises. Un décret rendra ce mécanisme obligatoire. No u s nous appuierons sur des cas extrêmes et non sur un échantillon représentatif du T R M . Un e question est récurre n t e. Comment répercuter les kilomètres à vide ? Pour l’heure, le CNR développe les outils quantitatifs et qualitatifs et lance un appel au vo l o n t a riat auprès des f é d é rations pro f e s s i o n n e l l e s.

Nous communiquerons les premières tendances observées en juin.

❱❱ L’OT : Une mesure du cabotage en France est-elle techniquement envisageable ? B. L. : En 2008, le taux de pénét ration du cabotage en Fra n c e était estimée à 3 %, soit près de 9 milliards de tonne-kilomètre. Les pavillons qui cabotent le plus sur le territoire français sont les pavillons luxembourgeois, belge, espagnol et allemand. En dépit de la réglementation européenne qui encadre le cabotage, soit trois o p é rations dans un délai maximal de sept jours à compter du d e rnier déchargement des marchandises, on assiste à une véritable organisation du cabotage au sein de l’UE. En Fra n c e, on pourrait très bien mesurer le cabotage illicite à l’aide du dispositif de l’écotaxe PL. C’est une question de volonté politique. ❱❱ L’OT : L’Italie a mis en place un observatoire des coûts calqué sur le CNR français. Quels

« conseils » donneriez-vous à ses responsables ? B. L. : Il n’y a pas de mal à s’inspirer de ce qui fonctionne bien. Nous connaissons mal la situation du TRM en Italie mais nous sommes prêts à collaborer avec les responsables de l’observatoire nouvellement créé. ❱❱ L’OT : Une dernière question d’actualité. Quel regard portezvous sur les États généraux ? B. L. : Je n’ai pas à avoir d’ a v i s sur le sujet… Le rôle du CNR est de s’en tenir à un devoir technique et pédagogique. Alexis Giret a été invité à venir présenter des études réalisées sur la situation du tra n s p o rt routier de marchandises dans les pays d’Europe, notamment pour évoquer les différentiels de compétitivité. ● Propos recueillis par BENOÎT BARBEDETTE, ANNE MADJARIAN, SLIMANE BOUKEZZOULA ET LOUIS GUARINO Photos : D AVID DELION (1)

Rapport disponible sur le site du CNR depuis le 17 mars

En compagnie du directeur du CNR, Alexis Giret.

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