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zéroquatre Revue semestrielle d’art contemporain en Rhône-Alpes Nº 3 | automne 2008 Gratuit

TrÔle V 20 rue de la Liberté 21000 Dijon, France info@trÔle-v.Ï www.trÔle-v.Ï

À venir : James Angus (décembre 2008) Marc-Camille Chaimowicz (janvier 2009) Pierre Vadi (printemps 2009)



zéroquatre Revue semestrielle d’art contemporain en Rhône-Alpes Nº 3 | automne 2008 Gratuit

Édition : Association Zéroquatre et 02

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Le mouvement des choses Portrait de Delphine Reist par Marie de Brugerolle

Directeur de la publication / rédacteur en chef : Patrice Joly

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Vertu publique, vice privé La Fondation Salomon par Nicolas Garait

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Le cercle hors de Vienne Analyse par Aude Launay

Rédacteur en chef adjoint : Nicolas Garait Comité de rédaction : Hauviette Bethemont, Jill Gasparina, Patrice Joly, Georges Rey, Nicolas Garait

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Rédacteurs : François Aubart, Cyrille Bret, Marie de Brugerolle, Nicolas Garait, Jill Gasparina, Aude Launay, Nicolas Leavenworth, Florence Meyssonnier, Caroline Soyez-Petithomme

Nathalie Ergino Entretien par François Aubart

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L’une ne va pas sans l’autre Portrait de Linda Sanchez par Nicolas Leavenworth

Relecture : Mai Tran

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John Armleder Retour sur trois expositions par Nicolas Garait

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Fragments d’une conversation avec Hans Ulrich Obrist Entretien par Nicolas Leavenworth

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« Tout un art » Entretien d’Anne Giffon-Selle par Nicolas Garait

04 bénéficie du soutien de la Région Rhône-Alpes

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Comité partenaires : Institut d’art contemporain de Villeurbanne, École nationale des beaux-arts de Lyon, Fondation Léa et Napoléon Bullukian

À(venir) Petite sélection d’expositions dans la région

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Expositions Wolfgang Laib au Musée de Grenoble Micro-Narratives au Musée d’art moderne de Saint-Étienne Métropole Ambition d’art à l’Institut d’art contemporain, Villeurbanne Cycloptically - Rolywholyover, cinquième épisode au Mamco, Genève Fabio Viscogliosi à La Salle de bains, Lyon Pierre Ardouvin au Centre d’art Bastille, Grenoble Nicolas Moulin à La BF15, Lyon Yann Lévy à la Fondation Bullukian, Lyon Abstraction Extension à la Fondation Salomon, Alex Andro Wekua – Sunset / I Love the Horizon au Magasin, Grenoble

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Lectures

Design graphique : Claire Moreux & Olivier Huz Impression : Imprimerie de Champagne, Langres Remerciements : Delphine Reist, Lucie Littoz, Jean-Pierre Claveranne et Fanny Robin, nos soutiens, partenaires et annonceurs

04 est un supplément de 02 nº47, automne 2008 édité par Zoo Galerie 4 rue de la Distillerie, 44000 Nantes patricejoly@wanadoo.fr En couverture : Delphine Reist Vidange, 2006 Rideau, bidons, pompe, huile de vidange Collection de l’artiste © André Morin. Courtesy Triple V, Dijon


Delphine Reist Caddies, 2003 Caddies, moteurs © D.R. Courtesy Triple V, Dijon Étagère, 2007 Étagère, outils, minuteurs Collection de l’artiste © André Morin. Courtesy Triple V, Dijon

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portrait

Le mouvement des choses Delphine Reist

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« Songeons à notre vœu fondamental, de chaque instant, que “tout marche tout seul”, que chaque objet, dans la fonction qui lui est dévolue, accomplisse ce miracle de la perfection du moindre effort – l’automatisme est pour l’usager comme une absence prodigieuse, et la délectation qu’il propose est, sur un autre plan, semblable à celle de voir sans être vu. » Jean Baudrillard Après des études à l’école des beaux-arts de Genève, Delphine Reist, née en 1970, entame une œuvre qui relève du déplacement et de la relation avec des lieux et des publics qui ne sont pas toujours ceux des arts visuels. De ses résidences et voyages avec Laurent Faulon naissent des expositions ou des projets à temporalités variables. En Russie, c’est un séjour à Kronstad, près de Saint-Pétersbourg, qui produit une première exposition avec quinze autres artistes ; à Lisbonne, une résidence de neuf mois dans l’ancienne prison du Marquis de Pombal (2005) ou encore une ancienne usine de moteurs en Estonie, au sein d’un complexe industriel. Là, c’est une collaboration avec trois artistes visuels et un musicien ; le public est à la fois celui de l’art contemporain et de la culture musicale urbaine. Il s’agit de créer des porosités entre des milieux, des esthétiques, des processus de création, hors des schémas habituels. Cette manière de construire ensemble des projets sur une durée, dans un cadre différent et communautaire, interroge l’exposition et le rôle du commissaire ou de l’institution : les relations tissées sont plus vastes du point de vue de l’artiste.

Lorsqu’elle fait visiter le chantier de construction d’un bâtiment dans le cadre d’une commande publique à Genève, ou qu’elle invite six artistes à une balade dans un quartier-frontière en Allemagne, Delphine Reist induit des rapports originaux à l’espace. Si la modernité du xxe siècle a ouvert les limites entre les disciplines artistiques, questionnant ce qu’est l’œuvre d’art, ce début de xxie siècle semble induire une interrogation similaire du côté du public. Celui-ci devient plus qu’une adresse, une destination, mais aussi un élément de construction de l’œuvre. « J’étais intéressé par la performance en direct, vivante. Le public avait un effet sur ce qui arrivait. Lorsque je réalise une performance devant une caméra, c’est elle qui devient le public » 1, dit ainsi Paul McCarthy. Il est le premier à entériner ce devenir « persona » de la caméra et au-delà,

une forme d’objectivation du public qui n’a fait que croître dans les media. La deuxième génération de la performance a su détourner les dispositifs de contrôle du « cyber-espace ». Aujourd’hui, via des pratiques comme celle de Delphine Reist, une forme de rupture s’instaure à nouveau face à la représentation. En effet, les non-lieux qu’elle investit, la durée de ses résidences, le partage démocratique par les artistes des étapes de l’exposition, proposent des alternatives à la spectacularisation générale. Il y a toujours du « non-vu », du « nonvisible », les ampoules ont éclaté avant notre arrivée, le tissu du rideau a pris du temps pour s’imbiber, le vin pour s’écouler. L’impossible contemplation, le malaise, produit une œuvre âpre, qui à son tour sollicite le mouvement du spectateur.



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Delphine Reist Rideau !, 2006 Rideau, bidons, pompe, vin © D.R. Courtesy Triple V, Dijon

Delphine Reist Parking, 2002 Voitures, système électronique © D.R. Courtesy Triple V, Dijon

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Parking (2003), installé dans le cadre d’un projet à la résidence Moly Sabata, en Isère, était composé de six voitures récupérées dans une casse. Simplement alignées, elles se mettaient en branle de manière aléatoire, émettant une sorte de toux par le biais d’un simple système déclenchant l’allumage momentané du moteur et son arrêt, comme lorsque l’on « cale ». Ce simple dysfonctionnement dénote la manière subtile d’opérer de Delphine Reist : celle-ci met en scène des objets quotidiens auxquels elle donne un semblant d’âme. Son champ d’investigation est le réel machinique auquel elle attribue des procédés mécaniques. Ceux-ci n’altèrent pas l’intégrité des choses, qui conservent leur ustensilité première. Le ballet mécanique que construit par exemple Delphine Reist avec des caddies attachés pour former une ronde continue pointe avec humour l’anthropomorphisme issu du modernisme (Caddies, 2005). Celui-ci passe, avec l’automatisation, d’une projection physique à une projection psychique. Pour autant, les manipulations de Delphine Reist sont réversibles. On pense d’ailleurs à George Brecht, dont les Events étaient des propositions ouvertes. « Il me paraît méchant avec l’art et attentionné avec le réel », explique Delphine Reist. « C’est souvent ce qui me gêne dans ce que je connais autour de Fluxus. Avec le temps, et patinés de leur autorité, leurs travaux ont perdu de leur charge agressive envers le spectateur. Ce qui devait être vulgaire se transforme en concept historique, assimilable.

C’est pourquoi j’aime bien Paul McCarthy – je n’en suis pas proche, mais je suis fan de cet “agacement” qu’il provoque, de l’impossibilité d’adhérer complètement à ses œuvres. Dans mes travaux, ça pue, ça fait du bruit… En revanche, j’adore le travail de Roman Signer, les canoës-kayaks ; les pétards ; les performances avec extincteur… Il ne travaille presque qu’autour de chez lui, dans sa campagne, mais n’a jamais un rapport condescendant avec elle et son travail qui se justifie par sa micro-spectacularité. » 2 Deux types de liquides prédominent chez Delphine Reist : l’huile de vidange et le vin. Choisis pour leurs qualités chromatiques et odorantes, ainsi que pour la variété de leurs états (visqueux, liquide, poudreux…), ils confèrent à ses œuvres une certaine étrangeté et un phénomène d’attraction-répulsion. Elle bricole des fontaines de vin à l’aide de bouteilles reliées à une pompe (Vernissage, 2004), ou avec des pierres immergées dans des seaux d’huile de vidange dont le mouvement de remontée produit un glouglou bucolique (Rocaille, 2006). Il en va d’une esthétique des fluides qui proposent d’autres usages pour des matériaux conventionnellement masculins. Le vin ou l’huile fabriquent par capillarité des tableaux aux motifs aléatoires (Vidange, 2006 ; Rideau !, 2006) dont le pouvoir colorant contraste avec leur origine. Le lait est aussi utilisé pour sa blancheur et ses métamorphoses (Colonie, 2007).

Le hasard est un facteur déterminant qui situe le travail de Delphine Reist à la suite de John Cage. Que ce soit les drapeaux tournants de Sous les drapeaux (2006) ou les néons tombants d’Averse (2007), le mouvement ou la chute interviennent selon les aléas du système. Delphine Reist introduit des hiatus dans ces mécaniques bien huilées et perturbe nos repères habituels. Elle nous sauve ainsi de la fascination de la marchandise en provoquant une conscience physique. « Pour ceux qui réduisent les hommes aux objets, les objets paraissent avoir toutes les qualités humaines, et les manifestations humaines réelles se changent en inconscience animale » 3, dit encore Paul McCarthy. C’est le cas pour Zoo (2004), une installation de caddies motorisés dont la source sonore n’est pas immédiatement repérable. Le spectateur se retrouve à la fois sujet et objet du regard dans une course-poursuite improbable, sorte de mise en abîme qui permet de retourner la situation et d’en rire. Notes : 1. Entretien avec Marie de Brugerolle, dans Hors Limites, l’art et la vie, catalogue d’exposition, Paris, Mnam – Centre Pompidou, 1994. 2. Conversation avec l’auteur, 2008. 3. Conversation avec Kristine Stiles, dans Paul McCarthy, éd. Phaidon, 1995.


dossier les collections d’art contemporain en rhône-alpes

Vertu publique, vice privé La Fondation Salomon

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nicolas garait ››››››››››››››››››››››››››››››››››››››››››››››››››››››››››››››

Créée en 2001, la Fondation pour l’art contemporain Claudine et Jean-Marc Salomon a fait le pari risqué de s’installer dans un château du xvie siècle perdu au milieu des montagnes de Haute-Savoie et d’inaugurer avec une exposition consacrée à Gilbert & Georges. Sept ans plus tard, la Fondation Salomon s’est hissée au rang de lieu d’art incontournable au niveau national et les chiffres parlent d’euxmêmes : la fréquentation est en augmentation chaque année et les scolaires du département envahissent les allées du parc et les salles d’expositions. Fondation privée de droit français reconnue d’utilité publique, la Fondation Salomon est financée par des sources entièrement privées provenant des revenus de la dotation versée par les fondateurs lors de la création de la Fondation et des revenus de son activité (entrées, soirées et manifestations privées, adhésions, dons, etc.). Christian Lapie La Nuit recule, 2006 Vue du parc de la fondation pour l’art contemporain Claudine et Jean-Marc Salomon © Fondation Salomon

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Fondation pour l’art contemporain Claudine et Jean-Marc Salomon Château d’Arenthon, 74290 Alex www.fondation-salomon.com

« Ma collection et la Fondation sont deux entités bien distinctes », explique cependant Jean-Marc Salomon. « La Fondation n’a pas été créée pour mettre en valeur ma collection mais pour créer un lieu de partage et de sensibilisation de l’art contemporain. Les seules pièces de la collection qui soient exposées de manière permanente sont les œuvres monumentales du parc qui font l’objet d’un dépôt et sont souvent – mais pas toujours – le fruit d’une commande. » De fait, le parc de la Fondation est à lui seul un modèle d’équilibre. Le dialogue subtil entre nature et culture voulu par Jean-Marc Salomon est flagrant d’une œuvre à l’autre : à l’entrée du parc, une Barrière anti-émeute très ouvragée de Natacha Dubois-Dauphin et Stéphane Vigny

accueille les visiteurs, qui, s’ils lèvent les yeux, apercevront Mes Amis de Peter Wüthrich, nuée d’oiseaux en forme de livres posés sur les arbres. D’arbre, il est aussi question avec Fils d’eau de Giuseppe Penone, composé d’un jeune chêne et du bronze de l’empreinte d’un chêne adulte. Pussy Willow Tree de Rona Pondick est constitué du fragile moulage en acier d’un saule pleureur tandis que la silhouette de La Nuit recule de Christian Lapie (ill.) dialogue avec les montagnes environnantes. À l’angle du bâtiment se trouve un très beau Jan Fabre, autoportrait métallique en bronze doré de l’artiste offrant du feu au visiteur qui souhaiterait fumer une cigarette avant d’appréhender l’espace lumineux des Conversations de Jaume Plensa, caissons translucides à l’intérieur desquels il est possible de s’isoler ou au contraire de dialoguer. « Ma rencontre avec l’art s’est effectuée à l’adolescence », raconte Jean-Marc Salomon. « J’ai pu rencontrer à cette période des artistes venant présenter leurs films au festival du film d’animation d’Annecy. Quoi de plus émouvant pour un jeune adolescent des années 1970 de voir un artiste russe – donc soviétique – discuter avec un artiste américain – donc impérialiste – dans une langue étrange faite de signes, de gestes, de mots incompréhensibles ? Au-delà des œuvres, l’art m’apparaissait comme ce lieu privilégié d’universalité où toutes les cultures pouvaient se comprendre et s’exprimer. Ensuite, lors de mes études d’architecture, les cours d’histoire de la peinture du professeur Sergio Ferro m’ont fait comprendre l’importance de la signification de l’art. » Deux expositions récentes à la Fondation ont permis d’appréhender la complexité de la collection Salomon. En 2002, le premier volet s’est attaché à montrer en quoi l’un des grands thèmes de l’art – le corps dans l’espace –, traversait les


Christian Lhopital De la rumeur des perles et des conques précieuses, 2005 © Marc Domage, Fondation Salomon

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choix de Jean-Marc Salomon. Étaient montrés un ensemble d’autoportraits de John Coplans, deux Antony Gormley (dont l’un, Still Standing, est exposé en permanence dans le parc de la Fondation), une immense structure d’Ernesto Neto, ou encore le Repetitive Vision, Phallus Boat de Yayoi Kusama, une barque et ses rames intégralement recouvertes de protubérances rouge sombre. Le second volet, en 2005, plus éclectique, exposait des œuvres en cohérence avec le monde contemporain : de la notion de territoire en passant par la vanité, le jeu ou l’étrange, les œuvres de Carole Benzaken, Philippe Cognée, Jack Pierson, Jenny Holzer, Wim Delvoye ou Angela Bulloch dessinent en creux l’état d’esprit de leur propriétaire. « J’aime vivre avec les œuvres que j’achète – si leur format le permet », relève-t-il, notant que la majorité des œuvres de la collection est néanmoins conservée en réserve et est destinée à être prêtée et à circuler autant que possible.

lement recouverts de panneaux en miroirs ; d’autres comprenaient des installations produites pour l’occasion, telle une œuvre de Christian Lhopital (ill.) ou une autre de Claude Lévêque, Aliéné étendu, d’ailleurs acquise pour la collection à la suite de l’exposition.

Du côté de la Fondation, les expositions temporaires s’y succèdent au rythme de deux par an en moyenne et alternent monographies (Peter Wüthrich, Philippe Cognée, Jacques Monory…) et expositions collectives. Les espaces d’exposition de la Fondation sont entièrement modulables hormis quelques éléments d’architecture. C’est ainsi que pour Enchanté Château (commissariat Christian Bernard, 2005), des murs entiers avaient été intégra-

« Je me sépare très rarement des œuvres de la collection », poursuit-il. « Cela m’est ar­rivé trois fois depuis que j’ai commencé à collectionner. Les raisons qui m’ont poussé à me séparer de ces pièces étaient spécifiques à chaque œuvre. J’ai récemment revendu une œuvre monumentale que j’avais achetée pour le parc de la Fondation car il s’est avéré qu’elle ne pouvait pas être exposée en extérieur. Une autre fois, j’ai été sollicité par un musée autrichien pour une très belle œuvre de Alighiero Boetti. Et j’ai

« Les œuvres que j’achète sont toujours des coups de cœur », signale Jean-Marc Salomon. « Un de mes derniers coups de cœur a été pour une œuvre d’Olafur Eliasson vue dans un parc à Berlin. Cette œuvre faisant partie d’une série, j’ai fait l’acquisition d’une œuvre similaire pour le parc de la Fondation. Il s’agit de Negative Glacier Kaleidoscope. C’est une sorte de prisme géométrique qui associe jeux de lumière et de miroirs. On découvre l’œuvre par surprise dans le sol. Elle semble creuser une ouverture vers le centre de la terre, vers son origine. J’ai été séduit autant par l’intelligence du dispositif technique que par l’exigence intellectuelle de l’œuvre. »

préféré m’en séparer car il me semblait important pour l’artiste et pour le public que cette œuvre soit présentée dans un musée plutôt que de la réserver à mon propre plaisir. » Les visiteurs de la Fondation y passent généralement du temps. Une après-midi en famille dans le parc avant de suivre une des visites guidées proposées de l’exposition en cours, une association des Amis de la Fondation proposant voyages et visites privées à ses adhérents, un salon de thé où l’on peut consulter l’imposant ensemble de catalogues des Salomon sont quelques-unes des raisons du tranquille succès de la Fondation. « En filigrane, je me pose une question : “Que fais-tu pour l’art ?”. Une des réponses à cette question est le partage. Ne pas garder les choses de manière égocentrique pour soi mais les partager avec le public. Comme mon professeur, Sergio Ferro, j’ai envie à mon tour de transmettre cette idée de l’importance de la signification de l’art dans la société actuelle et faire comprendre que l’art n’est pas uniquement décoratif mais chargé de sens. »


analyse

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De celui qui, bien qu’il eut une profonde aversion pour son époque, ne gaspilla jamais une ligne de ses écrits à s’en plaindre, à l’inverse des sempiternelles lamentations de nos intellectuels aujourd’hui, celui qui ne dévia pas une fois de sa conviction de l’impossibilité de formuler des propositions philosophiques en général, celui qui souhaitait « ralentir le tempo de la lecture par l’abondance de (ses) signes de ponctuation » car ses phrases « demandent à être lues lentement » 1, l’on considère qu’il est l’un des plus grands philosophes du xxe siècle, mais l’on parle encore assez peu de l’influence qu’il a pu, et peut encore, exercer sur les artistes. Cité littéralement dans certaines pièces de Kosuth ou Nauman, régulièrement donné en référence par Tiravanija ou encore portraituré par Wurm, le Viennois Ludwig Wittgenstein avait de son vivant (1889-1951) été baigné, et ce depuis son plus jeune âge, dans une vie artistique foisonnante. Dernier fils d’une riche famille dont la maison était le rendez-vous prisé des lettrés et artistes de Vienne, proche de Klimt, de Brahms, de Ravel – qui écrivit son Concerto pour la main gauche pour le frère de Ludwig –, il fit don d’une bonne partie de son important héritage à plusieurs artistes et écrivains dont Rilke, Loos, Kokoschka… Les premiers travaux philosophiques de ce proche de Russel et Frege furent d’abord consacrés à la logique et aux fondements des mathématiques, avant d’approcher des problématiques linguistiques, sémiologiques, psychologiques, voire métaphysiques, de manière descriptive, c’est-à-dire en se gardant bien de théoriser. Ayant décidé de renoncer à toute idée a priori quant à l’essence du langage pour laisser le langage lui-même nous montrer ce qui lui est essentiel, Wittgenstein pensait la vie de l’individu, comme les problèmes philosophiques qu’il rencontre, profondément enracinés dans une nature sociale, une base qui n’est ni éternelle, ni immuable.

Le cercle hors de Vienne Ludwig Wittgenstein Peu après leur publication, à titre posthume, en 1953, les Investigations philosophiques de Wittgenstein rencontrèrent un écho auprès des Conceptuels naissants, qui s’en inspirèrent largement. L’intérêt de Joseph Kosuth pour un art tautologique (A Four Colour Sentence (1960), par exemple, qui n’est autre qu’une phrase de néon dont chacun des quatre mots est d’une couleur différente des autres) peut évidemment être lu comme une influence directe du philosophe qui n’aura cessé de s’interroger sur la littéralité. « Qu’est-ce que le sens d’un mot ? », se demande d’ailleurs ce dernier en ouverture du Cahier bleu, cherchant à éclaircir le processus de la signification pour tenter de mieux cerner celui de la compréhension. Souhaitant « écarter la tentation d’affirmer l’existence d’une activité pensante indépendante de l’activité d’expression de la pensée » (Le Cahier bleu, p. 108), Wittgenstein, dira aussi que « dans le langage l’attente et l’accomplissement se touchent » 2, ce que Kosuth traduira par This object, sentence and work completes itself while what is read constructs what is seen (1979). « Je pourrais m’imaginer un philosophe qui croirait devoir faire imprimer en rouge une proposition sur l’essence de la connaissance, sans quoi elle n’exprimerait pas vraiment ce qu’elle devrait exprimer » 3, lit-on encore dans les notes publiées sous le titre de Grammaire philosophique. Et si pour Kosuth, l’art est la définition de l’art, il est description plus qu’explication de lui-même, ce qu’on lit chez Wittgenstein sous la maxime suivante : toute explication doit disparaître au profit de la description. Il n’y a rien d’autre que ce qu’on voit, que ce qu’on dit, que ce qu’on lit… On évitera soigneusement toute interprétation

The World As I Found It (1989) de Kosuth cite textuellement la première page des Investigations de Wittgenstein, lequel y cite d’ailleurs un passage des Confessions de Saint-Augustin décrivant son apprentissage du langage, enfant. Imprimant l’extrait des Confessions sur une plaque de verre en reprenant la typographie originale du livre, Joseph Kosuth replace le spectateur dans la position de lecteur déjà éprouvée par lui-même lisant Wittgenstein et par Wittgenstein

lisant Augustin. Le début du commentaire que fait Wittgenstein de cet extrait du texte d’Augustin est présenté au-dessous, sur une plus petite plaque, en blanc sur noir. Ces remarques portent essentiellement sur l’irréductibilité du langage à la dénomination, l’importance de la prise en compte de l’usage qui est fait des mots dans l’appréhension de leur signification. Le langage dépasse le simple agencement grammaticalement correct de mots (« La grammaire n’est redevable d’aucune réalité », Grammaire philosophique, i, x, §133). Wittgenstein nous rappelle d’ailleurs assez souvent que même si un lion pouvait parler, nous ne le comprendrions pas, d’une part, parce que nous ne partageons pas les mêmes formes de vie, d’autre part, parce qu’apprendre à parler, c’est apprendre à penser. Pour sa première pièce langagière (1966), Bruce Nauman reprend l’une des phrases restées célèbres des Investigations : « A rose has no teeth ». La petite plaque de plomb clamant ce truisme fixée au tronc d’un arbre est la seule citation aussi directe du philosophe viennois chez Nauman, mais l’influence de celui qui aura toujours cherché à tester les limites du langage se fera sentir encore longtemps. Déclarant que de Wittgenstein il avait appris à penser les choses, Nauman utilise cette proposition en tant qu’elle est la dernière d’un syllogisme avant le non-sens. « Ce que je veux enseigner, c’est de passer d’un non-sens non évident à un non-sens évident » 4 déclarera d’ailleurs le philosophe. Le Viennois qu’est aussi Erwin Wurm s’intéresse de même beaucoup au surgissement du non-sens, traquant pour cela l’évidence comme le dubitable pour en exhiber l’essence absurde. Ainsi Crooked Stomach Cavity: Wittgenstein (Philosophy-Digestion) (2004), nous rappelle que les certitudes sont aux doutes ce que les gonds sont à la porte : pour qu’elle puisse tourner, il faut bien qu’ils restent stables. N’oublions pas pour autant que rien ne sert d’essayer, derrière le substantif, de trouver la substance : on ne découvrirait qu’une substance molle, masse informe à l’image de ce que tend à être la maison des-


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sinée par Wittgenstein pour sa sœur dans la représentation qu’en donne Wurm dans sa House Wittgenstein (2005). De même, cette fascination pour un langage-objet se retrouve sous diverses formes dans le travail de Michael S. Riedel, dans sa manière notamment de dupliquer les choses à l’identique, comme si elles étaient des objets sans histoire, comme si la copie, fusse-t-elle en couleur, pouvait se substituer à la substance de l’original. Déconstruisant par exemple un essai paru dans le catalogue de l’artiste allemand Neo Rauch dont il partage la galerie new-yorkaise (Neo, David Zwirner Gallery, New-York, 2005), il en réarrange les mots en un classement alphabétique annihilant ainsi toute possibilité de sens immédiat, donnant corps à une litanie sémantique défiant toute lecture. « Oui, vouloir dire quelque chose c’est comme s’élancer vers quelqu’un. » (Grammaire philosophique, I, VII, §107)

Mais l’application plastique la plus juste de la pensée de Wittgenstein est certainement celle qui est à l’œuvre chez Rirkrit Tiravanija. Se situant, par ses interventions, à la frontière de la performance et de l’installation, son travail est plus justement qualifiable d’événement. Il fait partie de ces « installateurs du réel », comme les nomme Catherine Flohic 5, ces artistes pour qui l’œuvre a lieu dans le réel, comme l’on pourrait d’ailleurs tout aussi bien dire qu’elle a temps, puisque, ne pouvant être réduite à sa simple structure formelle, l’œuvre doit au contraire interagir avec le réel, le lieu et le temps dans lesquels elle survient. Par ce passage de la forme plastique à la forme sociale, Tiravanija ramène le lieu d’exposition de son usage muséal à un usage ordinaire, à la manière dont Wittgenstein souhaitait ramener le langage de son usage philosophique à son usage ordinaire. Il est d’ailleurs à noter que ce dernier souhaitait utiliser ce qu’il appelait des formes de vie, cette notion assez floue qui pouvait aussi bien recouvrir des modes de vie, des faits de la vie, des activités humaines ou des phénomènes naturels, pour éclaircir les questions d’esthétique 6. Les problèmes rencontrés par l’esthétique ainsi que par le reste de la philosophie étant dus, selon Wittgenstein, à un mauvais usage des mots : « Si j’avais à dire quelle est la faute capitale que commettent les philosophes de la génération actuelle, y compris Moore, je dirais que quand ils examinent le langage, c’est la forme des mots qu’ils examinent, et non l’emploi qui est fait de la forme des mots ». James Taylor note en effet à ce sujet : « Décrire un ensemble de règles esthétiques de façon complète signifie que l’on décrive la culture de toute une période » 7. Le philosophe change alors de statut : descendu de son observatoire et destitué de son méta-langage, il n’énonce plus que des faits, invalidant ainsi toute tentative d’énon-

ciation de vérités – « de quel lieu privilégié pourraient-elles être signifiées ? » 8 – dans une analyse qui se fait « examen interne aux mécanismes de notre langage. » 9 Le mot n’a plus de sens que dans le langage, que dans la vie. Et l’on serait tenté de dire que l’œuvre de Tiravanija n’a elle aussi de sens que pour celui qu’elle implique. « Comment peut-on parler du fait de “comprendre”, de “ne pas comprendre” une proposition ; ne s’agit-il pas d’une proposition que lorsqu’on l’a comprise ? Montrer un groupe d’arbres et demander : “Comprends-tu ce que dit ce groupe d’arbres ?”, cela a-t-il un sens ? En général non ; mais en disposant les arbres d’une certaine façon, ne pourrait-on exprimer un sens, ne pourrait-il s’agir d’un langage codé ? Alors on appellera “propositions” les groupes d’arbres que l’on comprend, mais d’autres aussi, que l’on ne comprend pas, si l’on admet que celui qui les a plantés les a compris. » 10 Établir un parallèle entre le texte d’ouverture de la Grammaire philosophique de Wittgenstein et l’œuvre de Tiravanija nous semblait donc utile en tous points. La première question de Wittgenstein est en effet tout à fait pertinente quant au déroulement d’une œuvre de Tiravanija, notamment si l’on place sous le vocable « proposition » la signification « proposition artistique », entendant ici l’unité de sens d’une œuvre, la « proposition » étant déterminée comme une « unité de sens » par Wittgenstein tout au long de la Grammaire philosophique, qu’il s’agisse de propositions verbales ou de propositions mathématiques. La compréhension de l’œuvre ne se fait que lorsque le spectateur la comprend comme telle – précisons qu’il n’y a ici nulle volonté de réduction goodmanienne de l’œuvre a un fonctionnement momentané comme telle par une quelconque symbolisation – c’est-à-dire lorsqu’il la comprend, qu’il s’y insère pour être pris par elle et ainsi en être partie ; non qu’elle prenne le sens qu’il lui assignera mais qu’elle fasse sens par la présence compréhensive du spectateur en elle. « Le bon langage serait celui qui entraînerait l’activité souhaitée », dit plus loin Wittgenstein ; en ce sens, l’œuvre de Tiravanija peut être vue comme expérience non-discursive puisque hormis dans son dispositif scénique, pour ainsi dire, elle ne cherche en aucune façon à influencer le comportement du spectateur et lui reste, dans ses propres limites, totalement ouverte. L’œuvre devient ainsi « proposition », unité de sens, dans le moment où on la comprend et où elle nous comprend, où elle comprend alors une multiplicité de sens qui forgent son unité. La compréhension, comme l’appréciation, n’ont pas nécessairement à être mises en discours pour s’exprimer, comme le souligne Wittgenstein dans ses Leçons sur l’esthétique : « Le nombre de fois où je relis quelque chose ou le nombre de fois où je porte un costume,

voilà souvent nos expressions. Peut-être ne dirai-je pas même “c’est un beau costume”, mais je le porte et le regarde souvent ». Mais n’allons pas en déduire qu’il faille sortir du langage pour que la compréhension s’établisse ; bien au contraire, il s’agit juste de dire qu’autant que jouer un morceau de musique pour expliquer la manière dont on le comprend et utiliser un mot dans une phrase pour expliquer la compréhension que l’on en a, se trouver au cœur de l’œuvre de Tiravanija et l’activer chacun par sa propre personne, c’est la comprendre et expliquer ce fait. Et si le Tractacus repoussait l’esthétique hors de la sphère du dicible, il ne l’excluait pas pour autant de l’expressible, là où les Leçons la ramènent de manière flagrante avec des mots qui sont employés à peu près comme des gestes. De même que « le langage doit parler pour lui-même », notre compréhension de l’œuvre de Tiravanija doit s’exprimer pour elle-même. Or, quelle compréhension de ce type d’œuvre peut-on avoir le vernissage passé, quand elles ne sont plus habitables qu’après-coup ? Une compréhension de type « on admet que celui qui les a plantés les a compris » ? « Don’t ask for the meaning, ask for the use » 11, répondrait certainement Tiravanija, citant cette phrase de Wittgenstein qu’il affectionne particulièrement. Notes : 1. Ludwig Wittgenstein, Remarques mêlées (Vermischte Bemerkungen), édition bilingue, traduit de l’allemand par Gérard Granel, TER, 1984, pp. 70-81, cité par Jean-Pierre Cometti dans son texte « Adagio Cantabile » publié dans un hors-série daté de 1986 de la revue SUD consacré à Ludwig Wittgenstein. 2. Ludwig Wittgenstein, Investigations philosophiques (Philosophische Untersuchungen), 1e partie, proposition n°445, traduit de l’allemand par Pierre Klossowski, TEL Gallimard, 1961. Une nouvelle traduction est parue en 2004 sous le titre de Recherches philosophiques. 3. Ludwig Wittgenstein, Grammaire philosophique (Philosophische Grammatik), i, 3, proposition n°44, traduit de l’allemand par M-A. Lescouret, Folio Gallimard, 1980. 4. Ludwig Wittgenstein, Investigations philosophiques, op.cit., i §464. 5. Catherine Flohic, « Rirkrit Tiravanija », in Ninety, n°30, 1998, p. 70. 6. Pour cette question, se reporter, d’une manière générale aux « Leçons sur l’esthétique » in Ludwig Wittgenstein, Leçons et Conversations (1938), Gallimard NRF, 1971, reprises en Folio. Quant à la citation précise, elle se trouve au §35. 7. Note de James Taylor aux Leçons sur l’esthétique, op.cit., p. 28, n.2. 8. Michel de Certeau, L’Invention du quotidien, t.1 : arts de faire, (1980), Gallimard Folio, 1990, p. 27. 9. Ludwig Wittgenstein, Investigations philosophiques, op.cit., i §109. 10. Ludwig Wittgenstein, Grammaire philosophique, op.cit., i,1. 11. « Ne posez pas la question de la signification, mais celle de l’usage », in Ludwig Wittgenstein, Investigations philosophiques, op.cit., i §464.


François Curlet Chaquarium, 2003 Paroi de verre, corail et cococat en résine polyester, coussin, peinture acrylique, machine à bulles, ventilateur, gravier, gamelles et chat persan Vue de l’exposition à l’Institut d’art contemporain, 2007 © Blaise Adilon. Courtesy Air de Paris, Paris

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par françois aubart juillet 2008

Directrice de l’Institut d’art contem­ porain de Villeurbanne depuis 2006, Nathalie Ergino succède à son fondateur Jean-Louis Maubant. Après l’exposition Ambition d’art qui était l’occasion d’un regard rétrospectif, la nouvelle responsable évoque les orientations à venir de cette structure. L’exposition Ambition d’art célèbre les trente ans de l’Institut d’art contemporain mais marque également le départ de Jean-Louis Maubant, à qui vous succédez. Comment s’est passé cette succession ?

Il n’y a pas eu un départ suivi d’une arrivée, mais l’idée d’un croisement. Succéder à quelqu’un comme Jean-Louis Maubant est un moment de transmission à mes yeux exceptionnel dans l’histoire des structures d’art contemporain en France. La programmation que j’ai envisagée pour l’Institut a donc démarré en connivence avec Jean-Louis dès l’été 2006, en écho à Glissades, un hommage à Raymond Hains que j’avais organisé dans le cadre de La Force de l’art. Sont ensuite venues les monographies d’Allen Ruppersberg et d’Anthony McCall, puis un ensemble d’expositions qui instauraient le principe d’une cadence de quatre expositions annuelles. Du même coup, avec Ambition d’art, l’année 2008 est envisagée de façon particulière : il s’agit de faire la part belle à ce moment tout particulier qu’est la célébration des trente ans de l’Institut d’art contemporain. C’est donc une nouvelle étape qui se dessine à l’horizon de l’automne 2008, celle de la poursuite d’un programme déjà amorcé. Comment envisagez-vous la transmission de cet héritage ?

L’héritage de Jean-Louis Maubant est un socle de travail très précieux, même si artistiquement, Jean-Louis et moi ne sommes pas les

Nathalie Ergino Entretien

mêmes. Par ailleurs, la fusion avec le Frac Rhône-Alpes en 1998 a eu pour conséquence de réduire la partie artistique de la structure au profit de la diffusion de la collection. Il s’agit donc aujourd’hui non pas de délaisser la collection mais de rééquilibrer les deux activités, qui de toute façon découlent l’une de l’autre. Il me paraît indispensable de faire en sorte que cette dynamique à caractère artistique qui a forgé la réputation de cette maison puisse de nouveau apparaître clairement dans ses activités. Quel est le contexte dans lequel s’insère l’Institut d’art contemporain ?

L’offre artistique de la région Rhône-Alpes est très importante : il faut au moins deux jours pour faire le tour des expositions de haut niveau que proposent ces structures de renommée nationale et internationale que sont le Magasin à Grenoble, le musée d’art moderne de Saint-Étienne ou le musée d’art contemporain de Lyon. Nous sommes donc dans une force de propositions qu’il faut pouvoir mettre en valeur par une communication et des actions concertées. En regroupant nos énergies, on doit pouvoir faire des choses artistiquement justes et en même temps attrayantes. En partant de cet environnement, comment faitesvous jouer les différents impératifs d’être présent localement, d’avoir une diffusion régionale et une visibilité nationale, voire internationale ?

J’envisage cette présence sous l’angle local / global. La visibilité nationale est évidemment importante, mais je veille plus particulièrement à ce que l’Institut rayonne dans la région et à l’international. Notre relation avec les différents publics est un travail de

sédimentation et de fidélisation à long terme qui demande des outils très spécifiques. Nous mettons donc en place des formes d’accompagnements diversifiés. À destination du monde scolaire évidemment, mais aussi avec l’élaboration d’un bureau des étudiants qui prendra son envol au printemps 2009. Nous voulons travailler avec des étudiants de divers horizons issus de l’université, des écoles d’art de la région, de l’École Normale Supérieure, de l’Institut National des Sciences Appliquées, des écoles de commerce… Par ailleurs, une association des Amis de l’Institut va démarrer son existence à la rentrée de septembre. Cette association regroupera des amateurs au sens large, qui partagent une passion ou un intérêt pour l’art contemporain et à qui nous proposerons différentes activités à la fois conviviales et intellectuellement stimulantes. Nous essayons de faire en sorte que toutes ces ouvertures ne se fassent pas au détriment du fait artistique. Nous privilégions l’accompagnement, le qualitatif, la recherche. Ce n’est pas pour rien que nous créons un Institut. Avez-vous d’autres projets pour faire de cet Institut un lieu de recherche ?

À l’heure actuelle, nous nous concentrons essentiellement sur les éditions liées aux expositions. Néanmoins, j’aimerais à terme relancer les Cahiers de l’Institut : des cahiers de conférences, des cahiers de collection, c’est-àdire un travail éditorial sur le vif. Nous devons trouver une manière d’enregistrer ce travail de recherche que l’on mène au quotidien. Je pense en effet que c’est le moment de redonner de l’importance aux questions théoriques, d’autant plus qu’apparaît en ce moment une nouvelle génération de critiques d’art à laquelle il me paraît essentiel de donner une place. Ainsi, je prévois pour 2009 de mettre


Allen Ruppersberg The Never Ending Book. Part One: The Old Poems (For My Mother), 2007 Cartons sérigraphiés, éléments de mobilier, impressions couleur et noir et blanc, bannières, affiches Vue de l’exposition Collection(s) 08, Institut d’art contemporain, 2008 © Blaise Adilon. Collection Frac Rhône-Alpes

Michael Sailstorfer Light Column, 2006 Projecteur, courant électrique Courtesy Galerie Johann König, Berlin © Michael Sailstorfer

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en place l’accueil d’un critique tout au long de l’année. Cette présence pourrait donner lieu à la mise en place de conférences, de voyages, de publications théoriques…

passé : la manière dont la constitution de collection peut s’envisager entre les œuvres déjà présentes et la programmation. Comment envisagez-vous la diffusion de la collection ?

Après la fusion de 1998, l’Institut d’art contemporain regroupe depuis 2006 les missions du Nouveau Musée et du Frac Rhône-Alpes autour d’une direction unique. Il a donc vocation à produire et à acquérir. Comment se constitue la collection Rhône-Alpes ?

La légitimité de l’Institut à acquérir des pièces qu’il expose me semble être une évidence, d’autant plus dans le cadre d’œuvres qui sont produites par lui. Mais cela ne doit pas être l’unique fil conducteur ; on n’achète pas tout ce que l’on produit pour les expositions. L’acquisition d’œuvres d’art est une méthode de travail car dans le cadre de la mondialisation, la notion d’exhaustivité en art n’a plus aucun sens. Le choix est fondamental et c’est le travail d’un comité d’achat, qui implique l’adjonction de compétences et de regards, qui va faire l’intérêt de cette collection. Avant tout, cela dépend du regard que l’on porte sur la collection. Il s’agit d’établir des relations éventuelles entre les œuvres déjà là et celles à venir. C’est ainsi que j’ai récemment proposé l’acquisition d’une œuvre de Dan Graham qui était une manière d’opérer un passage entre le passé, le présent et le futur de la collection tout en tenant compte de la programmation artistique actuelle. Elle met en évidence la dimension perceptuelle de Dan Graham plus que sa dimension architecturale et nous permet d’aller vers une génération d’artistes comme Carsten Höller, Ann Veronica Janssens ou d’autres. C’est ce que j’ai montré avec l’exposition Collection 08 l’an

Le travail mené ces vingt dernières années sur les territoires par les Frac me paraît important et productif. Une véritable éducation s’est opérée. Cela reste important, mais je pense qu’on est maintenant arrivé à un point de maturité suffisant pour mettre en œuvre des projets à caractère artistique en collaboration avec de nouveaux partenaires. Nous sommes donc en discussion avec différentes structures muséales dans la région Rhône-Alpes. Il est intéressant de pouvoir travailler avec un commissaire car dès lors, on se place dans une position d’échange. Cela permet enfin de gagner en qualité de diffusion, aussi bien en région qu’à Bruxelles, dans le cadre d’un récent projet d’espace inter-régional qui regroupe cinq régions d’Europe : Rhône-Alpes, PACA, Aoste, Piémont et Ligurie. Fabricateurs d’espaces

Le projet d’exposition mis en place par Nathalie Ergino à partir du 17 octobre explore des pratiques artistiques situées à la frontière entre sculpture et construction d’espaces. Les artistes présentés dans cette exposition ont en commun de traiter l’espace comme un matériau et de faire naître de cette manipulation une expérience renouvelée de l’environnement qu’ils exploitent. Ainsi, les éléments architecturaux prennent une posture paradoxale, notamment chez Jeppe Hein et Rita McBride. Avec le Changing Space du premier,

le lieu acquiert une existence inquiétante lorsque ses murs se mettent en mouvement. Avec National Chain de la seconde, c’est le plafond qui descend au niveau du spectateur. Son treillis de métal standardisé propose une autre appréhension de cette architecture rationalisée. C’est également vers une expérience étrange que nous entraîne Vincent Lamouroux avec ses modules géométriques qui semblent être des excroissances des murs et du sol sur lesquels on attendrait plutôt qu’ils s’appuient. Avec le projet d’Hans Schabus, c’est le bâtiment de l’Institut d’art contemporain luimême qui changera d’apparence, caché à la vue du public par une palissade de bois. Pour d’autres, il s’agira de privilégier une présence étrange comme avec le Landscape de Guillaume Leblon, paysage de fumée inquiétant et en mouvement incessant. Il s’agit bien pour tous ces artistes d’intervenir sur l’espace, de lui faire subir un certain nombre d’altérations qui le rende imperméable à notre entendement et à nos habitudes perceptuelles. Est ainsi privilégiée une expérience artistique passant par l’expérimentation physique.

Fabricateurs d’espaces avec Björn Dahlem, Jeppe Hein, Vincent Lamouroux, Guillaume Leblon, Rita McBride, Evariste Richer, Michael Sailstorfer et Hans Shabus Commissariat : Nathalie Ergino Institut d’art contemporain de Villeurbanne du 16 octobre 2008 au 4 janvier 2009


portrait

L’une ne va pas sans l’autre Linda Sanchez

Linda Sanchez À la pêche, vue d’atelier, août 2008 © Nicolas Leavenworth

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Dédiée à la jeune création, l’exposition Rendez-Vous 08 est le fruit d’une collaboration annuelle initiée par le MAC Lyon avec l’école nationale des beaux-arts de Lyon et l’Institut d’art contemporain de Villeurbanne. Cette exposition, accueillie cette année au MAC, propose jusqu’à janvier prochain les travaux récents de vingt artistes issus de la région, d’Europe, de Chine, d’Argentine ou d’ailleurs. À cette occasion, rencontre avec Linda Sanchez, l’une des artistes exposées, qui montre pour Rendez-Vous 08 la première étape d’un work in progress intitulé À la pêche. Cette œuvre est réalisée à partir de plusieurs cadres en bois sur lesquels sont tendus des filins de pêche. Sur ces fils, des toiles d’araignées reconstituées morceau après morceau dessinent un nouvel espace qui joue aussi bien du symbolique que du tautologique. Le titre de l’œuvre se joue des mots et conjugue deux objets similaires : le filet de pêche et la toile d’araignée, qui s’agglomèrent l’un à l’autre. Cette question très physique, accentuée par le fond noir sur lequel sont ensuite transférés les filets, est une des constantes du travail de Linda Sanchez. De points de vue particuliers en tâtonnements, ses œuvres se dessinent souvent autour des mêmes lignes directrices : un jeu dont les règles seraient inversées, fait de bricolages et d’associations de matériaux, d’objets et de gestes quotidiens relativisés par les titres des œuvres qui jouent le rôle de constatation. La Partie pour le tout était constituée de poissons dans des bulles elles-mêmes situées à l’intérieur d’un bocal, comme une métonymie ; Standards se contrant voyait une

simple feuille de papier A4 tenir en équilibre un stylo Bic, tandis qu’User du vent pour produire du vent mettait en scène une éolienne alimentant un… ventilateur. À la pêche vaut à la fois pour son prélèvement méticuleux et son jeu d’élevage (des araignées) et de tissage (des toiles). Elle est conçue comme un jeu en soi, quand il s’agit pour l’artiste d’élaborer un véritable atelier portatif lui permettant d’aller cueillir, sur les bords du lac Léman, dans les angles des ponts ou ailleurs, différentes toiles d’araignées qu’elle ramène ensuite dans l’atelier pour littéralement retisser son œuvre sur le fil de pêche. Si l’étape d’À la pêche présentée dans le cadre de Rendez-Vous 08 est très directive – il s’agit pour les araignées d’obéir à la surface plane du mur –, Linda Sanchez a désormais pour objectif de travailler sur des volumes dont la durée de réalisation sera étendue à l’action des araignées. Avec cette œuvre, Linda

Sanchez réfute le rôle de brodeuse qu’on assigne généralement à l’araignée au profit d’une vision plus scientifique : l’observation préalable du mode de vie des animaux, la méticulosité des gestes et les techniques spécifiques servant à recoller les toiles entre elles sont autant de petits jeux domestiques autour de soi, gestes fragiles qui révèlent chez Linda Sanchez une relation au monde faite de protocoles dont la destruction vaut création.

Rendez-Vous 2008 avec Jemima Burrill, Élise Cam, Dae-Jin Choi, Nathalie Djurberg, Marie Frier, Yan Gao, An He, Catalina Leon, Patricia Mattus, Yza Mouhib, Masahide Otani, Aurélie Pétrel, PierreRAvelleCHapuis, Julius Popp, Linda Sanchez, Tom Scicluna, Conrad Shawcross, Sarah Tritz, Andrey Ustinov, Christof Zwiener Musée d’art contemporain de Lyon du 19 septembre 2008 au 4 janvier 2009



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expositions

John Armleder Collection été 2008

John Armleder Vue de l’exposition Par ailleurs au château des Adhémar, 2008 © André Morin John Armleder : Jacques Garcia Vue de l’exposition au Centre culturel suisse, Paris, 2008 © Marc Domage

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Scrambled and Poached Simon Lee Gallery, Londres du 25 juin au 29 août 2008 John Armleder : Jacques Garcia Centre culturel suisse, Paris du 18 mai au 28 septembre 2008 Par ailleurs Château des Adhémar, Montélimar du 28 juin au 5 octobre 2008 À noter : inauguration d’une œuvre pérenne de John Armleder dans l’espace public de Montélimar en septembre 2008

L’une des directions les plus pertinentes prises par l’art conceptuel aujourd’hui est de savoir se mesurer, d’égal à égal, à un système capitaliste omnivore. Alors que la moindre velléité de transgression est généralement très vite transformée en style acceptable par le marché, John Armleder fait partie de ces artistes qui trouvent encore le moyen d’ouvrir de nouveaux espaces et d’opérer selon leurs propres termes : les surfaces glissantes et bruyantes de ses œuvres donnent en effet beaucoup trop à voir tout en poussant l’objet d’art jusque dans ses derniers retranchements décoratifs. Cet été, trois expositions simultanées ont offert à Armleder la possibilité d’explorer plus avant ces questions essentielles dans son œuvre que sont la place de l’auteur, la notion de décor et d’ornementation ou l’intervention du hasard.

L’intelligence avec laquelle l’artiste sait gérer les lieux investis dans toutes leurs dimensions – centre d’art, château patrimonial ou galerie commerciale –, donne à chaque fois à sa démarche une dimension in situ, avec un respect teinté d’ironie pour le spectateur, qu’il s’agisse d’amateurs éclairés, de collectionneurs londoniens ou de touristes visitant la Drôme provençale. Dans l’enchaînement des œuvres, des lectures de l’histoire de l’art, des formes, des matières et des symboles, Armleder interroge finalement rien moins que la nature même de l’œuvre d’art et le regard qu’on lui porte. Au Centre culturel suisse à Paris, l’artiste genevois a invité Jacques Garcia à imaginer, dans le white cube du CCS, l’appartement de collectionneurs bourgeois « dont les achats, heureux ou malheureux, peu importe, se fondent dans le décor. » En donnant une telle carte blanche à ce maître du kitsch baroque et du


John Armleder Scrambled and Poached, 2008 © D.R. Courtesy Simon Lee Gallery, Londres

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minimalisme neurasthénique qu’est Jacques Garcia, Armleder gagne sur tous les plans. Garcia s’est en effet pastiché lui-même et propose l’un de ces décors néo-branchés en vogue actuellement. D’entrée de jeu, l’ambiance est glauque comme le hall d’un hôtel Costes figé dans son jus. Murs rouge sombre, tables et sièges luxueux, vaisselle gothique que ne renierait pas un plateau de télé-réalité, photos noir et blanc d’Helmut Newton dissoutes dans le décor, musique lounge lénifiante : la mélancolie « nouveaux riches » est ici tournée en dérision avec brio – et une immense peau de bête jetée au bas de quelques marches. Dans une sorte de all over du grand (et mauvais) goût à la française qu’affectionne Garcia, les pièces de mobilier se succèdent à toute vitesse et ne sont dérangées que par des ouvrages soigneusement choisis dans la bibliothèque du CCS : livres d’Olivier Mosset, Rolf Winnewisser ou Andro Wekua, exemplaires de Parkett et catalogues de ventes aux enchères s’empilent d’une table à l’autre, comme une irruption incongrue de la pensée au milieu de la surface des choses. Avec ce chapitre supplémentaire de cette notion chère à Armleder qu’une œuvre d’art puisse être conceptuellement achevée avant même son exécution, l’artiste crée de facto une « méta Furniture-Sculpture 1 ». Parce que le côté poisseux de la décoration signée Garcia assume totalement le kitsch, l’argent et le lifestyle qui réduit à néant toute tentative d’existence de l’œuvre d’art, cette exposition,

loin d’être un exercice formel vaguement choquant, est un véritable négatif, au sens photographique du terme, de l’air du temps. À l’opposé de la neutralité relative des espaces du CCS, John Armleder a répondu au contexte patrimonial du château des Adhémar avec une proposition à la fois dépouillée et tout aussi contextualisée qu’à Paris. À Montélimar, l’artiste n’a souhaité déranger ni l’ornementation du château, ni ses visiteurs. De fait, quiconque souhaite visiter le lieu doit obligatoirement passer par son centre d’art : cette problématique liée à tout lieu patrimonial ouvert à la création contemporaine, Armleder s’en est emparée en plaçant au sol des néons qui éclaboussent littéralement les murs de rose, de jaune ou de bleu. L’effet est stupéfiant : la couleur des pierres apparentes du château est totalement modifiée par les enchevêtrements lumineux et le regard comme la position du visiteur s’en trouvent changés. Le sol devient partie intégrante de l’environnement et le hasard des gammes chromatiques de la lumière ne parasite pas le château mais le révèle, obligeant chacun à lever les yeux pour voir l’effet des néons. Les dessins post-préparatoires présentés dans une dernière salle peuvent paraître à première vue anecdotiques mais sont révélateurs de la méthode d’Armleder : quelques traits colorés parfaitement alignés semblent représenter les œuvres encore en caisses, avant leur effondrement au sol. Car c’est bien d’effondrement

dont il s’agit ici, celui de l’œuvre de Dan Flavin à travers un système de chance et d’aléatoire. Armleder, dans une vidéo présentée en fin de parcours (et dans laquelle l’artiste arbore une chemise hawaïenne hallucinante, en accord avec son questionnement de l’ornement !) se fait évidemment l’écho de la modification qu’il opère de cette convention esthétique liée au néon et parvient à établir une sorte de narration collective, décrivant ses actions comme de petits gestes qui donnent une perception du monde et une forme de partage. À Londres enfin, à la Simon Lee Gallery, des wall-paintings représentant des homards bleus et rouges, des œufs de Pâques multicolores, des glands en noir et blanc ou des motifs hard edge accueillent une série de tableaux récents. Ces peintures, dont on retrouve d’ailleurs un exemplaire à Paris, bénéficient d’un équilibre unique, à la fois attirant et violent. On retrouve ici le John Armleder immédiatement séduisant et qui sait confondre l’unique et le générique, le beau et le dérisoire, l’esthétique suisse et le clinquant Las Vegas : avec lui, « trop, ce n’est jamais assez. » Notes : 1. Élaborées par Armleder à partir de 1979, les FurnitureSculptures sont un mélange d’abstraction et de réemploi de meubles, à mi-chemin entre sculptures et peintures.


entretien réalisé par nicolas leavenworth

Après la réception pour le moins âpre réservée par la presse française à la dernière Biennale de Lyon (y compris dans les pages de 04), Hans Ulrich Obrist revient sur ce traitement et sur la nomination de Catherine David comme commissaire invitée pour l’édition 2009, sur la notion de commissaire vs. curator en France, et sur sa vision de la notion d’exposition. L’intégralité de cet entretien est à lire en ligne sur le site de 02 (www.zerodeux.fr). Comment avez-vous ressenti la façon dont la Biennale de Lyon 2007 a été reçue par la presse française ?

Il y a eu pour moi un grand écart entre la façon dont la Biennale a été traitée par les presses française et internationale. Dans la presse internationale, la Biennale a reçu un accueil chaleureux, avec de nombreux articles publiés en Allemagne, en Grande-Bretagne ou aux États-Unis. Cet écart, à propos duquel Stéphanie Moisdon (co-commissaire avec Obrist de la dernière Biennale, ndlr) m’a rapidement alerté, m’étonne. Quelles sont d’après vous les raisons de cette différence de traitement ?

Je ne sais pas jusqu’à quel point cela ne viendrait pas des problèmes qui subsistent en France autour du mot curator. Il ne faut pas oublier qu’il n’y a pas de mot équivalent dans la langue française. Lorsque je travaillais en France, je trouvais toujours très étrange qu’on m’appelle « commissaire ». C’est un terme qui a un côté autoritaire, alors que le mot curator, qui est issu du latin curare – prendre soin de –, permet à mon sens des définitions plus larges. Toute ma démarche en tant que curator a quelque chose à voir avec le processus de constitution d’une exposition. Je suis né à Zurich en 1968 et j’ai grandi en Suisse avec ce modèle du curator qu’était Harald Szeemaan. Lorsque j’ai commencé à travailler avec Kasper König, nous avons fait ensemble des expositions, des

Fragments d’une conversation Hans Ulrich Obrist

livres, des biennales… et König fait partie de ces quelques personnes qui ont révolutionné la notion de curator indépendant. Mais le fait est que j’ai choisi une profession qui existait déjà et je n’ai jamais cessé depuis de m’interroger sur mon rôle de « austellungsmacher ». Cette idée de concepteur d’expositions, elle a existé en France, mais dans l’institution. Lorsque j’ai commencé à travailler avec Suzanne Pagé en France, j’ai énormément appris d’elle : sa vision d’un musée, les collections de musées contemporaines ou historiques, l’idée de faire d’un musée un véritable kraftwerk qui oscille entre l’historique et le contemporain – ce qu’elle a fait avec le musée d’art moderne de la Ville de Paris.

mage oblique aux artistes français de la fin des années 1990 - début des années 2000 via la Zoo Galerie et la revue 02 (la grande sœur de 04, ndlr) et Pierre Joseph, qui a décidé de passer plus de temps à transmettre qu’à exposer, nous a proposé sa vision de la très jeune scène française. […]

Peut-être les règles du jeu 1 de la Biennale ont-elles été

Avec la plupart des biennales, les challenges dépendent des éditions : d’une année à l’autre, on aura une exposition intéressante puis quelque chose de passable, alors que Lyon réinvente sans cesse les règles du jeu. Il y a aussi cette question de représentation nationale à travers les financements nationaux, comme à Venise et son système de pavillons qui appartiennent toujours aux différents États qu’ils représentent. À Lyon, on va beaucoup plus loin que cette question de représentation nationale. Alors qu’on manque d’espace en France pour les curators indépendants, la Biennale de Lyon reste une plateforme extraordinaire de liberté de pensée. […]

mal comprises ?

Depuis le début des années 1990, nous avons fait un certain nombre de biennales, de Berlin à Guangdong, et cela me semble à chaque fois nécessaire d’inventer de nouvelles règles du jeu. Ce qu’on a inventé pour Lyon, ça n’a jamais été qu’une des règles possibles. Avec ce système de délégation, on a tenté de s’opposer à l’idée de listes d’artistes qui circulent d’une biennale à l’autre. On a souhaité créer une relation artiste / curator en tête à tête, soit quasiment cinquante monographies. Lyon est l’une des seules biennales au monde capable de produire les œuvres. C’était donc une question de contexte : cette volonté de montrer chaque artiste le mieux possible, de montrer des choses nouvelles et de s’interroger sur le devenir de l’art en ce début de xxie siècle, on n’aurait jamais pu la mettre en œuvre ailleurs qu’à Lyon. Par ailleurs, quand on visite une biennale, on a envie d’en savoir plus sur la scène locale. On a donc créé deux expositions à l’intérieur de la Biennale consacrées à la scène française, en demandant à Saâdane Afif et Pierre Joseph de travailler sur cette idée. Afif a rendu un hom-

Que vous inspire la nomination de Catherine David en tant que commissaire invitée pour 2009 ?

C’est une excellente nouvelle. La continuité qui existe à Lyon d’une édition à l’autre est un phénomène très riche mais très rare. À quel niveau ?

Notes : 1. Intitulée 00’s – l’histoire d’une décennie qui n’est pas encore nommée, la Biennale de Lyon 2007 était conçue sur le modèle d’un jeu où cinquante curators du monde entier étaient invités à donner le nom d’un seul artiste.

Hans Ulrich Obrist

A Brief History of Curating, Les presses du réel, parution prévue en septembre 2008


entretien réalisé par nicolas garait août 2008

Suite au départ à la retraite de son fondateur, l’artiste Jean-Claude Guillaumon, le Centre d’arts plastiques (le CAP) de Saint-Fons est dirigé depuis un an par Anne Giffon-Selle. Un retour aux sources pour cette historienne de l’art qui, après avoir débuté sa carrière à SaintFons et dirigé le service Arts plastiques de Vénissieux durant sept ans, revient aujourd’hui au CAP avec de nouveaux projets. Quels sont vos projets pour le Centre d’arts plastiques de Saint-Fons ?

Il s’agit de développer différentes actions en prise avec le territoire grâce à une programmation d’art contemporain actualisée et diversifiée. Avec sa forte personnalité, son fondateur Jean-Claude Guillaumon est parvenu à ancrer profondément le lieu dans la ville par l’intermédiaire des expositions et de l’artothèque. J’ai désormais le souci qu’à travers une série d’actions dans et hors les murs, le lieu puisse continuer à vivre en tant qu’espace dédié à l’art contemporain, que les publics puissent se l’approprier, que les artistes soient excités par de nouveaux projets et aient envie de s’impliquer. En quoi ces actions vont-elles consister ?

En plus de la programmation d’expositions traditionnelle, nous avons commencé par nous associer pendant deux ans avec le Groupe Moi, qui sévit depuis fort longtemps sous différents noms. Il s’agit d’un collectif qui regroupe des graphistes, des photographes, des plasticiens et des artistes du spectacle vivant, avec un noyau dur qui s’enrichit de satellites au gré des projets. Le Groupe Moi a pour l’instant proposé une exposition à partir des œuvres de l’artothèque qui s’est terminée en juin dernier, une œuvre évolutive dans un quartier de la ville, une performance à partir d’Hamlet… Ils sont la preuve qu’on peut faire des propositions artistiques tant pointues et « savantes » que plus réactives et participatives – même si ce terme est un peu galvaudé.

« Tout un art » Anne Giffon-Selle Vous travaillez depuis le début de votre carrière dans des lieux situés en banlieue, avec des publics très diversifiés. Quel impact cela a-t-il sur votre métier ?

Il me paraît effectivement difficile de travailler pour des petites et moyennes structures en banlieue sans me poser la question de la médiation et du public. À Saint-Fons, j’ai une double préoccupation. Il s’agit d’abord de proposer une programmation d’art contemporain en relation avec l’actualité prospective et à l’échelle de la région, au même titre que n’importe quel autre centre d’art. Mais en banlieue, où il n’existe guère de public captif, il me semble aussi qu’il faut plus encore se préoccuper du public, qu’il soit ou non dit « en difficulté ». Au départ, travailler en banlieue n’était pas un choix, mais ça l’est vraiment devenu. Une petite ville comme Saint-Fons offre l’avantage d’une emprise plus facile sur un territoire et d’un contact beaucoup plus direct avec les divers groupes de population. D’ailleurs, il existe ici de multiples dispositifs et une réelle volonté des services de la ville et des associations de travailler en collaboration avec nous, ce qui nous facilite beaucoup la vie. Ils sont indispensables car la population semble de plus en plus fragmentée et la médiation doit chaque fois s’adapter aux différents groupes. Quel impact le fait de faire travailler des artistes avec des populations spécifiques peut avoir sur la production artistique ?

Il existe un risque réel d’instrumentalisation que je dois gérer tous les jours. L’art n’est certes pas là pour régler tous les problèmes et l’artiste n’est pas là pour combler les déficits de notre société, mais l’art a aussi sa place partout – ou presque. Le Groupe Moi résiste heureusement très bien à l’instrumentalisation. Les artistes nous confrontent le plus souvent à des situations déstabilisantes pour le public et il faut faire attention à ne pas pousser les artistes vers trop de concessions qui viendraient justement dénaturer leur travaiI. Par exem-

ple, le Groupe Moi réalise une œuvre évolutive dans les jardins familiaux du quartier de l’Arsenal. C’est un travail en relation avec un lieu, qui doit susciter la réaction des habitants, sans passer par une médiation traditionnelle. Ils posent quelque chose qui tient compte du contexte et s’y oppose parfois, mais en tant qu’artistes, pas en tant que médiateurs. La médiation viendrait donc plutôt de l’institution ?

Dans le cas du Groupe Moi, oui, et dans un deuxième temps seulement. Certains artistes peuvent vouloir un échange verbal autour d’une œuvre mais ce n’est pas leur cas pour l’instant. C’est plutôt le rôle du CAP de se faire, en amont ou en aval, l’intermédiaire entre œuvre, public, élus, relais sociaux… Parachuter une œuvre dans un lieu extraartistique peut être assez inconscient sauf si l’œuvre est pensée ainsi, ce qui est le cas du Groupe Moi. Ce qui intéresse ses membres, c’est la rumeur, l’imaginaire, les réactions que l’installation de l’œuvre va susciter. Même un éventuel rejet est pris en compte. À nous d’accompagner l’œuvre pour mettre l’art en contact avec des populations plus diversifiées. Comment fonctionne cette sensibilisation ?

C’est un travail d’ouverture qui a été largement entamé avant mon arrivée, en direction des scolaires bien sûr, mais aussi par exemple, en direction des commerçants de la ville, entre autres grâce à l’artothèque et des opérations « Art en vitrine » comme nous le ferons encore cet automne. Cela fonctionne très bien et nous avons à présent tout un groupe impliqué dans la vie du CAP et les expositions. Plus récemment, nous avons débuté un travail avec des résidences et des clubs de personnes âgées, avec un groupe de personnes en démarche d’insertion professionnelle, avec des crèches, etc. En octobre, en collaboration avec l’école nationale des beaux-arts de Lyon, nous débutons un programme assez expérimental d’ac-


Comme ça... Oui ! Parfait, l’artothèque selon MOI Le CAP, Saint-Fons, juin 2008 © Vincent Delpeux

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compagnement culturel individualisé pour quelques jeunes de la ville, qu’ils soient ou non en difficulté scolaire. Des étudiants de l’école partageront avec eux leurs intérêts artistiques et culturels. On est en effet en train de se rendre compte que les éventuels problèmes ne sont pas seulement scolaires mais également dus à des difficultés d’accès à une culture commune. C’est cette culture d’aisance qui peut faire la différence dans l’insertion professionnelle et sociale. Sans avoir une vision angélique de la médiation ni une vision diabolisée de la banlieue, le but de notre action est de s’adapter aux publics en face desquels on se trouve. Il ne s’agit pas seulement de proposer des visites d’expositions, même si le but ultime est tout de même d’amener les gens à fréquenter et s’approprier le CAP. Quel est votre programme pour les mois à venir ?

Nous commençons la saison avec la présentation des photographies de Monique Deregibus, puis nous serons en travaux d’agrandissement et de rénovation. On en profitera pour montrer une proposition de Table d’hôtes hors les murs, à la bibliothèque de Saint-Fons. Le CAP ré-ouvrira en mars 2009 avec une exposition intitulée Populaire, populaire avec Cécile Paris, Philippe Cazal, le Groupe Moi et Roberto Martinez qui est aussi le commissaire de l’exposition. Nous avons demandé aux artistes de réaliser une œuvre qu’ils considèreraient « populaire ». Au lieu d’envisager la question du point de vue habituel des sociologues, critiques ou élus, nous avons préféré inverser la proposition en donnant la parole aux artistes. On finira enfin la saison avec l’artiste Pascal Poulain. De quels types d’œuvres est constituée la collection de l’artothèque du CAP ?

La collection est très historiciste et balaie tous les mouvements des années 1950 aux années 1980. Je souhaite compléter quelques manques dans cette lignée d’acquisitions, mais aussi

développer l’achat de plus jeunes artistes. Je souhaite enfin développer la photographie avec par exemple, des noms comme Sophie Ristelhueber ou Balthazar Burkhart, qui ne sont pas représentés. Je crois enfin qu’on se doit d’avoir un ensemble cohérent de JeanClaude Guillaumon.

demande à être valorisée, ce à quoi travaille ma collègue Nathalie Genest par le biais d’expositions. La dernière exposition du Groupe Moi mettait aussi en scène la collection avec un accrochage façon années 1980, très radical, qui rejouait une certaine idéologie ayant présidé à la naissance des artothèques.

Envisagez-vous l’idée de collection comme des ensem-

Comment gérez-vous cette collection au quotidien ?

bles historiques à compléter ?

Pas nécessairement car nous n’avons pas toujours le recul nécessaire mais plutôt des ensembles représentatifs de tendances et de préoccupations proches. Je ne l’envisage en tout cas pas comme un seul soutien à la « jeune » création. L’aspect prospectif de la collection se fera plutôt du côté de l’édition de multiples. Je voudrais profiter des expositions pour éditer des multiples et des catalogues ; le choix en sera laissé aux artistes et participera d’une mémoire de l’activité d’exposition. Ces choix sont-ils faits en fonction de la nature même de la collection, qui est une artothèque ?

Forcément car il y a une limite due au médium – le multiple que les artothèques ont contribué à beaucoup valoriser. Mais Saint-Fons fut l’une des premières artothèques à acheter des objets et des œuvres uniques, ce qui est beaucoup plus courant aujourd’hui Quelles sont les pièces majeures de la collection ?

Nous avons un très bel ensemble d’Urs Lüthi, constitué, entre autres, de son premier multiple réalisé en collaboration avec David Weiss. Nous avons également un très beau triptyque de Francis Bacon, ainsi qu’une série combinatoire de Peter Downsborough, une autre d’Aurélie Nemours… De très beaux dessins de Philippe Ramette, des Armleder, un Mosset, un Richard Serra, un Gina Pane, ou encore une série de Hans Richter de 1976. La liste serait longue… C’est une collection très riche qui

Les artothèques sont assez paradoxales : ce sont des collections publiques qui demandent à être conservées le mieux possible, mais qui impliquent aussi des prêts et un roulement constants, une manipulation souvent hasardeuse. Il y a donc des risques qu’il faut accepter. Et certains frais de restauration coûtent plus chers que l’œuvre elle-même… Quelles sont les motivations des utilisateurs ?

Les utilisateurs éprouvent une certaine fierté à l’idée d’avoir chez eux des œuvres d’art originales. Là aussi, il y a un paradoxe car les adhérents ne recoupent pas nécessairement le public des expositions. Certains ne les regarderaient même pas si on ne les y incitait pas ! Le public de l’artothèque ne devient celui des expositions que dans la mesure où, là aussi, il y a un travail de sensibilisation. Mais c’est un autre facteur de diversification du public. L’idée de décoration est également très importante pour eux (la plupart veulent de la « couleur » !). C’est assez ironique dans la mesure où une grande partie de l’art contemporain s’est éloignée du décoratif et que beaucoup de multiples sont en noir et blanc. Vous achetez en fonction de ces critères décoratifs ?

Jamais. Le décoratif n’est un critère que lorsqu’il est inhérent au travail des artistes, comme celui de John Armleder dont un multiple rose fuchsia orne d’ailleurs mon bureau !


À(venir) Petite sélection d’expositions dans la région La nouvelle édition du Septembre de la Photographie envahit tout Lyon autour du thème Identité(s) : présentation à l’HôtelDieu de la collection photographique du Fnac, expositions monographiques de Léo Fabrizio à la Salle de Bains, Mark Curran au Bleu du Ciel / Burdeau, Iosif Kiraly chez Vrais Rêves, Audrey Laurent à la Fondation Bullukian, photographes bulgares à la BF15 et slovaques à la galerie Domus… Le cru 2008 inclut également un parcours associé qui va de Grrrnd Zéro à DoXart en passant par le Musée des Moulages. Le Mois du Graphisme d’Échirolles démarre en novembre, tout comme la Biennale du design de Saint-Étienne. À cette occasion, John Armleder met en scène les collections de design du musée de SaintÉtienne, qui accueille par ailleurs plusieurs œuvres monumentales d’Antony Gormley et une exposition Jean-Michel Alberola. À Grenoble, en attendant la rétrospective Gerhard Richter au printemps prochain, le musée présente les photographies aux cadrages insensés de Patrick Faigenbaum, tandis que le Magasin-CNAC revient, avec Espèces d’Espace, sur les années 1980. Cindy Sherman Sans titre # 106, 1982 Tirage couleur à développement chromogène 136,5 x 77,5 cm Collection Rhône-Alpes-Institut d’art contemporain (Villeurbanne / Lyon)

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À Lyon, le MAC accueille après le SMAC de Gent et Baltic à Newcaste, le nouveau volet de la rétrospective Irrespektiv de Kendell Geers, une monographie consacrée au Suisse Lori Hersberger et l’exposition spécial jeunes Rendez-Vous (lire p. 13). Au musée des beaux-arts de Lyon, Éric de Chassey revient sur l’immédiat après-guerre avec des œuvres de Pollock, Newman, Rothko, Soulages et Fontana.

À Villeurbanne, l’espace de l’ancienne école de l’IAC sera sensiblement modifié par l’exposition Fabricateurs d’espaces (lire p. 10) avec des œuvres de Vincent Lamouroux ou Jeppe Hein. À Lacoux (dans l’Ain), le centre d’art contemporain accueille les peintures de Jane Le Besque ; l’Espace d’art contemporain de Saint-Restitut (au sud de la Drôme) propose la projection de The Quintet of the Astonished de Bill Viola à la Maison de la Cure ; Chambre Claire à Annecy présente une exposition consacrée à Raymond Depardon, tout comme la bibliothèque de la Part-Dieu à Lyon. À Grenoble, le jeune centre d’art Oui conçoit une exposition d’hiver en plusieurs volets et le centre d’art Bastille présente deux expositions de groupe sur les thèmes de la fragilité et de l’American Dream. À Saint-Étienne, le 9bis fête ses dix ans avec Assan Smati et Damien Deroubaix tandis qu’à Lyon, l’Attrape-Couleur rend hommage à son fondateur Daniel Tillier. La galerie Domi Nostrae présente les œuvres de Christian Lhopital en relation avec l’immense œuvre installée par l’artiste au MAC, vingt-quatre ans après y avoir exposé pour la première fois. José Martinez présente les œuvres récentes de Paul Raguénès, Olivier Houg Galerie celles de Jemima Burrill puis Jan Ross, l’espace d’arts plastiques de Vénissieux celles de Géraldine Kosiak, tandis qu’à Francheville, Franck David et Florence Lazar se partagent l’espace du Fort du Bruissin. Sans oublier nos voisins suisses (Sylvie Fleury au Mamco, Valérie Belin à l’Élysée…) ou italiens (avec la Triennale de Turin début novembre). Détails, dates et adresses sont dans notre calendrier…


Lori Hersberger Zombie Voyager Nr. 1, 2007 Néon, barils blancs, verre noir © Helge Kirchberger Courtesy Galerie Thaddaeus Ropac, Paris-Salzburg

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Appel à participation pour les artistes de la région Rhône-Alpes Suite au succès de la première exposition de Noël en 2007, le Magasin présente l’édition 2008 de cette manifestation. Un jury renouvelé sélectionnera les œuvres de nombreux artistes de la région Rhône-Alpes, parmi lesquels un lauréat sera choisi et se verra remettre le prix de la Ville de Grenoble. Comme l’année passée, une quarantaine d’œuvres sera retenue et présentée dans les salles de l’ancien musée de Peinture de Grenoble, pour une durée de quatre semaines pendant les vacances de Noël. Merci de bien vouloir adresser un dossier contenant un texte explicatif (1 feuillet) ainsi qu’une documentation sur chaque œuvre présentée (descriptifs et photographies, dvd) à l’adresse suivante avant le 26 octobre 2008 (le cachet de la poste faisant foi) : Magasin - Centre National d’Art Contemporain Exposition de Noël, Site Bouchayer-Viallet 155 cours Berriat, 38000 Grenoble 04 76 21 95 84 – www.magasin-cnac.org

Exposition de Noël Magasin-CNAC, Grenoble du 7 décembre 2008 au 4 janvier 2009 vernissage le 6 décembre 2008


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Lieu d’événements

Octobre 2005 : ouverture de La Plateforme avec la Biennale d’art contemporain de Lyon. Janvier 2009 : ouverture de La Plateforme aux performances artistiques. Au coeur de Lyon, La Plateforme dispose de 600m2 sur 4 espaces pour accueillir tous vos événements. 4, quai Augagneur - 69003 Lyon - 04 37 40 13 93

www.la-plateforme.fr


Ŗș ŏ ~ x | {ō { | x | Exposition du 11 septembre au 31 octobre 2008 Entrée libre du mercredi au samedi de 14h à 18h30 Échanges Culturels Bullukian 26 place Bellecour, Lyon 2e www.bullukian.com

PRIX D’AIDE À LA CRÉATION DE LA FONDATION BULLUKIAN Lauréat : Cédric Alby, pour son projet «Continuum» Exposition du 28 novembre 2008 au 31 janvier 2009 Vernissage jeudi 27 novembre à 18h

La BF15 11 quai de la Pêcherie, Lyon 1e www.labf15.org

photographies Audrey LBVSFOU t HSBQIJTNF 0MJWJFS 6NFDLFS

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Projet2

9/09/08

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wolfgang laib

expositions

L’un est le multiple par Florence Meyssonnier

Wolfgang Laib There is no beginning and no end, 2003 Cire d’abeille, bois. 620 × 130 × 570 cm © Wolfgang Laib

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Le musée de Grenoble consacre à Wolfgang Laib sa plus grande exposition en France dans un vaste ensemble de productions datant des années 1980 à aujourd’hui. Inscrite dans la logique d’une constance méditative, l’œuvre de cet artiste courtcircuite cependant toute course au divertissement que suscite une exposition événement. Without Place - Without Time - Without Body se veut l’expérience du détachement et de l’intemporel. Nourri dès l’enfance de cultures orientales, Wolfgang Laib s’attache à rallier l’homme et l’univers, l’infime et le tout. Sous l’invariabilité du geste ordinaire (récolte, tamisage, polissage, amoncellement…) et sous la permanence des matériaux (riz, pollen, cire…), l’artiste édifie une œuvre globale fascinante dont le dépouillement restitue aux formes et aux matériaux un pouvoir physique et symbolique. L’exposition propose ainsi un cheminement à travers les multiples facettes d’un tout. Sculptures, installations, dessins ou photographies rappellent et multiplient à l’infini les fils conducteurs formels, architecturaux et symboliques qui jalonnent indistinctement la vie et l’œuvre de l’artiste.

D’entrée, on se fond dans l’espace immaculé des Maisons de riz et d’une Pierre de lait. Au dépouillement progressif succède la communion avec la nature, dans les intenses expériences sensorielles du lumineux Pollen et de l’olfactive cire souvent utilisée par Laib. L’artiste crée ainsi les conditions d’un tremplin vers l’ailleurs, qu’il figure fréquemment sous forme triangulaire. Maisons de riz, Montagnes que l’on ne peut escalader et les Escaliers, sont autant de symboles de notre condition entre ciel et terre, et d’appels à un dépassement du matériel que l’artiste saisit et multiplie aussi dans ses photographies et dessins. Au cœur de l’exposition, une production inédite rassemble quantité de bougies et d’urnes emplies de cendres et disposées de façon rituelle sur des étagères. Son mutisme funéraire nous conduit au recueillement individuel, dans une des Chambres de cire que l’artiste réalise depuis une vingtaine d’années. Dans ce vaste mouvement du monde et affranchie de toute contrainte matérielle, l’œuvre Without Place - Without Time - Without Body envahit alors notre horizon de petits tas de riz pour nous inviter un peu plus à un sentiment de plénitude et d’infini. Les deux derniers escaliers qui se font face le disent : There is no Beginning and no End. II n’y a pas d’aboutissement de l’exposition et de l’œuvre de Wolfgang Laib, tout comme il n’y pas de fin au « spirituel dans l’art » et à l’inaliénable aspiration des hommes à exprimer ce qui est plus grand qu’eux. Wolfgang Laib Without Place - Without Time - Without Body  Musée de Grenoble du 5 juillet au 28 septembre 2008


micro-narratives

ambition d’art

Tentation des petites réalités

Célébration ?

par Cyrille Bret

par François Aubart

Valerio BERRUTI Sopra ogni cosa, 2007 Installation de dessins, huile en bâton et fresque sur papier, dimensions variables Courtesy de l’artiste

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Cette exposition collective, dont le foisonnement est l’un des partis pris, réserve d’excellentes surprises parmi les œuvres des quatre-vingt huit artistes exposés. Les micro-sculptures de Christiane Löhr réalisées à l’aide de pousses de plantes et autres tiges végétales particulièrement fragiles recèlent une charge émotive remarquable, jouant d’une inversion de rapport entre monumentalité et puissance expressive. Les sculptures en aluminium de Paolo Grassino frappent elles aussi d’emblée, sortes de cerfs aux jambes coupées montés sur d’improbables pilotis, dont la noirceur et le bossage de linéaments accrochent singulièrement la lumière. Les citer toutes serait impossible, mais les dessins infiniment subtils de la série Small O Drawings de May Cornet, les vidéos-performances Anti- et Para- de Sergio Prego instruisant une étude quasi sociologique de la gravité, les exercices d’anthropologie visuelle de Soonja Han qui s’exhibent comme une collection de cercles sont quelques-unes des œuvres marquantes de Micro-Narratives. Axée sur la thèse de Jean-François Lyotard de la « fin des grands récits », l’exposition induit en revanche nécessairement la question de sa pertinence presque trente ans plus tard 1 ; de surcroît, son utilisation comme porteétendard théorique de l’exposition paraît parfois forcée. L’une des ques-

Paolo GRASSINO Dio non è in me, 2007 Aluminium Courtesy Galleria Alessandro Bagnai, Florence

Alighiero Boetti Legnetti colorati - Aiuola (Flower Bed), 1968 Bois peint et élastiques Collection privée, Turin © Blaise Adilon

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tions paradoxales soulevées par l’exposition de Saint-Étienne tient à l’absence significative de possibilité de conflit esthétique, malgré la multiplicité des matrices culturelles et historiques en présence et une scénographie jouant parfois le regroupement par dominantes (la citation, la sculpture, la vidéo…), ou affichant au contraire une différentiation assumée. Certes, la forte représentation d’artistes issus de pays de l’ex-Europe de l’Est aurait pu rendre intelligible un recours historicisé à Lyotard, mais cette partie de l’Europe est-elle condamnée à n’être envisagée que sous l’angle de sa balkanisation, y compris esthétique ? Quant à l’appellation de « petites réalités », son acception pourrait bien la rendre presque inopérante, voire inintelligible, du fait de la très grande diversité d’œuvres qu’elle désigne. 1. En particulier La Condition postmoderne, Paris, Éditions de Minuit, 1979. En lien avec la validité des postulats du postmodernisme en 2008, « la fin des grands récits » pourrait bel et bien être appelée à rejoindre la catégorie des eschatologies théoriques aux côtés des « fin de l’art » et de la « fin de l’histoire »… Micro-Narratives ; Tentation des petites réalités Musée d’art moderne de Saint-Étienne Métropole du 7 mai au 21 septembre 2008

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Cette exposition, organisée à l’Institut d’art contemporain de Villeurbanne par Jean-Louis Maubant, fondateur puis directeur de ce lieu pendant vingt-huit ans, a d’ores et déjà rencontré une importante reconnaissance critique. Nombre de commentateurs ont eu l’occasion d’acclamer la grande qualité des œuvres et de leur accrochage soigné et respectueux. Il n’est pas ici question de réfuter de telles affirmations. Bien au contraire. Mais l’apologie ayant déjà été réalisée par d’autres, qu’il nous soit permis non pas de décrire chacune des œuvres mais de se demander ce qu’elles font ensemble, en tant qu’exposition. Car c’est bien la façon dont elles sont réunies qui marque. Onze artistes pour onze salles, tel est le protocole qui offre à chacun d’entre eux une exposition autonome. C’est ainsi le fait monographique qui est mis en avant, celui que Jean-Louis Maubant a soutenu comme processus de travail tout au long de sa direction de l’IAC. Privilégiant une relation de proximité et de confiance avec les artistes, il a été le défenseur d’une posture du commissaire comme accompagnateur, refusant d’apposer une lecture personnelle et privilégiant un rapport didactique tourné vers le respect de l’œuvre et l’éducation du public. C’est cette approche qu’il exploite pour les trente ans de l’IAC en mettant en avant les artistes et leurs

travaux. Ceux-là mêmes qui ont permis à sa structure de devenir incontournable. Ceux-là mêmes par lesquels il s’est finalement fait un nom. Car c’est bien l’homme qui a su construire et développer un projet ambitieux et qualitatif, Jean-Louis Maubant lui-même, qui est ici célébré. En effet dans cette exposition, aucun lien, aucune affinité ne semble lier les œuvres présentées. Seule reste la personne qui les a choisies. Ainsi l’on pourrait avancer que finalement sa politique du retrait s’est retournée contre lui. Cependant, cette mise en avant se fait sur un mode bien éloigné de l’événementiel. Car si c’est bien le travail de son organisateur que cette exposition révèle, elle le fait sur un mode rare, puisque pour une fois il ne s’agit pas de l’apprécier dans l’espace de quelques salles mais dans le temps d’existence d’un lieu. Ambition d’art Institut d’art contemporain, Villeurbanne du 16 mai au 21 septembre 2008


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expositions

cycloptically

Rolywholyover, cinquième épisode par Jill Gasparina

• Christian Marclay Chorus II, 1988 Collection Sylvie Winckler © I. Kalkkinen, Mamco, Genève

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Philippe Ramette Socles à réflexion (utilisation), 1989-2002 Photographie couleur. 150 × 120 cm © Alain Ramette. Courtesy Galerie Xippas, Paris

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Pour le cinquième épisode de Cycloptically, le Mamco propose deux expositions radicalement différentes. Gardons nos illusions est la première exposition de grande envergure de Philippe Ramette en Suisse, avec des œuvres produites depuis le début des années 1990. Le titre renvoie avec ironie à la manière dont le show brise les illusions du spectateur, en dévoilant les trucs de fabrication des images, ces prothèses et harnachements divers utilisés par Ramette pour se suspendre et produire ses photographies. L’intérêt majeur de l’exposition réside dans le fait que ces sculptures sont montrées aussi de manière autonome, et indépendamment des images : ce choix curatorial opère une très nette rupture de registre dans l’œuvre. À la tonalité humoristique et souvent absurde des photographies, les sculptures répondent par une esthétique fétichiste, masochiste, violente et menaçante. Ces instruments de coercition, de torture, donnent rétrospectivement à l’ensemble de l’œuvre une gravité qu’on devinait déjà dans les titres, mais qu’il est souvent plus difficile d’identifier dans les images. Un nouveau prolongement se dessine donc dans l’exposition entre les sculptures et les photographies, celles-ci apparaissant au final comme la continuation logique d’une pratique très physique, la conséquence d’un scénario écrit dans les objets (Gardons nos illusions est d’ailleurs très précisément et très justement scénographiée en douze salles, la salle des tortures, la salle des dictatures…). Et jamais le mot « épreuve » n’aura été aussi juste devant une photographie.

Christian Marclay a quant à lui toujours travaillé aux frontières du visuel et du sonore. Avec Honk if you love silence (« klaxonne si tu aimes le silence ! »), il revient aux questions fondamentales qu’il a posées dès le début de sa carrière (comment faire du son avec des images ?). Ni Djying, ni turntablism, ni vidéo, donc : cette exposition, à la différence de la rétrospective des films présentée l’an passé à la Cité de la musique à Paris, est uniquement axée sur la part la moins connue du travail de l’artiste, à savoir sa pratique photographique. On pourrait d’ailleurs la qualifier de diariste tant elle semble l’accompagner au quotidien, depuis longtemps et dans tous ses déplacements. On découvre donc son extrême plasticité, avec des séries déchirées (la très belle série Fourth of July sur les fanfares américaines), des snapshots, des photogravures (Soundholes), des cyanotypes et des photogrammes. Indépendamment de cette présentation précise de l’exploration minutieuse du médium photographique par Marclay, Honk if you love silence est très réussie, parce qu’elle repose sur un paradoxe brûlant de simplicité : il s’agit d’une exposition silencieuse sur le son. Marclay, qui n’a eu de cesse de tenter de traduire le son en image, et inversement, semble désormais reconnaître, avec une force encore inédite dans son œuvre, l’étanchéité absolue des frontières entre ces deux médiums. Cycloptically Rolywholyover, cinquième épisode Mamco, Genève du 25 juin au 21 septembre 2008


fabio viscogliosi

pierre ardouvin

Point de vue, images du monde

Les choses de notre monde

par Florence Meyssonnier

par Nicolas Garait

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Pierre Ardouvin Bonhomme de neige, 2007 © Bernard Ciancia

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Fabio Viscogliosi Les Lits jumeaux, 2008 © André Morin

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L’entrée dans l’exposition de Fabio Viscogliosi à la Salle de bains est une décélération annoncée par une musique lointaine qui fait écho à une distraction enfantine. L’incongru trouve ici naturellement sa place, dans un univers où la peur côtoie l’humour, où les rapports d’échelle, de mesure ou de priorité se défont. Allégés de toute fonction assignée, une Chaise-cerf s’élance, des Lits jumeaux s’aimantent, alors que deux trottinettes enclines à la démesure deviennent impraticables. Curieusement animés, ces objets ne sont pas pour autant bavards. Pas plus que ces images cosmogoniques (nuages, champignon…) et cinématographiques (extraites notamment de films de Melville ou Bresson) que l’artiste photographie et cerne d’un halo binoculaire. Ces Jumelles saisissent, en creux, des potentialités insoupçonnées et hissent les petits riens au rang de grands questionnements de l’humanité. Livrés dans la série des Que sais-je ?, ils restent pourtant à la surface des couvertures de livres aux pages vierges. L’artiste s’ingénie ainsi à travailler dans la banalité ou le non-événement par une absence de parti pris qui donne à ses œuvres des qualités abstraites et une portée générique. Il déploie un vaste index d’associations jamais gratuites mais issues d’une réalité plus enfouie, d’une science incertaine dont le laboratoire semble

trouver une allégorie dans la dernière pièce de l’exposition. Celle-ci, plongée dans une semi-obscurité, « entre chien et loup », forme l’espace d’un temps dilaté : celui de l’atelier et de l’intime. Qu’il soit sonore, écrit, dessiné ou sculpté, le travail de Fabio Viscogliosi se situe précisément dans ce temps. Il y élabore des règles du jeu et des scénarios dans la non-forme et la non-finalité. Cet « état de maquette » est ainsi bien réel pour l’artiste qui projette les lieux du refuge dans des petites constructions qu’il agence et défait sans cesse. Quelles que soient les anecdotes qui ont généré ce parcours semé d’indices, elles font se rejoindre l’intime et l’universel en éveillant en nous quelques réminiscences et questionnements. Fabio Viscogliosi dit aimer « que l’on puisse voir les coutures », que l’on accepte le monde dans son continuum et dans ses découpes, ses interférences. Nourries de ses irrésolutions, les nuits de cet artiste poussent à l’acuité dans l’oscillation. Un entre-deux qui donne à l’exposition sa singularité. Fabio Viscogliosi Je suis pour tout ce qui aide à traverser la nuit, que ce soit des prières, des tranquillisants   ou une bouteille de Jack Daniel’s La Salle de bains, Lyon du 7 juin au 2 août 2008

Le centre d’art Bastille (ex-Lieu Images et Art) de Grenoble est situé au sommet du Fort de la Bastille et n’est accessible que par le téléphérique ou après avoir beaucoup grimpé. De par sa situation géographique et les lieux qu’il occupe (les casemates du Fort), le CAB se doit de proposer tout au long de l’année un programme d’art contemporain librement accessible gratuitement à un public venu admirer en premier lieu le panorama. Invité à réaliser une exposition d’été, Pierre Ardouvin a souhaité déjouer cette idée d’une exposition « facile d’accès » par le biais d’œuvres qui envahissent tout l’espace possible de leur présence physique et sonore. En oscillant constamment entre l’humour noir et le tragique un peu grotesque, Ardouvin plonge ainsi le CAB dans un décalage constant entre les œuvres présentées et ce qu’elles symbolisent. D’entrée de jeu, une carte postale agrandie et froissée sur aluminium donne le ton : tel un cliché roulé en boule, l’image représentant un paysage de lac et de montagnes se voit réduite à une image d’Épinal d’air pur et de quiétude. Juste à côté, un bonhomme de neige à moitié fondu voisine avec une fausse cheminée dans le plus pur goût anglais – cheminée surmontée d’une céramique de piètre facture représentant une main, doigt d’honneur levé et orné d’une bague à

motif tête de mort. Si le ton plutôt comique du premier niveau joue avec une certaine malice et différents archétypes immédiatement reconnaissables, le second étage est plus sombre. Au bas des escaliers, La Chose respire doucement. Énorme structure en plastique gonflable qui tire son nom du film de Christian Nyby The Thing from Another World (1951), l’œuvre est environnée d’ampoules qui flashent à un rythme effréné tout autour d’elle et ressemble à un gros nuage noir qui se serait échoué sur le flanc. Une métaphore angoissante relevée par une dernière pièce, Le Musicien : composée de deux seaux qui mangent une boule de Noël, l’œuvre est accompagnée par la bande-son lancinante d’un musicien en pleine répétition. Soit une exposition composée d’objets familiers, déformés par un sentiment diffus que quelque chose dans nos histoires personnelles et communes nous échappera toujours. Pierre Ardouvin La Chose Centre d’art Bastille, Grenoble du 5 juillet au 14 septembre 2008


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expositions

Nicolas Moulin Zeitreiseanzusehen, 2008 Volume, fermacel, moteurs, néons, plexiglas 200 × 200 × 20 cm © La BF15

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Yann Lévy Vue de l’exposition à la Fondation Bullukian © Yann Lévy

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nicolas moulin

yann lévy

Voyage de temps à regarder

Transparence du paysage

par Cyrille Bret

par Nicolas Garait

Les pièces de Nicolas Moulin exposées à la BF15 ne dérogent pas aux représentations ambiguës qui ont fait la renommée de ses travaux antérieurs, tels que Vider Paris, particulièrement grâce à l’utilisation démultipliée du dispositif de projection, pris dans ses dimensions à la fois technique, plastique et cognitive, ce dont témoigne l’installation vidéo intitulée Nachdacht. Nachdacht articule deux espaces séparés : celui de sa source (une image créée à partir d’une représentation du City Hall de Boston) et celui de sa réception. Dans la pénombre de la BF15, on perçoit à intervalles réguliers un balayage de lumières au travers de grilles dans ce qui ressemble à un sous-sol ; une architecture de béton, dont les lignes épurées rappellent le modernisme, se révèle par fragment. Mais cette représentation peut également être appréhendée comme une animation rythmique de motifs lumineux abstraits, à l’aune d’un régime qui renoue avec l’histoire du cinéma expérimental. L’expérience visuelle et cognitive – le balayage lumineux révèle le lieu autant que les mécanismes de reconnaissance spatiale qu’il exemplifie chez le spectateur – se trouve renforcée par un dispositif sonore dont l’assourdissement indique la réfraction temporelle qui l’a produit, et auquel s’ajoutent le travail sur les clairs-obscurs, le rapport à la clôture de l’espace, le dessin fragmentaire des rais de lumière, ainsi que les effets d’accélération ou de focalisation. À l’entrée de l’exposition, un rétroprojecteur posé au sol place en exergue l’image d’un bac de cryogénisation qui augure de cette esthétique qu’Arnauld Pierre qualifie de « rétrocipation », et dont il affirme qu’au contraire de l’anticipation, « [elle] ne projette pas le futur à partir de virtualités du présent, mais conjugue au futur antérieur des visions d’un avenir désormais dépassé » 1. Enfin, l’absence notable de cadres de référence spatiotemporels fait de la pièce intitulée Zeitreisenzusehen 2 un envoûtement visuel fondé sur l’expressivité cinématique de tubes de néon tournant sur eux-mêmes dans un coffrage de plexiglas teinté, inscrivant une disjonction narrative entre l’heure et le temps. 1. Arnauld Pierre, « Gravity Greater than Velocity. L’asymptote de Vincent Lamouroux », in 20/27 n°2, 2008, p. 193-211. 2. Néologisme par assemblage lexical que l’on pourrait traduire littéralement par « voyage de temps à regarder ». Nicolas Moulin Dämmeryugyonngbleibt  La BF15, Lyon du 7 juin au 26 juillet 2008

De grands panoramas suspendus au mur, des dessins à la fois fragiles et très maîtrisés, une superposition de motifs élégants, quelques couleurs… Yann Lévy a conçu son exposition à la Fondation Bullukian comme une installation à part entière, avec un mélange des matières, des formats et des techniques aux antipodes du dessin format raisin soigneusement encadré. Chez Lévy, on est plutôt face à un ensemble architectural et frontal réalisé à l’aide d’une technique assez particulière qui consiste à dessiner directement les sujets choisis sur des supports transparents ou translucides. Ces systèmes de calques, sortes de relevés topographiques en trois dimensions, sont ensuite empilés, scannés et imprimés ou directement accrochés aux murs. À la manière d’un paysagiste, Yann Lévy sillonne la région à la recherche d’une inspiration qu’il trouve plutôt du côté des usines de l’Isère que dans la campagne du Beaujolais. Le site chimique à proximité de Grenoble dont il s’est emparé pour concevoir On est d’dans est ainsi démultiplié à plusieurs reprises, en fonction des jours, de l’humeur et du point de vue de l’artiste. C’est ce basculement des perspectives sur une variété de médiums qui donne une vision simultanée du proche et du lointain, du strict relevé et de la fantaisie, de plans industriels et de silhouettes féminines vaporeuses. Alors que les points de vue semblent flotter dans l’espace en se superposant, Yann Lévy propose en toute quiétude la vision d’un monde qui s’entasse, couche après couche, sur l’imaginaire du spectateur. Yann Lévy On est d’dans Fondation Bullukian, Lyon du 3 juillet au 6 septembre 2008


abstraction extension

andro wekua sunset / i love the horizon

Une scène romande et ses connexions

Toujours un peu plus loin

par Caroline Soyez-Petithomme

par Nicolas Garait

Pierre Vadi, Aloïs Godinat, Christian Marclay Salle Rose Acid de l’exposition Abstraction Extension, 2008 © Fondation Salomon

Andro Wekua Sunset, 2008 © Le Magasin / Ilmari Kalkkinen

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Simple allusion ou véritable moteur de la création artistique, l’abstraction s’impose comme le dénominateur commun des œuvres de la jeune génération suisse romande. Abstraction Extension est le second volet de l’exposition Abstraction Etendue (Espace de l’Art Concret, Mouans-Sartoux, février à juin 2008) organisée par Christian Besson, Julien Fronsacq et Samuel Gross. Les commissaires jouent sur l’ambiguë définition d’un art suisse abstrait, essentiellement géométrique et hérité de l’art concret, puis de la génération suivante (dont Armleder et Mosset sont aujourd’hui des figures emblématiques). Passée au crible d’une analyse incessante depuis trois générations, l’abstraction devient toute relative, tant il est difficile de placer l’abstraction comme point de départ ou ligne d’arrivée. Nés pour la plupart entre 1970 et 1980, les artistes se sont notamment émancipés des fondements formalistes excluant la représentation de la réalité. Les bannières de Valentin Carron annoncent d’emblée les incessants effets de résurgence et d’évanescence qui vont ensuite ponctuer l’exposition. Croix gammées, swastika ou croix de Malevitch, les formes portées par ces bannières superposent les références et révèlent d’emblée le problème terminologique lié au terme d’abstraction. Les formes abstraites fonctionnent tour à tour comme des référents, puis comme des coques laissées vides par la disparition du symbole. Ce balancement rappelle que les éléments abstraits de l’ornementation ont eu pour origine des valeurs symboliques et rituelles précises. Des liens s’établissent également entre l’abstraction

et des univers personnels savamment codés. L’aspect quasi-anthropologique des productions de Mai-Thu Perret fait écho aux tableaux abstraits que Guillaume Pilet présente sur un mur tapissé de batik. Au second étage, un effet d’harmonie secrète donc invisible, émerge des œuvres abstraites : les schémas qu’Estelle Balet s’approprie sont mythiques et séculaires, un paysage imaginaire est tenu pour « abstrait » par Vidya Gastaldon. Chaque salle porte un titre (Cortina Negro, Kapellmeister, Wall Movie…) et constitue une unité visuelle organisée autour d’une abstraction formelle ou conceptuelle. Loin de toute radicalité géométrique et de contraintes imposées par rapport à la figuration, Pierre Vadi joue avec l’objet et sa représentation. Il crée des sculptures abstraites à partir de tuyaux de résine tendre qu’il suspend tels des accessoires design. Le statut de l’auteur et les traces de la subjectivité sont nouvellement traités. Ainsi, le néon signé No Picture Available et le paysage hollywoodien créé par Klat sont des œuvres collectives. Le contenu anecdotique et l’artisanat aux accents communautaires émergent comme vecteurs notables de l’abstraction romande contemporaine. David Hominal livre des peintures abstraites fumées dans l’atelier familial de salaisons et les assemblages de serre-câbles électriques de Genêt Mayor font basculer ses sculptures géométriques vers l’esthétique de la narration et du lo-fi. Abstraction Extension : une scène romande et ses connexions Fondation Salomon, Alex du 5 juillet au 2 novembre 2008

Ce n’est pas la première fois que le Magasin accueille une exposition réalisée par un artiste – qu’on se souvienne du Procès de Pol Pot mis en scène par Liam Gillick et Philippe Parreno en 1998. Avec Andro Wekua, l’institution grenobloise prend le pari d’une exposition en double-aveugle à partir d’une œuvre unique de l’artiste. En résulte, avec le concours du curateur Daniel Baumann, un objet étrange, à la lisière de la monographie mentale et de l’exposition collective. Un objet un peu hermétique à prendre pour ce qu’il est : l’espace psychologique d’un artiste, avec ses filiations, ses obsessions et ses indices, comme un musée imaginaire ou une collection d’artefacts. À partir de l’idée de la ligne d’horizon – récurrente dans tout l’espace d’exposition – Andro Wekua a composé Sunset, une immense sérigraphie sur céramique représentant un coucher de soleil. Dans l’espace central du Magasin repeint en marron pour l’occasion, le décor – car il s’agit bien d’un décor, monté sur échafaudage – tient le spectateur à distance avant de dissoudre son propre cliché dans les marquages sérigraphiques pour devenir un motif abstrait et sensuel. Dans les espaces d’exposition, I Love the Horizon décline les œuvres d’une vingtaine d’artistes qui permettent à Wekua de mettre en scène les idées qui le préoccupent et d’interroger la question fondamentale de l’influence dans l’art. Ainsi, les travaux d’Ewa Partum, artiste polonaise des années 1970 dont le travail était quasiment impossible d’accès à l’époque, déconstruisent les auteurs masculins, démembrent leurs textes et les jettent à la mer. Une poésie du langage brut qu’on retrouve aussi bien

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dans les textes affichés au mur de Derek Walcott ou Anne Sexton que dans la vidéo signée Oliver Laric et réalisée avec des bouts de fan films trouvés sur internet qui reconstituent une chanson du rappeur 50 Cent. Plus loin, de magnifiques montages sur feuilles d’or de Rita Ackermann voisinent avec Aluminium Bitch de Steven Parrino, une immense peinture alu en forme de fente qui rappelle combien fut cruelle la mort brutale de cet artiste il y a quelques années. Les liens fragiles et intimes qui existent entre les œuvres se révèlent au détour d’une phrase, d’un dessin ou d’un mot. Les photographies de sa femme prises à intervalles réguliers par De Maria Y Campos font face aux dessins de Kippenberger sur papier à en-tête d’hôtels qui achèvent des portraits de Jacqueline prises dans l’atelier de Picasso après sa mort, tandis qu’un croquis d’Yves Saint Laurent dédié à Sergueï Paradjanov côtoie un dessin de celui-ci. L’exposition se clôt non pas, comme on pourrait le croire d’abord, sur les films de Buñuel et Kalatozishvili projetés face à face mais sur l’arrière de Sunset, qu’on découvre à l’issue de la visite. Auparavant, les images noir et blanc des deux cinéastes, en mélangeant leurs discours militants, leurs voix off sentencieuses et leurs images de miséreux sauvés par la civilisation, auront achevé de donner au visiteur un arrière-goût troublant du monde occidental vu à travers les yeux et les tripes d’un artiste issu d’une sphère culturelle et géographique différente. Andro Wekua - Sunset / I Love the Horizon Le Magasin, Grenoble du 25 mai au 24 août 2008


lectures

Ambition d’art L’Institut d’art contemporain de Villeurbanne fête ses trente ans avec l’exposition Ambition d’art (lire p. 10). Jean-Louis Maubant, son fondateur et directeur jusqu’en 2006, publie à cette occasion deux volumes qui retracent l’histoire de ce lieu fondamental pour l’art contemporain en France. Alphabet retrace l’aventure exigeante que fut la création du Nouveau Musée en tant qu’outil au service des artistes. Les contributions le plus souvent inédites de cent trente artistes passés par les murs de l’Institut alternent avec textes de Xavier Douroux, Mark Francis ou Fumio Nanjo répondant à la question de savoir ce qui a changé selon eux dans l’art depuis trente ans. Le second volume, Archives, reprend la chronologie du lieu et donne lieu à un mélange d’informations, d’anecdotes, d’images d’œuvres et de vernissages. À la fois factuel, complet et modeste, ce double ouvrage ne ferme aucune porte mais laisse au contraire l’Institut de Villeurbanne dans un remarquable état des possibles. Jean-Louis Maubant Ambition d’art Deux volumes : Alphabet et Archives 368 + 232 pages, Les presses du réel, collection De mémoire, Dijon, 2008 Textes français / anglais de Jean-Louis Maubant, Nathalie Ergino, Xavier Douroux, Jean-Claude Conséa, Jean-Hubert Martin…

Saint-Prim 1999-2007 Il aura fallu huit ans de travail et beaucoup d’efforts de part et d’autre pour que le projet de rénovation par Claude Rutault de l’église de Saint-Prim, en Isère, voit enfin le jour. L’ouvrage édité à cette occasion retrace les différentes étapes de la conception de l’œuvre, de la rénovation d’une église mal en point mais toujours en usage au travail sur la lumière et l’espace, la mémoire du lieu, l’effacement, le vide et le plein réalisés par l’artiste. Du drapé des statues aux captures écran de la Jeanne d’Arc de Dreyer accrochées aux colonnes de l’édifice en passant par le geste de repeindre, comme le veut l’usage des définitions / méthodes de l’artiste, les tableaux du chemin de croix (en trop mauvais état pour être restaurés correctement) de la couleur des murs auxquels ils sont

accrochés, le catalogue donne accès au cheminement artistique, architectural et – osons le mot – spirituel des différents intervenants de ce projet. Une réussite en matière de commande publique qui donnera lieu à un reportage plus complet dans un prochain numéro de 04. Claude Rutault Saint-Prim 1999-2007 Éditions des Cendres, Paris, 2008 Textes de Claude Rutault, Marc Chauveau, Jacques Gallay, Bertrand Chatain

Plein jour De Cécile Bart, on connaît les écrans de Tergal qui lui servent d’outil visuel et à travers lesquels elle redessine les lieux qu’elle investit. À Lyon, l’artiste est splendidement représentée par son travail sur la façade du centre hospitalier Saint-Joseph-Saint-Luc, Peinture d’accompagnement (2001). L’ouvrage que lui consacrent aujourd’hui Les presses du réel permet d’appréhender son travail de manière quasi-aléatoire et sans ordre chronologique : comme dans un flip-book, on passe des œuvres dans leur contexte d’exposition à des archives personnelles de l’artiste qui permettent de mieux appréhender son travail. Le livre se termine par quatre textes qui éclairent l’œuvre d’une artiste fascinée par le cinéma, la lumière et la couleur. Un avant-goût de l’exposition que lui consacre, avec Michel Verjux, la galerie Verney-Carron à Lyon à partir de septembre. Cécile Bart Plein jour 356 pages, Les presses du réel, collection Art contemporain, Dijon, 2008 Textes français / anglais d’Éric de Chassey, Christian Besson, Julien Fronsacq et Dominique Païni



zéroquatre Revue semestrielle d’art contemporain en Rhône-Alpes Nº 3 | automne 2008 Gratuit

TrÔle V 20 rue de la Liberté 21000 Dijon, France info@trÔle-v.Ï www.trÔle-v.Ï

À venir : James Angus (décembre 2008) Marc-Camille Chaimowicz (janvier 2009) Pierre Vadi (printemps 2009)


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