Wild africa 10pages

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PRÉFACE

L

ou encore objets d’étude scientifique. À mesure

à propos des lions et des tigres aperçus au zoo :

négatifs couleur viennent compléter la panoplie

artistique vouée à la photographie argentique,

parfait, celui où l’osmose entre l’animal et son

qu’ils devenaient familiers et accessibles, on se

« Combien il est nécessaire de se secouer de

du photographe naturaliste. En parallèle des

il revendique la prise de vues en noir et blanc,

environnement confère à la scène un caractère

préoccupa de leurs conditions d’existence. Le

temps en temps, de mettre la tête dehors, de

progrès techniques, la photographie animalière

qui demande non seulement une technique

intemporel. Enfin, un temps de latence est

discours de préservation des espèces menacées

chercher à lire dans la création, qui n’a rien de

est légitimée au sein des sociétés de géographie

confirmée, mais aussi un œil exercé à percevoir

nécessaire avant la sélection finale des épreuves

et la reconnaissance de l’animal en tant qu’être

commun avec nos villes et avec les ouvrages

et d’histoire naturelle, qui soutiennent les

dans leurs variations les plus fines contrastes

suivant des critères esthétiques — cadrage,

doué de sensibilité allaient de pair avec cette

des hommes 3! »

expéditions de photographes afin d’étoffer la do-

et gradations de lumière. Cette parfaite

composition, lumière —, ultime manifestation

attention nouvelle. Ce plaidoyer, qui sous-tend

Lorsqu’il en appelle à l’étude de la création,

cumentation sur les espèces exotiques et lancent

maîtrise lui permet d’atteindre la richesse de

de la subjectivité du photographe.

aujourd’hui beaucoup de représentations

c’est-à-dire de l’ensemble des êtres vivants

les premières campagnes pour la préservation

la gamme tonale, le velouté des contours et le

C’est donc une succession de rencontres

animalières, se retrouve dans les portraits de

peuplant le monde, Delacroix semble vouloir

de celles qui sont menacées. Grâce à la photo-

savant clair-obscur que l’on observe dans ses

fortuites, tantôt drôles, tantôt émouvantes,

bêtes sauvages de Laurent Baheux. Ainsi, le

revenir au lien originel unissant humanité

graphie, il est désormais possible d’approcher de

images. Dans les photographies d’Afrique de

mais toujours intenses et touchant parfois

choix de représenter la faune africaine est-il

et animalité, lien qui s’apparente pour lui

très près l’animal et de le saisir dans son habitat

Sebastião Salgado et de Peter Beard, consacrées

au sublime, que nous livre Laurent Baheux à

chez lui l’expression d’un parti pris idéologique

à un rapport de forces. Les bêtes sauvages

naturel, libre, spontané, d’où une nouvelle façon

respectivement à la misère des populations

travers ses œuvres. Son message de préserva-

e t e s t h é t i q u e . L e s f é l i n s e t l e s g ra n d s

peuplant le monde primitif seraient un danger

de le percevoir. Ainsi naît la photographie de

et à l’extermination des espèces menacées,

tion des espèces animales se passe d’images

mammifères d’Afrique constituent en effet un

qu’il appartient à l’homme de subjuguer. Les

nature, qui suppose de figurer les occupants

la force symbolique des motifs et l’impact du

choquantes ou de symboles ; il réside tout

inépuisable répertoire de formes où l’élégance

nombreuses chasses au lion qu’il représente

d’un espace sauvage d’où l’homme est absent.

message de dénonciation sont en grande partie

entier dans l’éclat d’un regard et la simplicité

des silhouettes et la majesté des attitudes le

dans ses tableaux témoignent ainsi d’une

Si Laurent Baheux se place dans cette lignée,

redevables à l’usage classique du noir et blanc.

charmante d’une attitude. En Afrique, Laurent

disputent à la rudesse des mouvements. Il y

osmose entre l’homme et la nature, même si

il ne se reconnaît pas dans le qualificatif de

À l’instar de ces prédécesseurs, Laurent Baheux

Baheux a été saisi par la splendeur et l’authen-

orsque Laurent Baheux arrive

a chez Laurent Baheux le souhait de préserver

elle se résout dans la mort. Delacroix percevait

photographe naturaliste. Serait-ce parce que la

privilégie l’usage du noir et blanc, qui permet

ticité de la vie sauvage. Il poursuit aujourd’hui

en Afrique, il devient l’un de ces « errants sur

le spectacle de cette nature primitive et de

certes le lion comme un prédateur animé de

pratique de la photographie de nature s’est vue

de focaliser le regard sur l’essentiel de la scène

son entreprise créatrice, avec pour quête ultime

la terre préhistorique, sur une terre qui avait

contribuer à la conservation de ces animaux,

passions mauvaises — lorsqu’il le représente au

trop souvent enfermée dans les limites étroites

au lieu de le disperser par les effets d’attirance

l’absolue magnificence d’un règne animal qu’il se

l’aspect d’une planète inconnue », comme la

auxquels il insuffle une âme et une individualité.

repos, il traduit la fureur contenue du félin par

d’un genre considéré comme mineur par les

et de répulsion de certaines couleurs, et qui

refuse à voir disparaître.

l’œil luisant et la tension des muscles —, mais

milieux artistiques ? Des concours spécialisés,

confère grandeur et élégance aux compositions.

décrit Joseph Conrad 1. L’Afrique qu’il découvre, au paysage brut et barbare, est peuplée des

Des portraits de fauves empreints de dignité et

il est aussi attentif à l’expression individuelle de

tels le Wildlife Photographer of the Year, prix

Grâce à une technique photographique perfec-

ultimes vestiges d’une faune primitive en train de

de douceur

l’animal et à la manifestation de ses sentiments.

du meilleur photographe de nature organisé

tionnée au long des treize années passées sur

s’effacer devant l’homme, aussi le photographe

Laurent Baheux s’est saisi de l’appareil pho-

Même si les portraits de lion de Laurent Baheux

par le Muséum d’histoire naturelle de Londres,

le terrain, Laurent Baheux parvient à exploiter

voudrait-il retenir le témoignage de ce monde

tographique là où d’autres s’étaient emparés

sont empreints de douceur et de dignité

contribuent à en dicter les règles 4. En dépit des

tout le potentiel esthétique de la faune africaine.

qui s’évanouit, capter l’innocence et la vulnéra-

du pinceau ou de la gouge. Si le médium qu’il

davantage que de force indomptée, le parallèle

apparences pourtant, celles-ci ne se limitent ni

La beauté graphique du pelage des zèbres et

bilité des dernières bêtes sauvages. Confronté

emploie et les moyens techniques dont il dispose

entre le peintre et le photographe s’impose.

à l’observation documentaire mise au service

des silhouettes de girafes donne matière à

à la bestialité absolue, Laurent Baheux se sent

le distinguent des peintres et des sculpteurs qui

Là où Delacroix faisait figure de précurseur,

de la zoologie ni à l’éthique d’une prise de

des compositions travaillées, où se répondent

devenir animal lui-même ; d’ailleurs, « l’homme

l’ont précédé, il partage avec eux un même

Laurent Baheux milite aujourd’hui pleinement :

conscience environnementale. La pratique, telle

et s’enchevêtrent formes animales et formes

n’est-il pas le seul animal qui s’ignore », comme

attrait pour le règne animal. Au début du

il prend en compte la sensibilité animale jusqu’à

qu’elle apparaît dans les statuts du concours

végétales. Dans ses portraits en plans moyen et

il aime à dire ? De ce retour du photographe à

XIXe siècle, les artistes romantiques furent

préférer, à la fréquentation des hommes, celle

ainsi que les témoignages des lauréats, n’est en

rapproché de lions, d’éléphants et de rhinocéros,

l’état de nature, de ce parcours de l’explora-

parmi les premiers à proposer une évocation

des territoires sauvages, où s’épanouit une vie

fait pas dénuée d’aspirations esthétiques. Ainsi,

il privilégie un traitement sensible, mettant en

teur sur la terre des origines, ne subsiste que le

autre que la vision documentaire ou symbolique

primitive et intemporelle.

l’art de la composition et l’usage novateur de la

avant le regard ou saisissant l’animal dans une

sentiment d’un voyage idyllique dans le temps.

qui prévalait dans l’art animalier. Leur volonté

technique font-ils partie des critères d’apprécia-

attitude qui traduit la dignité, la puissance et la

Nulle noirceur, nulle férocité dans les portraits de

de traduire les passions et les sentiments de

Une approche subjective de la photographie

tion de la compétition. S’y ajoute « l’interpréta-

spontanéité de la vie sauvage. Le rendu précis

bêtes recueillis lors de sa traversée ; l’étincelle

l’animal exotique, afin de le rendre le plus vivant

animalière

tion authentique de la nature », une association

des textures place l’animal en interaction avec

d’humanité qui se lit dans leurs regards plaide

possible, partait d’une soif de dépaysement et

Le médium photographique a sans conteste

de termes pour le moins contradictoires qui

son milieu : boue et sable le maculent, le vent

au contraire pour la reconnaissance d’une

d’une fascination pour la démesure. Certes,

joué un rôle dans l’acceptation de l’animal en

dévoile la dichotomie à l’œuvre dans le genre

agite son pelage, l’eau l’éclabousse… Laurent

sensibilité qui leur a été longtemps contestée.

ils devaient leurs connaissances sur le lion

tant que sujet. Certes, la technique ne s’est pas

naturaliste : le photographe est incité à restituer

Baheux parvient à transposer ainsi en photogra-

« Laissez-les un peu se définir eux-mêmes »,

et autres bêtes féroces avant tout à leur fré-

prêtée d’emblée à la représentation animale,

fidèlement la réalité en saisissant l’animal dans

phie le naturel et la simplicité de l’existence des

réclamait déjà La Bruyère au nom des animaux

quentation assidue du Jardin des Plantes, mais

la sensibilité réduite des premiers négatifs

des attitudes et comportements distinctifs de

bêtes sauvages, ainsi que cette force tranquille

qu’il voyait maltraités par ses contemporains  .

l’exaltation qui les gagnait face au spectacle

empêchant les photographes d’obtenir des

son espèce, mais il est en même temps invité à

qui chez eux le frappe tant.

Dans l’histoire ambiguë du rapport de l’homme à

offert par les contrées lointaines et l’impres-

images satisfaisantes, le caractère imprévisible

exprimer sa subjectivité en sélectionnant dans

L’approche créative en photographie animalière

l’animal, les artistes occupent une place à part.

sion qu’ils avaient d’y redécouvrir un éden

du comportement et de l’activité des animaux

la nature les formes qui stimulent sa sensibilité.

suppose également de mettre en valeur le

Envisager l’animal en tant que sujet artistique,

perdu sont des sensations que l’on retrouve

ajoutant encore à la difficulté de la tâche. Les

traduire en images la curiosité, l’admiration ou

dans la quête que poursuit Laurent Baheux en

premières images photographiques d’espèces

Les images intenses d’une vie sauvage sans

travail d’exploration du terrain, qui est le même

la peur qu’il suscite, tout cela ne revient-il pas

Afrique, où subsistent les dernières réserves

exotiques voient le jour dans les jardins

l’homme sublimées par la somptueuse palette

pour les photographes documentaires et les

en effet à lui conférer ne serait-ce qu’un début

naturelles, lieux d’une nature préservée des

zoologiques durant les années 1850, mais

du noir et blanc

photographes d’art, se double chez ces derniers

d’humanité ? Laurent Baheux se réclame de

interventions de l’homme. C’est pour lui un

une longue série d’innovations techniques est

Par ses choix techniques et esthétiques, Laurent

d’une attente de l’instant décisif. Nulle prémé-

cette filiation artistique, en même temps qu’il

retour aux origines du continent africain,

nécessaire avant de réussir à fixer une image

Baheux adopte une démarche artistique où

ditation chez Laurent Baheux, qui affirme se

hérite du profond bouleversement qu’entraîna

avant le développement démographique qui

nette. Une meilleure sensibilité des négatifs et

l’attitude interprétative prévaut sur la vision

reposer sur le hasard des rencontres et cherche

l’invention de la photographie dans la relation

entraîna la construction de villes et d’infrastruc-

le développement d’obturateurs permettant un

documentaire, aussi n’est-il pas étonnant que la

dès que possible à s’affranchir des règles.

de l’homme aux bêtes. Sujets de prédilection

tures. Le conflit qui oppose vie sauvage et

temps d’exposition très bref permettent alors de

catégorie « Vision créative » du concours Wildlife

D’abord, le photographe est en observation,

des photographes, les animaux sont apparus

civilisation était déjà source de questionnement

capter les attitudes, jusque-là invisibles à l’œil

Photographer, dans laquelle il a été récompensé

il suit les animaux dans leur déplacement,

d’abord comme trophées de chasse, puis comme

pour les romantiques. Il se lit dans les lignes

nu, d’animaux en mouvement. Les téléobjectifs

en 2007, ait été celle qui répondait le mieux à

s’appropriant peu à peu son sujet. À ce travail

modèles d’élevage, compagnons de l’homme

exaltées qu’écrivait Delacroix dans son journal

autorisant l’observation à distance, le flash et les

ses aspirations. Héritier d’une longue tradition

de repérage succède l’attente du moment

2

Fedora Parkmann

cheminement qui a précédé la prise de vues. Le

1 Joseph Conrad, Au Cœur des ténèbres, Paris, LGF-Livre de Poche, 1988, p. 135, trad. Catherine Pappo-Musard. 2 Jean de La Bruyère, « Des Jugements », in Les Caractères, éditions Antoine Adam, Paris, Gallimard, 1989, chapitre 12, paragraphe 119. 3 Eugène Delacroix, « Journal, 19 janvier 1847 », in Journal 1822-1863, édition revue par Régis Labourdette, Paris, Plon, 1980, p. 117, préface d’Hubert Damisch. 4 « Wildlife Photographer of the Year », site Internet du Natural History Museum, Londres. URL : http://www.nhm.ac.uk/visit-us/wpy/index. html, consulté le 25 mai 2015.


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