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AU SOMMAIRE z SYMPTÔMES RÉVÉLÉS PAR UNE ÉTUDE EN 2010 UNE SOUFFRANCE PATRONALE LATENTE... . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . P. 22 ...VISIBLE CHEZ LES SALARIÉS . . .P. 23 z VALÉRIE LANGEVIN, INRS « LE TRANSPORT EST UN SECTEUR À RISQUES DE STRESS IMPORTANTS . . . . . . P. 26 z ACCOMPAGNEMENT PSYCHOLOGIQUE STEF-TFE NE RESTE PAS FROID À LA SOUFFRANCE AU TRAVAIL . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . P. 28
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z MICHEL LEDOUX, AVOCAT « NÉGOCIER POUR REPÉRER LES POINTS CHAUDS » . . . . . . . . . P. 30
STRESS AU TRAVAIL
PATRONS ET SALARIÉS À LA MÊME ENSEIGNE
RÉALISÉ PAR LOUIS GUARINO ET STÉPHANE LE HÉNAFF
Angoisse, surmenage, stress : la conjoncture économique met une forte pression dans les entreprises. Le secteur du transport routier n’échappe pas au développement des risques psychosociaux, dont les symptômes visent autant les salariés que les dirigeants. La médiatisation des formes extrêmes de souffrance au travail a conduit les pouvoirs publics à prendre des mesures pour inciter les entreprises à mesurer et à évaluer les risques. Sont-elles efficaces ? L’offre d’accompagnement proposée par les services (Cram, Aract...) est peu prise en compte. L’émergence des consultants en risques psychosociaux devrait permettre d’appréhender toute la palette des situations à risque. L’Officiel des Transporteurs – N° 2566 du 1er octobre 2010
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SYMPTÔMES RÉVÉLÉS PAR UNE ÉTUDE EN 2010
UNE SOUFFRANCE PATRONALE LATENTE... Insomnies, problèmes de santé, surmenage : les risques psychosociaux (RPS) chez les dirigeants de TPE et PME sont multiformes. Une enquête réalisée par le Conseil supérieur de l’Ordre des experts-comptables et TNS Sofres démontre que, tous secteurs confondus, les petits patrons ne sont pas épargnés par le stress.
L
e Conseil supérieur de l’Ordre des expertscomptables et TNS Sofres ont mené l’enquête auprès de 800 dirigeants de société pour comprendre leurs préoccupations. Cette étude lève le voile sur les facteurs de stress des petits patrons. Fait marquant, 72 % des sondés considèraient en avril 2010 que la situation économique et sociale a tendance à se dégrader. Résultat, 63 % des patrons de PME confessent éprouver du stress. Dans le détail, les femmes sont plus vulnérables ; 71 % se disent victimes de stress contre
60 % de leurs homologues masculins. À la question : « parmi les éléments suivants, quels sont ceux qui sont pour vous source de stress ? », les réponses apportées sont plutôt d’ordre émotionnel (voir tableau : les principales sources de stress des dirigeants de petites entreprises). Sans surprise, la première cause pour 69 % des sondés est liée à l’évolution du carnet des commandes. Vient ensuite la gestion du personnel pour 67 % des patrons. Fait marquant, l’obligation de gérer des collaborateurs pèse davantage sur leurs épaules que la charge de travail
(48 %). L’étude révèle en même temps que le responsable d’une PME passe plus de 50 heures hebdomadaires à la tâche. En outre, les soucis de trésorerie n’angoissent que 47 % des répondants. Les difficultés de trésorerie sont récurrents dans les petites structures. Si l’entreprise connait des difficultés économiques et que le dirigeant est condamné à licencier, cela crée immanquablement un traumatisme. 35 % des personnes interrogées redoutent de se séparer de collaborateurs qui donnent satisfaction. Ce facteur de stress est étroitement lié au devoir de
LES PRINCIPALES SOURCES DE STRESS DES DIRIGEANTS DE PETITES ENTREPRISES
L’Officiel des Transporteurs – N° 2566 du 1er octobre 2010
payer les salaires à la fin du mois. C’est tout le paradoxe des dirigeants qui ont des difficultés à entretenir des relations objectives avec leurs collaborateurs. DISTANCE OBJECTIVE Au-delà des facteurs émotionnels mis en exergue, l’expérience montre que les dirigeants qui doivent aussi faire office de DRH se heurtent à un véritable cassetête juridique. En effet, la crise économique a conduit ces double-casquettes à être dépassés par les tâches à accomplir. Pour preuve, 42 % des sondés déclarent avoir des angoisses dans les PME (contre 58 % dans les TPE). Un tiers des patrons de PME (34 %) ont des problèmes de santé ; ils sont 58 % dans les TPE. Enfin, un dirigeant sur deux, quelle que soit la taille de l’entreprise, souffre d’insomnies. En tendance, deux phénomènes conjugués ont des effets sur le stress : l’Internet et le téléphone portable. L’essor des nouvelles technologies de l’information fait perdre la notion du temps. Les dirigeant du TRM sont d’autant plus exposés qu’ils exercent un métier de services dans lequel la réactivité s’impose pour éviter de perdre
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AMAROK, UNE INITIATIVE POUR TRAQUER LE STRESS DANS LES PME
un contrat. « Face à la perte de marchés, à des résultats négatifs, aux banques et à la SFAC, comment faire pour ne plus perdre d’argent ?» , s’interroge un transporteur. Résultat, les salariés ressentent le stress du dirigeant. Tous ces facteurs conjugués débouchent sur une analyse évidente : le patron de PME est seul à décider surtout dans les structures de moins de 20 salariés. Le sentiment d’isolement étant ren-
UN DIRIGEANT SUR DEUX, QUELLE QUE SOIT LA TAILLE DE L’ENTREPRISE, SOUFFRE D’INSOMNIES.
« On a plus de statistiques sur la santé des baleines bleues que sur celles des patrons de PME», affirme Olivier Torrès. Fort de ce constat, ce chercheur à l’Université de Montpellier a décider de créer en janvier 2010, un observatoire baptisé «Amarok», en référence à une légende esquimau qui veut que la société doit protéger ceux qui la font vivre. Son objectif est de casser le slogan des patrons qui martèlent qu’ils n’ont pas le temps d’être malade. Son objectif est de mesurer les conditions de travail et la résistance au stress des dirigeants de PME. Paradoxalement, aucun chiffre n’existe puisque la médecine du travail ne prend en compte que les salariés. Le chercheur ambitionne de tordre le cou à l’idée selon laquelle les patrons n’ont pas le temps d’être malades. Tout se passe comme si la santé des patrons était un mystère alors que l’on parle beaucoup de la souffrance des salariés. Sans compter que la pudeur est de rigueur ; les mots «faiblesse» et «fragilité» ne peuvent être prononcés par des hommes qui ont fait le choix de diriger une PME. Depuis l’ouverture de l’observatoire, l’universitaire annonce que les premières études seront disponibles courant octobre. Le monde médical et les pontes de la médecine ont déjà très bien accueilli son initiative. Le groupe d’assurances April basé à Lyon a accepté d’être mécène d’Amarok et de financer une partie du projet pendant cinq ans. Le budget pour la première année s’élève à 130 000 € par an, soit près de 700 000 € pour 5 ans. Les transporteurs apporteront-ils des fonds ?
forcé par l’incertitude économique puisque nombreux sont les dirigeants qui n’ont pas de perspectives à plus de deux mois sur leurs carnets de commandes. En tendance, le patron est financièrement engagé dans son entreprise lorsqu’il en est le propriétaire. La plupart y ont investi leurs économies, doivent se porter caution pour obtenir un prêt. Mais le plus grand malaise relève de la responsabilité que les dirigeants
estiment avoir vis-à-vis des salariés. Chercheur à l’EM Lyon et maître de conférence à l’Université de Montpellier, Olivier Torrès n’hésite pas à comparer un licenciement en PME à un meurtre à l’arme blanche. « On doit regarder dans les yeux celui qu’on licencie », assure-t-il. Si le patron n’a pas de distance objective, cette décision est vécue comme un échec et le sentiment de culpabilité est inévitable. l L. G.
...VISIBLE CHEZ LES SALARIÉS M
al-être, angoisse, burnout, stress, harcèlement, agressivité, dépression… autant de mots pour décrire les maux liés à la souffrance des salariés au travail. Un état qui peut conduire jusqu’au passage à l’acte extrême : le suicide. Entre janvier 2008 et décembre 2009, ce sont 107 décès par suicide qui ont fait l’objet d’une demande de reconnaissance au titre des accidents du travail. La médiatisation des cas chez Renault puis chez Orange ces deux dernières
années n’ont fait qu’amplifier la visibilité d’un phénomène que les spécialistes de la psychopathologie du travail définissent sous le vocable : RPS (risques psychosociaux) qui caractérisent les impacts de l’organisation du travail sur la psychologie du salarié et des relations interindividuelles. Si les RPS sont communément associés au stress, ils n’en sont qu’une des manifestations. Le champ des RPS englobe les violences externes, les violences internes dont le harcèlement
moral, mais aussi le sentiment de mal-être au travail. Et si ces différents risques ont des causes, des manifestations et conséquences spécifiques, ils peuvent être interactifs. MUTATION Aujourd’hui, nul n’ignore les conséquences des RPS sur la santé physique et mentale des salariés. Un phénomène qui n’épargne aucun secteur comme l’ont démontré nombre d’études et d’enquêtes plus ou moins récen-
PROPORTION DE SALARIÉS DES TRANSPORTS* EXPOSÉS AU « JOB STRAIN »
26 % * Transports et communications Source : Enquête Summer 2003, Dares-Dgt
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tes (Sumer, Samotrace…). Nombre de faits divers et de drames ont rappelé que les activités de transport et de la logistique n’étaient évidemment pas épargnées : suicides de conducteurs salariés de Norbert Dentressangle, STEF-TFE (lire p. 28), assassinats de dirigeants par des conducteurs… Mais rares sont les entreprises qui acceptent de parler de ces problématiques. Pourtant, derrière cette détresse humaine, c’est bien leur organisation qui est mise à mal et remise en cause. Au lieu d’affronter, ou de reconnaître, cette réalité, le patronat préférant argumenter sur les causes extérieures. Car se préoccuper des RPS, c’est bien s’interroger implicitement sur l’organisation du travail et le management actuel. Des risques et troubles psychologiques qui ont émergé ces deux dernières décennies en parallèle de la « décons-
LA PRÉVALENCE DU MAL-ÊTRE EST DE...
24 % chez les hommes
37% chez les femmes
Étude Samotrace sur la santé mentale en travail. (Enquête réalisée par l’INVS auprès de 6 000 salariés en 2006 et 2008.
truction du monde du travail » (expression du sociologue Luc Boltanski) : la généralisation de la précarité, la flexibilité des horaires, l’intensification du travail (notamment la généralisation du flux tendu dans tous les secteurs d’ac-
tivité) et le renforcement des contrôles… Une mutation profonde du cadre professionnel qui s’est alors transformée en une source de souffrances et non plus de satisfaction ou d’épanouissement. Un seul chiffre illustre cette
LE TRAVAIL, PRINCIPALE SOURCE DE STRESS
STRESS LIÉ À
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situation : 20 % des salariés européens estiment que leur santé est affectée par des problèmes de stress au travail. En France, 4 salariés sur 10 se déclarent stressés. Et imputent majoritairement la cause au milieu professionnel. FACTEURS IDENTIFIÉS Les causes du stress au travail sont évidemment multiples et varient en fonctions des secteurs. Mais des facteurs communs ont été identifiés : l les facteurs liés à l’organisation du travail. C’est la principale cause de stress car elle génère des inquiétudes et incertitudes chez le salarié. Face à de nouveaux modes d’organisation (flux tendu, polyvalence…) qui peuvent s’accompagner de restructurations, de modifications sur le temps de travail ou la nature du poste, le salarié est dans l’incertitude. Il n’est pas acteur des changements mais les subit. l Les facteurs liés à la charge de travail. Celle-ci se caractérise par une quantité importante à réaliser sous une contrainte de temps forte (rendement, pression temporelle…) et avec une exigence qualitative élevée. 48 % des salariés déclarent ainsi travailler dans l’urgence et 60 % estiment fréquemment devoir interrompre une tâche en cours pour en commencer une autre (Sumer 2003). l Les facteurs de frustration. C’est le sentiment de voir ses attentes déçues ou pas prises en compte. Ne pas voir ses efforts récompensés, par une revalorisation de la rémunération par exemple, est une source importante de mal-être. Selon l’étude Samotrace, 13 % de salariés disent même « travailler d’une façon qui heurte leur conscience professionnelle » ! l Les facteurs relationnels. Outre l’absence ou la faible reconnaissance du travail accompli, source de conflit, les relations avec la hiérarchie et les collègues en sont une autre. Dans les activités de Transport et commerce : elle est même la plus citée, à 44 %, par les salariés stressés (Anact/CSA). On pourrait encore citer les facteurs environnementaux, socioéconomique (mise en redressement de l’entreprise, plan social…)
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LE TRIO GÉNÉRATEUR DE STRESS * ORGANISATION AU TRAVAIL
40 %
SATISFACTION DES EXIGENCES PERSONNELLES
RELATIONS AVEC VOTRE HIERARCHIE ET COLLÈGUES
31%
38 % * en % des réponses citées
Un stress qui doit devenir une préoccupation pour l’entreprise dès lors que les plaintes se multiplient. Ce n’est pas alors le symptôme de fragilités individuelles mais bien la manifestation de dysfonctionnements globaux dans l’organisation de l’entreprise.
CHSCT, les salariés… La démarche doit donc être collective pour monter un plan d’action opérationnel (lire interview de Valérie Langevin). Car c’est bien au cœur du travail que les solutions se trouvent. Outre qu’il pèse sur la santé des individus, le stress a un impact économique pour l’entreprise et la société en général. Augmentation de l’absentéisme, du turnover, dégradation du climat social, démotivation, dégradation de la productivité… la souffrance au travail est source de dysfonctionnements mesurables financièrement. Au niveau européen, le coût du stress d’origine professionnel est estimé à 20 milliards d’euros par an. De plus, le stress serait à l’origine de près de 60 % de l’ensemble des journées de travail perdues. En France, l’Inrs a évalué le coût social du stress entre 2 et 3 milliards d’euros. Ce qui équivaut à 10 à 20 % du bud-
get de la branche accidents du travail/maladies professionnelles de la Sécurité sociale. Pour les dirigeants d’entreprise, les conséquences dépassent aussi le seul cadre pécuniaire. En cas de suicides imputables aux conditions de travail ou à l’environnement professionnel, la responsabilité sociale de l’employeur est engagée au regard du
Code du travail et plusieurs chefs d’accusation sont susceptibles d’entraîner sa responsabilité pénale. Pour le chef d’entreprise, mieux vaut donc prévenir que guérir. Et se retirer ainsi une source de stress supplémentaire. Car la souffrance et le mal-être ont débordé le cadre du salariat. Patrons de TPE/PME n’en sont plus exempts. l S. Le H.
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DES COÛTS Pour l’Anact, « la clé de voûte d’une prévention efficace est l’analyse de la réalité du travail et de ses liens sur l’organisation ». Cela impose donc une analyse des conditions de travail. « Mais nombre de dirigeants de TPE/ PME ne sont pas formés à ces pratiques, constate Valérie Langevin, psychologue du travail à l’Inrs. Les RPS sont d’ailleurs rarement cités parmi les risques professionnels ». D’où la nécessité de faire appel à des ressources extérieures pluridisciplinaires, et en préalable d’engager le dialogue social avec les délégués syndicaux, le
Base ensemble : 1000 salariés actifs. Source : ANACT/CSA – mars 2009
La prévention des RPS passe par un dialogue social avec les délégués syndicaux, le CHSCT et les salariés.
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DOSSIER STRESS AU TRAVAIL
z VALÉRIE LANGEVIN, PSYCHOLOGUE DU TRAVAIL À L’INRS*
« LE TRANSPORT EST UN SECTEUR À Les récents drames et faits divers qui ont frappé le secteur des transports et de la logistique rappelent qu’aucun domaine d’activité n’est hermétique à la souffrance des salariés au travail. Travailleurs isolés, les conducteurs subissent aussi les contraintes du flux tendu et une perte d’autonomie. Des facteurs générateurs de stress et RPS et face auxquels les patrons se sentent aussi désarçonnés. Explications. L’O.T. : La souffrance au travail, est-ce un phénomène récent ou sortant de l’ombre après avoir été étouffé en entreprise ? V. L. : Médiatisés depuis 2007, les risques psychosociaux (RPS) ont été identifiés dans les années 90. Les études menées ont démontré la montée de deux phénomènes parallèles : une augmentation des plaintes constatées entre autres par les médecins du travail et une modification des modes d’organisation dans les entreprises dans le sens d’une intensification du travail, d’une augmentation de la charge de travail. Un lien entre les deux a donc été établi.
Pourquoi n’en parler qu’aujourd’hui ? V. L. : Parce que pendant des années, il y avait sans doute du déni en entreprise, notamment vis-à-vis des suicides. Les représentants du personnel exprimaient aussi des difficultés à aborder ces problématiques en apparence individuelles. Au sein de l’entreprise, on considérait que ces cas relevaient de fragilités personnelles sans lien avec l’activité professionnelle. Et qu’ils pesaient peu au regard d’autres risques professionnels aux conséquences plus visibles. Un changement d’attitude s’opère aujourd’hui.
Quelle est la différence entre troubles et RPS ? V. L. : Quand on parle de RPS, il s’agit de cibler les facteurs de risques dans les situations de travail. Si l’on se situe au niveau des troubles, on s’attache alors à décrire les conséquences des RPS sur la santé des personnes. En termes de RPS, les facteurs de risques sont : le stress, la violence interne et notamment le harcèlement moral, mais également les situations de violence externes. Cette dernière peut notamment concerner le monde du transport routier car la relation commerciale porte sur la livraison du client en dehors de l’enceinte de l’entreprise de transport. D’où le risque d’un conflit entre le conducteur et le destinataire. Quels sont les facteurs générateurs de RPS que l’on peut notamment relever dans le transport ? V. L. : Ils peuvent être générés par l’organisation du travail. Je citerai trois cas de figure générateurs de stress et/ou de mal-être. Premièrement : les déséquilibres provoqués entre les contraintes
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« EN TERMES DE RPS, LES FACTEURS DE RISQUES SONT LA VIOLENCE INTERNE ET NOTAMMENT LE HARCÈLEMENT MORAL ET LES SITUATIONS DE VIOLENCES EXTERNES. » en termes de productivité et les moyens mis à disposition du salarié pour y faire face ou les atteindre. Prenons l’exemple d’un chauffeur routier qui doit livrer un certain nombre de clients
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dans un temps limité. Déjà confronté à des contraintes internes et externes, comme le respect des horaires et les problèmes de congestion routière, le fait de lui rajouter des livraisons au cours de sa journée générera du stress. Car comment peut-il satisfaire ces nouvelles exigences dans un temps de fait réduit ? Deuxièmement : le déséquilibre entre les exigences de productivité et les marges de manœuvre des salariés. Dans notre exemple, c’est la latitude laissée à l’organisation de la tournée. Le chauffeur a-t-il encore des marges de manœuvre pour l’organiser ou y apporter des améliorations provenant de son expérience ? Estil écouté ? Peut-il faire valoir son point de vue qui lui donnerait des marges de manœuvre dans son organisation de travail ? Enfin, le déséquilibre entre les efforts des salariés pour satisfaire aux exigences de travail et les récompenses reçues en retour, qu’elles soient d’ordre monétaire mais également symbolique. L’absence de reconnaissance de la part de la hiérarchie mais aussi d’une certaine entraide des salariés générera de la frustration, du mal-être… Le caractère itinérant des chauffeurs doit-il être pris en compte ? V. L. : Cela relève de la problématique des travailleurs isolés qui n’ont pas la possibilité de discuter avec les personnes de l’entreprise régulièrement. D’autant qu’ils ont parfois le sentiment d’être sous surveillance avec la nouvelle technologie. Le durcissement de la réglementation amplifie également le système de contraintes sur le salarié.
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RISQUES DE STRESS IMPORTANT» Le flux tendu est souvent cité comme un type d’organisation générateur de stress. C’est le quotidien du transport. Un secteur à risques donc ? V. L. : La généralisation du flux tendu se caractérise notamment par une diminution des marges de manœuvre des salariés. D’où cette impossibilité d’un minimum de contrôle sur son travail qui est source de difficultés et génère de la souffrance. Pour le transport, le problème vient aussi du fait que le dirigeant a luimême peu de marges de manœuvre. Ce modèle lui étant imposé par ces clients, il n’a pas toutes les cartes en main. Mais s’il ne peut pas agir directement sur cette organisation, il doit rechercher à en limiter les conséquences négatives sur ses salariés. L’enquête SUMER du Ministère chargé du travail fait apparaître le secteur des Transports et communications comme un des secteurs d’activité à risque de stress important (exposition des salariés à de fortes contraintes avec de faibles marges de manœuvre). Quels sont les signes et comportements qui doivent alerter le management ? V. L. : Il y a des indicateurs comme l’absentéisme récurrent pour maladie, le turn-over, l’aug-
mentation des accidents de travail, des litiges, des retards en livraisons… et des comportements – crises de colères, disputes répétées… – qui sont autant de clignotants qui doivent alerter le chef d’entreprise. Quelles sont alors les mesures à engager ? V. L. : Déjà, inciter le collaborateur à consulter un médecin : le médecin du travail ou son médecin traitant. C’est la réponse de première urgence pour tout dirigeant. Ensuite, le management doit s’interroger sur les raisons de ce mal-être et son interaction avec l’organisation du travail. Puis réfléchir avec les salariés, ou les instances représentatives du personnel, comme le CHSCT, aux moyens et actions de prévention à mettre en œuvre. Toutes ces mesures doivent s’inscrire dans la durée. Avec quels professionnels mener ces plans d’actions en interne ? V. L. : Pour la prise en charge des salariés en souffrance le médecin du travail est le principal acteur concerné. Pour les actions de prévention, l’entreprise peut se faire aider et accompagner par la CRAM, le service de santé au travail, ou encore l’ARACT. Si la direction veut poser un diagnostic sur
les situations de souffrance au travail et identifier les causes qui mettent en difficulté un ou des salariés, elle peut faire appel à des consultants spécialisés, tels les psychologues du travail, les ergonomes… Des professionnels qui ont de réelles compétences en analyse de l’organisation du travail.
« POUR LA PRISE EN CHARGE DES SALARIÉS, LE MÉDECIN DU TRAVAIL EST LE PRINCIPAL ACTEUR CONCERNÉ. »
Mais si ce stress est généré par des facteurs extérieurs, personnels, quel doit être le champ d’intervention de l’entreprise ? V. L. : Force est de reconnaître qu’il y a souvent interaction entre les deux cadres, privés et professionnels. Toutefois la mission de l’employeur, des représentants du personnel et des acteurs de prévention de manière générale, c’est de prendre en compte ce qui relève du travail dans les difficultés du salarié. La souffrance peut effectivement relever de problèmes personnels ; mais dans certains cas, dans quelle mesure le travail ne contribue-t-il pas à ces problèmes,
voire à les amplifier ou tout simplement à en être la cause ? Il revient à l’employeur de par la loi d’agir pour préserver la santé physique et mentale des salariés. Au-delà des théories sur le suicide en entreprise, comment expliquer qu’un tel acte n’est pas toujours suivi d’un plan d’actions dans l’entreprise ? V. L. : Plusieurs réponses sont possibles. Le suicide reste un sujet tabou ; dans la société en général, plus encore dans le monde de l’entreprise. Ensuite, le fait de se remettre immédiatement au travail, de n’engager aucune action, de ne pas en parler… sont autant de postures qui relèvent aussi d’une stratégie de défense collective. Pour le psychiatre et psychanalyste Christophe Dejours, ces comportements sont aussi symptomatiques du délitement du lien social en entreprise. Quant à nous, nous soulignons l’importance d’une communication interne forte quand tel drame touche un salarié. Il ne faut surtout pas banaliser l’acte ni le renvoyer d’emblée à des problèmes exclusivement personnels. Sinon l’entreprise renvoie aux salariés l’image qu’elle fait fi de leur souffrance potentielle. l Propos recueillis par S. Le H. * Institut national de recherche et de sécurité
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z ACCOMPAGNEMENT PSYCHOLOGIQUE
STEF-TFE NE RESTE PAS FROID À LA SOUFFRANCE AU TRAVAIL Dès que l’entreprise est confrontée à un drame humain, les salariés de STEF-TFE peuvent bénéficier, sur la base du volontariat, d’un suivi psychologique. La prise en compte du mal-être, de l’inadaptation au travail est une priorité pour un groupe qui a mis en place une cellule “handicap”. mun : l’un comme l’autre était confronté à un problème familial difficile », relève le DRH. Mais quand bien même ces drames se déroulent dans le cadre privé, le groupe déploie une réponse collective auprès de ses collaborateurs. Une démarche engagée bien avant la médiatisation des risques psychosociaux en entreprises (RPS). Quelle est-elle ?
Gérard Groffe, DRH de STEF-TFE : « Là où la politique sociale est moins développée, les risques peuvent être plus importants. »
VOLONTARIAT « Nous avons mis en œuvre une collaboration avec un organisme spécialisé, l’Icas*, qui rassemble des psychologues.Chaque fois que
Ü HERVÉ LANOUZIÈRE, conseiller technique risques psychosociaux (RPS) à la sous-direction des conditions de travail (Direction générale du travail)
« L’État est en passe de réglementer la profession de consultant en RPS » Le rapport Nasse-Légeron* a été remis au ministre du travail en mars 2008. Depuis lors, comment s’organise la politique des pouvoirs publics en matière de RPS ? HERVÉ LANOUZIÈRE : L’État a pris acte qu’il existait deux grandes écoles de pensée sur les risques psychosociaux (RPS). La première consiste à dire que le stress est lié au changement des organisations, ce qui revient à dire qu’il faut agir sur les personnes et les aider à s’adapter au stress. L’autre thèse préconise de commencer en premier lieu par les organisations. Les pouvoirs publics considèrent que l’on retrouve les deux approches dans les entreprises confrontées à un environnement à risque. Il faut agir sur les facteurs organisationnels ce qui
© Abaca
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groupe, la réponse est sans ambiguïté : « ces drames n’ont aucun rapport avec leur travail. Ce sont leurs problèmes personnels qui ont pris le dessus ». S’il est aussi affirmatif, ce n’est pas pour défausser l’entreprise de ses responsabilités mais bien parce qu’il s’est, comme les délégués syndicaux, posé ces questions. Et que leurs conclusions ont été communes : « ces deux collaborateurs étaient des hommes remarquables, très appréciés de leur hiérarchie, ne rencontrant ni problèmes professionnels ni absentéisme. En revanche, ils partageaient un point com-
D.R.
D
epuis le début de l’année, STEF-TFE a été confronté à deux suicides de collaborateurs. L’un, salarié en entrepôt, âgé de 25 ans était père d’un d’enfant. L’autre, conducteur routier, 45 ans, était le chef d’une famille de 4 enfants. Deux passages à l’acte effectués le week-end en dehors de l’entreprise. Pourtant, se posent inévitablement ces questions : ces drames sont-ils en lien avec leur activité professionnelle? Cette dernière a-t-elle été le facteur déclenchant ou aggravant ? Pour Gérard Groffe, DRH du
1300 entreprises tous secteurs confondus. La démarche a permis de signer 200 accords et 230 plans d’actions en matière de RPS. Au fond, l’État a souhaité lancer le dialogue social parce que la santé au travail n’est pas un domaine qui fait l’objet de négociation. L’État redonne l’impulsion, libre aux partenaires sociaux de négocier.
n’empêche pas d’accompagner les personnes en détresse (nu- Le tissu des TPE/PME du transport routier est particulièméro vert). rement dense en région. L’État Qu’en est-il de la sensibili- a-t-il les moyens d’organiser sation et de l’action concrète une offre d’accompagnement digne de ce nom ? des entreprises ? H. L. : Une cellule RPS a été créée H. L. : L’offre de service régional par l’ancien ministre du travail est insuffisante. L’Etat essaie de Xavier Darcos afin d’assurer un la rendre visible et de la strucsuivi dans les entreprises de turer. Au plan local, il faut que plus de 1000 salariés. Ce pre- les services s’articulent entre mier travail a permis de cibler eux (Cram, Aract, organisations
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professionnelles…). Par exemple, l’État essaie d’animer un réseau de consultants privés en RPS. Une nouvelle profession émerge mais ces consultants doivent respecter une charte de déontologie et une méthodologie précise car on ne peut échapper à des dérives sectaires de la part de certains intervenants. Nous avons réunis une première fois les consultants en juin, nous programmerons une nouvelle rencontre en novembre. L’État est en passe de réglementer la profession de consultant en RPS. La charte sera disponible courant 2011. Propos recueillis par L. G. * Rapport sur la détermination, la mesure et le suivi des risques psychosociaux au travail-12 mars 2008 http://www.travail-solidarite.gouv.fr /IMG/pdf/RAPPORT FINAL 12 mars 2008.pdf
STRESS AU TRAVAIL DOSSIER
l’entreprise est confrontée à une situation dramatique, nous proposons l’intervention de l’Icas auprès de nos collaborateurs », détaille le DRH. Concrètement l’entourage professionnel de la victime, collègues et hiérarchie, peut bénéficier d’un accompagnement psychologique. Une cellule ad hoc est créée et se met à l’écoute des salariés qui en font la demande. La démarche relève de la libre volonté du salarié, et non d’une obligation de l’employeur. Un dispositif qui a donc été déployé sur les sites où travaillaient les deux collaborateurs qui ont mis fin à leurs jours. Mais la démarche ne se limite pas aux cas de suicide. L’Icas intervient aussi lors d’un accident professionnel grave ou médical. Ce fut le cas cette année en Ille-etVilaine après le décès d’un collaborateur terrassé par une crise cardiaque sur son lieu de travail. Avec 17 000 collaborateurs, STEF-TFE n’est statistiquement pas à l’abri de tels drames. Raison supplémentaire pour mettre en œuvre une politique sociale concourant à prévenir et limiter les problématiques de stress et RPS chez les salariés. « Je ne pense pas qu’il existe une échelle des RPS en fonction des branches d’activité. En revanche, sur un même secteur professionnel, on constate de réelles différences. Dans le domaine du transport et de la logistique, j’estime que les entreprises, selon leur histoire, leur style de management, leur activité, sont plus ou moins exposées. Tous ces critères définissent l’organisation du travail qui va générer les RPS. Et là où la politique sociale est moins développée,les risques peuvent être plus importants, souligne Gérard Groffe. STEF-TFE est une entreprise qui se préoccupe de l’humain. À ce titre, elle peut être moins exposée que les autres ». Mesures de l’absentéisme, du turn-over, des accidents, en complément des tableaux de bord sociaux traditionnels, autant d’indicateurs suivis par les cellules RH du groupe. Des taux regardés à la loupe lors des pics saisonniers. Car toute augmentation significative pourrait signifier qu’un problème en termes de production ou d’organisation de travail est perçu par les sala-
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DÉSAMORCER LES TENSIONS VIA UN TIERS En 2007, sur l’un des sites régionaux d’une entreprise de messagerie passée sous le giron d’un grand groupe international quelques années auparavant, les nouvelles organisations et nouveaux rythmes de travail imposés par celuici deviennent une source de tensions sociales. Stress, anxiété, mal-être, pression… les tracts syndicaux dénoncent une dégradation des conditions de travail dans le cadre des changements orchestrés depuis plusieurs mois. Et toujours en cours, voire en accélération. Au total, 180 salariés travaillent sur le site. Face à la tournure que prennent les événements, la direction décide donc de solliciter l’ARACT (Association régionale pour l’amélioration des conditions de travail) pour réaliser une diagnostic de la situation et concevoir un plan d’action pour remédier à la situation actuelle tout en accompagnant les salariés aux changements en cours. Une mission que va mener Patrick Chaillot : « la première étape a été de comprendre parfaitement la demande de l’entreprise. Une analyse menée avec la direction mais également l’inspecteur du travail, le médecin du travail, les représentants du personnel et le CHSCT ». Une étape essentielle pour recueillir les différentes représentations et perceptions des collaborateurs à ces changements. « Les moyens employés pour définir le stress n’étaient ainsi pas les mêmes entre direction et salarié ». À partir de cette analyse, Patrick Chaillot va ensuite proposer la création d’un groupe de travail dont la mission sera de
riés. Et la règle chez Stef-TFE est de prévenir plutôt que de guérir. C’est aussi pour y satisfaire qu’une cellule “handicap”, dont l’accord triennal a été renouvelé en 2009 avec toutes les organisations syndicales, a été montée en interne. Sa vocation : travailler à l’adaptation des postes pour des collaborateurs confrontés à des traumatismes psychologiques ou physiques. Une mission confiée à deux ergonomes salariés du groupe. « Notre volonté est d’être en capacité de recréer un poste de travail à un salarié déclaré inapte à son poste précédent. Et donc de lui éviter tout sentiment de malêtre,d’anxiété lié à cet handicap », explique Gérard Groffe. QUESTIONS DE STRESS Et la montée du stress dans l’entreprise, comment est-elle perçue chez STEF-TFE ? Celui lié à l’intensification du flux tendu, tout d’abord. « Ce mode d’organisation a toujours existé en température contrôlée. Ce n’est pas nouveau. C’est sûrement différent pour les
« repérer les situations à risques, de trouver les moyens de les réguler et de proposer des recommandations pour la conduite de projets qui seront validées en CHSCT ». Une démarche indispensable pour comprendre, à partir des situations réelles de travail, ce qui dans l’organisation peut favoriser le développement de stress, la dégradation des relations sociales et produire des effets négatifs sur la performance de l’entreprise. Il s’agissait de hiérarchiser les urgences et les priorités pour ensuite élaborer un plan d’action accepté par toutes les parties, et notamment la direction. « Dans le cas présent, on s’est rendu compte que la direction ne donnait pas spécialement d’informations aux salariés sur les évolutions en cours et à venir. Face à ce manque, ceux-ci s’interrogeaient sur leur avenir et leurs conditions de travail. Conscients que des changements avaient cours, ils les vivaient, mais sans en maîtriser les tenants et aboutissant. D’où des situations de stress et de tensions sociales », explique Patrick Chaillot. De ces travaux sortira un plan d’action que l’entreprise va mettre en œuvre pour accompagner les changements d’organisation de travail. Un modèle de management qui sera utilisé ensuite sur différents sites du groupe. Pour Patrick Chaillot, « même si ce type d’approche peut être perçu au départ comme une mise en accusation de certains comportements », le recours à un appui externe indépendant permet de mieux prendre en compte les risques psychosociaux dans l’entreprise.
salariés opérant en transport industriel ou de produits secs qui y sont désormais confrontés ». Celui qui frappe les exploitants ? « C’est un métier difficile. On les forme pour que justement cette fonction ne soit plus un métier ad vitam aeternam.Là encore,le stress peut être variable selon l’activité de l’entreprise.Plus important quand on travaille à la demande qu’en tournées organisées ». Et le stress du travail de nuit ? « Ce sont les changements de rythmes de travail, comme les 3 x 8, qui génèrent des pertes de sommeil,d’appétit,sources de stress. Quand vous travaillez tout le temps de nuit, comme c’est le cas sur les sites du groupe, vous n’êtes pas confrontés à ces changements. On constate d’ailleurs que l’ambiance de travail de nuit est souvent plus détendue », analyse Gérard Groffe. Idem pour les chauffeurs qui empruntent des axes congestionnés de jour mais peu utilisés de nuit. Mais pour ne pas rompre le lien entre les cadres de jour et les salariés de nuit, des agents de liaison ont été
nommés pour assurer le trait d’union entre les deux. Charge à eux de remonter les demandes des uns et d’apporter les réponses des autres. « Il ne faut surtout pas que les travailleurs de nuit se sentent oubliés.Ce serait dommageable pour leur motivation », insiste le DRH. Toutes ces actions, ces initiatives chez STEF-TFE découlent de concertations menées avec les représentations syndicales et/ou le CHSCT. « Même si, sur les RPS, il n’est pas toujours facile avec certains représentants du personnel de délimiter le champ d’intervention de l’entreprise.Car il faut faire la part entre ce qui relève du cadre professionnel et ce qui relève du cadre privé, juge Gérard Groffe. Quoi qu’il en soit, cela nous impose d’apporter beaucoup de soin à la politique sociale de l’entreprise pour favoriser l’épanouissement et le mieux-être des individus qui la composent ». l Propos recueillis par S. Le H. *Indépendant Counseling and advisory services.
L’Officiel des Transporteurs – N° 2566 du 1er octobre 2010
DOSSIER STRESS AU TRAVAIL
z MICHEL LEDOUX, AVOCAT ASSOCIÉ CHEZ LEDOUX & ASSOCIÉS, CABINET SPÉCIALISÉ EN SANTÉ ET SÉCURITÉ AU TRAVAIL
« NÉGOCIER POUR REPÉRER LES POINTS CHAUDS » L’Officiel des Transporteurs : Quelle est votre lecture des risques psychosociaux (RPS) ? MICHEL LEDOUX : La prise en compte des RPS est générale et s’effectue dans tous les secteurs d’activité. On sait par exemple que le harcèlement a été médiatisé grâce au livre de la psychiatre Marie-France Hirigoyen*. Dans le transport, on retrouve des invariants. Le chauffeur routier passe la journée seul ; il est d’autant plus isolé que la communication virtuelle (portable, messagerie) tend à faire disparaître le contact humain. La problématique n’est pas propre au TRM mais on note une judiciarisation croissante des RPS. En cas d’accidents ou d’incidents, cela se termine souvent devant un tribunal civil voire devant un tribunal correctionnel pour les cas de harcèlement. Nous assistons à une recrudescence de prise en charge de dépressions et de pathologies psychologiques en accidents du travail voire en maladies professionnelles. Il y a encore quelques années, au-delà du déni des employeurs, on avait un déni chez les juges. Les cas de dépression nécessitaient une expertise médicale. Depuis 2008, il suffit de demander l’expertise pour l’obtenir. Les tribunaux et les organismes de sécurité sociale reconnaissent le caractère professionnel des dépressions. À terme, cela risque d’augmenter les cotisations sociales des employeurs. Au plan civil, quelle est la tendance pour la dépression et le suicide ? M. L. : Depuis 2009, les victimes intentent des procédures de faute inexcusable de l’employeur lorsque la dépression et le suicide
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sont reconnus comme étant professionnels. Les victimes et les ayants droits considèrent que la dépression est inhérente à une négligence de l’employeur (anomalie, manque de management etc...). Depuis 2002, il est plus facile de faire reconnaître la faute inexcusable en raison de l’obligation de sécurisation et de résultat prévue dans le document unique. De surcroît, la société a pris conscience que les lésions psychologiques n’étaient pas normales sur le lieu de travail. Au passage, l’arrêt du Conseil constitutionnel du 18 juin 2010 est riche d’enseignements. Il stipule que dans le cas de la faute inexcusable de l’employeur, les victimes peuvent demander la réparation du préjudice prévu par le code de la sécurité sociale mais également parfois le préjudice économique. À court terme, les employeurs pourront être condamnés à indemniser les conséquences économiques les plus graves liées aux RPS. Qu’en est-il au plan pénal ? M. L. : Les plaintes et les poursui-
tes pour harcèlement moral sont en nette progression. Depuis 2008, la jurisprudence de la Cour de cassation rend la définition du
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harcèlement de plus en plus élastique. Cette lecture juridique s’applique aux individus qui adoptent des comportements pervers c’est-à-dire qui ont pour objet ou effet de porter atteinte à autrui. De surcroît, les derniers arrêts rendus montrent que le harcèlement peut aussi exister sur une courte période. Un arrêt rendu avant l’été 2010 reconnaît un comportement harcelant sur une durée de quinze jours. Mais tout dépend de l’intensité du harcèlement. L’organisation des entreprises de transport peut-elle conduire à des comportement harcelants ? M. L. : Les transporteurs ont tout intérêt à faire attention à l’arrêt relatif au harcèlement institutionnel qui doit être rendu dans les prochaines semaines. La Cour de cassation estime que l’organisation dans son ensemble (rythmes et horaires de travail, modalités de rémunération, management intermédiaire) peut être assimilée à un environnement harcelant. L’entreprise, personne morale, est passible du tribunal correctionnel. Au pénal, les plaintes pour homicides et blessures involontaires et mise en danger d’autrui sont prévues. Pour un dirigeant, le délit de mise en danger d’autrui est passible d’un an de prison et 15000 € d’amende. Que pensez-vous de cette judiciarisation à outrance ? M. L. : La présomption de harcèlement pèse sur les dossiers que nous traitons. Le régime de la preuve juridique en matière de harcèlement est le même que le régime en matière de discrimination. D’un côté, le salarié doit
établir des faits, une surcharge de travail par exemple. De l’autre, il appartient à l’employeur de démontrer que les faits qu’on lui reproche sont justifiés par les nouvelles contraintes de l’organisation. A terme, je crains que l’on mélange tout et que l’on assiste à une banalisation du harcèlement moral. Comment aider les entreprises à éviter les poursuites judiciaires ? M. L. : Les pouvoirs publics incitent les entreprises à négocier pour repérer les points chauds (manager « toxique », manque de personnel…) afin de mettre en place des mesures correctives. Le but de la négociation, c’est d’intégrer les RPS dans le document unique, véritable socle en matière de sécurité et de santé au travail. La démarche consiste à repérer les maux avant d’installer des mesures correctives. Dans les grands groupes, c’est le rôle du comité de pilotage (CHSCT, médecin du travail, infirmière, DRH). l Propos recueillis par L. GUARINO *Le harcèlement moral dans la vie professionnelle, démêler le vrai du faux (Pocket)
POUR ALLER PLUS LOIN n « Stress
au travail », C. Berghmans, éd. Dunod.
n « Le
travail à cœur. Pour en finir avec les risques psychosociaux», Y. Clot, éd. La Découverte.
n « Mieux
vivre en entreprise», collectif, éd. Dunod.
n « La
souffrance au travail. Comment agir sur les risques psychologiques», N. Combalbert, éd. Armand Colin.