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N° 2609 du 2 septembre 2011 - 7,15 Euros - ISSN : 1259-2439
■ RÉDUCTION FILLON LA POTION AMÈRE ■ JURA RIFIFI SUR LES INTERDICTIONS DE CIRCULER ■ CONVOIS EXCEPTIONNELS SURSIS JUSQU’EN NOVEMBRE ■ QUENNELLE (59) LES RAISONS DU DÉPÔT DE BILAN ■ AGENDA
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DOSSIER Salaires et charges, temps de travail des conducteurs constituent les fondements du modèle social du transport routier. Et représentent les leviers de la concurrence entre pays, sur un territoire européen ouvert au cabotage libéralisé en 2014. Le commissaire européen chargé des Transports, Siim Kallas, a commandé une étude d’impact économique et social du TRM en Europe. Outre l’évaluation du cabotage, cette «photographie» devra analyser les conditions sociales et fiscales pratiquées au sein de l’Union européenne. Le rapport est attendu en mai 2012. Pour l’heure, L’Officiel des Transporteurs, a «comparé » les modèles dans quatre pays européens : l’Allemagne, l’Espagne, la Belgique et l’Italie. Malgré le règlement social européen (RSE), les disparités salariales demeurent. RÉALISÉ PAR LOUIS GUARINO, FRANCIS MATÉO, ANTOINE HEULARD ET AZIZ BEN MARZOUQ
SALAIRES, CHARGES, TEMPS DE TRAVAIL DES CONDU
BRUXELLES SOUS PRES DE LA CONCURRENCE AU SOMMAIRE ❚ ESPAGNE LE CONSENSUS SOCIAL SE FISSURE . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . P. 23 ❚ ALLEMAGNE ÇA ROULE AUX SALAIRES « LOW COST » . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . P. 24 ❚ BELGIQUE AUGMENTATION SALARIALE DE 0,3 % . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . P. 26 ❚ ITALIE SAUVEGARDER LE MODÈLE SOCIAL . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . P. 27
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ix-sept pays ne peuvent faire le choix d’adopter une monnaie unique sans engager un mouvement de rapprochement de leurs économies, de leurs systèmes fiscaux et de leurs modèles sociaux. » Dans une tribune publié le 20 août dans Le Figaro, le Premier ministre, François Fillon, pose le cadre idéal de l’avenir de l’UE. La volonté politique peut-elle faire bon ménage avec la méthode Coué ? Rien n’est moins sûr. Le TRM européen n’a pas attendu la déclaration justifiée de François Fillon pour jeter les bases de l’harmonisation. Les transporteurs s’appuient d’emblée sur le règlement social européen (RSE) sur les temps de conduite et de repos, lequel est d’application directe au
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sein de 27 États membres. En clair, seuls les temps de conduite et de repos sont harmonisés. Par exemple : le temps de conduite hebdomadaire ne doit pas dépasser 56 heures ; le temps de pause de 45 mn fractionnable dans l’ordre en 15 mn + 30 mn doit être pris au cours de 4 h 30 de conduite ; le repos hebdomadaire régulier reste à 45 h consécutif, mais doit être pris une fois tous les 15 jours. En revanche, les temps de travail, de disponibilité, au même titre que la formation dépendent des législations nationales. Exception faite de la France où le temps de disponibilité est compté comme du temps de service, la quasi-totalité des États membres ne prennent en compte que les temps de conduite. C’est précisément pour démê-
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Outre l’analyse du cabotage, les huit universitaires devront évaluer les conditions sociales et fiscales du TRM. « Nos travaux touchent à une question de fond, ajoute Michel Savy. Quel modèle social européen voulonsnous ? ». Le TRM peut-il s’accommoder de salaires et de charges les plus bas possibles au nom de la compétitivité ? Ce qui veut dire que l’assurance retraite et l’assurance maladie seraient mises en péril. Ou bien le TRM opte-t-il pour un modèle social moderne qui considère que la compétitivité économique et la solidarité sociale ne sont pas incompatibles ? « C’est une question politique majeure, poursuit l’universitaire. On n’a pas toujours les chiffres pour répondre mais il ne faut pas oublier cette question centrale. » Dans ce contexte, comment se comportent les États membres ? À l’évidence, l’élargissement de l’UE aux pays d’Europe de l’Est tend à générer un rattrapage nécessaire des salaires. Depuis son intégration à l’UE en 2004, la Pologne enregistre, par exemple, une hausse progressive du niveau de rémunérations de ses conducteurs. Ainsi, sur longue distance, le conducteur peut espérer toucher 2 500 € par mois alors que le salaire minimum légal universel fixé par la loi est de l’ordre de 333 € par mois (voir 3 questions à… Jan Buczek, président de la fédération professionnelle polonaise ZMPD). La raison est simple : pour se prémunir contre une fuite des conducteurs polonais à l’étranger, les employeurs sont condamnés à s’approcher des niveaux de rémunération des autres États membres.
CTEURS
ler l’écheveau et mieux comprendre l’économie du TRM que le commissaire européen chargé des Transports, Siim Kallas, a installé un comité de huit sages (« high level group ») en juin dernier. Présidé par le Britannique Brian T. Bayliss, professeur d’économie à l’université de Bath, le groupe de travail va procéder à une série d’auditions (« hearing ») pour établir des données socioéconomiques dans les 27 États membres. « Nous avons carte blanche pour évaluer la structure des marchés et l’organisation des flux, affirme l’universitaire Michel Savy, membre du comité et directeur de l’Observatoire des politiques et des stratégies de transport en Europe. Nous remettrons nos conclusions à Siim Kallas en mai 2012. »
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SION ENTRE PAYS « Si on met en concurrence des entreprises qui n’ont pas les mêmes systèmes fiscaux et sociaux, on encourage inévitablement le dumping social », assure Michel Savy, un des membres du “High Level Group”.
DISTORSION DE CONCURRENCE Le rattrapage salarial observé en Pologne fait école dans d’autres pays voisins pour des raisons monétaires. En République Tchèque par exemple, la situation est spécifique parce que sa monnaie s’apprécie régulièrement face à l’euro. Selon l’étude CNR Europe publiée en 2010 (1), cette variable augmente mécaniquement le salaire des conducteurs exprimé en euro. Le salaire moyen brut d’un conducteur en longue distance était d’environ 900 € en octobre 2010 contre 850 € en mars 2010, date de réalisation de l’étude. Aujourd’hui, les économistes s’accordent à dire que les entreprises proposent un salaire mensuel brut d’environ 1 000 €. Dans la précédente étude du CNR réalisée en 2005, les experts ont observé que le salaire pratiqué pour la même catégorie de conducteur était de 560 €. Est-ce à dire que le dumping social empêche toute harmonisation des salaires ? « La compétitivité européenne passe par le
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IL SUFFIT D’UN SEUL PAYS SUR 27 POUR OPPOSER SON VETO ET BLOQUER TOUTE RÉFORME FISCALE. Il y a deux explications politiques majeures à cette erreur stratégique. D’une part, les questions fiscales relèvent de la décision à l’unanimité ; il suffit d’un seul pays sur 27 pour opposer son veto et bloquer toute réforme fiscale (la Grande-Bretagne n’est pas en reste sur le sujet). D’autre part, les questions sociales ont été laissées hors champ au nom du principe de subsidiarité. Résultat, le social relève de la compétence des États c’està-dire de leur histoire, de leur culture. Pour autant, la seule manière où l’Europe a fait du social c’est au moyen de la sécurité routière. Le social relève certes de la compétence des États mais circuler sur les routes, c’est se mouvoir dans l’espace public. Donc on ne peut pas laisser des conducteurs circuler quinze heures par jour, se mettre en danger et mettre les autres véhicules en danger. « Le RSE sur les temps de conduite et de repos est le seul outil où l’Europe fait du social, relève l’universitaire. L’insécurité routière a un coût social direct et indirect au sein de l’UE. »
Le commissaire européen chargé des Transports Siim Kallas recevra les conclusions du comité sur une étude d’impact économique et social du TRM en Europe en mai 2012.
mobile tant au niveau national qu’européen », rappelle Florence Berthelot, vice-présidente du comité de liaison du transport de marchandises (CLTM) auprès de l’IRU à Bruxelles. C’est la seule façon,nous semble-t-il,de résoudre la question de l’harmonisation sociale. » Au plan national, la thèse défendue par la fédération française consiste à obtenir une réduction des charges, quelle qu’en soit la forme, afin de permettre aux entreprises françaises de ne plus être pénalisées par l’énorme différentiel de coût social avec leurs concurrentes européennes. Au niveau européen, il s’agit surtout de faire du lobbying auprès des
RÉDUCTION DES CHARGES Dans ce contexte, les organisations professionnelles européennes ont-elles encore des raisons de croire à l’harmonisation sociale ? En France, le débat est porté depuis des années par la FNTR. Il est relayé à Bruxelles par l’Union Internationale des Transports Routiers (IRU). « La FNTR œuvre pour l’instauration d’un véritable régime du travailleur L’Officiel des Transporteurs – N° 2609 du 2 septembre 2011
institutions européennes pour qu’elles reconnaissent aux activités mobiles comme le transport, le droit de bénéficier des règles sociales et fiscales totalement harmonisées. Pour l’heure, à l’instar de l’Allemagne, les États membres (dont la France) auraient intérêt à introduire la TVA sociale. Instaurée le 1er janvier 2007 outre-Rhin, la TVA sociale surenchérit le taux global de TVA de 3 % (de 16 % à 19 %). Elle permet d’une part de financer une partie des régimes sociaux (assurance chômage) et de favoriser, d’autre part, la baisse des taux de cotisations sociales. Pour les entreprises allemandes, la baisse des cotisations patronales réduit de facto le coût du travail. Ainsi, pour un salaire de 2 500 € brut par mois ou 30 000 € par an, les cotisations employeur baissent de 458 € sur un an. Cette baisse résulte avant tout de la baisse des cotisations chômage liée à la TVA sociale (2) car d’autres cotisations comme la retraite ou l’assurance dépendance ont, elles, connu des hausses. « Il faut saluer la réussite allemande avec ses salaires,sa fiscalité et sa protection sociale », conclut Michel Savy. La convergence serait-elle le préalable nécessaire à l’harmonisation sociale ? ● L.G (1) Voir Étude CNR Europe. Le transport routier de marchandises en République Tchèque (2010). (2) Voir Étude CNR : Évolution des coûts du personnel de conduite en Allemagne (mars 2011).
➜ JAN BUCZEK,
Président de la fédération professionnelle polonaise ZMPD (1)
Quel est le salaire
Comment les entrepri-
moyen d’un conducteur en Pologne ? JAN BUCZEK : Il existe d’importantes différences entre les conducteurs de longues distances et ceux qui sont engagés sur des opérations de proximité. Ces derniers sont moins bien rémunérés : ils gagnent autour 1 000 €, alors que les autres peuvent espérer toucher jusqu’à 2 500 €. Quoi qu’il en soit ces deux catégories de revenus sont situées bien au dessus du salaire minimum légal universel, fixé par la loi à environ 333 €.
ses de transport polonaises font-elles pour respecter la législation européenne ? J. B. : Notre association milite en faveur de la création d’un fichier central des conducteurs européens. Car en l’état actuel de la législation, c’est toujours l’employeur qui est sanctionnée alors que la responsabilité des conducteurs n’est quasiment jamais engagée. Certains contrevenants se tirent d’affaire, tout simplement en changeant d’entreprises ou de pays. Ce fichier, qui serait accessible à l’ensemble des employeurs, permettrait d’identifier ceux qui ne respectent pas les règles.
Comment évoluent les revenus des conducteurs ? J. B. : En Pologne, la plupart des entreprises de TRM sont de très petites tailles, avec peu de conducteurs.
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savoir-faire, l’organisation des flux et la capacité à piloter des systèmes complexes, prévient Michel Savy. Elle ne peut naître du dumping social. Pour caricaturer, il existe deux scénarios possibles. Soit on mise sur un pavillon de complaisance avec des conducteurs rémunérés 300 € par mois qui dorment dans leur véhicule et n’ont pas l’argent pour s’acheter un sandwich (à l’instar des marins philippins recrutés dans la marine marchande) ; soit on veut un transport routier de qualité qui maîtrise les flux en juste-à-temps. Cela suppose de recourir à une main-d’œuvre formée, rémunérée à un salaire correspondant à son niveau de compétence. » L’erreur stratégique a été de promouvoir le marché unique sans faire l’harmonisation sociale et fiscale. « Si on met en concurrence des entreprises qui n’ont pas les mêmes systèmes fiscaux et sociaux, on donne objectivement un avantage à celles qui supportent le moins de charges, assure Michel Savy. Et on encourage inévitablement le dumping social. »
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DOSSIER QUEL MODÈLE SOCIAL EUROPÉEN ?
3 QUESTIONS À...
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Les salaires sont fixés de gré à gré au niveau de l’entreprise et il n’est pas obligatoire de négocier une convention collective avec les syndicats. Depuis l’adhésion à l’Union européenne en 2004, les revenus des conducteurs sont très nettement orientés à la hausse. Pour éviter que leur personnel ne tente leur chance à l’étranger, les employeurs sont désormais contraints de s’approcher des niveaux pratiqués dans les autres États membres.
Propos recueillis par Antoine Heulard (1) Fédération qui regroupe 4500 entreprises, engagées à l’international.
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ESPAGNE
LE CONSENSUS SOCIAL SE FISSURE En dépit d’un salaire mensuel brut moyen de 1 992 € en 2010, la crise économique pénalise le modèle social des conducteurs espagnols. Les syndicats multiplient les recours devant les tribunaux administratifs pour récupérer les heures supplémentaires non payées depuis 2007. e ministre espagnol des Transports, José Blanco, a su convaincre les partenaires sociaux de s’asseoir à la table des négociations, en 2007, pour s’accorder sur les conditions de temps de travail et de rémunération des salariés du secteur. Il en est sorti un consensus toujours de référence outrePyrénées. Les deux grandes centrales syndicales ouvrières, UGT et CCOO (1), et les deux principales organisations patronales du transport, CETM et CEOT (2), ont paraphé un texte qui sert « d’accord-cadre » en matière de gestion des ressources humaines. Le texte régit le temps de travail et les évolutions de salaires des conducteurs routiers, avec parfois des aménagements à la marge selon les régions. Mais de la Catalogne à l’Extrémadure en passant par la Castille, les grandes lignes sont identiques. D’abord sur le plan du temps de travail, établi à 40 h par semaine. En accord avec les règles européennes, la législation espagnole prévoit que les conducteurs de poids lourds ne peuvent effectuer plus de neuf heures de conduite par jour, avec une interruption obligatoire après quatre heures de conduite continue. La réglementation prévoit cependant la possibilité de conduite journalière et ininterrompue d’une heure supplémentaire, exceptionnellement, si le service l’exige. « De manière contractuelle, le temps de travail s’étend, au-delà des heures de conduite,au temps concernant par exemple la surveillance des véhicules, et les heures d’attente pendant lesquelles l’employé doit rester à disposition des entreprises », note Antonio Mendoza, patron d’une TPE à Huelva, qui emploie trois conducteurs. « Ce ne sont pas des règles qui sont toujours adap-
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Le ministre espagnol des Transports José Blanco (au centre) entouré du représentant de l’UGT Miguel Angel Cilleros Sanchez (à gauche) et du responsable patronal de la CETM, Marcos Montero (à droite).
tées aux spécificités de notre marché, où beaucoup de conducteurs travaillent à leur compte avec un seul camion, en sous-traitance pour de plus grandes entreprises qui ne prennent pas systématiquement en considération les temps d’attente au moment de la facturation ».
40 h
Le temps de travail hebdomadaire des conducteurs en Espagne.
1 992 € Le salaire moyen brut mensuel des conducteurs en Espagne.
2,0 %
2,0 % 1,50 % 1,75 %
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Augmentations des salaires des conducteurs prévues par la « convention » signée en 2007 entre les syndicats de salariés et d’employeurs (indexation sur l’Indice des prix à la consommation). (1) UGT : Union générale des Travailleurs ; CCOO : Commissions Ouvrières. (2) CETM : Confédération Espagnole de Transport de Marchandises, CEOT : Confédération Espagnole des Opérateurs de Transport. (3) ASETRABPO : Association des Entrepreneurs du Transport de Pontevedra.
RECOURS ADMINISTRATIFS Ce n’est pas sur le terrain du temps de travail que les frictions sont les plus grandes entre représentants des salariés et des dirigeants, mais au niveau des ajustements en matière de salaires. La question est liée à la sévère crise du transport de marchandises en Espagne (augmentation du prix du pétrole, dégradation de la rentabilité des entreprises espagnoles..). Un contexte qui a incité les organisations patronales à s’opposer aux dispositions adoptées concernant les hausses des salaires, indexées depuis 2007 sur l’Indice des prix à la consommation (IPC). Ce qui aurait dû se traduire en 2011 par une augmentation de 29 € par mois, en moyenne, sur la fiche de paye de chaque conducteur. « Malgré la crise, les chauffeurs restent en Espagne parmi les salariés les mieux payés du secteur de la logistique et du transport », affirme un
transporteur implanté près de Barcelone. Il en veut pour preuve les résultats d’une étude réalisée par la société Adecco Logistique & Transport : 59 % des conducteurs espagnols perçoivent un salaire brut annuel se situant entre 18000 € et 21000 €. Pour un salaire moyen passé l’an dernier de 1858 € à 1992 € bruts mensuels. En conséquence, les conflits se multiplient devant les tribunaux administratifs. « Si on ajoute le non-paiement des heures supplémentaires (majorées de 50 %), les chauffeurs espagnols devraient percevoir en moyenne 1500 €chacun, un reliquat correspondant aux augmentations qui n’ont pas été honorées ces quatre dernières années », estime Juan Ruiz, représentant UGT Transport à Tarragone, où ce syndicat a récemment déposé un recours pour faire valoir ce rattrapage. « Toute augmentation des coûts salariaux aurait des conséquences dramatiques pour notre secteur, rétorque Jésus Manuel Rodriguez, qui préside le syndicat patronal régional ASETRANSPO (3) en Galice. Nos entreprises vont perdre quelque 2000 emplois dans la région cette année, en raison des ajustements d’effectifs,et ce sont plus de 600 sociétés du secteur qui sont menacées de disparition, uniquement en Galice. Dans notre bassin d’emplois, 80 % des entreprises de transport de marchandises ont dû faire appel à des mesures spéciales,par un ajustement du nombre de salariés, une diminution de la flotte ou la mise en redressement pour pouvoir encore exister ». Le transporteur précise aussi que 10 % des entreprises de TRM en Espagne ont au moins un camion à l’arrêt, faute d’activité. Un supplice dans un pays où la moyenne des véhicules se situe à 3 par entreprise. ● FRANCIS MATÉO
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ALLEMAGNE
ÇA ROULE AUX SALAIRES « L’absence de salaire minimum ou de convention collective nationale ont permis aux entreprises allemandes de transport de maîtriser leurs coûts. Dans certains Länder, l’heure de conduite est 55 % moins élevée qu’en France.
« Les écarts de salaires entre l’est et l’ouest font le jeu des grands opérateurs qui peuvent externaliser leurs transports les moins rentables vers les filiales situées en ex-RDA. »
epuis avril, les conducteurs salariés dans le Land de Rhénanie du Nord-Westphalie se frottent les mains. Après de courtes négociations, leur convention collective a été revalorisée de 3,1 %. L’accord prévoit même une augmentation supplémentaire de 1,7 % dès l’année prochaine. « Cela faisait longtemps que nous n’avions pas obtenu un tel résultat », applaudit Herma Jansen, qui a participé aux négociations pour le syndicat Verdi (1). « Tout cela, sans même avoir besoin recourir aux grèves ».
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Après des années de vaches maigres, les conducteurs commenceraient-ils à toucher les fruits de la reprise économique outre-Rhin ? Rien n’est moins sûr. Car en Allemagne, il n’existe ni salaire minimum équivalent au SMIC français, ni accord de branche national, qui s’impose à l’ensemble des entreprises de transport. Résultat : tous les professionnels ne sont pas logés à la même enseigne. « On compte pas moins de vingt conventions collectives régionales,ou locales », détaille Martin Bullheller de la fédération des transporteurs BGL. « Du coup, il existe de grosses dis-
parités, notamment entre l’est et l’ouest du pays ». Le taux horaire conventionnel s’élève ainsi à 13,35 € dans le très riche Land du BadeWurtemberg contre 8,27 €en Thuringe, en ex-RDA. Surtout, toutes les entreprises ne sont pas liées à ces accords salariaux. Entre 40 et 55 % des conducteurs ne sont pas couverts par une convention collective, selon le syndicat Verdi. « Dans ces cas-là, le niveau de la rémunération est libre et fixé par l’entreprise », détaille Herma Jansen. Avec un garde-fou néanmoins : interdiction de descendre en dessous de
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LOW COST »
REVENUS DES CONDUCTEURS ROUTIERS Salaire brut annuel Quartile inférieur, 50 % gagnent au plus 25 % gagnent et 50 % gagnent au moins de... moins... Taille de l’entreprise
Quartile supérieur, 25 % gagnent plus de...
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médian
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Jusqu’à 100 salariés
24 847 €
25 830 €
31 188 €
De 101 à 1 000 salariés
23 400 €
25 800 €
29 569 €
1000 salariés et plus
29 900 €
33 800 €
36 467 €
Photos : DBAG
Source : www.personalmarkt.de
« DANS CERTAINES RÉGIONS, LES SALAIRES SONT PARFOIS INFÉRIEURS À CEUX PRATIQUÉS EN POLOGNE » 70 % du salaire conventionnel. Mais cela ne suffit pas toujours : « étant donné l’importance des entreprises échappant à tout accord collectif, les salaires sont globalement faibles et leur évolution reste en dessous de la moyenne européenne », relève
l’agence fédérale du fret (BAG). Le cabinet de consulting personalmarkt.de estime ainsi à 2 398 euros le salaire mensuel brut des conducteurs (voir tableau), à peine plus qu’un agent de centre d’appels téléphoniques… mais pour un volume horaire nettement plus conséquent. En moyenne, les conducteurs allemands travaillent près de 57 heures par semaine. LA “TVA SOCIALE” La crise de 2008/2009 a aussi joué un rôle dans la modération salariale : certaines entreprises en ont profité pour rogner sur les indem-
nités de déplacement. Face à ces dérives, une pétition a été présentée au Bundestag l’an dernier afin d’obtenir l’introduction d’un salaire minimum garanti. Sans succès : « en vertu du principe de cogestion chère à l’Allemagne, le gouvernement n’intervient pas sur ces questions,qui sont confiées aux partenaires sociaux », explique-ton au cabinet du ministre fédéral des transports, Peter Ramsauer. Or les grands opérateurs allemands n’ont aucun intérêt à mettre un terme à ces écarts qui font partie intégrante de leur stratégie : tandis que les flux à forte valeur ajoutée sont effectués par les conducteurs de l’Ouest, les transports les moins rentables sont externalisés vers les filiales est-allemandes. « Dans certaines régions allemandes, les salaires sont parfois inférieurs à ceux pratiqués en Pologne », souffle Toralf Weiße, président de l’association des entreprises de logistique de Leipzig Halle. Selon une enquête du Comité national routier (CNR), le coût de conduite est de 20 à 55 % moins élevé en Allemagne qu’en France. Dans les Länder de
l’ouest, la différence se fait moins sur les salaires que sur les charges patronales, beaucoup moins lourdes : 24,3 %, près de neuf points de moins que dans l’Hexagone. Il faut dire que les entreprises germaniques bénéficient depuis janvier 2007 de la « TVA sociale ». Concrètement : une baisse des cotisations patronales, compensée par une hausse de la TVA. Un coup de pouce, dont la fédération BGL tient pourtant à relativiser la portée : « Au même moment,nous étions assommés par l’explosion des prix du gazole et des tarifs de la Maut », nuance Martin Bullheller. Mais selon les calculs du CNR, cette réforme a été un facteur déterminant de compétitivité. Au cours des ces cinq dernières années, les charges sont ainsi allégées de 2,15 %. Mais après avoir serré au maximum la vis des coûts, le secteur s’expose à un retour de bâton qui pourrait se révéler douloureux. Faute d’offrir des conditions de travail suffisamment attractives, un nombre croissant d’entreprises se retrouvent désormais confrontées à une pénurie de main d’œuvre. Conséquence : « les employeurs n’ont plus le choix : ils vont devoir lâcher du lest sur les salaires », veut croire Herma Jansen, du syndicat Verdi. ● ANTOINE HEULARD (1) Syndicat géant des services (trois millions d’adhérents) qui défend les intérêts de mille métiers, dans des secteurs aussi variés que les transports, les services publics, la banque et l’assurance, les postes , télécommunications, employés et médias.
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a Belgique revient de loin. Au 1er janvier 2011, le barème horaire pour un conducteur belge était de 10,6405 € brut pour le temps de travail et de 10,5345 € brut pour le temps de disponibilité (1). À ces montants s’ajoutent les cotisations sociales qui s’élèvent à environ 38 % du salaire brut, une contribution au « Fonds social » de 7,75 %, laquelle assure aux conducteurs une prime de fin d’année et une contribution pour alimenter la caisse d’assurance maladie (6,50 % du salaire brut). À noter que les conducteurs perçoivent — tant pour les heures de travail que pour les heures de disponibilité — une indemnité forfaitaire dite « RGPT » (pour Règlement général pour la Protection du Travail) de 1,2155 € par heure. Ce supplément est prévu dans les cas où ils ne disposeraient ni d’un
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repos doivent être respectés par chacun, insiste Isabelle de Maeght, la directrice des relations extérieures de la Febetra (Fédération belge des Transporteurs et des Prestataires de services logistiques). En revanche, le temps de travail et les limites au temps de travail ainsi que la rémunération du temps de travail sont gérés au niveau national et au niveau du secteur. » Et la responsable d’ajouter. « Dans un régime classique, c’est neuf heures par jour et dans un régime flexible c’est 12 heures par jour ». Pour ce qui est du temps de disponibilité, Isabelle de Maeght souligne que le chauffeur belge peut être mis à la disposition de l’employeur pendant 15 heures au maximum (trois fois par semaine). Cette modalité dépend aussi du régime existant dans l’entreprise concernée. Pour autant, la lancinante question des ré-
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LE COÛT HORAIRE ESTIMÉ POUR UN CONDUCTEUR ROUTIER BELGE Soit 1500 € par semaine
munérations est posée. Les salaires n’ont pas augmenté depuis 2005. CSC-Transcom, le syndicat salarié majoritaire dans le TRM belge exige une progression de la rémunération brute.
BELGIQUE
AUGMENTATION SALARIALE DE 0,3 % Les salaires des conducteurs routiers belges n’ont pas augmenté depuis 2005. Autant dire que l’augmentation salariale de + 0,3 % consentie en 2011 est un vrai soulagement. Les organisations syndicales ont néanmoins obtenu cette année le versement d’une retraite complémentaire de 200 € par an. accès à un restaurant d’entreprise, ni à l’eau courante, ni à des sanitaires. « Ces indemnités ne sont soumises ni à l’impôt des personnes physiques ni aux cotisations de sécurité sociale », rappelle Michaël Reul, le directeur de l’UPTR (Union professionnelle du transport et de la logistique). Bon an, mal an, le coût pour un employeur pour une heure de prestation d’un routier peut être estimé à environ 25 € de l’heure, soit 1 500 € pour une semaine (25 € x 60 heures). D’après les calculs de l’Institut du transport routier et de la logistique de Belgique (ITLB), le poste « salaire » représenterait environ 40 % du coût global du prix de revient du transport (le carburant représentant environ 24 %). En Belgique ainsi que dans tous les autres États membres, le règlement 561/2006 sur les temps de conduite et de repos est d’application directe. Résultat : chaque État membre, selon son histoire propre, sa législation sociale et ses prérogatives nationales, gère les temps de travail et de disponibilité de ses conducteurs comme il le souhaite. « En vertu de cette réglementation européenne, les temps de conduite et de
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« Nous ne sommes pas dans une situation satisfaisante au niveau salarial car les augmentations sont très faibles. Mais nous avons essayé d’améliorer les choses », explique Roberto Parrillo, le responsable général transport routier et logistique de CSC-Transcom.
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ACCORD INTERPROFESSIONNEL Pour le TRM, les négociations salariales dépendent du protocole d’accord interprofessionnel présenté par les organisations patronales aux syndicats. Cette année, ce protocole a été rejeté à 55 % par la Confédération générale des syndicats libres de Belgique (CGSLB). Nul et non avenu, il a donc été repris en main par le gouvernement fédéral, lequel a consulté l’association des fédérations d’employeurs belges (AFEB) et rencontré les organisations syndicales le 14 février dernier. Le document gouvernemental insiste sur une augmentation salariale de 0,3 %. « Nous ne sommes pas dans une situation satisfaisante au niveau salarial car les augmentations sont très faibles, mais nous avons essayé d’améliorer les choses, explique Roberto Parrillo, responsable général transport routier et logistique de CSC -Transcom. Le taux de 0,3 % fixe l’augmentation du pouvoir d’achat chaque année mais cette progression ne peut pas être dépassée. » Toutefois, le responsable syndical se félicite des retombées positives de cette convention nationale. Ainsi, depuis le 1er juillet 2011, les employeurs cotisent pour la retraite complémentaire de leurs salariés, à raison de 200 € par an et par conducteur. Cette « complémentaire » était normalement prévue par les accords sectoriels 2007/2008 et 2009/2010 mais n’a jamais été appliquée. Il s’agit donc d’un rattrapage qui vient s’ajouter au régime général de retraites. ● AZIZ BEN MARZOUQ (1) L’institut du transport routier et de la logistique Belgique (équivalent du Comité national routier) estime qu’un chauffeur belge assure 38 heures par semaine de temps de travail et 22 heures de temps de disponibilité, soit un temps de service total de 60 heures par semaine.
QUEL MODÈLE SOCIAL EUROPÉEN ? DOSSIER
ITALIE
SAUVEGARDER LE MODÈLE SOCIAL Le conducteur italien gagne 18 % de plus que son collègue français. Ses conditions de travail se dégradent compte tenu de la concurrence déloyale des transporteurs d’Europe de l’Est. La situation des « padroncini » (les artisans-transporteurs) est la plus inquiétante. e modèle social italien est en pleine recomposition depuis 2008. Il n’existe pas de salaire minimum en Italie, ce qui signifie que les salaires de base sont fixés par les conventions collectives. Selon la dernière étude réalisée par le Comité national routier en juin 2010 (1), le salaire de base mensuel d’un conducteur italien de référence (correspondant au niveau « 3 Super » dans la convention collective) s’élève à 1412,37 €, soit quasiment le salaire de base moyen d’un conducteur français. La comparaison avec les conditions des salariés français est riche d’enseignement (voir tableau ). Au-delà du salaire de base, le salaire d’un conducteur français est constitué de la rémunération des heures d’équivalence et supplémentaires (646 €/ mois), strictement recensées. En Italie, les heures supplémentaires sont forfaitisées pour un montant mensuel d’environ 361 €. L’étude du CNR démontre que l’ancienneté des conducteurs a un poids comparable à la France. La spécificité italienne réside avant tout dans le
L. Guarino
L
« Notre rêve est de décrocher une convention collective spécifique aux TPE », assure Marco Digioia (Confartigianato Trasporti).
versement de nombreuses primes. Cette pratique est issue d’accords d’entreprise baptisée « superminimo ». Le montant de cette prime atteindrait en moyenne 450 € par mois. En parallèle, l’octroi d’un 13e et 14e mois (montants mensualisés dans le tableau), semble une pratique courante. Enfin, en raison de l’autonomie des régions, les conducteurs italiens bénéficient d’une « prime d’intégration régionale », mensuelle. Celle-ci varie entre 10,44 € pour la région du TrentinHaut-Adige, et 67,14 € pour la Vénétie. Cette prime régionale est calculée au prorata du coût de la vie dans la région concernée. Sans
compter que les « congés payés » peuvent être travaillés en Italie et sont alors rémunérés au double. Cet ensemble de primes atteint environ 820 € par mois, contre 118€ par mois en France (voir tableau). À situation comparable, la rémunération d’un conducteur est supérieure de 18% à celle d’un conducteur français. Reste que les données du CNR n’intègrent pas les frais de déplacement, lesquels sont calculés selon un barème croissant dépendant des flux nationaux, internationaux et de la durée totale du déplacement. LES « PADRONCINI » PÉNALISÉS En termes d’heures de travail, la convention collective italienne prévoit une base de 168 heures mensuelles. La directive européenne sur le temps de travail des conducteurs routiers a été transposée dans la réglementation italienne sans avoir durci à proprement parler les conditions. En conséquence, le plafond s’avère peu contraignant (de l’ordre de 250 heures par mois travaillé). Compte tenu des accords d’entreprise, de l’ancienneté et
RÉMUNÉRATIONS MENSUELLES EN FRANCE ET EN ITALIE (hors frais de déplacement) FRANCE
Observation CNR
ITALIE
Salaire de base (pour 152 h/mois)
1429,68 €
1412,37 €
Heures d’équivalence (pour 134 h/mois)
399,75 €
363,31 €
Heures supplémentaires (pour 17,5h/mois)
246,48 €
Majoration ancienneté (5 à 10 ans)
86,5 €
99,16 €
Primes
118,08 €
450,00 € 63,28 € 235,40 € 71,81 €
Rémunération totale brute
2280,48 €
2695,33 €
Évaluations d’experts Salaire de base (pour 168 h/mois) Heures supplémentaires (forfaitisées)
Majoration ancienneté (4 ans) Prime accord d’entreprise Prime d’intégration régionale (Lombardie) 13e et 14e mois Congés travaillés Rémunération totale brute
des négociations salariales individuelles, le conducteur italien, coûte, pour l’entreprise et charges sociales patronales comprises, environ 21 € de l’heure payée, soit 3 258 € par mois sur une base de 168 h payées (42 336 € par an). Cela correspond à une rémunération nette d’impôt sur le revenu d’un montant de 1 886 € par mois, soit 22 632 € par an. L’étude du CNR conclut que les coûts de personnel de conduite en Italie et en France sont similaires, au moins pour ce qui est des entreprises italiennes pratiquant les standards en matière de primes. Un phénomène affecte durablement les transporteurs. La décroissance accélérée du pavillon italien au profit des pavillons des pays de l’Est (pavillon slovène, hongrois, tchèque, slovaque et polonais) se traduit par un taux de cabotage illégal qui oscille entre 12 et 14 % (L’OT 2602). Résultat : les artisans-transporteurs (« padroncini ») sont les premiers frappés par cette concurrence. Parmi les 115000 transporteurs de la Péninsule, on dénombre en majorité des entreprises individuelles et des TPE avec une moyenne de 2,7 employés par entreprise, contre 8,6 en France. Pour éviter la dégradation des conditions de travail, l’Union nationale des associations de transporteurs routiers (Unatras) mise sur l’application de la loi sur les coûts minimaux de transport d’une part et sur la médiation du sous-secrétaire d’État chargé des Transports, Bartolomeo Giachino. « Notre rêve est de décrocher une convention collective spécifique aux TPE », assure Marco Digioia, délégué général de Confartigianato Trasporti (Confédération des artisans transporteurs). ● L. G. (1) Étude CNR « Le transport routier de marchandises en Italie ». Juin 2010.
L’Officiel des Transporteurs – N° 2609 du 2 septembre 2011
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