Mission d'Hypolite Worms à Londres (novembre 1939-juillet 1940)

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MISSION D’HYPOLITE WORMS À LONDRES

EN TANT QUE CHEF DE LA DÉLÉGATION FRANÇAISE AU COMITÉ EXÉCUTIF PERMANENT FRANCO-ANGLAIS DES TRANSPORTS MARITIMES (NOVEMBRE 1939 – JUILLET 1940)

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MISSION D’HYPOLITE WORMS À LONDRES

EN TANT QUE CHEF DE LA DÉLÉGATION FRANÇAISE AU COMITÉ EXÉCUTIF PERMANENT FRANCO-ANGLAIS DES TRANSPORTS MARITIMES (NOVEMBRE 1939 – JUILLET 1940)

Texte de Christian Lebailly D’après les archives de Worms & Cie © www.wormsetcie.com – novembre 2017 / juin 2022 ISBN 978-2-9199525-1-9



La Mission des transports maritimes et le Comité exécutif permanent franco-anglais des transports maritimes

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Les travaux de la délégation française au Comité exécutif permanent 16 franco-anglais des transports maritimes : résultats obtenus entre le 1er décembre 1939 et le 10 juin 1940, date de la rupture des communications entre Londres et Paris Isolement des représentants français à Londres (10 juin-19 juillet 1940)

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Compte rendu par Hypolite Worms de sa mission aux autorités françaises, à Vichy, le 1er août 1940 : les accords “Worms” du 4 juillet 1940

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Accusations portées contre Hypolite Worms « d’avoir vendu la flotte de commerce française aux Anglais »

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Suites des accords “Worms”

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Le 3 septembre 1939, la Grande-Bretagne et la France, fidèles à leurs engagements envers la Pologne, déclarent la guerre à son envahisseur, l’Allemagne hitlérienne. En novembre, Anatole de Monzie, ministre des Transports, et Alphonse Rio, ministre de la Marine, investissent Hypolite Worms, chef éponyme de la Maison Worms, d’une mission spéciale en Angleterre dans le cadre des accords qu’Arthur Chamberlain et Édouard Daladier ont conclus en vue de coordonner l’effort de guerre de leurs deux pays. Pour ce faire, plusieurs comités exécutifs siégeant à Londres sont créés (aviation, matières premières, ravitaillement, etc.). Ces organismes viennent renforcer l’action des missions, actives dans la City dès le début du conflit. « Il est indispensable d’adopter une méthode qui tende à l’utilisation la plus efficace des ressources dont disposent la France et l’Angleterre. Il importe, notamment, d’acheter, de préférence, les marchandises les plus susceptibles de faciliter à nos ennemis la conduite de la guerre, de prendre ces marchandises sur les marchés les plus accessibles à l’Allemagne, de les faire servir à la satisfaction de nos besoins de guerre, d’éviter entre les deux pays une concurrence qui amènerait une hausse des prix. » Paul Morand, chef en Angleterre de la Mission française de Guerre économique, à Édouard Daladier, président du Conseil, ministre des Affaires étrangères, Londres, le 20 septembre 1939

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La Mission des transports maritimes Prévue dès avant le déclenchement du conflit, la Mission des transports maritimes1 commence à fonctionner auprès de la Direction du commerce britannique, à Londres2, sous la conduite de Pierre de Malglaive, directeur de la Compagnie générale

transatlantique, le 3 septembre 19393 . Elle a pour rôle de pourvoir sur le marché de la City aux besoins de la France en navires nécessaires à ses importations (charbon, pétrole, transport au long cours...). Elle conclut pour ce faire des affrètements au voyage4 et est chargée de l’exécution des accords généraux passés avec les pays neutres, de la prise en charge des navires attribués à la France, de la rédaction et de la signature des chartes-parties, des règlements de frets, etc. Elle s’occupe, en outre, des bateaux français qui viennent charger en Angleterre des cargaisons de charbon pour la France. Rapidement, toutefois, cette organisation, aussi fonctionnelle soit-elle, bute contre un obstacle : les demandes de navires s’avèrent si considérables qu’elles rendent insuffisants les affrètements au voyage, lesquels sont effectués en concurrence avec les services anglais du Ministry of Shipping (ministère de la Marine) et ceux des autres pays importateurs (Belgique, Suisse…).

1 Les archives Worms citées dans cet historique sont signalées dans les notes de bas de page par l’utilisation de la couleur verte et un trait de soulignement (le plus souvent sous la date). Ces documents sont consultables sur le site www.wormsetcie.com – onglet “Archives” – en se reportant au recueil annuel d’informations et/ou au fichier distinct auxquels correspond leur date d’émission. Sont utilisées notamment dans cette partie : une note du 13 août 1940, intitulée « Répartition des attributions entre le Comité franco-anglais des transports maritimes et la Mission des transports maritimes » ; une note non datée, classée en 1940, intitulée « Résumé des travaux de la délégation française au Comité exécutif francoanglais des transports maritimes (1er décembre 193910 juin 1940) » ; une note non datée (sans titre) et classée en 1940 concernant la création, le fonctionnement et la disparition du Comité franco-anglais ; la copie datée du 23 novembre 1939 de l’ordre de service d’Hypolite Worms remis par le ministre de la Marine marchande. 2 Au sujet de la position dominante de la City dans les activités maritimes internationales, voir la note adressée en 1977 par Georges Bertaux à Francis Ley (Banque Worms), au sujet de la création en 1936 de la Société de courtage et d’affrètements pétroliers – Socap, note dans laquelle il indique que « le marché international se trouvait à Londres – au “Baltic Exchange”, [24-28] St Mary Axe – où se tenait une véritable bourse des frets. À cette époque tout courtier européen avait un courtier correspondant à Londres. En effet, tous les armateurs étrangers (notamment les Scandinaves et les Grecs qui détenaient la plus grande partie du tonnage libre) passaient par Londres pour faire leurs offres de navires. »

3 Ce même jour, la Grande-Bretagne, à 11 heures, et la France, à 17 heures, déclarent la guerre à l’Allemagne, remplissant ainsi leurs engagements d’assistance mutuelle envers la Pologne (traité anglo-polonais du 25 août 1939) dont les frontières ont été violées par les troupes germaniques le 1er septembre 1939. Cf. André Kaspi, avec la collaboration de Nicole Piétri et Ralph Schor, La Deuxième Guerre mondiale, chronologie commentée, Bibliothèque numérique Perrin, 1990. Sur le fonctionnement des services économiques français en Angleterre, voir Documents diplomatiques français : 1939 (3 septembre-31 décembre), vol. 1, P.I.E. Peter Lang, 2002, p. 374-382. 4 L’affrètement au voyage se définit comme le contrat par lequel le fréteur loue à un affréteur un navire armé tout en en conservant la gestion nautique et commerciale : le fréteur reçoit dans ce cas la marchandise de l’affréteur à bord de son navire qu’il déplace d’un port à un autre.

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« Les principales difficultés que nous rencontrons, souligne Y. Méric de Bellefon, directeur des Services économiques français de Grande-Bretagne, dans un rapport qu’il adresse le 10 octobre 1939 à M. Corbin, ambassadeur de France à Londres, tiennent à la question des affrètements qui n’est pas encore au point […]. Afin de prendre de meilleures dispositions pour l’utilisation du fret, nos Alliés nous demandent de leur donner un plan général des besoins de la France et de ses colonies, pour deux mois au moins ; ils voudraient, avec raison, ne laisser aucune occasion et pouvoir grouper tous les achats à effectuer d’un même lieu de production, notamment sur le passage des lignes régulières5 . » Autre problème : l’absence de représentants français lors des discussions conduites par les Anglais. « Pour les négociations avec les neutres en général, souligne le délégué de la Marine marchande dans un courrier qu’il

adresse de Londres le 3 novembre 1939 à Alphonse Rio, ministre de la Marine marchande, à Paris, j’estime que le système actuel qui consiste à nous tenir au courant des pourparlers et à nous mettre ensuite en présence d’un projet d’accord est insuffisant. […] Je viens de faire savoir aujourd’hui, très nettement, que nous considérons que la présence de vos représentants à Londres à ces négociations est une forme de la coopération interalliée telle qu’elle est conçue en France et que, si pour une raison que j’ignore, notre présence n’était pas jugée souhaitable à ces entretiens, nous nous considérerions autorisés à engager de notre côté des pourparlers. » L’auteur de ce courrier appuie son propos sur deux projets d’accords de tonnage que le gouvernement britannique est sur le point de signer, l’un avec la Suède (voir page suivante) et l’autre avec la Yougoslavie.

Septembre 1939 - mobilisation générale en France

5 Documents diplomatiques français, op. cit., p. 375.

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Projet d’accord entre le gouvernement royal suédois et le gouvernement de Sa Majesté britannique sur les questions de tonnage 3 novembre 1939 Tout le tonnage suédois qui n’est pas nécessaire pour les importations et exportations normales de Suède trouvera à s’employer sur les trafics de l’Empire britannique et de la France dans toute la mesure du possible. Les exportations suédoises à destination de la Grande-Bretagne et de la France et les importations suédoises de provenance de ces deux pays seront transportées sur des navires suédois si le tonnage disponible et les conditions de guerre le permettent. Sont concernés les pétroliers (1°), les liners (2°) et les tramps 6 (3°). 1° - Tout pétrolier qui ne serait pas nécessaire aux importations en Suède, sera offert aux affréteurs de France. 2° - Les lignes suédoises s’efforceront d’organiser leur service vers la Suède de telle manière que l’espace disponible pour les chargements à destination du Royaume-Uni et de la France ne soit pas inférieur à 75 % de la capacité totale du navire. À la fin de chaque trimestre les lignes suédoises feront connaître les quantités totales des cargaisons transportées pendant ce trimestre vers les pays neutres autres que les ports suédois et l’espace inoccupé sur les navires des lignes régulières qui auront terminé leur voyage au cours dudit trimestre. 3° - Quand un navire suédois n’appartenant pas à une ligne de charge régulière aura terminé un voyage dans un port d’outre-mer ou de la Méditerranée, espagnol ou portugais, le Comité de licences suédois s’assurera avant d’accorder une nouvelle licence, que le navire a été offert aux affréteurs du Royaume-Uni […] à moins qu’il n’ait une cargaison complète à la seule destination de la Suède. Afin de permettre de faire jouer cette disposition, les affrètements au time charter 7 ne devront pas couvrir plus d’un voyage. Le Royaume-Uni s’engage à ne transporter sur les navires suédois affrétés en vertu de cet accord, ni munitions, ni matériel de guerre. Il est projeté que : 1. Les armateurs suédois auront un représentant dans le Royaume-Uni.

2. Ce représentant avisera le Ministry of Shipping chaque fois qu’un navire suédois sera disponible dans un port étranger pour le transport de chargements complets. Cet avis sera donné aussi longtemps que possible avant que le navire puisse commencer son chargement et les affréteurs du Royaume-Uni en auront la disposition pour sept jours au moins. 3. Les navires disponibles pour chargement complet seront affrétés au voyage. Les affréteurs du Royaume-Uni pourront faire charger le navire au port qui leur conviendra, parmi les ports de la région où il se trouve. II est entendu que les affréteurs du Royaume-Uni pourront demander que les chargements soient transportés à des ports de France. 4. Des navires déchargeant des chargements d’outre-mer au Royaume-Uni ou en France (port de l’Atlantique ou de la Manche) continueront normalement leur voyage vers la Suède en prenant, si possible, des cargaisons du RoyaumeUni ou de la France. De plus, les navires déchargeant dans un port français du golfe de Gascogne pourront prendre des chargements à destination du Royaume-Uni, s’il en est offert et si un chargement complet pour la Suède n’est pas immédiatement disponible. Les arrangements à cet effet seront pris entre le représentant en Angleterre des armateurs suédois et le Ministry of Shipping. 5. Les taux de fret seront maintenus à des niveaux raisonnables. Le fret sera payable en sterling. 6. Un accord sera fait entre le Syndicat suédois des assurances de guerre et le Bureau britannique des assurances de guerre pour la réassurance des navires suédois : Ω transportant un chargement complet dans le trafic entre la Suède d’une part, la France et la Grande-Bretagne, d’autre part ; Ω et transportant vers la Grande-Bretagne ou la France […] des chargements occupant un minimum de 75 % de la capacité de chargement du navire ; Ω la valeur de chaque navire n’excédera pas la valeur d’assurance d’avant-guerre de plus de 25 % ; […] Ω le taux des primes de voyage […] sera celui fixé […] par le Ministry of Shipping en accord avec l’Association britannique des risques de guerre, avec une majoration de 5 % par voyage ou 10 % pour 91 jours.

6 Un tramp est un navire qui n’est pas affecté à une route régulière mais qui prend des cargaisons quand et où elles sont offertes et vers n’importe quel port. 7 Voir note 12, page 11.

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Et le Comité exécutif permanent franco-anglais des transports maritimes Le 16 novembre 1939 8 , un accord est conclu entre le président du Conseil français, Édouard Daladier9 , et le Premier ministre britannique, Neville Chamberlain10 , en vue de mettre en commun l’ensemble des ressources des deux pays indispensables à la conduite de la guerre. Dans ce but, les deux gouvernements décident de créer un organisme de coordination franco-anglais. Celui-ci siège à Londres ; il est présidé par Jean Monnet, « agissant en qualité de fonctionnaire allié désigné par les deux gouvernements11 » et comprend un certain nombre de comités exécutifs composés de représentants français et de représentants anglais en nombre égal : Ω Comité exécutif du ravitaillement, Ω Comité exécutif de l’armement et des matières premières, Ω Comité exécutif du pétrole, Ω Comité exécutif de l’aéronautique (production et achat), Ω Comité exécutif de la guerre économique, Ω Comité exécutif des transports maritimes, de tous

le plus important, puisqu’il a pour but de coordonner les besoins en la matière des deux pays, de négocier conjointement les accords de tonnage avec les pays alliés et neutres, et de répartir entre la France et l’Angleterre les volumes ainsi affrétés en time charter12. Chaque ministre responsable est chargé de désigner les représentants français et de faire approuver leur choix par le président du Conseil. « Il est essentiel, souligne une note confidentielle du 13 octobre 1939, que le choix des membres français et anglais soit fait de telle sorte qu’ils aient auprès de leurs ministères toute l’autorité désirable, et que leurs ministres leur confèrent des pouvoirs assez étendus pour que les comités exécutifs puissent prendre les décisions rapides nécessaires. Ceci est de la plus grande importance si l’on veut que les comités exécutifs qui doivent être des organes permanents chargés d’une action et d’une tâche administrative commune puissent fonctionner efficacement13 . » La question du charbon, en raison de « sa nature particulière », est traitée « d’une manière spéciale14 ». Depuis la mi-octobre 1939, elle est prise en charge par la Mission française des charbons et minerais, installée à Londres dans le but de maintenir un approvisionnement régulier de la France.

8 Plusieurs sources datent ces accords du 17 novembre 1939. Voir les Documents diplomatiques français, op. cit., p. 717 ; « L’effort économique de guerre francobritannique », par Roger Auboin, Politique étrangère, n° 1 - 1940, p. 5-12 ; Inventaire des archives de la guerre. Série N 1920-40, p. 337, sur https://vdoc.pub, etc. La date du 16 novembre 1939 est indiquée dans la note intitulée « Résumé des travaux de la délégation française au Comité exécutif franco-anglais des transports maritimes (1er décembre 1939-10 juin 1940) », raison pour laquelle nous l’avons conservée. 9 Nommé à la présidence du Conseil à la suite de la démission de Léon Blum (7-8 avril 1938), Édouard Daladier (1884-1970) exercera cette fonction jusqu’au 18 mai 1940, cf. notes 42 et 44. 10 Premier ministre de Grande-Bretagne depuis le 28 mai 1937, Sir Arthur Neville Chamberlain (1869-1940) sera remplacé à ce poste par Winston Churchill le 10 mai 1940. 11 « L’effort économique de guerre franco-britannique », op. cit., p. 7. Sur l’activité de Jean Monnet (1888-1979) à la tête du Comité de coordination économique, voir Luc-André Brunet, « Jean Monnet et l’organisation des économies alliées pour la guerre (1939-1940) », 2018, sur https://oro.open.ac.uk.

12 Ce terme désigne un affrètement à temps, lequel se différencie de l’affrètement au voyage qui est établi au cas par cas. Le fréteur met à la disposition de l’affréteur un navire armé, équipé et doté d’un équipage complet pour un temps défini par la charte-partie, cela en contrepartie d’un fret, autrement dit d’un prix de location du bâtiment. L’affréteur assure la gestion commerciale tandis que le fréteur conserve la gestion nautique. 13 Note du 13 octobre 1939 intitulée « Mécanisme pour coordonner l’effort de guerre franco-britannique en matière économique » et citée dans les Documents diplomatiques français, op. cit., p. 403-405. 14 Cf. Documents diplomatiques français, op. cit., p. 404, et  https://www.siv.archives-nationales.culture.gouv.fr/ siv/IR/FRAN_IR_000245.

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liers (Société française de transports pétroliers18), agent maritime de son groupe armatorial et de nombreuses compagnies de navigation en France et en Europe, constructeur de navires (Ateliers et Chantiers de la Seine-Maritime19), négociant en charbons anglais ; il a élargi les activités de sa Maison aux Services bancaires en 1928, Ω les liens qu’il a noués avec Anatole de Monzie depuis la Première Guerre mondiale20 , Ω son autorité : il est trésorier du Comité central des armateurs de France, Ω sa réputation et ses relations dans les milieux maritimes français et internationaux, Ω ses attaches familiales avec l’Angleterre : son épouse, Gladys Mary Lewis-Morgan est née à Cardiff (port dont son père fut le Lord Mayor) et, sa fille, Marguerite Viviane, vit à Londres avec son premier mari, Robert W. K. Clive, sujet de la Couronne britannique, apparenté à Lord Robert Clive of India (1725-1774) et fils de Sir Robert Henry Clive (1877-1948), diplomate. Le rôle du Comité est principalement d’assurer la liaison entre la Marine marchande et le Ministry of Shipping, d’étudier avec les Britanniques la mise en commun des besoins d’importation des deux pays et leur transport, d’obtenir, par conséquent, du gouvernement anglais les secours de bateaux qui sont indispensables à la France, de négocier les accords relatifs à l’affrètement en time charter des bateaux alliés et neutres afin que les besoins anglais et français soient servis en égale proportion, de s’entendre sur les programmes de construction de navires et sur la répartition entre la France et l’Angleterre des tonnages nouveaux ainsi obtenus, et, généralement, d’organiser le transport des approvisionnements

Nomination d’Hypolite Worms le 23 novembre 1939 Anatole de Monzie15 , ministre des Transports et des Travaux publics, et Alphonse Rio16, ministre de la Marine marchande, désignent, le 23 novembre 1939, Hypolite Worms, en tant que chef de la délégation française au Comité exécutif permanent franco-anglais des transports maritimes. La nomination d’Hypolite Worms (1889-1962) se fonde sur : Ω ses compétences en matière maritime, financière et commerciale : il est armateur au cabotage (flotte Worms), armateur au long cours (Nouvelle Compagnie havraise péninsulaire17), président d’une flotte de pétro-

15 Nommé plusieurs fois ministre depuis 1913, à la tête notamment des Finances et de l’Éducation nationale, Anatole de Monzie (1876-1947) a été ministre des Travaux publics du 29 octobre 1925 au 23 juin 1926, et a retrouvé ce portefeuille le 23 août 1938. 16 Navigateur de commerce au long cours, nommé ministre de la Marine marchande le 13 septembre 1939, Alphonse Rio (1873-1949) occupera ce poste jusqu’au 16 juin 1940. 17 Ébranlée à partir de 1928 par les effets cumulés de la chute des frets, d’un surcroît de commandes de navires (deux cargos furent mis en construction pour son compte en 1926 par les Chantiers du Trait) et de la perte de plusieurs unités, la Compagnie havraise péninsulaire de navigation à vapeur – CHP, fondée par Eugène Grosos en 1882, se trouva confrontée à de graves problèmes de trésorerie. Pour éteindre les risques de disparition de cet armement qui confortait la présence de la France dans l’océan Indien notamment (Maurice, Réunion, Madagascar), l’État demanda à Worms & Cie de se porter au secours de la compagnie : le 1er juin 1930, une société fermière dite Société d’exploitation de la compagnie havraise péninsulaire de navigation à vapeur – Sechap, fut créée sous l’égide de la Maison Worms ; elle reprit en location les installations et la flotte dont elle assura l’exploitation jusqu’en janvier 1934, date à laquelle lui fut apportée la totalité de l’actif de la Havraise – son capital fut alors augmenté et sa raison sociale changée en Nouvelle Compagnie havraise péninsulaire – Nochap. Hypolite Worms en devint le premier président. En 1940, celui-ci entrera au conseil d’une autre société maritime, la Compagnie nantaise des chargeurs de l’Ouest – CNCO, produit de la fusion en janvier 1939 entre la Compagnie nantaise de navigation à vapeur – dont la Maison Worms se rapprocha durant l’Entredeux-guerres, et les Chargeurs de l’Ouest.

18 La SFTP a été créée le 19 septembre 1938 selon un modèle conçu par les Services bancaires Worms & Cie, qui associe dans l’actionnariat de la Compagnie la puissance publique (Office national des combustibles liquides) et l’initiative privée (Worms, Dreyfus, Desmarais, Compagnie navale des pétroles, Compagnie auxiliaire de navigation et Saint-Gobain). Toujours dans le secteur pétrolier, la Maison Worms a créé la Socap (voir note 2)et apporté son soutien financier à la Société de transports maritimes pétroliers – STMP. 19 Voir 50 ans de construction navale en bord de Seine - les ACSM et leur cité-jardin (1917- 1972), Christian Lebailly et Mathieu Bidaux, 2021. 20 Voir le discours d’Hypolite Worms du 5 novembre 1938.

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Les docks de Londres en 1939. Après une période d’atonie en septembre-octobre pendant laquelle il n’y eut pratiquement aucune marchandise à charger sur les cargos, Hypolite Worms écrit à Joseph Denis, secrétaire général de la Maison Worms : « Depuis que j’ai quitté Paris [à la fin novembre 1939], la situation s’est complètement retournée : il n’y a plus assez de bateaux français sur le cabotage national »

nécessaires à la France et à l’Angleterre sur une base commune. Outre Hypolite Worms, la délégation française comprend Henri Cangardel21, délégué, Raymond Meynial et Robert Labbé, tous deux secrétaires22.

La délégation anglaise est formée par Sir Cyril Hurcomb, sous-secrétaire d’État permanent du Ministry of Shipping, qui préside le Comité exécutif ; Sir John Niven, directeur de la division des services commerciaux ; T. G. Jenkins et Sir Julian Foley, secrétaires au Ministry. La délégation française au Comité exécutif permanent franco-anglais des transports maritimes ne se substitue pas à la Mission des transports maritimes23 – les deux instances travaillent de concert. La Mission conserve sa fonction d’affréteur au voyage et, en tant que représentant du ministère de la Marine marchande à Londres, règle toutes les questions de chartesparties, de paiement du fret, d’assurance ; en un mot, est chargée de la réalisation matérielle des accords passés par le Comité exécutif.

21 Directeur de la Compagnie générale transatlantique, Henri Cangardel (1881-1971) en assumera la présidence entre 1940 et 1944. Au moment où il devient membre de la délégation française il est également directeur de la Mission des transports maritimes, poste auquel il a succédé à M. de Malglaive. 22 Petit-fils d’Henri Goudchaux qui dirigea la Maison Worms de 1893 à 1916, Robert Labbé (1907-1974) est entré chez Worms & Cie en mai 1938 en tant que fondé de pouvoirs. C’est également cette fonction qu’occupe Raymond Meynial (1902-1996) au sein des Services bancaires depuis son arrivée dans la Maison en octobre 1932. Dans une lettre adressée à Joseph Denis, secrétaire général de Worms & Cie, le 6 décembre 1939, Robert Labbé indique que M. Gauthier est chargé des services financiers de la Mission.

23 La Mission des transports maritimes restera active jusqu’en novembre 1942.

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quelques jours plus tôt (le 3 novembre 1939). Son adresse en Angleterre : Berkeley Square House, London, W1, est effectivement celle du ministère26. Robert Labbé et Raymond Meynial sont domiciliés au 3, Grosvenor Square, London W127. La délégation française a pour objectif d’obtenir de l’Angleterre le maximum de tonnage de navires, soit par la rétrocession à la France de bâtiments anglais, soit par la mise à disposition d’une partie la plus importante possible des flottes neutres et alliées avec lesquelles des accords de durée sont à conclure.

Installation à Londres de la délégation française le 29 novembre 1939 Hypolite Worms arrive à Londres le 29 novembre 1939 avec ses collaborateurs24 ; il est porteur de l’ordre de mission suivant : M. Hypolite Worms est chargé d’une mission spéciale en Angleterre. Il est désigné comme chef de la délégation française à l’exécutif franco-anglais des Transports maritimes, et sera, dans ses fonctions, assisté de M. Cangardel, chef de la Mission des transports maritimes à Londres. En cette qualité, il sera plus particulièrement chargé des négociations avec les représentants anglais et des arrangements qui devront être étudiés par l’exécutif des Transports maritimes conformément au programme qui lui sera transmis par Messieurs Daladier et Chamberlain. M. Hypolite Worms, assisté de M. Cangardel, sera chargé de représenter la France dans toutes les négociations interalliées relatives à l’achat et à l’affrètement des bateaux neutres. Ils se tiendront en rapport, à cet égard, avec le représentant français à l’exécutif de la Guerre économique 25 et le tiendront informé. Le ministre de la Marine marchande, Rio Pour être mieux à même de suivre les négociations et être en liaison permanente avec les services du Ministry of Shipping, Hypolite Worms, d’accord avec le ministre de la Marine marchande, demande à s’installer dans l’immeuble où le Ministry of Shipping a emménagé

24 Une note adressée à Joseph Denis le 15 avril 1940 demande le renouvellement du visa diplomatique sur le passeport de Madame Worms qui rejoint son mari en mission officielle à Londres. 25 S’agit-il du Comité exécutif permanent franco-anglais ou de la Mission française de la guerre économique ? Le chef de cette dernière est Paul Morand (1888-1976), diplomate et écrivain, qui a été nommé à cette fonction fin août-début septembre 1939. Voir dans Documents diplomatiques français, op. cit., p. 91, une lettre du 13 septembre 1939 par laquelle Paul Morand informe Georges Bonnet, ministre des Affaires étrangères, qu’il a présenté les membres de sa Mission au nouveau ministre anglais de l’Économie de guerre, Sir Ronald Hibbert Cross.

26 Cf. lettre de Robert Labbé à Joseph Denis, secrétaire général de Worms & Cie, en date du 10 janvier 1940. 27 Cf. lettre de Robert Labbé à Joseph Denis, en date du 6 décembre 1939.

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Les travaux de la délégation française au Comité exécutif permanent franco-anglais des transports maritimes : résultats obtenus entre le 1er décembre 1939 et le 10 juin 1940, date de la rupture des communications entre Londres et Paris avec la Norvège29 pour l’affrètement ; ses premières applications françaises », voir page 17. À l’occasion des modifications du contrat prévues six mois plus tard (en mai 1940), Hypolite Worms s’efforcera d’obtenir qu’un certain nombre de navires pétroliers soit directement attribué à la France30.

Accord de tonnage avec les Norvégiens Alors qu’avant la création du Comité, l’Angleterre négociait seule pour compte commun les contrats de durée avec les armateurs étrangers, Hypolite Worms, dès sa prise de fonction, obtient du Ministry of Shipping que, dorénavant, aucun contrat ne sera établi sans que la délégation française ait participé aux pourparlers. Plus tard, il sera admis, en outre, que tous les accords de tonnage seront signés conjointement par les représentants des deux pays. En fait, jusqu’alors, un seul accord28 a été passé par le gouvernement anglais. Conclu avec les armateurs norvégiens, il porte sur 250 mille tonnes de cargos et 150 pétroliers de 10 mille tonnes, en moyenne. Comme la France n’a pas participé directement à cet accord et ne peut par conséquent recevoir d’attributions directes, la délégation française se borne à exiger chaque mois de l’Angleterre, au voyage, le tonnage nécessaire à ses importations de pétrole, tonnage qui d’ailleurs lui est toujours accordé. Cet accord a fait l’objet d’un article paru dans le Bulletin quotidien de la société d’études et d’informations économiques le 17 janvier 1940 et intitulé « L’accord des Alliés

Reprise des négociations avec les armateurs grecs Le Ministry of Shipping avait également tenté de conclure un accord avec les armateurs grecs31 de Londres, mais les pourparlers avaient échoué. Ayant fait valoir les liens personnels qu’il a noués avec certains d’entre eux, Hypolite Worms obtient de Sir Cyril Hurcomb les pleins pouvoirs pour négocier seul pour compte commun avec lesdits armateurs. Après quelques semaines de discussion, un accord est signé conjointement par les représentants des deux gouvernements alliés. Cette entente garantit à la France et à l’Angleterre pour la durée de la guerre 500 mille tonnes de navires long-courriers à des conditions extrêmement avantageuses, car les risques

29 S’appuyant sur différents comptes rendus publiés par le Journal of Commerce, de janvier et février 1940, le Bulletin quotidien de la société d’études et d’informations économiques consacre, les 27-28 février 1940, un nouvel article à l’armement norvégien et plus particulièrement aux effets de la guerre sur l’emploi de sa flotte pétrolière et de tramps (voir notes 6 et 32). En préambule, il est rappelé que « l’armement norvégien – sans parler de l’importance particulière que les péripéties de la guerre donnent à tout ce qui touche les pays du Nord – se place au quatrième rang dans le monde, après la Grande-Bretagne, les États-Unis et le Japon, avec 4 834 000 tonnes brutes sur 68 500 000 tonnes ». 30 Voir page 20 sur les importations de pétrole. 31 La question de l’affrètement des bateaux grecs, et notamment de ceux employés pour « aider le trafic de Madagascar », est évoquée dans deux notes, l’une adressée à Hypolite Worms le 1er mars 1940 et l’autre à Robert Labbé, le 19 avril 1940.

28 Une note adressée le 3 novembre 1939 par le délégué du ministère de la Marine marchande à son ministère, dont copie a été transmise à Hypolite Worms par le commandant Le Terrier, fait état d’un projet d’accord de tonnage entre les gouvernements suédois et britannique et des conditions d’un accord anglo-yougoslave pour l’affrètement de dix navires. Appelé le 1er septembre 1939 à la Direction de la flotte charbonnière au ministère de la Marine marchande, le commandant Le Terrier est notamment cité dans une lettre envoyée le 12 décembre 1939 par Joseph Denis à Robert Labbé concernant la transmission du courrier entre Londres et la France.

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L’accord des Alliés avec la Norvège pour l’affrètement ; ses premières applications françaises On rend publiques actuellement les dispositions essentielles de l’accord intervenu le 11 novembre 1939 entre le gouvernement britannique et l’Association des armateurs norvégiens, accord qui met à la disposition des Alliés un tonnage considérable de pétroliers et de navires de tramping32. Bien que cet accord ait été négocié par la seule Grande-Bretagne, notre pays participe d’ores et déjà à son application par l’entremise de la Mission française des transports maritimes à Londres.

c. Et 10 000 couronnes norvégiennes au maximum pour mort ou blessure d’un membre de l’équipage par suite du fait de guerre. d. En cas d’immobilisation due à des difficultés avec l’équipage ou à un retard de ravitaillement, l’affréteur paiera le plein taux de fret pendant 72 heures ; passé ce délai et jusqu’à la remise en service, la location ne sera plus due que s’il s’agit de difficultés avec l’équipage (qui, naturellement, est l’équipage de l’armateur norvégien), en ce cas les affréteurs paieront demi-location pendant 7 jours, la location ne cessant qu’après ce nouveau délai. Si lourdes que puissent nous paraître certaines de ses clauses, cet accord témoigne indirectement de l’indépendance norvégienne en dépit de la pression allemande.

A. L’accord 1°) Les armateurs norvégiens se sont engagés à mettre à la disposition des Alliés environ 150 pétroliers d’au moins 8 000 TDW 33, à mesure que ceux-ci deviendront disponibles, dont au moins 50 % “propres”. On prévoyait que vraisemblablement 200 000 tonnes seraient libérées avant le 31 décembre et 250 000 tonnes durant les deux premiers mois de 1940. Quant aux tramps, les Norvégiens en mettront le plus grand nombre possible, et dès libération, à la disposition des Alliés. On évalue à près de 450 000 tonnes brutes ceux qui, déjà affrétés par les Alliés, resteront à leur disposition ; il faut ajouter 140 000 tonnes brutes libérables avant le 31 mars, aux États-Unis ; et 240 000 tonnes, qui seront libres plus tard. 2°) L’accord fixe les taux d’affrètement pour les diverses catégories et selon les tonnages. Ils sont payables en sterling. 3°) Les charges incombant aux affréteurs sont les suivantes : a. Les assurances contre les risques de guerre (qui parfois dépassent le montant du fret) doivent être contractées auprès du Club norvégien d’assurances de guerre d’après la valeur du navire, l’armateur remettant à l’affréteur tout “profit” distribué par le Club. L’accord n’impose aucune interdiction de naviguer en zone dangereuse. b. Les affréteurs doivent payer aux équipages les “bonus” de guerre.

B. Premières applications françaises La Mission française des transports maritimes a déjà pris, indiquait le 11 janvier le Journal de la marine marchande, de 25 à 30 tramps norvégiens en time charter. Il s’agit surtout de petites unités qui seront utilisées pour le trafic charbonnier, et permettront d’assurer le transport de 75 000 à 80 000 tonnes par mois, principalement vers les petits ports français. Pour le tonnage pétrolier, la mise en train de l’accord est plus lente. Bulletin quotidien de la société d’études et d’informations économiques, 17 janvier 1940

32 Tramping : mode d’exploitation d’un navire consistant à l’utiliser sans itinéraire fixe. Activité d’un armateur qui place systématiquement son navire sur le marché des affrètements. 33 TDW, équivalent en français de TPL, tonnes de port en lourd, abréviation utilisée pour indiquer le chargement maximal qu’un navire peut porter.

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de guerre encourus par cette flotte sont couverts par le Comité britannique des assurances, et de fait, les primes à la charge des deux gouvernements sont infiniment plus réduites que celles de l’accord norvégien, dont, par contrat, les risques sont couverts par le Club norvégien. Cet accord grec fonctionnera parfaitement pendant le premier semestre 1940, et, dans la répartition de tonnage, la France recevra au moins la moitié de la totalité des navires.

fait à Londres fin janvier 194035. Le 30 janvier, à l’issue de son séjour, Alphonse Rio écrit à Hypolite Worms : Mon cher Monsieur Worms, Je tiens, dès mon retour à Paris, à vous exprimer toute ma satisfaction des résultats obtenus au cours de nos conversations à Londres avec Sir John Gilmour 36 et ses collaborateurs du Ministry of Shipping et à vous féliciter de l’habileté et de l’intelligente activité dont vous avez fait preuve dans la prépa-ration et la conduite des négociations qui ont abouti à un accord sur presque tous les points, avec mon collègue britannique. Je savais, en vous demandant de vous rendre à Londres, combien la mission que je vous confiais était délicate. Je savais aussi qu’en faisant appel à vos éminentes qualités, le succès était assuré. Les récents événements justifient pleinement le choix que j’avais fait et sanctionnent la décision que j’avais prise. En contribuant d’une façon aussi heureuse et aussi active à une politique de collaboration intime du gouvernement britannique et du gouvernement français dans l’utilisation de leurs flottes marchandes, vous avez rendu un immense service au pays. Veuillez recevoir, mon cher Monsieur Worms, l’assurance de mes sentiments bien cordialement dévoués. A. Rio

Achats de navires à l’étranger Dès le commencement de sa mission, Hypolite Worms demande au gouvernement anglais que les achats soient coordonnés afin d’éviter la surenchère et il est décidé que les commandes aux États-Unis seront effectuées en commun et seront réparties ensuite équitablement entre les deux pays. Mise en commun des programmes de construction Hypolite Worms, après avoir obtenu l’accord du ministre français de la Marine marchande, prend l’initiative de réclamer au gouvernement anglais la mise en application du principe de mise en commun des moyens de production pour les constructions navales34. Le Conseil des ministres britannique accepte cette suggestion et le gouvernement français donne son accord qui est confirmé par Alphonse Rio, au cours d’un voyage qu’il

Les modalités de l’accord sur la mise en commun des programmes de construction sont étudiées pendant de longues semaines et la formule qui est adoptée est basée sur le principe du maintien de l’importance respective des flottes britannique et française à la date du 3 septembre 1939, en tenant compte des pertes subies et des acquisitions faites après cette date. Il est en outre décidé que le prix appliqué à la France sera exactement le même que celui facturé par les chantiers anglais au gouvernement britannique.

34 Une note de la direction générale des Ateliers et Chantiers de la Seine-Maritime, signée par Henri Nitot, fait état d’un dossier (malheureusement introuvable) transmis à Hypolite Worms, le 20 décembre 1939 et comprenant des courriers et circulaires émanant du ministère de la Marine marchande, de la Chambre syndicale des constructeurs de navires et du Comité central des armateurs de France sur un programme de construction de navires de commerce. Une note adressée par Henri Nitot à Hypolite Worms, le 6 février 1940, stipule : « La réalisation du programme de construction de navires de commerce envisagé par le ministère de la Marine marchande va se heurter à de nombreuses difficultés, non seulement pour l’approvisionnement des matériaux métallurgiques (le carnet de commandes du Comptoir sidérurgique atteint actuellement 3 ou 4 fois la capacité de production), mais encore pour l’approvisionnement des appareils auxiliaires. Il y a donc lieu de rechercher immédiatement quel concours nous pouvons trouver en Grande-Bretagne pour la construction de ces appareils... »

35 La visite d’Alphonse Rio à Londres a été précédée par celle de Raoul Dautry, ministre de l’Armement, en l’honneur de qui Charles Corbin, ambassadeur de France en Grande-Bretagne, donne un déjeuner auquel participent notamment Winston Churchill et Hypolite Worms (cf. le quotidien Excelsior du 20 janvier 1940). 36 Ministre de la Marine marchande britannique depuis le 13 octobre 1939, Sir John Gilmour décède le 30 mars 1940. Le 4 avril 1940 Robert Hudson lui succède ; il sera remplacé par Ronald Cross le 14 mai 1940 jusqu’au 1er mai 1941.

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préparé chaque mois un état des unités devant charger le mois suivant, de manière à permettre l’enlèvement régulier des qualités de charbon les plus nécessaires à la France. C’est ainsi que les importations françaises de houille vont passer d’environ 500 mille tonnes en novembre 1939 à : Ω 700 mille tonnes en décembre, Ω 800 mille tonnes en janvier-février 1940, Ω 900 mille tonnes en mars, Ω 1 million de tonnes en avril, Ω 1,3 million de tonnes en mai. À la demande du gouvernement français, un effort important sera réalisé en juin 1940 et 2 millions de tonnes auraient probablement été importées ce mois-ci (mais la signature de l’armistice par la France le 22 juin 1940 allait totalement changer la donne) pour arriver dans le courant juillet à une importation mensuelle de 2 millions à 2,5 millions tonnes, chiffre jugé suffisant par le ministère des Travaux publics. La participation du pavillon britanique (Union Jack) à ces transports qui, de 200 mille tonnes en novembre, atteindra 800 mille tonnes en mai, devait largement dépasser 1 million de tonnes en juin. Organe de liaison La délégation française sert également de liaison entre le ministère de la Marine marchande et le Ministry of Shipping, plus particulièrement pendant les premiers mois, afin d’obtenir des secours urgents de navires, qu’il s’agisse de cargos destinés au transport d’avions et de camions des États-Unis ou de paquebots dédiés au transport des troupes coloniales vers la métropole.

D’après les calculs effectués, cet accord doit donner à la France un tonnage annuel de navires neufs variant de 100 mille à 150 mille tonnes. Les événements de juin37 vont empêcher la signature effective de cet accord dont toutes les modalités seront réglées.

Contrats d’affrètement avec les armements nord européens En plus de l’accord gréco-anglais, des contrats sont conclus : Ω avec les armateurs suédois, qui mettent à la disposition des Alliés tous ceux de leurs navires qui ne sont pas nécessaires à l’approvisionnement de leur pays, Ω avec les Danois, qui garantissent d’offrir sur le marché des frets de Londres les navires dont ils n’ont pas

Politique d’importation des charbons anglais L’une des tâches les plus urgentes et les plus délicates du Comité exécutif des transports maritimes consiste à organiser les livraisons de charbon de l’Angleterre à la France, lesquelles restent en dehors des accords de tonnage. À la suite de laborieuses négociations, Hypolite Worms obtient que le nombre des navires anglais mis à la disposition de la France pour le transport du charbon soit considérablement accru et que soit, en outre,

37 Cf. notes 44, 46 et 47.

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11 mai 1940 - Traversée de Valenciennes par un régiment français en route vers la Belgique et les Pays-Bas (source : www.cheminsdememoire.gouv.fr © Photographe SCA/ECPAD/Défense)

besoin pour les importations de leur royaume, ce qui, le jour de l’invasion du Danemark (9 avril 194038), permet à la France et à l’Angleterre de saisir nombre de bateaux danois39, Ω avec les armateurs norvégiens, qui, lors de la conquête de leur pays par l’Allemagne (9 avril-8 juin 194040), remettent aux alliés la presque intégralité de leur flotte, exception faite des cargos servant aux lignes régulières exploitées hors d’Europe,

Ω avec les Hollandais, qui, dès l’invasion de leur territoire (10-16 mai 194041), adoptent les mêmes mesures que les Norvégiens. Importations de pétrole Ainsi qu’il est indiqué plus haut, l’accord norvégien du 11 novembre 1939 ayant été signé par l’Angleterre seule, celle-ci assure chaque mois les besoins de la France par des attributions au voyage. Mais, en mai 1940, au moment de la révision de l’accord, il est entendu qu’un certain nombre de navires norvégiens sera rétrocédé à la France, en time charter, dans les limites des besoins que la flotte pétrolière française ne peut satisfaire.

38 En dépit d’une déclaration de neutralité et de la conclusion d’un traité de non agression avec l’Allemagne, le Danemark est envahi le 9 avril 1940, au cours de l’opération “Weserübung”. Christian X et son gouvernement donnent l’ordre à l’armée de ne pas opposer de résistance. 39 Dans une note du 6 mai 1940 intitulée « Extrait de la communication téléphonique de M. Worms du 5 », sont précisés les tonnages danois et norvégiens attribués à la France, en distinguant les jauges brutes supérieures à 1 500 tonneaux et celles inférieures à cette capacité. 40 Afin de soustraire le port de Narvik et “la route du fer” aux Allemands qui menacent de mettre pied en Norvège, les Alliés préparent en janvier 1940 une intervention militaire dans ce pays sous prétexte d’aider la Finlande que l’Union soviétique vient d’attaquer. Le 27 mars 1940, Hitler décide une contre-offensive qu’il lance le 9 avril. En deux jours, les Allemands s’emparent de la plupart des ports norvégiens. Le 7 juin 1940, le roi Haakon VII et son gouvernement s’exilent à Londres. Entre le 3 et le 8 juin, les Alliés tentent de résister, puis reprennent la mer pour se concentrer sur les opérations en France. Les Allemands se maintiendront en Norvège et détiendront jusqu’à la fin de la guerre une position capitale en Scandinavie. Cf. André Kaspi, La Deuxième Guerre mondiale, op. cit., p. 65-66 et 68.

41 Le 10 mai 1940 (date à laquelle Winston Churchill succède à Neville Chamberlain), l’Allemagne, pour contourner la ligne Maginot, envahit les Pays-Bas dont elle viole la neutralité. La bataille de Hollande ne dure qu’une semaine. Un commando aéroporté atterrit à La Haye dans le but de capturer la famille royale le 12 mai, mais la princesse Juliana et le prince Bernhard embarquent à bord d’un contre-torpilleur britannique à destination de la Grande-Bretagne où la reine Wilhelmine les rejoint et constitue à Londres un gouvernement en exil. Le 14 mai, les Allemands lancent un ultimatum exigeant la reddition du port de Rotterdam, faute de quoi la ville sera bombardée. Mais, alors que des négociations sont en cours à la suite d’un second ultimatum, les bombardiers de la Luftwaffe, déjà envoyés, ne sont pas rappelés et la ville est détruite. Le 16 mai, au matin, le général Winkelman, commandant de l’armée hollandaise, signe l’acte de capitulation. Les combats se poursuivent quelques jours en Zélande, jusqu’au bombardement de Middelburg. Cf. André Kaspi, La Deuxième Guerre mondiale, op. cit., p. 67-68.

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C’est ainsi que, pour commencer, une dizaine de navires pétroliers est attribuée à la France. Affrètements complémentaires Parallèlement, Hypolite Worms négocie la mise à la disposition de la France d’un certain nombre de navires anglais. Ainsi amène-t-il le Ministry of Shipping à se charger de l’importation dans l’Hexagone de la plus grande partie des marchandises en provenance des Indes, de l’Afrique du Sud et de l’Australie ; ce qui représente environ 1 million de tonnes par an et nécessite de la part de la Grande-Bretagne un effort de plus de 400 mille tonnes de navires, et ce, aux mêmes taux de fret que ceux que le gouvernement britannique applique aux besoins de ses propres départements ministériels. Le 14 mai42, Anatole de Monzie, ministre des Travaux publics, adresse à Hypolite Worms le courrier suivant : Mon cher ami, Je vous […] félicite des résultats par vous obtenus. Si le rythme escompté s’établit, nous pourrons nous en tirer. De toutes manières, nous voilà, grâce à vous, sortis de la période d’incertitudes. Vous avez accompli ce pour quoi Rio et moi vous avions demandé si instamment d’être notre auxiliaire. Tout cordialement vôtre, De Monzie

42 À partir du 10 mai 1940, date du déclenchement par les Allemands de la bataille des Ardennes, la situation militaire en France se dégrade rapidement : prise de Sedan (13 mai) et de Dinant (14 mai). Cette percée ouvre la voie à de vastes opérations ennemies dans l’arrièrepays. Le 17 mai, une ordonnance du Reich annonce le rattachement du franc au mark. Le 18, Paul Reynaud – ancien ministre des Finances d’Édouard Daladier qui lui a cédé en mars la direction du gouvernement alors que lui-même a pris le ministère de la Guerre – procède à un remaniement ministériel ; il prend le portefeuille de la Défense à Édouard Daladier qu’il maintient à celui des Affaires étrangères. Le maréchal Pétain entre au gouvernement comme vice-président du Conseil. Georges Mandel passe du ministère des Colonies à celui de l’Intérieur. Maurice Gamelin est remplacé à la tête des armées par le général Maxime Weygand. Le 20 mai les Allemands promulguent pour le territoire français qu’ils occupent une ordonnance selon laquelle « toutes les entreprises de métier et d’industrie, d’alimentation et d’agriculture, d’économie forestière et de bois doivent continuer à travailler pourvu que des raisons de force majeure n’exigent pas d’autres décisions ».

Répartition du tonnage Une fois les accords d’affrètement conclus, la tâche principale qui incombe à la délégation française est de répartir équitablement entre la France et la GrandeBretagne la totalité du tonnage mis à la disposition des deux Alliées. Des études statistiques sont menées, d’accord avec l’ensemble des missions françaises et anglaises, pour connaître les programmes d’importation et arriver à en déduire la base devant servir à la répartition des navires. Après de longs échanges avec les départements intéressés, le Comité exécutif franco-anglais conclut que 17 millions de tonnes sont nécessaires à la France pour assurer ses importations contre 47 millions de tonnes pour l’Angleterre (exception faite des importations de charbon et de pétrole qui font l’objet d’un traitement spécifique). La proportion est par conséquent de 1 à 3.

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En réalité, et en tenant compte de la durée des voyages – beaucoup plus rapides pour la France puisqu’un tiers du programme français total provient de l’Afrique du Nord alors que les importations anglaises sont majoritairement fournies par l’Amérique, l’Afrique du Sud, l’Australie et l’Extrême-Orient – la proportion passe de 1 pour la France à 4,5 pour la Grande-Bretagne. Mais l’importance respective des flottes française et britannique se situant dans une proportion de 1 à 7, il faut que, dans la répartition du tonnage, la France reçoive une part sensiblement supérieure à la proportion des programmes d’importation. C’est dans ces conditions que la délégation française obtient : Ω 60 % de la totalité des navires danois et norvégiens contre 40 % à la Grande-Bretagne, Ω 50 % des flottes hollandaise43 et suédoise contre 50 % à la Grande-Bretagne. De sorte qu’au début de juin 1940, la France dispose, en time charter, directement, pour la durée de la guerre, de plus de 2 millions de tonnes de navires alliés ou neutres auxquelles s’ajoute l’équivalent de 400 mille tonnes de bateaux anglais qui doivent transporter 1 million de tonnes en provenance des dominions britanniques. Ces deux tonnages additionnés à la flotte française réquisitionnée, et en tenant compte de la rotation des navires, doivent garantir l’importation des 17 millions de tonnes de marchandises qui représentent l’intégralité des besoins français servis à 100 %. Ainsi l’objectif assigné au Comité des transports maritimes est-il pleinement rempli. Toutefois, la mise en œuvre des accords se heurte de plus en plus gravement à la dégradation des relations entre l’Angleterre et la France qu’entraîne l’occupation d’une partie de plus en plus vaste de l’Hexagone par la Wehrmacht.

Le 21 mai 194044, Hypolite Worms reçoit du secrétariat d’État à la Marine l’ordre de service suivant : Dans le cas où les communications téléphoniques seraient coupées entre la Direction des transports maritimes et vos services, je vous autorise à prendre en mon nom toutes décisions entrant dans le cadre des attributions de la délégation française au Comité exécutif des transports maritimes, notamment en ce qui concerne les questions qui résultent des accords généraux de tonnage interallié et dont la solution ne pourrait souffrir de retard. Notification des décisions ainsi prises devra m’être faite le plus rapidement possible, soit par télégramme chiffré s’il s’agit de décisions importantes, soit par lettres dans les autres cas. Les télégrammes à chiffrer seront remis à l’attaché naval à Londres. J’adresse un ordre analogue à M. Cangardel pour l’autoriser à prendre toutes décisions tendant à assurer, dans les conditions les meilleures, le fonctionnement de la Mission des transports maritimes à Londres et l’exécution des opérations relevant des attributions de ladite Mission.

Opération “Dynamo” : évacuation entre le 26 mai et le 4 juin 1940 des soldats britanniques, français et alliés encerclés à Dunkerque

44 Le 21 mai 1940, les troupes allemandes atteignent la Manche. Débuté la veille, le bombardement de Dunkerque par la Luftwaffe conduit les Alliés à évacuer le corps expéditionnaire britannique et une partie des troupes françaises. Cette opération, connue sous le nom de “Dynamo”, est achevée le 4 juin 1940. Voir sur les conditions d’une action similaire l’article de Maurice Guierre paru dans Paris-Normandie, le 22 mars 1955, au sujet de l’évacuation du Havre (24 mai-12 juin 1940) et de la part prise par les cargos Worms, dont le "Cérons" jusqu’à sa perte, le 12 juin 1940. Le 5 juin, au cours d’un troisième remaniement de son cabinet, Paul Reynaud remplace au ministère des Affaires étrangères Édouard Daladier qui quitte le gouvernement. Anatole de Monzie est remplacé par Ludovic O. Frossard aux Transports et Travaux publics tandis que Yves Bouthillier succède à Lucien Lamoureux aux Finances. Le 6 juin, débute l’exode de la population française.

43 Dans une lettre adressée à Joseph Denis, le 26 mai 1940, Robert Labbé précise que « la France va se voir allouer, soit à titre définitif, soit à titre provisoire (la question est en suspens...), un assez grand nombre de petits caboteurs hollandais, la plupart à moteur. Je vous fais parvenir par pli séparé, ajoute-t-il, la copie des lettres qui ont été rédigées à cet égard, et ci-inclus, la liste de navires en cause. La question de la gérance sera probablement réglée assez rapidement, puisque tous seront en France à bref délai pour leur premier voyage ».

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Isolement des représentants français à Londres (10 juin – 19 juillet 1940) se dispose, en effet, à gagner Bordeaux pour y affirmer l’intention du Cabinet de Londres de poursuivre la lutte et exposer les avantages qu’il y aurait à rester aux côtés de la Grande-Bretagne. Hypolite Worms le charge alors « de dire à tous ses amis de France qu’il partage entièrement son point de vue » : il lui remet une lettre qu’il lui « demande d’utiliser en ce sens et dans laquelle il confirm[e] ses sentiments les plus formels sur la nécessité de poursuivre la guerre en accord avec [l’]Allié britannique47 ».

« Sur la nécessité de poursuivre la guerre en accord avec notre Allié britannique » Hypolite Worms cité par Emmanuel Monick45, 8 avril 1946

Le 10 juin 194046, les communications sont coupées entre Londres et Paris. Aussi la délégation française se trouve-t-elle dans l’incapacité d’envoyer au ministère de la Marine marchande les rapports sur son activité comme elle le faisait presque journellement. Le 18 juin 1940, alors que la France attend de l’Allemagne la réponse à sa demande d’armistice, Hypolite Worms s’entretient avec Emmanuel Monick, attaché financier à Londres, au sujet de la détermination de l’Angleterre à continuer la guerre, de ses chances de succès et de l’intérêt qu’il y a pour le gouvernement français d’en tenir compte dans ses décisions. Emmanuel Monick

45 Inspecteur des Finances en 1923, Emmanuel Monick (1893-1983) occupera le poste de gouverneur de la Banque de France du 7 octobre 1944 à janvier 1949 – après quoi il deviendra PDG de la Banque de Paris et des Pays-Bas (futur BNP Paribas) jusqu’en 1962, et présidera également la Banque ottomane entre 1954 et 1975. 46 Le 10 juin 1940, en raison de l’avancée des troupes allemandes et de l’occupation de plus en plus probable de Paris, le général Weygand incite les pouvoirs publics à quitter la capitale qui est déclarée ville ouverte. Les services centraux des ministères partent pour Tours où le Conseil des ministres décide que le gouvernement et le Parlement doivent se replier. Ce même jour les Italiens déclarent la guerre à la France. Le 12 juin, le général Weygand et d’autres responsables se prononcent en faveur de l’armistice. Paul Reynaud et quelques ministres leur opposent l’accord du 28 mars 1940 par lequel la France et le Royaume-Uni se sont engagés à ne pas conclure d’armistices séparés. Le 13 juin, Paul Reynaud rencontre Winston Churchill pour recueillir sa position sur la signature éventuelle de l’armistice par la France. Le 14 juin, tandis que Paris est occupé et la Loire atteinte par les forces allemandes, le gouvernement, profondément divisé sur la question de la poursuite de la guerre, quitte Tours et s’installe à Bordeaux. Le 16 juin, Paul Reynaud, qui veut continuer la guerre hors de la Métropole, est contraint de démissionner. Il est remplacé à la présidence du Conseil par Philippe Pétain qui forme un nouveau gouvernement, acquis à l’armistice.

Signature de l’armistice franco-allemand le 22 juin 1940, à Rethondes, en forêt de Compiègne, dans le wagon où l’armistice du 11 novembre 1918 a été signé

47 Cf. le témoignage d’Emmanuel Monick, Washington, le 8 avril 1946, reproduit en page 39. L’armistice est signé le 22 juin 1940, à Rethondes. Le 23 juin, Pétain nomme Pierre Laval et Adrien Marquet ministres d’État. Le 27 juin, Laval devient vice-président du Conseil. Ayant quitté Bordeaux, qui se trouve en zone occupée, pour Clermont-Ferrand le 29 juin, les pouvoirs publics, s’installent à Vichy le 1er juillet. Proche de la ligne de démarcation et bien raccordée à Paris, la ville dispose d’une bonne infrastructure hôtelière. Cf. André Kaspi, La Deuxième Guerre mondiale, op. cit., p. 69-70, 76-77 et 79.

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La dissolution du Comité exécutif est annoncée le 6 juillet 1940. À cette occasion, Sir Cyril Hurcomb félicite Hypolite Worms pour la qualité de leur relation et les résultats obtenus : Dear Worms, I appreciate greatly the kind terms in which you have announced my formal letter notifying the dissolution of the Shipping Executive. I venture to think that our collaboration was not only friendly but successful up to the point which circumstances allowed. I shall always retain the most grateful recollections of our joint work and of my French colleagues, and among them, M. Meynial and M. Labbé. Your own knowledge and wide experience, and the excellence of our personal relations, made my official task as chairman far easier than it would have otherwise been. Yours very sincerely, Cyril Hurcomb

Sur le travail de la délégation française à partir du 10 juin et jusqu’au 19 juillet, aucune trace n’a été retrouvée dans les archives du ministère de la Marine marchande. La source principale (et peut-être unique) est un rapport spécial rédigé par Hypolite Worms et remis par lui au secrétaire d’État à la Marine marchande, à son retour en France. Avant de prendre connaissance de ce rapport, il est utile d’insister sur les circonstances dans lesquelles le Comité a fonctionné entre les mois de mai et de juillet 1940, d’une part, et d’autre part, sur l’ampleur du travail effectué. Changement de donne Conçu en novembre 1939, quelques jours après la déclaration de guerre, le plan franco-anglais de mise en commun des ressources des deux pays a été poursuivi dans des conditions de plus en plus éloignées des conditions d’origine.

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Les contrats d’affrètement ont pour la plupart été négociés et conclus avec des armements dont les pays respectifs sont entrés en guerre, dont le territoire a été occupé et dont le gouvernement s’est exilé (ce qui est le cas, par exemple, de la Norvège et des Pays-Bas). En lutte contre l’Allemagne, ces États ont pu redouter que les contrats d’affrètement signés avec la France ne profitassent à leur adversaire dès lors que celle-ci avait signé l’armistice. Les responsables politiques qui ont décidé de créer l’organisation franco-anglaise de coordination, comme ceux qui ont nommé les membres des missions et des délégations, ont quitté leurs fonctions, tels Neville Chamberlain et Édouard Daladier en mai 1940 ou Anatole de Monzie et Alphonse Rio en juin 1940. En plus des difficultés suscitées par l’exode des pouvoirs publics à Tours, Bordeaux, Clermont-Ferrand, puis Vichy – et outre l’impossibilité dans laquelle se trouvaient les représentants français à Londres de faire entériner leurs décisions, les délégations furent confrontées au changement d’attitude, voire à l’hostilité, de la Grande-Bretagne qui cessa de s’affirmer comme l’Alliée de la France (du moins celle de Vichy) à partir de la signature de l’armistice le 22 juin 1940. Hostilité dont l’opinion française fut dans sa majorité convaincue à la suite de l’offensive du 3 juillet 1940 contre la Marine militaire stationnée en Algérie, à Mers el-Kébir (à la veille de la signature par Hypolite Worms de l’accord qui porte son nom). Lors de cette opération, connue sous le nom de “Catapult”, la Royal Navy fit feu contre les navires de guerre français. L’attaque fut meurtrière (1 297 morts et 351 blessés) et provoqua la rupture des relations diplomatiques entre Paris et Londres48.

les archives contiennent – outre les notes transmises principalement par Joseph Denis au sujet de la situation des Services de la Maison – un ensemble de lettres relatives aux informations qu’Hypolite Worms a échangées journellement avec des responsables de la Marine marchande et du milieu maritime. Les thèmes récurrents de ces courriers concernent : Ω la rotation des navires dans les ports49, Ω l’assurance contre les risques de guerre50 et plus particulièrement dans le cas des importations de charbon51, Ω la consommation des navires en énergie52, Ω la composition des équipages53, Ω la desserte des ports français, réunionnais et malgaches54, Ω et, de manière générale, les difficultés pour trouver des navires ou pour les charger, les problèmes liés aux fluctuations des taux de fret, la réquisition des unités pour le transport des troupes et du matériel. Dans ce corpus, on retiendra deux lettres adressées par Hypolite Worms au ministère de la Marine marchande, le 10 février 1940 (voir p. 27 et 28).

49 Voir les rapports de traversées des cargos Worms : "Château-Yquem" et "Château-Latour", du 13 octobre au 11 novembre 1939, joints au courrier adressé à Hypolite Worms par Joseph Denis, le 21 décembre 1939 ; idem le 5 mars 1940 : rapport de traversée du "Lussac" du 3 au 27 février 1940 ; idem le 8 mars 1940 : rapport de traversée du "Jumièges" du 15 au 24 février 1940 ; idem le 14 avril 1940 : rapports de traversées des "Caudebec", "Normanville", "Kerkena", "Espiguette" et "Jumièges", en mars et jusqu’au 14 avril 1940 – ces documents font état de retards compris entre 9 heures et plus de 94 heures dont certains dus à des opérations de déminage ; voir également les informations transmises à Hypolite Worms par la Nouvelle Compagnie havraise péninsulaire le 20 janvier 1940. 50 Cf. note du 6 février 1940 adressée à Hypolite Worms par Worms & Cie Paris. 51 Cf. notes du 20 mai 1940 d’Hypolite Worms à Joseph Denis, du 27 mai 1940 à Hypolite Worms et les renseignements transmis par Worms & Cie Paris à Hypolite Worms le 28 mai 1940 sur la flotte Worms. 52 Cf. note du 6 février 1940 : tableau sur la consommation en diesel des cargos de la Nouvelle Compagnie havraise péninsulaire "Malgache" et "Ville de Metz". 53 Cf. note du 12 février 1940 : tableaux des équipages des cargos de 2 500 tonnes, 4 000 tonnes et 10 000 tonnes et des pétroliers de 15 000 tonnes. 54 Cf. note du 4 mars 1940 d’Hypolite Worms et celle du 19 avril 1940 à Robert Labbé.

L’ampleur de la tâche L’étendue et la complexité des fonctions assumées par la délégation ressortent de la diversité des sujets sur lesquels portent les archives conservées par la Maison Worms. La partie manifeste de cette activité a consisté, comme il est dit plus haut, à négocier et à conclure des accords d’affrètement visant à satisfaire les besoins de la France. Or, pour exercer cette tâche, les délégués devaient avoir quotidiennement une vision globale mais aussi détaillée de la conjoncture maritime, au moins européenne, sinon mondiale. De fait,

48 Cf. André Kaspi, La Deuxième Guerre mondiale, op. cit., p. 113.

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Ne serait-il pas possible d’y remédier sans dévoiler le mouvement des navires, par la création de secteurs postaux qui devraient évidemment fonctionner de telle sorte que les courriers parviennent aux navires à leurs escales ? Enfin les hommes, assimilant encore leur rôle à celui des troupes engagées, désirent bénéficier de la franchise postale. Il semble relativement facile de donner satisfaction à ces desiderata qui ne sont pas injustifiés.

À ces documents, s’ajoutent : Ω une note, adressée le 1er mars 1940 à Robert Labbé, sur l’évolution des taux de fret pratiqués, entre 1913 et 1919, pour le transport par des navires neutres vers la France, du riz de Saïgon, du blé de La Plata, du coton des USA et des charbons de Grande-Bretagne, Ω un projet de contrat de gérance établi par les Chargeurs réunis et transmis à Hypolite Worms le 13 mars 1940, Ω la note ci-après du 29 mars 1940 sur le moral des équipages : Marine marchande Le moral des officiers et équipages de la Marine marchande, surtout de ceux qui fréquentent la côte Est anglaise, laisse fortement à désirer. Les causes de ce moral sont relativement faciles à faire disparaître. C’est pourquoi nous avons crû devoir vous en parler, avec l’espoir que votre Maison pourra employer son influence à les faire disparaître et contribuer ainsi à l’œuvre collective nécessaire. Les équipages considèrent que leur rôle actuel est aussi dangereux que celui des soldats de première ligne. Ils ont cependant le sentiment que leurs chefs, d’abord, l’opinion publique, ensuite, ne leur rendent pas justice à cet égard et qu’ils ne jouissent ni des avantages matériels ni du prestige moral acquis à ces derniers. a) Ils font remarquer que l’Armée bénéficie de permissions qui leur sont refusées. Des marins et des officiers n’ont pas eu de permissions depuis de longs mois. Ils ont au plus quelques heures lors de leurs brèves escales dans les ports. b) Quand, d’aventure, par suite de réparations à leur navire, leur capitaine prend sur lui de leur accorder 24 heures, ils doivent voyager à plein tarif sur les chemins de fer, quand les troupes des armées de terre et de mer voyagent gratuitement. Sans prétendre au même régime, puisque leur solde est différente, ils aimeraient bénéficier du quart de place accordé en temps de paix aux marins et soldats permissionnaires. Il nous a été cité que des matelots du s/s " Bourgogne", privés de permission régulière depuis 8 mois, avaient dépensé 600 francs de voyage pour aller passer 24 heures en Bretagne tout récemment, pendant que leur navire était en réparations. c) Les mouvements de leurs navires n’étant pas connus à l’avance, il leur est impossible de donner leur adresse à leurs familles. Il en résulte que leur correspondance leur parvient difficilement ou avec de gros retard. Cette situation est un des sujets de mécontentement des plus aigus. 29


Enfin, citons un extrait d’une note adressée, le 15 avril 1940, par Robert Labbé à Joseph Denis en ces termes : Cher Monsieur Denis Au cours des négociations avec le Ministry of Shipping, en vue de répartir l’ensemble des flottes alliées entre la France et l’Angleterre, proportionnellement à leurs programmes d’importation par mer, nous avons demandé que des espaces nous soient réservés, d’une manière permanente, sur les liners 55 britanniques réunissant les possessions du Royaume-Uni et la France, dans le cas où il n’existe pas de lignes desservant ces régions. En répondant favorablement à notre demande, le Ministry of Shipping nous a également informés qu’il allait nous aider sur la ligne de Madagascar. […] Monsieur Worms a donné son accord à cette formule. Je compte préciser au représentant qualifié du Ministry of Shipping qu’un tel arrangement n’est valable qu’eu égard aux circonstances exceptionnelles que nous traversons. […] Robert Labbé Hypolite Worms, dans le rapport sur sa mission à Londres en date du 1er août 1940 (voir chapitre suivant), a joint en annexe plus de 60 télégrammes qu’il a échangés, entre le 14 juin et le 16 juillet 1940, avec Henri Morin de Linclays, de la Mission française basée à New York56. Les informations contenues dans l’ensemble de cette documentation auraient pu permettre de retracer les

55 Navires de ligne. 56 Parmi les télégrammes échangés par Hypolite Worms et le ministère de la Marine marchande, d’une part, et H. Morin de Linclays, d’autre part, voir notamment ceux en date du 21 juin 1940, 25 juin 1940*, 27 juin 1940*, 29 juin 1940*, 5 juillet 1940*, 11 juillet 1940 (1), 11 juillet 1940 (2), 12 juillet 1940*, 16 juillet 1940*, 18 juillet 1940. Les dates suivies d’un astérisque désignent les télégrammes retranscrits dans le chapitre suivant : « Compte rendu par Hypolite Worms de sa mission… ». Directeur de la succursale new-yorkaise de la Compagnie générale transatlantique depuis 1933, H. Morin de Linclays dirige la « Mission française des transports maritimes aux États-Unis, agissant pour les intérêts d’une quinzaine de compagnies de navigation et de transport, dont ceux du gouvernement français », voir Report of the attorney general to the Congress of the United States on the administration of the Foreign Agents Registration Act of 1938, as amended for the period from June 28, 1942 to December 31, 1944.

activités de la délégation française des Transports maritimes après la rupture des communications entre Paris et Londres, le 12 juin ; activités dont le point d’orgue a été la conclusion, le 4 juillet 1940, des accords qui portent le nom d’Hypolite Worms. Mais il a semblé plus pertinent de laisser Hypolite Worms, lui-même, s’exprimer, en suivant le rapport qu’il a remis aux autorités françaises, au début du mois d’août 1940, et en complétant ce texte par les télégrammes et les notes auxquels il fait référence.

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Compte rendu par Hypolite Worms de sa mission aux autorités françaises, à Vichy, le 1er août 1940 : les accords “Worms” du 4 juillet 1940 Retour mouvementé en France

Le 17 juillet, Hypolite Worms est toujours en poste ; il règle avec le Ministry of Shipping et le War Risks Insurance Office la question de l’assurance des navires neutres affrétés par la France (voir page 47). Le 19, il rédige la déclaration suivante : Délégation française au Comité exécutif franco-anglais des transports maritimes de Londres Je, soussigné, M. Hypolite Worms, chef de la délégation française au Comité exécutif franco-anglais des transports maritimes de Londres, certifie que Mademoiselle Simone Traverse devra se rendre à Marseille, et éventuellement à Paris, pour prendre contact avec le ministère de la Marine marchande. Londres, 19 juillet 1940 Hypolite Worms

Dès le 25 juin 1940, les chefs des délégations françaises prennent la décision de rentrer en France57. Comme Hypolite Worms le déclarera lui-même plus tard58, « la situation de [sa] Maison en Angleterre et [sa] situation de famille » auraient pu lui permettre « d’envisager favorablement [de rester à Londres], alors surtout qu’[il n’avait] jamais douté de l’issue de la guerre ». « Cependant, soulignera-t-il, j’ai cru de mon devoir de rentrer en France afin de sauvegarder le patrimoine de mes ancêtres et les intérêts de mon personnel, ouvriers et employés dont le nombre compte plusieurs milliers de personnes. Je voulais empêcher à tous prix que mes entreprises tombent sous la coupe de l’ennemi. » Le rapatriement des missions donne lieu « à une négociation laborieuse qui traîn[e] du 5 juillet jusqu’à l’avantveille du départ59 », soit pendant une quinzaine de jours. Dans un premier temps, le gouvernement britannique envisage de retenir les représentants français (afin notamment d’empêcher que des informations intéressant la défense britannique soient divulguées aux Allemands), puis les autorités consentent au retour de tout le personnel civil et militaire, à l’exception toutefois de quelques membres des services de renseignements et des ministères de l’Air et de l’Armement.

57 Information donnée par Raymond Meynial lors d’une interview réalisée dans le cadre de la préparation du livre La Maison Worms, des hommes, des métiers, une histoire, par Christian Lebailly, 1993. Il est à noter que le maréchal Pétain fera voter le 23 juillet 1940 une loi « relative à la déchéance de nationalité à l’égard des Français ayant quitté la France ». 58 Cf. interrogatoire par le juge Georges Thirion en date du 26 septembre 1944. Sur Thirion, voir note 95, p. 55. 59 Cf. Documents diplomatiques français : 1940 (11 juillet30 décembre), vol. 2, P.I.E. Peter Lang, 2009, p. 213.

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Puis, dans la matinée60, il se rend avec la Mission diplomatique et les délégations françaises à Liverpool où la Grande-Bretagne a mis à disposition des rapatriés l’"Orduña", un paquebot conçu pour accueillir 1 000 passagers et qui assure habituellement la ligne Valparaiso-Southampton. « Toute la mission a pris place à bord, militaires, diplomates et leurs familles61, rapporte Maurice Pasquelot dans Les dossiers secrets de la Marine, Londres-Vichy, 40.4462. Il y a à peu près 800 personnes63. Un appartement a été prévu pour le prince Alexandre de Yougoslavie. » Les passagers patientent à bord deux longues journées avant que le bateau ne soit autorisé à partir. Il lève l’ancre le 21 juillet à 21 h et met le cap sur Lisbonne. Après avoir navigué « avec un convoi d’une dizaine de navires qui se rendent au Canada64 », l’"Orduña" se retrouve seul en mer. « Soudain c’est la féérie, s’enthousiasme Maurice Pasquelot. Dans les superstructures, des centaines de lampes s’allument. Nous naviguons plein sud, tous feux allumés. Un officier de bord nous renseigne. Les Allemands ont été prévenus que l’"Orduña" est un navire diplomatique et ils ont donné leur accord pour ne pas le couler. » Le navire atteint Lisbonne le 25 juillet au matin, au terme d’une traversée de trois jours et demi. Tous les passagers sont gardés à bord jusqu’au lendemain, le temps que les douaniers fouillent malles et valises.

Paul Morand65, chef de la Mission du blocus, obtient de l’ambassade de France au Portugal l’autorisation pour les délégations de rejoindre Vichy où les pouvoirs publics sont installés depuis le 1er juillet 1940. Dans ce but, deux trains spéciaux sont affrétés, l’un dont le départ à destination de Cerbère, commune française des Pyrénées orientales, située juste après la frontière espagnole, est prévu le 26, l’autre le 27. Comme en atteste le visa sur son passeport diplomatique (voir page 14), Hypolite Worms est du premier contingent.

60 Renaud de Rochebrune et Jean-Claude Hazera, dans Les Patrons sous l’Occupation. II, Odile Jacob, 1997, situent le départ d’Hypolite Worms deux jours plus tôt : « Le 17 juillet, écrivent-ils p. 201, il s’embarque sur l’“Orduña” pour Lisbonne, port neutre, plaque tournante de toutes les émigrations pendant la guerre ». NB. Les visas des bureaux de l’immigration portés au dos du passeport diplomatique d’Hypolite Worms ont permis de reconstituer son voyage de retour - voir reproduction page 14. 61 Raymond Meynial dans l’interview menée en préparation du livre La Maison Worms, des hommes, des métiers, une histoire, précisa que Mme Worms se trouvait déjà en zone libre. 62 Nouvelles éditions latines, 1977, p. 60. 63 Selon les Documents diplomatiques français : 1940, op. cit., p. 213, note 3 : « L’effectif total des missions économiques s’élève à 340 personnes. » 64 Cette citation comme toutes celles empruntées à Maurice Pasquelot sont extraites de Les dossiers secrets de la Marine, op. cit., p. 60-62.

65 Voir le courrier adressé au ministre des Finances par Emmanuel Monick le 16 juillet 1940, « au moment de quitter [son] poste à Londres avec l’ambassade », courrier qui concerne les mesures qu’il a « été conduit à prendre en l’absence de communications avec la France, au sujet de l’organisation de la liquidation des Missions françaises en Grande-Bretagne » ; voir notamment l’information qu’il donne sur le fait que « le gouvernement français a décidé de confier à Paul Morand la direction d’un service de liquidation des affaires économiques et commerciales du gouvernement français en Grande-Bretagne » et qu’en conséquence « Paul Morand [l]’a prié de fixer le montant de la rémunération qui devait lui être allouée en qualité de directeur de la liquidation des Missions françaises en Grande-Bretagne à une somme égale au traitement que [lui-même] percevai[t] à Londres ».

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Le paquebot “Orduña” (19131950) de la Pacific Steam Navigation Cy à bord duquel Hypolite Worms quitte l’Angleterre le 21 juillet 1940

compartiments66, ne s’est pas démentie un instant. Elle n’a pas peu contribué à gagner la sympathie des autorités locales67. » Le 30 juillet, Hypolite Worms est à PortBou, puis à Cerbère.

Son train rejoint le poste frontière luso-espagnol de Valencia de Alcántara le 26 vers 17 heures, et… ne repart pas. « Le comte de Rose, secrétaire de l’ambassade de France à Londres, [qui] a préparé le départ des Français, indique Maurice Pasquelot, a bien tout prévu, sauf (comment aurait-il pu croire que les Espagnols voudraient les connaître ?) de communiquer à Madrid les noms de tous les passagers. » Or, parmi eux, certains ne sont pas munis du visa espagnol et plusieurs officiers voyagent en uniforme. La guardia décide de bloquer le train et de contrôler tout le monde. « Sur le quai […], quelques personnages curieux et inquiétants font les cent pas, souligne Maurice Pasquelot. Leur origine germanique ne fait de doute pour personne […], il s’agit très probablement de membres de la police secrète allemande. » « Ce n’est qu’après plusieurs démarches de l’ambassadeur de France à Madrid […] que les obstacles [peuvent] être surmontés et que le train [est] autorisé à poursuivre sa route [le 29 juillet, à 16 heures]. Au cours des trois jours d’arrêt, la bonne humeur des voyageurs mal nourris, sans confort, le jour sous un soleil de plomb et la nuit serrés comme des harengs dans leurs

66 Le témoignage de Maurice Pasquelot sur ces conditions de vie est éloquent : « Enfin nous quittons l’enfer de Valencia […]. Ces deux jours en plein soleil sous le climat de l’Estremadure, fin juillet, avaient été insupportables. Les gardes civils nous avaient interdit de sortir de la gare et nous avions éprouvé beaucoup de difficultés pour nous ravitailler. […] Le train comptait huit cents passagers et la gare un seul restaurant. […] Le restaurateur espagnol qui ne savait faire que des tortillas augmentait le prix de son plat de repas en repas. Les petits enfants manquaient de lait […]. À part une toilette sommaire, qu’à tour de rôle nous allions faire dans le rio [tout proche], malgré les ordres des gardes civiles, nous étions sales […]. Nous ne disposions pas de couchettes et nous dormions à tour de rôles sur les banquettes de nos compartiments. Nous étions très fatigués. L’annonce du départ fut donc joyeusement accueillie. » 67 Documents diplomatiques français : 1940, op. cit., p. 214.

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J’ai dû, en conséquence, prendre de graves responsabilités. Lorsqu’on m’aura donné quitus de ma gestion, je rentrerai à Paris et je pense que ce sera dans le courant de la semaine prochaine. Il vous intéressera de savoir que le siège social de la Maison a rouvert à Paris, le 2 juillet. En dehors de M. Barnaud, il y a là-bas Denis, Ladurie, Vignet ainsi que la plus grande partie du personnel. J’ai hâte de les retrouver. M. Goudchaux reste à Bordeaux pendant encore quelques temps 70. […]

Le 10 août il écrit à un ami68 : Votre lettre […] m’est parvenue à Vichy où je suis depuis huit jours, étant venu directement de Londres par Lisbonne,Madrid et Barcelone, après un voyage qui a duré quinze jours 69. […] Je suis ici pour rendre compte de ma mission et régler uncertain nombre de questions rendues difficiles à la suite de la rupture des relations entre les deux gouvernements. Depuis le 12 juin, j’ai été coupé de toutes communications avec le gouvernement français, ce qui m’a empêché de rendre compte de mon activité à Londres.

Le 1er août, Hypolite Worms est autorisé à « pénétrer dans l’immeuble de l’Amirauté pour motifs de service » et remet au secrétariat d’État à la Marine71 un rapport sur ses activités, entre juin et juillet 1940 en tant que chef de la délégation française au Comité exécutif franco-anglais des Transports maritimes. L’amiral Darlan précisera le 31 août 1940 dans une note adressée au ministre de la Production industrielle qu’« aucun procèsverbal n’a été émis à la suite de l’exposé fait par M. H. Worms, exposé qui n’a constitué que le commentaire des accords passés ».

70 Les personnes citées par Hypolite Worms dans ce courrier sont : Gabriel Le Roy Ladurie, directeur des Services bancaires Worms & Cie, Jacques Barnaud, associé de la Maison depuis 1930 aux côtés d’Hypolite Worms et de Michel Goudchaux ; Joseph Denis, secrétaire général de Worms & Cie – dont il a déjà été fait plusieurs fois mention, et Louis Vignet, directeur général des Services combustibles. 71 Le 15 juillet 1940 est parue une circulaire signée de l’amiral Darlan, commandant en chef des Forces maritimes françaises, dont l’objet est l’organisation provisoire du secrétariat d’État à la Marine. Le 22 juillet 1940, une seconde circulaire, signée par le contre-amiral Auphan, sous-chef d’état-major de l’amirauté, règle le fonctionnement des services de la Marine marchande dont il a la charge.

68 La correspondance d’Hypolite Worms à Vichy a pour adresse l’hôtel Le Majestic. 69 Renaud de Rochebrune et Jean-Claude Hazera, dans Les Patrons sous l’Occupation, op. cit., indiquent (p. 201) qu’Hypolite Worms « fait un détour par sa villa du CapFerrat où il laisse sa famille en sécurité, et le 1er août est à Vichy ».

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Vichy - Hôtel du Parc et Le Majestic


1er août 1940, M. Hypolite Worms, chef de la délégation française au Comité exécutif permanent des Transports maritimes, à M. le secrétaire d’État à la Marine L’interruption des communications entre Paris et Londres ne m’ayant pas permis de vous 72 rendre compte, journellement, de mon activité, j’ai dû, dès le 12 juin 73, et grâce aux pouvoirs qui m’avaient été conférés par votre ordre de mission du 21 mai 74, prendre dans l’intérêt du pays, un certain nombre de décisions, tant pour l’exécution des accords en cours, que pour faire face à la situation nouvelle, créée par la cessation des hostilités entre la France et l’Allemagne. Je vais maintenant vous rendre compte de mon activité depuis le 12 juin et jusqu’à mon départ de Londres. Répartition des bateaux neutres entre la France et l’Angleterre Je vous rappelle qu’il avait été passé, à la suite de l’invasion de la Norvège 75, avec le Groupement des armateurs norvégiens, un nouvel accord, dont je vous ai envoyé copie, et aux termes duquel une grande partie de la flotte norvégienne était mise à la disposition de la France et de la Grande-Bretagne. Des accords similaires étaient en cours de négociation avec les Hollandais et les Suédois. Ils ont été réalisés dans des conditions qui apparaissaient très avantageuses, à l’époque, et l’exécution de ces dits accords comportait le partage et la répartition entre la France et la Grande-Bretagne, de ces flottes ainsi mises à notre disposition. Je vous rappelle également qu’en raison du manque de tonnage de la France, j’avais obtenu que les premiers partages se fassent sur la base de : Ω 60 % à la France Ω 40 % à l’Angleterre.

Après les premières allocations, c’est-à-dire après que la proportion des flottes aux besoins des deux pays a été équilibrée, la règle de partage devait se faire à raison de : Ω 30 % à la France Ω 70 % à l’Angleterre ces chiffres équivalant aux besoins des deux pays. Mais lorsque l’invasion du nord de la France 76 a amené le gouvernement français à acheter aux États-Unis des quantités considérables d’acier, vous m’avez demandé d’obtenir les navires nécessaires au transport de ces tonnages. C’est pourquoi, j’avais exigé et obtenu de l’Angleterre que notre part dans la distribution des bateaux longs courriers soit égale à celle de la Grande-Bretagne, et le partage s’est donc effectué sur la base de : Ω 50 % pour la France Ω 50 % pour l’Angleterre. Jusqu’à ce que les communications avec le ministère de la Marine marchande aient été interrompues, je vous ai avisé régulièrement du nom des navires alloués, et il vous appartenait d’en attribuer les gérances et d’en fixer les trafics. Conformément aux dernières indications qui m’avaient été données, au cours des dernières communications téléphoniques que j’avais pu avoir avec les directeurs de votre ministère, et étant donné le programme considérable des importations d’acier des États-Unis, j’ai affecté au trafic de l’Atlantique Nord et en gérance à la Compagnie générale transatlantique, tous les navires que leur position et leur tonnage rendaient aptes à ce voyage. Ceux qui se trouvaient en Extrême-Orient ont été affectés au trafic d’Indochine, et la gérance attribuée aux Messageries

72 La fonction de secrétaire d’État à la Marine est occupée par François Darlan (1881-1942) de juin 1940 à avril 1942. 73 Les pouvoirs publics sont alors à Tours. Arrivés le 10 juin, ils vont se replier sur Bordeaux le 14. Voir notes 46 et 47. 74 Voir page 22. 75 Voir sur l’invasion allemande de la Norvège, du Danemark et de la Hollande, les notes 38, 40 et 41.

76 Cf. notes 42 et 44.

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maritimes et aux Chargeurs réunis 77. C’est ainsi que se présentait la situation à la date de la demande d’armistice.

contraints de refuser l’autorisation à leurs navires de naviguer à destination des ports français. Les accords signés conjointement par l’Angleterre et la France avec ces pays, avaient été négociés pour la poursuite de la guerre. Le gouvernement britannique estimait, en conséquence, que les navires faisant l’objet de cet accord devaient être utilisés entièrement aux transports pour la Grande-Bretagne et ne pouvaient être autorisés à naviguer à destination des ports français. Tous ces bateaux étaient assurés ou réassurés par le War Risks Insurance Office, et le gouvernement britannique se refusait à couvrir des voyages sur les ports français. Toute la flotte des navires attribués à la France risquait donc de n’être plus assurée du jour au lendemain. Les autorités britanniques, enfin, interceptaient sur toutes les mers du monde les navires à destination des ports français et les dirigeaient sur des ports britanniques 78. D’autre part, pour les navires neutres [affrétés] en time charter par la France, en exécution des accords francoanglais, le fait pour l’Angleterre de refuser de les laisser passer aux bases de contrôle et de résilier les polices d’assurance rendait leurs voyages absolument impossibles.

Conséquences de l’armistice sur l’affrètement par la France des bateaux neutres Dès la signature de l’armistice, la plus grande partie des navires, qui avaient été attribués ou que nous devions prendre en time charter, devenait inutilisable pour les raisons suivantes : Les gouvernements hollandais et norvégiens, qui continuaient la guerre aux côtés de l’Angleterre, se voyaient

77 Dans une lettre envoyée de Worms & Cie Paris (peutêtre par Jacques Barnaud – la signature est illisible) à Georges F. Doriot, le 27 mai 1939, il est signalé qu’« il est fortement question de rendre la Transatlantique à l’industrie privée. Un vaste consortium s’organise sans bruit, comprenant les Lazard, la Banque de Paris et les Fabre pour réunir sous l’autorité de ces derniers, les Chargeurs réunis, les Messageries maritimes et la Transat en une vaste compagnie française ». Ami d’Hypolite Worms, de Jacques Barnaud et de Gabriel Le Roy Ladurie, sans lien de parenté avec Jacques Doriot, le fondateur du PPF (avec lequel il est cependant confondu dans certaines publications), Georges F. Doriot (1899-1987) apparaît dans les archives de la Maison Worms au milieu des années 1930 : il est chargé de représenter les intérêts et d’organiser les affaires financières – mais non exclusivement – de la société en Hollande, au Canada et aux États-Unis. Voir pour comprendre la relation d’amitié qui l’unit à Gabriel Le Roy Ladurie, la lettre que celui-ci lui adresse le 25 mai 1940 : « Lorsque [nom illisible] te remettra cette lettre, le premier acte du grand drame sera joué. Un miracle est toujours possible mais il vaut mieux raisonner [dans la vie] comme s’il n’y avait pas de miracles. En ces heures terribles – terribles en soi et terribles parce qu’on n’en voit pas la fin – c’est vers toi que ma pensée se tourne – et vers [Edna, l’épouse de G. Doriot] pour vous confier ma femme et mes trois gosses. Si la dictature hitlérienne s’établit dans ce pays – et comment empêcher une telle dictature sans tanks et sans avions ? – je préfère voir ceux qui me sont chers périr que condamner à subir le régime des Polonais et des Tchèques. À moins qu’à un moment donné on ne puisse les faire partir sur l’Espagne et de là sur l’Amérique. Georges, il n’y aura que toi qui pourras un jour tenter la chose. Je sais que tu le feras avec tous les moyens en ton pouvoir. Si jamais tu réussis, je te confie les miens comme s’ils étaient tiens. » Georges F. Doriot est le créateur en 1946 de la première société de capital-risque et le fondateur en 1957 de l’Insead (Institut européen d’administration des affaires), école privée de management considérée comme l’une des meilleures au monde.

« Un risque considérable en capital » évalué à près de 7 à 8 milliards de francs De toute façon, ce que je désirais éviter était de faire supporter à notre pays les charges considérables de location de navires, d’assurance, de bonus aux équipages, etc. – qui s’élevaient de 15 à 20 millions par jour – s’il apparaissait que les navires restaient bloqués dans les ports sans être assurés contre les risques de guerre. D’autre part, le gouvernement français courait un risque considérable en capital, puisque ces navires n’étaient plus assurés, les 2 millions de tonnes mises à notre disposition – représentant une valeur de près de 7 à 8 milliards de francs en prenant pour base de calcul la livre sterling à 176 francs. La restitution des bateaux à leurs armateurs soulevait un certain nombre de questions qui nécessitaient une négociation d’ensemble avec les autorités britanniques.

78 Plusieurs cargos Worms se trouvant dans des ports britaniques fin juin 1940 sont saisis par les autorités locales : le "Bidassoa", le 1er juillet 1940 ; le "Normanville" et le "Margaux" le 3 juillet 1940 ainsi que six navires transformés en patrouilleurs au début de la guerre.

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à laquelle elle serait reprise par la Grande-Bretagne ? Je ne me reconnaissais pas le droit, en effet, de faire courir à la France le risque de bateaux non assurés. Ω Comment essayer de conserver des bateaux neutres pour nos trafics coloniaux ? Ω Comment régler les questions financières découlant tant des engagements du passé que des accords nouveaux à conclure ? Ces questions, dont le point de départ était les Transports maritimes, intéressaient, en fait, toutes les missions, et, plus particulièrement l’attaché financier près l’ambassade de France [Emmanuel Monick 79, voir ci-après sa déclaration du 8 avril 1946].

En effet, les points généraux, qui m’apparaissaient comme devant être réglés, étaient les suivants : Ω Comment éviter que les cargaisons se trouvant à bord des navires interceptés et déroutés par les Anglais, et faisant l’objet de la procédure de prises, ne soient vendues aux enchères, c’est-à-dire presque toujours à un prix inférieur au prix d’achat ? Ω Comment éviter que l’afflux de navires sur le marché par suite de l’impossibilité de naviguer sur la France, en raison de la position prise par l’Angleterre, n’ait pour résultat un effondrement des frets, et que, de ce fait, la GrandeBretagne ne décide de reprendre les chartes que nous étions forcés d’abandonner à des taux inférieurs, donnant lieu à des réclamations au gouvernement français de dommages et intérêts considérables de la part des armateurs avec lesquels nous avions signé des chartes-parties ? Ω Comment régler les questions d’assurance de tous ces navires afin qu’il n’y ait aucune cessation de continuité entre la date à laquelle celle-ci expirait et la nouvelle date

79 Sur la position commune d’Emmanuel Monick et d'Hypolite Worms au sujet de la poursuite de la guerre par la France, voir page 24.

Washington, 8 avril 1946 Mon cher ami, Votre lettre ne m'est parvenue que ce matin. J'ai aussitôt dicté le papier joint. J'espère qu’H. le trouvera utilisable. Il représente d'ailleurs entièrement les sentiments que je lui porte. Je suis heureux des nouvelles que vous me donnez à son sujet. Dites-lui qu'il peut utiliser ce papier comme il le veut et sans souci et aussi largement qu’il le voudra. Je ne pense pas revenir avant la fin de la 1ère quinzaine de mai. Toutes mes amitiés à H. W. et à vous très amicalement. [Signature illisible]

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Rapport d’Hypolite Worms (suite)

Télégramme du ministère de la Marine marchande

En pleine liaison avec l’attaché financier, j’ai donc passé, avec le Ministry of Shipping, un premier accord.

Bordeaux, le 27 juin 1940 Veuillez faire parvenir à M. H. Worms, chef de la délégation française au Comité exécutif franco-anglais des transports maritimes, Ministry of Shipping, le message suivant que lui adresse M. le ministre de la Marine militaire et de la Marine marchande : « Suis en principe d’accord sur termes votre télégramme n° 1191, 25 juin. N’effectuez aucun renouvellement et tenez-moi au courant transferts et résiliations chartes-parties. Toutefois, je vous signale utilité conserver jusqu’à nouvel ordre tonnage neutre actuellement en service sur lignes coloniales françaises. Jean-Marie. Diplomatie

Accord du 4 juillet 194080 Sont transférés à l’Angleterre tous les bateaux alliés, par conséquent norvégiens et hollandais, dans tous les ports, et est également réglée la question des cargaisons pour éviter leur réquisition. Je vous ai rendu compte des grandes lignes de cet accord dans mon télégramme du 5 juillet [cf. infra], fort de l’accord de principe que vous aviez bien voulu me donner par votre télégramme du 27 juin [cf. infra], répondant aux suggestions que vous portait mon télégramme du 25 juin [cf. infra], en me demandant, en outre, d’essayer de retenir les bateaux neutres sur trafic colonial.

Télégramme d’Hypolite Worms 25 juin 1940 À Ministère Marine marchande Bordeaux Urgent Veuillez télégraphier urgence vos instructions sujet tous navires étrangers affrétés par la France en time charter – stop – Sauf avis contraire votre part compte résilier toutes chartes ou négocier leur transfert au mieux des intérêts français – stop – En attendant n’effectue aucun renouvellement. Hypolite Worms

Télégramme d’Hypolite Worms Ministère Marine militaire Marine marchande 5 juillet 1940 [Copie corrigée] Suite mes télégrammes 25 et 29 juin et votre réponse 27 juin – sommes arrivés, attaché ambassade et moi-même, à un accord avec Ministry of Shipping pour transférer et résilier sans paiement indemnités dommages et intérêts toutes chartes-parties bateaux alliés et neutres affrétés à la France en time charter, laissant ouverte pour discussion ultérieure question des bateaux neutres sur trafic colonies françaises – stop – D’autre part, cargaisons se trouvant à bord bateaux en mer ou en charge ainsi transférés, seront, sauf exceptions,

80 Le texte intégral en anglais de cet accord daté du 4 juillet 1940. est reproduit en pages 43 et 44.

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pour établir définitivement tous les transferts et régler tous les comptes débiteurs pour fret, assurance, etc. et créditeurs pour encaissement cargaisons, pour moi, aidé d’un certain nombre employés des Missions Transports maritimes, Armement, Ravitaillement et Charbons – stop – Si suite derniers événements, relations diplomatiques interrompues, que doisje faire ? Si autorités britanniques nous autorisent partir, nous risquons, en ne réglant pas cette situation, être l’objet de réclamations dommages et intérêts considérables de tous pays propriétaires de navires, puisque chartes-parties continuent à courir. De même cargaisons, au lieu d’être réglées à l’amiable, seront saisies et vendues, le tout pouvant se chiffrer à plusieurs centaines de millions ou même à quelques milliards, suivant plus ou moins grande bonne volonté des armateurs de tous pays couvrant quinze cent mille tonnes de navires – stop – Si au contraire, vous désirez me voir rester Londres jusqu’à règlement définitif de toutes opérations, quel sera notre statut officiel et comment pourrais-je obtenir immunité et possibilité obtenir du gouvernement britannique autorisation rentrer ma mission remplie ? Comment pourrons-nous régler sommes dont nous sommes redevables et encaisser celles qui nous seront dues, si attaché financier n’est plus là ? Vous prie me câbler d’urgence vos instructions. Hypolite Worms

rachetées par gouvernement britannique au prix contrat marchandises fob81 plus assurance et fret conformes aux cédules82 britanniques – stop – En ce qui concerne cargaisons charbon, Mines Department reprendra cargaisons non expédiées prix voisin du prix contrat et se mettra pour le reste d’accord avec Mission des charbons – stop – Ceci s’applique à tous navires ports anglais, en mer, ports français ou ports étrangers, sauf exceptions, navires neutres sur trafic colonial français à discuter plus tard. Gouvernement français doit donc accepter en échange relâcher bateaux affrétés à la France non affectés trafic colonial, se trouvant dans ports français, métropole ou colonies – stop – Exécution cet accord dans tous ses détails demandera plusieurs semaines de travail

81 Expression signifiant free on board (sans frais à bord) et traduite en français par “franco de port”. Une marchandise est achetée ou vendue fob quand son prix n’inclut pas les frais de transport, les taxes et assurances. 82 États sur lesquels sont déclarées les catégories de revenus.

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Rapport d’Hypolite Worms (suite)

Courrier adressé par Hypolite Worms aux chefs des missions à Londres Westminster House, Dean Stanley Street, SW1 Londres, le 16 juillet 1940 Monsieur Hypolite Worms à Monsieur Thibault, chef de la Mission des charbons Par ma lettre du 10 juillet, je vous ai communiqué l’accord qui a été passé, par mes soins, avec le Ministry of Shipping en ce qui concerne la disposition des cargaisons sur navires neutres ou alliés en time charter. En ce qui concerne les cargaisons se trouvant sur des navires autres que ceux affrétés en time charter, il a été entendu entre les représentants du Ministry of Shipping et ceux de la trésorerie britannique qu’un accord devra intervenir entre chaque mission et le ministère intéressé, et que cet accord sera similaire à celui du 4 juillet. Même lettre adressée à tous les chefs de Missions de Londres.

Règlement de la question des navires en time charter L’accord prévoyait : 1 - que tous les bateaux, en time charter à la France, se trouvant dans les ports anglais, seraient repris par la Grande-Bretagne, au prix courant, et sans qu’il puisse, par conséquent, y avoir lieu à aucune demande de dommages et intérêts de la part des armateurs, 2 - de même, pour tous les bateaux alliés à l’Angleterre dans tous les ports et pour les bateaux neutres, à l’exception de navires sur trafic colonial français, que j’avais pu réserver pour une discussion ultérieure, afin de ne pas retarder la signature de cet accord, 3 - toutes les cargaisons se trouvant à bord de ces navires rendus, après avoir été déroutés par les autorités britanniques, seraient rachetées au prix courant, fob plus le fret payé, sur la base des taux de compensation britanniques. Ceci réglait donc sans perte sensible pour la France, la question des navires en time charter, et leur assurance, ainsi que leurs cargaisons. En ce qui concernait la reprise des cargaisons, qui se trouvaient à bord des navires étrangers affrétés au voyage, cet accord n’était plus de mon ressort, puisqu’il n’avait plus pour base la livraison des navires en time charter, qui seule concernait ma mission. J’avais donc laissé à chaque mission d’achats le soin de négocier avec le ministère compétent anglais les conditions de reprise de ces cargaisons. Mais, au cours de nos réunions avec la trésorerie britannique, l’assurance m’avait été donnée que des conditions similaires pourraient être obtenues, et j’en avais ainsi avisé les chefs des différentes missions [cf. ci-après].

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Accord du 4 juillet 1940

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Accord du 4 juillet 1940 (suite)

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Rapport d’Hypolite Worms (suite) Le problème des navires sur le trafic colonial Après la réalisation de cet accord, j’ai voulu reprendre la question des navires sur trafic colonial. Mais vous vous rappelez que j’avais attiré votre attention, par mon télégramme du 29 juin sur les difficultés que je savais devoir rencontrer.

Télégramme d’Hypolite Worms 29 juin 1940 Ministère Marine militaire Marine marchande Bien reçu votre télégramme 27 juin. J’agis en conformité vos instructions. Je transfère et résilie toutes chartes- parties sujet certaines conditions imposées par moi d’accord avec attaché financier pour remboursement valeur cargaisons en route suivant modalités que je vous télégraphierai lorsqu’elles auront été approuvées par trésorerie britannique – stop – Conformément vos directives je vais discuter avec Ministry of Shipping possibilités conserver jusqu’à nouvel ordre tonnage neutre actuellement en service sur lignes coloniales françaises mais attire votre attention dès maintenant sur difficultés du problème qui dépassent bonne volonté des armateurs – stop – En effet ces navires ont été affrétés en conformité accords signés par Ministry of Shipping et moi-même en vue poursuite de la guerre et pour sa durée en outre ces navires sont assurés contre risques de guerre par War Risks Committee anglais – stop – Maintien certaines chartes-parties au profit de la France dépend donc entièrement accord autorités britanniques qui vont certainement vouloir conserver pour elles le bénéfice des contrats ainsi conçus – stop – Crains en particulier que gouvernement anglais n’accepte pas couvrir risques de guerre pour navigation des colonies françaises aux ports français – stop – Vous tiendrai au courant mes négociations. Hypolite Worms

Mais le fait de réclamer ces bateaux n’impliquait pas que le gouvernement britannique rejetait définitivement, et pour toujours, la possibilité de laisser certaines marchandises passer par les bases de contrôle anglaises. En raison de l’urgence qui s’attachait au règlement des questions d’assurance et de location des navires, il n’était pas possible d’attendre qu’une décision de principe soit prise sur la question du blocus, décision qui pouvait être longue à régler, et de faire, par conséquent, dépendre la situation du “Shipping” de celle de la politique de blocus, entièrement du ressort du Foreign Office.

Rapport d’Hypolite Worms (suite) J’ai eu à cet égard la plus grande peine à obtenir une réponse des autorités britanniques, qui ne voulaient, à aucun prix, définir, pour moi, leur politique de blocus visà-vis de la France. Il ne faut pas en effet confondre les accords “Shipping” et “Blocus”. Je vous ai expliqué l’attitude du Ministry of Shipping en ce qui concernait les bateaux neutres, dont il voulait le transfert intégral.

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Quelques jours avant mon départ, le Ministry of Shipping m’avait donné une réponse négative à la demande que je lui avais faite de conserver les navires neutres sur le trafic colonial, et je vous ai télégraphié que la Grande-Bretagne demandait que tous les bateaux alloués à la France en time charter, en exécution des accords signés par la France et l’Angleterre, lui soient rendus. Je vous en ai informé par mon télégramme du 12 juillet [cf. ci-après], et j’ai ajouté, d’accord avec le Ministry of Shipping, que si l’Angleterre modifiait sa politique à l’égard de la France, il semblait qu’il n’y aurait pas d’objection majeure à nous laisser reprendre un certain nombre de navires.

Télégramme d’Hypolite Worms 12 juillet 1940 2944-45 (chiffré par fil extérieur) 21 h. Castellane Baudouin Vichy De la part de M. Hypolite Worms pour ministère Marine militaire Marine marchande Référence votre télégramme 27 juin Ministry of Shipping insiste pour le transfert de tous navires y compris neutres sur trafic colonial pour les raisons indiquées mon télégramme 5 juillet – Maintien navires neutres sur trafic colonial implique en effet que gouvernement anglais laissera passer certains trafics outremer à destination ports français, principe sur lequel il semble que gouvernement anglais ne soit pas prêt fixer sa politique – Dans ces conditions et pour éviter paiement locations assurances et bonus aux équipages extrêmement onéreux, sans savoir si bateaux pourront être utilisés, vous suggère m’autoriser transférer tous ces navires au Ministry of Shipping, ce qui implique que vous les laisseriez sortir immédiatement de tous les ports français métropole et colonies – Si plus tard gouvernements anglais et français font accord permettant passage de certains trafics par bases britanniques de contrôle, j’ai des raisons de penser qu’on pourra envisager à ce moment un accord avec le Ministry of Shipping pour fourniture tonnage équivalent de navires. Castellane

Rapport d’Hypolite Worms (suite) En attendant, étant donné : Ω que le gouvernement anglais refusait de continuer l’assurance de ces bateaux [cf. lettre ci-après], Ω qu’il refusait de les laisser naviguer à destination de la France et était décidé, pour le moment, à les intercepter, Ω que la trésorerie britannique refusait d’avancer à la France les Sterling nécessaires au paiement des locations nouvelles de ces mêmes bateaux, il m’était apparu qu’il n’y avait d’autre solution que de transférer également ces navires. Mais, étant donné votre télégramme du 27 juin, je ne me reconnaissais pas le droit de le faire sans vous consulter.

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Courrier du War Risks Insurance Office 147/8 Leadenhall Street, London EC3 17 juillet 1940 Monsieur Worms The French Transport Mission Westminster House, Dean Stanley Street, SW1 Dear Sir, I write to call your attention to the fact that, in accordance with the terms of the charter parties, a number of neutral vessels on time charter to the French Government and now in ports in France or in French Possessions are insured against war risks with the Office. The certificates of insurance issued in the name of the owners of the vessels contain the following clause : « The assured warrants that the ship shall not engage in any trade prohibited by HM Government in the United Kingdom. » This Office considers itself bound to warn the owners concerned that the operation of this clause might render it impossible for them to recover a loss and that consequently the certificate must be considered of no value to the owner. As regards Swedish vessels on time charter to the French Government in respect of which this Office is interested as the reinsurer, I am instructed to inform you that the Swedish War Risks Insurance Club has been notified that the Office is unable to accept any further business or renewals in respect of vessels on time charter to the French Government. Yours faithfully, [Signature illisible]

cause 83. Si cette décision était conforme à mes suggestions, ces navires devraient être relâchés à destination du port britannique le plus rapproché, et rejoindre ce port dans le même délai de trente jours, délai qui part du 17 juillet, date de la lettre du Ministry of Shipping, qui forme accord, comme vous le constaterez à sa lecture.

Rapport d’Hypolite Worms (suite) Obtention d’un délai de 30 jours à compter du 17 juillet 1940 pendant lequel les navires neutres continuent à être assurés par l’Angleterre J’ai donc pris l’initiative de négocier un nouvel accord, laissant une option de 30 jours, pendant lesquels les navires neutres non livrés à l’Angleterre, se trouvant dans les ports français de la métropole ou des colonies, continueraient à être assurés par le War Risks Insurance Office, étant entendu que, pendant cette période de trente jours, j’aurais le temps de vous entretenir à fond de ce problème, et vous, de prendre votre décision en pleine connaissance de

83 Dans une note adressée, le 26 juillet 1940, au secrétaire d’État à la Marine, le ministre des Affaires étrangères s’interroge sur l’attitude à observer vis-à-vis des navires neutres dans les ports français et coloniaux, dont il recommande qu’ils soient retenus en attendant qu’« Hypolite Worms expose la situation aux autorités françaises de manière que celles-ci puissent prendre une décision en connaissance de cause ». Il précise que « pour faire pression sur la France, le War Risks avait fait résilier les polices couvrant ces navires ».

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Lettre de Sir Cyril Hurcomb à Hypolite Worms Berkeley Square House, Berkeley Square, London, W1 17th July 1940 Dear Sir, With reference to the letter from the War Risks Insurance Office of 17th July and our subsequent discussion of the position regarding war risk insurance of neutral vessels on time charter to your Government and now in ports in France or in French possessions, I write to say that the Ministry of Shipping would be prepared to accept transfer of the time charter from your Government of each of the neutral vessels concerned if delivery is given at a British port within the next four weeks, and on the understanding that this will be done, would also be prepared to continue for the same period the war risk insurance cover while the vessel is in port and for the voyage from the port where each vessel now lies to the nearest British port to give delivery. The Ministry of Shipping is also prepared to agree that when delivery has been effectued payment of hire and other payments for charter’s account by the Ministry would be antedated to the time when each vessel sails from the French port. This arrangement would apply as regards both Greek and Swedish vessels. Yours faithfully, Cyril Hurcomb Monsieur Worms French Transport Mission Wesminster House 2, Dean Stanley Street Millbank, SW1

Rapport d’Hypolite Worms (suite) La reprise des chartes-parties par l’Angleterre est fixée au 28 juin 1940 Avant de partir, j’ai tenu à commencer l’exécution du premier accord signé. Pour la grande majorité des bateaux livrés, je me suis mis d’accord avec le Ministry of Shipping pour décider de la date de reprise des chartes, qui a été, presque toujours, fixée au 28 juin. J’ai eu, d’autre part, pour conserver à notre pays le bénéfice de cet accord vis-à-vis des armateurs étrangers, des réunions avec les représentants des armateurs de chaque pays ou leurs représentants officiels, suivant les cas, et leur ai indiqué : 1. que la France leur réglerait tout ce qui leur est dû, et ceci en conformité de l’accord financier passé entre l’attaché financier près l’ambassade de France et la Trésorerie britannique [cf. ci-après], 2. que j’avais l’engagement du Ministry of Shipping pour la reprise, par lui, de nos chartes-parties dans les mêmes termes et aux mêmes conditions, c’est-à-dire sans aucune perte pour eux. 48


Accord financier conclu le 6 juillet 1940 par Emmanuel Monick84, attaché financier près l’ambassade de France, et S.D. Waley, de la Trésorerie britannique

4. Payments from the account shall only be made if they have been concluded in a schedule which has been approved in writing by the Financial Attaché of the French Embassy or someone nominated by him. 5. The Treasury will if necessary make advances to the French Liquidation Account. 6. Any eventual surplus on the account after the repayment of any advances will be kept on a Suspense Account to the credit of the French Government for settlement after the war. Emm. Monick et S. D. Waley 6th July 1940

1. The Treasury will open a French Liquidation Account at the Bank of England. 2. There will be paid into the account : a – sums due by British Government Departments to the French Government or to persons in France, b – the balances of the French Government account N0. 1 and Sub Account “A” at the Bank of England and the Accounts of French Government Missions in London, after setting aside the amount required to wind up the work of the Missions. 3. From the Account, there will be paid sums due to persons in the sterling area by the French Government and organisations organised by the French Government in respect of goods supplied and services rendered.

Rapport d’Hypolite Worms (suite) J’ai, pour terminer l’exécution de cet accord, laissé à Londres, dans l’organisation de la Mission des transports maritimes, un agent, qui, bien au courant de toutes mes négociations, devra régler, tant vis-à-vis du Ministry of Shipping que vis-à-vis des armateurs ou de leurs représentants officiels, tous les détails d’exécution et ajuster tous les comptes de location, sous la surveillance des représentants que l’attaché financier a, lui aussi, laissés sur place. Si vous acceptez de confirmer cet accord fait par moi, et qui complète l’accord général, pour les navires neutres actuellement affectés aux trafics coloniaux, le résultat de ces différents accords sera que la France aura pu se dégager, sans perte sensible, des 1 900 000 tonnes de navires neutres et alliés qui lui avaient été attribués par les accords franco-anglais ; être créditée par l’Angleterre de toutes les marchandises saisies, au prix courant, au lieu des prix bas qu’aurait pu donner la vente de ces mêmes marchandises aux enchères publiques, après réquisition ; et confirmer à tous les pays alliés et neutres, et plus particulièrement à la Suède, à la Norvège, à la Hollande et à la Grèce, dont nous avions les navires en affrètement, que la France tenait ses engagements et ne les laissait pas seuls en face du Ministry of Shipping, qui aurait pu, sans ces accords amiables, profiter des circonstances nouvelles pour modifier les contrats passés, pour tous les navires qui avaient été attribués à la France. D’autre part, ainsi que j’ai eu l’occasion de vous l’indiquer plus haut, et dit dans mes télégrammes, j’ai la profonde conviction qu’il sera possible, lorsque la France et l’Angleterre se seront mises d’accord sur le principe de libre

84 Dans le compte rendu adressé par Emmanuel Monick au ministre des Finances, le 16 juillet 1940, et cité dans la note 65, un chapitre concerne l’accord de Shipping conclu par Hypolite Worms.

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commerce de la France avec ses colonies, d’obtenir, soit du Ministry of Shipping, soit même de certains groupements d’armateurs neutres, les navires nécessaires à ce transport. Profitant des bonnes dispositions du Ministry of Shipping, j’ai essayé de me rendre compte s’il serait possible d’envisager un échange des bateaux français, dans les ports anglais, contre des bateaux anglais se trouvant dans les ports français de la métropole ou des colonies. Je m’en suis ouvert à mes collègues du Ministry of Shipping, et, après quelques jours de réflexion, il m’a été répondu que le gouvernement britannique envisagerait favorablement cette solution, dont la réalisation me paraît pouvoir être poursuivie, si elle entre dans vos vues, et cela malgré la réquisition actuelle des bateaux français dans les ports anglais.

Communications avec la Mission des transports maritimes à New York Dès le 12 juin, en vue de préparer les importations d’acier, je désirais connaître la situation exacte des transports d’Amérique du Nord. Au cours des mois de juin et de juillet, j’ai dû me mettre en rapport direct avec M. Morin de Linclays, ainsi, d’ailleurs, que j’ai été autorisé à le faire par votre Département, au cours de nos dernières communications téléphoniques. Comme M. Morin de Linclays n’avait, lui non plus, aucune relation avec votre Département, je lui ai demandé de m’aviser de toutes questions dont il ne pourrait trouver la solution sur place. Ceci vous explique la suite de télégrammes échangés avec lui. Les différents points traités dans ces télégrammes sont les suivants : Ω “dégaussage 85” Ω désignation des navires Ω achats de navires Ω position des navires Ω ordres donnés aux navires Ω "Normandie" Comme il ressort de cet échange de télégrammes, j’ai eu l’occasion de donner à M. Morin de Linclays un certain nombre d’instructions qui, je le pense, auront votre agrément.

Transport d’avions militaires en juillet 1944 entre New York et Liverpool par le “Bourgogne”, pétrolier de la Société française de transports pétroliers affrété par la Direction des transports maritimes aux États-Unis à partir de septembre 1943

85 Opération permettant aux navires de ne pas être détectés par les mines magnétiques.

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Approbation des accords par les autorités françaises

Les difficultés accrues de communication avec Londres incitent Hypolite Worms, quelques jours plus tard, à confirmer le télégramme précédent.

L’accord conclu par Hypolite Worms le 4 juillet 194086 ainsi que les dispositions prises pour assurer la couverture des risques de guerre des navires affrétés par la France et situés dans les ports de la métropole et des colonies, sont entérinés par les autorités, ainsi que le confirme Hypolite Worms, dès le 4 août, à Sir Cyril Hurcomb et au War Risks Committee.

10 août 1940 Message from Hypolite Worms Vichy To Sir Cyril Hurcomb Director general Ministry of Shipping London My journey to Vichy having taken a fortnight, I only arrived here on the second of August87 – stop – Hence delay – stop – Besides understand that Foreign Office have withdrawn from French acting Consul general use of code so I believe you have not received coded telegrams which I sent you on the 6th and 8th of August – stop – This latter telegram was advising you that French Government agreed release immediately all neutral vessels on colonial traffic and that instructions had been sent to ports that ships were free to leave at once or immediately after discharge for those with cargoes on board – stop – Please arrange for instructions to be sent to captains as to destination they are to proceed to – stop – But owing to delays due to length my return journey and withdrawal official French code which has prevented your receiving my previous telegrams must ask you arrange for War Risks Committee extend insurance for French account on ships which cannot materially reach first British port within the thirty days specified your letter 17th July and for the number of days necessary to enable them reach such port – stop – French Government confirming the above through American Embassy.

Télégramme envoyé par Hypolite Worms 4 août 1940 Très urgent Veuillez prier Fenez, membre du Comité de liquidation Transports maritimes, de transmettre à Sir Cyril Hurcomb, au Ministry of Shipping, la traduction de la communication urgente suivante de la part de M. Hypolite Worms – stop – Référence votre lettre 17 juillet et suite accord provisoire fait Londres, gouvernement français a décidé libérer tous navires neutres affectés trafic colonial qui peuvent librement sortir ports français et coloniaux. Armateurs doivent donc donner leurs capitaines instructions sur ports sur lesquels navires doivent se diriger. Mais étant donné que mon voyage pour arriver Vichy a duré quinze jours et qu’en conséquence décision principe n’a pu être prise que ces jours-ci, que par conséquent il sera matériellement impossible à tous navires rejoindre port britannique le plus rapproché à désigner par armateur avant 16 août, date d’échange de la couverture des risques de guerre, je demande Hurcomb prier War Risks Committee maintenir assurance pour tous navires qui matériellement ne seraient pas arrivés avant 16 août – stop – Veuillez aviser Samuelson et Lusi de décision prise pour qu’ils puissent faire donner toutes instructions leurs capitaines – stop – Étant donné ce qui précède, accord quatre juillet s’étendra dans toutes ses clauses aux navires neutres sur trafic colonial et liquidation tous navires time charter réglée définitivement – stop – Accusez réception et confirmez accord.

87 Dans plusieurs lettres, Hypolite Worms donne le 2 août comme date de son arrivée à Vichy. Ce que ne confirment ni la date du rapport qu’il a remis au secrétariat d’État à la Marine, ni celle de l’autorisation qui lui est remise de pénétrer dans l’immeuble de l’amirauté ; lesquelles sont établies au 1er août. Peut-être est-ce un moyen de prolonger d’une journée le délai négocié avec le War Risks Committee.

86 Voir une note explicative (non datée) sur les accords Worms émise par le secrétariat d’État à la Marine et classée en 1940.

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Accusations portées contre Hypolite Worms « d’avoir vendu la flotte de commerce française aux Anglais » Retour d’Hypolite Worms à Paris (septembre 1940) Hypolite Worms quitte une première fois Vichy pour se rendre à Paris, à la mi-août 1940. Le 11, il est en effet chargé par le secrétariat d’État à la Marine d’une mission d’une dizaine de jours dans la capitale, en qualité de délégué de l’amirauté (voir les ordres ci-après signés les 11 et 13 août 1940 par le contre-amiral Gabriel Auphan). Hypolite Worms est accompagné dans son déplacement par son secrétaire, Raymond Meynial.

Ω

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Le 28 août 1940, il envoie de Vichy à M. Revoil, responsable de la succursale Worms de Marseille, une lettre qui commence ainsi : Boite postale 56 Vichy, le 28 août 1940 Cher Monsieur Revoil, Je rentre de Paris. Je reste ici quelques jours, et il est possible que j’aille vous voir à Marseille, si les circonstances me permettent d’aller me reposer quelques jours au CapFerrat, comme j’en ai un peu l’intention. En tout cas, je vous téléphonerai. [...]

M. Hypolite Worms left Vichy about September 1940 and never returned there except on one or two occasions at the end of 1940 or early 1941 to see the shipping section of the Ministry over business matters. The firm had no activity there. It only kept a clerk and a typist in a small office 89 in order to keep contact with the Office des Changes of the French Government as did all other banks. The Firm had no branch there 90.

Son départ définitif de Vichy a lieu en septembre 1940. Cette indication est donnée dans un document intitulé Statement prepared by Worms & Cie relating to its wartime history and the French judicial proceedings which ensued 88. Un paragraphe de ce rapport fait en effet le point sur la présence de la Maison et de son chef à Vichy :

89 Il se peut que cet établissement fût situé au 48, avenue Eugène Gilbert, adresse portée sur un télégramme adressé à George F. Doriot par Raymond Meynial, à une date non précisée et classé en 1940. Voir également un courrier d’Hypolite Worms à Jacques Barnaud en date du 22 septembre 1940. 90 Dans la liste (non datée) des corrections à apporter à Our Vichy Gamble et classée en 1947, il est indiqué (cf. PDF, p. 6) : « As a matter of fact, as I [Hypolite Worms] told you, we had no branch at Vichy but all the banks had some representatives to keep contact with the Bank of France and with the Treasury Dept., so as to carry out operations with foreign countries. In order to be quite accurate we felt it better to state that we had 2 people of our firm at Vichy. This office was closed in 1942 when France was entirely occupied. »

88 Paru le 20 septembre 1947, ce document, rédigé en anglais, répond aux attaques lancées contre la Maison par William H. Langer, professeur d’histoire à l’université de Harvard, dans Our Vichy Gamble, ouvrage publié par Alfred A. Knopf Inc., au printemps de 1947.

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La presse collaborationniste se déchaîne

remplir une mission importante : renforcer la flotte marchande française en affrétant autant de bateaux étrangers que possible : grecs, norvégiens, suédois, hollandais. Toujours cette attitude de rendre service à l’État. Arrive l’armistice. Que faire des contrats signés pour la durée de la guerre alors que celle-ci se termine prématurément pour la France ? Les Britanniques menacent de réquisitionner les navires en vendant les cargaisons aux enchères. Hypolite Worms a engagé son crédit personnel dans cette affaire, notamment pour affréter une partie importante de la flotte grecque, et il n’a pas envie de se brouiller avec son milieu professionnel. Il a donc tout intérêt à ce que, d’une manière ou d’une autre, les contrats soient honorés. De toute façon, les bateaux, alors, sont bloqués, fera-t-il valoir dans un rapport remis aux autorités de Vichy. En restant leur affréteur, la France risque de dépenser en frais courants quinze à vingt millions de francs par jour pour rien, de perdre des sommes importantes sur la valeur des cargaisons si elles sont vendues aux enchères et d’avoir à rembourser les propriétaires en cas de destruction des cargos. La perfide Albion, sous les traits du War Risks Insurance Office, menace en effet de ne plus assurer les bateaux. Hypolite Worms va donc négocier pendant plusieurs jours, juste après la défaite, un accord amiable qui permettra aux Britanniques de reprendre les contrats aux conditions initiales. Ni les armateurs ni les finances publiques françaises ne risquent plus d’enregistrer de lourdes pertes. D’un point de vue technocratique, c’est parfait. Mais pour la presse collaborationniste de Paris, Worms est devenu l’armateur [...] qui a remis une partie de la flotte de commerce aux Anglais [...]. Dès le 3 juillet 1940, la flotte britannique a tiré sur les navires de guerre français réfugiés à Mers el-Kébir [...]. L’attaque a provoqué le déchaînement de réactions hostiles à la GrandeBretagne. Or l’armateur est connu pour entretenir d’excellentes relations avec ce pays. L’entreprise familiale ne doit-elle pas son décollage à l’importation du charbon britannique ? Hypolite Worms, par ailleurs, n’a-t-il pas appris son métier outre-Manche et n’estil pas marié avec une Anglaise ? L’administration de Sa Majesté, en outre, ne lui a pas facilité les choses : l’accord qu’il négociait a été conclu le 4 juillet, le lendemain de Mers el-Kébir ! »

Dès que les accords Worms sont connus de l’opinion, leur artisan devient la cible d’une violente campagne orchestrée par les journaux collaborationnistes. Le premier article paraît le 21 octobre 1940 dans Paris-Soir sous la plume de Rudy Cantel91 : Comment peut-on tolérer que M. Hypolite Worms, qui fut, pendant la guerre 1939-40, chef de la délégation française à Londres, puisse encore exercer une activité quelconque ? Hypolite Worms a, par son action raisonnée, centralisé toute l’œuvre de la flotte de commerce française en Angleterre Volontairement, cet étrange catholique frais teint avait quitté la mission française, située, 2, Dean Stanley Street, pour installer son bureau au siège même du Ministry of Shipping, Berkeley Square, juste au-dessous du bureau du ministre britannique. La flotte de commerce française, dont les intérêts avaient été confiés à ce bizarre représentant, se trouvait ainsi entièrement placée entre les mains de l’Angleterre. Cette mainmise préparait le coup le plus cruel qui ait atteint notre flotte de commerce et nos marins : la séquestration de la plus grande partie de nos bâtiments et de leurs équipages dans les ports britanniques 92. « La presse parisienne collaborationniste se déchaîne dès l’été et l’automne 1940 contre la Maison Worms, commentent Renaud de Rochebrune et Jean-Claude Hazera dans le chapitre de leur livre Les Patrons sous l’Occupation, intitulé “Worms, quartier général de la synarchie ?93”. Elle met en cause le rôle personnel joué par Hypolite Worms, son patron, dans les relations francobritanniques. Celui-ci, après la déclaration de guerre, a été envoyé, on le sait, par le gouvernement à Londres, avec un titre officiel – “chef de la délégation française au Comité exécutif des transports maritimes” –, pour

91 D’autres papiers du même suivront : les 23 octobre 1940, 24 octobre 1940, 3 novembre 1940, 11 novembre 1940 et 13 novembre 1940. S’y ajouteront les attaques de G. de Brehville dans Au Pilori, de Dauphin-Meunier dans Aujourd’hui, et les articles parus dans La France au travail, L’Œuvre, Le Franciste, L’Appel, France Europe..., dont plusieurs journaux régionaux se feront l’écho. 92 Voir page 37 et note 78 sur la saisie des navires français (Worms notamment) dans les ports britanniques dès les premiers jours de juillet 1940. 93 Pages 195-196 et 201.

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Le 3 juillet 1940, veille de la signature par Hypolite Worms de l’accord qui transfère au Royaume-Uni les navires neutres affrétés par la France, l’Angleterre attaque une escadre de la flotte militaire française à Mers el-Kébir

« M. Pierre Laval […] s’est déclaré l’adversaire décidé de notre Maison » Gabriel Le Roy L adurie, 27 septembre 1944 Aux yeux des dirigeants de la Maison, le déchaînement à leur encontre des journaux de propagande pro-nazie est fomenté par un homme : Pierre Laval94.

Interrogé le 27 septembre 1944 par le juge Georges Thirion95, Gabriel Le Roy Ladurie déclare : Nous étions en butte à l’hostilité de certains milieux français qui fournissaient aux Allemands Ies éléments de la campagne qu’ils se proposaient d’entreprendre contre nous. M. Pierre Laval, notamment, s’est déclaré l’adversaire décidé de notre Maison.

94 Plusieurs fois ministre au cours des années 1930, Pierre Laval (1883-1945) revient au gouvernement le 23 juin 1940 avec le portefeuille de la Justice. Il œuvre à l’adoption de la loi constitutionnelle du 10 juillet 1940 qui investit Philippe Pétain des pleins pouvoirs constituants. Le 12 juillet 1940, il est nommé vice-président du Conseil des ministres et secrétaire d’État aux Affaires étrangères tandis que Pétain occupe à la fois les fonctions de chef de l’État et du gouvernement. « De juillet à décembre 1940, Laval mène une politique de collaboration active, avec le projet d’alliance avec l’Allemagne nazie, qui inquiète certains membres de son gouvernement. Mais surtout, il agit trop indépendamment au goût de Pétain, jaloux de son autorité, qui considère que l’impopularité de Laval auprès de la masse des Français risque à terme de rejaillir sur le régime » et va le sanctionner – source : Wikipédia.

Hypolite Worms rapporte à ce même juge le 17 octobre 1944 : En août et septembre 1940, j’ai fait plusieurs voyages à Vichy pour y rencontrer l’amiral Auphand, directeur de la Marine marchande, à l’occasion de la mission que j’avais remplie

95 Juge au Tribunal de la Seine, Georges Thirion instruit l’action judiciaire ouverte contre Hypolite Worms, en tant que principal actionnaire de la société, et Gabriel Le Roy Ladurie, en tant que directeur des Services bancaires Worms & Cie, entre le 23 septembre 1944, date à laquelle ils sont suspectés de collaboration avec l’ennemi, et le 25 octobre 1946, date du non lieu de ce chef d’accusation prononcé par la Cour de justice.

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en Angleterre. Au cours d’un de ces voyages, ayant entendu dire que M. Laval tenait des propos hostiles à ma personne et à ma Maison, je lui demandais audience. Je fus reçu par M. Laval qui se montra violent et qui me reprocha d’être opposé à sa politique. Je lui ai assuré que je n’avais rien fait contre lui et que j’avais pour règle de m’abstenir de toute activité politique. M. Laval m’a parlé de certaines personnes de mon entourage, et plus spécialement de M. Le Roy Ladurie, qu’il accusait d’être monarchiste. M. Laval insista sur le fait qu’il « casserait les reins », selon sa propre expression à toute personne qui s’opposerait à lui. Depuis, je n’ai plus revu M. Laval et pas davantage l’amiral Darlan ni aucun autre ministre. Je n’ai jamais assisté à aucune réunion politique privée ou autre. J’ai toujours eu pour principe de ne pas m’occuper de la vie privée et des opinions politiques de mes collaborateurs à qui je demandais seulement d’être dévoués aux intérêts que je leur confiais. Si des personnes appartenant à la Maison Worms ou ayant un rapport quelconque avec elle, ont joué un rôle politique ou [excercé] une activité quelconque extra-professionnelle, elles l’ont fait sous leur responsabilité et indépendamment de la Maison Worms et de moi-même. J’entends affirmer de façon absolue le principe de cette scission complète.

Le 19 août 1943, Pierre Laval déclara qu’il n’aurait pas été destitué par Pétain le 13 décembre 1940 s’il avait fait arrêter Hypolite Worms comme il en avait eu l’intention fin octobre 1940

de ma mission et que je connaissais personnellement pour les avoir rencontrés précédemment sur le plan professionnel [...], Darlan, Auphan, Baudouin, Piétri, Lémery, Bouthillier”, explique-t-il au juge d’instruction en 194497. » Afin de faire taire les détracteurs de la Maison, François Darlan adresse, le 28 octobre 1940, au général de la Laurencie, Délégué général du gouvernement français dans les territoires occupés, la lettre suivante : J’ai eu connaissance d’articles parus récemment dans la presse parisienne et contenant des attaques assez vives contre M. Hypolite Worms.

Encore que, soulignent Renaud de Rochebrune et JeanClaude Hazera dans Les Patrons sous l’Occupation96, « l’armateur a beau être persuadé de ne pas faire de politique, il a des idées très arrêtées en faveur de la Grande-Bretagne. Et il ne le cache pas à un moment charnière, au début de l’Occupation, lorsque le nouvel homme fort du pays veut faire basculer la politique française vers les Allemands et contre les Anglais. Pendant les journées de juin où le gouvernement hésitait entre l’armistice voulu par le maréchal et ses amis et la poursuite de la guerre, cet empêcheur de tourner en rond a déjà poussé Emmanuel Monick, l’attaché financier à Londres, à faire le voyage à Bordeaux pour convaincre le gouvernement français de la volonté farouche des Anglais de continuer la guerre. Arrivé à Vichy, au milieu de l’été, il récidive ! “Convaincu que j’étais de l’impossibilité d’une invasion de l’Angleterre au point de vue technique et toujours persuadé de sa décision de résistance, je suis allé voir pour leur exposer mon point de vue les ministres auxquels je devais rendre compte

97 Hypolite Worms à Georges Thirion le 17 octobre 1944 : « Je constate que le thème de cette campagne a été de m’accuser d’avoir eu soit par moi-même soit par des hommes politiques membres prétendus de mon groupe, une attitude hostile à la collaboration francoallemande. J’ai donc le droit d’être surpris de voir reprendre aujourd’hui la même campagne pour réclamer mon arrestation et mon inculpation, ce qui est tout à la fois absurde et contradictoire. »

96 Op. cit., pages 195-196 et 201.

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Je vous signale que M. Worms était chargé officiellement pendant la guerre d’une importante mission en GrandeBretagne pour le compte de la Marine marchande française. Le gouvernement français a pu apprécier, tant au cours de cette mission qu’à sa conclusion, les mérites, le talent et l’indépendance de M. Worms. J’ai tenu moi-même à lui exprimer, en août dernier, mes félicitations et la reconnaissance du pays et continue à le considérer comme un conseiller écouté de la Marine. L’imputation injurieuse qui est faite à M. Worms d’avoir disposé en faveur de l’Angleterre de tout ou partie de la flotte de commerce française est une pure invention. Si une partie notable de notre flotte de commerce est retenue en Grande-Bretagne, après s’y être réfugiée en toute confiance le 17 et le 25 juin, c’est en vertu d’un acte de force du gouvernement britannique. F. Darlan

Trois jours auparavant, le 25 octobre 1940, la Maison Worms a été placée sous le contrôle d’un administrateur allemand investi des pouvoirs de gestion les plus étendus, et les Chantiers du Trait sous celui de la Kriegsmarine. Worms & Cie est le seul établissement français, en dehors de la Banque de France et des banques étrangères établies sur le territoire, qui eut à subir une telle mesure. Pour autant, Laval n’en démordra pas. Ainsi, un rapport du 19 août 1943 relate-t-il : Le bruit s’est répandu à Paris, il y a 8 jours environ, et a été confirmé depuis, que le président Laval avait l’intention de faire arrêter Gabriel Le Roy Ladurie ; M. Laval aurait parlé de cette intervention lors de la réunion des cadres de la Légion des anciens combattants à Vichy. M. Bussières, préfet de police aurait été chargé de procéder à cette arrestation ; il n’aurait pu la faire par suite de l’absence de M. Gabriel Le Roy Ladurie, qui se reposait hors de chez lui. Dans ces conditions, M. Laval revenant sur son premier mouvement, aurait décidé de ne pas faire procéder à cette arrestation. Mais le geste de mansuétude a produit parmi les cadres de la Légion une impression d’indécision. On aurait tendance à accuser M. Laval d’avoir été trop généreux, d’autant plus qu’il aurait ajouté à ce même exposé qu’il avait eu l’intention de faire arrêter M. Hypolite Worms un mois et demi avant le 13 décembre 98. Ses auditeurs en ont conclu que s’il avait fait procéder à cette arrestation avant le 13 décembre, le 13 décembre n’aurait pas eu lieu.

98 Il s’agit du 13 décembre 1940, date à laquelle Pierre Laval a été démis de ses fonctions de vice-président du Conseil par le maréchal Pétain qui lui a déclaré : « Vous n’avez plus ma confiance ». Il a été remplacé par PierreÉtienne Flandin d’abord (13 décembre 1940-9 février 1941), et par François Darlan ensuite (9 février 194118 avril 1942). Alors que ce dernier tombe en disgrâce, Laval, appuyé et pressé par Göring, revient au pouvoir le 18 avril 1942, date à laquelle il est nommé chef de gouvernement. Il occupera cette fonction jusqu’au 19 août 1944. Le 22 juin 1942, il déclare à la radio : « J’ai la volonté de rétablir avec l’Allemagne et l’Italie des relations normales et confiantes. De cette guerre surgira inévitablement une nouvelle Europe. […] Pour construire cette Europe, l’Allemagne est en train de livrer des combats gigantesques […] Je souhaite la victoire allemande, parce que, sans elle, le bolchevisme demain s’installerait partout. »

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Suites des accords “Worms” Bien qu’ils aient été considérés comme une preuve de trahison par les collaborationnistes, les accords Worms seront utilisés par les avocats du maréchal Pétain dans leur système de défense, comme l’indique un article du Monde, daté du 16 août 1945, et intitulé « La dernière audience du procès Pétain » : Le bâtonnier Payen montre que le maréchal Pétain [...] a cherché des occasions de se rapprocher de l’Angleterre, comme le prouvent les accords Worms aux termes desquels nos bateaux devaient être, lors de l’armistice, transférés à l’Angleterre. Cette exploitation des accords en vue d’attester les convictions pro-anglaises du maréchal Pétain est démentie par le rapport déposé le 6 février 1947 par MM. Pradelle et Zacarie, rapporteurs auprès de la Commission nationale interprofessionelle d’épuration99.

Au début de la guerre, M. Hypolite Worms était en Grande-Bretagne le représentant du ministre de la Marine marchande française. C’est en cette qualité qu’il négocia avec le gouvernement anglais, lorsque fut signé l’armistice entre la France et l’Allemagne, les accords qui portent son nom. De sa propre initiative et en violation des clauses adoptées par Pétain qui interdisaient à la France de traiter ni même négocier avec les puissances étrangères en état de guerre avec l’Allemagne, H. Worms, en plein accord avec M. Monick, alors attaché financier auprès de l’ambassade de France négocia le transfert au profit du gouvernement anglais de tous les contrats d’affrètement signés avant l’armistice par la Mission de la marine marchande pour compte du gouvernement français. Par ce transfert, toute la flotte marchande au service de la France passait au service de l’Angleterre, qui nous reprenait au prix coûtant les cargaisons, notamment le matériel de guerre, qui se trouvait à bord de ces navires.

99 Une traduction des principales informations données dans ce rapport est fournie en page 2 du document du 20 septembre 1947 intitulé Statement prepared by Worms & Cie relating to its wartime history and the French judicial proceedings which ensued.

Navires marchands en convoi dans l’Atlantique

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L’Angleterre prenait la suite de tous les engagements de la France en matière de tonnage marchand allié ou neutre. M. Worms donna instructions de diriger sur Liverpool les vapeurs " Dalcross" et " Tilsington Court", dont les chargements (obus, fusils, mitrailleuses) devaient être terminés et qui étaient destinés à des ports français. On comprend qu’un tel service rendu à la cause alliée valut à M. Worms – marié à une Anglaise et dont la fille unique avait épousé un Anglais, donc suspect (à bon escient) d’anglophilie – de nombreuses attaques de la part des journaux à la solde de l’Allemagne, qui parurent en zone occupée (Paris-Soir du 24 octobre 1940), et cela d’autant plus que M. Worms, rentré pour reprendre la direction de sa Maison à Paris, semblait défier ses adversaires.

la question de la responsabilité des assureurs français dans la couverture des sinistres dont furent victimes les navires et cargaisons concernés par ledit accord, d’une part, et, d’autre part, sur les problèmes relatifs à la qualification et à la compétence des tribunaux de commerce français dans le règlement de ces litiges. En mai 1947, la Maison se tournera à nouveau vers cet avocat au sujet d’une réclamation des armateurs de 26 navires norvégiens qui, « faisant des calculs savants sur les plus hauts frets enregistrés pendant la guerre, réclament au gouvernement français plusieurs millions de livres sterling et un nombre encore plus imposant de millions de dollars » sous prétexte « que, contrairement aux engagements pris par le gouvernement français, leurs navires ont été retenus dans des ports nordafricains au lieu d’être relâchés vers un port britannique où ils devaient être pris en charge par le gouvernement anglais, qui prenait la suite du gouvernement français dans tous ses engagements100 ».

Les modalités d’application de l’accord du 4 juillet 1940 ont donné lieu à diverses études. Ainsi, par exemple, M. de Grandmaison, avocat à la Cour d’appel, statua, dans un rapport en date du 1er octobre 1942, sur

100 Les archives renferment également des documents relatifs à la situation de la Marine marchande pendant la guerre, qui n’ont pas été utilisés dans cette monographie mais possèdent une valeur historique : - note du 24 août 1940 sur les difficultés de ravitaillement de la France qui est « hors d’état, en temps normal, de subvenir par elle-même à ses besoins », suite aux mesures prises depuis l’armistice, et notamment à la division du territoire en deux zones, dont l’une équivaut à « un mur infranchissable », sur les mesures envisagées et les principaux besoins d’importation ;

- note de mars 1941 – statistiques concernant la Marine marchande française : situation avant la guerre et en mars 1941 – tonnage global, nombre de navires de plus de 500 tonnes, classement du tonnage par type de navires, âge moyen, vitesse, équipement des navires, propriété de l’État et propriété privée... - rapports sur la position des navires Worms, NCHP et SFTP tout au long du conflit, voir les répertoires “ Archives ” de 1939 à 1945 sur le site www.wormsetcie. com.

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Dépôt légal numérique novembre 2017 Dépôt légal tirage papier novembre 2017 Imprimé à Luxembourg par Imprimerie centrale SA en juin 2022

Conception graphique : Frédéric Van de Walle et Christian Lebailly

www.wormsetcie.com


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