Infractions et contrôles : une Europe à plusieurs vitesses

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AU SOMMAIRE ❚ DROIT COMMUNAUTAIRE UNE HARMONISATION EMBRYONNAIRE . . . . . . . . . . . . . P. 28 ❚ ALLEMAGNE LA « POLIZEI » INTRAITABLE

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❚ ESPAGNE LES TRANSPORTEURS PERSÉCUTÉS ? . . . . . . . . . . . . . . . P. 32 ❚ BELGIQUE COLLABORATION ÉTROITE ENTRE CONTRÔLEURS . . . . . . . P. 33 ❚ ITALIE LA RÈGLE DU « CUMULO GIURIDICO »

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INFRACTIONS ET CONTRÔLES

UNE EUROPE À PLUSIEURS VITESSES

RÉALISÉE PAR LOUIS GUARINO, ANTOINE HEULARD, FRANCIS MATÉO ET AZIZ BEN MARZOUQ

Pour une même infraction au règlement social européen, le montant de la sanction varie de 1 à 12 entre les Pays-Bas et l’Espagne. En pratique, les disparités sont légion d’un État membre à l’autre. Non seulement, les forces de l’ordre ne sont pas comparables mais les pratiques obéissent à des critères d’ordre culturel. Résultat, le montant des amendes, les sanctions prévues et la qualification de chacune des infractions diffèrent allègrement au sein de l’UE. Dans ce contexte, les eurodéputés rappellent à l’ordre la Commission et militent en faveur d’une harmonisation efficace des sanctions. Le rapport Ranner (PPE) adopté en mai dernier va dans ce sens. Il se heurte toutefois aux systèmes judiciaires mis en place par les pays européens pour les poursuites pénales et par leurs différences d’approche de la sécurité routière. Les pratiques observées chez nos voisins allemands, espagnols, ❱❱ belges et italiens démontrent que l’harmonisation est bien modeste. L’Officiel des Transporteurs – N° 2574 du 26 novembre 2010


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UNE HARMONISATION EMBRYONNAIRE Le respect du règlement social européen se heurte à la disparité des contrôles et des pratiques. Pour éviter ces écueils, le rapport Ranner entérine une timide harmonisation des sanctions.

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temps de conduite et de repos est ous avons aujourd’hu i une harmonisation eu - longue. « On peut en dénombrer 84 », ropéenne de synthèse, indique Maurice Be rnadet, pro f e sobserve Dra g u i c h a seur honora i re à l’ Un i versité de Rakic, vice-président du Tribunal de Lyon (Lyon 2 Lu m i è re) dans l’ o uGrande Instance (TGI) de Bourgoin- vrage « Droit des transports » c o r éJallieu (38). Ce qui signifie que les digé avec Isabelle Bo n - Ga rcin et sanctions liées aux infractions à la Yves Re i n h a rd (1). Les infractions réglementation sociale sont différen - sont notamment classées par tes d’un État membre à l’autre. » Fo rt thème : durée de conduite, pause, de ce constat, est-il légitime de par- temps de repos, installation et utiler d’ h a rmonisation des sanctions lisation du chronotachygraphe, utiau sein de l’UE ? « En réalité, grâce lisation de la carte du conducteur à la directive 2009/5/CE, nous som - ou de la feuille d’enregistrement, abmes au tout début d’une phase d’har - sence des indications qui doive n t monisation », ajoute le magistrat. être saisies, non présentation des De fait, le texte publié le 31 janvier documents, fra u d e e t c. Les infra2009 par la Commission euro- ctions sont aussi classées en foncpéenne invite les États membres à tion de leur degré de gravité : infraharmoniser leurs infractions selon ctions mineures, infractions graves, leur degré de gravité. La classifica- infractions très graves. En second lieu, il est très difficile tion des infractions est censée réduire la disparité des pratiques au de comparer l’application du règlesein de l’UE. Deux re m a rques de ment social européen. « Les infra fond s’imposent. En premier lieu, la ctions ne sont pas définies de la liste des infractions re l a t i ves aux même façon d’un État à l’autre, es L’Officiel des Transporteurs – N° 2574 du 26 novembre 2010

Maurice Bernardet, professeur honoraire à l’Université de Lyon 2 a dénombré 84 infractions relatives aux temps de conduite et de repos.

time l’universitaire. Il y a le texte d’une part et la pratique d’ a u t re part, laquelle dépend des contrôles et de l’indulgence des contrôleurs. » C’est tout le paradoxe de l’UE. Estil réaliste d’ h a rmoniser les sanctions lorsque les pratiques nationales ne sont pas semblables ? Dans une étude réalisée pour la Direction g é n é rale des infra s t ructure s, des transports et de la mer (DGITM) intitulée « Les sanctions des réglementations des transports routiers en France et dans quelques pays e u ro p é e n s », Ma u rice Be rn a d e t pointe des écarts considéra b l e s dans la manière dont sont sanctionnées les infractions au RSE. Ainsi, pour un dépassement de la conduite continue de 3 h e u re s (c’est-à-dire une durée de conduite continue de 7h30), le montant de l’amende est de 330 E aux Pays-Bas, de 480 E en Allemagne, d’un montant maximum de 1 500E en France, de 3 300 E au Royaume-Uni et de


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4000E en Espagne. Résultat, le montant de la sanction va rie de 1 à 12 entre les Pays-Bas et l’Espagne (2). IMPOSSIBLE HARMONISATION ? « Il faut tirer un signal d’alarme », affirme Ma u rice Be rnadet. Une manière de souligner qu’en dépit des distorsions fortes entre les États, il convient de tendre vers une plus grande harmonisation des textes. En ce sens, le rapport rédigé par l’eurodéputée autrichienne Hella Ranner (PPE) et adopté le 18 mai 2010 ne dit pas autre chose. Dans l’intérêt de la sécurité routière et d’une concurrence loyale entre les entreprises de transport routier de marchandises, Madame Ranner plaide en fave u r d’une harmonisation efficace des sanctions en cas d’ i n f ractions à la réglementation sociale. Pour étayer son rapport, elle s’est largement appuyée sur le document de la Commission européenne intitulé : « Analyse des sanctions applicables en cas d’infraction grave à la réglementation sociale dans le transport routier. » Ainsi, Bruxelles

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MONTANT DE L’AMENDE DANS CINQ PAYS EUROPÉENS POUR UN DÉPASSEMENT DE CONDUITE CONTINUE DE PLUS DE 3 HEURES

constate que les différences entre les sanctions applicables aux infractions graves à la réglementation sociale se situent dans le montant des amendes. Par exemple, un dépassement de plus de deux heures de la durée de conduite journalière expose à une amende pouvant être dix

fois plus élevée en Espagne (4 600 E) q u’en Grèce (400 E). En conséquence, Hella Ranner estime que les n i veaux de pénalité doivent avo i r un « effet dissuasif efficace contre les infractions graves. » Ce qui signifie que la sécurité routière ne peut être garantie que par une application co-

Les montants des infractions au RSE diffèrent d’un pays à l’autre. Les écarts peuvent varier de 1 à 12 entre les PaysBas et l’Espagne.

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hérente des dispositions juridiques sur le temps et les conditions de travail des conducteurs routiers. Les contrôles sur route et au siège des entreprises de transport doivent avoir lieu de manière plus fréquente et plus approfondie. CONTRÔLES EN AUGMENTATION En matière de contrôles, le texte de base est la directive 2006/22/CE, laquelle indique que le nombre de contrôle doit couvrir un pourcentage donné des jours de travail des conducteurs. Ce pourcentage qui était de 1 % en 2006, a été porté à 2 % au 1er janvier 2008 et à 3 % depuis le 1er janvier 2010. La Co m m i s s i o n pourra le rehausser à 4 % au 1er janvier 2012. En 2006, le pourcentage de jours ouvrés contrôlés sur la route devait être au minimum de 15 %, et en entre p rises de 30 %. Depuis le 1er janvier 2008, ces pourcentages ont été portés à 30 % sur la route et 50 % en entre p rises (source « D roit des transports »,Précis Dalloz). Il faut préciser que la directive 2006/22/CE impose aux États membres d’établir des statistiques précises liées aux contrôles effectués, lesquelles doivent faire l’objet d’un rapport à la Commission publié tous les deux ans. En outre, le texte favorise les échanges d’informations entre États membres et les formations conjointes de leur personnel de contrôle. Les travaux réalisés par Euro Contrôle Route (ECR) sont au cœur de ce dispositif d’échange de bonnes pratiques (voir

encadré). Reste que dans son ra pport, Hella Ranner met en exergue trois arguments de taille. Elle admet que la situation du trafic dépend des infrastructures, du volume de la circulation et de l’encombrement des routes. À l’évidence, ces facteurs doivent être pris en considération pour définir la fréquence des contrôles. En parallèle, elle exhorte les États membres à installer sur le réseau routier européen une infrastructure comportant un nombre suffisant de parkings et d’aires de services sûrs, de façon à ce que les conducteurs puis-

Le rapport de l’eurodéputée autrichienne Hella Ranner préconise des contrôles sur route et au siège des entreprises de transport plus fréquents et plus approfondis.

sent respecter les dispositions en matière de temps de conduite et de repos. Enfin, l’eurodéputée demande à Bruxelles et aux États membres d’encourager et de financer les projets de construction de parkings sécurisés, élément essentiel pour que les conducteurs respectent le règlement social européen. ● L.G. (1) Pour aller plus loin, voir les pages 155 à 158 de l’ouvrage « Droit des transports », Précis Dalloz (2010) rédigé par Maurice Bernadet, Isabelle Bon-Garcin et Yves Reinhard. (2) Voir la revue Transports n° 454, marsavril 2009.

EURO CONTRÔLE ROUTE (ECR) OU L’HARMONISATION INTELLIGENTE Pour mieux harmoniser les sanctions en cas d’infraction à la réglementation sociale, l’eurodéputée Hella Ranner s’est largement inspirée des travaux d’Euro Contrôle Route (ECR). Historiquement, ECR a vu le jour en octobre 1999 afin d’optimiser la coopération entre pays signataires dans le contrôle sur les axes à fort trafic de poids lourds. Cette instance, dont l’appellation officielle est « arrangement administratif », regroupe 14 États membres (France, Benelux, Allemagne, Irlande, Royaume-Uni, Espagne, Autriche, Pologne, Bulgarie, Hongrie, Italie, Roumanie). Elle est chargée d’impulser un véritable « coaching »

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stratégique : échanges systématiques d’informations sur les entreprises infractionnistes, formationséchanges de contrôleurs (bilatérales et multilatérales) et plateforme d’information sur les nouveaux développements technologiques. La Commission européenne d’une part et l’eurodéputée d’autre part se sont basées sur les travaux effectués par les experts des contrôles au sein d’ECR qui ont élaboré une catégorisation plus vaste des infractions à la réglementation des transports. En fait, cette catégorisation constitue la base du système de « score de risque » que les États

membres doivent mettre en œuvre conformément à la directive 2006/22/CE. Dans les faits, le score de risque classe les entreprises de transport sur la base des infractions constatées lors de contrôles précédents. Ainsi, le système permet aux services d’inspection de concentrer leurs contrôles sur les « entreprises à problème ». Celles qui respectent la réglementation ne perdent pas leur temps en inspections. La base de données développée par ECR a été adoptée par la Commission comme point de départ pour les États membres qui n’utilisent pas encore de système de score de risque.


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ALLEMAGNE

LA « POLIZEI » INTRAITABLE Dans un pays situé au cœur des échanges où le trafic de transit pourrait doubler dans les vingt prochaines années, la sécurité des poids lourds est une préoccupation constante. Outre-Rhin, les forces de l’ordre multiplient les contrôles et sont parmi les plus sévères d’Europe. ls écrivent des SMS, regardent la télé ou se curent les dents : selon la police allemande, les conducteurs routiers multiplieraient les comportements à risque lorsqu’ils sont au volant. A l’abri des regards, protégés par la hauteur de leur cabine, les contrevenants sont rarement pris sur le fait. Du moins jusqu’ici. Car les forces de l’ordre ont trouvé la parade. Ces dernières années, un nouvel engin a fait son apparition : une fourgonnette banalisée, munie de deux caméras discrètes, capables de filmer « tout ce qui se passe dans l’habitacle », explique Lothar Hellriegel, directeur adjoint de la police autoroutière de Karlsruhe. « L’inattention est la cause de beaucoup d’accidents », poursuit-il. « Depuis le bord de la route, nous n’avions jusqu’alors pas la possibilité de contrôler les agissements des chauffeurs ». En cas d’infraction avérée et pour éviter toute contestation, les policiers peuvent désormais montrer les images du délit au conducteur, avant de le verbaliser. Les entorses les plus spectaculaires sont par ailleurs régulièrement ra p p o rtées dans la presse, à grand renfort d’images « choc ». « Les routiers prennent ainsi conscience que l’impunité n’existe plus », se félicite Lothar Hellriegel. « Ils savent qu’ils peuvent être pris la main dans le sac à tout moment ». Ces fourgons banalisés circulent notamment sur les autoroutes de l’est du pays, entre Berlin et la frontière polonaise. Avec ses grandes lignes droites et son relief plat, ces trajets sont jugés « propices à l’inattention ».

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DES CONTRÔLES MINUTIEUX Cette innovation en dit long sur la sévérité en vigueur outre-Rhin : tolérance zéro pour les délits routiers, même « mineurs ». La sécurité des poids lourds est une préoccupation constante dans un pays situé au cœur des échanges européens, où le trafic de transit pourrait doubler d’ici 2030. Résultat : une multitude de contrôles, organisés au quotidien, par les polices régionales et le BAG, l’autorité fédérale chargée du transport de marchandises. Par exemple : 41500 PL contrôlés depuis le début de l’année dans le seul Land du Brandebourg, situé près de la frontière polonaise. Et jusqu’à 271000 par an en Bavière, au sud du pays. « Les autorités allemandes sont parmi les plus minutieuses d’Europe », assure Frank-Peter Gentze, direc-

teur de la fédération de tra n s p o rteurs BGL. « Berlin va bien au-delà des standards imposés par Bruxelles en matière de qualité des contrô les ou de leur fréquence ». En ligne de mire : les infractions au règlement européen 3820/85 relatif aux temps de conduite et de repos. Avec 15millions de jours de travail contrôlés en 2003, l’Allemagne avait alors battu un record, en réalisant cinq fois l’objectif fixé par la Commission européenne. Des contrôles plus fréquents que chez ses voisins, mais aussi plus efficaces : 6 % des PL examinés présentent une infraction. Là aussi un taux record.

moyenne, les amendes sont comprises entre 30 et 150 euros. Une somme presque dérisoire en comparaison des contraventions infligées aux chauffeurs pris en défaut sur les routes françaises ou britannique. C’est peut-être pour cela que l’Allemagne a longtemps tardé avant de transposer la directive sur les sanctions transfrontalières, facilitant la perception des amendes entre les pays de l’UE : elle vient tout juste d’entrer en vigueur, cinq ans après son adoption par Bruxelles. Preuve du peu d’intérêt des autorités allemandes : Berlin n’a même pas éva-

41 000 PL ont été contrôlés depuis janvier dans le seul Land du Brandebourg.

Autre spécificité germanique : des moyens d’action importants, qui font la part belle à l’innovation. L’Allemagne est ainsi l’un des pays accueillant un projet pilote de l’UE : Asset, pour Ad vanced Safety and dri ve r Su p p o rt for Essential road Tra n s p o rt. Concrètement un appareil ultra modern e, muni de capteur et d’une caméra infrarouge et capable de définir le poids des marchandises chargées à bord d’un camion en marche. En Bavière la police de l’autoroute teste depuis six mois ce nouvel équipement, installé sur l’autoroute A8 : « un axe stratégique », explique Andreas Guske, le porte-parole de la police bavaroise. « Tous les flux nord-sud convergent vers cette voie qui mène à l’Italie ou la Hongrie ». Paradoxalement, cette fermeté ne se reflète pas dans le barème des sanctions. « C’est le moins sévère d’Europe », glisse un avocat spécialisé dans ce type d’ a f f a i re s. En

lué le montant des recettes supplémentaires espérées. De fait, c’est surtout le respect de la législation sociale qui préoccupe les forces de l’ o rd re. Près d’un contrôle sur deux c o n c e rne le respect des temps de conduite. Pour l’Allemagne, il s’agit aussi d’un moyen de protéger ses entre p rises nationales face à la concurrence des opérateurs issus des pays de l’Est, considérés comme moins reg a rdants sur les conditions de travail. Fait marquant : ces amendes plus modérées donnent lieu à des situations pour le moins étonnantes. Ce rtains routiers en transit considèrent qu’il est « rentable » de se faire verbaliser en Allemagne. « Parfois, des chauf feurs en infraction se présentent spontané ment aux contrôles », glisse un commissaire. « Ils espèrent ainsi s’acquitter outre-Rhin de leur contravention et échapper à une péna lité financière plus lourde dans un autre pays ». ● ANTOINE HEULARD

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ESPAGNE

LES TRANSPORTEURS PERSÉCUTÉS? La crise coïncide bizarrement avec un durcissement des contrôles routiers en Espagne. Et une pression plus forte sur les transporteurs, qui payent le tiers du montant global des procès verbaux dressés par la « Guardia Civil ». a nouvelle loi concernant la sécurité routière en Espagne est entrée en vigueur le 25 mai 2010. C’est le plus important ajustement concernant les infractions au Code de la route depuis l’instauration du permis à points outrePyrénées, en 2005. « La nouvelle législation doit permettre de lutter plus efficacement contre les infra c t i o n s », souligne Federico Fe rn á n d ez, sous-directeur de la Di re c t i o n Générale du Trafic (DGT), chargée d’appliquer la nouvelle réglementation pour le compte du ministère de l’Aménagement et des Transports. « Il s’agit d’en finir avec l’im punité de certains conducteurs qui échappent aux sanctions, de réduire les délais de trans mission d’information, mais aussi de facili ter l’accès des citoyens à tout ce qui concerne le trafic routier et les infractions, à travers la mise en place d’outils informatiques », précise-t-il. En matière d’impunité, ce sont évidemment les conducteurs étrangers qui sont visés. Selon les pouvoirs publics ibériques, ils représenteraient jusqu’à 40 % des contrevenants en été sur les routes d’Espagne. La DGT a ainsi mis en place un système permettant de détecter plus rapidement les plaques d’immatriculations étrangères (en cas d’excès de vitesse), avec des radars qui tra n smettent directement l’ i n f o rmation à la patrouille policière mobile la plus pro c h e, et à la base de la DGT à Leon, où sont traitées les infractions commises par les étrangers.

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TRANSPORTEURS DISCRIMINÉS Mais au-delà de la nouvelle réglementation, c’est sa mise en application qui a créé la polémique en Espagne. Car depuis juillet 2010, la « Guardia Civil » espagnole est soumise à une rémunération complémentaire « à points ». Le montant des primes est octroyé en fonction du nombre et de la nature des infractions constatées par les agents : deux points de bonification par exemple pour les véhicules légers en excès de vitesse ou l’ a bsence de ceinture de sécurité, et quatre points pour une amende pour le TRM comme pour le transport de passagers. Une distinction qui a déclenché la colère des tra n s p o rt e u r s. Marcos Monteros, président de l’ o rg a n i s ation patronale CETM (Confédération Espagnole du Transport de Marchandises), juge « intolérable » cette discrimination. « Il est inadmissible que l’on encourage ainsi à sanc -

Les infractions routières devraient rapporter 430 ME à l’État espagnol en 2010.

tionner davantage les transporteurs », insistet-il. Un avis qui en rajoute au sentiment d’acharnement ressenti par de plus en plus de dirigeants en Espagne. Comme en témoigne Juan Carlos Pardo, qui dirige la société de Transport Transpais (Tarragone) : « Avec la crise économique, on a parfois l’impression que les procès verbaux pour les infractions routières sont devenus des com -

pléments d’impôt. On a le sentiment depuis deux ans d’être harcelés ». Le transporteur espagnol, qui opère également en France, estime même qu’il y a des différences de traitement entre la péninsule ibérique et l’Hexagone : « Sur un dépassement des temps de conduite, on va être passible en Espagne d’une amende deux fois plus lourde qu’en France, par exemple. Ce qui est d’autant plus injuste c’est que les chauffeurs enfreignent sou vent ces règles pour pouvoir atteindre des aires de repos plus sûres, et ne pas être victimes de vols,qui sont devenus une véritable calamité ». Selon les derniers chiffres officiels disponibles, l’État Espagnol a perçu 142 ME d’amendes en 2008 pour les 149 135 infractions concernant les poids lourds. Des données en sensible augmentation, selon les professionnels du secteur. Le plus grand nombre des procès verbaux concerne le dépassement des temps de conduite, le non-respect du repos obligatoire, et les surcharges de marchandises. Le montant moyen des amendes atteint 955 E. Plus globalement, les pouvoirs publics prévoient de collecter 430 ME cette année pour l’ensemble des procès verbaux liés aux infractions ro u t i è res en Espagne. Ce qui montre que le tiers du montant des sanctions est payé par les transporteurs ! ● F. MATÉO

DES NOUVEAUX RADARS La nouvelle loi concernant la sécurité routière en Espagne expose les transporteurs à de nouveaux risques d’infractions. Au chapitre des nouveautés : la possibilité de calculer les excès de vitesse sur des portions de routes avec la mise en place des nouveaux radars de la DGT, capables de calculer une vitesse moyenne sur un tronçon de voie. Ces équipements sont déjà opérationnels (notamment sur l’A6, sous le tunnel de Guadarrama, entre Madrid et Segovia), mais les infractions constatées ne donneront pas lieu à des amendes au cours des premières semaines. Le test s’achèvera courant décembre. Deux nouvelles infractions sont reconnues : l’utilisation ou l’installation d’éléments pouvant altérer le fonctionnement du chronotachygraphe

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ou du limiteur de vitesse ; la manipulation du GPS pendant la conduite est également désormais sanctionnable. La réglementation sur le cabotage reste identique : le texte stipule que les transporteurs étrangers ne peuvent pas réaliser plus de trois opérations de transport en Espagne au cours des sept jours suivants une livraison internationale à destination de la Péninsule. Toute infraction étant passible d’une condamnation pouvant aller jusqu’à une amende de 4 601 E. Précision pratique : en cas de paiement des amendes dans un délai inférieur ou égal à 20 jours après notification de l’infraction, le contrevenant bénéficie d’une réduction de 50 % du montant de l’amende. Les paiements pouvant être effectués par Internet (www.dgt.es) ou virement bancaire. F. M.


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Drooghenbroodt, chef de la division « contrôles routiers » à la DG « transport terrestre ». Des contrôles préventifs sont également effectués : toute nouvelle société de transport est contrôlée ou visitée dans les six premiers mois qui s u i vent sa création. PAYS DE TRANSIT En raison de sa situation géographique au milieu de l’ Eu ro p e, la Belgique connaît-elle des problèmes particuliers pour les contrôles ? « Sur certains axes de transit nous avons affaire à bon échantillon de nationalités, estime Armand Re m a c l e. Sur l’ensemble des véhicules contrô lés, nous avons grosso modo 40 % de Belges et 60 % d’étrangers. » Les p rincipaux opérateurs étrangers sont les Tchèques,les Slovaques et les Polonais. « Ils traversent le pays et se dirigent en priorité vers le port de Ca l a i s . Ce sont des Chez les Belges, un plan d’action vieux de 10 ans oblige l’ensemble des entités chauffeurs qui roulent énormé des pouvoirs publics à travailler de façon complémentaire. Il y a en moyenne ment et qui ne prennent pas les un contrôle en commun par mois et par province. Ce qui n’empêche pas temps de repos requis », précise chaque service de travailler en autonomie. le Conseiller général. To u t e f o i s, grâce à « Eu ro d’un contrôle technique, précise Contrôle Route » (1), la Direction n Belgique c’est la DG A rmand Remacle, Conseiller gé- g é n é rale « Transport terrestre » « transport terrestre » du n é ral à la DG Transport terrestre. i n t e rvient en matière de répresservice public fédéra l Pour 2010, il est prévu 45 416 sion transfrontalière. « Tous les Mobilité et Transports contrôles sur route,un chiffre déjà deux mois nous nous transmet qui contrôle et sanctionne les indépassé au 15 novembre 2010. » tons des informations codées en fractions aux côtés de la police En parallèle, des contrôles sont tre collègues européens. C’est une fédérale, de la police locale, des effectués en entreprises. Les 19 bonne façon de cerner et d’affiner services de douanes et du Service contrôleurs actuels ont pour le profil de nos entreprises de public fédéral Emploi et Travail. mandat de contrôler les quel- transport et d’apprécier comment Un Plan d’action élaboré en 2001 que 9 000 entreprise de transport elles se comportent à l’étranger », oblige l’ensemble de ces entités belges tous les trois ans (condi- ajoute Armand Remacle. À ce tià travailler de façon complément a i re. Si des contrôles en comtions d’établissement de l’entre- t re, il assure que les échanges Armand Remacle, conseiller mun sont effectués -en moyenne prise, honorabilité, accès à la pro- d’informations et les relations de général à la Direction générale un par mois et par province, chafession). En 2009 quelque 3 057 travail avec la France sont étroits Transport terrestre. que service tra vaille toutefois contrôles en entre p rises ont été (2). « Nos contrôleurs francopho en pleine autonomie. et autres documents obligatoires. effectués. « Le chiffre reste relati - nes s’y rendent régulière m e n t « 62 162 contrôles ont été effectués vement stable depuis plusieurs pour suivre des formations. Ils QUI CONTRÔLE QUOI ? en 2009 dont 9 551 accompagnés années », observe Danny vont notamment dans le NordTrois objectifs sont assignés au serPas-de-Calais et en Champagnevice des contrôles de la DG transArdenne. Les Français sont en fait INFRACTIONS ET SANCTIONS port terrestre : contribuer à la sédes cousins ! » ● Infractions Montant de l’amende curité routière, veiller à assurer des AZIZ BEN MARZOUQ conditions de concurrence corLicence de transport de 50 à 1800 s (1) « Arrangement administratif » créé rectes entre les transporteurs et en 1999 et regroupant 14 États contrôler les conditions de tramembres dont la France et le Benelux. dépassement du temps L’objectif est d’optimiser la qualité des vail des chauffeurs. 36 contrôde conduite journalier maximum de 40 à 2 000 s contrôles routiers, la sécurité routière, le leurs sont affectés au TRM pour respect des règlements régissant le infractions au temps de repos de 50 à 2 400 s transport routier et d’instaurer une l’ensemble de la Be l g i q u e. Les concurrence plus loyale. contrôles portent essentiellement fraude au tachygraphe de 50 à 2 400 s sur les temps de conduite et de (2) Un accord franco-belge sur les sanctions transfrontalières existe repos, l’utilisation du tachygrainfractions à la carte de conducteur de 50 à 2 400 s depuis 2008. Il s’ajoute à ceux signés p h e, le chargement (poids, diavec le Luxembourg, l’Allemagne et la mensions, arrimage), les licences Source : DG transport terrestre Suisse.

BELGIQUE

COLLABORATION ÉTROITE ENTRE CONTRÔLEURS

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ITALIE

LA RÈGLE DU « CUMULO GIURIDICO » Le Code de route italien est beaucoup plus répressif pour les infractions à la réglementation sociale. Toutefois, le principe du « cumulo giuridico » devrait permettre à terme de réduire le montant global des amendes acquittées par les transporteurs italiens.

u moment où les pouvoirs publics durcissent le Code de la route, ils proposent en parallèle à l’Union nationale des associations de tra n s p o rteurs routiers (Unatras) de réduire le préjudice économique subi par les entreprises en cas d’infractions routières. Si le principe du « cumulo giuridico » n’est pas obligatoire, sa vocation est bien de limiter la facture des amendes que les entre p rises infractionnistes seront tenues de régler. Le TRM italien milite pour une modération du montant global des amendes. Lors d’une réunion organisée le 9 novembre dernier au ministère des Transports à Rome sur le thème de la responsabilité des entreprises, les associations de transporteurs ont acté le principe du « cumulo giuridico ». « Cette règle n’est pas obligatoire et elle doit encore faire l’objet de discussions entre l’État et les organisations pro fessionnelles dans les prochaines semaines, insiste Marco Digioia, secrétaire général de l’Union européenne des transporteurs routiers (UETR). Elle vise avant tout à réduire les sanctions financières pour les transporteurs. » En vertu du « cumulo giuridico », les forces de l’ o rd re ne re t i e n d ront que l’amende la plus élevée en multipliant son montant par trois en cas d’infractions multiples. Le «cu-

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mulo giuridico» ne doit pas occulter le dossier de la réforme du Code de la route considéré comme une mesure phare pour réduire l’insécurité routière. Au terme de près d’un an de discussions entre les pouvoirs publics et les fédérations des tra n sporteurs routiers, les services du ministre de l’intérieur italien, Roberto Maroni et ceux du soussecrétaire d’État chargé des Transports, Bartolomeo Giachino ont rédigé une circulaire interm inistérielle en vigueur depuis le 15 août dern i e r. Pour l’essentiel, le texte liste les quatre infractions routières concernées par le nouvel article 202 du code de la route : infractions aux temps de conduite et de repos, excès de vitesse de plus de 40 km/h, dépassement non autorisé, surcharge de plus de 10 %. En vertu de ce nouvel article, le conducteur infractionniste a deux possibilités : ou bien il paie l’amende sur le champ sans majoration, ou bien il verse une caution, se réservant la possibilité de contester le procès-verbal. Dans tous les cas de figure, s’il ne règle pas immédiatement l’amende, l’agent de police verbalisateur procédera à l’immobilisation administrative du véhicule. « La réforme du code de la route est le fruit d’un travail de longue haleine », assure Marco Digioia. Par exemple, les pouvoirs

L’Officiel des Transporteurs – N° 2574 du 26 novembre 2010

publics ont prévu d’évaluer le système de paiement électronique par carte bancaire baptisé « POS ». Une soixantaine d’appareils sera déployée sur le territoire national dans les mois à venir ». FORMER LES POLICES EUROPÉENNES L’Union nationale des associations de tra n s p o rteurs routiers (Unatras) regroupe 80 % des fédérations de transporteurs dont l’homologue de la FNTR (FAICo n f t ra s p o rto) et de l’ Un o s t ra (Confartigianato Tra s p o rti). Pendant les réunions de travail consacrées à la thématique de la sécurité routière (« sicurezza stradale »), l’ o rganisation a fait des p ropositions pour améliorer l’efficacité des contrôles et des sanc-

tions. Ainsi, en matière d’infractions aux temps de conduite, la profession préconise d’introduire une modulation des sanctions. Si le conducteur dépasse son temps de 10 %, la sanction est modulée de 0 à 10 %, puis de 10 à 20 % et ainsi de suite. En parallèle, l’UETR est associée au projet européen « TRACE » (1), lequel favo rise la f o rmation harmonisée des polices européennes (voir encadré). Il s’agit de mettre en œuvre une f o rmation spécifique pour les polices européennes. « L’idée est de dispenser un contenu similaire à l’ensemble des polices de l’UE, as sure le secrétaire général de l’UETR. Les premières équipes pilote seront opérationnelles en 2012. » ● L.G. (1) Trade Unions Anticipating Change in Europe

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« TRACE » OU LA FORMATION DES POLICES EUROPÉENNES « TRACE » est un projet destiné à renforcer les capacités des syndicats européens confrontés à l’évolution économique et industrielle. Financé par le Fonds social européen, il s’appuie sur des approches innovatrices en matière de formation et sur le travail en réseau dans le but de développer les connaissances, les compétences et la vision des responsables et des représentants syndicaux en termes d’anticipation, de préparation et d’accompagnement des restructurations à grande échelle. Dirigé par l’Institut syndical européen pour la Recherche, la Formation et la Santé et Sécurité, TRACE rassemble 19 partenaires de 10 États membres de l’UE dont la France, l’Italie, l’Espagne, la Belgique et le Portugal. L’UETR est l’un des partenaires associés au projet.


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