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TEMPS FORT
TERRE-NET MÉDIA
Pour répondre aux nouvelles exigences et respecter l’environnement en limitant l’utilisation de matière plastique, La Perche fabrique des pailles pour boire à partir de tiges de seigle. En transformant un produit naturel, les employées en réinsertion professionnelle retrouvent de la fierté dans leur travail.
ADOBE STOCK
Jeff Lubrano, designer aux expériences professionnelles aussi diversifiées que ses projets, ouvre la porte de son local bien rempli: des fagots de paille, une drôle de machine qui crache des tiges de 10 à 20cm de longueur, un évier et une paillasse où d’autres sont alignées dans des caisses, puis des boîtes de différentes tailles, formes, matières. Découpe, lavage, essuyage… les employées s’activent autour de ces fameuses tiges qui sont en fait «des chaumes de seigle», explique l’une d’elles. Depuis 2018, les pailles de céréales sont transformées en pailles de boisson. L’idée a germé un an auparavant dans l’esprit fertile de Jeff Lubrano, qui souhaitait «contribuer ainsi à la réduction des déchets plastiques», en lien avec l’agriculture et la ruralité, comme il essaie de le faire le plus souvent possible (son studio de design ne s’appelle pas «Fertile» par hasard!). Il teste alors avec du blé chez un agriculteur, mais les éteules sont «fragiles et de trop petit diamètre». À l’automne, il sème donc des variétés plus anciennes et du seigle. Une fois moissonné, ce dernier lui semble «plus adapté» à ce qu’il cherche. Quelques mois plus tard, à l'automne 2018, son «prototype de paille en paille» est prêt. Reste à convaincre les exploitants environnants de cultiver du seigle, «une vingtaine d'hectares pour commencer».
Recycler au maximum
Jeff croit tellement en son projet qu’il est convaincant. Ses arguments intéressent: la valorisation d’un coproduit d’une culture du département, apportant un complément de revenu aux agriculteurs, avec une transformation tout aussi locale, créatrice de plusieurs emplois pour des personnes en réinsertion professionnelle. «En transformant un produit naturel, réutilisable cinq à sept fois puis que l'on peut mettre au composteur, elles retrouvent de la fierté dans leur travail. Plusieurs s'intéressent à la manière dont est produit le seigle et certaines viennent même donner un coup de main à la moisson», raconte-t-il. Le designer aime mettre en avant les bienfaits environnementaux, sociaux et économiques de sa démarche, parlant «d'économie circulaire». Même les résidus de découpe sont recyclés: ils sont broyés et conditionnés pour être utilisés comme paillage par les maraîchers et particuliers. Ce qui n'est pas broyable est transformé en biomatériau servant à fabriquer des boutons pour la filière textile. Les contenants dans lesquels sont commercialisées les pailles, eux, sont en papier, en bois ou en verre, et sont rechargeables. Quant au local, il a été aménagé au maximum avec des matériaux et éléments de récupération.
La moisson, une étape-clef
En 2018 donc, 23ha de seigle sont implantés pour être transformés en pailles à boire. «Le cahier des charges est simple, précise Jeff. Les variétés doivent être d’origine bio et les graines valorisées par ailleurs.» Pour l’itinéraire technique, il fait confiance à
Après nettoyage et désinfection, les pailles restent une nuit dans le séchoir avant d’être reprise par l’opératrice.
Afin de vérifier que les pailles sont creuses, les opérateurs passent le goupillon dans chacune d’entre elles après le séchage.
STÉPHANE FASSIER, agriculteur
aux producteurs. «Nous sommes des partenaires, insiste-t-il. De toute façon, les tiges de seigle sont peu sujettes aux maladies et si elles sont bien stockées, à l’abri de la lumière et de l’humidité, elles peuvent se conserver deux ans. Le principal problème, c’est la verse. L’excès de pluie et de vent, comme de sec d’ailleurs, est préjudiciable. Une année, on a eu 4ha de pourris.» En outre, une étude a été menée pour évaluer les risques bactériologiques et allergènes sur les pailles de seigle. Des analyses sanitaires sont également pratiquées par la coopérative Biocer et un laboratoire départemental, à la sortie de la parcelle et à l’entrée/ sortie de l’atelier. Et les pailles sont stérilisées, pas à haute température, car «elles ne tiendraient pas», mais à l’eau ozonée, un procédé naturel. Si l’entrepreneur est régulièrement en contact avec les exploitants qui travaillent avec lui, à la moisson, il tient à être présent. Car ce n’est pas seulement l’aboutissement d’une année à prendre soin de la culture, mais aussi une étape-clef où il ne faut pas abîmer les pailles. D'abord ramassées à la main, celles-ci passent maintenant dans une faucheuse-lieuse-javeleuse que Jeff a fait remettre en état. L’outil coupe les tiges suffisamment haut, mais peut facilement bourrer. Il faudrait développer un matériel spécifique, comme celui découpant les pailles à l’atelier dessiné par Jeff. Côté cadence, l’outil produit 2000 pailles/h, sachant qu’une tige donne deux à trois pailles. Le marché de niche oblige à raisonner ses investissements et pour le moment, Jeff préfère s’équiper d’une seconde machine à découper pour gagner en efficacité.
Une diversification porteuse de sens
Après la récolte, la paille est coupée, triée et stockée en palox directement chez les producteurs. «Tous les quinze jours, je viens récupérer la quantité dont j’ai besoin, explique notre hôte. Chaque année, je dois aussi trouver de nouveaux agriculteurs, pour produire les 10 à 15ha dont j’ai besoin à présent. Sachant que je me suis constitué un stock tampon pour absorber les variations de production liées aux aléas climatiques.» En fonction des rotations, le seigle n’est pas systématiquement présent dans leur assolement. Cette année, Stéphane Fassier en a cultivé quelques hectares pour La Perche (nom de la marque de pailles). Ses motivations? «Sur ma ferme, je ne veux pas à
L’EXPLOITATION DE STÉPHANE FASSIER EN CHIFFRES
TERRE-NET MÉDIA SAU: 145 ha, dont 70 ha de cultures (blé d’hiver: 8 ha; blé de printemps: 9 ha; orge de printemps: 6 ha; seigle: 8 ha; grand épeautre: 6 ha; petit épeautre: 6 ha; mélange triticale/ pois: 7 ha; féverole: 4 ha; dans la rotation, luzerne: 9 ha et trèfle: 5 ha) et 75 ha de prairies naturelles Élevage: atelier allaitant de 30 mères, 90 bovins au total (élevés 100 % dehors et à l'herbe) Débouchés: vente directe à un meunier (Farines du Perche) et via un GIE de 26 agriculteurs (viande)
Diversifier assolement, débouchés et revenu
avoir qu'un seul acheteur, souligne-t-il. Je diversifie au maximum les débouchés pour sécuriser mon revenu. En voilà un de plus. Je teste régulièrement de nouvelles choses. Là, c’est sans pression économique, sur peu d’hectares.» Pour la prochaine campagne, c’est un couple de jeunes agriculteurs, fraîchement convertis en bio, qui devrait se lancer dans l’aventure sur 1,5ha. «La jeune génération est sensible aux projets qui ont du sens socialement et vis-à-vis de l'environnement. J'essaie de les accompagner, à mon échelle, dans leurs réflexions», indique Jeff Lubrano. Rémi Pelletier et sa compagne Sarah Guillemot étaient en quête de «cultures porteuses de sens». Passionné par celles qu’il suit avec son père depuis tout petit, Rémi aime «essayer diverses plantes et pratiques», comme Stéphane Fassier. Objectif: mettre en place différents ateliers qui se complètent pour diluer le risque. «Le seigle s'inscrit parfaitement dans cette logique, appuie le jeune homme. Diversifier l’assolement et allonger les rotations pour alimenter nos animaux le mieux possible, et trouver d’autres valorisations complémentaires à la livraison aux OS, en particulier pour les tiges, c’est important, notamment en AB. Cela permet de lisser les variations de résultats et s’avère plus sécurisant, vu le potentiel de nos terres, très dépendantes de la météo. D’autant que le seigle est peu exigeant. On peut donc le semer après une espèce qui l’est davantage, tel le blé. Cette culture est cohérente avec le système vers lequel nous désirons aller.»
Et en termes de commercialisation et communication?
Mais que deviennent les pailles à boire en seigle fabriquées par La Perche, une fois conditionnées en sachets, boîtes ou bocaux? Elles sont vendues aux brasseries, restaurants étoilés et palaces, jusqu’à Montpellier et Paris en passant par l’Auvergne, ainsi qu’aux particuliers via le site Internet laperche.bio. «C'est un beau produit avec tout un travail, derrière, réalisé par les producteurs et les salariés d'Atre [Atelier tremplin pour la réinsertion et l’emploi]. Ils doivent en avoir conscience. La plupart du
EN SAVOIR PLUS SUR CES JEUNES AGRICULTEURS Rémi Pelletier
Âge: 28 ans Formation: Bac STAV, BTS Acse, CS gestion et comptabilité agricoles Expériences professionnelles: un peu de salariat en fermes, conseiller à la chambre d’agriculture pendant sept ans (double actif jusqu’en octobre 2021, à temps plein puis partiel) Installation: 1er janvier 2018, hors cadre familial, sur 60 ha (son père étant agriculteur pas encore à la retraite) Statut: individuel SAU actuelle: 50 ha en conventionnel (blé, maïs, colza et prairies naturelles), Assolement: 25 % colza, 25 % blé après colza, 25 % maïs, 25 % blé après maïs (4 groupes de parcelles de 15 ha chacun) Élevage: atelier allaitant depuis mars 2022, en plein air intégral, pour valoriser les prairies, les zones difficiles et humides (choix de la race rustique Aubrac) Objectif: 15 mères (la moitié en pension), vente directe de viande
SARAH GUILLEMO T
Sarah Guillemot, sa compagne
Activité: enseignante d’équitation (avec des chevaux en propriété) Installation: courant 2020 (pour créer une ferme équestre) sur une seconde exploitation (achat d’un poulailler avec quelques terres autour, mais arrêt de la production avicole à cause du système en intégration), création d’une EARL avec Rémi SAU: 20 ha en bio depuis le 1er mai 2022 (prairies mises à disposition par l’exploitation de Rémi) Assolement: trèfle violet, blé, seigle, méteil grain (et parfois un peu de colza)
Différents packagings sont disponibles, notamment des boîtes en bois aux visuels agricoles pour les restaurants.
TERRE-NET MÉDIA temps, c’est le cas, ils comprennent très bien pourquoi ils paient plus cher», déclare Jeff Lubrano. Et question prix pour les agriculteurs? «Ce sont eux qui les fixent. Généralement, ils ne demandent pas assez. Il faut bien rémunérer la qualité du produit et son stockage», ajoute-t-il. Pour faire connaître ses pailles, le designer mise sur la communication. D’abord via le nom de la marque – qui rappelle en plus de la forme le lien avec le territoire –, le packaging et la publicité (flyers, affiches, goodies), puis grâce à une présence dans des lieux stratégiques (offices de tourisme et événements régionaux, etc.), sur les réseaux sociaux, et à l’organisation d’animations, autour de la moisson par exemple, à laquelle ses clients, les agriculteurs du coin et le grand public sont invités à participer, pour «l'aspect collaboratif et convivial». Jeff Lubrano vise 1,8 à 2millions de pailles/an, contre 800000 les premières années, mais pas plus (à savoir que 3milliards sont consommés annuellement dans notre pays). «Il faudrait alors embaucher un commercial», argumente-t-il. De toute façon, son but est de rester une microfilière locale, quitte à faire des émules ailleurs, ce qui semble déjà être le cas, voire à partager son expérience. Car, désireux d’innover en permanence, il planche déjà sur d’autres idées, dont des jeans en fibre de chanvre. ■
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