11 janvier 1918
le cargo "Barsac" sombre devant Le Havre avec son chargement de nickel
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11 janvier 1918
le cargo "Barsac" sombre devant Le Havre avec son chargement de nickel
Texte de Christian Lebailly D’après les archives de Worms & Cie © www.wormsetcie.com - mars 2018 ISBN 978-2-9199525-3-3
Steamer “Barsac”(1902-1918) par Édouard Adam – 1902
« Une “affaire” pas ordinaire »
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L’“or vert” de Nouvelle-Calédonie
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SLN – Le Nickel
« Il est regrettable que les autorités obligent [les navires] à dégager dans un port comme Brest alors que les moyens d’évacuation sont insuffisants » Nickel et obus Par fer ou par mer ? « Il nous semble bien difficile que vous ayez pu proposer
un de nos vapeurs » Encore que…
Le "Barsac", un steamer adapté aux colis de grandes dimensions Accords et conventions entre le ministère de la Marine et Worms & Cie Un « épilogue lamentable » « Le Nickel doit penser qu’il a de piètres agents à Brest » Chronique d’un naufrage Coulé en 3 minutes Vingt morts ! Le "Barsac", un bateau-piège ? Les Allemands ne se laissent plus mystifier « "Château-Lafite" a été également coulé » « Le mieux est d’attendre […] le remboursement de la valeur
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de notre navire par le Commissariat aux transports maritimes et à la Marine marchande » Quelle convention appliquée : celle du 30 janvier 1917 qui évalue le "Barsac" à 1 800 000 F ou celle du 7 janvier 1918 qui l’apprécie à 4 223 795 F ?
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Déminage
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Inscrits maritimes posant devant le cargo “Barsac” – Le Havre, 3 juillet 1912
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« Une “affaire” pas ordinaire » Albert Chatelle, La Base navale du Havre et la guerre sous-marine secrète en Manche, 1914-1918
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Le 9 janvier 1918, après bientôt trois mois de tergiversations entre les ministères de la Marine, des Travaux publics et de la Guerre, le cargo "Barsac", de la compagnie Worms, embarque par transbordement les quatre cinquièmes des 2 880 tonnes (soit 2 300 tonnes environ) de « terre de nickel1 », transportées de Nouvelle-Calédonie à Brest par "Amiral Halgan". Ce trois-mâts, propriété des Chargeurs de l’Ouest, a été affrété par la société Le Nickel, qui a choisi la succursale de la Maison Worms à Brest comme consignataire. Ayant mis le cap sur Le Havre où il doit verser son chargement, le "Barsac" est torpillé et coulé le 11 janvier 1918, à 18 h 35, à 14 milles de la bouée à sifflet marquant l’arrivée au port2. Vingt des quarante-trois marins composant les équipages civil et militaire périssent.
Par manque de communication entre la succursale Worms de Brest et Le Nickel, le chargement n’a, semble-t-il, pas été assuré. Le dédommagement pour faits de guerre donne lieu à un litige entre la Maison et l’administration compte tenu des différentes conventions signées entre elles le 30 janvier 1917, les 18 et 19 décembre 1917 et le 7 janvier 1918. Ce naufrage a récemment été remis sous les feux de l’actualité. Le 3 octobre 2014, « les plongeurs démineurs du GPD3 Manche, signale le journal ParisNormandie, ont finalisé un travail important débuté il y a près d’un an et demi. Il s’agissait de neutraliser plusieurs centaines d’obus découverts par des plongeurs amateurs dans l’épave du "Barsac" en baie de Seine. » Outre le récit du torpillage du steamer et de l’agonie des marins que livre Albert Chatelle dans le chapitre traitant des bateaux-pièges de son ouvrage La Base navale du Havre et la guerre sous-marine secrète en Manche, 1914-19184, le site pages14-18.mesdiscussions.net consacre une rubrique très documentée à cette tragédie, sur laquelle les archives conservées par la Maison Worms projettent un éclairage singulier ou complémentaire.
1 Expression utilisée dans un courrier envoyé par Worms & Cie Paris à la succursale du Havre le 12 décembre 1917. Cet historique a été établi d’après les informations recueillies dans 17 volumes de copies de lettres envoyées par Worms & Cie Paris, entre le 12 octobre 1917 et le 18 mars 1918, aux succursales de Brest, Le Havre, Bordeaux, Cardiff et Dunkerque, ainsi qu’à la société Le Nickel et au sous-secrétariat d’État des Transports maritimes et de la Marine marchande. Les documents Worms cités dans le texte sont signalés dans les notes de bas de page par l’utilisation de la couleur verte et un trait de soulignement (le plus souvent sous la date). Ils sont consultables sur le site www.wormsetcie.com – onglet “Archives” – en se reportant au recueil annuel d’informations et/ou au fichier distinct correspondant à leur date d’émission. 2 Le naufrage est également localisé à 18 milles dans le nord-ouest du cap de La Hève et, selon Paris-Normandie, « à une douzaine de milles nautiques à l’ouest du Havre ».
3 Groupe de plongeurs démineurs de la Manche. 4 Albert Chatelle, La Base navale du Havre et la guerre sous-‐
marine secrète en Manche, 1914-‐1918, Éditions Médicis, 1949, pages 240-‐243. Le passage de ce livre consacré au naufrage du "Barsac" est accessible sur le site www.wormsetcie.com – onglet “Archives” – année : 1949.
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L’“or vert” de Nouvelle-Calédonie En 1912, 85 % de la production proviennent des mines du Canada et le reste de Nouvelle-Calédonie. Deux groupes se partagent l’exploitation sur ce dernier territoire : Le Nickel et Ballande. SLN – Le Nickel La société Le Nickel ou SLN, est née le 18 mai 1880 par le regroupement de deux entreprises formées en 1877 et dédiées à l’exploitation et à la transformation du nickel néocalédonien : l’une, aux mains de John Higginson, a établi à Nouméa (Pointe-Chaleix) une usine de fusion des minerais de nickel, et l’autre, créée par Henry Marbeau sous le nom de Société française anonyme pour le traitement des minerais de nickel, cobalt, cuivre et autres, a ouvert à Septèmes-lesVallons, dans les Bouches-du-Rhône, en France, une fonderie fonctionnant d’après le procédé d’affinage des fontes mis au point par Jules Garnier. L’association entre ces partenaires a donné naissance à une usine, située à Thio, qui produit de la matte6 à 50 % de nickel. SLN a été rachetée en 1883 par la famille Rothschild. Elle exploite deux fonderies : l’une basée à Ouroué de 1889 à 1891, et l’autre à Thio-Mission de 1912 à 1930. La Première Guerre mondiale assène un coup d’arrêt à l’exportation. Le 5 octobre 1914, l’État français gèle l’approvisionnement des puissances ennemies en nickel. Dans un article intitulé « Revue scientifique – les métaux de guerre », et paru en 1915 dans la Revue des deux mondes, Charles Nordmann souligne : « Le nickel est un constituant indispensable de l’acier des canons et des plaques de blindage et de certains projectiles7. Dans tous ces emplois son action est spécifique et ne pourrait sans doute être remplacée par celle d’aucun autre corps. » La prohibition de ce minerai hautement stratégique vise particulièrement les sidérurgistes allemands, dont le complexe militaro-industriel, Krupp, principal client des mines néocalédoniennes.
Bloc de garniérite
Le nickel néocalédonien est découvert en 1864 par un ingénieur des Mines français, Jules Garnier, alors en mission d’exploration pour le ministère de la Marine et des Colonies. Le 24 septembre, « en remontant le cours de la rivière Dumbéa, [ce chercheur] ramasse “un caillou d’une matière verte ressemblant à du lichen durci et collé à la surface. Nickel ?” écrit-il sur son carnet5 ». Les analyses révèlent que cette roche en contient en effet une forte concentration mêlée à du magnésium. Le minerai est baptisé “garniérite” en l’honneur de son découvreur. Rarement utilisé pur, mais recyclable à l’infini, ce métal dure et résistant concourt à l’élaboration de l’acier inoxydable. Il entre dans la composition d’autres superalliages avec le fer, le chrome ou le cobalt. Il sert notamment à la fabrication de monnaies dans de nombreux pays.
6 La matte est la substance qui résulte de la première fusion du minerai traité, mais non encore suffisamment épuré. 7 Dans la notice que le Grieme consacre au "Barsac" dans le tome 4 de La saga des épaves de la côte d’Albâtre est indiqué que « le canon des fusils Lebel était chemisé au nickel permettant ainsi l’utilisation des nouvelles poudres sans fumée, évitant au tireur de se faire repérer sur un champ de bataille ».
5 Anne Pitoiset, Le Nickel en Nouvelle-Calédonie, Maison de la Nouvelle-Calédonie, 2008, www.mncparis.fr/uploads/Nickel_MNC.pdf
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L’usine de Doniambo du goupe Ballande avec lequel SLN fusionnera en 1931.
L’impact de cette mesure est amplifié par la paralysie relative que provoquent sur le trafic maritime – composé majoritairement de voiliers de 3 000 à 4 000 tonnes – les risques de destruction par la marine allemande. Après avoir été atténuée en décembre 1915, l’interdiction sera levée le 14 janvier 1918 en faveur des pays alliés, et les exportations reprendront vers les ÉtatsUnis et le Japon8.
De 172 000 tonnes avant la Grande Guerre, la production de nickel chute à 80 400 tonnes à l’issue du conflit.
8 Voir « La Société “Le Nickel”, de sa fondation à la fin de la
deuxième guerre mondiale – 1880-1945 » par Colin Newbury, article paru dans le Journal de la société des océanistes, 1955.
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« Il est regrettable que les autorités obligent [les navires] à dégager dans un port comme Brest alors que les moyens d’évacuation sont insuffisants » Worms & Cie Paris, 12 novembre 1917 Havre par cette entreprise, usine que la Maison ravitaille régulièrement durant la guerre11 dans le cadre d’une licence d’importation établie au nom du Groupement des industriels de l’armement n°412. C’est d’ailleurs à cette même fonderie qu’"Amiral Halgan" aurait dû livrer directement le minerai si les « autorités supérieures13 » n’en avaient décidé autrement. Craignant que le navire soit pris pour cible par les sousmarins allemands infestant la Manche, la Marine l’a dérouté. « Il n’est pas possible, disait-on, d’autoriser un voilier apportant un chargement important, arrivé à bon port, à courir les risques d’une nouvelle traversée
Nickel et obus Le 19 octobre 1917, la Maison Worms accuse réception du courrier que Le Nickel lui a adressé la veille9 et le remercie « bien vivement d’avoir pensé à la succursale de Brest10 pour la consignation et la réexpédition des marchandises embarquées par "Amiral Halgan" ». Parti cinq mois plus tôt de Nouvelle-Calédonie, le trois-mâts est arrivé le 17 octobre dans le port breton où, pourvu d’une escorte, il a été remorqué depuis les Açores par le "Regulus". Les relations entre les deux sociétés sont anciennes. Le nom du Nickel apparaît pour la première fois dans la correspondance Worms en juillet 1888, à l’occasion d’une offre de service visant à approvisionner en charbon la nouvelle usine de fusion et d’affinage créée au
11 Voir notamment un courrier du 24 octobre 1917 par lequel
Worms & Cie Paris presse la succursale de Newcastle de trouver un bateau pour livrer 800 tonnes de coke de fonderie au Nickel ; faute de quoi elle l’invite à mettre des lots de 150 tonnes dans la cale arrière du cargo "Are" « qui va naviguer d’une façon régulière entre Sunderland et Le Havre ». 12 Le 12 juillet 1917, Louis Loucheur (1872-1931), sous-secrétaire d’État de l’Armement chargé des Fabrications de guerre dans le gouvernement Ribot (20 mars-7 septembre 1917), stipule, dans les Instructions générales sur la distribution et la répartition du charbon : « Pour répondre au désir exprimé par l’administration, il s’est constitué dans les différents ports des “groupements d’importateurs” professionnels, qui se sont mis à la disposition du Bureau national des charbons [BNC créé le 12 avril 1917] pour seconder les projets du sous-secrétaire d’État des fabrications de guerre, recevoir en commun les charbons pour les besoins des foyers domestiques, de l’agriculture, de la petite industrie, procéder à la fabrication intensive des agglomérés, approvisionner les groupements (armement, intendance ou chambres de commerce) qui désireraient leur concours, sous le contrôle de l’administration, pour l’importation de tout ou partie des contingents de charbon anglais dont ils sont attributaires. » Les industriels de l’armement sont répartis en vingt groupements. Le GIA n° 4 « Normandie-Rouen » couvre les départements de l’Oise et de la Seine-Inférieure ; il est basé chez Les Tréfileries & Laminoirs du Havre et au 29, rue de Londres, à Paris. Le GIA n° 15 « bordelais » dont la Maison Worms est l’un des fournisseurs, regroupe les départements de Charente, Charente-Inférieure, Dordogne et Gironde. Il est situé chez la Société des travaux Dyle et Bacalan, 2, rue Lafayette, à Bordeaux, et 15, avenue Matignon, à Paris. Cf. Circulaire du ministère de l’Armement et des Fabrications de guerre – Bureau national des charbons, en date du 9 octobre 1917. 13 Courrier à Worms & Cie Brest du 12 novembre 1917.
L'usine SLN au Havre – photo extraite de Cent ans d'histoire du nickel au Havre, par Jean-Paul Portelette, 1991
9 Les courriers conservés dans les chronos de correspondance sont exclusivement ceux envoyés par Worms & Cie Paris ; ceux du Nickel n’y figurent pas. 10 Née du rachat de la Société brestoise de navigation en 1911, la succursale s’occupe principalement, au cours de la guerre, de réceptionner les cargaisons de charbon versées par les vapeurs "Barsac" et "Séphora-Worms", voir les pages 16 et 17.
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Le trois-mâts de 3 100 tonnes de port en lourd “Amiral Halgan” a été livré le 17 juillet 1900 aux Voiliers nantais ; il a été transféré en 1913 à la SA des chargeurs de l’Ouest.
à la voile dans une zone particulièrement dangereuse alors que cette nouvelle traversée peut être évitée par un déchargement à Brest14. » Le Nickel, qui avait organisé le transport de telle manière que le bateau, une fois délesté au Havre, reparte aussitôt en Nouvelle-Calédonie pour embarquer une nouvelle cargaison, semble avoir été informé tardivement du changement de cap, ce qui explique le caractère précipité des nouvelles dispositions.
"Amiral Halgan" est armé par la Société des chargeurs de l’Ouest15 avec le représentant local duquel la succursale
15 La Société anonyme des chargeurs de l’Ouest a été constituée
le 10 mars 1902. En 1913, elle a absorbé les Voiliers nantais et s’est associée, en octobre 1917, à la Compagnie générale transatlantique pour prendre le contrôle de la Compagnie nantaise de navigation à vapeur. Les relations entre la Maison et ce groupe armatorial ont débuté dans les années 1880. D’abord orageuses, en raison de l’âpre concurrence que la Nantaise infligeait aux lignes Worms desservant Saint-Herblain et Nantes, elles se pacifièrent dès lors que la CNNV devint cliente de la Maison pour le soutage de ses navires en Égypte (Alexandrie et Suez) et en France. C’est également auprès de la succursale de Port-Saïd que la flotte des Chargeurs s’approvisionne en charbon.
14 Cette phrase est citée par Albert Chatelle (qui n’en mentionne cependant pas la source) dans La Base navale du Havre et la guerre sous-marine secrète en Manche, 1914-1918, op. cit.
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de Brest doit opérer16. Son chargement n’est décrit dans aucune lettre. Toutefois des allusions dans plusieurs courriers permettent d’en reconstituer la teneur : - un lot de marchandises diverses destinées à un certain M. Béchade17, - et 2 88018 tonnes de nickel. S’il est tout d’abord question de 3 000 tonnes (24 octobre 1917), les courriers portent, à compter du 21 novembre 1917, sur 2 880 tonnes19. Le terme de « minerai » est le plus constamment employé20. Bizarrement, lui est substitué celui de
16 Il s’agit d’un courtier auquel « Le Nickel envoie un chèque de
25 000 francs pour les avances qu’il pourrait avoir à faire. Nous l’avons informé qu’à l’avenir, précise Worms & Cie Paris à la succursale de Brest, nous pourrions faire les avances pour son compte. Si le cas se présentait vous n’auriez qu’à inclure les sommes dans votre compte de débours. Nous avons convenu avec la société Le Nickel qu’elle vous écrive directement pour gagner du temps » – voir courrier à Worms & Cie Brest du 19 octobre 1917. 17 Courriers à Worms & Cie Le Havre et à Worms & Cie Brest du 24 octobre 1917. Une Maison Veuve G. de Béchade est connue dès le tournant du siècle à Bordeaux ainsi qu’en Nouvelle-Calédonie et aux Nouvelles-Hébrides ; elle est répertoriée dans l’Annuaire des entreprises coloniales de 1922 : établie au 39, allées de Chartres, dans le port girondin, elle a pour objet : l’exploitation de mines de nickel et de cobalt, la direction d’un service régulier à vapeur entre Nouméa et les Nouvelles-Hébrides, les activités d’import-export en Nouvelle-Calédonie et aux Nouvelles-Hébrides de marchandises diverses (vins, riz, farine, épicerie, articles de mode et de construction, de mines, ciment, maïs, café…) et de minerais de nickel, chrome et cobalt… Elle dispose de comptoirs à Nouméa et à Port-Vila et d’une maison d’achat à Bordeaux. Hubert Bonin, Jean-François Klein et Catherine Hodeir, dans l’article « La construction d’un système socio-mental impérial par le monde des affaires ultramarin girondin (des années 1890 aux années 1950) », paru, en 2008, dans L’esprit économique impérial (1830-1970). Groupes de pression & réseaux du patronat colonial en France & dans l’empire, Publications de la Sfhom, indiquent que « Gabriel de Béchade (1858-1917) […] animateur des Établissements Béchade en Nouvelle-Calédonie et aux Nouvelles-Hébrides, s’est taillé une solide position outre-mer : juge, puis président (pendant sept ans) du Tribunal de commerce de Nouméa et membre de la Chambre de commerce de Nouméa en 1894-1917 ; mais, observent-ils, presque personne n’évoque son nom sur Bordeaux car, contrairement à Ballande, il ne semble pas y vivre l’essentiel de sa vie personnelle. » Créateur de la société des Hauts Fourneaux en 1909, André Ballande a établi une fonderie à Doniambo en 1912 (voir illustration page 9). Cette entreprise fusionnera en 1931 avec Le Nickel dont le nouveau groupe métallurgique reprendra le nom. 18 Dans l’article consacré à ce naufrage sur le site pages14-18.mesdiscussions.net/ le chargement de nickel est estimé tantôt à 2 310 tonnes, tantôt à 3 000 tonnes. 19 Courrier à Worms & Cie Brest du 11 janvier 1918. 20 Lettres des 19, 24 et 26 octobre, 12 et 21 novembre, 4, 13, 17 et 20 décembre 1917, et 2 janvier 1918.
Brest, 1913 – le vapeur “Emma” en charge au quai de l’Ouest et en arrière-plan les bureaux et magasins Worms & Cie
« nitrates21 » dans les lettres des 9, 10 et 11 janvier (peut-être pour brouiller les pistes en cas d’interception de la correspondance par l’ennemi). Jamais il n’est fait
21 Cf. cameochemicals.noaa.gov/chemical : « Le nitrate de nickel
est un solide cristallin vert. Il est soluble dans l’eau. Il est incombustible, mais il accélère la combustion des matériaux combustibles. Si de grandes quantités sont en cause dans un incendie ou si le matériau combustible est finement divisé, une explosion peut en résulter. Une exposition prolongée au feu ou à la chaleur peut entraîner une explosion. »
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référence à de la matte22. À noter surtout que cette marchandise est considérée comme de peu de valeur. Ainsi, le 13 décembre 1917, Worms & Cie Paris écrit à
son agence de Brest : « Nous comprenons que vous ne désiriez pas demander très cher, mais il nous semble qu’un fret de terre de nickel peut payer un peu plus que du macadam. »
22 Voir note 6, page 8.
Dans une interview mise en ligne sur le site www.lnc.nc/ (Les Nouvelles Calédoniennes) le 21 janvier 2008, Bertrand Sciboz, expert maritime de travaux portuaires et sous-marins, déclare au sujet du "Barsac" : « On a fouillé l’épave... J’ai trouvé trois types de minerai. Dans la première cale, il y avait du minerai marron avec des strates vertes, dans la deuxième, il y avait des cailloux vert foncé avec des filets vert clair et, dans la troisième, du minerai plus bleu turquoise que vert. Et d’après les archives, il y aurait des mattes de nickel dans le fond du navire, mais je ne sais pas à quoi ça ressemble… »
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interrogé par nous, avant que nous nous mettions en rapport avec la société Le Nickel, et nous préférons ne pas le faire pour les raisons ci-dessus26. » Une autre « combinaison » consisterait à utiliser un cargo déjà sur place, le "Saint-Thomas"27, de la Société navale de l’Ouest, dont la succursale de Brest est consignataire. Mais cette alternative « n’est pas non plus à envisager, car elle [serait] beaucoup trop onéreuse ». La Maison, elle-même, a fait évaluer par la base maritime du Havre la mise à disposition d’un de ses navires, et y a renoncé : « Si nous nous chargions de l’affaire par nos vapeurs, expose-t-elle à la succursale de Brest, nous devrions demander un fret élevé, de bord à bord, non pas pour en faire une affaire avantageuse pour notre compte, mais pour arriver à nous couvrir des frais que nous pourrions avoir, assurances, etc. Le Nickel ne serait pas préparé à payer un tel prix. C’est pourquoi nous estimons préférable que vous employiez tout votre pouvoir pour obtenir du chef de l’exploitation du port, une place à quai et le matériel nécessaire pour la réexpédition [autrement dit les wagons]. » Et de déplorer « que les autorités supérieures détournent des navires de leur destination et les obligent à dégager dans un port comme Brest, alors que les moyens d’évacuation sont véritablement insuffisants ». Le déroutage sur le port breton ayant été ordonné par la Marine, il est probable que Le Nickel « voudra forcer l’État à supporter lui-même les frais supplémentaires pour transborder la marchandise et l’amener au Havre28 », au cas où le "Saint-Thomas" serait utilisé. Après des semaines d’atermoiement, l’issue semble enfin trouvée : « L’État-major général de la Marine [promet] qu’"Amiral Halgan" sera mis à quai le 30 novembre [il patiente en rade depuis le 17 octobre !] et le ministère de l’Armement a fait des démarches auprès du ministre des Travaux publics pour que les wagons nécessaires au transport des 2 880 tonnes de minerai de nickel29 soient mis par les Chemins de fer de l’État
Par fer ou par mer ? Depuis l’arrivée d’"Amiral Halgan", une double question agite les esprits (Nickel, Worms & Cie, Société navale de l’Ouest…) : comment obtenir des autorités portuaires qu’elles accordent au trois-mâts une place à quai le plus rapidement possible et par quel moyen réacheminer d’urgence la cargaison au Havre ? L’idée est d’abord d’opérer par voie maritime, mais « le fret, même par des voiliers, [risque d’être] trop élevé » et la Maison ne croit « pas qu’il soit possible d’avoir le tonnage nécessaire23 ». Malgré la délivrance d’un certificat de classement en première catégorie qui devrait permettre d’activer les choses, et l’espoir que la succursale de Brest puisse « faire la réexpédition, sinon de la totalité, tout au moins de la plus grande partie du nickel, [en évitant] la recherche très problématique d’un affrètement de voilier ou de vapeur24 », les difficultés restent entières et le navire ne peut accoster. Le 6 novembre 1917, les Chargeurs de l’Ouest informent Le Nickel et la Maison que « le nécessaire a été fait [auprès du ministère des Travaux publics dont dépendent les chemins de fer] pour que des wagons soient passés pour la réexpédition de la cargaison d’"Amiral Halgan"25 ». La succursale de Brest est invitée le lendemain à « bien faire ressortir à la société Le Nickel qu’il ne s’agit pas seulement d’une question de matériel, mais également de l’obtention d’une place à quai, le voilier étant encore en rade ». Six jours plus tard, revirement de situation. Le transport par mer est remis à l’ordre du jour : l’"Alkmini" pourrait être affecté à l’opération. La Maison, qui gère le navire pour le compte de l’État, n’y croit guère : « D’abord, explique-t-elle, parce que ce vapeur n’est pas encore arrivé à Dunkerque, où il doit décharger une cargaison de macadam, et d’où il relèvera sur lest, sur la Tyne, pour charger à destination de Brest, et, ensuite, parce que, ne portant en charbon que 1 400 tonnes environ, il n’est pas prouvé qu’il pourra prendre la même quantité de minerai ; l’opération de transbordement devrait donc être faite en plusieurs fois, ce qui, en dehors des frais de transport, assez élevés, nécessiterait de doubles frais de manutention que nous ne pouvons conseiller au Nickel de prendre à sa charge. D’ailleurs, le soussecrétaire d’État des Transports maritimes devrait être
26 Cette citation et les suivantes sont extraites du courrier adressé à Worms & Cie Brest le 12 novembre 1917.
27 Dans un courrier à Worms & Cie Brest du 29 octobre 1917,
il est précisé que ce navire est arrivé la veille au matin, que son déchargement devrait s’effectuer rapidement et qu’"Amiral Halgan" devrait prendre sa place à quai. 28 Courrier à Worms & Cie Brest du 15 novembre 1917. Les frais de transbordement « sur le "Saint-Thomas" pour aller de Brest au Havre » sont estimés entre 30 F et 35 F (la tonne ?). 29 50 wagons par jour doivent être affectés au transbordement.
23 Courrier à Worms & Cie Brest du 24 octobre 1917. 24 Courrier à Worms & Cie Brest du 26 octobre 1917. 25 Courrier à Worms & Cie Brest du 7 novembre 1917.
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Brest-Penfeld – encombrement des quais en juillet 1916
à disposition à partir du 30, et au fur et à mesure des besoins afin qu’aucune quantité ne soit mise à terre30. » La Maison « n’a plus qu’à voir si toutes ces promesses vont se réaliser31 ». Mais, début décembre, nouveau rebondissement. Le ministère des Travaux publics, prétextant qu’« il n’y a pas de wagons prévus pour des minerais de nickel dans le plan de priorité32 », s’oppose à l’évacuation par la voie ferrée.
« Il nous semble bien difficile que vous ayez pu proposer un de nos vapeurs » Worms & Cie Paris à Worms & Cie Brest, 4 décembre 1917 Le projet de transbordement sur le "Saint-Thomas" est réexaminé à la suite d’une visite à Brest du ministre des Travaux publics et en concertation avec la Marine, la Navale de l’Ouest et le représentant local de Worms & Cie. Au cours de la conférence, ce dernier prend l’initiative d’engager la Maison dans une voie que ses responsables ont écartée. Stupéfaction et mécontentement transparaissent à travers le courrier qui lui est adressé le 4 décembre 1917 : « Il y a un point que nous voulons tirer au clair et qui est le suivant. Vous vous rappellerez qu’il y a quelque temps, après la visite de M. Claveille, ministre des Travaux publics, à Brest, il avait été décidé que le transport serait effectué par le "Saint-Thomas", actuellement dans votre port, sur
30 Courrier à Worms & Cie Brest du 21 novembre 1917. 31 Courrier à Worms & Cie Brest du 22 novembre 1917. 32 Albert Chatelle, La Base navale du Havre et la guerre sousmarine secrète en Manche, 1914-1918, op. cit.
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Le vapeur “Séphora-Worms” (1891-1924) au Havre – ce navire est parfois identifié comme “Hypolite-Worms”.
lequel on transborderait la cargaison d’"Amiral Halgan", et qui relèverait sur Le Havre33 ; la proposition avait été faite par la Marine elle-même, et nous avions obtenu le consentement de la Navale de l’Ouest. Pendant que nous discutions la question avec Le Nickel,
celui-ci nous a dit qu’à cette même réunion, notre représentant avait également suggéré qu’un de nos bateaux pourrait faire le transport. Nous […] avons répondu immédiatement qu’il devait y avoir un malentendu, qu’aucun de nos navires ne pouvait faire le transport en question et que, par conséquent, si notre représentant avait parlé d’un bateau, il ne pouvait s’agir que du "Saint-Thomas", qui ne nous appartient pas, mais dont nous sommes simplement les agents. La question en est restée là pendant quelques jours, lorsque cet après-midi, au cours d’une nouvelle conversation avec Le Nickel, cette société nous a dit qu’elle avait fait notre communication au ministère de l’Armement, à savoir que nous n’avions pas de bateau pour faire le transport et qu’il fallait que ce soit "SaintThomas".
33 Dans un courrier à Worms & Cie Brest du 26 novembre 1917,
il est indiqué : « Vous auriez dû nous dire ce qu’il s’est passé ce matin ; nous essayons d’avoir "Saint-Thomas" pour Le Nickel. » Et dans une lettre adressée aux mêmes : « Nous serions très contents que le "Saint-Thomas", à son retour, puisse prendre la cargaison d’"Amiral Halgan" pour Le Havre. La question est de savoir si la Navale de l’Ouest pourra arriver à une entente avec la Marine et si le Nickel acceptera le taux qui serait fixé par M. Houët. Celui-ci que nous avons vu hier, nous a justement dit que, s’il avait pu faire le transport la dernière fois, il aurait probablement demandé F 50, ce qui est très sensiblement supérieur à ce que son capitaine d’armement vous avait indiqué… »
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À cela, le représentant de l’Armement, le capitaine Barillon, affirma qu’il avait été lui-même présent à la conférence, que le directeur de notre Maison de Brest avait offert un de nos bateaux en précisant même que ce bateau était actuellement en réparation et serait prêt dans huit jours. Il paraît du reste que le capitaine Barillon est excessivement mécontent de voir que notre Maison oppose une contradiction à des paroles qu’il a, lui-même, entendues et répétées. Nous avons besoin de savoir exactement ce qu’il s’est passé car il faut que nous mettions les choses au point et que nous fassions des excuses, si nous nous sommes trompés. Il nous semble bien difficile que vous ayez pu proposer un de nos vapeurs, d’abord, parce que vous savez que nous n’avons pas de bateaux disponibles pour faire ces transports de nickel et, ensuite, parce qu’aucun de nos navires ne pourrait porter d’un coup 2 880 tonnes de minerai et qu’il faudrait, par conséquent, faire deux voyages. Nous ne pensons pas non plus que vous ayez fait allusion au S/S34 "Alkmini", […] que nous avions déjà proposé […] au ministère de l’Armement, qui l’avait refusé, voulant appliquer le bateau à des transports de macadam à Cherbourg et Dunkerque. »
maintenant que vous faites une proposition très réalisable, à laquelle nous aurions dû penser avant, nous avons l’air de ne pas avoir étudié la chose, puisque nous avions dit, à votre instigation, qu’il ne nous était pas possible de faire le transport et nous disons, maintenant, que c’est tout à fait réalisable. En tout cas, il faudra que la chose soit faite bientôt, car on parle maintenant de faire remorquer "Amiral Halgan" de Brest à Nantes, où il irait décharger. Nous pensons qu’il sera bon de prendre des précautions avec le ministère pour être assurés que ce dernier acceptera de couvrir les risques de guerre pendant le voyage en question, bien que ce transport soit pour un particulier. » Le "Barsac" est bien connu à Brest. Chaque mois, il verse dans ce port, en alternance avec le "SéphoraWorms", 8 000 tonnes de charbon en exécution d’un contrat d’approvisionnement signé avec le ministère de la Marine le 26 septembre 1916. Cette quantité vient d’ailleurs d’être ramenée à 6 000 tonnes (1er novembre 1917) alors que 52 voyages35 ont déjà été effectués.
Encore que… Si la direction ne cache pas sa contrariété, elle creuse cependant l’idée dont la succursale du Havre semble être l'instigatrice. Le 12 décembre, elle interroge celle-ci : « Pensezvous qu’il serait possible de stocker à Brest le solde du chargement qui ne pourrait être transbordé sur "Barsac" ? » – et admoneste les Havrais le lendemain : « Nous nous ne vous cacherons pas que nous sommes un peu ennuyés de la facilité avec laquelle vous acceptez la proposition du sous-secrétariat d’État des Transports maritimes et de la Marine marchande d’envoyer sur lest de Bordeaux à Brest un de nos cinq vapeurs affectés au service Bordeaux-Dunkerque, car vous devez savoir que depuis pas mal de temps tous les ministères intéressés demandent à notre Maison de Brest d’enlever les 2 800 tonnes de minerai de nickel à destination de votre port, et la Maison de Brest vous a interrogé plusieurs fois pour vous demander des instructions, et vous avez toujours refusé de prendre cette marchandise par nos propres vapeurs. Et, 35 Sur le voyage n° 50 et les avaries occasionnées par la chute
d’une benne pleine de la Marine sur le compas du "Barsac" lors du déchargement à Brest – voir courriers du 25 octobre 1917 à la succursale de ce port ainsi qu’à celles du Havre et de Cardiff. Sur la réparation, voir courrier à Worms & Cie Brest du 27 octobre 1917.
34 S/S pour screw-steamer : vapeur à hélice.
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Le "Barsac" au Havre en 1911
Le "Barsac", un steamer adapté aux colis de grandes dimensions dans La revue générale des transports, est commandé par le capitaine au long cours A. Fesq37. Le nom de celui-ci est mentionné dans le Journal officiel sous différentes orthographes et divers prénoms - mais toujours inscrit au Havre sous le n° 261 et capitaine du "Barsac" - pour s'être illustré par la bonne tenue de son poste d'équipage : le 4 mars 1913 il reçoit les félicitations du sous-secrétaire d'État de la Marine marchande en tant que Fesq (Adrien), le 20 janvier 1914 en tant que Fesq (Maurice Joseph)38 et le 21 avril 1915 en tant que Fresq (Marie). Est cité également à cette dernière date pour le
Navire à vapeur en fer et à hélice, le "Barsac" est sorti des cales des Chantiers navals anversois, situés dans le district de Hoboken. Sa commande est liée au remplacement du "Commandant-Franchetti", vendu en 1901, et du "Lucie-et-Marie", cédé en juillet 1902. Il doit son nom à l’usage adopté avec le "Sauternes", au tournant du siècle, de faire porter aux nouvelles unités les appellations des vins les plus prestigieux du Bordelais36. Mis à flot le 21 juin 1902, le "Barsac" est achevé le mois suivant. Il est alors le plus grand des douze navires qui composent la flotte Worms, et, comme eux, est attaché au port du Havre. « Ce beau vapeur », pour reprendre l’expression d’un article de presse paru le 17 avril 1903
37 Dans le relevé des mouvements des navires établi le 6 août 1914 par Worms & Cie Le Havre, le "Barsac", alors en réparation au Havre, est donné sous les ordres du capitaine Fesq. Voir pour les mentions dans le Journal officiel sur gallica.bnf.fr. Ces informations sont reprises sur le site pages14-18.mesdiscussions.net.
36 Avant 1900, il était de coutume de baptiser les navires avec les
prénoms et/ou les noms des proches du fondateur, Hypolite Worms.
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bon entretien des machines et chaudières, Simon (Eugène), inscrit au Havre n° 2579, chef mécanicien à bord du vapeur "Barsac".
intermittente38 et employées au transport des matières premières pour la Marine et les services publics ainsi que des matériaux d’entretien pour les routes ; elles servent également au ravitaillement des armées en denrées alimentaires, fourrage et matériel divers (vin, café, sucre, sel, lard, sardines, chocolat, fruits secs, tabac, tissus, avoine, foin…). Les bateaux non réquisitionnés approvisionnent les usines et les populations civiles en complément des chemins de fer. Alors que les lignes en mer du Nord et sur l’Allemagne ont été interrompues, le cabotage entre les ports de l’Atlantique et de la Manche jusqu’à Dunkerque a été renforcé39 de même que les liaisons avec l’Angleterre dédiées aux importations de charbon dont la France a un besoin croissant (une desserte Le Havre-Bristol-Swansea a été ajoutée en juillet 1915 à celles desservant la Grande-Bretagne).
Caractéristiques techniques Longueur : 79,25 m ; largeur : 11,58 m ; creux : 6,04 m ; jauge brute : 1 884 tonneaux ; jauge nette : 963 tonneaux ; tirant d’eau moyen en pleine charge : 5,80 m, et sur lest : 3,30 m. Le cargo est muni d’un water-ballast divisé en six compartiments. Il a un pont et un entrepont en acier sur toute sa longueur et un entrepont supplémentaire en bois dans sa cale avant pour éviter l’accumulation des marchandises sur une trop grande hauteur ; il est muni d’une dunette servant de magasin et d’un pont abri. Les logements des passagers et des officiers sont placés au centre du navire, sur trois étages à partir du pont supérieur. L’équipage est logé sous le gaillard d’avant. Son hélice est actionnée par une machine de 1 200 chevaux. Sa vitesse est de 11,5 nœuds aux essais et 10 nœuds en marche ordinaire. Il possède deux grands générateurs et une chaudière pour la manœuvre des treuils. Ce navire est d’un type assez différent de celui des "Suzanne-et-Marie" et "Emma". Depuis l’entrée en flotte de ces cargos en 1891 et 1893, la composition des chargements a changé ; ce ne sont plus uniquement des vins, des caisses ou des marchandises en sacs qui les composent, mais des colis de grandes dimensions dont la manutention est gênée par l’étroitesse des panneaux qui recouvrent les cales. Pour palier cet inconvénient, le "Barsac" a été muni de trois panneaux au lieu de quatre. Ceux-ci protègent les cinq cales du navire et sont de taille différente : les n° 2 et n° 3 sont plus grands que le n° 1. Quatre treuils et quatre grues à vapeur sont disposés par paires sur le château et la dunette, et renforcent les mâts de charge sur l’avant. Ces installations, particulièrement soignées, garantissent un gain de temps appréciable lors des opérations de chargement et de déchargement. Elles seront retenues dans l’étude de plusieurs des unités construites dans les années 1900-1930. En 1914, à la déclaration de guerre, le "Barsac" compte parmi les dix-huit navires qui constituent l’armement Worms, et que viendront grossir quatre cargos commandés en 1913 aux Ateliers et Chantiers de la Loire (Nantes) et deux steamers achetés en 1917 et 1918. Ces unités sont pour la plupart réquisitionnées de manière
38 Voir le mémoire de Yan Siegesmund, Le Transport maritime
pendant la Grande Guerre, 1999 : « En vertu de la loi de 1877 sur les réquisitions militaires et du décret du 31 juillet 1914, les autorités maritimes procèdent, lors de la mobilisation, à la réquisition des navires de commerce prévus dès le temps de paix comme auxiliaires de la flotte. Ces bâtiments sont militarisés aussitôt et leurs équipages commerciaux complétés par des inscrits mobilisables. […] En dehors de ces premières réquisitions de durée illimitée et à caractère définitif, les différents départements étatiques (Marine, Affaires étrangères) requirent de nombreux navires pour des buts éphémères. […] Les armateurs s´y prêtent d´abord assez volontiers… [Mais] cette bonne volonté initiale […] est, entre autres, la raison des abus et des désaccords entre le gouvernement et les armateurs, lorsque les autorités maritimes procèdent à des réquisitions de plus en plus élargies à la suite de la stabilisation des fronts après la bataille de la Marne [à partir de novembre 1914]. Les réquisitions deviennent alors systématiques, car l´exploitation commerciale de la flotte de commerce joue un rôle primordial pour le ravitaillement des armées et du pays. » 39 Voir 50 ans de construction navale en bord de Seine – les ACSM et leur cité-jardin (1917-1966), pages 22 à 27 : www.wormsetcie. com/fr/publications/all/50-ans-de-construction-navale-en-bordde-seine-les-acsm-et-leur-cite-jardin-1917.
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L’affrètement du "Barsac" pour acheminer le nickel au Havre est confirmé par le sous-secrétariat d’État des Transports maritimes et de la Marine marchande le 20 décembre 1917. Ce même jour, Worms & Cie Le Havre est informé que le cargo a quitté Cardiff deux jours plus tôt, et, est prié de « donner des instructions à la Maison de Bordeaux pour le faire relever sur lest à destination de Brest ». À partir de là, silence !
Accords et conventions entre le ministère de la Marine et Worms & Cie La décision d’utiliser le "Barsac" est communiquée au Nickel par le ministère de la Marine avant même que la Maison en informe son client (14-17 décembre 1917). Le navire prendra les quatre cinquièmes du chargement d’"Amiral Halgan", soit 2 300 tonnes. En plus du prix à payer pour le transport40, Le Nickel devra verser « directement au profit du ministère, un supplément de 24 francs par tonne pour couvrir l’assurance de guerre que le ministère supporte sur le vapeur pour une partie de sa valeur41 ». Cette clause d’assurance figure dans un accord conclu les 18 et 19 décembre 1917 entre Worms & Cie et le sous-secrétariat des Transports maritimes et de la Marine marchande42, accord selon lequel le voyage du "Barsac" doit être effectué sous le régime de la convention du 30 janvier 1917 par laquelle la Maison s’est engagée à affecter à un service entre Bordeaux et Dunkerque et au cabotage entre ports français treize de ses navires, dont l’État prend à sa charge les risques de guerre43. Ces dispositions seront révisées le 7 janvier 1918, par une nouvelle convention, annulant et remplaçant celle du 30 janvier 1917 : le nombre d’unités affectées à ces transports sera réduit à dix, et la valeur desdits navires augmentée44. La prise en compte des termes et conditions du nouvel accord sera à l'origine du litige opposant la Maison à l'État dans l'estimation du dommage causé par la perte du "Barsac" .
40 Dans un courrier à Worms & Cie Le Havre du 15 décembre 1917,
il est indiqué : « Le bénéfice de F 4 n’est pas énorme mais cependant comme votre prix arrive à environ F 200 par tonne, alors que nous avions dit au Nickel que le chiffre que nous lui facturerions serait inférieur, il vaux mieux s’en tenir là. » 41 Courrier à Worms & Cie Le Havre du 17 décembre 1917 ; l’information est corroborée dans une lettre aux mêmes du 18 décembre 1917. 42 Information extraite d’une note classée en mai 1918 et retrouvée dans un maigre dossier consacré à la correspondance reçue, cette année-là, de la succursale du Havre. 43 La valeur du "Barsac" assurée par l’État était fixée à 1 800 000 F. 44 La nouvelle valeur du "Barsac" assurée par l’État est de 4 223 795 F.
Portrait du “Barsac” reproduit en couverture de la Revue générale des transports
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Un « épilogue lamentable » Albert Chatelle, La Base navale du Havre et la guerre sous-marine secrète en Manche, 1914-1918 il devait prendre la mer hier à midi. Voilà donc neuf jours que vous vous occupez de cette cargaison de nickel et que vous n’en avez jamais écrit quoi que ce soit aux principaux intéressés. Notre Maison du Havre a certainement tenu au courant l’usine locale, mais ce n’est pas suffisant, car c’est toujours de Paris que Le Nickel vous a adressé toutes les instructions, c’est à lui que vous avez également écrit 25 fois il y a deux mois, c’était donc Paris que vous deviez tenir au courant directement. » Même consternation dans une lettre au Havre : « Nous ne comprenons vraiment pas la négligence de la Maison de Brest. Pendant un moment, elle a correspondu avec Le Nickel presque tous les jours et, maintenant que le chargement est enlevé par notre vapeur et qu’il commence à y avoir matière à correspondre, elle s’abstient de toute manifestation et si [vous n’aviez pas informé Le Nickel], il est probable que le "Barsac" serait arrivé au Havre, qu’il aurait terminé son déchargement et que le siège social du Nickel n’aurait eu vent de l’opération que le jour où il aurait payé notre compte de fret. » Ce mutisme va s’avérer lourd de conséquences, ainsi que la direction en informera Brest dans une lettre du 17 janvier 1917 : « Nous devons vous dire que la cargaison de nickel sur le "Barsac" n’était pas assurée. Une des raisons en est que le siège social du Nickel, n’ayant été avisé du chargement du bateau et de son départ de Brest qu’indirectement par l’usine du Havre, et, par conséquent, nous croyons plus de 24 heures après le départ du navire de votre port, Le Nickel s’était dit qu’il était inutile d’assurer cette cargaison puisque, pendant le temps que dureraient les démarches et la régularisation de cette assurance, le "Barsac" serait déjà arrivé au Havre. » Worms & Cie Paris prévint Bordeaux que le "Barsac" devait quitter Brest le 9 janvier « avec une cargaison de nitrates », et qu’après son déchargement au Havre, il relèverait sur lest à destination de Barry Roads, où la succursale de Cardiff devait lui donner une cargaison
« Le Nickel doit penser qu’il a de piètres agents à Brest » Worms & Cie Paris à Worms & Cie Brest, 9 janvier 1918 L’opération n’est plus abordée dans la correspondance Worms entre Paris et Brest jusqu’au 9 janvier 1918, date à laquelle la direction s’étonne du mutisme de la succursale. « Nous avons été surpris, l’admoneste-t-elle, que vous n’ayez jamais tenu au courant [Le Nickel] des mouvements de notre "Barsac" et du chargement de nickel que ce vapeur a pris ex-"Amiral Halgan". C’est fâcheux et Le Nickel doit penser qu’il a de piètres agents à Brest. Le "Barsac" est chez vous depuis le 1er janvier45 ; il est possible qu’il n’ait pas encore quitté votre port bien que, d’après l’usine au Havre du Nickel,
45 Le "Barsac" fait route pour atteindre ce port avec le "Bidassoa"
– voir courriers à Worms & Cie Bordeaux des 28, 29, 31 décembre 1917 et 2 janvier 1918.
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de charbon pour le port girondin46. Le 11 janvier, Cardiff et Bordeaux furent informés que le cargo n’était pas encore arrivé au Havre « aux dernières nouvelles ». Et pour cause !
avec les arraisonneurs, les pilotes, le directeur du port, police-navigation, le commandant des patrouilleurs de Normandie, etc. Finalement, après avoir encore perdu 24 heures, le "Barsac" a appareillé le 11 janvier à 11 h du matin, doublé la pointe de Barfleur et mis le cap sur la bouée à sifflet du Havre. Il allait droit devant, car déclara le capitaine, “naviguer en zigzag, c’est augmenter les chances de ramasser une mine”. » Vers 17 h 30, il aperçut dans le sud, à deux milles, un convoi allant du Havre à Cherbourg et signala que tout allait bien à bord. Les hommes étaient à leurs pièces, les vigies aux aguets. Les moyens de sauvetage étaient parés et le télémétriste50 à son poste. Le bateau filait ses 9 nœuds 25, la mer était grosse, il ventait une jolie brise sud-ouest et la nuit arriva très vite. À bord, aucune lumière n’était visible.
Chronique d’un naufrage47 Le 9 janvier, à 13 h, le vapeur, chargé « ras du bord », a appareillé et mis le cap sur Le Havre où il lui a été ordonné de se rendre sans escale ni perte de temps. En plus des 2 300 tonnes de terre de nickel, ses cales renferment 390 obus. La présence à bord de ces munitions n’est évoquée dans aucun courrier (peut-être là encore par volonté de discrétion). Elle a été révélée par des plongeurs et a donné lieu en octobre 2014 à une opération dite « de neutralisation48 ». Juste avant son départ, le "Barsac" a pris à son bord dix-sept membres de l’équipe spéciale n° 13 qui, sous les ordres de l’enseigne de vaisseau William Blétry, est dévolue au service des deux canons de 95 dont le navire est armé. L’effectif total se compose de quarante-trois marins, dont un passager, le quartier-maître canonnier Fégeant. Bien que le bâtiment ait été autorisé à naviguer isolément en raison de sa vitesse, son commandant, le capitaine au long cours Pierre Hunault49, a décidé de se joindre à un convoi avec lequel il a fait route jusqu’au large de La Hague. Après quoi le cargo a continué seul. À 8 milles au nord de Cherbourg, il a été arrêté par un torpilleur français qui, contrairement aux ordres donnés initialement par la Marine et sous prétexte que le tirant d’eau du navire était trop important pour accoster au Havre, a obligé le "Barsac" à faire demi-tour et à mouiller en rade du port du Cotentin. « Nouveaux palabres
Coulé en 3 minutes « Et voici qu’à 18 h 35, étant à moins de 14 milles dans le N72E de la bouée à sifflet du Havre, une torpille frappe le "Barsac" par bâbord arrière. Personne ne l’a vue venir, personne n’a vu le sous-marin UB-8051. L’explosion défonce la cale arrière, l’eau envahit les machines et le navire commence rapidement à s’enfoncer par l’arrière, aucune manœuvre n’est possible. Il va couler en trois minutes, les survivants se jettent dans les canots et s’efforcent de s’écarter de la coque. L’enseigne de vaisseau William Blétry aide à mettre à la mer un des radeaux réservés à son équipe de canonniers. Malgré les prières de ses hommes, il demeure à bord et se précipite vers l’arrière du navire pour assurer le sauvetage du reste de son personnel. Mais il est aspiré avec six de ses marins par les remous que soulève le "Barsac" en train de sombrer. Le capitaine Hunault, quant à lui, a pu s’accrocher à une épave. Au bout d’une demi-heure, il est ramassé par le canot bâbord52 qui recueille encore deux
46 Le chargement se compose de 1 000 tonnes à prendre sur la
licence des Chargeurs réunis, 1 000 tonnes à prendre sur celle du groupement n° 15 et 200 à 300 tonnes sur la licence de la Chambre de commerce – voir courrier à Worms & Cie Bordeaux du 10 janvier 1918. 47 Ce chapitre est construit à partir des informations recueillies dans le rapport du capitaine Hunault et de citations extraites de La Base navale du Havre et la guerre sous-marine secrète en Manche, 1914-1918, par Albert Chatelle, op. cit. 48 Voir le site actu.fr et celui de Paris-Normandie à la date du 7 octobre 2014 : « 390 obus neutralisés à bord de l’épave du "Barsac". » 49 Un homonyme prénommé Toussaint, également inscrit à SaintBrieuc, commandait le quatre-mâts "Tarapaca" le 1er septembre 1917 lorsque ce navire a été détruit par les Allemands. Le capitaine Pierre Hunault sera donné comme commandant du "Fronsac" le 30 avril 1919 sur une annonce du Petit Havre pour un départ le 5 mai du Havre pour Dunkerque.
50 Préposé à la détection de la position des sous-marins grâce à la captation par sonar des échos sonores.
51 Son capitaine, le Kplt Max Viebeg, sera cité parmi les 29 com-
mandants de U-boote qui reçoivent le 30 janvier 1918 la médaille « Pour le mérite », décoration la plus prestigieuse attribuée dans l’empire germanique. 52 Dans son rapport, le capitaine Hunault semble avoir indiqué que le second capitaine Derudier se trouvait dans cette embarcation. Or, Albert Chatelle précise que ce dernier avait trouvé refuge dans le youyou. De fait, Derudier a été cité à l’ordre de la Division pour avoir « refusé de prendre place dans l’embarcation qui lui était destinée pour éviter la surcharge ».
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Torpillage d’un vapeur – huile sur toile signée Claus Bergen
hommes et réussit à prendre en remorque un radeau portant sept des canonniers de l’enseigne de vaisseau Blétry ; mais la mer est si mauvaise qu’il faut abandonner le radeau après avoir embarqué les hommes. La baleinière, avec vingt-cinq [sic53] personnes à bord dont plusieurs blessés, tente de hisser une voile de fortune et de s’orienter sur le feu de La Hève ; elle lance des fusées dès qu’elle aperçoit la silhouette d’un navire. Finalement, les naufragés sont recueillis à 0 h 30 par l’arraisonneur "Pétrel" qui les débarque au Havre, à 9 h du matin. Les réfugiés de la baleinière de tribord commandée par le lieutenant Charles Thébault n’ont pas eu cette chance. Prise dans les remous du bâtiment qui
s’effondre sous l’eau, l’embarcation ne peut s’écarter à temps et chavire ; de tout son équipage, seuls quatre hommes parviennent à s’accrocher à la quille du canot qui part à la dérive. Le second maître canonnier Le Bars se jette trois fois dans les vagues pour repêcher le second mécanicien Le Tutour. Vers 21 h, le matelot Chéene (ou Cerrane) se laisse glisser à l’eau en poussant un cri que la mer étouffe. Vers minuit, le chauffeur Daligner (ou Deligne) subit le même sort ; et vers 3 h du matin, c’est Le Tutour qui, épuisé, finit par lâcher prise. Dans cette nuit d’épouvante, Le Bars reste agrippé à l’épave. L’aube se lève sous un ciel bas, et les heures passent. Enfin, à 10 h du matin, un patrouilleur anglais repère le canonnier à cheval sur la quille de son canot de fortune et le prend à son bord pour le ramener au Havre où il est transporté à l’hôpital. Son calvaire aura duré près de seize heures. Le drame ne s’arrête pas là. Lorsque le "Barsac" a coulé, le second capitaine, Adrien Derudier, a pu se hisser dans le youyou du bord. Il part à son tour en perdition dans les lames de plus en plus grosses. Puis, dans la nuit, il
53 Ce nombre indiqué par Albert Chatelle pose problème. L’auteur
établit en effet que l’équipage, officiers compris, se composait de 27 hommes sur lesquels 20 sont morts et 4 furent blessés. Or, si l’on tient compte des 25 rescapés à bord de la baleinière et des deux marins recueillis en mer, l’effectif total en poste sur le "Barsac" s’élèverait à 47 personnes. En fait, les sources indiquent que l’équipage était constitué de 25 marins de commerce et l’équipe spéciale de 17 marins d’État, plus un passager, soit 43 hommes au total. Voir les pages 24 à 27.
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aperçoit nettement une silhouette de bâtiment ras sur l’eau. C’est le U-boot qui a refait surface et sillonne la zone à 4 ou 500 mètres du naufragé. Celui-ci se garde de tout mouvement. Par contre, il hurle désespérément à la vue des feux réglementaires de deux chalutiers passant non loin de lui. En vain. À 7 h du matin, un drifter anglais apparaît et disparaît à son tour. Plus tard, Derudier dira : “La mer était grosse et il est probable que les hommes de veille ne purent m’apercevoir.” Ce n’est que vers 9 h 30 du matin, le 12 janvier, que le torpilleur "Harpon", qui avait quitté Cherbourg presque en même temps que le "Barsac", retrouve le marin en perdition et le sauve. »
Vingt morts ! Le bilan des pertes en vie humaine est très lourd : la Maison déplore la disparition de sept des siens et l’équipe spéciale la mort de treize de ses membres. Par un jugement déclaratif en date du 24 juin 1919, à Bordeaux, l’acte de décès de ces vingt marins est complété par la mention « morts pour la France54 ». Le lieutenant de vaisseau de 1ère classe William Pierre Blétry est cité à l’Ordre de l’armée pour s’être « courageusement dévoué au sauvetage de ses hommes jusqu’au dernier moment » et avoir été « victime de son devoir et de son dévouement » ; il est décoré à titre posthume de la croix de chevalier de la Légion d’honneur et de la croix de guerre avec palme. La croix de guerre avec étoile de vermeil est décernée aux douze naufragés de son équipe : les cinq quartiersmaîtres Boucron, Chauvel, Le Hénaff, Maupas et Riou ainsi que les trois canonniers Fégeant, Goavec et Le Bihan et les quatre matelots Haupais, Le Goff, Prigent et Tauzia55.
U-boot coulant un navire marchand – huile sur toile signée Claus Bergen
54 Cf. la loi du 2 juillet 1915. 55 Journal officiel du 15 mars 1922, cf. gallica.bnf.fr.
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Disparus Nom
Prénom
Fonction
Inscrit à :
Remarques
Thébault
Charles Auguste Louis
Lieutenant (auxiliaire)
Saint-Malo n° 486
Marin de commerce Né le 5 mars 1873 au Minihic-surRance – honoré sur le monument aux morts de Saint-Servan-sur-Mer
Godin
Maurice
Chef mécanicien
Le Havre n° 4648
Marin de commerce
Le Tutour
Joseph
Second mécanicien
Lorient n° 893
Marin de commerce Né le 4 mars 1870 à Baud et domicilié au Havre
Daligner ou Deligne
Eugène
Chauffeur
Honfleur n° 878
Marin de commerce
Deschamps
Jean
Matelot
Belle-Île n° 2127
Marin de commerce
Chéene ou Cerrane
Louis Victor
Matelot
Dinan n° 8169
Marin de commerce Né le 21 décembre 1882 à Lanvallay
Martin
Blétry
Boucron ou Bougron
Chauvel
Le Hénaff
Maupas
Riou
Fernand Jean Baptiste
William Pierre René
Henri Pascal
Emmanuel Marie
Joseph Marie
Edmond Louis
Camille Gustave
Novice
Binic n° 3104
Marin de commerce
Ou Saint-Quay Portrieux
Âgé de 16 ans
5e dépôt
Marin de l’État
AMBC (armement militaire des bâtiments de commerce) de Brest
Né le 11 mai 1889 à Arcachon
Quartier-maître canonnier
2e dépôt n° 95856-2
Marin de l’État
AMBC de Brest
Né le 26 juillet 1894 à Brest
Quartier-maître canonnier
Paimpol n° 41249
Marin de l’État
AMBC de Brest
Né le 20 mars 1893 à Tressignaux
Quartier-maître canonnier, télémétriste
2e dépôt n° 95671-2
Marin de l’État
Quartier-maître canonnier
1er dépôt n° 36577-1
Marin de l’État
AMBC de Brest
Né le 19 juin 1896 à Granville
Quartier-maître radiotélégraphiste
N° 13623-4
Marin de l’État
AMBC du Havre
Né le 30 septembre 1893 à Saint-Pierre d’Oléron
Enseigne de vaisseau de 1ère classe (commandant l’équipe spéciale n° 13)
Né le 30 juillet 1891 à Louargat
– corps retrouvé et inhumé au carré communal du Havre Fégeant
Yves Marie
Matelot de 2e classe canonnier
2e dépôt n° 109646-2
Marin de l’État Né le 20 janvier 1899 à Pabu Passager sur le "Barsac"
Goavec
Haupais ou Haupaix
Le Bihan
Auguste Hervé Marie
Constant Joseph Marie
Joseph Bertrand Louis
Matelot de 1ère classe canonnier breveté
Brest n° 13532
Marin de l’État
AMBC du Havre
Né le 19 novembre 1896 au Faou
Matelot sans spécialité canonnier
Dinan n° 9095
Marin de l’État
Matelot de 3e classe canonnier
3e dépôt n° 29731-3
Marin de l’État
AMBC du Havre
Né le 14 mars 1898 à Scaër
25
Né le 23 mai 1895 à La Trinité-Porhoët
Le Goff
Prigent
Pierre Yves Marie
Goulven Marie
Matelot sans spécialité apprenti marin
2e dépôt n° 112572-2
Marin de l’État
Matelot de 3e classe apprenti fusilier
Le Conquet n° 43647
Marin de l’État
AMBC du Havre
Né le 29 octobre 1898 à Plouguerneau
Matelot sans spécialité apprenti marin
3 dépôt n° 67141-5
Marin de l’État
AMBC du Havre
Né le 12 janvier 1898 à Cabanac-et-Villagrains
Né le 31 décembre 1898 à Penhars
– corps retrouvé Tauzia
Martial Michel
e
Rescapés Nom
Prénom
Fonction
Inscrit à :
Remarques
Hunault
Pierre
Capitaine au long cours
Saint-Brieuc n° 210
Marin de commerce Cité à l’Ordre de l’armée
Derudier
Adrien
Second capitaine
Saint-Valéry
Marin de commerce
Généo
Édouard
Troisième mécanicien
Le Havre
Marin de commerce
Poncelet
Jean
Charpentier
1 dépôt
Marin de l’État
Duchesne
Charles
Matelot
Le Havre
Marin de commerce
Le Perrer
René
Matelot
Lannion
Marin de commerce
Le Breton
Jean
Matelot
Saint-Brieuc
Marin de commerce
Robert
Pierre
Matelot
Saint-Brieuc
Marin de commerce
Caradec
Goulven
Matelot aide-canonnier
Morlaix
Marin de commerce
Le Port
Yves
Matelot aide-canonnier
Lorient
Marin de commerce
Le Mitte
Joseph
Matelot
Le Conquet
Marin de commerce
Thébault
Jean-Baptiste
Novice
Binic
Marin de commerce
Bon
Michel
Chauffeur
Le Conquet
Marin de commerce
Lageat
François
Chauffeur
Tréguier
Marin de commerce
Devineau
Louis
Chauffeur
Noirmoutier
Marin de commerce
Pardo
Manuel
Chauffeur
Oran
Marin de commerce
Auffray
Jean
Chauffeur
Dinan
Marin de commerce
Allain
Robert
Soutier
Saint-Brieuc
Marin de commerce
Cadiou
Clodomir
Cuisinier
Bordeaux
Marin de commerce
Pérec
Jean
Maître canonnier
Camaret-sur-Mer
Marin de l’État
Le Bars
Pierre
Second maître canonnier
Delannen
Pierre
Quartier-maître canonnier
2 dépôt
Marin de l’État
Carvel
Pierre
Armurier
2e dépôt
Marin de l’État
Cité à l’Ordre de la division er
Marin de l’État Blessé e
26
Lieutenant Charles Thébault (1873-1918)
Le second maître canonnier Pierre Le Bars, qui a été blessé dans le naufrage, est cité à l’Ordre de l’armée et proposé à un grade supérieur pour « avoir montré le plus bel exemple d’esprit du devoir, de dévouement et de courage », étant rappelé qu’« alors que le bâtiment coulait, entraînant dans son remous la baleinière tribord avec une partie de l’équipage, la renversant quille en l’air, [il] a quitté l’embarcation à laquelle il s’était accroché et par trois fois s’est jeté à la mer pour secourir le second mécanicien [et qu’]il a vu successivement agoniser et disparaître les hommes qui s’étaient réfugiés à ses côtés. » Le "Barsac" est porté sur la liste des bâtiments de commerce « ayant obtenu une récompense collective et dont les équipages bénéficient d’une présomption favorable pour l’obtention de la carte du combattant56 » en raison des « preuves d’endurance, de courage et de discipline montrées au cours d’une évacuation particulièrement rude et difficile57 ».
Parmi les vingt-trois survivants, cinq font partie de l’équipe spéciale n° 13 et dix-huit appartiennent au personnel de la Maison. Le capitaine Pierre Hunault est cité à l’Ordre de l’armée pour avoir « montré de belles qualités d’énergie et de sang-froid au cours de la perte de son navire. [S’être] jeté à la mer alors que le bâtiment coulait après avoir assuré l’évacuation de son équipage. [N’avoir] cessé, une fois recueilli en mer par ses hommes, de maintenir leur courage par son exemple et son attitude. » Le second capitaine Adrien Derudier est cité à l’Ordre de la division pour avoir « montré un grand esprit de devoir et de commandement. [Avoir] refusé de prendre place dans l’embarcation qui lui était destinée pour éviter la surcharge [et] fait preuve d’abnégation et de courage. »
56 Voir Ouest-France - édition du 26 mai 1932 et Le Cri du poilu de l’Union nationale des combattants, juin 1932 (cf. gallica.bnf.fr).
57 Cf. pages14-18.mesdiscussions.net.
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Le "Barsac", un bateau-piège ? Les distinctions honorifiques remises à l’équipage à titre individuel ou collectif démontrent, si besoin était, qu’aucun de ses membres n’a été incriminé dans le naufrage. L’innocence des marins n’évacue cependant pas toutes les questions relatives à la recherche de fautifs. L’examen des circonstances dont l’enchainement a conduit au torpillage du navire, révèle des zones d’ombre propices à dissimuler des erreurs d’appréciation et de commandement, ou pour le moins, à faire naître des interrogations. Pourquoi l’équipe spéciale n° 13 était-elle à bord ? Quelle était sa mission ? Pourquoi le chargement semble avoir été “déguisé” dans la correspondance ? Et surtout, la catastrophe aurait-elle pu être évitée ou est-elle la conséquence d’un risque pris inconsidérément, et dans ce cas, qui est à blâmer ? Dans une note destinée à l’amiral directeur général de la Guerre sous-marine, l’amiral en charge de l’inspection du personnel militaire de la flotte déclare : « La responsabilité du port de Brest me paraît incontestablement plus engagée que celle du port de Cherbourg. La cargaison du "Barsac" était évidemment précieuse. Elle a été chargée à Brest qui était le port d’expédition du navire. C’est Brest qui devait prendre la décision pour son classement dans une des catégories prévues par la circulaire du 15 août 1917 qui précise que les bâtiments précieux par leurs cargaisons seront groupés en petits convois et toujours solidement escortés. Il n’en a pas été ainsi. À aucun moment le service des patrouilles
de Bretagne [lui-même basé à Brest58] n’a semblé tenir compte de la valeur de la cargaison. L’amiral Schwerer59 dit qu’il l’ignorait et c’est sans doute ce qui l’a conduit à envisager la possibilité d’employer ce bâtiment précieux comme bateau-piège60. » Bateau-piège ! Voici donc l’information manquante – mais capitale – dans cette « affaire pas ordinaire » ! Les autorités portuaires brestoises, par leur mutisme, ont permis au chef des patrouilles de Bretagne de se servir du "Barsac" comme d’un leurre. La tactique du bateau-piège est adoptée dès le début du conflit, puis perfectionnée par les Anglais (Q-ships) et les Français en riposte aux frappes dévastatrices que les U-boote font subir à leurs marines de guerre. Observant que les Allemands, au lieu de torpiller les bateaux de commerce comme ils le font des bâtiments militaires, optent pour l’arraisonnement ou le canonnage – pratique qui leur permet d’économiser munitions et carburant, mais les oblige à faire surface – les Alliés conçoivent de « piéger les sous-marins en
58 « Aux termes de l’arrêté ministériel du 16 mars 1917 : la zone
d’action de la Division de Bretagne s’étend de Bréhat à la pointe de Saint-Gildas ; le chef de division réside à Brest », cf. Historique des patrouilles de Bretagne du 7 avril au 1er septembre 1917, par le lieutenant de vaisseau Ronarch, 1924, consultable sur gallica.bnf.fr. 59 L’amiral Antoine Schwerer (1862-1936) commandait les flottilles de patrouilles de Bretagne chargées de protéger les navires des attaques des sous-marins allemands. 60 Cette note est citée sur le site pages14-18.mesdiscussions.net.
Dès le début de la guerre, la Marine allemande, transgressant le code de l'honneur, lance ses u-boote contre les navires marchands. Le 7 mai 1915, le torpillage du “Lusitania” (peint ici par veskit – www.3dvf.com) provoque la mort de 1 200 personnes. Cet acte de “guerre sale” scandalise l’opinion publique.
Le cargo “Château-Latour” (sister-ship du “Château-Lafite”) en convoi en 1917, par Sandy Hook
les appâtant avec des navires civils61 ». La technique est développée par le médecin et explorateur, Jean-Baptiste Charcot (1867-1936) : à bord du "Meg", tout d’abord, navire octroyé en juillet 1915 par la Navy qui l’a spécialement conçu pour la chasse aux sous-marins, et, en tant que commandant, en 1916, d’un des trois naviresleurres dont il a obtenu la construction par la Marine française. Selon ses plans, le « bateau-piège […] doit être un cargo civil doté de faux sabords et de cheminées potiches. […] Les équipages comportent des civils et un détachement militaire. Il est entendu que les bâtiments continuent à effectuer leurs opérations commerciales avec leur propre équipage. Cependant, dès qu’un sous-marin est signalé, le bâtiment passe sous les ordres de l’enseigne de vaisseau et du détachement militaire embarqué. […] Les navires employés [doivent] avoir une taille et une apparence leur permettant d’attirer l’attention des péri-scopes tout en incitant les sousmariniers à attaquer au canon et non à la torpille. Ainsi, les navires de commerce à vapeur […] qui déplacent entre 1 000 et 5 000 tonneaux sont sélectionnés car ils sont susceptibles de se trouver là où croisent les sousmarins allemands. De plus, ils ne filent qu’à 10 nœuds, ce qui en fait des proies de choix62. »
Excepté les « faux sabords » et les « cheminées potiches », le cargo-type imaginé par Charcot correspond au "Barsac". Les Allemands ne se laissent plus mystifier Malheureusement, dès avant le déclenchement par le Reich de la guerre sous-marine à outrance à la mijanvier 1917, le piège tendu par les bateaux-leurres a cessé de fonctionner. Les Allemands se sont aperçus de la manœuvre et ont changé de tactique. Ils torpillent les navires de commerce comme les bâtiments militaires, sans plus de sommation. De fait, à bord du "Barsac", personne dans les rangs de l’équipage civil ou du détachement militaire n’a vu le UB-80, personne n’a eu le temps de réagir. Tout s’est déroulé en trois minutes. « L’ardeur et le dévouement des officiers de Brest ne sont pas en cause, précise dans sa note l’amiral en charge de l’inspection, mais leur attention et leur jugement. D’une façon générale, il faut éviter les instructions verbales et leurs contradictions avec les instructions écrites. L’esprit des capitaines ne doit pas être troublé et les ordres importants doivent ressortir nettement des textes existants. » Voilà pour l’avenir ! Quant aux ministères impliqués (Transports maritimes et marine marchande, Travaux publics, Guerre…), ils concluent à l'unisson que le naufrage du "Barsac" constitue « un événement très fâcheux ».
61 Article de Jean-Philippe Renault publié le 3 janvier 2017 sous le titre « Sur et sous les flots » sur acierettranchees.wordpress.com.
62 Article de Jean-Philippe Renault, op. cit.
29
et comme importateurs, mais c’est le premier qui nous frappe le plus66. » « C’est une perte irréparable pour notre flotte67 », « une catastrophe […] et nous ne croyons pas nous tromper en disant que c’est nous qui avons été les plus touchés depuis le commencement de la guerre68. » La succursale de Bordeaux est avertie que les importations de charbon devront être réduites aux seuls "Château-Latour", "Château-Palmer" et "Margaux". Elle est également priée de prévenir le groupement des industriels de l’armement n°1569 que la Maison vient de « perdre un de [ses] plus gros vapeurs, qui naviguait régulièrement sur Bordeaux et qui, à chaque voyage, apportait une partie de cargaison destinée [à ce] groupement, que, par conséquent, [ses] importations de charbon à Bordeaux vont diminuer ainsi que les quantités [à] donner dorénavant audit groupement. Pendant le dernier trimestre, rappelle Worms & Cie Paris, nous avions une licence de 15 000 tonnes, dont nous avons livré, au moins, les deux tiers, et nous aurions pu tout livrer si nous n’avions pas eu des avaries à certains de nos vapeurs. Maintenant, […] nous n’allons certainement pas pouvoir livrer audit groupement les 19 000 tonnes pour lesquelles il nous a donné une licence sur le trimestre en cours, à moins qu’il puisse nous faire obtenir, de temps en temps, des bateaux de secours. » Autre sujet de préoccupation : comment acheminer au Havre le solde de la cargaison d’"Amiral Halgan" et quel chargement de retour trouver au trois-mâts ? C’est l’unique thème de la correspondance échangée entre la direction et la succursale de Brest jusqu’à la fin février 1918. Les problèmes sont les mêmes que ceux soulevés en octobre, novembre et décembre 1917 : obtention d’une place à quai, transbordement du nickel dans des wagons ou dans les cales d’un cargo, recherche du matériel approprié…
"Château-Lafite" a été également coulé » Worms & Cie Paris à Worms & Cie Cardiff, 12 janvier 1918 La Maison est avertie du torpillage de son cargo le 12 janvier 1918. Presque simultanément lui est annoncée une deuxième tragédie, la perte du "Château-Lafite". « Nous allions vous téléphoner cet après-midi, écrit la direction à Bordeaux, pour vous apprendre que "Barsac" avait été torpillé hier soir, à 14 milles du Havre, lorsque nous avons reçu votre propre communication au sujet du "Château-Lafite". Nous ne comprenons pas ce qui s’est passé à propos de ce vapeur. Jusqu’à 3 h, on n’avait reçu aucun avis quel qu’il soit, puis, à 3 h 30, on nous a dit avoir enfin des nouvelles d’un sémaphore, prétendant avoir reçu du "ChâteauLafite" avis que notre vapeur se “remplissait” ; ce mot n’existe pas dans le code télégraphique, ce n’est pas non plus par la télégraphie sans fil que ce message a pu passer, mais, en tout état de cause, nous sommes à peu près sûrs qu’il est arrivé un malheur à notre navire ; ces deux sinistres successifs qui nous atteignent nous ont accablés63. » L’information est diffusée à toutes les succursales, dont celle de Cardiff : « "Barsac" a été torpillé hier soir, en face du Havre, malheureusement depuis, nous avons appris que "Château-Lafite" a été également coulé, au sud de Brest [5 milles au nord de Penmarch]. Cela fait en tout 10 navires64 que nous avons perdus depuis la guerre, c’est-à-dire plus de 50 % de notre flotte. » Contrairement à celle du "Barsac", la disparition du "Château-Lafite" n’a pas fait de victimes65. La consternation est totale : « Nous sommes touchés à un double point de vue, comme armateurs
63 Le torpillage du "Château-Lafite" et les circonstances dans les-
quelles la Maison a été informée de ce drame sont décrites dans une lettre au ministre de la Marine marchande du 13 janvier 1918 et dans plusieurs courriers adressés aux succursales du Havre et de Bordeaux dans les jours suivants. 64 À notre connaissance, ce sont en fait neuf navires qui ont été détruits entre le 3 août 1914 et le 12 janvier 1917 : "Emma" le 31 mars 1915, "Léoville" le 19 janvier 1916, "Michel" le 19 mars 1917, "Château-Yquem" le 30 juin 1917, "Saint-Émilion" le 27 juillet 1917, "Sauternes" le 5 août 1917, "Thérèse-et-Marie" le 9 août 1917, "Barsac" le 11 janvier 1918 et "Château-Lafite" le 12 janvier 1918. Deux autres cargos sombreront après coup, "Pontet-Canet" le 25 août 1918 et "Ar-Stereden" le 21 octobre 1918. Ce qui porte à onze le total de naufrages par faits de guerre sur les vingt-quatre cargos Worms qui ont navigué durant les hostilités. 65 Courrier à Worms & Cie Le Havre du 14 janvier 1918. L’équipage du "Château-Lafite" comptait 29 marins : le capitaine et neuf de ses hommes ont été sauvés par le patrouilleur américain "Wanderer" ; sept se sont réfugiés sur le youyou et douze dans la plus grande des deux baleinières, ils ont pu atteindre l’anse de Poulhan (Plozévet, Bretagne).
66 Courrier à Worms & Cie Bordeaux du 14 janvier 1918. 67 Courrier à Worms & Cie Cardiff du 14 janvier 1918. 68 Courrier à Worms & Cie Le Havre du 12 janvier 1918. 69 Voir note n°12, page 10.
30
13 janvier 1918 Ministre de la Marine marchande Hier matin, nous étions avisés par notre Maison de Bordeaux que notre vapeur "ChâteauLafite" avait été attaqué et coulé, le matin même, à 5 milles au nord de Penmarch ; elle l'avait appris du commandant de la Marine à Bordeaux. Ne pouvant obtenir de communication téléphonique avec notre Maison de Brest, pour avoir de plus amples renseignements, nous envoyâmes dans l'après-midi un de nos directeurs à votre ministère, et il lui fut répondu qu'on n'avait aucune nouvelle fâcheuse au sujet de notre vapeur et que l'avis du commandant de la Marine à Bordeaux était certainement le résultat d'une erreur. Par conséquent, à 3 h 40 de l'après-midi, vos services ne savaient encore rien sur ce sinistre. Nous renvoyâmes notre directeur une heure plus tard et à ce moment-là (4 h 30) on lui communique un télégramme qu'un sémaphore avait transmis du capitaine de notre navire signalant qu'à 5 h du matin il se remplissait d'eau, c'est tout ce qu'on savait. A 7 h 30 du soir nous avons fini par obtenir la communication avec notre Maison de Brest, elle nous signala que le capitaine de notre autre vapeur, le "Margaux", qui avec une équipe spéciale à bord, précédait de 300 mètres notre "Château-Lafite", avait entendu à 4 heures du matin 4 coups de canon, était revenu en arrière, mais ni voyant rien par suite de la brume, avait continué son chemin. Il faut croire que le "Château-Lafite" faisait de même puisque ce n'est qu'une heure plus tard qu'il signalait se remplir d'eau. Notre Maison de Brest ajoutait avoir depuis appris que 19 hommes de l'équipage avaient été débarqués à Audierne, mais que le capitaine, avec 5 officiers ou hommes, était resté à bord pour essayer de sauver son bateau. Nous avons compris également qu'on avait envoyé de Brest des patrouilleurs et un remorqueur à la recherche de notre "Château-Lafite". N'ayant toujours rien de vos Services notre Sieur H. Worms, qui n'avait pas quitté son bureau, leur téléphona, hier à 11 heures du soir, pour demander des nouvelles. On lui répéta le télégramme que nous connaissions déjà, à savoir qu'à 5 heures du matin le capitaine du "Château-Lafite" signalait qu'il se remplissait d'eau. Par conséquent on ne savait rien au ministère de la Marine, à ce moment-là, du "ChâteauLafite", attaqué à 20 milles de Brest, 18 heures auparavant, en dehors d'un message du capitaine qui avait mis 12 heures à arriver, et que nous connaissions nous-mêmes depuis le matin. C'est seulement aujourd'hui à 10 heures, que sans autre nouvelle, nous avons appris, en téléphonant à votre ministère que notre vapeur avait été coulé, d'après les informations qu'on avait eues pendant la nuit. Nous en sommes encore à nous demander quelles mesures ont été prises pour essayer de sauver, et notre bateau, et le capitaine qui était resté à bord avec quelques braves pour faire son devoir. Nous n'avons pas pour habitude de nous plaindre, Monsieur le Ministre, mais vous jugerez certainement utile de faire faire une enquête sur cette affaire que nous nous permettrons de qualifier de scandaleuse, et nous vous serons très obligés de bien vouloir nous en communiquer le résultat. Worms & Cie
31
Le 25 janvier 1918, l’acte de délaissement du "Barsac" et celui du "Château-Lafite", dûment signés et certifiés par un commissaire de police, sont envoyés au Havre. Le 20 février 1918, une place à quai dans l’arsenal de Brest est attribuée à "Amiral Halgan". Le solde de sa cargaison est déchargé et réexpédié le 23 février par wagons sur Le Havre tandis que le voilier, lesté de sable, repart vers la Nouvelle-Calédonie.
Un désaccord oppose en effet la Maison à l’État dans le choix de la convention sous laquelle le transport a été effectué et, partant, dans l’estimation de la valeur du navire. Une note sans date71, simplement intitulée "Barsac" expose les données du problème. Quelle convention appliquée : celle du 30 janvier 1917 qui évalue le "Barsac" à 1 800 000 F ou celle du 7 janvier 1918 qui l’apprécie à 4 223 795 F ? « Le "Barsac" ayant péri par risque de guerre, MM. Worms & Cie ont demandé le paiement à l’État de la valeur assurée par la convention du 7 janvier 1918 en vigueur au moment du sinistre. L’État s’y est refusé et M. Bouisson72 donne les raisons de ce refus dans une lettre du 28 mai 1918. En substance, il indique : 1° - Qu’il a été convenu les 16-19 décembre 1917 que le voyage de Brest-Le Havre pour le transport de minerai de nickel serait effectué sous le régime de la convention du 30 janvier 1917. Le voyage était donc accompli en vertu d’accords spéciaux. 2° - Que ce voyage ayant été traité lorsque la convention du 30 janvier 1917 était en vigueur, les modifications apportées ensuite à cette convention ne sauraient atteindre les conditions d’un transport ayant fait l’objet d’un accord spécial et se trouvant en dehors des voyages prévus par la convention qui liait le département de la Marine marchande et MM. Worms & Cie. 3° - La compagnie Le Nickel devait aux termes des accords passés entre l’administration et elle, verser à l’État la prime d’assurance correspondant aux risques de guerre encourus par le "Barsac". Cette prime a été calculée sur une valeur de 1 800 000 F et non sur celle de 4 223 795 F. Il n’est donc pas douteux que toutes les parties en cause étaient d’accord pour la couverture du "Barsac" pendant la durée de ce voyage sur la valeur fixée par la convention du 30 janvier 1917. Pour apprécier la difficulté qui se pose ainsi entre les parties, il faut tout d’abord se rendre compte de ce qu’elles ont voulu faire et de ce qu’elles ont fait en passant les accords des 18-19 décembre 1917.
« Le mieux est d’attendre […] le remboursement de la valeur de notre navire par le Commissariat aux transports maritimes et à la Marine marchande » Worms & Cie Paris à Worms & Cie Le Havre, 28 mai 1918 Reste désormais pour Worms & Cie à obtenir l’indemnisation de la perte du "Barsac" par l’État et pour Le Nickel à se faire rembourser par les assureurs la valeur des 2 300 tonnes de minerai englouties. Le 28 mai 1918, Paris écrit au Havre : « Nous avons le connaissement70 que vous nous adressez, à la cargaison de nickel chargée sur "Barsac". La question que vous nous posez est excessivement délicate, étant donné nos rapports avec la société Le Nickel. Elle l’est d’autant plus que, bien que nous soyons absolument dans notre droit en réclamant le fret en question, il y a eu faute de notre Maison de Brest, car la société Le Nickel lui avait bien demandé de la tenir au courant de tous les mouvements du navire et de correspondre directement avec elle à Paris, ce que la Maison de Brest n’a pas fait ; elle s’est contentée de vous tenir au courant pour que, de votre côté, vous fassiez le nécessaire. La société Le Nickel pourrait donc peut-être prétendre que si elle n’a pas couvert la valeur de la cargaison et du fret, acquis à tout événement, c’est qu’elle ne savait même pas que le "Barsac" chargeait, puisqu’[…]elle n’avait pas reçu de lettres de Brest. En tout cas, nous croyons que le mieux est d’attendre que soit solutionnée une autre question beaucoup plus importante qui est le remboursement de la valeur de notre navire par le Commissariat aux transports maritimes et à la Marine marchande. Si ce règlement est fait, conformément au contrat du 7 janvier 1918, nous croyons qu’alors nous pourrons avoir le beau geste et abandonner toute réclamation auprès du Nickel. »
71 Voir note de Worms & Cie Le Havre classée en mai 1918. 72 Fernand Bouisson est commissaire aux Transports maritimes
– voir notamment le courrier du 21 décembre 1918 adressé par Worms & Cie Bordeaux à Worms & Cie Paris. Il préside le commissariat créé le 30 avril 1918 dont Hypolite Worms est l’un des membres – voir Historique de la Banque Worms par Francis Ley, classé en 1978.
70 Malheureusement introuvable.
32
Il n’est pas tout à fait exact de dire, comme le fait M. Bouisson dans la lettre du 28 mai 1918, qu’il s’agissait d’un transport en dehors des voyages prévus à la convention qui liait les parties. L’article 8 de la convention du 30 janvier 1917 consacrait le droit pour l’État d’utiliser en totalité ou partie les treize navires de la Maison Worms pour des opérations de cabotage entre ports français. En fait, trois navires y étaient affectés, le "Pontet-Canet", le "Haut-Brion" et l’"Hypolite-Worms", mais comme l’indique la lettre du sous-secrétaire d’État en date du 8 décembre 1917, le tonnage de ces trois petits vapeurs ainsi affectés au service du cabotage entre ports intermédiaires “conformément à la convention du 30 janvier 1917”, ne permettait pas de réaliser à bref délai l’opération de transport de minerai projetée. Et ce qui est envisagé c’est le déroutement d’un navire d’un tonnage plus fort, affecté à un des autres services prévus à la convention. C’est ce qui a été accepté par MM. Worms & Cie à qui, en réalité, il n’était demandé rien qui fût en dehors de la convention. Il a été précisé dans la correspondance que ce voyage serait effectué sous le régime de la convention du 30 janvier 1917. Il est hors de discussion que s’il n’avait été rien dit, cette convention n’en eut pas moins dû être nécessairement appliquée au cas de perte du "Barsac", si cette perte s’était produite pendant qu’elle était encore en vigueur. Cette référence à la convention du 30 janvier 1917 ne constitue donc pas des accords spéciaux dans les rapports de l’État et de MM. Worms & Cie, mais bien plutôt la constatation et le rappel du régime qui lie les parties. Ce régime fixe des valeurs d’assurance pour chaque navire et en particulier pour le "Barsac". Les parties s’y réfèrent parce qu’il est en vigueur. Mais ces valeurs sont insuffisantes et les parties vont les réviser. Le 7 janvier 1918, intervient la nouvelle convention qui pour les mêmes voyages que ceux prévus à la convention du 30 janvier 1917, y compris le cabotage entre ports français, fixe des valeurs nouvelles. Le "Barsac" est expressément compris dans cette nouvelle convention et la somme pour laquelle l’État sera responsable en cas de sinistre par risque de guerre, y est portée à 4 223 795 F. La convention stipule comme il a été dit cidessus, qu’elle annule et remplace la convention du 30 janvier 1917 et qu’elle entre immédiatement en vigueur.
Qu’est-ce que cela veut dire ? Au sens littéral des mots la convention du 30 janvier 1917 étant ainsi annulée et remplacée sans aucune restriction ni réserve, cela veut dire que la convention nouvelle doit régir tous les rapports des parties qui étaient auparavant régis par la convention du 30 janvier 1917, qu’ils aient été prévus par cette convention elle-même ou qu’ils résultent de conventions postérieures qui auraient été soumises au régime de cette convention. Ce raisonnement de droit prend une force encore plus grande quand on considère, comme il a été fait cidessus, ce que les parties ont voulu faire le 18-19 décembre 1917, ou quand on constate que même sans la référence à la convention du 30 janvier 1917, cette convention eut été néanmoins certainement applicable au voyage du "Barsac". Le "Barsac" compris dans la convention du 30 janvier 1917 était affecté à des voyages prévus par cette convention entre Bordeaux et Dunkerque et assuré par la même convention pour une valeur de 1 800 000 F. Intervient la convention nouvelle du 7 janvier 1918 qui porte la valeur assurée à 4 223 795 F. Si, lorsqu’il a été torpillé, il était resté affecté aux mêmes voyages, c’est cette somme qui eut été due par l’État. Mais on l’a affecté à une opération de cabotage entre ports français. On a stipulé que cette opération serait soumise à cette convention du 30 janvier 1917. C’était inutile, mais supposons pour un instant que ce soit une extension des cas prévus – le "Barsac" se trouve ainsi assuré pour 1 800 000 F. La convention du 30 janvier 1917 est annulée sans réserves, la valeur assurée du "Barsac" est portée à 4 223 795 F, et s’il vient à périr, il pourrait être prétendu qu’il a été de la commune intention des parties que les armateurs n’aient droit qu’à 1 800 000 F parce que, au lieu de faire le voyage Bordeaux-Dunkerque, il fait le voyage Brest-Le Havre. C’est inadmissible et cette considération qui touche l’intention commune des contractants, c’est-à-dire la bonne foi, confirme encore ce qui résulte des accords et du texte littéral de la convention du 7 janvier 1918. Quant à l’objection tirée de ce que la société Le Nickel s’étant engagée à rembourser à l’État la prime correspondant au risque de guerre, cette prime a été calculée sur une valeur de 1 800 000 F, elle n’ajoute rien à l’argumentation de l’État et serait plutôt de nature à en accuser la faiblesse.
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Le dénouement de ce contentieux n’est pas connu73. Ce qui est avéré en revanche c’est que l’épave n’a pas été renflouée ni sa précieuse cargaison récupérée. Elles sont restées englouties par 40 mètres de fond, et sont devenues l’un des “spots” de plongée sous-marine en baie de Seine jusqu’à ce que la découverte du chargement des 360 obus incite la préfecture à condamner la zone. La neutralisation de ces munitions, le 3 octobre 2014, a levé cette interdiction.
Il était tout naturel que la prime soit décomptée sur une valeur assurée de 1 800 000 F jusqu’au 7 janvier puisque telle était l’importance du risque jusqu’à cette date, mais à partir du 7 janvier, elle devait être décomptée sur la valeur de 4 223 795 F convenue à partir de cette date. L’État en décomptant la prime uniquement sur la valeur de 1 800 000 F dans ses rapports avec la société Le Nickel, qui n’a aucun intérêt à discuter ce mode de calcul, bien au contraire, ne peut se créer ainsi à lui-même un titre au point de vue de l’interprétation de ses conventions avec MM. Worms & Cie, auxquelles la société Le Nickel n’a d’ailleurs pas été partie. Ce serait en réalité résoudre la question par la question et le procédé est trop simpliste pour qu’il soit possible de voir là une raison de décider. Le procès contre l’État, à notre avis, offre de sérieuses chances de succès et doit être tenté. Quant à la compétence, ce serait en principe celle du tribunal civil de la Seine, mais l’État ayant accepté de plaider diverses affaires d’assurances risques de guerre devant la juridiction commerciale à condition qu’elles fussent portées devant le tribunal de commerce de la Seine, j’estime qu’il y aurait lieu de tenter tout d’abord de porter le procès devant cette juridiction plus versée dans les questions d’assurance maritime. Si l’État, à la différence de ce qu’il a fait jusqu’ici, déclinait la compétence, il serait toujours temps d’assigner au civil. »
73 Des recherches à ce sujet ont été menées aux Archives nationales (Caran) dans la série F/14 – cartons 690 à 703 relative aux naufrages et accidents de mer survenus entre 1913 et 1921 : - le carton 690 contient les relevés des naufrages des navires de commerce survenus sur le littoral français de 1918 à 1926, - les cartons 691 à 694 renferment les dossiers nominatifs des unités naufragées ou accidentées de 1911-1913 à 1921-1924, classés alphabétiquement, de A à F, - les cartons suivants n’ont pas été examinés. Ces archives concernent des accidents : échouements, collisions, abordages… autres que les faits de guerre. De fait, on n’y trouve aucune trace du "Barsac" ou de l’un des navires Worms dont la disparition est due à un incident de mer à caractère militaire. Parmi les pistes possibles, s’indiquent : • aux Archives nationales (Caran) - la série AJ/28 : dommages de guerre (1914-1918) (E.G.F., t. II, p. 565 ; inventaire M. Illaire), - la série F/14/15447 à 15470 : relevages d’épaves 1874-1938, • au Service historique de la défense, à Vincennes - la série CC4, navigation commerciale, - la série SS, tous témoignages se rapportant à l’action de la marine durant le premier conflit mondial, et plus spécialement à la carrière des bâtiments de guerre. Voir également les Archives municipales et départementales du Havre et de la préfecture maritime ; les archives du CCAF, à Roubaix (l’inventaire mentionne l’existence de dossiers sur les réquisitions durant la guerre de 1914-1918 et sur la mobilisation de la flotte de commerce) ; les archives du ministère des Finances (dossiers de réparation) ; le Centre de documentation du ministère de la Mer. Des recherches pourraient également être menées dans les chronos de correspondance conservés par la Maison, mais, en l’absence d’une date approximative pour orienter le tri, et compte tenu de la masse de documentation à analyser, ce traitement à l’aveugle risque de prendre beaucoup de temps pour un résultat incertain. En effet, le règlement des sinistres pour faits de guerre s’est étalé sur plusieurs années. Ainsi par exemple, le simple versement de la solde et des indemnités dues aux héritiers du matelot Fégeant n'était pas encore réglé plus de dix ans après sa mort (cf. gallica. bnf.fr : réponse à une pétition de la Chambre des députés du 9 mars 1929).
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Déminage Le 7 octobre 2014, Paris-Normandie fait paraître l’article suivant : « Les plongeurs démineurs du GPD Manche et leur bâtiment base le "Vulcain" ont finalisé un travail important débuté il y a près d’un an et demi. Il s’agissait de neutraliser plusieurs centaines d’obus découverts par des plongeurs amateurs dans l’épave du "Barsac" en baie de Seine annonce la préfecture maritime de la Manche et de la mer du Nord. “Ce cargo à vapeur de 90 mètres de long, torpillé le 11 janvier 1918 par un sousmarin allemand type UB-80, reposait depuis lors par 40 mètres de fond à une douzaine de milles nautiques
à l’ouest du Havre. Il aura fallu un an et demi et de nombreuses plongées pour, d’une part, extraire les obus parfois concrétionnés sans endommager l’épave, puis les détruire à un point de contre-minage défini en lien avec le centre des opérations maritimes à Cherbourg”, indique la Marine nationale. » Quant à l’épave du "Château-Lafite", son identification est pratiquement assurée. Selon l’archéologue subaquatique, Benjamin Pépy, et l’ASEB-plongée, elle reposerait par 75 mètres de fond, au large de Penmarch (Finistère).
Illustration de l’article paru dans Paris-Normandie le 7 octobre 2014
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Conception graphique : FrĂŠdĂŠric Van de Walle et Christian Lebailly
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